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OS. m. (Gram.) c'est la quinzieme lettre, & la quatrieme voyelle de l'alphabet françois. Ce caractere a été long-tems le seul dont les Grecs fissent usage pour représenter le même son, & ils l'appelloient du nom même de ce son. Dans la suite on introduisit un second caractere , afin d'exprimer par l'ancien l'o bref, & par le nouveau, l'o long : l'ancienne lettre O ou o, fut alors nommée , o parvum ; & la nouvelle, ou , fut appellée , O magnum.

Notre prononciation distingue également un o long & un o bref ; & nous prononçons diversement un hôte (hospes), & une hotte (sporta dossuaria) ; une côte (costa), & une cotte (habillement de femme) ; il saute (saltat), & une sotte (stulta) ; beauté (pulchritudo), & botté (ocreatus), &c. Cependant nous n'avons pas introduit deux caracteres pour désigner ces deux diverses prononciations du même son. Il nous faudroit doubler toutes nos voyelles, puisqu'elles sont toutes ou longues ou breves : a est long dans cadre, & bref dans ladre ; e est long dans tête, & bref dans il tette ; i est long dans gîte, & bref dans quitte ; u est long dans flûte, & bref dans culbute ; eu est long dans deux, bref dans feu, & plus bref encore dans me, te, de, & dans les syllabes extrêmes de fenêtre ; ou est long dans croûte, & bref dans déroute.

Je crois, comme je l'ai insinué ailleurs (voyez LETTRES), que la multiplication des lettres pour désigner les différences prosodiques des sons n'est pas sans quelques inconvéniens. Le principal seroit d'induire à croire que ce n'est pas le même son qui est représenté par les deux lettres, parce qu'il est naturel de conclure que les choses signifiées sont entr'elles comme les signes : de-là une plus grande obscurité sur les traces étymologiques des mots ; le primitif & le dérivé pourroient être écrits avec des lettres différentes, parce que le méchanisme des organes exige souvent que l'on change la quantité du radical dans le dérivé.

Ce n'est pas au reste que je ne loue les Grecs d'avoir voulu peindre exactement la prononciation dans leur orthographe : mais je pense que les modifications accessoires des sons doivent plutôt être indiquées par des notes particulieres ; parce que l'ensemble est mieux analysé, & conséquemment plus clair ; & que la même note peut s'adapter à toutes les voyelles, ce qui va à la diminution des caracteres & à la facilité de la lecture.

L'affinité méchanique du son o avec tous les autres, fait qu'il est commuable avec tous, mais plus ou moins, selon le degré d'affinité qui résulte de la disposition organique : ainsi o a plus d'affinité avec eu, u, & ou, qu'avec a, ê, é, i ; parce que les quatre premieres voyelles sont en quelque sorte labiales, puisque le son en est modifié par une disposition particuliere des levres ; au lieu que les quatre autres sont comme linguales, parce qu'elles sont différenciées entr'elles par une disposition particuliere de la langue, les levres étant dans le même état pour chacune d'elles : l'abbé de Dangeau, opusc. pag. 62. avoit insinué cette distinction entre les voyelles.

Voici des exemples de permutations entre les voyelles labiales, & la voyelle o.

O changé en eu : de mola vient meule ; de novus, neuf ; de soror, soeur, qui se prononce seur ; de populus, peuple ; de cor, coeur.

O changé en u : c'est ainsi que l'on a dérivé humanus & humanitas de homo ; cuisse de coxa ; cuir de corium ; cuit de coctus ; que les Latins ont changé en us la plûpart des terminaisons des noms grecs en os ; qu'ils ont dit, au rapport de Quintilien & de Priscien, huminem pour hominem, frundes pour frondes, &c.

Au contraire u changé en o : c'est par cette métamorphose que nous avons tombeau de tumulus, comble de culmen, nombre de numerus ; que les Latins ont dit Hecoba pour Hecuba, colpa pour culpa ; que les Italiens disent indifféremment fosse ou fusse, facoltà ou facultà, popolo ou populo.

O changé en ou : ainsi mouvoir vient de movere, moulin de moletrina, pourceau de porcus, glousser de glocio, mourir de mori, &c.

Les permutations de l'o avec les voyelles linguales sont moins fréquentes ; mais elles sont possibles, parce que, comme je l'ai déja remarqué d'après M. le président de Brosses (art. Lettres), il n'y a proprement qu'un son diversement modifié par les diverses longueurs ou les divers diametres du tuyau : & l'on en trouve en effet quelques exemples. O est changé en a dans dame, dérivé de domina : en e dans adversùs, au lieu de quoi les anciens disoient advorsùs, comme on le trouve encore dans Térence ; en i dans imber, dérivé du grec .

Nous représentons souvent le son o par la diphtongue oculaire au, comme dans aune, baudrier, cause, dauphin, fausseté, gaule, haut, jaune, laurier, maur, naufrage, pauvre, rauque, sauteur, taupe, vautour : d'autres fois nous représentons o par eau, comme dans eau, tombeau, cerceau, cadeau, chameau, fourneau, troupeau, fuseau, gâteau, veau. Cette irrégularité orthographique ne nous est pas propre : les Grecs ont dit & , sulcus (sillon) ; & , vulnus, (blessure) : & les Latins écrivoient indifféremment cauda & coda (queue) ; plaustrum & plostrum (char) ; lautum & lotum au supin du verbe lavare (laver).

La lettre o est quelquefois pseudonyme, en ce qu'elle est le signe d'un autre son que de celui pour lequel elle est instituée ; ce qui arrive par-tout où elle est prépositive dans une diphtongue réelle & auriculaire : elle représente alors le son ou ; comme dans bésoard, bois, soin, que l'on prononce en effet bésouard, boues, souèn.

Elle est quelquefois auxiliaire, comme quand on l'associe avec la voyelle u pour représenter le son ou qui n'a pas de caractere propre en françois ; comme dans bouton, courage, douceur, foudre, goutte, houblon, jour, louange, moutarde, nous, poule, souper, tour, vous. Les Allemands, les Italiens, les Espagnols, & presque toutes les nations, représentent le son ou par la voyelle u, & ne connoissent pas le son u, ou le marquent par quelqu'autre caractere.

O est encore auxiliaire dans la diphtongue apparente oi, quand elle se prononce ê ou è ; ce qui est moins raisonnable que dans le cas précédent, puisque ces sons ont d'autres caracteres propres. Or oi vaut ê : 1°. dans quelques adjectifs nationaux, anglois, françois, bourbonnois, &c : 2°. aux premieres & secondes personnes du singulier, & aux troisiemes du pluriel, du présent antérieur simple de l'indicatif, & du présent du suppositif ; comme je lisois, tu lisois, ils lisoient ; je lirois, tu lirois, ils liroient : 3°. dans monnoie, & dans les dérivés des verbes connoître & paroître où l'oi radical fait la derniere syllabe, ou bien la pénultieme avec un e muet à la derniere ; comme je connois, tu reconnois, il reconnoît ; je comparois, tu disparois, il reparoît ; connoître, méconnoître : que je reconnoisse ; comparoître, que je disparoisse, que tu reparoisses, qu'ils apparoissent. Oi vaut è : 1°. dans les troisiemes personnes singulieres du présent antérieur simple de l'indicatif, & du présent du suppositif ; comme il lisoit, il liroit : 2°. dans les dérivés des verbes connoître & paroître où l'oi radical est suivi d'une syllabe qui n'a point d'e muet ; comme connoisseur, reconnoissance, je méconnoitrai ; vous comparoitrez, nous reparoitrions, disparoissant.

La lettre o est quelquefois muette : 1°. dans les trois mots paon, faon, Laon (ville), que l'on prononce pan, fan, Lan ; & dans les dérivés, comme paonneau (petit paon) qui differe ainsi de panneau (terme de Menuiserie), laonnois (qui est de la ville ou du pays de Laon) : 2°. dans les sept mots oeuf, boeuf, moeuf, choeur, coeur, moeurs & soeur, que l'on prononce euf, beuf, neuf, keur, keur, meurs & seur : 3°. dans les trois mots oeil, oeillet & oeillade, soit que l'on prononce par è comme à la fin de soleil, ou par eu comme à la fin de cercueil. On écrit aujourd'hui économe, économie, écuménique, sans o ; & le nom Oedipe est étranger dans notre langue.

O 'apostrophé devant les noms de famille, est en Irlande un signe de grande distinction, & il n'y a en effet que les maisons les plus qualifiées qui le prennent : o' Briem, o' Carrol, o' Cannor, o' Néal.

En termes de Marine, O veut dire ouest ; S. O. sud-ouest ; S. S. O. sud sud-ouest ; O. S. O. ouest-sud-ouest. Voyez N & RHUMB.

Sur nos monnoies, la lettre o désigne celles qui sont fabriquées à Riom.

Chez les anciens, c'étoit une lettre numérale qui valoit 11 ; & surmontée d'une barre, valoit 11000, selon la regle ordinaire :

O numerum gestat qui nunc undecimus extat.

(B. E. R. M.)


OS. m. (Théol.) nom qu'on a donné aux sept ou neuf antiennes qu'on chante dans l'Avent pendant sept ou neuf jours auparavant la fête de Noël, & qui précedent le cantique Magnificat. On les appelle encore ainsi parce que chacune d'elles commence par cette exclamation : comme O rex gentium. O Emmanuel, &c. Voyez ANTIENNE.


O, o, o(Ecriture) considéré dans sa forme, c'est une ligne courbe continue, dont tous les points supérieurs & inférieurs sont plus éloignés du centre que ceux des flancs ; elle est presque racine de toutes les mineures ; elle se forme sans interruption du mouvement mixte des doigts & du poignet : dans l'italienne les angles de l'o sont beaucoup plus obtus que ceux de l'o coulé ; ce qui fait que celui-ci est moins ouvert que celui-là. A l'égard de l'o rond, il est ainsi appellé, parce qu'il approche du cercle, que ses points supérieurs & inférieurs sont à un point près aussi proche du centre que ceux des flancs. Voyez le volume des Planches à la table de l'Ecriture des figures radicales mineures.


O(Comm.) dans les livres des marchands, banquiers, ou négocians, joint à quelques autres lettres, marque différentes abréviations : ainsi C. O. est l'abréviation de compte ouvert ; O N C. ou O N. signifient onces. Dictionn. de Comm. (G)


Omajuscule (Musique) qui est proprement un cercle, ou double C, est dans nos musiques anciennes, la marque de ce qu'ils appelloient tems parfait, c'est-à-dire, de la mesure triple ou à trois, à la différence du tems imparfait ou de la mesure double, qu'ils marquoient par un C simple, ou par un O tronqué à droite ou à gauche C, ou .

Le tems parfait se marquoit par un O simple, ou pointé en-dedans, ou barré. Voyez TEMS. (S)


O MI-TO(Hist. mod.) c'est le nom que les Chinois idolâtres, qui suivent la secte de Fo, donnent à une divinité pour laquelle ils ont la plus grande vénération. On croit que c'est le même dieu que les Japonois adorent sous le nom d'Amida. Les Chinois croient qu'il suffit de l'invoquer pour obtenir le pardon des crimes les plus atroces. Ils joignent son nom avec celui de Fo, & en font un même mot O-mito-fo. Ce dieu prétendu, de l'aveu de ses adorateurs, étoit un homme du royaume de Bengale, fameux par la sainteté de ses moeurs.


OA(Géog. anc.) village de Grece en Attique, sous la tribu Pandionide, comme le prouve une inscription rapportée par Spon. Il ne faut pas confondre ce village avec Oé qui étoit de la tribu Oénéide.


OACCO(Géog.) province d'Afrique dans l'Ethiopie au royaume d'Angola. C'est une espece de désert habité, dont les peuples n'ont pas l'industrie de cultiver les terres avec art : & pourquoi l'auroient-ils, ils n'ont point de terres en propriété ? Tout ce qu'en dit le pere Labat ne mérite aucune créance.


OAKHAM(Géog.) ville d'Angleterre dans le Rutland, au diocèse de Péterboroug. Elle est dans la belle & riche vallée de Cathmoss, à 74 milles de Londres. Long. 16. 45. lat. 52. 38.


OANNÈSS. m. (Mythol.) les Babyloniens rendirent leurs hommages à l'eau en général, comme élément, sous le nom d'Oannes, moitié femme & moitié poisson, telle qu'étoit la figure que Lucien en avoit vue en Phénicie. Les Syriens représentoient de même leur Atergatis, & les Scythes leur Thamysades ; c'étoient des symboles de la lune & de la mer. (D.J.)


OANUS(Géog. anc.) fleuve de Sicile selon Pindare ; Fazell croit que le nom moderne est Frascolari, riviere qui coule sur la côte méridionale.


OARII(Géog.) province de l'Ethiopie occidentale au royaume d'Angola, sur le bord septentrional de la Coanza. (D.J.)


OARISSES. m. (Belles lettres) terme en usage dans la poésie grecque, qui signifie un dialogue entre un mari & une femme ; tel par exemple que celui qu'on trouve au sixieme livre de l'Iliade, entre Hector & Andromaque. Voyez DIALOGUE.

Scaliger remarque que l'oaristus n'est point à proprement parler, un petit poëme particulier, ni une piece de vers détachée ; mais qu'il fait toûjours partie de quelque grand poëme. Il ajoute que l'endroit d'Homere dont nous venons de parler, est proprement le seul oariste qui se trouve dans les anciens poëtes grecs.


OASIS(Géog. anc.) ville & desert de l'Egypte, aux confins de la Libye. Il y avoit deux villes nommées Oasis, & que l'on distinguoit par les surnoms de grande & de petite. Auprès de la plus grande de ces deux villes, étoit l'affreux desert d'Oasis. Chacune de ces villes avoit un nom. Pline, Strabon, Ptolémée, Hérodote & les autres historiens en parlent ; mais ils ne s'accordent point entr'eux, tant les pays de l'Egypte étoient peu connus des étrangers.


OAXACA(Géog.) vallée de l'Amérique, & province de la nouvelle Espagne, c'est la même que Guaxaca. Voyez GUAXACA.


OAXIS(Géog. anc.) ville de l'île de Crete dans la côte septentrionale selon Hérodote, l. IV. ch. cliv. Varron dit qu' Oaxe, fils d'Apollon & d'Anchiale, bâtit en Crete une ville qu'il appella de son nom. Servius assure la même chose, en expliquant la premiere églogue de Virgile où est ce vers :

Et rapidum Cretae veniemus Oaxem.

(D.J.)


OB(Art. numismat.) M. Patin rapporte une médaille frappée à l'honneur de l'empereur Adrien (peut-être à cause de la connoissance qu'il avoit de la Médecine), où l'on voit d'un côté Esculape avec Hygéia, & de l'autre Télesphore, avec cette inscription autour : . Auprès de Télesphore il y a ces lettres ob. Cet antiquaire explique les premiers mots de cette maniere, pergamenorum sub cephalione, ajoutant en caracteres italiques Telesphorus. Il dit ensuite, après Pausanias, que Télesphore étoit une divinité des Pergaméniens, qui avoit été ainsi nommée par le commandement de l'oracle, & que quelques - uns traduisoient ce mot par celui de devin ou de ventriloque.

Voici comme en parle Selden. " On traduit ordinairement le mot ob, par celui de python ou de magicien ; mais Ob étoit un esprit ou un demon, qui donnoit ses réponses comme si les paroles étoient sorties des parties que l'honnêteté ne permet pas de nommer, ou quelquefois de la tête, & quelquefois des aisselles ; mais d'une voix si basse, qu'il sembloit qu'elle vînt de quelque cavité profonde, comme si un mort avoit parlé dans le tombeau ; ensorte que celui qui le consultoit, ne l'entendoit souvent point du tout, ou plutôt entendoit tout ce qu'il vouloit ". Selden ajoute peu après ce qui suit. " Voyez l'histoire de Samuel, dont la figure fut montrée à Saül par une femme, des parties honteuses de laquelle Ob parloit, ou étoit censé parler. L'Ecriture, dans le premier livre de Samuel, ch. xxxviij. appelle cette femme pythonisse ou ventriloque, comme traduisent les septante, une femme qui avoit Ob. De-là vient que Saül lui parle ainsi : prophétise-moi, je te prie, par Ob, ce que les septante ont traduit, prophétise-moi par le ventriloque. Ob étoit donc un esprit qui parloit du ventre. Nos traducteurs ont rendu le mot des septante, , par esprit familier ".

Buxtorf interprete le mot hébreu ob, par celui de python, ou d'esprit qui rend des réponses par quelque puissance diabolique, & qui travaille à éloigner les hommes de Dieu. Levit. xix. 31. & xx. 27. Il remarque que ob, signifie encore en hébreu, bouteille, Job, xxxij. 19. Ce qui a fait dire à Aben-Esra, qu'on l'avoit transporté par métaphore à un esprit qui enfloit le ventre de celui qui en étoit possédé, comme une bouteille, & rendoit ses oracles par cette partie, d'où le possédé étoit appellé .

On a vu de nos jours des gens qui savoient ménager leur voix, de façon qu'elle sembloit sortir de quelque endroit hors d'eux, soit éloigné de leur corps, soit voisin, & cela d'un ton tel que celui de l'Ob, décrit par Selden. Il y avoit aux environs de Londres un garçon âgé de 25 ans, qu'on appelloit en anglois The speaking-smith (ce qui revient à vocifaber, qu'on ne peut rendre en françois), qui possédoit ce talent dans une grande perfection. Il ne lui eût pas été difficile de se faire passer pour sorcier parmi la populace ; mais il se contentoit d'effrayer des portiers, des charretiers, & d'autres gens de cette espece, qui ne connoissoient point son art.

J'ai entendu parler d'une femme qui parcouroit l'Angleterre en mendiant, & qui savoit si bien menager sa voix qu'elle paroissoit s'entretenir avec plusieurs personnes à la fois ; elle disoit, pour émouvoir la compassion, que les interlocuteurs étoient son mari & ses enfans, qu'elle avoit perdus il y avoit plusieurs années, & qui pendant leur vie, avoient mangé tout son bien. (D.J.)


OBACATIARASLES, (Géog.) peuples de l'Amérique méridionale dans le Brésil. Ils habitent les îles de la riviere de S. François. De Laët les donne pour anthropophages, & vraisemblablement sans en avoir de preuves.


OBAou ROBAI, (Hist. nat. Botan.) c'est une sorte de jasmin du Japon qui a des fleurs doubles. Son écorce est brune ; son bois foible & rempli de moëlle ; ses feuilles alternativement opposées & terminées par une pointe un peu recourbée ; ses fleurs, qui paroissent au mois de Février avant ses feuilles, & qui sortent d'un calice écailleux, sont d'un jaune pâle, & composées de deux sortes de pétales, dont les extérieurs sont d'ordinaire au nombre de huit, longs d'un demi pouce en oval ; & les intérieurs, plus petits, de grandeur inégale, au nombre de huit & plus, marquetés de points couleur de sang ; l'odeur de la fleur tire sur celle de la violette, mais devient dégoutante à la longue, & le goût est très-désagréable. Cet arbrisseau, qu'on croit apporté de la Chine, est d'une beauté qui le fait cultiver soigneusement dans les jardins.


OBARÉNIENSLES, (Géog. anc.) en grec, ; peuples qui habitoient une partie considérable de l'Arménie, aux environs du fleuve Cyrus.


OBBAS. m. (Hist. anc.) vase fort creux dont on se servoit aux repas funebres.

OBBA, (Géog.) ville d'Afrique dans la Mauritanie Césariense. Au cinquieme concile général assista Valérien évêque d'Obba en Afrique. La conférence de Carthage fournit aussi Félicissime évêque d'Obba, Obbensis.


OBDORou L 'OBDORIE, (Géog.) autrefois Lucomorie ; contrée de la Tartarie moscovite, au couchant du Jénisréa & à l'orient de l'Oby, qui la sépare de la Coudora. Ce pays est coupé par le cercle polaire en deux parties à-peu-près égales, sous le soixantieme degré de latitude : il fait partie de la Sibérie. Pierre-le-Grand y avoit commencé quelques habitations qui n'ont pas été continuées. (D.J.)


OBEANCIERS. m. (Jurisprud.) est un titre usité dans l'église collégiale de S. Just de Lyon ; le grand obéancier est la premiere dignité. Le premier chanoine après les dignitaires, a aussi le titre d'obéancier. Ce terme paroît être venu par corruption d'obédiencier ; il y a apparence que ces obéanciers ont été ainsi nommés, parce que dans l'origine ils étoient envoyés par l'archevêque de Lyon pour desservir cette église. Voyez OBEDIENCIER.


OBÉDIENCES. f. (Jurisprud.) ce terme dans son origine étoit toûjours synonyme d'obéissance ; dans la suite on lui a attribué différentes significations en matiere ecclésiastique.

En général obédience signifie soumission à un supérieur ecclésiastique ; quelquefois ce terme se prend pour l'autorité même du supérieur ; quelquefois enfin on entend par obédience, la permission que le supérieur donne d'aller quelque part, ou de faire quelque chose.

Pendant le grand schisme d'Avignon on se servoit du terme d'obédience pour désigner le territoire dans lequel chacun des deux papes étoit reconnu comme légitimement élu. Presque toutes les villes de Toscane & de Lombardie, toute l'Allemagne, la Bohème, la Hongrie, la Pologne, la Prusse, le Danemarck, la Suede, la Norwege, l'Angleterre étoient de l'obédience de Clément VII. qui s'étoit retiré à Avignon ; la France, la Lorraine, l'Ecosse, la Savoie & le royaume de Naples, se rangerent sous l'obédience d'Urbain : l'Espagne prit d'abord le même parti, ensuite elle se mit sous l'obédience de Clément VII.

C'est en ce même sens que l'on appelle ambassadeurs d'obédience, ceux que des princes envoient au pape, pour lui rendre hommage de quelques fiefs qui relevent de lui : c'est ainsi que le roi d'Espagne envoie un ambassadeur d'obédience au pape, auquel il présente la haquenée que ce prince doit au pape à cause du royaume de Naples.

Les provinces dans lesquelles le concordat n'a pas lieu, & qui sont soumises à toutes les regles de chancellerie, que l'on observoit avant le concordat, telles que la Bretagne, la Provence, la Lorraine, sont appellées communément pays d'obédience, ce qui est une expression très-impropre, vû que ces pays ne sont point soumis au pape plus particulierement que les autres ; toute la différence est que la regle de mensibus & alternativa y a lieu, c'est-à-dire que le pape y confere les bénéfices pendant huit mois de l'année, les autres collateurs n'ont que quatre mois, à la réserve des évêques, lesquels en faveur de la résidence, ont l'alternative, c'est-à-dire qu'ils ont la collation pendant un mois, & le pape pendant l'autre, & ainsi de suite alternativement.

Le pape n'use point de prévention dans les pays d'obédience, dans les six mois de l'alternative des évêques ni dans les quatre mois des autres collateurs.

OBEDIENCE, se prend aussi pour un acte qu'un supérieur ecclésiastique donne à un inférieur, soit pour le faire aller en quelque mission, soit pour le transferer d'un lieu dans un autre, ou pour lui permettre d'aller en pelérinage ou en voyage : un prêtre ne doit point être admis à dire la messe dans un diocese étranger, qu'il ne montre son obédience. On doit arrêter les moines vagabonds, qui errent par le monde, & qui ne montrent point leur obédience.

On a aussi appellé obédiences les maisons, églises, chapelles & métairies qui ne sont pas des titres de bénéfices séparés, & dans lesquels un supérieur ecclésiastique envoie un religieux pour les desservir ou administrer. On les a ainsi appellés obédience, parce que le religieux qui les dessert n'y est envoyé qu'en vertu d'un acte d'obédience, & qu'il est révocable ad nutum.

Dans les premiers siecles de l'état monastique, tous les prieurés n'étoient que des obédiences. Il y a encore quelques abbayes où les prieurés qui en dépendent, ne sont que de simples obédiences. Voyez l'histoire de l'église de Meaux, t. I. pag. cxix ; les Mémoires du clergé ; les lois ecclésiastiques & la Jurisprudence canoniq. de de Lacombe. (A)


OBÉDIENCIERS. m. (Jurisprud.) est un religieux qui va, par l'ordre de son supérieur, desservir une église dont il n'est point titulaire. Voyez OBEDIENCE. (A)


OBÉIRv. n. (Gram.) c'est se soumettre à la volonté d'un autre. Celui qui commande est censé supérieur, & celui qui obéit subalterne. On obéit à Dieu, en suivant sa loi ; aux rois, en remplissant leurs lois ; à la nécessité, aux passions, &c.

Obéir se prend encore dans un sens différent, lorsqu'il se dit d'un corps roide, inflexible, qu'on ne plie pas à volonté ; le fer trempé n'obéit pas, &c.

OBEIR, se dit d'un cheval qui répond aux aides. Voyez AIDES.


OBÉISSANCES. f. (Droit naturel & politique.) Dans tout état bien constitué, l'obéissance à un pouvoir légitime est le devoir le plus indispensable des sujets. Refuser de se soumettre aux souverains, c'est renoncer aux avantages de la société, c'est renverser l'ordre, c'est chercher à introduire l'anarchie. Les peuples, en obéissant à leurs princes, n'obéissent qu'à la raison & aux lois, & ne travaillent qu'au bien de la société. Il n'y a que des tyrans qui commanderoient des choses contraires ; ils passeroient les bornes du pouvoir légitime, & les peuples seroient toujours en droit de reclamer contre la violence qui leur seroit faite. Il n'y a qu'une honteuse flatterie & un avilissement odieux, qui ait pu faire dire à Tibere par un sénateur romain : Tibi summum rerum judicium dii dedere, nobis obsequii gloria relicta est. Ainsi l'obéissance ne doit point être aveugle. Elle ne peut porter les sujets à violer les lois de la nature. Charles IX. dont la politique inhumaine le détermina à immoler à sa religion ceux de ses sujets qui avoient embrassé les opinions de la réforme, non content de l'affreux massacre qu'il en fit sous ses yeux & dans sa capitale, envoya des ordres aux gouverneurs des autres villes du royaume, pour qu'on exerçât les mêmes cruautés sur ces sectaires infortunés. Le brave d'Orte, commandant à Bayonne, ne crut point que son devoir pût l'engager à obéir à ces ordres sanguinaires. " J'ai communiqué, dit-il au Roi, le commandement de V. M. à ses fideles habitans & gens de guerre de la garnison, je n'y ai trouvé que bons citoyens & braves soldats, mais pas un bourreau : c'est pourquoi eux & moi supplions très-humblement V. M. de vouloir employer nos bras & nos vies en choses possibles ; quelque hasardeuses qu'elles soient, nous y mettrons jusqu'à la derniere goutte de notre sang ". Le comte de Tende & Charny répondirent à ceux qui leur apportoient les mêmes ordres, qu'ils respectoient trop le roi pour croire que ces ordres inhumains pussent venir de lui. Quel est l'homme vertueux, quel est le chrétien qui puisse blâmer ces sujets généreux d'avoir desobéi ?


OBELES. m. (Belles-Lettres) désignoit chez les anciens une petite ligne, semblable à une aiguille, d'où lui est venu le nom d'obelus, , qui signifie aiguille en grec.

Ce mot est principalement d'usage, en parlant des Hexaples d'Origène ; cet auteur ayant distingué par un astérique ou étoile les supplémens qu'il a ajoutés au texte des septante dans les endroits où ils n'ont point entendu l'hébreu, & ayant marqué d'un obele, ou de la petite ligne (-) les endroits où ce qui se trouve dans les septante, n'est point dans l'hébreu. Voyez HEXAPLE.

S. Jerôme dit que l'obele se trouvoit seulement dans les endroits où on avoit retranché quelque chose des septante, comme superflu ; & l'astérique, dans ceux où il manquoit quelque chose. Ces sortes de marques se rencontrent fréquemment dans les anciens manuscrits. Ordinairement l'obele est accompagné de deux points, l'un au-dessus, l'autre audessous de la ligne (), & l'asterique est une croix de S. André, accompagnée de quatre points. ()


OBÉLISQUES. m. (Archit. & Antiq. égyptiennes) espece de pyramide quadrangulaire longue & étroite, qui est ordinairement d'une seule pierre, & qu'on éleve dans une place pour y servir d'ornement. La proportion de la hauteur à la largeur est presque la même en tous les obélisques. Cette proportion est telle : leur hauteur est de neuf parties ou neuf parties & demie, & quelquefois dix de leur grosseur par le bas ; par le haut la largeur n'est jamais moindre de la moitié, ni plus grande que les trois quarts de celle d'en-bas, & on place un ornement sur sa pointe, qui est émoussée ; mais nous nous proposons d'entretenir ici le lecteur des obélisques d'Egypte, parce que ce sont les seuls monumens qui subsistent de l'ancienne sagesse de ce peuple.

Sésostris, roi d'Egypte, après s'être rendu maître de la plus grande partie de l'Asie & de l'Europe, s'appliqua sur la fin de son regne à élever des ouvrages publics pour l'ornement du pays, & pour l'utilité des peuples. Entre les plus considérables de ses ouvrages, on compte les deux obélisques que ce prince fit élever dans la ville d'Héliopolis. Ils sont d'une pierre très-dure, tirée des carrieres de la ville de Syene en Egypte, tout d'une piece, & chacun de 120 coudées de haut.

Auguste, après avoir réduit l'Egypte en province, ayant fait transporter à Rome ces deux obélisques, il en fit dresser un dans le grand cirque, & l'autre dans le champ de Mars, avec cette inscription sur la base, Caes. D. F. Augustus Pont. max. Imp. XII. Cos. XI. Trib. Pot. XV. Aegypto in potestatem populi rom. redact. soli donum dedit.

Le corps de ces obélisques est tout chargé de figures hiéroglyphiques, ou écritures symboliques, qui marquent, selon Diodore, la grande puissance de ce roi, le détail des tributs qu'on lui payoit, & le nombre des nations qu'il avoit vaincues. Un de ces obélisques est aujourd'hui rompu en pieces, & couvert de terre ; l'autre, qu'Auguste avoit fait placer dans le cirque, avec la même inscription, a été mis par le pape Sixte V. à la porte del popolo l'an 1589.

Le successeur de Sésostris, nommé par Hérodote Pharon, & par Pline Nimcoreus, fit élever deux obélisques, à l'imitation de son pere. Ils avoient chacun cent coudées de haut, & huit coudées de diametre. On voit encore de nos jours un de ces obélisques à Rome devant l'église de S. Pierre, où il a été élevé par le pape Sixte V. Caïus César l'avoit fait venir d'Egypte sur un vaisseau d'une fabrique si singuliere, qu'au rapport de Pline, on n'en avoit jamais vu de pareil. Cet obélisque est tout uni, sans aucun hiéroglyphe.

Ramessès, autre roi d'Egypte, crut devoir consacrer au soleil un obélisque d'une grande hauteur. On dit qu'il y eut vingt mille hommes employés à le tailler, & que le jour qu'on devoit l'élever, le roi fit attacher son fils au haut de l'obélisque, afin que les ingénieurs disposassent leurs machines avec assez d'exactitude pour sauver la vie au jeune prince, & pour conserver en même tems un ouvrage fait avec tant de soin. Pline qui rapporte cette histoire, ajoute que Cambyse ayant pris la ville d'Héliopolis, & y ayant fait mettre le feu, il le fit éteindre, dès qu'il s'apperçut que l'embrasement avoit gagné jusqu'à l'obélisque.

Auguste, après avoir soumis l'Egypte, n'osa toucher à cet obélisque, soit par religion, soit par la difficulté qu'il trouva à transporter cette grande masse. Constantin ne fut pas si timide ; il l'enleva pour en orner la nouvelle ville qu'il avoit fait bâtir. Il le fit descendre le long du Nil jusqu'à Alexandrie, où il avoit fait mettre un bâtiment exprès pour le transporter à Constantinople. Mais sa mort, qui arriva dans ce tems-là, fit différer cette entreprise jusqu'à l'an 357 de J. C.

Alors Constance l'ayant fait mettre sur un vaisseau, il fut amené par le Tibre jusqu'à un village à trois milles de Rome, d'où on le fit venir avec des machines dans le grand cirque, où il fut élevé avec celui qu'Auguste y avoit fait mettre long-tems auparavant. Depuis le tems de Constance, il y avoit donc deux obélisques dans le cirque ; & c'est de ceux-là dont parle Cassiodore avec assez peu d'exactitude, quand il dit qu'il y en avoit un consacré au soleil, & l'autre à la lune, & que les caracteres qui y sont gravés, sont des figures chaldaïques, qui marquent les choses sacrées des anciens : ce discours sent bien l'ignorance du bas empire.

Enfin cet obélisque qui étoit tombé, a été relevé par le pape Sixte V. devant l'église de saint Jean de Latran l'an 1588, 1231 ans depuis qu'il avoit été amené par Constance, & 2420 ans depuis qu'il avoit été taillé par les soins de Ramessès.

Hermapion avoit autrefois donné en grec l'interprétation des figures hiéroglyphiques qui sont gravées sur ce monument ; ce qui marque que de son tems on avoit encore l'intelligence de ces figures. On peut lire cette interprétation dans Ammien Marcellin, qui nous en a conservé une partie. Elle contient d'abord les titres pompeux du roi " Ramessès, fils du soleil, chéri du soleil & des autres dieux, à qui ils ont donné l'immortalité, qui a soumis les nations étrangeres, & qui est le maître du monde, &c. " Mais outre ces titres flatteurs, cet obélisque contenoit une histoire de ses conquêtes.

Il en étoit de même de tous les autres obélisques en général : voici ce que dit Diodore de Sicile. Sésostris éleva deux obélisques d'une pierre très-dure de cent vingt coudées de haut, sur lesquels il fit graver le dénombrement de ses troupes, l'état de ses finances, & le nombre des nations qu'il avoit soumises.

A Thebes, suivant Strabon, il y avoit des obélisques avec des inscriptions, qui constatoient les richesses & le pouvoir de leurs rois ; l'étendue de leur domination, qui embrassoit la Scythie la Bactriane, l'Inde & le pays appellé aujourd'hui Ionis : enfin la grande quantité de tributs qu'ils recevoient & le nombre de leurs troupes, qui montoit à un million d'hommes.

Proclus, dans son commentaire sur le Timée, nous dit que les choses passées sont toujours nouvelles chez les Egyptiens ; que la mémoire s'en conserve par l'histoire ; que l'histoire chez eux est écrite sur des colomnes, sur lesquelles on a le soin de marquer tout ce qui mérite l'admiration des hommes, soit pour les faits, soit pour les nouvelles inventions & pour les arts.

Germanicus, au rapport de Tacite, alla voyager en Egypte pour connoître l'antiquité. Il voulut voir les ruines de l'ancienne ville de Thebes ; il n'y avoit pas long-tems qu'elle étoit ruinée, car elle ne le fut que sous Auguste par Cornelius Gallus, premier gouverneur d'Egypte. On voyoit encore, dit Tacite, sur des colomnes des lettres qui marquoient les grandes richesses des Egyptiens ; & Germanicus ayant demandé à un prêtre du pays de lui expliquer ces hiéroglyphes, ce prêtre lui dit que ces lettres marquoient qu'il y avoit eu autrefois dans la ville sept cent mille hommes en âge de porter les armes, & que c'étoit avec cette armée que le roi Ramessès s'étoit rendu maître de la Lybie, de l'Ethiopie, des Medes, des Perses, des Bactres, de la Scythie, de la Syrie, de l'Arménie & de la Cappadoce ; qu'il avoit étendu son empire jusque sur les côtes de Bithinie & de Lycie. On lisoit aussi sur ces colomnes les tributs qu'on levoit sur ces nations, le poids de l'or & de l'argent, le nombre des armes & des chevaux, l'ivoire & les parfums, le bled & les autres tributs que chaque nation devoit payer, qui n'étoient pas moins magnifiques, ajoute Tacite, que ceux que les Parthes ou les Romains exigent aujourd'hui.

En un mot les obélisques nous ont laissé des vestiges étonnans de l'opulence des rois d'Egypte, & l'explication que les prêtres donnent dans Tacite, répond si bien aux figures que nous voyons gravées au sommet des obélisques qui nous restent, singulierement de celui élevé à Thebes par Ramessès, qui est actuellement dans la place de saint Jean de Latran, & dont on a donné une estampe au commencement de ce siecle, qu'il nous paroîtroit déraisonnable de révoquer en doute une puissance dont il reste tant de témoins & de monumens.

Il semble même que les Romains aient été effrayés d'imiter les obélisques des rois d'Egypte. Ces beaux ouvrages ont été pour l'Italie des bornes sacrées. La grandeur romaine a cru, en les transportant, faire tout ce qu'elle pouvoit, & n'a pas osé en construire de nouveaux pour les mettre en parallele avec les anciens. Au lieu donc que la pyramide de Cestius prouve qu'une famille particuliere a tenté un modele de ces pyramides si superbes & si exhaussées des rois d'Egypte, la circonstance singuliere que personne n'a imité la structure des obélisques, constate pleinement que les empereurs eux-mêmes ne se sont pas hasardés d'opposer des ouvrages de ce genre à ceux de ces monarques. Ils tiroient leur marbre d'une carriere unique dans le monde. Cette carriere étoit située près de la ville de Thebes & des montagnes qui s'étendent vers le midi de l'Ethiopie & les cataractes du Nil. Cinq obélisques d'Egypte, relevés par les soins de Sixte V. servent à justifier la magnificence de Sesostris & de Ramessès en ce genre : cependant le nom de Dominique Fontana qui les rétablit, est encore célebre à Rome, tandis que celui des artistes qui les taillerent & les transporterent de si loin, est pour jamais inconnu. Mais le lecteur curieux de s'éclairer davantage sur cette matiere, peut consulter Bargaei de obelisco. Il est inséré dans le beau recueil des antiquités romaines de Graevius commentarius, tom. IV. (D.J.)

OBELISQUE (Hydr.) s'entend de certaines fontaines qui forment un rocher large par en-bas, terminé en pointe en forme d'un obélisque ; telle est la belle fontaine de Versailles qui porte ce nom. Il y en a encore quatre dans le bosquet nommé l'arc de triomphe, qui sont à jour & triangulaires, formés par des corps de cuivre doré, d'où sortent des nappes d'eau à divers étages, imitant des cristaux.


    
    
OBER(Géog.) mot allemand, qui, en géographie, signifie haut, élevé, & qui se compose avec un nom propre, ayant pour opposé le mot nieder, bas : ainsi les Allemands disent ober-Baden, nieder-Baden, le haut, le bas pays de Bade ; ober-Bayern, nieder Bayern, la haute & la basse Baviere ; ober-Elsasz, nieder-Elsasz, la haute & la basse Alsace, & ainsi des autres lieux & pays distingués en haut & bas. (D.J.)


OBÉRÉadj. (Comm.) celui qui est endetté, qui, à cause de ses dettes considérables, est hors d'état de continuer son commerce, ou de payer ses créanciers. Dictionn. de commerce.

S'OBERER, s'endetter, contracter de continuelles & de grandes dettes. Id. ibid.


OBERKIRCH(Géograph.) c'est-à-dire, haute église, petite ville & château d'Alsace, au-delà du Rhin, vers la forêt Noire, à une lieue de Strasbourg. Elle appartient à l'Evêque de Strasbourg. Long. 25. 55. lat. 48. 35. (D.J.)


OBERNDORFF(Géog.) petite ville d'Allemagne au cercle de Souabe, dans la forêt Noire. Elle appartient à la maison d'Autriche : on la divise en haute & en basse. Elle est sur le Necker. Long. 28. 18. lat. 48. 10. (D.J.)


OBERNPERG(Géog.) petite ville d'Allemagne dans la Baviere, avec un château. Elle appartient à l'évêque de Passau, & en est à 4 milles. Long. 30. 54. lat. 48. 33. (D.J.)


OBERWESEL(Géog.) ancienne petite ville d'Allemagne, au cercle du bas Rhin, autrefois impériale, mais à présent sujette à l'électeur de Treves. Elle est sur le Rhin. (D.J.)


OBÉSITÉS. f. (Médec.) la quantité de graisse dans le corps humain, plus considérable que les autres humeurs, & que les parties solides ne le demandent, s'appelle en Médecine obésité, obesitas, & plus expressivement encore par Caelius - Aurelianus, quoique peut-être improprement, polysarcia, car l'obésité n'est pas une surabondance de chair, mais de graisse ; on pourroit dire polystearcia ; c'est un embonpoint excessif ; c'est une maladie opposée au marasme.

Ceux dont le corps est maigre, sans être décharné, ou charnu sans être gras, sont beaucoup plus vigoureux que ceux qui deviennent gras ; dès que la surabondance de la nourriture a pris cette route, & qu'elle commence à former de la graisse, c'est toujours aux dépens de la force. Ce n'est point par l'augmentation des solides que se fait celle du volume de tout le corps dans les personnes grasses ; mais cet embonpoint consiste, en ce que les solides forment par leur extension de plus grandes cavités, qui se remplissent d'un plus grand amas d'humeurs, & par conséquent l'excès d'embonpoint nuit, affoiblit, suffoque : un médecin sait donc bien distinguer la nutrition de la réplétion, puisque la premiere donne de la force & de la densité aux vaisseaux, au lieu que l'autre les dilate, les relâche & les affoiblit.

La différence qu'il y a d'une personne maigre à une personne grasse, c'est que la personne grasse a ses vaisseaux entourés d'une graisse croupissante dans les cellules de la membrane adipeuse qui en sont gonflées. La personne maigre, au contraire, a une graisse rougeâtre, formant des globules légers & circulaires : plus il s'amasse de graisse dans les cellules, plus les humeurs perdent de leur masse & de leur nature. Les vaisseaux retrécis par le volume énorme de la graisse, produisent la foiblesse, la paresse, l'inaction & l'inaptitude aux mouvemens.

Lorsque l'accroissement de toutes les parties du corps est entierement achevé, & que ces parties du corps ne peuvent presque plus admettre de nourriture, alors la graisse commence à se former dans les hommes & dans les femmes qui menent une vie oisive. Mais de plus, certains sujets y ont une disposition naturelle, qui augmente à proportion de la plus grande quantité d'alimens que l'on prend, du repos du corps, de celui de l'esprit, de l'interruption des exercices ordinaires, de la suppression d'une hémorrhagie accoutumée, & de la suppression des mois dans les vieilles femmes. Cette disposition est encore favorisée par l'amputation de quelque membre.

La différence des climats & des degrés de transpiration, contribue sans doute à cet état. On remarque que pour une personne d'un embonpoint excessif dans les provinces méridionales de France, il y en a cent en Angleterre & en Hollande, ce qu'on peut attribuer en partie au climat, & en partie à l'usage habituel des bieres récentes & féculentes, dans lesquelles la partie oléagineuse n'est pas suffisamment atténuée.

Les Grecs, sur-tout les Lacédémoniens, ne pouvoient souffrir ce massif embonpoint ; aussi les jeunes Spartiates étoient obligés de se montrer nus tous les mois aux éphores, & l'on imposoit un régime austere à ceux qui avoient de la disposition à devenir trop gras. En effet, l'équilibre se détruit chez les personnes d'un embonpoint excessif ; ensorte qu'elles deviennent asthmatiques & quelquefois apoplectiques. Les solides se relâchent, la respiration s'embarrasse, le pouls est plus profond & plus caché par la graisse dominante ; souvent dans les femmes le retour des regles plus tardif, & la stérilité sont une suite de l'obésité : dans les enfans elle annonce une dentition pénible.

Le moyen de diminuer l'obésité, est de manger moins, d'augmenter le mouvement des solides & des fluides par la promenade, à pié ou à cheval, & généralement en pratiquant tous les exercices du corps. On employera les frictions en pressant légerement les vaisseaux, & en repoussant doucement les fluides : on usera avec prudence & modération des acides, des médicamens acides austeres, & des spiritueux qui ayent fermenté. On pourra prévenir l'obésité par les mêmes secours, quoiqu'on voie des personnes, sur-tout dans certains climats qui y ont une si grande disposition naturelle, que tous les moyens échouent, si on ne les met en usage consécutivement & de très-bonne heure.

Il y a peu de modernes qui ayent écrit sur cette maladie ; mais entre les anciens, Caelius-Aurélianus l'a traitée avec une intelligence supérieure, en établissant solidement les symptomes & la méthode curative.

Il considere d'abord l'obésité comme une espece de cachéxie qui produit l'inaction, la foiblesse, la difficulté de respirer, l'oppression & les sueurs copieuses dans lesquelles on tombe pour peu qu'on fasse d'exercice. On guérit, selon lui, cette maladie de deux manieres ; savoir, en empêchant que le corps ne reçoive trop de nourriture, soit par le moyen de la gestation, & par l'usage des alimens peu nutritifs ; ou en observant certaines regles, & pratiquant par degré certains exercices laborieux, & propres à causer du changement dans le corps.

Il entre dans toutes les directions particulieres & relatives à la cure ; il enjoint aux malades de faire beaucoup d'exercice à cheval ou en voiture ; de voyager sur mer, de lire haut, de lutter, & de marcher à grands pas pour mieux exercer les jambes. Il leur prescrit de se frotter avec une serviette grossiere, bien séche, & se saupoudrer le corps de sable ; il veut qu'ils excitent la sueur à l'aide de la chaleur des étuves ; usant, tantôt de bains chauds pour aider la transpiration, & tantôt de bains froids, pour resserrer le corps. Il leur ordonne de se couvrir de sable chaud, de se baigner dans des fontaines médicinales, & après avoir sué dans le bain, de se saupoudrer avec du sel. Il conseille ensuite d'employer les frictions avec du nitre pulvérisé, boire légerement, & user dans la boisson d'un peu de vin médiocrement âcre. Leurs alimens seront du pain de son qui est peu nourrissant, des herbes potagères apéritives, comme asperges, panais, carottes, ache, fenouil, porreaux, &c. des viandes dont la chair soit séche & dépouillée de graisse. Il leur défend de dormir après le repas, & de dormir longtems, parce que le défaut de sommeil joint à l'exercice ne peut que tendre à diminuer l'embonpoint.

Enfin, Caelius-Aurélianus examine toutes les autres méthodes de ses prédécesseurs, & condamne en particulier celle des Médecins qui ordonnoient contre l'obésité la saignée, les purgatifs, les clysteres, l'usage des femmes au sortir du bain, la pratique de vomir après souper, & autres remedes de ce genre dont il n'est pas difficile de sentir le ridicule ou les mauvais effets.

Je finis par un exemple bien singulier d'embonpoint excessif, que j'ai lû dans les nouvelles publiques de Londres du 31 Octobre 1754. sur Jacques Powell, mort dans le comté d'Essex, son obésité monstrueuse l'avoit rendu célébre ; il avoit environ quinze piés d'Angleterre de circonférence, & il pesoit six cent cinquante livres. (D.J.)


OBIERS. m. (Hist. nat. Bot.) opulus ; genre de plante qui porte deux sortes de fleurs monopétales ; l'une est en forme de rosette & stérile, elle est percée dans son milieu par un pistil qui sort du calice ; l'autre fleur a la forme d'un bassin, elle est aussi percée par le sommet d'un pistil qui devient dans la suite un fruit, ou une baie molle dans laquelle on trouve une semence applatie & en forme de coeur. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

OBIER, opulus, arbrisseau qui se trouve en Europe & dans l'Amérique septentrionale. Il donne plusieurs tiges dont la plûpart s'élevent à 12 ou 15 piés. Ses feuilles sont assez grandes, chargées de rides, découpées en trois parties, & d'un verd brun. Ses fleurs qui sont blanches, viennent au mois de Mai en grandes ombelles au bout des branches, mais les fleurons qui bordent l'ombelle, sont stériles ; & néanmoins plus blancs, plus grands & beaucoup plus apparens que ceux du centre qui portent les fruits. Ce sont des baies rondes, succulentes & rouges qui renferment une graine dure & plate, figurée en coeur.

Cet arbrisseau vient assez bien par-tout ; cependant il se plaît dans les lieux frais & couverts, à l'exposition du nord, dans les terres grasses & humides, au bord des ruisseaux ; mais s'il se trouve dans un terrein sec & trop exposé au soleil, il y fait peu de progrès, & ces feuilles tombent de bonne heure. Il est extrêmement robuste. On le multiplie aisément de graines, de rejettons, de branches couchées & de bouture. Tous ces derniers moyens sont plus prompts que la semence qui ne leve que la seconde année, si on ne l'a pas semée en automne. L'obier fait une grande quantité de racines noires & chevelues qui assurent sa transplantation. On peut donner à cet arbrisseau une forme réguliere, & lui faire une jolie tête ; mais il convient sur-tout à faire des palissades de six ou huit piés de haut, qui réussissent sous d'autres arbres. Ses fruits mûrissent à la fin de Septembre, alors ils sont fades & de mauvais goût ; mais après l'hiver ils sont acides & de même goût que l'épinevinette ; ils sont d'un rouge vif & très-apparent, & ils restent sur l'arbre long-tems après la chûte des feuilles. C'est un bon appât pour attirer les oiseaux qui en sont très-avides, & c'est aussi une bonne nourriture pour la volaille.

Cet arbrisseau a des variétés qui ont de l'agrément.

1. L'obier ordinaire.

2. L'obier à fleurs doubles, ou la rose de Gueldres. Dans l'espece à fleurs simples qui précede, les seules fleurs de la circonférence de l'ombelle sont stériles, mais plus grandes & d'une blancheur plus apparente que toutes celles du centre, qui sont fort petites, d'un blanc sale peu apparent, & néanmoins fécondes ; au lieu que dans la rose de Gueldres, toutes les fleurs du centre de l'ombelle sont de la même forme que celles de la circonférence ; & comme leur volume est plus considérable, & qu'il leur faut plus d'espace pour s'étaler, c'est ce qui force l'ombelle à se former en rond, comme si c'étoit une boule ; ce qui a fait donner à cette fleur le nom de pelote de neige. Cet arbrisseau est de même accroissement que le précédent. Ses fleurs paroissent aussi au mois de Mai ; il en donne en quantité & d'une si belle apparence, qu'on ne peut lui refuser une place dans les plantations que l'on fait pour l'agrément.

3. La rose de Gueldres à feuilles panachées. Ses feuilles sont joliment tachées de jaune ; c'est tout ce qui en fait la différence avec le précédent ; mais il ne faut pas mettre cet arbrisseau dans un terrein gras & humide, où un accroissement trop vigoureux effaceroit peu-à-peu la bigarure qui fait son mérite.

4. L'obier de Canada, ou le pemina. Cet arbrisseau ressemble à l'obier ordinaire, si ce n'est qu'il est plus précoce, & que les belles fleurs de la circonférence de l'ombelle sont plus grandes, & ont plus belle apparence.


OBITvoyez l'article suivant.


OBITUAIRES. m. (Jurisprud.) se dit d'un registre où l'on écrit les obits, c'est-à-dire, où l'on fait mention des décès & sépultures de certaines personnes. Ailleurs on dit registre mortuaire, quelquefois on dit l'obituaire simplement pour registre mortuaire. On entend ordinairement par obituaire le registre sur lequel on inscrit les obits, c'est-à-dire, les prieres & services fondés pour les défunts, & les autres fondations qui ont été faites dans une église. On appelle aussi ces sortes de registres nécrologe ou martyrologe. (A)

OBITUAIRE, est aussi un bénéficier pourvu d'un bénéfice per obitum, c'est-à-dire, par le décès du précédent titulaire. Le résignataire est préféré à l'obituaire. Voyez RESIGNATION. Dans la chancellerie romaine il y a un officier appellé dataire ou reviseur per obitum. Voyez DATAIRE. (A)


OBJECTERv. act. (Gram.) c'est montrer le faux d'un raisonnement, par la raison contraire qu'on y oppose ; les suites fâcheuses d'un projet, la vanité d'une entreprise, le ridicule d'une prétention, &c. si l'on a tort d'objecter à quelqu'un sa naissance, on a tort aussi de se prévaloir de la sienne.

La raison objectée s'appelle objection ; il arrive de tems en tems, qu'il faudroit mettre la preuve en objection & l'objection en preuve.

On se fait quelquefois des objections si fortes, que l'on entraîne son auditeur dans l'opinion contraire à celle qu'on s'étoit proposé de leur inspirer.


OBJECTIFS. m. adj. (Dioptr.) verre objectif se dit de celui des verres d'une lunette ou d'un microscope à plusieurs verres qui est tourné vers l'objet : on l'appelle ainsi pour le distinguer de l'oculaire qui est tourné vers l'oeil. Voyez MICROSCOPE, TELESCOPE, &c. on dit aussi l'objectif tout court. (O)

Dans le télescope l'objectif doit être d'un plus grand foyer que l'oculaire, c'est tout le contraire dans les microscopes. Voyez TELESCOPE & MICROSCOPE.

Pour s'assurer de la régularité & de la bonté d'un verre objectif, on décrira sur un papier deux cercles concentriques tels que le diametre de l'un soit égal à la largeur du verre objectif, & le diametre de l'autre égal à la moitié de cette largeur ; on divisera la circonférence intérieure en six parties égales, & on y fera six petits trous avec une éguille ; ensuite on couvrira avec ce papier une des faces du verre, & l'exposant au soleil, on recevra les rayons qui passeront par chaque trou, sur un plan qui soit à une juste distance du verre ; en reculant ou approchant le plan, on doit trouver un endroit, où les six rayons qui passent par les six trous, se réunissent exactement : s'ils se réunissent en effet ainsi, c'est une marque que le verre objectif est bien fait, & le point de réunion est le foyer de ce verre.

Mais il n'y a peut-être pas de meilleur moyen de s'assurer de la bonté d'un verre objectif, que de le placer dans un tube, & de l'essayer avec un petit verre oculaire sur des objets placés à différentes distances ; car le verre objectif est d'autant meilleur, qu'il représente les objets plus distinctement & plus clairement, & qu'il embrasse un plus grand champ, & souffre un verre oculaire plus concave ou plus convexe, sans colorer & obscurcir les objets.

Pour s'assurer si un verre objectif est bien centré, il faut tenir le verre à une distance convenable de l'oeil, & observer les deux images d'une chandelle, réfléchies par ses deux faces, l'endroit où les images se réunissent ou se confondent, est le vrai centre : si ce point répond au milieu ou au point central du verre, il est bien centré. Voyez CENTRER. (T)


OBJETS. m. (Logique) signifie la matiere d'un art, d'une science, ou le sujet sur lequel on s'exerce. Dans l'école on distingue différens objets de la même science : savoir, l'objet matériel, l'objet formel, & l'objet total ou adéquat.

L'objet matériel, c'est la chose même que la science considere ou dont elle traite. Ainsi le corps humain est l'objet de la Médecine.

L'objet formel, c'est la maniere de considérer l'objet matériel. Ainsi le corps humain, considéré dans le dessein de le guérir, est l'objet formel de la Médecine.

L'objet total ou adéquat, c'est la réunion de l'objet matériel & de l'objet formel.

Il faut observer qu'une chose n'est l'objet matériel d'une science, que lorsqu'elle y est considérée pour elle-même. Ainsi la Botanique & la Chimie ne peuvent être regardées comme l'objet matériel de la Médecine ; parce que la Médecine n'envisage pas ces deux parties pour elles-mêmes, mais seulement en tant qu'elles contribuent, par l'application qu'on en fait, à la guérison du corps. Ainsi les mots ne font point partie de l'objet de la Logique, puisque cette science ne les emploie pas pour eux-mêmes ; mais seulement parce qu'ils sont l'unique moyen que les hommes aient pour se transmettre leurs pensées.

Comme l'objet matériel signifie chez les Philosophes la même chose qu'un objet commun, il suit de-là que deux sciences peuvent avoir le même objet matériel. Ainsi la Médecine & l'Anatomie ont-elles pour objet matériel le corps humain ; mais ce qui les distingue l'une de l'autre, c'est que la premiere considere le corps humain pour le guérir, au lieu que la seconde l'envisage seulement pour le connoître.

OBJET, (Peinture) c'est ce qui attire nos regards. Il vaut mieux dans un tableau laisser quelque chose à desirer, que de fatiguer les yeux du spectateur par une trop grande multiplicité d'objets. On reconnoît le goût sûr & délicat d'un artiste, au choix des incidens qu'il fait entrer dans un sujet, à son attention de n'employer rien que de piquant, à rejetter ce qui est fade & puérile, enfin à composer un tout auquel chaque objet en particulier soit comme nécessairement lié ; mais voyez des détails plus intéressans au mot SUJET, Peinture. (D.J.)


OBLADOvoyez NIGROIL.


OBLATS. m. (Hist. ecclés.) enfant consacré à Dieu dans une maison religieuse. Un oblat étoit autant engagé par sa propre volonté que par la dévotion de ses parens. On le regardoit comme apostat s'il quittoit. L'oblat embrassoit l'état monastique dans son enfance, le convers dans un âge plus avancé. Ce fut au commencement du onzieme siecle que la coutume absurde des oblats s'institua. On nommoit oblat ou oblate celui ou celle qui vouoit sa personne & son bien à quelque couvent. L'oblat s'appelloit aussi donné. On voit dans les archives de l'abbaye de saint Paul de Verdun une permission accordée à un homme de se marier, à condition que la moitié de ses enfans appartiendroit à l'abbaye, & l'autre moitié à l'évêque. O tems stupides ! ô corrupteurs des moeurs ! Un oblat étoit encore un moine lai que le roi plaçoit dans certaines maisons riches, abbayes, prieurés, &c. Il sonnoit les cloches, balayoit l'église, étoit nourri, vêtu, même pensionné. C'est ainsi que le souverain récompensoit ceux qui avoient été blessés à son service. Le laïc qui obtenoit de la cour une pension sur un bénéfice, s'appelloit oblat.


OBLATA(Hist. ecclés.) mot qui veut dire offrande. C'est sous ce mot que des souverains & des particuliers donnerent autrefois à l'église leurs biens de patrimoine, pour en jouir moyennant une légere redevance. On prit cette précaution dans les tems de troubles & de rapines ; c'étoit la ressource des foibles dans les gouvernemens orageux de l'Italie ; les Normands même, quoique puissans, l'employerent comme une sauve-garde contre des empereurs qui pouvoient devenir plus puissans. (D.J.)


OBLATAES. f. (Hist. ecclés.) oublies consacrées ou hosties qu'on distribuoit aux communians à la messe. On donnoit aussi quelquefois le nom d'oblatae aux repas ordinaires qu'on faisoit dans les maisons religieuses.


OBLATES. f. (Hist. ecclés.) congrégation de religieuses, fondée en 1425 par sainte Françoise. Le pape Eugene IV. en approuva les constitutions. On les appelle aussi collatrices.


OBLATIONS. f. (Théolog.) l'action d'offrir ; se prend quelquefois pour les dons mêmes & les choses offertes, qu'on nomme autrement offrandes. Voyez OFFRANDES.

Les oblations que les fideles faisoient à l'autel étoient en quelque sorte des sacrifices qu'ils offroient au Seigneur, des marques de leur reconnoissance pour les prêtres, des effets de leur charité pour les pauvres. Elles consistoient d'abord en pain & en vin. On en offroit pour les pénitens qui étoient morts avant que d'avoir été reconciliés, mais non pour les catéchumenes qui étoient morts avant que d'avoir reçu le baptême. Les fideles, vivans ou morts, n'étoient distingués des excommuniés que pour le droit qu'ils avoient de faire recevoir leurs oblations. Depuis, elles furent converties en argent ; & quelques conciles particuliers ont excommunié ceux qui refuseroient de les payer dans les tems prescrits. Mais on les a ensuite laissées à la volonté des fideles, & il n'y en a plus aujourd'hui de reglées que celle qu'on fait du pain beni tous les dimanches à la messe de paroisse. Voyez PAIN BENI & OFFRANDES.

OBLATION, se dit encore parmi les catholiques romains de la partie de la messe qui suit immédiatement l'évangile, ou le chant du credo, & qui consiste dans l'offrande que le prêtre fait d'abord du pain destiné au sacrifice, posé sur la patene, puis du vin mêlé d'un peu d'eau dans le calice qu'il tient quelque tems élevé au milieu de l'autel, accompagnant ces deux actions de prieres qui y sont relatives & qui en expriment la fin. C'est-là proprement que commence le sacrifice qui consiste dans l'oblation du corps & du sang de Jesus - Christ. On dit en ce sens que la messe est à l'oblation, que le credo précede l'oblation, que la préface suit l'oblation, &c.

OBLATION, (Jurisprud.) signifie tout ce qui est offert à l'église en pur don ; c'est la même chose qu'offrande. Dans les premiers siecles de l'église, ses ministres ne vivoient que d'oblation & d'aumônes : l'usage qui s'est établi de payer la dixme n'a pas empêché que les fideles n'aient continué à faire des oblations ; mais il y a des églises qui ne jouissant pas des dixmes, n'ont d'autre revenu que les oblations & le casuel. Il y a eu dans chaque église divers réglemens pour le partage des oblations entre les clercs. Le concile de Merida en Espagne, tenu en 666, ordonne, canon xiv. que les oblations faites à l'église pendant la messe se partageront en trois : que la premiere part sera pour l'évêque ; la seconde, pour les prêtres & les diacres ; la troisieme, pour les sous-diacres & les clercs inférieurs. Les oblations des paroissiens appartiennent aux curés à l'exclusion des curés primitifs, des patrons & marguilliers, &c. Les oblations casuelles & incertaines ne sont point imputées sur la portion congrue. Voyez le traité de M. Duperray sur les portions congrues & dixmes, & au mot PORTION CONGRUE. (A)

OBLATION, étoit aussi un droit que les seigneurs levoient en certaines occasions sur leurs hommes, comme il se voit dans la coutume de celles de l'an 1216. Voyez le gloss. de M. de Lauriere. (A)


OBLATIONNAIRES. m. (Jurisprud.) dans la basse latinité, oblationarius, étoit un officier ecclésiastique qui recevoit les offrandes & oblations des fideles. C'étoit un diacre ou sous diacre qui avoit cet emploi ; oblationnaire ou diacre des oblations étoit la même chose. Quand le pape célébroit l'oblationnaire apportoit du palais les oblations, c'est-à-dire, le pain & le vin, & les donnoit à l'archidiacre. Voyez l'ordo romanus, l'hist. de la translat. de S. Sébast. & Anastas. bibliot. ad VIII. synod. art. 2. (A)


OBLIAGES. m. (Jurisprud.) est une redevance annuelle dûe en certains lieux au seigneur. Quelques-uns ont prétendu qu'obliage se disoit pour oubliage, & que ce terme venoit d'oubli ; c'est ainsi que l'interprete de la coutume de Blois, sur l'art. 40, dit que l'obliage est l'amende que le sujet doit à son seigneur, pour ne lui avoir pas payé la rente ou devoir annuel au jour accoutumé, & pour l'avoir oublié. En effet, les cens & rentes emportent communément une amende faute de payement ; mais M. de Lauriere remarque avec raison que c'est une imagination ridicule de faire venir obliage du mot oubli.

Le droit appellé obliage vient du latin oblata. C'étoit le nom que l'on donnoit autrefois aux pains qui étoient présentés pour la communion, ainsi qu'il se voit dans le seizieme concile de Tolede, ch. xvj.

On donna aussi le même nom à des pains ronds & plats que les sujets étoient tenus de présenter à leur seigneur. Ces ains furent appellés oblata quasi munera oblata, seu oblationes ab offerendo, à cause qu'ils étoient présentés au seigneur, & peut-être aussi parce qu'ils étoient à l'instar de ceux que l'on donnoit pour la communion. On les appella en françois oblies, & par corruption oublies ; c'est de-là qu'on appelle oublies ces menues pâtisseries rondes & plates que les pâtissiers font avec de la farine & du miel ; & c'est aussi de-là que les pâtissiers sont appellés oblayers dans le livre noir du châtelet.

Du mot oblie l'on fit obliage & oubliage, pour exprimer la redevance des oublies ou pains dûs au seigneur ; & en effet, dans la coutume de Dunois, pains & oublies sont employés indifféremment & dans la même signification.

Ces oublies étoient plus ou moins grands & de divers prix, selon la convention ou l'usage de chaque lieu.

Ce terme d'obliage a aussi été employé pour exprimer toute sorte de redevance dûe au seigneur, comme oublies de vin, oublies de froment, oublies de chapons ; mais quand on disoit oublies simplement, ou oubliage sans autre explication, cela s'entendoit toûjours d'une redevance en pain.

Dans presque toutes les seigneuries, ces droits d'obliage ont été convertis en argent. Voyez le gloss. de Ducange, au mot oblata ; & celui de M. de Lauriere, au mot obliages. (A)


OBLIGATION(Droit nat.) On peut définir l'obligation considérée en général, une restriction de la liberté naturelle produite par la raison, dont les conseils sont autant de motifs qui déterminent l'homme à une certaine maniere d'agir préférablement à toute autre.

Telle est la nature de l'obligation primitive, qui peut être plus ou moins forte, selon que les raisons qui l'établissent ont plus ou moins de poids sur notre volonté ; car il est manifeste que plus les motifs seront puissans, & plus aussi la nécessité d'y conformer nos actions sera forte ou indispensable.

M. Barbeyrac établit pour principe de l'obligation proprement ainsi nommée, la volonté d'un être supérieur, duquel on se reconnoît dépendant. Il pense qu'il n'y a que cette volonté, ou les ordres d'un tel être, qui puissent mettre un frein à la liberté, & nous assujettir à regler nos actions d'une certaine maniere. Il ajoute que ni les rapports de proportion & de convenance que nous reconnoissons dans les choses mêmes, ni l'approbation que la raison nous donne, ne nous mettent point dans une nécessité indispensable de suivre leurs idées comme des regles de conduite. Que notre raison n'étant au fond autre chose que nous-mêmes, personne ne peut, à proprement parler, s'imposer à soi-même une obligation ; enfin, il conclut que les maximes de la raison, considérées en elles-mêmes, & indépendamment de la volonté d'un supérieur qui les autorise, n'ont rien d'obligatoire.

Il nous paroît cependant que cette maniere d'expliquer la nature de l'obligation, & d'en poser le fondement, ne remonte pas jusqu'à la source primitive. Il est vrai que la volonté d'un supérieur oblige ceux qui sont dans sa dépendance ; mais cette volonté ne peut produire cet effet, qu'autant qu'elle se trouve approuvée par notre raison, & qu'elle tend à notre bonheur. Sans cela on ne sauroit concevoir que l'homme se puisse soumettre volontairement aux ordres d'un supérieur, ni se déterminer de bon gré à l'obéissance. J'avoue que suivant le langage des jurisconsultes, l'idée d'un supérieur qui commande, intervient pour établir l'obligation, telle qu'on l'envisage ordinairement. Mais si l'on ne fonde l'autorité même de ce supérieur sur l'approbation que la raison lui donne, elle ne produira jamais qu'une contrainte extérieure, bien différente de l'obligation morale, qui par elle-même a la force de pénétrer la volonté & de la fléchir par un sentiment intérieur ; ensorte que l'homme est porté à obéir de son propre mouvement, de son bon gré, & sans aucune violence.

Il convient donc de distinguer deux sortes d'obligations : l'une interne & l'autre externe. J'entends par obligation interne, celle qui émane de notre propre raison considérée pour la regle primitive de notre conduite, & en conséquence de ce qu'une action a en elle-même de bon ou de mauvais. L'obligation externe sera celle qui vient de la volonté de quelque être, dont on se reconnoît dépendant, & qui commande ou défend certaines choses sous la menace de quelque peine : ces deux obligations ne sont point opposées entr'elles ; car comme l'obligation externe peut donner une nouvelle force à l'obligation interne, aussi toute la force de l'obligation externe dépend en dernier ressort de l'obligation interne ; & c'est de l'accord & du concours de ces deux obligations que résulte le plus haut degré de nécessité morale, le lien le plus fort ou le motif le plus propre à faire impression sur l'homme, pour le déterminer à suivre constamment certaines regles de conduite, & à ne s'en écarter jamais.

On pourroit donc regarder, avec Cumberland, l'obligation morale, comme un acte du législateur, par lequel il donne à connoître que les actions conformes à sa loi sont nécessaires pour ceux à qui il les prescrit. Une action est regardée comme nécessaire à un agent raisonnable, lorsqu'il est certain qu'elle fait partie des causes absolument nécessaires pour parvenir à la félicité qu'il recherche naturellement, & par conséquent nécessairement. Ainsi nous sommes obligés à rechercher toujours & en toute occasion le bien commun, parce que la nature même des choses nous montre que cette recherche est absolument nécessaire pour la perfection de notre bonheur, qui dépend naturellement de l'attachement à procurer le bien de tous les êtres raisonnables.

L'obligation d'avancer le bien commun, comme une fin nécessaire, étant une fois établie, il s'ensuit que l'obligation commune de tous les hommes à suivre les maximes de la raison sur les moyens nécessaires pour le bonheur de tous, est suffisamment connue. Or toutes les maximes sont renfermées dans la proportion générale sur la bienveillance de chaque être raisonnable envers tous les autres. D'où il paroît clairement qu'une guerre de tous contre tous, ou la volonté que chacun auroit de nuire à tout autre, tendant à la ruine de tous, ne sauroit être un moyen propre à les rendre heureux, ni s'accorder avec les moyens nécessaires pour cette fin ; & par conséquent ne peut être ni ordonné ni permis par la droite raison. (D.J.)

OBLIGATION, (Jurisprudence) signifie en général un lien de droit ou d'équité, & quelquefois de l'un & de l'autre, par lequel quelqu'un est tenu de faire ou de donner quelque chose.

Il y a des obligations purement naturelles, d'autres purement civiles, d'autres naturelles & civiles tout ensemble.

Les Romains distinguoient encore les obligations civiles des obligations prétoriennes.

Les diverses sortes d'obligations seront expliquées dans les subdivisions qui suivront cet article.

L'obligation procede de quatre causes ; savoir, d'un contrat, ou d'un quasi-contrat, d'un délit, ou quasi-délit. Voyez CONTRAT, DELIT, QUASI-CONTRAT, QUASI-DELIT.

Les obligations ou contrats se forment en quatre manieres ; re, verbis, litteris, & solo consensu. Voyez CONTRAT.

On dit en droit que l'obligation est la mere de l'action, parce qu'en effet toute action est produite par une obligation ; & quand il n'y a point d'obligation, il n'y a point d'action. Mais il y a des obligations qui ne produisent point d'action ; les obligations naturelles, les obligations sans cause, les obligations contre les bonnes moeurs. Voyez ACTION.

On entend quelquefois par obligation l'écrit qui contient l'engagement ; & quand ce terme est pris dans ce sens, on entend ordinairement par obligation un contrat passé devant notaire, portant promesse de payer une somme qui est exigible en tout tems, ou du moins au bout d'un certain tems. Voyez aux Institutes les titres de obligationibus quibus modis re contrahitur obligatio ; de verborum obligationibus ; de litterarum obligat. de obligat. quae in consensu ; de obligat. quae ex delicto nascuntur. (A)

OBLIGATION ACCESSOIRE, est celle qui est ajoutée à l'obligation principale pour procurer au créancier plus de sûreté ; telles sont les obligations des gages, & les hypothéques relativement à l'obligation personnelle qui est la principale ; telles sont aussi les obligations des cautions & fidéjusseurs, lesquelles ne sont qu'accessoires relativement à l'obligation du principal obligé. Les obligations accessoires cessent lorsque l'obligation principale est acquittée. Voyez l'art. 132. des Placités du parlement de Rouen, voyez OBLIGATION PRINCIPALE.

OBLIGATION AUTHENTIQUE, est celle qui est contractée devant un officier public, ou qui résulte d'un jugement.

OBLIGATION EN BREVET, est celle qui est passée devant notaire sans qu'il en reste de minute chez le notaire, mais dont l'original est remis au créancier. Voyez BREVET.

OBLIGATION CAUSEE, est celle dont la cause est exprimée dans l'acte, comme cela doit être pour la validité de l'obligation, mais toute obligation sans cause est nulle.

OBLIGATION CIVILE, est celle qui descend de la loi, mais qui peut être détruite par quelque exception péremptoire, au moyen de laquelle cette obligation devient sans effet ; telle est l'obligation que l'on a extorquée de quelqu'un par dol ou par violence. Pour former une obligation valable, il faut que l'obligation naturelle concoure avec la civile, auquel cas elle devient mixte. Voyez OBLIGATION MIXTE & OBLIGATION NATURELLE.

OBLIGATION CONDITIONNELLE, est un engagement qui n'est contracté que sous condition : par exemple, si navis ex Asiâ venerit ; elle est opposée à l'obligation pure & simple.

OBLIGATION CONFUSE, est celle qui est éteinte en la personne du créancier par le concours de quelque qualité ou obligation passive qui anéantit l'action ; telle est l'obligation que le défunt avoit droit d'exercer contre son héritier, laquelle se trouve confuse en la personne de celui-ci par le concours des qualités de créancier & de débiteur qui se trouvent réunies en sa personne.

OBLIGATION ad dandum, est un contrat par lequel on s'engage à donner quelque chose ; ce qui peut tenir de deux sortes de contrats spécifiés au droit romain, do ut des, facio ut des. Voyez les Institutes, liv. XII. tit. 14. (A)

OBLIGATION ECRITE ou PAR ECRIT, est celle qui est rédigée par écrit, soit sous seing privé, ou devant notaire, ou qui résulte d'un jugement, à la différence de celles qui sont verbales, ou qui résultent d'un délit ou quasi-délit.

OBLIGATION ETEINTE, est celle qui ne subsiste plus, soit qu'elle ait été acquittée par un payement, ou par quelque compensation, soit qu'elle soit présumée acquittée par le moyen de la prescription, ou qu'elle soit anéantie par l'effet de quelque fin de non-recevoir.

OBLIGATION ad faciendum, est celle qui consiste à faire quelque chose, comme de bâtir ou réparer une maison, de fournir des pieces, &c. c'est le cas des contrats innommés do ut facias, facio ut des. Instit. lib. II. tit. 14.

OBLIGATION EN FORME, ou EN FORME PROBANTE ET EXECUTOIRE, est celle qui est mise en grosse, intitulée du nom du juge & scellée ; au moyen de quoi elle emporte exécution parée. Voy. FORME EXECUTOIRE.

OBLIGATION GENERALE, est celle par laquelle celui qui s'engage oblige tous ses biens meubles & immeubles présens & à venir, à la différence de l'obligation spéciale, par laquelle il n'oblige que certains biens seulement qui sont spécifiés, à moins qu'il ne soit dit que l'obligation spéciale ne dérogera point à la générale, ni la générale à la spéciale, comme on le stipule presque toujours.

OBLIGATION A LA GROSSE, ou CONTRAT A LA GROSSE, on sous-entend avanture. Voyez GROSSE AVENTURE.

OBLIGATION A JOUR, on appelle ainsi en Bresse les obligations payables dans un certain tems : comme les contrats de constitution ne sont point usités dans cette province, il est permis d'y stipuler l'intérêt des obligations à jour, quoique le principal n'en soit pas aliéné. (A)

OBLIGATION MIXTE, est celle qui est partie personnelle & partie réelle ; comme de l'obligation du preneur à rente & de ses héritiers, & même celle du tiers détenteur pour les arrérages échus de son tems.

OBLIGATION NATURELLE, est celle qui n'engage que par les liens du droit naturel & de l'équité, mais qui ne produit pas d'action suivant le droit civil ; telle est l'obligation du fils de famille, lequel ne laisse pas d'être obligé naturellement, quoiqu'on ne puisse le contraindre. Cette obligation naturelle ne produit point d'action, mais on peut l'opposer pour faire une compensation.

OBLIGATION DEVANT NOTAIRE, est celle qui est contractée en présence d'un notaire, & par lui rédigée. Voyez CONTRAT DEVANT NOTAIRE.

OBLIGATION PERSONNELLE, est celle qui engage principalement la personne, & où l'obligation des biens n'est qu'accessoire à l'obligation personnelle.

OBLIGATION PRETORIENNE, étoit chez les Romains celle qui n'étoit fondée que sur le droit prétorien ; comme le constitut & quelques autres semblables. Voyez CONSTITUT.

OBLIGATION PREPOSTERE, est un acte par lequel on commence par promettre quelque chose, ensuite on y met une condition.

Ces sortes d'obligations étoient nulles par l'ancien droit romain.

L'empereur Léon les admit en matiere de dot.

Justinien les autorisa dans les testamens & dans toutes sortes de contrats ; de maniere néanmoins que la chose ne pouvoit être demandée qu'après l'événement de la condition, à quoi notre usage est conforme. Voyez la loi 25. au cod. de testamentis.

OBLIGATION PRINCIPALE, est celle du principal obligé à la différence de celle de ses cautions & fidejusseurs, qui ne sont que des obligations accessoires & pour plus de sûreté.

On entend aussi quelquefois par obligation principale, celle qui fait le principal objet de l'acte ; comme quand on dit que dans le bail-à-rente l'obligation des biens est la principale, & que celle de la personne n'est qu'accessoire. (A)

OBLIGATION PURE & SIMPLE, est celle qui n'est restrainte par aucune condition, ni terme ; à la différence de l'obligation conditionnelle, dont on ne peut demander l'exécution que quand la condition est arrivée. Voyez OBLIGATION CONDITIONNELLE.

OBLIGATION REELLE, est celle qui a pour objet principal un immeuble ; comme dans un bail-à-rente, où l'héritage est la principale chose qu'on oblige à la rente.

OBLIGATION SANS CAUSE, est un contrat où l'obligé n'exprime aucun motif de son engagement : une telle obligation est nulle, parce qu'on ne présume point que quelqu'un s'engage volontairement sans quelque raison ; & pour qu'on puisse juger de sa validité, il faut l'exprimer. Voyez OBLIGATION CAUSEE.

OBLIGATION SOLIDAIRE, est celle de plusieurs personnes qui s'obligent chacun, soit conjointement ou séparément, d'acquiter la totalité d'une dette. Voyez SOLIDITE.

OBLIGATION SOLUE, est celle qui a été acquittée. On dit quelquefois solue & acquittée ; ce qui semble un pléonasme, à moins qu'on n'entende par solue, que l'obligation est dissoute.

OBLIGATION SPECIALE, est celle qui ne porte que sur certains biens seulement. Voyez ci-devant OBLIGATION GENERALE.

OBLIGATION TERME, est celle dont l'acquittement est fixé à un certain tems. Voyez TERME.

OBLIGATION VERBALE, est une promesse ou contrat que l'on fait de vive-voix & sans écrit ; la preuve par témoins de ces sortes d'obligations n'est point admise pour somme au-dessus de 100 livres, si ce n'est dans les cas exceptés par l'ordonnance. Voy. PREUVE PAR TEMOINS. (A)


OBLIGATOIREadj. (Jurisprud.) se dit de ce qui oblige la personne ou les biens, & quelquefois l'un & l'autre. On dit des lettres obligatoires, c'est-à-dire, un contrat portant obligation. Il y a des actes qui ne sont obligatoires que d'un côté ; comme une promesse ou billet, lequel n'oblige que celui qui le souscrit. Il y a au contraire des actes ou contrats synallagmatiques, c'est-à-dire, qui sont obligatoires des deux côtés ; comme un bail, un contrat de vente, &c. Voyez BAIL, CONTRAT, OBLIGATION, SYNALLAGMATIQUE. (A)


OBLIGÉadj. pris subst. (Jurisprud.) est celui qui a contracté quelque obligation ou autre engagement, soit par écrit, soit verbalement ou autrement. Voyez CONTRAT, ENGAGEMENT, OBLIGATION. (A)

OBLIGE, s. m. (Comm.) acte par lequel un jeune homme se met en apprentissage chez un maître pour le nombre d'années portées par les réglemens de chacun des corps & communautés des marchands ou des arts & métiers. Ces actes doivent être passés par-devant deux notaires, & enregistrés par les jurés sur le registre du corps & communauté.

L'obligé porte un engagement réciproque des apprentifs envers leurs maîtres, & des maîtres envers leurs apprentifs ; aux uns, de servir fidelement & assiduement tout le tems de leur apprentissage ; aux autres, de leur montrer leur profession ou métier, les garder chez eux & les nourrir tant qu'ils sont apprentifs. Voy. APPRENTIF.

Un maître peut engager un apprentif à plus d'années qu'il n'est ordonné par les statuts, mais jamais à moins. Diction. de comm.

OBLIGE, adj. en Musique, on appelle partie obligée celle qu'on ne sauroit retrancher sans gâter l'harmonie ou le chant, à la différence des parties de remplissage qui ne sont ajoutées que pour une plus grande perfection d'harmonie, mais par le retranchement desquelles la piece n'est point mutilée.

Brossard dit qu'obligé se prend aussi pour contraint ou assujetti. Je ne sache pas que ce mot ait aujourd'hui un pareil sens en Musique. Voy. CONTRAINT. (S)


OBLIGERv. a. (Gramm.) ce verbe a plusieurs acceptions diverses. Obliger, c'est contraindre ou lier. Voyez les articles OBLIGATIONS. Révolter un poltron, c'est l'obliger à se défendre ; obliger quelqu'un ou lui rendre un service, c'est la même chose. Voyez les articles suivans.

OBLIGER UN APPRENTIF, (Comm.) c'est l'engager chez un maître de quelque corps ou communauté, pour y apprendre pendant un certain nombre d'années réglées par les statuts la profession ou métier du maître chez qui il entre.

On dit aussi qu'un maître ne peut obliger qu'un ou deux apprentifs à-la-fois, pour dire qu'il ne peut avoir que ce nombre d'apprentifs, suivant les réglemens. Dictionn. de comm. Voyez l'article OBLIGE.

OBLIGER, s'obliger pour quelqu'un, c'est lui servir de caution, s'engager à payer pour lui, répondre des pertes & dommages qui peuvent arriver par sa faute. Voyez CAUTION & CAUTIONNEMENT.


OBLIQUANGLEadj. (Géom.) triangle obliquangle est celui dont tous les angles sont obliques, c'est-à-dire ou aigus ou obtus. Voyez TRIANGLE. De même un parallelogramme obliquangle est un parallelogramme, dont aucun angle n'est droit. Voy. PARALLELOGRAMME, RHOMBE, LOZANGE, RHOMBOÏDE. (O)


OBLIQUATIONS. f. terme en usage dans les anciens auteurs de Catoptrique. Cathete d'obliquation, cathetus obliquationis, est une ligne droite perpendiculaire au miroir, dans le point d'incidence ou de réflexion du rayon. Voyez CATHETE, MIROIR, &c. (O)


OBLIQUEadj. (Gramm.) ce mot en Grammaire est opposé à direct ; on s'en sert pour caractériser certains cas dans les langues transpositives, & dans toutes pour distinguer certains modes & certaines propositions.

1. Il y a six cas en latin : le premier est le nominatif, qui sert à désigner le sujet de la proposition dont le nom ou le pronom fait partie ; & comme la principale cause de l'institution des noms a été de présenter à l'esprit les différens sujets dont nous appercevons les attributs par nos pensées, ce cas est celui de tous qui concourt le plus directement à remplir les vûes de la premiere institution : de-là le nom qu'on lui a donné de cas direct, rectus. Les autres cas servent à présenter les êtres déterminés par les noms ou les pronoms sous des aspects différens ; ils vont moins directement au but de l'institution, & c'est pour cela qu'on les a nommés obliques, obliqui. Voyez CAS.

Priscien & les autres Grammairiens ont imaginé d'autres causes de cette dénomination, mais elles sont si vagues, si peu raisonnables, & si peu fondées, qu'on ne peut s'empêcher d'être surpris du ton serieux avec lequel on les expose, ni gueres moins de celui avec lequel Scaliger (de caus. l. l. lib. IV. cap. lxxx.) en fait la réfutation.

2. On distingue dans les verbes deux especes générales de modes, les uns personnels, & les autres impersonnels. Les premiers sont ceux qui servent à énoncer des propositions, & le verbe y reçoit des terminaisons par lesquelles il s'accorde en personne avec le sujet ; les autres ne servent qu'à exprimer des idées partielles de la proposition, & non la proposition même ; c'est pourquoi ils n'ont aucune terminaison relative aux personnes.

C'est entre les modes personnels que les uns sont directs, & les autres obliques. Les modes directs sont ceux dans lesquels le verbe sert à énoncer une proposition principale, c'est-à-dire l'expression immédiate de la pensée que l'on veut manifester : tels sont l'indicatif, l'impératif & le suppositif, voyez ces mots. Les modes obliques sont ceux qui ne peuvent servir qu'à énoncer une proposition incidente subordonnée à un antécédent, qui n'est qu'une partie de la proposition principale. Voyez MODE & INCIDENTE. Tels sont le subjonctif qui est presque dans toutes les langues, & l'optatif qui n'appartient guere qu'aux Grecs. Voyez OPTATIF, SUBJONCTIF.

Le verbe a été introduit dans le systême de la parole pour énoncer l'existence intellectuelle des sujets sous leurs attributs, ce qui se fait par des propositions. Quand le verbe est donc à un mode où il sert primitivement à cette destination, il va directement au but de son institution, le mode est direct ; mais si le mode est exclusivement destiné à exprimer une énonciation subordonnée & partielle de la proposition primitive & principale, le verbe y va d'une maniere moins directe à la fin pour laquelle il est institué, le mode est oblique.

3. On distingue pareillement des propositions directes & des propositions obliques.

Une proposition directe est celle par laquelle on énonce directement l'existence intellectuelle d'un sujet sous un attribut : Dieu est éternel ; soyez sage ; il faut que la volonté de Dieu soit faite ; nous serions ineptes à tout sans le concours de Dieu, &c. Le verbe d'une proposition directe est à l'un des trois modes directs, l'indicatif, l'impératif ou le suppositif.

Une proposition oblique est celle par laquelle on énonce l'existence d'un sujet sous un attribut, de maniere à présenter cette énonciation comme subordonnée à une autre dont elle dépend, & à l'intégrité de laquelle elle est nécessaire, il faut que la volonté de Dieu soit faite ; quoi que vous fassiez, faites-le au nom du Seigneur, &c. Le verbe d'une proposition oblique est au subjonctif ou en grec à l'optatif : il n'est pas vrai, même en latin, que le verbe à l'infinitif constitue une proposition oblique, puisque n'étant & ne pouvant être appliqué à aucun sujet, il ne peut jamais énoncer par soi-même une proposition qui ne peut exister sans sujet. Voyez INFINITIF.

Toute proposition oblique est nécessairement incidente, puisqu'elle est nécessaire à l'intégrité d'une autre proposition dont elle dépend : il faut que la volonté de Dieu soit faite, la proposition oblique, que la volonté de Dieu soit faite, est une incidente qui tombe sur le sujet il dont elle restraint l'étendue ; il (cette chose) que la volonté de Dieu soit faite, est nécessaire ; quoi que vous fassiez, faites-le au nom du Seigneur, la proposition oblique, que vous fassiez, est une incidente qui tombe sur le complément objectif le du verbe faites, & elle en restraint l'étendue, c'est pour dire, faites au nom du Seigneur le quoi que vous fassiez.

Mais toute proposition incidente n'est pas oblique, parce que le mode de toute incidente n'est pas lui-même oblique, ce qui est nécessaire à l'obliquité, si on peut le dire, de la proposition. Ainsi quand on dit : Les savans qui sont plus instruits que le commun des hommes, devroient aussi les surpasser en sagesse ; la proposition incidente, qui sont plus instruits que le commun des hommes, n'est point oblique, mais directe, parce que le verbe sont est à l'indicatif, qui est un mode direct.

La proposition opposée à l'incidente, c'est la principale ; la proposition opposée à l'oblique, c'est la directe : l'incidente peut être ou n'être pas nécessaire à l'intégrité de la principale, selon qu'elle est explicative ou déterminative, voy. INCIDENTE ; mais l'oblique l'est à l'intégrité de la principale d'une nécessité indiquée par le mode du verbe ; la principale peut être ou directe ou oblique, & la directe peut être ou incidente ou principale, selon l'occurrence. Voy. PRINCIPALE. (B. E. R. M.)

OBLIQUE se dit en Géométrie de ce qui s'écarte de la situation droite ou perpendiculaire. Voyez DROIT & PERPENDICULAIRE.

Angle oblique est un angle qui est ou aigu ou obtus, c'est-à-dire toute sorte d'angle, excepté l'angle droit. Voyez ANGLE.

Ligne oblique est une ligne qui tombant sur une autre, fait avec elle un angle oblique. Voyez LIGNE.

Une ligne qui tombe sur une autre obliquement, fait d'un côté un angle aigu, de l'autre un angle obtus ; & la somme de ces angles est égale à deux droits.

Plans obliques se dit dans la Gnomonique des plans qui s'écartent du zénith, & qui s'inclinent vers l'horison. Voyez CADRAN & PLAN.

L'obliquité d'un tel plan ou la quantité de son écartement du zénith se mesure aisément par un quart de cercle, puisqu'elle n'est autre chose que l'arc de quelque azimuth ou cercle vertical, intercepté entre le zénith & le plan proposé. Cet azimuth ou cercle vertical est toujours perpendiculaire au plan dont on veut mesurer l'obliquité.

Percussion oblique est celle dans laquelle la direction du corps choquant n'est point perpendiculaire au corps choqué, ou n'est point dans la ligne du centre de gravité de ce dernier corps. Voyez PERCUSSION.

Projection oblique en Méchanique est celle par laquelle un corps est jetté suivant une ligne qui fait avec l'horison un angle oblique. Voyez PROJECTILE, BALISTIQUE, JET DES BOMBES, &c.

Sphere oblique en Géographie est cette situation de la sphere, dans laquelle l'horison coupe l'équateur obliquement, & dans laquelle l'un des poles est élevé au-dessus de l'horison d'un angle moindre que 90 degrés, mais qui n'est pas zéro ou nul. Voyez SPHERE & DROIT.

C'est cette obliquité qui occasionne l'inégalité des jours & des nuits. Voyez NUIT & JOUR.

Ceux qui ont la sphere oblique, comme nous & tous les habitans des zones tempérées, n'ont jamais les jours égaux aux nuits que dans les équinoxes. Voyez EQUINOXE.

Ascension oblique en Astronomie est l'arc de l'équateur, compris entre le premier point d'aries & le point de l'équateur qui se leve avec une étoile, &c. dans la sphere oblique. Voyez ASCENSION.

Descension oblique est l'arc de l'équateur, compris entre le premier point d'aries & le point de l'équateur qui se couche avec une étoile &c. dans la sphere oblique ; cet arc se compte de l'occident vers l'orient. Voyez DESCENSION.

Pour trouver, par le moyen du globe, l'ascension & la descension oblique, voyez GLOBE.

Navigation oblique se dit de la route que fait un vaisseau lorsque courant sous quelque rhumb intermédiaire entre les quatre points cardinaux, il fait un angle oblique avec le méridien, & change à chaque instant de latitude & de longitude. Voyez RHUMB, NAVIGATION & LOXODROMIE.

La navigation oblique est de trois sortes ; savoir la navigation plane, la navigation de Mercator, & la navigation par un grand cercle. Voyez NAVIGATION.

OBLIQUE, en Anatomie, nom de différentes parties dont la situation est oblique, par rapport aux différens plans du corps. Voyez CORPS. C'est dans ce sens, qu'on dit les apophyses obliques des vertebres, voyez OBLIQUES. Les muscles obliques ou simplement les obliques supérieurs & inférieurs de la tête, le grand & petit oblique de l'oeil, les grands & petits obliques du bas-ventre, &c. Voyez VERTEBRE, MUSCLE, VENTRE, &c.

L'oblique inférieur de la tête part de l'apophyse épineuse de la seconde vertebre du cou, & va en se grossissant s'insérer obliquement à l'apophyse transverse de la premiere. Quelques auteurs le rangent au nombre des muscles du cou. Voyez COU.

L'oblique supérieur ou le petit oblique de la tête part de l'apophyse transverse de la premiere vertebre du cou, & va en montant obliquement s'insérer latéralement à la partie inférieure de l'occipital, au-dessous de la tubérosité.

L'oblique supérieur ou le grand oblique de l'oeil. Voyez OEIL.

Il a son origine dans le fond de l'orbite ; & venant gagner le grand angle de l'oeil, il passe à travers une membrane en partie cartilagineuse située à la partie latérale externe de l'apophyse angulaire interne, & qu'on appelle trochlée ou poulie, ce qui le fait appeller lui-même trochléateur ; de-là il se réfléchit dans son extrêmité vers la sclérotique, sur la partie postérieure du globe de l'oeil où il se termine.

L'oblique inférieur ou le petit oblique de l'oeil, sort du bord extérieur de la partie inférieure de l'orbite, près de l'angle interne ; & de-là s'élevant vers l'angle externe, il se termine auprès de l'autre.

Oblique descendant, paire de muscles de l'abdomen, fort larges, & dont chacun couvre une moitié de l'abdomen & une partie du thorax. On le nomme de la sorte par rapport à l'obliquité de ses fibres. Il vient des deux ou trois dernieres vraies côtes & des cinq fausses ; & il est entrelacé par sa partie supérieure avec le grand pectoral, le grand dentelé, au moyen de cinq à six digitations, dont chacune reçoit un nerf des interstices de la côte. Il s'attache inférieurement au bord de la levre externe ou de l'os des isles ; de-là plusieurs de ses fibres tendineuses étant parvenues à l'épine antérieure supérieure, le réfléchissent en formant un replis intérieurement, auquel on a donné le nom de ligament de Fallope ou de Poupart ; elles s'inserent à l'os pubis, & forment le pilier postérieur, tandis que les fibres tendineuses qui se remarquent au-dessus de celle-ci, vont s'attacher à l'os pubis du côté opposé, & former le pilier antérieur. C'est l'écartement qui se remarque entre ces fibres, qu'on appelle l'anneau. Les plans tendineux des digitations supérieures vont se croiser avec celles du côté opposé. Voyez nos Planches anatomiques & leur explication.

L'oblique ascendant est au-dessous de la partie inférieure de l'autre ; il va précisément en sens contraire, c'est-à-dire, de la partie inférieure & postérieure à la partie supérieure & antérieure. Il prend son origine à la crête de l'os des isles, aux apophyses transverses des vertebres des lombes, & se termine au bord cartilagineux formé par la derniere des vraies côtes & par toutes les fausses, & antérieurement à la ligne blanche en formant une espece de gaîne dans laquelle une grande partie du muscle droit est placée. Voyez nos Pl.

L'oblique de l'oreille est attaché dans la partie extérieure du canal de l'aqueduc ; d'où montant par derriere, il entre dans le tambour par une sinuosité oblique qui se trouve immédiatement audessous du cercle osseux, auquel le timpan est attaché, & il s'insere ensuite dans la petite apophyse du marteau.

L'oblique du nez ou latéral est étroitement uni avec le pyramidal ; il vient de l'apophyse nasale de l'os maxillaire, & se termine en cartilage mobile près l'os maxillaire.

Oblique ascendant du nez. Voyez MYRTI-FORME.

OBLIQUE, (Ecrivains) se dit aussi, dans l'Ecriture, des lignes de pente gauche & droite, sur lesquelles se trouve placée la plus grande partie des traits de l'écriture.

OBLIQUE, OBLIQUITE. (Morale) Il se dit de toutes les actions qui s'écartent de la vérité, de la justice, de la décence, en un mot de tout ce qui est considéré comme regle de droiture parmi les hommes. Mais outre l'idée d'injustice & d'écart, il s'en trouve encore une autre à l'obliquité, c'est la feinte, la tromperie, la trahison secrette.


OBLIQUITÉS. f. (Géom.) c'est la quantité dont une ligne ou surface est oblique à une autre ligne, une autre surface, &c. Voyez OBLIQUE.

L'obliquité de l'axe terrestre sur l'écliptique est la cause de la différence des saisons, des nuits & des jours. Voyez PARALLELISME.

Obliquité de l'écliptique est l'angle que l'écliptique fait avec l'équateur. Voyez ECLIPTIQUE.

Il est certain, 1°. que cet angle n'est pas toujours le même, & qu'il est sujet à une inégalité provenante de la nutation de l'axe de la terre, & qui est d'environ 18''en 19 ans, voyez NUTATION. 2°. Il est même impossible qu'indépendamment de cette inégalité, l'angle de l'écliptique avec l'équateur ne diminue continuellement ; c'est aujourd'hui le sentiment de plusieurs astronomes, quoiqu'il ne soit peut-être pas encore suffisamment prouvé. Ce qu'il y a de certain, c'est que presque toutes les observations depuis Pythéas, donnent cette obliquité décroissante ; ceux qui adoptent cette opinion, donnent à l'obliquité de l'écliptique une diminution d'environ 30''par siecle. Voyez la Connoissance des tems pour l'année 1760. pag. 140. Voyez ECLIPTIQUE. (O)

OBLIQUITE, terme d'Ecrivains, se dit aussi dans l'Ecriture, des degrés obliques, droits & gauches sur lesquels sont fondées toutes les parties de l'écriture ; majeurs, mineurs, traits & passes. Voyez le volume des Planches, à la table de l'Ecriture.


OBLONGadj. se dit en Géométrie, d'une figure qui est plus longue que large. Voyez FIGURE. Ainsi un parallélogramme rectangle, dont les côtés sont inégaux, est un parallélogramme oblong. Voyez PARALLELOGRAMME : de même une ellipse, un ovale est aussi une figure oblongue. Voyez ELLIPSE & OVALE. (O)

OBLONG, (Géom.) sphéroïde oblong est la même chose que sphéroïde allongé, qui est plus usité. Voyez ALLONGE & APPLATI. Voyez aussi FIGURE DE LA TERRE.


OBMISSIONVoyez OMISSION.

OBMISSION ou OMISSION, en terme de Commerce, se dit des articles de recette & de dépense qu'on a oublié de porter dans un compte.

En fait de finances, lorsque l'omission de recette est frauduleuse & prouvée telle, le comptable est condamné à restituer le quadruple. Dictionnaire de Commerce. Voyez OMISSION.


OBNONCIATION(Hist. anc.) obnuntiatio. S'il arrivoit que les augures remarquassent au ciel quelque signe sinistre, ils faisoient dire, obnuntiabant, à celui qui tenoit les comices, alio die, à un autre jour. La loi Aelia & la loi Fusia avoient institué l'obnonciation ; mais elle fut abolie cent ans après par la loi Clodia, les augures abusant de la liberté qu'ils avoient de remettre les comices, pour conduire les affaires comme ils le jugeoient à propos.


OBOCA(Géog. anc.) en grec , riviere de l'Irlande, selon Ptolémée qui en met l'embouchure dans la partie orientale de l'île. Si le Modonus est, comme on le croit, la Liffe qui coule à Dublin, l'Oboca devroit être la Boyne, & non la riviere d'Arklow, comme le prétendent les interprêtes de ce géographe. (D.J.)


OBOLCOLA(Géog. anc.) ou OBULCOLA, ville des Turdetains, dans la Bétique, selon Ptolémée. liv. II. c. 4. Rodericus Carus dit que c'est il castelio de la Moncloua, château de l'Andalousie. (D.J.)


OBOLES. f. (Monnoie antique) monnoie ancienne d'Athènes, qui faisoit la sixieme partie d'une dragme. L'obole valoit 20 deniers ; trois oboles 60 ; & six oboles faisoient une dragme. La dragme attique pesoit 67 de nos grains ; la sixieme partie de 67 est 11 + 1/6. L'obole pesoit donc 11 de nos grains plus un 6e. de grain ; ensorte que si l'argent étoit à 32 livres le marc, la dragme attique seroit 1 sol 8 den. 5/6, c'est-à-dire, près d'un sol 9. den. Mais comme l'argent est actuellement à 52 liv. le marc, l'obole attique reviendroit à 2. s. & 6. deniers. Le docteur Brerewood estime la dragme d'Athènes environ 15 s. de notre monnoie, ce qui revient à notre même calcul.

Obole est tirée du mot grec qui s'étoit fait de , aiguille ; & cette monnoie avoit pris ce nom, parce qu'elle étoit marquée d'une espece d'aiguille : sa figure étoit ronde comme celle des dragmes & des didragmes. (D.J.)

OBOLE, (Monnoie moderne) monnoie de cuivre valant une maille ou deux pites, ou la moitié d'un denier. Nicod & Borel pensent que maille & obole ne sont qu'une même chose ; mais M. le Blanc estime que sous la seconde race, l'obole ne faisoit que la moitié du denier. On fabriqua des oboles sous Louis VIII. & sous les regnes suivans. Les historiens de France parlent d'oboles d'argent du poids d'un den. 15 grains, & d'oboles d'or qui eurent cours pendant le regne de Philippe-Auguste, de Saint-Louis & de Philippe-le-Bel. Sous ce dernier, l'obole d'or est estimée cinq sous ; le demi-gros tournois étoit appellé maille ou obole d'argent, à cause qu'il valoit la moitié du gros-tournois. Le tiers du gros se nommoit aussi maille ou obole tierce, parce qu'il valoit le tiers du gros-tournois. Il est fait mention des oboles tierces sous l'an 1310. (D.J.)

OBOLE, (Poids anciens) L'obole chez les Juifs étoit une espece de poids nommé gérach qui pesoit 16 grains d'orge ; mais chez les Siciliens l'obole étoit le poids d'une livre, & même une espece de monnoie.

OBOLE, (Poids médicinal) poids dont on se sert en Medecine pour peser les drogues. L'obole pese 10 grains ou un demi-scrupule. Il faut trois scrupules pour faire une dragme ou un gros, & huit dragmes pour faire une once. (D.J.)


OBOLÉE DE TERRE(Jurisprud.) est la quantité de terre que l'on tient sous la redevance d'une obole. Ainsi, comme l'obole étoit la moitié d'un denier, l'obolée de terre est la moitié d'une denrée de terre, c'est-à-dire de la quantité que l'on en tient pour un denier, eu égard au taux courant du cens. Voyez le gloss. de Ducange, au mot obolata. (A)


OBOLLAH(Géog.) ville de Perse dans l'Iraque babylonienne, sur un bras du Tigre, près de Bassora. Les Orientaux la vantent comme un des quatre endroits les plus délicieux de l'Asie, qu'ils appellent paradis, parce que l'on y voyoit une longue suite de jardins & de portiques qui se répondoient symmétriquement les uns aux autres. Long. 65. 50. latit. 30. 15.


OBOTRITESLES, (Géog. anc.) en latin Obotritae ou Obotriti, étoient entre les Varnaves, d'un côté, & de l'autre confinoient à la Trave, riviere qui coule à Lubec. C'étoit un peuple d'entre les Slaves qui avoit ses princes particuliers, ainsi que les Vagriens. On croit qu'ils ont bâti les anciens lieux ou forteresses de leurs pays, comme Mecklenbourg, Werle, Kissim, &c. (D.J.)


OBRANG(Botan. exot.) nom donné par les habitans de Guinée à une plante fort singuliere, dont nous n'avons point encore d'exacte description. Ses feuilles ont une fausse ressemblance avec celles de la réglisse ; d'où vient que Petivier nomme cet arbrisseau glycyrrhizae folio singulari, frutex guineensis, spinis gemellis. Philos. Trans. n°. 232. (D.J.)


OBREPTICEadj. (Jurisprud.) est un terme de palais & de chancellerie qui se dit des lettres dans l'exposé desquelles on a caché quelque fait essentiel, pour obtenir par surprise quelque grace, comme un bénéfice, ou l'admission d'une pension en cour de Rome, ou pour obtenir du prince une commission, des lettres de rescision, &c. Ces lettres sont appellées obreptices, à la différence de celles où l'on a avancé quelque fausseté pour les obtenir plus facilement. Quand la grace est obreptice, c'est-à-dire obtenue sur des lettres obreptices, elle est nulle. Voy. ci-après OBREPTION. (A)


OBREPTIONS. f. (Jurisprud.) est la surprise que l'on fait à quelque supérieur de qui on obtient quelque grace, en lui taisant une vérité dont la connoissance auroit été un obstacle à sa concession. Les lettres où il y a obreption sont appellées obreptices. L'obreption annulle de droit le titre ou la grace qui se trouve ainsi accordée : par exemple, celui qui en demandant un bénéfice n'exprime point ceux dont il est déja pourvu, est déchu, par cette réticence, du bénéfice qu'il a impétré.

Le défaut d'expression d'une chose nécessaire, quoique de bonne foi & sans en avoir connoissance, ne laisse pas d'être fatal & de rendre les provisions nulles, parce que l'on fait attention à la volonté & à l'intention du collateur, & non à la faute de l'impétrant. Voyez Panorme, sur le chapitre constitutus de rescriptis, & le traité de l'usage & pratique de cour de Rome, tome I. page 280. (A)


OBRIMAS(Géog. anc.) riviere d'Asie en Phrygie, qui tomboit dans le Méandre. Pline, liv. V. ch. xxjx. & Tite-Live, liv. XXXVIII. ch. xv. en font mention.


OBRINE(Hist. mod.) chevaliers de l'obrine, ordre militaire institué dans le xiij. siecle par Conrad, duc de Mazovie & de Cujavie, que quelques auteurs appellent aussi duc de Poland.

Il donna d'abord à cet ordre le nom de chevaliers de Jesus-Christ. Leur premier grand-maître fut Bruno. Leur principale destination étoit de défendre le pays des courses des Prussiens, qui étoient pour lors idolâtres, & y commettoient de grandes cruautés.

Le duc Conrad mit ces chevaliers en possession du fort de l'Obrine, d'où ils prirent leur nouveau nom ; & ils convinrent ensemble que toutes les terres qu'ils envahiroient sur les Prussiens seroient également partagées entr'eux.

Mais les Prussiens ayant bloqué le fort de maniere qu'aucun des chevaliers n'en pouvoit sortir, l'ordre dont il s'agit devint inutile, & fut aussi-tôt supprimé, & Conrad appella à son secours l'ordre Teutonique. Voyez TEUTONIQUE.


OBRINGA(Géogr. anc.) riviere ainsi nommée par Ptolémée, liv. II. chap. jx. qui la met dans la Gaule belgique, & la donne pour bornes entre la haute & la basse Germanie. Quoique le savant Adrien de Valois pense que l'Obringa de Ptolémée est la Moselle, il paroît cependant qu'il se trompe, & que c'est vraisemblablement l'Aar. (D.J.)


OBRIZUM AURUM(Hist. nat.) nom donné dans l'antiquité à un or qui avoit été purifié plusieurs fois par le feu. Pline dit, auri experimento ignis est, ut simili colore rubeat quo ignis ; atque ipsum obrizum vocant ; c'est-à-dire c'est le feu qui peut servir à éprouver l'or ; & quand en le faisant rougir il devient de la même couleur que le feu, on l'appelle obrizum. Voyez Pline, Hist. nat. lib. XXXIII. cap. xxiij.


OBRONS. m. terme de Serrurier, morceau de fer percé par le milieu, qui est attaché à l'obronniere du coffre, & dans lequel, par le moyen de la clé, on fait aller le pêne de la serrure quand on ferme le coffre. Il y a d'ordinaire trois ou quatre obrons attachés à l'obronniere du coffre fort.


OBRONNIERES. f. terme de Serrurier, bande de fer à charniere qui est attachée dedans au couvercle d'un coffre-fort.


OBSCENEadj. (Gramm.) il se dit de tout ce qui est contraire à la pudeur. Un discours obscene, une peinture obscene, un livre obscene. L'obscénité du discours marque la corruption du coeur. Il y a peu d'auteurs anciens entierement exempts d'obscénité. La présence d'une honnête femme chasse l'obscénité de la compagnie des hommes. L'obscénité dans la conversation est la ressource des ignorans, des sots & des libertins. Il y a des esprits mal faits qui entendent à tout de l'obscénité. On évite l'obscénité en se servant des expressions consacrées par l'art ou la science de la chose.


OBSCURadj. (Gramm.) privé de lumiere. Il se dit d'un lieu : cette chapelle, ce vestibule est obscur ; d'une couleur qui réfléchit peu de lumiere, ce brun est obscur ; d'un homme qui n'est distingué dans la société par aucune qualité, qu'il est obscur ; d'une vie retirée, qu'on vit obscurément ; d'un auteur difficile à entendre, qu'il est obscur. D'obscur on a fait obscurcir & obscurité.

OBSCUR, (Phys.) Chambre obscure. Voy. CHAMBRE & BOETE CATOPTRIQUE. Voy. aussi LANTERNE MAGIQUE & OEIL ARTIFICIEL.


OBSCURITÉS. f. (Logique & Belles-Lettres) c'est la dénomination d'une chose obscure. L'obscurité peut être ou dans la perception ou la diction.

L'obscurité dans la perception vient principalement de ce qu'on ne conçoit pas les choses comme elles sont ou comme on trouve qu'elles sont, mais comme on juge qu'elles doivent être avant de les avoir connues ; desorte que notre jugement précede alors notre connoissance, & devient la regle & pour ainsi dire l'étendart de nos conceptions : au lieu que la nature & la raison nous disent que les choses ne doivent être adjugées que comme elles sont connues, & que nous les connoissons non comme elles sont en elles-mêmes, mais telles qu'il a plu à Dieu de nous les faire connoitre. Voyez CONNOISSANCE.

L'obscurité dans la diction peut venir en premier lieu de l'ambiguité du sens des mots ; secondement, des figures ou ornemens de rhétorique, 3°. de la nouveauté ou de l'ancienneté surannée des mots.

OBSCURITE, achlys, . Ce mot signifie en général un air épais & rempli de brouillards : de-là un oeil noir & trouble, ou qui ne voit qu'avec peine : ce qu'Hippocrate regarde comme un mauvais symptôme dans les maladies aiguës, Praedic. lib. I. xlvj. & dans les prognostics de Cos 218. Il appelle encore les vents méridionaux, aphor. 5. l. III. à cause qu'ils offusquent la vûe, & comme Celse le remarque, qu'ils émoussent tous les sens, liv. II. ch. j. On appelle encore ceux qui ont la vue trouble de la fievre, coac. praenot. xxxv. Quelques-uns croient cependant qu'Hippocrate veut parler de ceux dont les humeurs sont extrêmement agitées, ou dont la couleur & le tempérament sont altérés & obscurcis par la maladie ; mais Galien donne ce nom à ceux qui pendant la maladie perdent cette vivacité & cet éclat qu'on observe autour de la prunelle lorsque le corps jouit d'une parfaite santé.

Ce terme signifie aussi une petite marque ou cicatrice devant la prunelle de l'oeil, laissée sur la cornée par une ulcération superficielle, suivant l'interprétation de Galien. Enfin, suivant le commun des Medecins, c'est une espece d'obscurité dans les yeux qu'on rapporte à l'amblyopie ou obscurcissement de la vûe.


OBSÉCRATIONS. f. (Belles - Lettres) figure de Rhétorique par laquelle l'orateur implore l'assistance de Dieu ou de quelqu'homme. Voy. FIGURE.

Ciceron fait un admirable usage de cette figure dans la harangue pour le roi Dejotarus, lorsqu'il dit à César : Per dexteram te istam oro, quam regi Dejotaro, hospes hospiti porrexisti ; istam inquam dexteram, non tam in bellis & in praeliis, quam in promissis & fide firmiorem. De même Virgile dit :

Quod te per coeli jucundum lumen & auras,

Per genitorem oro, per spem surgentis Iuli

Eripe me his, invicte, malis. Aeneïd. VI.


OBSÉDERvoyez OBSESSION.


OBSEQUESS. f. pl. (Usages) derniers devoirs ou services, obsequia, qu'on rend à un mort : on trouvera, sous le mot FUNERAILLES, la pratique de cette cérémonie chez plusieurs peuples du monde. " Je ne crois pas, dit Lucien, après en avoir fait la peinture, que les monumens, les colonnes, les pyramides, les inscriptions, & les oraisons funèbres à la mémoire des défunts, puissent leur servir là-bas d'attestations valables de vie & de moeurs ". La pompe des obseques regarde la coutume ou la consolation des vivans, & jamais le besoin des morts. Criton demandoit à Socrate comment il vouloit être enterré. Comme vous voudrez, répondit-il, ou comme vous pourrez, rien ne m'est plus indifférent. La religion chrétienne a eu raison de réprimer en plusieurs lieux la dépense des obseques ; car, comme le remarque l'auteur de l'Esprit des lois, qu'y a-t-il de plus naturel que d'ôter la différence des fortunes dans une chose & dans les momens qui égalisent toutes les fortunes. (D.J.)


OBSERVANCES(Hist. ecclésiast.) ce sont des statuts, des ordonnances ecclésiastiques ; Tertullien de Oratione cap. xij. donne une excellente regle sur la conduite qu'il convient de tenir au sujet des observances : il faut, dit-il, rejetter celles qui sont vaines en elles-mêmes, celles qui ne sont appuyées d'aucun précepte du Seigneur ou de ses apôtres, celles qui ne sont pas l'ouvrage de la religion, mais de la superstition, celles qui ne sont fondées sur aucune raison solide, enfin celles qui ont de la conformité avec les cérémonies payennes. (D.J.)

OBSERVANCE, (Hist. ecclésiast.) se dit en particulier d'une communauté de religieux qui sont obligés à l'observation perpétuelle de la même regle ; ce mot pris en ce sens signifie la même chose que congrégation ou ordre. Voyez ORDRE.

Les Cordeliers prennent le nom de religieux de l'observance, de la grande & de la petite observance. Voyez CORDELIERS.

Parmi les Bernardins, il y a des religieux de l'étroite observance, strictioris observantiae, lesquels font toujours maigre. Voy. BERNARDINS.


OBSERVANTINSS. m. pl. (Hist. eccles.) religieux cordeliers de l'observance : en Espagne il y a des Observantins déchaussés.


OBSERVATEURS. m. (Astronom.) on donne ce nom à un astronome qui observe avec soin les astres & les autres phénomenes célestes. Hipparque & Ptolémée ont été célèbres sous ce nom parmi les anciens. Alboetegnius qui leur a succédé l'an 882, & Ulugh-Beigh, petit-fils du grand Tamerlan l'an 1437, ont aussi mérité ce nom parmi les Sarrasins. En Allemagne les observateurs sont Jean Regiomontant en 1457, Jean Wermer, Bernard Walther en 1475, Nicolas Copernic en 1509, Tycho-Brahé en 1582, Guillaume landgrave de Hesse, & Jean Hévélius dans le siecle précédent. En Italie Galilée & Riccioli ; en Angleterre Horocce, Flamstéed & Bradley ; & en France Gassendi, les Cassini, de la Hire pere & fils, le chevalier de Louville, Maraldi, Delisle.

OBSERVATEUR, (Phys. & Astr.) se dit en général de tous ceux qui observent les phénomenes de la nature ; il se dit plus particulierement des astronomes ou observateurs du mouvement des astres, Voyez ASTRONOMIE & OBSERVATION. (O)

OBSERVATEUR, (Gram. Physiq. Méd.) celui qui observe. Voyez OBSERVATION. On a donné le nom d'observateur au physicien qui se contente d'examiner les phénomenes tels que la nature les lui présente ; il differe du physicien expérimental, qui combine lui-même, & qui ne voit que le résultat de ses propres combinaisons ; celui-ci ne voit jamais la nature telle qu'elle est en effet, il prétend par son travail la rendre plus sensible, ôter le masque qui la cache à nos yeux, il la défigure souvent & la rend méconnoissable ; la nature est toujours dévoilée & nue pour qui a des yeux, ou elle n'est couverte que d'une gase légere que l'oeil & la réflexion percent facilement, & le prétendu masque n'est que dans l'imagination, assez ordinairement bornée, du manouvrier d'expériences. Celui-là au-contraire, lorsqu'il a les lumieres & les talens nécessaires pour observer, suit pas-à-pas la nature, dévoile les plus secrets mysteres, tout le frappe, tout l'instruit, tous les résultats lui sont égaux parce qu'il n'en attend point, il découvre du même oeil l'ordre qui regne dans tout l'univers, & l'irrégularité qui s'y trouve ; la nature est pour lui un grand livre qu'il n'a qu'à ouvrir & à consulter ; mais pour lire dans cet immense livre, il faut du génie & de la pénétration, il faut beaucoup de lumieres ; pour faire des expériences il ne faut que de l'adresse : tous les grands physiciens ont été observateurs. Les académiciens qui allerent déterminer la figure de la terre n'y réussirent que par l'observation ; le fameux Newton a vû tomber une poire d'un arbre sur la terre ; il n'a jamais détourné la nature pour l'approfondir & l'interprêter, ç'a été un des plus grands génies. M. *** qui sait tourner si joliment une expérience, est un très-mauvais physicien ; il n'a, dit-on, de l'esprit qu'au bout des doigts. Je ne suis pas surpris, que la prodigieuse quantité d'expériences qu'il y a, aient si peu éclairci la Physique, & que cette physique qui n'est fondée que sur des expériences ait été si inutile à la vraie philosophie ; mais je suis surpris que les Physiciens négligent l'observation, qu'ils courent après l'expérience, & qu'ils préferent le titre si facile à acquérir de faiseurs d'expériences à la qualité si rare, si lumineuse, & si honorable d'observateurs. Voyez OBSERVATION.

Ce qu'il y a encore de plus étonnant, c'est que nos moralistes soient si peu observateurs, ils composent dans leur cabinet des traités de morale sans avoir jetté un coup-d'oeil sur les hommes ; remplis d'idées vagues, chimériques, ensevelis dans les préjugés les plus grossiers, les plus contraires à la vérité, ils se représentent les hommes tout autrement qu'ils sont & qu'ils doivent être, & dictent des regles, des arrêts qu'ils prétendent être émanés du sein de la divinité, dont l'exécution est très-souvent contraire à la raison, au bon sens, quelquefois impossible. Qu'il seroit à souhaiter qu'on observât, qu'on vît avec des yeux bien disposés & bien organisés les choses telles qu'elles sont ! peut-être se convaincroit-on qu'elles sont comme elles doivent être, & que vouloir les faire aller autrement est une prétention imaginaire & ridicule ; mais le talent d'observateur est plus difficile qu'on ne pense, & sur-tout celui qui a pour objet les moeurs & les actions des hommes. Voyez MORALE. Il est cependant dans ce cas absolument indispensable. Le meilleur traité de morale seroit une peinture de la vie humaine ; la Bruyere n'a fait un si bon ouvrage que parce qu'il a été dans le cas de voir & qu'il a bien observé. Un auteur qui n'auroit jamais vû le monde que par un trou & à travers un verre mal fait, sale, obscurci, peut-il raisonnablement se flatter de le connoître ? est-il en état de l'observer, de le peindre, & de le réformer ?

Le nom d'observateur est en Médecine un titre honorable qui est, ou plutôt qui doit être le partage du médecin, qui assidu auprès de son malade, s'instruit des causes qui l'ont réduit en cet état, observe attentivement la marche réguliere ou anomale de la maladie, les symptômes qui la caractérisent, les changemens qui arrivent dans son cours, ses différentes terminaisons, & qui ne perd de vûe son malade que lorsqu'il est assuré d'une parfaite guérison ; ou si la maladie a eu une issue facheuse, si le malade est mort, il pousse ses observations jusque sur le cadavre, il cherche les causes de la mort, les dérangemens, les altérations qui ont pu l'occasionner, & auxquels, si on les avoit mieux connus, on auroit peut-être pû remédier ; enfin il décrit exactement, avec sincérité & candeur tout ce qu'il a vû : tel est l'emploi de l'observateur en Médecine, qui se réduit à bien voir & à raconter de même ; mais pour remplir & exécuter comme il faut ces deux points, que de qualités paroissent nécessaires ! 1°. Pour bien voir, ou observer (je prends ici ces deux mots comme synonymes), il ne suffit pas d'une application quelconque des sens, il faut que les sens soient bien organisés, bien disposés nonseulement par la nature, mais par l'art & l'habitude, & que cette application se fasse sans passion, sans intérêt, sans préjugés, &c.

Ainsi il faut en premier lieu que l'observateur n'ait dans les organes des sens aucun vice de conformation qui en empêche l'usage libre & complet, que les yeux soient clairvoyans, le tact fin, l'odorat bon : &c. 2°. qu'ils soient propres à recevoir les impressions des phénomenes qui se présentent, quelque difficiles qu'ils soient à appercevoir, & à les transmettre inaltérés au principe du sentiment, de la réflexion & de la mémoire ; c'est l'art & l'habitude qui donnent cette faculté de sentir, cette finesse dans le sentiment, & cette justesse dans la perception. Il y a des symptômes assez enveloppés pour se dérober à la vûe d'un homme qui n'a que des sens, qui exigent des lumieres précédentes appropriées. Tous les phénomenes ne se présentent pas de la même façon que la dureté de la pierre frappe le manoeuvre le plus ignorant, que la couleur jaune du visage dans l'ictere que tout assistant voit, que la violence du pouls, que le dernier chirurgien & la moindre femmelette peuvent appercevoir ; mais la couleur jaune n'est pas frappante dans tous les ictériques, il faut que le médecin la cherche dans les yeux ou les urines ; il y a une infinité de modifications dans le pouls que bien des médecins même peu instruits ne savent pas distinguer. Il y a certaines connoissances préliminaires qui sont indispensables à tout médecin observateur ; quelque teinture d'Anatomie grossiere qui suffise pour connoître le siege des maladies, des blessures, & sur-tout pour les observations cadavériques, une bonne Physiologie qui ne soit qu'un détail des phénomenes que présente l'état de santé, leur méchanisme qui suppose toujours beaucoup d'incertitude est absolument inutile ; cette partie n'est nécessaire que pour mieux faire appercevoir, dans l'état de maladie, en quoi & comment une fonction est dérangée ; mais il doit sur-tout posséder la science des signes, être bien instruit de leur nature, de la maniere dont il faut s'y prendre pour les saisir comme il faut, de leur valeur & de leur signification : c'est par - là que le médecin éclairé differe & se met infiniment au-dessus de tous ceux qui n'ont aucune connoissance ou qui n'en ont que d'imparfaites & fautives ; du reste, pour acquérir encore plus de facilité à saisir les symptômes les plus obscurs, à se former une idée nette de ceux qui sont les plus embrouillés, il faut de l'habitude, il faut familiariser ses sens avec les malades, on les rend plus fins & plus justes ; l'on ne peut mieux prendre ce coup d'oeil observateur, cette expérience si nécessaire que dans les hôpitaux, où la maladie entée sur la misere, attire un grand concours de personnes. L'hôpital de la Charité de Paris est un de ces établissemens avantageux, où le malade indigent est sûr de trouver tous les secours réunis administrés gratuitement avec beaucoup de zèle, de soin, & de propreté, & où les jeunes médecins peuvent très-commodément, favorisés & attirés par les religieux complaisans, examiner les malades & observer les maladies aussi souvent & aussi longtems qu'ils le desirent ; éprouvant nous-mêmes tous les jours ces avantages, nous devons ce témoignage public à la reconnoissance & à la vérité.

Le médecin muni de ces connoissances suit exactement son malade, instruit par sa bouche ou par celle des assistans des causes qui ont donné lieu à sa maladie, de l'erreur qu'il peut avoir commise dans les six choses non-naturelles, il considere lui-même les maladies regnantes, s'il n'y a point quelque épidémie qui ait influé sur la maladie qu'il observe ; il examine après chaque symptôme l'état des différens visceres, manifesté par l'exercice des fonctions appropriées, il consulte le pouls, la langue, les urines, ne dédaigne point de porter sa curiosité jusques sur les excrémens les plus fétides ; il considere aussi attentivement tout l'extérieur du corps, les extrêmités des oreilles, le nez, les yeux, le visage ; il marque exactement le chaud ou le froid, les changemens dans la couleur & dans toutes les autres qualités, la sueur, la transpiration, l'humidité ou la sécheresse de la peau, &c. tous ces signes peuvent donner des lumieres pour le diagnostic, le prognostic, & la guérison des maladies. Voyez tous ces articles particuliers SEMEIOTIQUE.

S'il ordonne quelques remedes il doit en savoir distinguer l'effet d'avec les changemens dûs à la marche de la maladie ; le médecin qui sortant de chez le malade rempli du portrait qu'il s'en est fait, va le mettre sur le papier, peut sans doute en donner un journal fidele ; mais pour que le portrait soit ressemblant, il faut qu'il ait vû les objets tels qu'ils étoient, que l'imagination bouillante ne les ait pas grossis, que la préoccupation ne les ait pas défigurés, que l'attente vive d'un résultat ne l'ait pas fait appercevoir aulieu de la réalité, que la passion n'ait rien changé, que l'envie & l'espérance du succès n'ait pas diminué, ou la crainte augmenté la gravité des symptômes ; que de difficultés, que d'obstacles à vaincre, que d'écueils à éviter ! mais qu'il est rare qu'on y resiste & qu'on y échappe ! Les uns remplis d'idées théoriques, persuadés que l'acrimonie des humeurs est la cause de la maladie qu'ils veulent observer, s'imaginent sentir sous le doigt les petites pointes des humeurs âcres qui picotent l'artere, & substituent ainsi la façon dont ils conçoivent les objets à leur façon propre d'exister ; d'autres emportés par une imagination active, préoccupée, ne voient les choses que comme ils voudroient qu'elles fussent, & souvent tout autrement qu'elles ne sont en effet. Le médecin tant pis verra toujours noir dans les maladies ; le moindre symptôme paroîtra mortel à ses yeux, la crainte lui grossira les objets. Le médecin tant mieux ne fera attention qu'aux symptômes qui peuvent flatter l'espérance ; les signes fâcheux prendront chez lui une signification avantageuse, & la maladie sera toujours douce & favorable. Il y en a qui regardant plusieurs signes comme peu intéressans, négligeront de les consulter ; celui-ci ne tâtera pas le pouls ; celui-là ne regardera pas la langue : l'un trop délicat dédaignera d'aller jetter les yeux sur les excrémens, l'autre n'ajoutera pas foi à l'ouromantie ou n'aura pas la commodité d'examiner les urines, & quelques-uns trop pressés ne jetteront qu'un coup d'oeil en passant sans entrer dans le moindre détail ; il y en a d'autres qui confondront les signes les plus significatifs avec ceux qui ne disent rien, passeront rapidement sur les premiers, & s'étendront minutieusement sur ce dont on n'a que faire ; comme ce médecin allemand, qui regardant le mouvement comme un obstacle à la crise, qui, suivant lui, demande un repos absolu de tous les membres & une extrême tranquillité, avoit soin d'observer scrupuleusement toutes les fois que son malade remuoit les piés ou les mains ; & ainsi pour bien voir, c'est-à-dire tout ce qu'il faut comme il faut, & pas plus qu'il ne faut, il faut des lumieres, de la sagacité, du génie, il faut être instruit, assidu au lit des malades, pénétrant, desintéressé, dépouillé de toute idée théorique, de préjugé, & de passion.

2°. Pour bien raconter ce qu'on a vu ; à ces qualités, qui sont encore pour la plûpart nécessaires ici, il faut joindre beaucoup de candeur & de bonne foi ; le style doit être simple, le détail circonstancié sans être minutieux ; les faits exposés dans l'ordre qu'ils ont suivi, de la maniere dont ils se sont succédés, sans raisonnement, sans théorie. Les mauvais succès doivent être décrits avec la même sincérité que les heureux, même dans le cas où ils pourroient être attribués à l'inopportunité d'un remede ; ces cas sont les plus instructifs. Que la candeur de Sydenham est admirable, lorsqu'il dit, qu'enthousiasmé de l'efficacité du syrop de nerprun dans l'hydropisie, il voulut se servir de ce remede dans tous les cas qui se présentoient ; qu'il l'ordonna à une dame hydropique dont la maladie empiroit toujours ; que lassée d'un remede dont elle éprouvoit de si mauvais effets, elle le congédia, appella un autre médecin, qui suivant une route opposée, vint à-bout de la guérir en peu de tems. Ainsi que l'intérêt ou la passion ne guident jamais la plume du médecin observateur, qu'il les fasse plutôt céder à la vérité ; & sur-tout s'il n'a pas le courage de la publier, qu'il la laisse plutôt ensevelie dans un profond silence, comme ces médecins qui rougissent d'avouer qu'il leur est mort quelque malade entre les mains ; mais qu'ils se gardent bien de la défigurer, de transformer en succès glorieux les suites les plus funestes, à l'exemple de ces charlatans, qui n'ayant jamais la vérité pour eux, sont obligés de recourir au mensonge pour accréditer un remede souvent dangereux, & pour acquérir une réputation qui sera pernicieuse. A cet obstacle qui s'oppose à la fidélité des observateurs, on peut en ajouter un autre encore très-fréquent, c'est que la plûpart ne font des observations que pour confirmer quelque idée, quelqu'opinion, quelque découverte, & alors ou ils voyent mal & racontent de bonne foi, ou ce qui est le plus ordinaire, ils détournent l'observation en leur faveur, ils l'interpretent à leur fantaisie, & arrangent de façon qu'il paroît que le systême a plutôt servi à créer l'observation, que l'observation n'a été faite pour favoriser le systême. C'est pour cela qu'il nous parvient peu d'observations exactes, & que pendant plus de vingt siecles à peine pourroit-on compter huit ou dix médecins observateurs.

Hippocrate a été le premier & le meilleur de tous les médecins observateurs ; nous n'hésitons pas à le proposer pour modele à quiconque veut suivre une semblable route, c'est-à-dire, s'adonner à la partie de la médecine la plus sûre, la plus utile & la plus satisfaisante. Ses ouvrages annoncent à chaque ligne son génie observateur ; peu de raisonnement & beaucoup de faits, voilà ce qu'ils renferment. Ses livres d'épidémie sont un morceau très-précieux & unique en ce genre : il commence par donner une histoire fidele des saisons, des variations qu'il y a eu, des changemens dans l'air, des météores, &c. Il passe au détail des maladies différentes ou analogues qui ont regné : il vient enfin à la description de chaque maladie, telle que chaque malade en particulier l'a éprouvée ; c'est-là sur-tout qu'il est inimitable. Quand on lit ces histoires, on se croit transporté au lit des malades ; on croit voir les symptomes qu'il détaille ; il raconte simplement, sans y mêler rien d'étranger ; & ces narrations simples, fideles, qui, dénuées de tout ornement, paroissent devoir être séches, ennuyeuses, ont un attrait infini, captivent le lecteur, l'occupent & l'instruisent sans le lasser, sans lui inspirer le moindre dégoût. Il n'a point honte de terminer souvent ses observations par ces mots si injustement critiqués, , il est mort ; on voit là une candeur, une bonne foi qu'on ne sçauroit assez louer. Que je l'admire aussi lorsqu'il avoue ses erreurs, lorsqu'il dit, qu'ayant confondu la suture du crâne avec une fente, il fit trépaner mal-à-propos un homme ! A quel point de certitude auroit été portée la médecine, si tous les médecins l'avoient imité ? Que les médecins mériteroient bien ce qu'on dit assez mal-à-propos d'eux, qu'ils sont les hommes qui approchent le plus de la divinité, en conservant la vie & rétablissant la santé ! Que la médecine me paroît belle quand je la vois dans ses écrits ; mais que je reviens de cette bonne opinion quand je jette les yeux sur la maniere dont on la pratique aujourd'hui, sur les bassesses auxquelles on a recours, sur le charlatanisme qui devient dominant, sur les morts qui,.... Mais tirons le rideau sur un spectacle aussi révoltant. Hippocrate a principalement observé la maladie laissée à elle-même, & il nous a laissé tirer cette heureuse conséquence, donc la maladie se guérit souvent par les seuls efforts de la nature. Nous ne dissimulerons cependant pas que ce genre d'observations, quelqu'avantage qu'il ait apporté ensuite, a été quelquefois pernicieux aux malades sur qui il les faisoit. On peut aussi reprocher à Hippocrate qu'il a un peu trop négligé l'anatomie & les observations cadavériques. Galien, son illustre commentateur, a été aussi très-bon observateur ; mais il a trop donné dans la théorie, & ses observations s'en ressentent. Parmi les médecins qui ont marché sur ses traces, on peut compter les Aretée, les Baillou, les Duret, les Baglivi, les Sydenham. Riviere, Fernel, Sennert mériteroient aussi à quelques égards d'être mis dans cette classe. Sydenham a été appellé avec raison l'Hippocrate anglois ; il a comme ce divin législateur, vu exactement & décrit avec beaucoup de simplicité & de naïveté ; il a eu la candeur d'avouer que dans les épidémies, les premiers malades qui étoient confiés à ses soins, couroient un grand danger, qu'ils étoient immolés ou à la force de la maladie, ou à l'irrégularité de sa pratique. Il différe d'Hippocrate, en ce qu'il nous a sur-tout fait connoître ce que peut l'art d'accord avec la nature dans le traitement des maladies ; mais on peut lui passer d'avoir prétendu dans la pleurésie avoir en son pouvoir la matiere morbifique par la saignée, & de regarder le trou fait au bras par la lancette, comme très-propre à suppléer la trachée artere & à en faire la fonction, Sydenh. oper. sect. VI. cap. iv. On pourroit mettre au même rang quelques médecins estimables qui se sont appliqués à des observations particulieres, à constater la valeur de certains signes, à en déterminer la signification, à les classer, &c. De ce nombre sont Prosper Alpin ; Bellini pour les urines ; Solano, Nihell & Bordeu pour le pouls, &c.

On voit par-là combien le nombre des médecins observateurs est petit ; cependant la flatterie, l'abus, l'ignorance avoient avili ce titre honorable en le prodiguant indifféremment à l'ignorant empirique, au praticien routinier, au systêmatique préoccupé, au compilateur d'observations, au descripteur de maladie, &c. mais on n'est pas observateur pour avoir inséré deux ou trois observations dans quelques journaux, collections ou mémoires d'académie ; pour avoir rassemblé, abregé & défiguré des observations, & en avoir composé des suites de volumes sans choix & des gros in-folio. On n'est pas non plus observateur, parce qu'on a vu bien des malades ; il faut voir des maladies. On l'est encore moins quand on n'a vu ni l'un ni l'autre, quoiqu'on donne des descriptions fort méthodiques ; c'est ce qui est arrivé au fameux Boerhaave, qui a composé ses aphorismes dans un tems où quelques mauvais succès lui avoient ôté la confiance du public, & l'avoient relegué dans son cabinet : il lui est arrivé aussi de décrire les maladies, plutôt comme il imaginoit qu'elles devoient être, que comme elles étoient en effet. De-là cette division multipliée à l'infini, ces regles toujours générales, & jamais des particularités : de-là aussi cette grande méthode à classer les maladies, à y rapporter toutes les causes avec une extrême facilité, cet ordre si bien soutenu dans cet ouvrage, qui décele toujours le travail du cabinet, & qui est si différent de l'irrégularité qu'on observe au lit du malade, qui est si bien peinte dans les ouvrages d'Hippocrate & de Sydenham, & dont la description affiche & caracterise infailliblement le médecin observateur. (m)


OBSERVATIONSOBSERVATIONS

Les observations se font avec différens instrumens, dont les principaux sont le télescope, le quart de cercle, l'instrument des passages, le secteur, la machine parallactique, &c. Voyez ces mots, voyez aussi ASTRONOMIQUE & ASTRONOMIE.

Les observations faites de jour ont cet avantage que les fils du micrometre qui sont placés au foyer de l'objectif du télescope, s'apperçoivent sans aucun secours ; au lieu que dans celles qu'on fait la nuit, il faut les éclairer.

Pour y parvenir on se sert d'une lumiere dont on fait tomber obliquement les rayons sur l'objectif, afin que la fumée n'intercepte pas ceux de l'astre qu'on observe, & lorsqu'on en a la commodité, on fait une ouverture à la lunette auprès du foyer de l'objectif, & c'est alors vis-à-vis de cette ouverture qu'on place la lumiere afin d'éclairer les fils.

M. de la Hire, par un moyen fort simple, a beaucoup perfectionné la premiere de ces deux méthodes : il veut qu'on couvre le bout du tube vers l'objectif d'une piece de gase ou de crepe fin de soye blanche ; avec cette seule précaution, il suffit de placer le flambeau à une bonne distance du tube pour rendre visible les fils du micrometre.

Les observations du soleil demandent absolument qu'on place entre l'oeil & l'oculaire du télescope, un verre noirci par la fumée d'une chandelle ou d'une lampe, afin d'intercepter par ce moyen la plus grande partie des rayons du soleil qui troubleroient la vue & endommageroient l'oeil.

Les observations astronomiques se font ordinairement avec des lunettes à deux verres qui renversent les objets ; parce qu'il importe peu pour l'astronomie que les astres soient renversés, & qu'on gagne beaucoup à n'avoir que deux verres.

On peut observer les corps célestes dans toute l'étendue du ciel visible ; mais on distingue ordinairement les observations en deux sortes, celles qui sont faites à leur passage par le méridien, ou à leur passage dans les autres verticaux. Voyez MERIDIEN & VERTICAL.

Les observations des anciens étoient beaucoup moins exactes que les nôtres, faute d'instrumens suffisans & convenables. L'invention du télescope, l'application de la lunette au quart de cercle, & celle du micrometre à la lunette ; enfin la perfection de l'horlogerie pour la mesure du tems, ont rendu les observations astronomiques modernes d'une precision qui semble ne laisser plus rien à desirer. Voyez MICROMETRE, HORLOGE, PENDULE, &c. (O)

OBSERVATION, s. f. en termes de mer, signifie l'action de prendre la hauteur méridienne du soleil, d'une étoile, & principalement du soleil, afin de déterminer la latitude. Voyez HAUTEUR, MERIDIENNE & LATITUDE.

Trouver la latitude par l'observation de la hauteur méridienne, s'appelle chez les marins faire l'observation.

OBSERVATION, (Gram. Physiq. Méd.) c'est l'attention de l'ame tournée vers les objets qu'offre la nature. L'expérience est cette même attention dirigée aux phénomenes produits par l'art. Ainsi, l'on doit comprendre sous le nom générique d'observation l'examen de tous les effets naturels, non-seulement de ceux qui se présentent d'abord, & sans intermede à la vue ; mais encore de ceux qu'on ne pourroit découvrir sans la main de l'ouvrier, pourvu que cette main ne les ait point changés, altérés, défigurés. Le travail nécessaire pour parvenir jusqu'à une mine, n'empêche pas que l'examen qu'on fait de l'arrangement des métaux qu'on y trouve, de leur situation, de leur quantité, de leur couleur, &c. ne soit une simple observation ; c'est aussi par l'observation qu'on connoît la géographie intérieure, qu'on sait le nombre, la situation, la nature des couches de la terre, quoiqu'on soit obligé de recourir à des instrumens pour la creuser & pour se mettre en état de voir ; on ne doit point regarder comme expérience les ouvertures des cadavres, les dissections des plantes, des animaux, & certaines décompositions, ou divisions méchaniques des substances minérales qu'on est obligé de faire pour pouvoir observer les parties qui entrent dans leur composition. Les lunettes des Astronomes, la loupe du Naturaliste, le microscope du Physicien n'empêchent pas que les connoissances qu'on acquiert par ce moyen ne soient exactement le produit de l'observation : toutes ces préparations, ces instrumens ne servent qu'à rendre plus sensibles les différens objets d'observation, emporter les obstacles qui empêchoient de les appercevoir, ou à percer le voile qui les cachoit ; mais il n'en résulte aucun changement, pas la moindre altération dans la nature de l'objet observé ; il ne laisse pas de paroître tel qu'il est ; & c'est principalement en cela que l'observation differe de l'expérience qui décompose & combine, & donne par-là naissance à des phénomenes bien différens de ceux que la nature présente ; ainsi, par exemple, si lorsqu'on a ouvert une mine, le chimiste prend un morceau de métal, & le jette dans quelque liqueur qui puisse le dissoudre ; l'union artificielle de ces deux corps, effet indispensable de la dissolution, formera un nouveau composé, produira des nouveaux phénomenes, & sera proprement une expérience, par laquelle aux résultats naturels on en aura substitué d'arbitraires ; si le physiologiste mêle avec du sang nouvellement tiré d'un animal vivant quelque liqueur, il fera alors une expérience ; & la connoissance qu'on pourra tirer de-là sur la nature du sang, & sur les altérations qu'il reçoit de cette liqueur, ne sera plus le fruit d'une simple observation ; nous remarquerons en passant que les connoissances acquises par ce moyen sont bien médiocres & bien imparfaites, pour ne pas dire absolument nulles, & que les conséquences qu'on a voulu en tirer sur l'action des remedes sont très-fautives, & pour l'ordinaire démenties par l'observation ; &, en général, on tire peu d'utilité de l'expérience dans l'examen des animaux & des végétaux, même des expériences chimiques, qui, de toutes les expériences, sont, sans contredit, les plus sûres & les plus lumineuses, & la partie de la Chimie qui traite des corps organisés est bien peu riche en faits duement constatés, & bien éloignée de la perfection où l'on a porté la Minéralogie ; & l'on ne pourra vraisemblablement parvenir à ce point dans cette partie, que par la découverte des lois du méchanisme de l'organisation, & de ce en quoi elle consiste ; découverte précieuse & féconde, qu'on ne doit attendre que de l'observation. L'expérience sur les corps bruts inanimés est beaucoup plus utile & plus satisfaisante : cette partie de la chimie a été poussée très-loin ; le chimiste est parvenu à décomposer & à récomposer ces corps, soit par la réunion des principes séparés, soit avec des principes tirés d'autres corps en entier, comme dans le soufre artificiel, ou en partie comme cela se pratique à l'égard des métaux qu'on récompose, en ajoutant à la terre métallique déterminée un phlogistique quelconque.

L'observation est le premier fondement de toutes les sciences, la voie la plus sure pour parvenir, & le principal moyen pour en étendre l'enceinte, & pour en éclairer tous les points : les faits, quels qu'ils soient, la véritable richesse du philosophe, sont la matiere de l'observation : l'historien les recueille, le physicien rationnel les combine, & l'expérimental vérifie le résultat de ces combinaisons ; plusieurs faits pris séparément paroissent secs, stériles & infructueux ; dès qu'on les rapproche, ils acquierent une certaine action, prennent une vie qui par-tout résulte de l'accord mutuel, de l'appui réciproque, & d'un enchaînement qui les lie les uns aux autres ; le concours de ces faits, la cause générale qui les enchaîne, sont des sujets de raisonnement, de théorie, de systême, les faits sont des matériaux ; dès qu'on en a ramassé un certain nombre, on se hâte de bâtir ; & l'édifice est d'autant plus solide, que les matériaux sont plus nombreux, & qu'ils trouvent chacun une place plus convenable ; il arrive quelquefois que l'imagination de l'architecte supplée au défaut qui se trouve dans le nombre & le rapport des matériaux, & qu'il vient à bout de les faire servir à ses desseins, quelques défectueux qu'ils soient ; c'est le cas de ces théoriciens hardis & éloquens, qui, dépourvus d'une patience nécessaire pour observer, se contentent d'avoir recueilli quelques faits, les lient tout de suite par quelque systême ingénieux, & rendent leurs opinions plausibles & séduisantes par les coloris des traits qu'ils emploient, la variété & la force des couleurs, & par les images frappantes & sublimes sous lesquelles ils savent présenter leurs idées ; peut-on se refuser à l'admiration, & presque à la croyance, quand on lit Epicure, Lucrece, Aristote, Platon, & M. de Buffon ? Mais quand on s'est trop pressé (c'est un défaut ordinaire) de former l'enchaînement des faits qu'on a rassemblés par l'observation, on risque à tout moment de rencontrer des faits qui ne sauroient y entrer, qui obligent de changer le systême, ou qui le détruisent entierement ; & comme le champ des découvertes est extrêmement vaste, & que ses limites s'éloignent encore à mesure que la lumiere augmente, il paroît impossible d'établir un systême général qui soit toujours vrai, & on ne doit point être étonné de voir des grands hommes de l'antiquité attachés à des opinions que nous trouvons ridicules, parce qu'il y a lieu de présumer que dans le tems elles embrassoient toutes les observations déja faites, & qu'elles s'y accordoient exactement, & si nous pouvions exister dans quelques siecles, nous verrions nos systêmes dominans qui paroissent les plus ingénieux & les plus certains, détruits, méprisés & remplacés par d'autres qui éprouveront ensuite les mêmes vicissitudes.

L'observation a fait l'histoire, ou la science des faits qui regardent Dieu, l'homme & la nature ; l'observation des ouvrages de Dieu, des miracles, des religions &c. a formé l'histoire sacrée ; l'observation de la vie, des actions, des moeurs & des hommes a donné l'histoire civile ; & l'observation de la nature, du mouvement des astres, des vicissitudes des saisons, des météores, des élémens, des animaux, végétaux & minéraux, des écarts de la nature, de son emploi, des arts & métiers, a fourni les matériaux de différentes branches de l'histoire naturelle. Voyez ces mots.

L'observation & l'expérience sont les seules voies que nous ayons aux connoissances, si l'on reconnoît la vérité de l'axiome : qu'il n'y a rien dans l'entendement qui n'ait été auparavant dans le sens ; au-moins ce sont les seuls moyens par lesquels on puisse parvenir à la connoissance des objets qui sont du ressort des sens ; ce n'est que par eux qu'on peut cultiver la physique, & il n'est pas douteux que l'observation même dans la physique des corps bruts ne l'emporte infiniment en certitude & en utilité sur l'expérience ; quoique les corps inanimés, sans vie, & presque sans action, n'offrent à l'observateur qu'un certain nombre de phénomenes assez uniformes, & en apparence aisés à saisir & à combiner ; quoiqu'on ne puisse pas dissimuler que les expériences, sur-tout celles des Chimistes, n'ayent répandu un grand jour sur cette science ; on voit que les parties de cette physique, qui sont entierement du ressort de l'observation, sont les mieux connues & les plus perfectionnées ; c'est par l'observation qu'on a déterminé les lois du mouvement, qu'on a connu les propriétés générales des corps ; c'est à l'observation que nous devons la découverte de la pesanteur, de l'attraction, de l'accélération des graves, & le systême de Newton, celui de Descartes est bâti sur l'expérience. C'est enfin l'observation qui a créé l'Astronomie, & qui l'a portée à ce point de perfection où nous la voyons aujourd'hui, & qui est tel qu'elle surpasse en certitude toutes les autres sciences ; l'éloignement immense des astres qui a empêché toute expérience, sembloit devoir être un obstacle à nos connoissances ; mais l'observation à qui elle étoit totalement livrée, a tout franchi, l'on peut dire aussi que la physique céleste est le fruit & le triomphe de l'observation. Dans la Chimie, l'observation a ouvert un vaste champ aux expériences ; elle a éclairé sur la nature de l'air, de l'eau, du feu, sur la fermentation, sur les décompositions & dégénérations spontanées des corps ; c'est l'observation qui a fourni presque tous les matériaux de l'excellent traité du feu que Boerhaave a rassemblé de divers physiciens ; il y a dans la Minéralogie une partie qui ne pourra être éclairée que par le flambeau de l'observation ; c'est l'accroissement, la maturation & la dégénération des métaux dans les mines ; & si jamais on parvient à la découverte de la pierre philosophale, ce ne peut être que lorsqu'on aura vu les moyens dont la nature se sert pour porter les métaux aux différens points de maturation qui constituent chaque métal en particulier, alors l'art rival & imitateur de la nature pourra peut-être hâter & opérer la parfaite maturité, qui, suivant l'idée assez vraisemblable des adeptes, fait l'or.

En passant de la physique des corps bruts à celle des corps organisés, nous verrons diminuer les droits de l'expérience, & augmenter l'empire & l'utilité de l'observation ; la figure, le port, la situation, la structure, en un mot l'anatomie des plantes & des animaux, les différens états par lesquels ils passent, leurs mouvemens, leurs fonctions, leur vie, &c. n'ont été apperçus que par le naturaliste observateur, & l'histoire naturelle n'a été formée que par un recueil d'observations : les différens systêmes de botanique & de zoologie, ne sont que des manieres différentes de classer les plantes & les animaux en conséquence de quelques propriétés qu'on a observé être communes à un certain nombre, ce sont autant de points où se place l'observateur, & auxquels il vient rapporter & ranger les faits qu'il a rassemblés ; l'effet même de ces corps, pris par l'homme en remede, ou en nourriture, n'est constaté que par l'observation ; les expériences n'ont presque apporté aucune lumiere sur leur maniere d'agir, la pharmacologie rationelle de la plûpart des medicamens est absolument ignorée ; celle que nous avons sur quelques-uns est très-imparfaite, on n'en connoît que les vertus, les propriétés & les usages, & c'est à l'observation que nous devons cette connoissance ; il en a été à-peu-près des autres remedes comme du quinquina, dont la vertu fébrifuge s'est manifestée par hasard à quelques indiens attaqués de fievres intermittentes, qui allerent boire dans une fontaine où étoient tombées des feuilles ou de l'écorce de l'arbre appellé quinquina ; ils furent aussi-tôt guéris, le bruit s'en répandit, l'observateur recueillit ces faits, les vérifia, & ce remede fut d'abord regardé comme spécifique ; d'autres observations en firent appercevoir les inconvéniens, & sur cela, on fixa les cas où il étoit indiqué, ceux où il étoit contr'indiqué, & l'on établit des regles & des précautions pour en prévenir les mauvais effets ; c'est ainsi que notre matiere médicale s'est enrichie, & que la Pharmacologie, produit de l'expérience, est restée si imparfaite.

L'homme enfin de quelque côté qu'on l'envisage, est le moins propre à être sujet d'expérience ; il est l'objet le plus convenable, le plus noble, & le plus intéressant de l'observation, & ce n'est que par elle qu'on peut faire quelque progrès dans les sciences qui le regardent ; l'expérience est ici souvent plus qu'inutile. On peut considérer l'homme sous deux principaux points de vûe, ou comme relatif à la Morale, ou dans ses rapports à la Physique. Les observations faites sur l'homme moral sont, ou doivent être la base de l'histoire civile, de la morale, & de toutes les sciences qui en émanent. Voyez MORALE. L'histoire de l'élévation & de la décadence de l'empire romain, & le livre immortel de l'esprit des lois, excellens traités de morale, ne sont presque qu'un immense recueil d'observations fait avec beaucoup de génie, de choix, & de sagacité, qui fournirent à l'illustre auteur des réflexions d'autant plus justes, qu'elles sont plus naturelles. Les observations faites sur l'homme considéré dans ses rapports à la Physique, forment cette science noble & divine qu'on appelle Médecine, qui s'occupe de la connoissance de l'homme, de la santé, de la maladie, & des moyens de dissiper & prévenir l'une, & de conserver l'autre ; comme cette science est plus importante que toute autre, qu'elle doit beaucoup plus à l'observation, & qu'elle nous regarde personnellement, nous allons entrer dans quelque détail.

L'observation a été le berceau & l'école de la Médecine, en remontant aux siecles les plus reculés où la nécessité l'inventa, où la maladie força de recourir aux remedes, avant que quelques particuliers sacrifiassent leur tranquillité, leur santé, & leur vie à l'intérêt public, en s'adonnant à une science longue, pénible, respectable, & souvent peu respectée, la Médecine étoit entre les mains de tout le monde ; on exposoit les malades à la porte de leurs maisons, dans les rues, ou dans les temples ; chaque passant venoit les examiner, & proposoit les remedes qu'il avoit vû réussir dans une occasion semblable, ou qu'il jugeoit telle : les prêtres avoient soin de copier ces recettes, de noter le remede & la maladie, si le succès étoit favorable ; l'observation des mauvais succès eût été bien avantageuse, & dans quelques endroits on écrivoit ces observations sur les colonnes des temples ; dans d'autres on en formoit des especes de recueils qu'on consulta ensuite lorsqu'ils furent assez considérables. De-là naquit l'empirisme dont les succès parurent d'abord si surprenans, qu'on déïfia les Médecins qui s'y étoient adonnés. Toutes leurs observations sont perdues, & on doit d'autant plus les regretter, qu'elles seroient sûrement simples, dépouillées de toute idée de théorie, de tout systême, & par conséquent plus conformes à la vérité. La Médecine qui se conservoit dans la famille des Asclépiades, & qui se transmettoit de pere en fils, n'étoit sans doute autre chose que ce recueil intéressant ; les premieres écoles de Médecine n'eurent pas d'autres livres, & les sentences cnidienes n'étoient, au rapport d'Hippocrate, que de pareils recueils d'observations. Tel a été l'état de la Médecine clinique jusqu'au tems mémorable de ce divin législateur. Quelques philosophes après Pythagore, avoient essayé d'y joindre le raisonnement ; ils avoient commencé d'y mêler les dogmes de la physique regnante ; ils étoient devenus théoriciens, mais ils n'étoient médecins que dans le cabinet ; ils ne voyoient aucun malade ; les empiriques seuls qui avoient fondé la Médecine, l'exerçoient ; l'observation étoit leur unique guide ; serviles, mais aveugles imitateurs, ils risquoient souvent de confondre des maladies très-différentes, n'en ayant que des descriptions peu exactes, & nullement instruits de la valeur des vrais signes caractéristiques ; l'empirisme étoit alors nécessaire, mais il étoit insuffisant ; la Médecine ne peut absolument exister sans lui, mais il n'est pas seul capable de la former. Le grand & l'immortel Hippocrate rassembla les observations de ses prédécesseurs ; il paroît même s'être presque uniquement occupé à observer lui-même, & il a poussé si loin l'art de l'observation, qu'il est venu à bout de changer la face de la Médecine, & de la porter à un point de perfection, que depuis plus de vingt siecles on n'a pû encore atteindre. Quoique possédant bien des connoissances théoriques, les descriptions qu'il a donné des maladies, n'en sont point altérées, elles sont purement empiriques ; ses observations sont simples & exactes, dépouillées de tout ornement étranger ; elles ne contiennent que des faits & des faits intéressans ; il détaille les observations dans ses livres d'épidémies, ses aphorismes, ses prénotions coaques, & les prorrhétiques, & les livres de prognostics supposent une quantité immense d'observations, & en sont une espece d'extrait précieux. A quel degré de certitude ne seroit point parvenue la Médecine, si tous les Médecins qui l'ont suivi, eussent marché sur ses traces ? Si chacun se fût appliqué à observer & à nous transmettre ses observations avec la simplicité & la candeur d'Hippocrate, quelle immense collection de faits n'aurions-nous pas aujourd'hui ? Quelles richesses pour le médecin ? Quel avantage pour l'humanité ? Mais, avouons-le, la Médecine d'aujourd'hui, & encore plus la Médecine du siecle passé, est bien éloignée, malgré les découvertes anatomiques, l'augmentation de la matiere médicale, les lumieres de la Physique, de la perfection que lui a donné un seul homme. La raison en est bien évidente : c'est qu'au lieu d'observer, on a raisonné, on a préféré le titre brillant de théoricien, au métier pénible & obscur d'observateur ; les erreurs de la Physique ont de tout tems infecté la Médecine ; la théorizo-manie a gagné ; plus on s'y est livré, & moins on a cultivé l'observation ; les théories vicieuses dans leur principe, l'ont été encore plus dans leurs conséquences, Asclépiade médecin hardi & présomptueux, blâma publiquement l'observation qu'avoit suivi Hippocrate, & il eut des sectateurs. Il se forma aussi dans le même tems une nouvelle secte d'empiriques par systême ; mais l'insuffisance de leur méthode les fit bien-tôt disparoître ; long-tems après parut le fameux commentateur d'Hippocrate, Galien qui a beaucoup observé, mais trop raisonné, il a monté la Médecine sur le ton de la Philosophie ; les Grecs l'ont suivi dans ce défaut, & ont négligé l'observation ; ils ont donné dans les hypothèses, & ont été imités en cela par les Arabes, qui ont presque entierement défiguré la Médecine. Nous n'avons d'eux que quelques observations de Chirurgie, & une description très-exacte de la petite vérole qu'on trouve dans Rhasis. La Médecine passa des mains des Galénistes ignorans & servilement attachés aux décisions de leur maître, dans celles des Chimistes médecins actifs, remplis d'imagination que la vapeur de leurs fourneaux échauffoit encore. Les principes de leur médecine étoient totalement opposés à l'observation, à l'étude de la nature ; ils vouloient toûjours agir, & se vantoient de posséder des spécifiques assûrés ; leurs idées étoient très-belles, très-spécieuses : qu'il seroit à souhaiter qu'elles eussent été vraies ? Les Méchaniciens s'emparerent de la Médecine, la dépouillerent de toutes les erreurs qu'y avoit introduit la chimie, mais ce fut pour en substituer de nouvelles. On perdit totalement de vue l'observation, & on prétendit la suppléer par des calculs algébriques, par l'application des Mathématiques au corps humain. La prétendue découverte de la circulation éblouit tous les esprits, augmenta le délire & la fureur des hypothèses, & jetta dans l'esprit des Médecins le goût stérile des expériences toujours infructueuses ; les théories qu'on bâtit sur ces fondemens devinrent la regle de la pratique, & il ne fut plus question de l'observation. Le renouvellement des Sciences procura à la Médecine quelques connoissances étrangeres à la pratique, plus curieuses qu'utiles, plus agréables que nécessaires. L'Anatomie, par exemple, & l'Histoire naturelle, devinrent l'objet des recherches des Médecins, qui furent par-là détournés de l'observation, & la médecine clinique en fut moins cultivée & plus incertaine, & nous n'y gagnâmes d'ailleurs que quelques détails minutieux absolument inutiles ; la Physiologie parut faire quelques progrès ; la connoissance des maladies & la science des signes furent beaucoup plus négligées ; la Thérapeutique s'enrichit du côté des remedes, mais elle en fut moins sûre dans les indications, & moins simple dans les applications ; dans les derniers tems le Chiracisme étant devenu dominant, la médecine active fut mise à la mode, & avec elle l'usage inconsideré des saignées & des purgations. L'observation fut moins suivie que jamais, & elle étoit peu nécessaire, parce que ces remedes s'appliquoient indifféremment dans tous les cas ; ou si l'on donnoit quelques observations, il n'étoit pas difficile de s'appercevoir qu'on voyoit avec des yeux préoccupés, & qu'on avoit des intérêts à ménager en racontant.

Telle a été la Médecine depuis Hippocrate jusqu'à nos jours, passant sans cesse d'un sectaire à l'autre, continuellement altérée & obscurcie par des hypothèses & des systêmes qui se succédoient & s'entre-détruisoient réciproquement, avec d'autant plus de facilité, que le vrai n'étoit d'aucun côté ; plongée par le défaut d'observation dans la plus grande incertitude, quelques médecins observateurs en petit nombre, ont de tems en tems élevé la voix ; mais elle étoit étouffée par les cris des Théoriciens, ou l'attrait des systêmes empêchoit de la suivre. Voyez OBSERVATEUR. Le goût de l'observation paroît avoir repris depuis quelque tems : les écrits de Sydenham, de Baglivi, de Stahl, ont servi à l'inspirer ; le pouvoir de la nature dans la guérison des maladies, rappellé par cet illustre auteur sous le nom impropre d'ame, n'y a pas peu contribué ; ce systême qui n'est vicieux que parce qu'on veut déterminer la qualité de la nature & la confondre avec l'ame, est très-favorable à la Médecine pratique, pourvû qu'on ne le pousse pas à l'excès ; il a fait beaucoup de partisans, qui sont tout autant de sectateurs zelés de l'observation. L'esprit philosophique qui s'introduit heureusement dans la Médecine, qui veut principalement des faits, qui porte à tout voir, à tout examiner, à saisir avec ardeur le vrai & à l'aimer par-dessus tout ; la quantité prodigieuse d'erreurs passées, qui nous en laisse moins à craindre, peut-être aussi les lumieres de notre siecle éclairé, toutes ces causes réunies, favorisent le retour de l'observation, & servent à rallumer ce flambeau. La Médecine paroît être sur le point d'une grande révolution ; les systêmes bien appréciés sont réduits à leur juste valeur ; plusieurs médecins s'appliquent comme il faut à l'observation ; ils suivent la nature, ils ne tarderont pas à faire revivre la Médecine d'Hippocrate, qui est la véritable Médecine d'observation. Ainsi, après bien des travaux, cette science pourra être avancée & portée au point où elle étoit il y a deux mille ans. Heureux encore les hommes, si les Médecins qui viendront après, continuent de suivre cette route, & si toujours guidés par le fil de l'observation, ils évitent des égaremens si honteux pour eux-mêmes, & si funestes aux autres.

En parcourant toutes les parties de la Médecine, nous verrons qu'elles sont toutes formées par l'observation, & qu'elles sont d'autant plus certaines & plus claires, que l'observation y a plus de part ; on pourroit assurer la même chose de toute la Physique ; & de cet examen naîtront les différentes especes d'observations qui sont du ressort des Médecins. 1°. L'Anatomie résulte de l'observation simple, de l'arrangement, de la figure, de la situation &c. des parties qui composent le corps humain ; l'observation des fonctions qui sont produites par le mouvement ou la vie de ces différentes parties bien disposées, constitue la partie historique de la Physiologie & la séméiotique de la santé ; d'où l'on tire plus ou moins directement la Physiologie théorique. L'observation appliquée à l'homme malade, fait connoître les dérangemens qui se trouvent dans les fonctions qui constituent proprement l'état de maladie, & les causes éloignées qui les ont fait naître : c'est la vraie Pathologie, & ses deux branches essentielles l'Aitiologie & la Symptomatologie ; on doit aussi se rapporter à la seméiotique de la maladie. L'observation de l'effet que produisent sur le corps sain l'air, les alimens, le sommeil, l'exercice, les passions, & les excrétions, en un mot, les choses non-naturelles, forme l'Hygiene, & sert de fondement & de principe aux regles diététiques. L'observation des changemens que produisent les remedes sur le corps malade & dans la marche des maladies, a établi la Thérapeutique, ou la science des indications, d'où est née la matiere médicale. Telles sont les différentes sources d'observations qui se présentent au médecin, & dans lesquelles il peut & doit puiser la vraie Médecine : nous allons les suivre chacune en particulier, mais en peu de mots.

1°. Observations anatomiques cadavériques. Ces observations peuvent se faire sur des cadavres d'hommes morts de mort violente dans la simple vûe d'acquérir des connoissances anatomiques ; ou elles peuvent avoir lieu sur ceux qui sont morts de maladie, & elles ont alors pour but de découvrir les causes de la mort & les dérangemens intérieurs qui y ont donné lieu : la premiere espece d'observation, que nous appellerons simplement anatomique, peut aussi se faire sur les animaux, leur structure interne est, à peu de chose près, semblable à celle de l'homme, & c'est par la dissection des animaux que l'anatomie a commencé dans un tems où l'ignorance, la superstition & le préjugé faisoient regarder comme une souillure de toucher aux cadavres humains, & empêchoient à plus forte raison d'y porter le couteau anatomique pour en connoître l'intérieur ; & même dans notre siecle que nous croyons devoir appeller modestement le plus savant, le plus éclairé & le plus exempt de préjugés ; si l'on ne donne pas dans le ridicule outré de se croire souillé par la dissection d'un cadavre ; on se fait une peine d'en accorder au zele louable & aux recherches avantageuses des Anatomistes, & dans quelques endroits où l'on accorde (pour de l'argent) les cadavres des hommes, on refuse ceux des femmes, comme si l'un étoit plus sacré que l'autre pour le médecin, & qu'il ne lui fût pas aussi utile & nécessaire de connoître la structure des femmes que celle des hommes. Hérophile & Erasistrate passent pour être les premiers qui ont osé secouer le préjugé en dissequant non-seulement des cadavres humains, mais des hommes vivans criminels, que les princes zélés pour le bien public & philosophes leur faisoient remettre. Dès que le premier pas a été fait, les médecins qui les ont suivis se sont empressés de marcher sur leurs traces, & les rois éclairés ont favorisé leurs tentatives par les permissions les plus authentiques & les récompenses les plus honorables ; de-là les progrès rapides de l'Anatomie, les découvertes fréquentes qui se sont faites successivement. Voyez -en l'histoire à l'article ANATOMIE, voyez aussi au même endroit les recueils d'observations anatomiques dans les ouvrages qui y sont cités, auxquels on peut ajouter les mémoires des différentes académies, & sur - tout de l'académie royale des Sciences, où l'on trouve dans chaque volume des observations singulieres, curieuses & intéressantes, ces mémoires sont devenus des monumens qui attestent & classent les découvertes qui se font chaque jour. Comme cette science, qui ne demande que de la dextérité dans la main & une bonne vûe, & qui est par conséquent du ressort immédiat & exclusif de l'observation, a été bientôt portée à une certaine perfection, il reste à présent peu d'objets d'observations, peu de chose à découvrir ; aussi n'ajoute-t-on, à présent que la science est faite, que quelques observations de monstres qui ne seront pas encore épuisées, parce que les écarts de la nature peuvent varier à l'infini, que quelques divisions futiles, quelques détails minutieux qui ne sont d'aucune utilité ; on ne peut même dissimuler que les avantages de l'Anatomie ne sont pas aussi grands qu'on devoit se le promettre. Il paroissoit tout naturel de croire que le corps humain étant une machine, plus on en connoîtroit les ressorts, plus il seroit facile de découvrir les causes, les lois, le méchanisme de leurs mouvemens, plus aussi on seroit éclairé sur la maniere d'agir & sur les effets des causes qui dérangeoient ces ressorts & troubloient ces mouvemens, & qu'enfin ces connoissances devoient répandre un grand jour sur l'art de guérir, c'est-à-dire de corriger des altérations si bien connues ; mais l'évenement n'a pas justifié un raisonnement en apparence si juste & si conséquent ; toutes les observations & les découvertes anatomiques ne paroissent avoir servi jusqu'ici qu'à exercer la pénétration, la dextérité & la patience des hommes, & à enrichir la Médecine d'une science très-curieuse, très-satisfaisante, & un des plus forts argumens, selon Hoffman, & tous les médecins & philosophes, de l'existence & de l'opération de Dieu. Cette espece d'observation auroit sans doute été plus utile, si l'on avoit examiné, comme Hérophile, la structure du corps dans l'homme vivant ; l'Anatomie raisonnée ou Physiologique auroit été principalement éclairée sur l'usage & la nécessité des différentes parties. On ne doit point regarder l'exécution de ce projet comme une action barbare & inhumaine ; il y a tant de gens qui ont mérité par leurs crimes de finir leur vie sur un échafaud dans les tourmens les plus cruels, auxquels il seroit au-moins très-indifférent d'être mis entre les mains d'un anatomiste, qui ne regarderoit pas l'emploi de bourreau qu'il rempliroit alors comme déshonorant, mais qui ne le verroit que comme un moyen d'acquérir des lumieres, & d'être utile au public, le crime fait la honte & non pas l'échafaud. Le criminel pourroit encore avoir l'espérance de survivre aux observations qu'on auroit fait sur lui, & on pourroit proportionner le danger & la longueur des épreuves à la gravité des crimes : mais quand même une mort assûrée attendroit ce coupable, ou même un autre, soumis au couteau anatomique, il est des cas où il est expédient qu'un homme meure pour le public, & l'humanité bien entendue, peut adopter cette maxime judicieuse d'un auteur moderne, qu'un homme vis-à-vis de tous les autres n'est rien, & qu'un criminel est moins que rien.

Le seul usage qu'on pût tirer des observations anatomiques, ou de l'Anatomie telle qu'on la cultive aujourd'hui, ce seroit sans doute d'éclairer pour les observations cadavériques, j'appelle ainsi celles qui se font pour découvrir les causes de mort sur des sujets que quelque maladie a mis au tombeau. Nous sommes encore forcés d'avouer ici qu'on n'a pas retiré beaucoup de lumiere sur la connoissance des causes de cette espece d'observation ; la Médecine clinique n'étoit pas moins avancée lorsqu'il ne se faisoit point d'ouverture de cadavres du tems d'Hippocrate qu'elle l'est aujourd'hui ; est-ce un vice attaché à la nature de cette observation, ou un défaut dépendant de la maniere dont on la fait ? Si l'on y fait attention, on verra que ces deux causes y concourent, 1° il est bien certain que les choses ne sont pas dans le même état dans un homme mort de maladie, que dans un homme mort subitement, ou encore vivant ; les gangrenes qu'on trouve à la suite des maladies aiguës inflammatoires sont une suite ordinaire de la cessation de la vie dans ces parties, on en trouve quelquefois des traces dans des parties où il n'y a point eu d'inflammation ; les obstructions, suppurations que présentent les cadavres de ceux qui sont morts de maladie chronique, n'ont souvent eu lieu qu'à la fin de la maladie, lorsqu'elle tendoit à sa fin & qu'elle étoit incurable ; quelles lumieres de pareilles observations peuvent-elles répandre sur la connoissance & la guérison de ces maladies ? On raisonneroit bien mal, & on pratiqueroit bien plus mal encore si l'on établissoit des indications curatives sur les observations cadavériques. Pour avoir quelque chose de certain, il faudroit avoir ouvert cinquante personnes attaquées de la même maladie, & morts dans des tems différens par quelqu'autre cause, on pourroit alors voir les progrès de la maladie & des dérangemens qu'elle occasionne, ou qui l'ont produite ; observation presque impossible à suivre. Un des cas où l'on regarde l'observation cadavérique comme inutile, savoir celui où l'on ne trouve aucun vestige de maladie, aucune cause apparente de mort, où tous les visceres bien examinés paroissent sains & bien disposés : ce cas, dis-je, est précisément celui où cette observation me semble plus lumineuse, parce qu'elle démontre qu'il n'y avoit qu'un vice dans les nerfs, & que la maladie étoit strictement nerveuse : un des cas encore où l'observation peut avoir quelqu'utilité, c'est pour déterminer le siege de la maladie ; il arrive souvent qu'on attribue des toux, des symptomes de phthisie, à des tubercules du poumon, tandis qu'il n'y a que le foie d'affecté : la même chose arrive dans certaines prétendues péripneumonies, & alors l'observation cadavérique peut faire réfléchir dans une occasion semblable, rectifier le jugement qu'on porte sur la maladie, & faire suivre une pratique différente. La seconde cause de l'inutilité des observations cadavériques, c'est qu'on les fait mal. Un malade auroit-il eu une douleur vive au côté, après sa mort le médecin qui croit que c'étoit une pleurésie, fait ouvrir la poitrine, n'y voit aucun dérangement, s'en va tout étonné, & ne s'éclaire point ; s'il eût ouvert le bas-ventre, il eût vû le foie ou la face inférieure du diaphragme enflammée. Un homme meurt dans les fureurs d'un délire phrénétique : on se propose de voir la dure-mere engorgée, tout le cerveau délabré, on scie le crâne, la dure-mere & le cerveau paroîtront dans leur état naturel, & on ne va pas s'imaginer & chercher le siege de la maladie dans le bas-ventre. Quand on veut examiner un cadavre pour y découvrir quelque cause de mort, il faut tout le parcourir, ne laisser aucune partie sans l'observer. On trouve souvent des causes de mort dans des endroits où on les auroit le moins soupçonnées : un autre inconvénient qui s'oppose à la bonté des observations cadavériques, c'est de fouiller les cadavres avec un esprit préoccupé, & avec l'envie d'y trouver la preuve de quelqu'opinion avancée ; cette prévention qui fait trouver tout ce qu'on cherche, est d'une très-grande conséquence en Médecine ; on prépare par-là de nouveaux écueils aux médecins inhabiles, & on taille des matériaux pour des systêmes erronés ; c'est un défaut qu'on reproche à certains infatigables faiseurs d'expériences de nos jours. J'ai vû des médecins qui ayant annoncé dans un malade une suppuration dans la poitrine, & en conséquence une impossibilité de guérison, prétendoient la trouver dans le cadavre, prenoient pour du pus l'humeur écumeuse qui sortit des vesicules bronchiques dans le poumon très-sain : il y en a d'autres qui ayant imaginé le foyer d'une maladie dans quelque viscere, trouvent toujours dans l'ouverture des cadavres quelques vices, mais ils sont les seuls à faire ces observations. Ceux qui seront curieux de lire beaucoup d'observations cadavériques dont je me garde bien de garantir l'exactitude & la vérité, peuvent consulter le Sepulchretum Boneti, les recueils d'observations de Tulpius, Forestus, Hoffman, Riviere, Sennert, Schenckius, Zacutus Lusitanus, Italpart Van-der-vic, les miscellanea natur. curiosor. & le synopsis, & Wepfer histor. apoplectic. cum observat. celebr. medicor. Manget, bibliothec. med. practic. Lieutaud, son précis de la Médecine, remarquable par les observations cadavériques qu'il a faites lui-même, ou qu'il a rassemblé des autres, mais qu'on est fâché de voir si abrégée, Morton, sa Phthisiologie ; Senac, son immortel traité du coeur ; & un petit, mais excellent ouvrage sur les fievres intermittentes & remittentes, où il y a un chapitre particulier qui renferme les observations faites sur les cadavres de ceux qui sont morts de fievres intermittentes, &c. on trouve aussi de ces observations dans une foule de petits traités particuliers sur chaque maladie ; les mémoires de différentes académies ; les essais de la société d'Edimbourg, & le journal de Médecine en renferment aussi beaucoup.

Observations physiologiques. Ce sont des observations sur l'homme vivant & en bonne santé, par lesquelles on s'instruit de tous les phénomenes qui résultent du concours, de l'ensemble & de l'intégrité des fonctions humaines ; le recueil de ces observations, bien fait & tel que je le conçois, formeroit une histoire de l'homme physique très-complete , très-féconde & absolument nécessaire pour bâtir solidement un systême bien raisonné d'économie animale : ce genre d'observations a cependant été presque généralement négligé ; inondés de traités de Physiologie, à peine en avons-nous un qui soit fait d'après l'observation exacte de l'homme, aussi quelle inexactitude dans les descriptions, quelles inconséquences dans les explications ! quel vague, quelles erreurs dans les systêmes ! Tous les physiologistes n'ont fait que se copier dans les descriptions, & semblent n'avoir eu en vûe que de se combattre dans les théories ; loin d'aller examiner la nature, de s'étudier soi-même, de consulter les autres, ils n'ont cherché qu'à se former une liste des fonctions de l'homme, & ils les ont expliqué ensuite chacune en particulier, comme si elles n'avoient pas les unes sur les autres une action, une influence réciproque ; il semble dans leurs écrits qu'il y ait dans l'homme autant d'animaux différens qu'il y a de parties & de fonctions différentes ; ils sont censés vivre séparément, & n'avoir ensemble aucune communication. On lit dans ces ouvrages un traité de la circulation après un chapitre de la digestion, & il n'est plus question de l'estomac, des intestins, de leur action sur le coeur & les arteres après qu'on en a fait sortir le chyle, & qu'on l'a fait monter méchaniquement jusqu'à la souclaviere gauche. On pourroit, suivant l'idée de ces auteurs, comparer l'homme à une troupe de grues qui volent ensemble dans un certain ordre, sans s'entr'aider réciproquement & sans dépendre les unes des autres. Les Médecins ou Philosophes qui ont étudié l'homme & qui ont bien observé par eux mêmes, ont vû cette sympathie dans tous les mouvemens animaux, cet accord si constant & si nécessaire dans le jeu des différentes parties les plus éloignées & les plus disparates ; ils ont vû aussi le dérangement qui résultoit dans le tout du désaccord sensible d'une seule partie. Un médecin célebre (M. de Bordeu) & un illustre physicien (M. de Maupertuis) se sont accordés à comparer l'homme envisagé sous ce point de vûe lumineux & philosophique à un grouppe d'abeilles qui font leurs efforts pour s'attacher à une branche d'arbre, on les voit se presser, se soutenir mutuellement, & former une espece de tout, dans lequel chaque partie vivante à sa maniere, contribue par la correspondance & la direction de ses mouvemens à entretenir cette espece de vie de tout le corps, si l'on peut appeller ainsi une simple liaison d'actions. Le traité intitulé, recherches anatomiques sur la position & l'usage des glandes, où M. de Bordeu donne cette comparaison composée en 1749, fut imprimé & parut au commencement de 1751. La dissertation de M. de Maupertuis où il en est question, a été aussi imprimée à Erlang en 1751 sous ce titre.

Pour faire une bonne physiologie, il faudroit d'abord l'histoire exacte & bien détaillée de toutes les fonctions du corps humain, de la maniere apparente extérieure dont elles s'exécutent, c'est-à-dire des phénomenes qui en sont le produit, & enfin des changemens qu'operent sur l'ordre successif de ces fonctions les causes naturelles de la durée de la vie. Voyez OECONOMIE ANIMALE & PHYSIOLOGIE. On ne peut obtenir cela que par une observation assidue, désintéressée & judicieuse de l'homme ; ce plan a été suivi par l'illustre auteur du specimen medicinae conspectus, de l'idée de l'homme physique & moral &c. qui n'a donné dans ces ouvrages un système très-naturel & très-ingénieux d'économie animale qu'après s'être long-tems étudié & observé lui-même & les autres, nous l'exposerons à l'article OECONOMIE ANIMALE. Ce fameux médecin pense que pour tirer un plus grand parti de l'observation, il faut déja avoir une espece de théorie, un point de vûe général qui serve de point de ralliement pour tous les faits que l'observation vient d'offrir ; mais il est à craindre que cette théorie antérieure dont l'esprit est préoccupé, ne lui déguise les objets qui se présentent ; elle ne peut être indifférente ou même utile qu'entre les mains d'un homme de génie, qui ne sait pas se prévenir, qui voit du même oeil les objets contraires à son système que ceux qui lui sont favorables, & qui est assez grand pour savoir sacrifier quand il le faut les idées les plus spécieuses à la simple vérité.

Nous rapportons aux observations physiologiques la séméiotique de la santé, ou la science des signes qui caractérisent cet état si désirable, & qui peuvent faire promettre qu'il sera constant & durable ; pour déterminer exactement la valeur, la signification & la certitude de ces signes, il faut avoir fait un grand nombre d'observations : la séméiotique n'en est qu'un extrait digéré & rapproché.

Les observations hygiétiques trouvent aussi naturellement leur place ici, parce qu'elles nous apprennent ce que peut, pour maintenir la santé, l'usage réglé des six choses non-naturelles. Cette connoissance, fruit d'une observation suivie, est proprement la Médecine, & ce n'est qu'en l'exerçant qu'on peut l'obtenir. Hippocrate la recommande beaucoup ; il faut principalement, dit ce divin vieillard, s'appliquer à connoître l'homme dans ses rapports avec ce qu'il boit & ce qu'il mange, & les effets qui en résultent dans chaque individu : omni studio annitatur ut percipiat quid sit homo, collatione factâ ad ea quae eduntur & bibuntur, & quid à singulis cuique eventurum sit, lib. de veter. medicin. Ce n'est qu'après avoir rassemblé beaucoup d'observations qu'on a pu établir les différentes regles d'hygiéne, dont la principale, la plus sûre & la plus avantageuse est pour les personnes qui ont un tempérament assez robuste de n'en point observer. Voyez DIETE, HYGIENE, REGIME. On trouvera des observations & des regles d'hygiene dans les ouvrages d'Hippocrate, de Galien & de Celse, dans l'école de Salerne ; on peut consulter aussi deux traités du docteur Arbuthnot, l'un intitulé : an essay concerning the nature of aliments and the choice of them, according to the different constitutions of human bodies in which, &c. London. 1731 ; & l'autre a pour titre : practical rules of diet in the various constitutions and diseases of human bodies. London. 1732, &c.

Observations pathologiques ou pratiques. Ce sont les observations qui se font au lit des malades, & qui ont, ou doivent avoir pour objet, les causes de la maladie, les symptomes qui la caractérisent, la marche qu'elle fait, les bons ou mauvais effets qui resultent de l'administration des remedes, & ses différentes terminaisons ; c'est cette espece d'observation, cultivée dans les tems les plus reculés, si bien & si utilement suivie par le grand Hippocrate, qui a été le fondement de la médecine clinique. Nous ne repéterons pas ce que nous avons dit plus haut sur les avantages de cette observation, & sur les qualités nécessaires à un bon observateur, voyez ce mot. Il ne nous reste plus qu'à donner un exposé des détails que doit embrasser une observation ; nous l'extrairons encore des ouvrages d'Hippocrate, que nous ne pouvons nous lasser de citer, & de proposer pour modele sur-tout dans cette partie : ce n'est point une prévention ridicule pour les anciens, un mépris outré des modernes, ou un enthousiasme aveugle pour cet auteur qui nous conduit, c'est la simple vérité, c'est l'attrait puissant qui en est inséparable, & que sentent très-bien ceux qui ont lu & relu ses écrits. On peut se former un plan très-instructif d'observations, en lisant celles qu'il rapporte dans ses épidémies, & sur-tout dans le premier & le troisieme livres qui ne sont point altérés, & que personne ne lui conteste. Mais il a soin d'avertir lui-même, avant d'entrer dans le récit circonstancié de ses observations, de la maniere dont il faut s'y prendre pour parvenir à la connoissance des maladies, & des points sur lesquels doit rouler l'observation : voici comme il s'exprime. " Nous connoissons les maladies par leur nature commune, particuliere & individuelle ; par la maladie présente ; par le malade ; par les choses qui lui sont offertes, & même par celui qui offre (ce qui n'est pas toujours indifférent), par la constitution partiale ou totale des corps célestes, (& non pas simplement de l'air, comme l'a traduit le D. Freind), & du pays qu'il habite ; par la coutume, le genre de vie, par les études ; par l'âge de chacun ; par les discours que tient le malade, ses moeurs, son silence, ses méditations, ses pensées, son sommeil, ses veilles, ses songes ; par les inquiétudes, les démangeaisons, les larmes, les redoublemens, les déjections, les urines, les crachats, les vomissemens. Il faut aussi voir, continue cet illustre observateur, quelles sont les excrétions, & par quoi elles sont déterminées, ; quelles sont les vicissitudes des maladies, en quoi elles dégénerent ; quels sont les abscès ou métastases nuisibles, quels sont les favorables ; la sueur, les frissons, le refroidissement, la toux, l'éternuement, le hoquet, l'haleine, les renvois, les vents chassés sans bruit, ou avec bruit : les hémorragies, les hémorrhoïdes, doivent encore être mûrement examinées ; il est enfin nécessaire de s'instruire de ce qui arrive de toutes ces choses, & de ce qui en est l'effet ". Morbor. vulgar. l. I. sect. iij. n°. 20. Telle est la table des objets que l'observateur doit recueillir auprès d'un malade. Il nous seroit facile de démontrer combien chaque article est important ; mais ce détail nous meneroit trop loin : il n'est d'ailleurs point de médecins, qui ayant vu des malades & des maladies, n'en sentent toute l'utilité. Les observations qui regardent les corps célestes, l'air, le pays, qui ont paru absolument indifférentes à plusieurs, ne laissent pas d'avoir beaucoup d'utilité ; l'influence des astres n'étant plus regardée comme chimérique lorsqu'elle est restrainte dans des justes bornes, suffit pour constater les avantages des observations de la constitution des corps célestes, voyez INFLUENCE des astres, & plus bas, OBSERVATIONS météorologiques. On pourroit ajouter à l'exposition d'Hippocrate, les observations qui se font sur le pouls, & qu'on a de nos jours beaucoup cultivées, rendues plus justes & plus propres à éclairer la marche des maladies, que tous les autres signes, voyez POULS. Parmi les observations de cette espece, celles qui sont les plus utiles, sont celles qu'on fait sur des maladies épidémiques, dans lesquelles, malgré quelque variété accidentelle, on voit toujours un caractere général ; on observe le génie épidémique, même marche dans les symptomes, même succès des remedes, même terminaison, &c. Mais il faut sur-tout dans ces observations, bannir toute conjecture, tout raisonnement, tout fait étranger ; il n'est pas même nécessaire de rapprocher les faits, de faire voir leur liaison ; il suffit, après avoir exposé la constitution du tems, les saisons, les causes générales, de donner une liste & une notice des maladies qui ont regné, & d'entrer après cela dans le détail. Voyez les épidémies d'Hippocrate, de Baillou, de Sydenham. Les recherches des causes prochaines ne doivent jamais entrer dans les observations. Celse voudroit qu'on les bannît de l'art ; il ne devroit pas permettre qu'on les laissât dans l'esprit des médecins : causis, dit-il, non ab artificis mente, sed ab arte rejectis. Elles sont toujours obscures, incertaines, & plus ou moins systématiques. Si un auteur a fait sur ses observations quelques remarques qu'il juge utiles, il peut en faire part à la fin & en peu de mots ; ces petits corollaires, sans jetter de la confusion dans le cours d'une observation, font quelquefois naître des vûes avantageuses. Quoique les observations dénuées de raisonnement & d'application, paroissent stériles, sans sel & sans usage, elles sont, suivant l'expression de Baglivi, comme les lettres de l'alphabet qui, prises séparément, sont inutiles, & qui dès qu'elles sont rassemblées & diversement rapprochées, forment le vrai langage de la nature. Un avantage bien précieux qu'on peut & qu'on doit tirer des observations recueillies en grande quantité, c'est d'en extraire tout ce qu'on voit d'exactement semblable, de noter les particularités qui ont eu les mêmes signes, les excrétions qui ont eu les mêmes avant-coureurs : on peut former par ce moyen un code extrêmement intéressant, de sentences ou d'aphorismes vérifiés par une observation constante. C'est en suivant ce plan qu'Hippocrate a formé, par un travail immense & avec une sagacité infinie, tous ces ouvrages aphoristiques qui sont la base de la séméiotique, & qui font tant d'honneur au médecin qui en sait profiter : c'est en marchant sur ses traces qu'on peut procurer à l'art des richesses inaltérables & des fondemens assurés. Hippocrate après avoir vu mourir plusieurs phrénétiques qui avoient eu des urines pâles, limpides, &c. il fit cet aphorisme : quibus phreneticis urina alba, limpida, mala, l. IV. aphor. lxxij. L'observation de plusieurs fievres, qui ont été bientôt terminées lorsqu'il est survenu des convulsions, & qu'elles ont cessé le même jour, lui a fait dire : convulsio in febre orta, & eâdem die desinens, bona est, coac. praenot. l. I. ch. iij. n°. 52. & ainsi des autres, par où l'on voit que chaque aphorisme, chaque prédiction est le résultat de plusieurs observations. Quelle quantité n'a-t-il pas été obligé d'en rassembler ! Quand on lit ses ouvrages, & qu'on voit le génie & le travail qu'ils exigent, on a de la peine à croire qu'un seul homme y ait pu suffire.

La table que M. Clifton a proposée, peut servir de modele à ceux qui s'appliquent à l'observation. Une société illustre qui travaille avec fruit aux progrès de notre art l'a adoptée ; elle renferme six colomnes. Il met dans la premiere le sexe, l'âge, le tempérament, les occupations & le genre de vie du malade ; dans la seconde, les jours de la maladie ; dans la troisieme, les symptomes ; dans la quatrieme, les jours du mois ; dans la cinquieme, les remedes administrés ; & dans la sixieme, la terminaison de la maladie. Il y auroit bien des remarques à faire sur la maniere dont il faut remplir chaque colomne ; mais chaque observateur doit consulter là-dessus ses propres lumieres, & ce que nous avons dit dans le courant de cet article, que plus d'une raison nous force d'abréger : je remarquerai seulement qu'il me paroît qu'on devroit ajouter à la tête une colomne qui renfermât les observations météorologiques, l'état de l'air & du ciel pendant que cette maladie a eu son cours, & avant qu'elle se décidât : cette attention est sur-tout nécessaire lorsqu'on décrit les maladies épidémiques. La seconde colomne dans la façon de vivre, comprendroit les causes éloignées, ou un détail des erreurs commises dans les six choses non-naturelles, s'il y en a eu. Enfin on pourroit y joindre une derniere colomne qui contînt les observations cadavériques ; quoique nous ayons dit que ces observations n'avoient pas jetté jusqu'ici beaucoup de lumieres sur le diagnostic des maladies, je n'ai point prétendu décider une absolue inutilité ; j'ai encore moins pensé qu'on ne pourroit jamais perfectionner ce genre d'observations, & le rendre plus utile : je serois bien volontiers de l'avis de ceux qui regardent comme très-avantageuse une loi qui ordonneroit que les cadavres ne fussent remis entre les mains des prêtres, qu'au sortir de celles des Anatomistes ; la connoissance des maladies ne seroit même pas le seul bien qui en resulteroit. Les observations seroient infiniment plus utiles si chaque médecin s'appliquoit à suivre avec candeur, le plan que nous venons d'exposer, ou tel autre semblable ; le lecteur se mettroit d'un coup d'oeil au fait des maladies. Et qu'on ne dise pas qu'il n'y a plus rien de nouveau à observer, & que les sujets d'observations sont épuisés ; car 1°. il y a des maladies qui ne sont pas encore assez bien connues, telles que les maladies de la peau, du nez, des yeux, de la bouche, des oreilles, de l'estomac, du foie, des nerfs, &c. la goutte, la migraine, beaucoup de fievres, &c. Des observations bien suivies sur ces maladies seroient neuves, curieuses & importantes. Il nous manque encore des distinctions bien constatées des maladies nerveuses d'avec les humorales, des maladies incurables d'avec celles où l'art n'est pas absolument inutile ; nous aurions aussi besoin de signes assurés, qui nous fissent connoître ces maladies dès le commencement. Nous ne sommes que très-peu éclairés sur la valeur des signes qu'on tire des urines & des selles, & ce n'est que depuis peu de tems que de nouvelles observations ont perfectionné ceux que le pouls fournit ; elles méritent & ont encore besoin d'être confirmées : nous ne finirions pas si nous voulions suivre tous les sujets nouveaux d'observations. Baglivi en indique quelques-uns, voyez les ouvrages excellens que nous avons de lui, Praxeos medic. l. II. ch. vij. Mais en second lieu, quand les observations qu'on feroit ne serviroient qu'à vérifier celles qui sont dejà faites, à leur donner plus de force, de poids & de célébrité, ne seroit-ce pas un grand avantage, & j'ose même dire plus grand que celui qu'on procureroit par des découvertes qui, quelqu'intéressantes qu'elles soient, ont toujours des contradicteurs dans les commencemens ; & ensuite, qui pis est, des enthousiastes outrés ? Quoique nous n'ayons pas beaucoup de médecins qui méritent le titre glorieux d'observateur, il y a cependant une assez grande quantité d'observations. Plusieurs médecins ont pris la peine d'en former des recueils, & nous leur avons obligation de nous avoir conservé & rassemblé des faits quelquefois intéressans, qui sans cette précaution, se seroient perdus, ou seroient restés épars ça & là, & par conséquent ignorés. La plûpart des auteurs de ces recueils se sont principalement attachés aux observations des faits merveilleux, qui nous montrent plutôt les écarts peu fréquens de la nature, que sa marche uniforme, & qui par-là sont bien moins utiles ; d'autres pour rassembler un plus grand nombre de faits, les ont tronqués, & ont prétendu nous donner des observations en deux ou trois lignes ; quelques-uns pour les plier à leurs opinions, sont allés jusqu'à les défigurer. Les principaux auteurs qui nous ont transmis des collections générales, sont Schenckius, Tulpius, Benivenius, Zacutus & Amatus Lusitanus, Forestus, Riviere, Manget, Stalpart Van-der wiel, Hoffman, Bonet, Chesneau, Albert qui a fait une espece de lexicon d'observations, Gherli auteur italien. On trouve beaucoup d'observations semblables dans les mémoires des différentes académies, dans les acta natur. curiosor. les essais & observations de médecine de la société d'Edimbourg ; dans les miscellanea di medicina, che contiene dissertazioni, lettere, é osservazioni di alcuni celebri professori, &c. dans les medical observations and inquiries, by à society of physicians in London ; dans les ouvrages de Freind ; dans les transactions philosophiques & leurs différens extraits & abregés. Nous avons ensuite des observations sur des maladies particulieres. Hippocrate en a donné sur les maladies épidémiques, de même que Sydenham, Huxham, Baillou, Ramazzini, Cleghorn on the epidemical diseases in minorca from the year 1744, to 1749. Bianchi, sur les maladies du foie ; Morton, sur la phthisie ; Senac, sur les maladies du coeur, dans l'immortel traité qu'il a fait sur cette matiere, &c. On travaille à présent à un recueil d'observations de médecine, sous forme de journal. Le projet en étoit beau, louable ; il étoit dirigé par un célebre médecin, tout sembloit devoir promettre une heureuse exécution, mais l'événement n'y a pas répondu. Nous sommes bien éloignés d'en attribuer la faute à l'auteur ; nous savons que la jalousie peut faire échouer les desseins les plus utiles & les mieux concertés. La plûpart des observations sont très-mal faites, remplies de raisonnemens à perte de vûe, de théorie, de conjectures, & ces défauts ne sont pas pour le journaliste un motif d'exclusion ; elles sont inserées sans choix, & l'on y reçoit également l'observation d'un chirurgien, qui dit avoir guéri une maladie interne, que celle d'un apoticaire qui raconteroit une amputation qu'il auroit faite. Quoique ce défaut n'en soit pas un rigoureusement, on ne peut cependant s'empêcher d'être surpris qu'un chirurgien se vante d'avoir exercé une profession qu'il n'entend pas, & dont l'exercice lui est défendu par les lois & les arrêts les plus formels ; & qu'un médecin publie bonnement ce fait, quoiqu'il ne soit ni rare, ni curieux, ni en aucune maniere intéressant, & qu'il n'ait d'extraordinaire que la qualité de l'auteur.

OBSERVATIONS METEOROLOGIQUES. L'état de l'air, les différens changemens qui arrivent dans l'athmosphere, les météores, la température & la constitution des saisons, sont en général le sujet de ces observations. Le physicien y trouve un objet intéressant de curiosité, de recherches & d'instruction, & elles sont ou peuvent être pour le médecin attentif une source féconde de lumiere dans la connoissance & même la curation de bien des maladies, & surtout des épidémiques. Ce n'est point notre but ni notre dessein de faire voir combien la Physique doit à ces observations, de combien de faits précieux & satisfaisans elle s'est enrichie par-là ; plusieurs physiciens ont écrit sur cette matiere. On trouve d'excellens mémoires là-dessus dans la collection de ceux de l'académie royale des Sciences. Voyez d'ailleurs dans ce Dictionnaire les articles AIR, ATHMOSPHERE, AURORE BOREALE, CHALEUR, FROID, METEORE, PLUIE, TONNERRE, VENT, &c. Physique.

Quant à leur utilité en Médecine, il sera facile de s'en appercevoir, si l'on fait attention que nous vivons dans l'air, que ce fluide pénetre par bien des endroits toutes les parties du corps ; qu'il est un principe de vie & de santé lorsqu'il est bien constitué, & qu'il doit en conséquence devenir nécessairement un principe de maladie lorsqu'il y a quelque changement subit dans sa température, ou qu'il éprouve une altération considérable. Combien de maladies n'observe-t-on pas tous les jours qui doivent évidemment leur origine à un air vicieux, trop chaud, trop froid, sec ou pluvieux (voyez AIR, CHALEUR, FROID, &c.), combien qui dépendent d'un vice inconnu, indéterminé de l'athmosphere ? J'ai démontré par un grand nombre d'observations, que l'état particulier de l'air dans les voisinages de la mer, des étangs, des marais, étoit la principale & presque l'unique cause des fievres intermittentes, Mémoire lu à la société royale des Sciences année 1759. Les maladies épidémiques sont évidemment dûes à quelque vice de l'air. On ne peut, dit Hippocrate, recourir qu'à des causes générales communes à tout le monde (& par conséquent qu'à l'air), pour la production des maladies qui attaquent indifféremment tous les sexes, tous les âges & toutes les conditions, quoique la façon de vivre soit aussi variée qu'il y a d'états différens. C'est aussi dans ces maladies que les Medecins se sont particulierement attachés à ces observations : nous en trouvons le premier exemple dans Hippocrate, qui, avant d'entrer dans le détail des maladies qui ont regné pendant la constitution qu'il va décrire, donne une idée exacte, souvent très-étendue, de l'état de l'air, des saisons, des vents, des pluies, des chaleurs ou des froids qui ont regné. Il a été suivi en cela par Sydenham & les autres auteurs qui ont écrit des maladies épidémiques. Il est très-important de remarquer la température des saisons : on ne sauroit croire jusqu'à quel point elles influent sur les maladies, sur leur genie & sur leur curation. Les maladies qui viendront à la suite d'un été très-chaud, demanderont souvent une autre méthode curative que ces mêmes maladies précédées d'un été tempéré ou pluvieux. J'ai fait principalement cette observation sur les diarrhées & les dyssenteries, qui sont pour l'ordinaire assez fréquentes sur la fin de l'été. Lorsque les chaleurs avoient été douces, modérées par les pluies, & les fruits d'été en conséquence peu murs, aqueux ou glaireux, l'hypécacuana donné dans les dyssenteries les dissipoit avec une extrême promptitude, & comme par enchantement ; lorsqu'au contraire l'été avoit été sec & brûlant, & les fruits mûrs, vifs & spiritueux, tous les dyssenteriques auxquels on ordonnoit inconsidérément l'hypécacuana, mouroient en peu de tems, victimes de cette aveugle & dangereuse routine. Les rafraîchissemens mucilagineux, anti-phlogistiques étoient beaucoup plus efficaces. Voyez SAISONS. Hippocrate ne se contente pas de décrire les maladies propres à chaque saison, il a poussé ses observations assez loin pour pouvoir déterminer les accidens qui sont à craindre lorsque deux ou trois saisons ont été de telle ou telle température. Destitué des instrumens de physique imaginés & exécutés depuis peu, qui sont extrêmement propres à mesurer les différentes altérations de l'athmosphere, il n'y employoit que l'usage de ses sens, & il les appliquoit bien sans se perdre dans les questions inutiles à la Médecine, savoir si l'ascension du mercure dans le barometre est dûe à la gravité ou à l'élasticité de l'air, si elle présage de la pluie ou du vent ; il se contentoit d'observer ces effets & de les décrire. Cependant on ne sauroit disconvenir qu'avec l'aide de ces instrumens, ces observations ne soient devenues plus faciles & moins équivoques : nous connoissons même plus sûrement avec le thermometre les différens degrés de chaleur ; l'hygrometre sert à marquer l'humidité de l'air ; le barometre est une mesure qui me paroît assez suspecte & très-peu nécessaire, car la pluie & le vent ne demandent pour être observés que l'usage des sens ; la girouette bien mobile & située sur un toît ou un clocher bien élevé, sert à déterminer la direction des vents. Il y a quelques machines propres à en évaluer la force, mais elles sont fautives & très-peu d'usage, & ne valent jamais, comme l'a remarqué M. Jurin, le simple usage des sens. On se sert aussi, pour savoir la quantité de pluie tombée dans un mois ou un an, d'un vaisseau cubique ou cylindrique élevé & placé dans un endroit isolé dont on connoît exactement la capacité, & qui est divisé en pouces & en lignes ; & pour éviter dans ce cas toute erreur que pourroit introduire l'évaporation, il faut avoir soin ou de mesurer tous les jours, ou de prendre des précautions pour empêcher l'eau tombée de s'évaporer. Voyez tous ces articles particuliers.

L'observateur muni de tous ces instrumens, peut les consulter à différentes heures de la journée : il y en a d'assez patiens, d'assez scrupuleux pour ne pas laisser passer une ou deux heures sans aller examiner les variations qui peuvent être arrivées dans l'état de leurs mesures. Ces détails minutieux peuvent avoir quelqu'utilité en Physique ; mais pour l'usage medicinal, trois observations par jour sur le thermometre, savoir le matin, à midi & le soir, autant ou même moins sur le barometre & l'hygrometre, sont très-suffisantes. Du reste, on ne peut donner là-dessus aucune regle rigoureuse ; les changemens considérables qu'on peut appercevoir, doivent décider dans bien des cas. On a construit des tables suivant lesquelles on peut disposer les observations qu'on aura faites : l'académie royale des Sciences fait imprimer tous les ans un livre intitulé la connoissance des tems, où l'on trouvera une table commode pour ces observations. La société des medecins d'Edimbourg a regardé ces observations comme un objet intéressant, digne de l'application de ses membres. A la tête de chaque volume qu'elle donne au public, on voit une table très-exacte des observations météorologiques, & une description assez détaillée des maladies qui ont regné pendant ce tems ; & on a fait fort judicieusement précéder ces observations d'une description de la ville d'Edimbourg qui a paru, disent les éditeurs, nécessaire, parce que sa situation & d'autres particularités peuvent influer sur la disposition de l'air ou occasionner des maladies. Essais & observat. tom. I. préface. L'auteur du journal de Medecine a rendu cet ouvrage plus intéressant & plus utile, en y joignant aussi des observations météorologiques faites sur le plan de celles d'Edimbourg, & suivies d'un exposé trop court des maladies épidémiques, & auxquelles il manque la description ou la carte topographique de Paris & des environs, avec une notice des vents les moins salutaires. Recueil périodique d 'observations de Medecine, &c. Janvier 1757, tom. VI. & suiv.

La table dont se servent les medecins d'Edimbourg est composée de huit colomnes ; la premiere contient le jour du mois, dont le nom est mis au-dessus de la table ; la seconde les heures ; la troisieme le barometre ; la quatrieme le thermometre, la cinquieme le hygroscope ; la sixieme la direction & la force du vent ; la septieme les variations du tems ; la huitieme enfin, la quantité de pluie tombée dans le vaisseau. Nous transportons ici, pour donner une idée plus claire de cette table, les premieres lignes qui renferment les observations faites le premier de Juin 1731.

Juin 1731.

Les observations que nous venons de proposer ne peuvent nous instruire que des qualités physiques de l'athmosphere. Il y a lieu de croire qu'il ne seroit pas moins important de connoître la nature des corps hétérogenes, des miasmes vicieux qui la remplissent & l'infectent. Les observations & les expériences chimiques sont les seuls moyens que nous ayons pour parvenir à cette connoissance : déjà elles nous ont appris qu'un acide universel étoit répandu dans l'air, que cet acide étoit le vitriolique, & qu'il étoit plus abondant dans certains pays, comme dans les montagnes des Pyrénées ; que sur les côtes de la mer l'acide marin domine ; que les mouffetes devoient leurs mauvais effets le plus souvent à une surabondance d'acide sulphureux, volatil, constaté par la noirceur de l'argent & du verre de Saturne, &c. On pourroit s'assurer encore mieux & plus utilement de l'état de l'air dans les maladies épidémiques, si on analysoit la pluie, la grêle, la rosée, la neige, &c. si on exprimoit des linges imbibés de ces eaux dans quelque liqueur ; si on exposoit à l'air des fils de soie teints de différentes couleurs. Les Chimistes connoissent que l'air est infecté de miasmes arsénicaux, lorsqu'ils voient les métaux des mines voisines devenir friables & s'en aller en poussiere, & le cuivre acquérir l'éclat de l'argent. Nous proposons ces vûes, que nous présumons pouvoir être utiles à quelque chimiste éclairé qui veuille bien sacrifier une partie de son tems à l'intérêt public : il en résulteroit de-là une nouvelle preuve des avantages que la Medecine même pratique peut tirer de la chimie bien dirigée. M. Broussonnet, illustre medecin de Montpellier, a répondu d'une maniere très-satisfaisante à cette belle question, qui lui fut proposée avec plusieurs autres aussi intéressantes, lors de la dispute d'une chaire dans l'université de Montpellier en 1759, savoir si on peut par les moyens chimiques découvrir les différens états de l'air, & de nuisible le rendre salutaire. L'extrême briéveté du tems accordé dans ces sortes d'occasions, ne l'a pas empêché de discuter savamment & de résoudre exactement ces deux questions. On peut voir le recueil de ses theses, imprimé à Montpellier en 1759 ; l'on ne s'appercevra pas en les lisant qu'elles ont été composées & imprimées, suivant l'usage, en moins de douze jours.

Enfin, pour complete r les observations météorologiques, il me paroît qu'on devroit avoir égard à l'état du ciel, y joindre quelques observations astronomiques : l'influence des astres est une question qui a eu assez de célébrité chez les anciens pour mériter d'être vérifiée. Plusieurs célebres medecins modernes y sont revenus (voyez cet article au mot INFLUENCE), & nous avons prouvé qu'il y avoit assez de réel dans cette prétention pour faire soupçonner qu'il peut y avoir de l'utile, & qu'il ne manque pour l'en retirer que des observations bien suivies. Hippocrate a recommandé & cultivé lui-même ce genre d'observations ; il marque soigneusement au commencement des épidémies, l'état du ciel tel qu'il le connoissoit, le lieu du soleil, la situation des pleïades, de l'arcture, &c. voyez INFLUENCE. Les observations, aujourd'hui que l'Astronomie a été si perfectionnée, sont devenues plus faciles à faire, peuvent être plus sûres & plus détaillées : on pourroit marquer les heures du lever & du coucher du soleil, son lieu dans le ciel, les phases de la lune, les éclipses, la situation & les conjonctions des planetes, &c. il faudroit ensuite comparer ces observations avec celles qu'on feroit sur les maladies ; & quand on en auroit rassemblé un assez grand nombre, on verroit si elles sont contraires ou favorables aux opinions des anciens, si elles confirment ou détruisent leurs prétentions, & l'on se déclareroit conséquemment avec connoissance de cause ou contr'eux ou en leur faveur.

OBSERVATIONS THERAPEUTIQUES, elles ont pour objet l'effet des différens secours tirés de la diete, de la Chirurgie & de la Pharmacie, sur la marche & la guérison des maladies, & pour but ou pour avantage, la connoissance des cas où il faut les employer, & la maniere dont on doit les varier ; la superstition, les préjugés, l'ignorance, l'enthousiasme, la théorisomanie & l'intérêt même ont presque toujours présidé aux observations qui se sont faites sur les remedes, & plus particulierement sur ceux que la Pharmacie fournit, qu'on appelle plus strictement médicamens. Les premiers médecins observateurs, qui étoient des prêtres d'Esculape, attribuoient tous les bons effets qui résultoient de l'application des remedes, à l'opération secrette du dieu dont ils étoient les ministres, guidés en cela par l'intérêt qui leur revenoit de la grande célébrité de leur dieu, & par une aveugle superstition, causes qui ne sont pas sans exemples : par ce moyen on n'avoit aucune observation assurée sur l'effet d'un remede. Quelque tems après l'ignorance & les erreurs dominantes couvrirent les vertus des médicamens sous le voile épais & mystérieux de la magie ; un faux genre d'analogie tiré de la couleur, de la figure, de la dureté de quelques médicamens, leur fit attribuer des vertus spécifiques ; l'esprit prévenu supposa des observations, defigura ou altéra les faits qui se présentoient. Lorsqu'on fut ou qu'on crut être plus éclairé, on s'avisa de raisonner sur les remedes, sur le méchanisme de leur action, & on donna pour des observations les théories les plus absurdes & les moins vraisemblables ; le défaut d'une regle sûre pour évaluer l'effet des remedes, fit tomber les plus prudens dans l'erreur, & donna lieu à une foule d'observations erronnées, quoique fideles en apparence ; parce qu'on attribua à l'effet d'un remede donné, les changemens qui étoient la suite ordinaire de la marche de la maladie ; on regarda certains remedes comme curatifs dans bien des maladies, qu'ils n'auroient pas manqué d'aigrir, s'ils avoient eu quelque efficacité ; c'est ainsi qu'on a vanté la saignée & les purgatifs dans la guérison des fievres inflammatoires & putrides, où ils auroient produit des mauvais effets ; ils en avoient produit quelqu'un, ils avoient été assez forts pour n'être pas indifférens : & nous voyons dans une foule d'observations des guérisons attribuées à ces sortes de remedes, parce qu'elles sont venues à la suite ; on donnoit dans cette mauvaise & pernicieuse Logique, post hoc ergo propter hoc, axiome dont l'usage a été souvent renouvellé par les ignorans & les fripons ; enfin l'espece de fureur avec laquelle on s'est porté à tous les remedes nouvellement découverts, a beaucoup nui à ce genre d'observations ; on les a regardés & donnés comme des remedes merveilleux, polychrestes, pour des panacées infaillibles ; & ce n'est pas seulement en Médecine qu'on a vu cet acharnement & cette confiance démesurée pour le nouveau : quid in miraculo non est, a dit Pline, ubi primum in notitiam venit ? La confiance avec laquelle les malades prenoient ces remedes a, dans les premiers momens, beaucoup contribué à faire naître & à favoriser l'illusion : c'est une des meilleures dispositions pour aider à la vertu des remedes, & qui quelquefois seule suffit pour guérir. Aussi a-t-on vu constamment les remedes faire plus de bien dans les commencemens qu'après quelque tems ; on a vu aussi quelquefois les meilleurs remedes & les plus indifférens, & même les mauvais, avoir dans les momens d'un enthousiasme à-peu-près les mêmes succès ; mais avec le tems la confiance diminue, l'illusion cesse, les masques tombent, les mauvais remedes sont proscrits, & les bons restent & s'accréditent. Ainsi pour faire des observations justes, il faut attendre que ce tems de vogue ait passé. Un des grands défauts de ces observations, c'est de ne contenir que les bons effets d'un remede : l'histoire des événemens fâcheux qui en seroient la suite, auroit bien plus d'utilité ; on pourroit y ajouter celle des précautions qu'il faut prendre dans leur usage. Presque tous les auteurs qui ont écrit sur un remede particulier en font des éloges outrés. M. Geoffroy a donné dans ce défaut ; quoiqu'il ait entrepris un traité général de matiere médicale, il semble à chaque article n'être occupé que d'un seul remede, & que ce remede soit découvert depuis peu, tant il est prodigue en éloges ; il n'y en a presque point qui ne possede toutes sortes de vertus. Nous aurions besoin d'une histoire critique de tous les médicamens, semblable à celle que Tralles a donnée sur les terreux dans son examen rigoureux, &c. M. Bordeu, dans ses recherches sur le pouls, a indiqué quelques moyens de reconnoître par le pouls l'effet de plusieurs remedes, & de distinguer ceux qui sont efficaces d'avec ceux qui sont indifférens. Les regles & les observations qu'il donne là-dessus méritent par leur utilité d'être vérifiées & plus étendues. Le chapitre xxxiv. de son excellent ouvrage doit être sur-tout consulté. Cette méthode, pour évaluer l'effet des remedes, est bien sûre & bien lumineuse pour un observateur éclairé. (m)


OBSERVATOIRES. m. (Astron.) lieu destiné pour observer les mouvemens des corps célestes ; c'est un bâtiment qui est ordinairement fait en forme de tour, élevé sur une hauteur, & couvert d'une terrasse, pour y faire des observations astronomiques.

Les observatoires les plus célebres sont, 1°. l'observatoire de Greenwich, que Chambers, comme écrivain anglois, cite le premier, quoiqu'il ne soit pas le plus ancien. Cet observatoire fur bâti en 1676 par ordre du roi Charles II. à la priere de MM. Jonas Moor & Christophe Wren, & pourvu par ce roi de toutes sortes d'instrumens très-exacts, principalement d'un beau sextant de 7 piés de rayon, & de télescopes.

Le premier qui fut chargé d'observer à Greenwich, fut M. Flamsteed, astronome, qui, selon l'expression de M. Halley, sembloit né pour un pareil travail. En effet, il y observa pendant plusieurs années, avec une assiduité infatigable, tous les mouvemens des planetes, principalement ceux de la Lune, qu'on l'avoit principalement chargé de suivre ; afin que par le moyen d'une nouvelle théorie de cette planete, qui feroit connoître toutes ses irrégularités, on pût déterminer la longitude.

En l'année 1690, ayant fait dresser lui-même un arc mural de 7 piés de diametre, exactement situé dans le plan méridien, il commença à vérifier son catalogue des étoiles fixes, que jusqu'alors il n'avoit dressé que sur les distances des étoiles mesurées avec le sextant : il se proposoit de déterminer de nouveau la position de ces étoiles par une méthode nouvelle & fort différente ; cette méthode consistoit à prendre la hauteur méridienne de chaque étoile, & le moment de sa culmination, ou son ascension droite & sa déclinaison. Voyez ETOILE.

Flamsteed prit tant de goût pour son nouvel instrument qu'il abandonna presqu'entierement l'usage du sextant. Telle fut l'occupation de cet astronome durant 30 ans ; pendant tout ce tems il ne fit rien paroître qui répondit à tant de dépenses & d'apprêts ; desorte que ses observations paroissent avoir été plutôt faites pour lui & pour quelques amis, que pour le public : cependant il étoit certain que les observations qu'il avoit faites étoient en très-grand nombre, & qu'il avoit laissé une prodigieuse quantité de papiers.

C'est ce qui engagea le prince George de Danemarck, époux de la reine Anne, à nommer en 1704, un certain nombre de membres de la société royale, savoir MM. Wren, Newton, Gregory, Arbuthnot, pour examiner les papiers de Flamsteed, & en extraire tout ce qu'ils jugeroient digne d'être imprimé, se proposant de le faire paroître à ses dépens ; mais le protecteur de cet ouvrage étant mort avant que l'impression fût à moitié, elle fut interrompue pendant quelque tems, jusqu'à ce qu'enfin elle fut reprise par l'ordre de la reine Anne, qui chargea le docteur Arbuthnot de veiller à l'impression, & le docteur Halley de corriger & de fournir la copie.

Ainsi parut enfin l'histoire céleste, dont la principale partie contient un catalogue des étoiles fixes, autrement appellé le catalogue de Greenwich. Voyez ÉTOILE & ASTRONOMIE.

La latitude de l'observatoire de Greenwich a été déterminée par des observations très-exactes, de 51d. 28'. 30''. nord.

Après la mort de Flamsteed, sa place fut donnée au célebre M. Halley : elle fut demandée pour lui au feu roi George par les comtes de Macclesfield, chancelier d'Angleterre, & de Sunderland, secrétaire d'état, qui l'obtinrent sur le champ. C'est-là que M. Halley a observé le ciel jusqu'en 1740 ; & qu'il a rassemblé entr'autres une très-grande suite d'observations sur les lieux de la Lune, pour les comparer avec ses calculs, & pour réduire enfin à quelque loi le cours bizarre de cet astre. Voyez LUNE.

M. Halley étant mort en 1742, on lui a donné pour successeur le celebre M. Bradley son ami, si connu par sa belle découverte de l'aberration des étoiles fixes, & par celle de la nutation de l'axe de la Terre. Voyez ABERRATION & NUTATION. L'astronome de Greenwich, qui a le titre d'astronome de sa majesté britannique, est presque le seul savant en Angleterre qui soit pensionné par le gouvernement ; cependant cette nation n'en cultive pas moins les sciences : ce qui prouve à l'honneur des lettres, que ce ne sont pas toujours les récompenses qui en hâtent le succès.

2°. Le deuxieme observatoire célebre, & qui a même la primauté d'existence sur celui de Greenwich, est celui de Paris, bâti par ordre de Louis XIV. au bout du fauxbourg S. Jacques. Il fut commencé en 1664, & achevé en 1672. C'est un fort beau bâtiment, mais d'une architecture singuliere ; les desseins en ont été donnés par Cl. Perrault ; mais les mémoires de Ch. Perrault son frere, imprimés en 1759, nous apprennent que ces desseins n'ont pas été suivis en tout, & on n'en a pas mieux fait. L'observatoire de Paris a 80 piés de haut, & une terrasse au-dessus. C'est-là qu'ont travaillé M. de la Hire, M. Cassini, &c. Sa différence en longitude d'avec l'observatoire de Greenwich est de 20. 2'. vers l'ouest.

Dans l'observatoire de Paris il y a une cave à 170 piés de profondeur, destinée aux expériences qui doivent être faites loin du Soleil, & principalement à celles qui ont rapport aux congélations, réfrigérations, &c.

Il y a dans cette même cave un ancien thermometre de M. de la Hire, qui se soutient toujours dans la même hauteur ; ce qui prouve que la température y est toujours la même. Elle est taillée dans le roc, & l'on y voit les pierres couvertes d'une eau qui à la longue se pétrifie : sur quoi voyez STALACTITE & LABYRINTHE DE CANDIE. Depuis le haut de la plate-forme jusqu'en bas de la cave, il y a une espece de puits dont on s'est servi autrefois pour les expériences de la chûte des corps. Ce puits est une espece de long tuyau de lunette, par lequel on voit les étoiles en plein midi. L'observatoire est garni d'une prodigieuse quantité d'instrumens pour servir aux observations astronomiques. On y a tracé aussi avec beaucoup de soin une méridienne, sur laquelle sont tracés les signes du zodiaque avec leurs divisions. Par malheur ce bâtiment tombe en ruine dans le tems où nous écrivons, & la plûpart de nos astronomes ne l'habitent plus. Il seroit à souhaiter néanmoins qu'on ne laissât pas dépérir un pareil monument.

3°. Le troisieme observatoire célebre, est celui de Tycho-brahé, qui étoit dans la petite île de Ween, ou l'île Scarlet, entre les côtes de Schonen & de Zélande, dans la mer Baltique. Cet astronome avoit fait élever ce bâtiment, & l'avoit fourni d'instrumens à ses dépens, il lui donna le nom d'Uranibourg, & il y passa 20 ans à observer : ses observations produisirent son catalogue & plusieurs autres découvertes utiles à l'Astronomie. Voyez ÉTOILE.

M. Gordon remarque dans les Transactions philosophiques, que l'endroit où étoit l'observatoire de Tycho, n'étoit pas des plus commodes pour certaines observations, principalement pour celles des levers & des couchers, attendu qu'il étoit trop bas, & n'avoit de vue que par trois côtés, & que l'horison n'en étoit pas uni. On trouvera à l'article URANIBOURG un plus grand détail sur cet observatoire.

Enfin le quatrieme observatoire est celui de Pekin. Le pere le Comte nous fait la description d'un grand & magnifique édifice qu'un des derniers empereurs de la Chine a fait élever dans cette capitale, à la priere de quelques jésuites astronomes, principalement du pere Verbiest, que l'empereur fit le premier astronome de cet observatoire.

Les instrumens en sont prodigieusement grands, mais ils sont moins exacts par leurs divisions, & moins commodes que ceux des Européens. Les principaux sont une sphere zodiacale armillaire, c'est-à-dire, dont les poles sont ceux du zodiaque, de 6 piés de diametre ; une sphere équinoxiale, c'est-à-dire, dont les poles sont ceux de l'équateur, de 6 piés de diametre ; un horison azimuthal, de 6 piés de diametre ; un grand quart-de-cercle de 6 piés de rayon ; un sextant, de 8 piés de rayon, & un globe céleste, de 6 piés de diametre. Chambers. (O)

OBSERVATOIRE DE GREENWICH, (Hist. Astr. mod.) c'est une rodomontade d'un étranger établi à Londres, qui a occasionné la belle fondation de l'observatoire de Greenwich. En voici l'histoire qui est fort plaisante.

Le sieur de Saint-Pierre, françois de nation, qui avoit quelque légere connoissance de l'Astronomie, & qui s'étoit acquis la faveur de la duchesse de Portsmouth, ne proposa pas moins que la découverte des longitudes. Il obtint du roi Charles II. une espece de commission à milord Brouncker, aux docteurs Setward, évêque de Salisbury, Christophle Wren, aux chevaliers Charles Scarborough, Jonas Moore, au colonel Titus, au docteur Pell, au chevalier Robert Murray, à M. Hooke, & à quelques autres savans de la ville & de la cour, d'écouter ses propositions, avec le pouvoir de recevoir parmi eux les autres habiles gens qu'ils jugeroient à propos, & ordre de donner leur avis là-dessus au roi. Le chevalier Jonas Moore mena N. Flamsteed dans leurs assemblées, où il fut choisi pour être de leur compagnie.

On lut ensuite les propositions du françois, qui étoient les suivantes : I. Avoir l'année & le jour des observations ; II. la hauteur de deux étoiles, & savoir de quel côté du méridien elles paroissent ; III. la hauteur des deux limbes de la Lune ; IV. la hauteur du pole, le tout en degrés & minutes.

Il étoit aisé de voir, par ces demandes, que le sieur de Saint-Pierre ignoroit que les meilleures tables lunaires different du ciel ; & par conséquent, que ce qu'il demandoit, ne suffisoit pas pour déterminer la longitude du lieu où ces observations auroient été faites ou se feroient, par rapport à celui pour lequel les tables lunaires étoient faites. C'est ce que M. Flamsteed représenta sur le champ à la compagnie. Mais ces messieurs faisant réflexion sur le crédit que la protectrice du sieur de Saint-Pierre avoit à la cour, souhaiterent qu'on lui fournît ce qu'il demandoit. M. Flamsteed s'en chargea, & ayant trouvé le véritable lieu de la Lune par des observations faites à Derby le 23 Février 1673, & le 12 Novembre de la même année, il donna au sieur de Saint-Pierre des observations telles qu'il les demandoit. Comme il avoit cru qu'on ne pourroit pas les lui fournir, il dit qu'elles étoient supposées.

M. Flamsteed les délivra au docteur Pelle le 19 Février 167 4/5 ; & celui-ci lui ayant rendu réponse quelque tems après, M. Flamsteed écrivit une lettre aux commissaires en Anglois, & une autre en latin au sieur de Saint-Pierre, pour l'assurer que les observations n'étoient point supposées, & pour lui prouver, que, quand même elles le seroient, si nous avions seulement des tables astronomiques qui puissent nous donner le véritable lieu des étoiles fixes, tant en longitude qu'en latitude, à moins d'une demi-minute près, nous pourrions espérer de trouver la longitude des lieux, par des observations lunaires, quoique différentes de celles qu'il demandoit ; mais que tant s'en falloit que nous eussions le véritable lieu des étoiles fixes, que les catalogues de Tycho-Brahé erroient souvent de dix minutes & plus ; qu'ils étoient incertains jusqu'à trois ou quatre minutes, parce que Ticho supposoit une fausse obliquité de l'écliptique ; &c. que les meilleures tables lunaires différoient d'un 1/4, sinon d'un 1/3 d'un degré du ciel ; & enfin qu'il auroit pu apprendre de meilleures méthodes de Morin son compatriote, qu'il auroit dû consulter avant que de s'avancer à faire des demandes de cette nature.

M. Flamsteed n'entendit plus parler du sieur de Saint-Pierre après cela ; mais il apprit que ses lettres ayant été montrées au roi Charles II, ce prince avoit été surpris de ce qu'il assuroit que les lieux des étoiles fixes étoient marqués faussement dans les catalogues, & avoit dit avec quelque vivacité " qu'il vouloit qu'on les observât de nouveau, qu'on les examinât, & qu'on les corrigeât pour l'usage de ses mariniers. "

On lui représenta qu'on auroit besoin d'un bon corps d'observations pour corriger les mouvemens de la Lune & des planetes, il repondit avec le même feu, qu'il vouloit que cela se fît ; & comme on lui demanda qui feroit, ou pourroit faire ces observations, il répliqua, " le même homme qui vous en fait connoître la nécessité. " Ce fut alors que M. Flamsteed fut nommé astronome du roi, avec 100 liv. sterlings d'appointement, & il reçut en même tems des assurances qu'on lui fourniroit de plus tout ce qui pourroit être nécessaire pour avancer l'ouvrage.

On pensa donc sans délai au lieu où l'on feroit l'observatoire. On en proposa plusieurs, comme Hyde-Park, & le college de Chelsea. M. Flamsteed vint visiter les ruines de ce dernier ; & jugea qu'on pourroit s'y établir, d'autant plus qu'il seroit proche de la cour. Le chevalier Moore panchoit pour Hyde-Park ; mais le docteur Christophle Wren ayant parlé de Greenwich, on se détermina pour ce dernier endroit. Le roi accorda 500 liv. sterlings en argent, avec des briques de Tilbury-Fort, où il y en avoit un magasin ; il donna aussi du bois, du fer, & du plomb ; & il promit de fournir tout ce qui seroit nécessaire d'ailleurs. Enfin le 10 Août 1675 on posa les fondemens de l'observatoire royal de Greenwich, & il fut achevé très-promptement.

La différence du méridien de l'observatoire de Greenwich à celui de l'observatoire de Paris (qui fut bâti en 1665), est de 2. 1. 15. occid. La latitude de l'observatoire de Greenwich est 51. 28. 30. (D.J.)


OBSERVER(Critiq. sacr.) Ce mot signifie épier, prendre garde à quelque chose. Job, xxiv. 15. L'adultere qui a peur d'être reconnu, observe à ne marcher que dans l'obscurité. Observer la bouche de quelqu'un c'est épier ses paroles pour le surprendre ; observer la bouche du roi, os regis observare, Ecclés. viij. 2. c'est garder ses commandemens. Seigneur, si vous entrez dans un examen rigoureux de nos fautes : si iniquitates observaveris, qui pourra soutenir votre jugement ? dit David, ps. cxxix. 3. (D.J.)


OBSESSIONOBSESSION

Il faut mettre au rang des obsessions ce que le 1er. liv. des Rois, c. xvj. v. 23. raconte de Saül qui de tems en tems étoit agité du mauvais esprit ; de même que ce qui est rapporté dans le livre de Tobie du démon Asmodée qui faisoit mourir tous les maris qui vouloient approcher de Sara, fille de Raguel. Ce mauvais esprit obsédoit proprement cette jeune fille ; mais il n'exerçoit sa malice que contre ceux qui vouloient l'épouser. Il est aussi fort probable que ceux dont il est parlé dans S. Matthieu, c. iv. 24. & c. xvij. 14, & qui étoient principalement tourmentés pendant les lunaisons, étoient plutôt obsédés que possédés.

On regarde à bon droit, tant les obsessions que les possessions du demon, comme des punitions de la justice de Dieu, envoyées ou pour punir des péchés commis, ou pour s'être livré au démon, ou pour exercer la vertu & la patience des gens de bien ; car on sait qu'il y a des personnes obsédées, qui ont vécu d'une maniere très-innocente aux yeux des hommes.

Les marques de l'obsession sont, d'être élevé en l'air, & ensuite d'être rejetté contre terre avec force, sans être blessé ; de parler des langues étrangeres, qu'on n'a jamais apprises ; de ne pouvoir dans l'état de l'obsession, s'approcher des choses saintes, ni des Sacremens ; d'en avoir de l'aversion, jusqu'à n'en pouvoir entendre parler ; de connoître & de prédire des choses cachées, & de faire des choses qui surpassent les forces ordinaires de la personne ; si elle dit ou fait des choses qu'elle n'oseroit ni faire ni dire, si elle n'y étoit poussée d'ailleurs, & si les dispositions de son corps, de sa santé, de son tempérament, de ses inclinations, &c. n'ont nulle proportion naturelle à ce qu'on lui voit faire par la force de l'obsession ; si les meilleurs remedes n'y font rien ; si le malade fait des contorsions de membres extraordinaires, & que ses membres après cela se remettent dans leur état naturel sans violence & sans effort, tous ces symptomes ou une partie d'entr'eux peuvent faire juger qu'une personne est réellement obsédée du démon.

L'Eglise ne prescrit point d'autres remedes contre ces sortes de maux que la priere, les bonnes oeuvres, les exorcismes ; mais elle ne condamne pas les moyens naturels que l'on peut employer pour calmer les humeurs & diminuer les mauvaises dispositions du corps du malade, par exemple, la mélancolie, la tristesse, les humeurs noires, la bile, le défaut de transpiration, l'obstruction de certaines parties, & tout ce qui peut corrompre ou épaissir ou aigrir le sang & les humeurs. Aussi voyons-nous que Saül étoit notablement soulagé dans les accès de son mal par le son des instrumens de musique que David touchoit devant lui. On a d'autres expériences de pareilles guérisons opérées par des herbes, des fumigations, des essences. Calmet, Dictionn. de la Bible.


OBSIDIENNEPIERRE, (Hist. nat.) lapis obsidianus ou marmor obsidianum ; nom donné par Théophraste, par Pline & les anciens naturalistes à un marbre noir, très-dur & prenant un très-beau poli. Ils le tiroient de la haute Egypte & d'Ethiopie ; on en trouvoit aussi, suivant Pline, aux Indes, en Italie & en Espagne. On prétend qu'il se trouve en France, dans le Roussillon, des fragmens d'une pierre noire & luisante, qu'on regarde comme de la même nature que la pierre obsidienne, mais les carrieres n'en sont point ouvertes. Les anciens, à cause du beau poli que prend ce marbre, en faisoient des miroirs de réfléxion. Saumaise & M. Hill croient qu'obsidianus est venu par corruption du mot grec , la vûe. Quelques auteurs ont regardé cette pierre comme la vraie pierre-de-touche. Voyez TOUCHE PIERRE DE. (-)


OBSIDIONALECOURONNE, (Antiq. rom.) Cette couronne s'accordoit pour récompense à celui qui avoit obligé les ennemis de lever le siege d'une ville ou d'un camp, qu'ils assiégeoient : elle n'étoit composée que de gazon, pris dans le lieu même d'où l'on avoit fait lever le siege. Pline, liv. XXII. c. iv, dit que cette couronne, toute méprisable qu'elle étoit en apparence, se préféroit à toutes les autres couronnes, quelque précieuses qu'elles fussent ; parce que les troupes la donnoient au général qui les avoit délivrées, & que les autres couronnes étoient distribuées par le général aux soldats, ou par les soldats à leurs camarades. (D.J.)

OBSIDIONALE, (Monnoie) On appelle ainsi des pieces de monnoie frappées dans une ville assiégée, pour suppléer pendant le siege, au défaut ou à la rareté des especes.

Ce mot est dérivé du latin obsidio qui signifie siege d'une place de guerre. L'usage de frapper des monnoies particulieres, qui pendant le siege ont cours dans les villes assiégées, doit être fort ancien, dit M. de Boze, puisque c'est la nécessité qui l'a introduit. En effet, ces pieces étant alors reçues dans le commerce pour un prix infiniment au-dessus de leur valeur intrinseque, c'est une grande ressource pour les commandans, pour les magistrats, & même pour les habitans de la ville assiégée.

Ces sortes de monnoies se sentent ordinairement de la calamité qui les a produites : elles sont d'un mauvais métal & d'une fabrique grossiere. Il y en a de rondes, d'ovales, de quarrées, d'autres en losange, & d'autres en octogone, en triangle, &c. leur type & leurs inscriptions n'ont pas des regles plus certaines. Les unes sont marquées des deux côtés, mais cela est rare ; d'autres n'ont qu'une seule marque. On y trouve quelquefois le nom de la ville assiégée ou ses armes, ou celles du souverain, ou celles du gouverneur, avec le millésime, & d'autres chiffres qui dénotent la valeur de la piece.

Les plus anciennes monnoies obsidionales qu'on connoisse, ont été frappées en Italie au commencement du xvj. siecle, aux sieges de Pavie & de Cremone, sous François I. On en frappa depuis à Vienne assiégée par Soliman, & à Nicosie en Chypre assiégée par les Turcs en 1570.

Dans les guerres des Pays-bas, après leur révolte contre l'Espagne, on en frappa à Harlem, à Leyde, à Middelbourg, &c. Celle de Campen en 1578, est marquée des deux côtés, & porte dans l'un & dans l'autre, le nom de la ville, le millésime, la note de la valeur de la piece, & au-dessus ces deux mots extremum subsidium, ce qui revient assez au nom de pieces de nécessité qu'on leur donne en Allemagne.

Au reste, ce ne sont pas proprement des monnoies autorisées par la loi & l'usage ; elles en tiennent lieu à la vérité pendant quelque tems ; mais au fond on ne doit les regarder que comme des especes de mereaux, ou de gages publics de la foi & des obligations contractées par le gouverneur ou par les magistrats dans des tems aussi difficiles que ceux d'un siege.

Elles peuvent donc être marquées du nom & des armes d'un gouverneur ; mais il seroit plus convenable d'y mettre le nom du prince, comme firent deux gouverneurs d'Aire, l'un espagnol, l'autre françois, qui firent mettre le nom de Louis XIII. & celui de Philippe IV. sur la monnoie qu'ils firent frapper dans cette ville pendant les deux différens sieges qu'elle soutint en 1641. Il faut se donner de garde de confondre ce qu'on appelle monnoie obsidionale avec les médailles frappées à l'occasion d'un siege, de ses divers évenemens, ou de la prise d'une ville. Mém. de l'acad. des Bell. Lettr. tom. I.


OBSIGNATION(Hist. anc.) obsignatio, scel. On se servoit de cire & d'un cachet pour sceller. Dans les premiers tems, au lieu du cachet, c'étoit un morceau de bois pourri. On scelloit les portes, les armoires, les coffres, les effets des absens, ceux des criminels en fuite, les lettres, les papiers, les actes, les obligations, les testamens, &c.


OBSTACLES. m. (Méchan.) On appelle ainsi en Physique, tout ce qui résiste à une puissance qui le presse. L'effet d'une puissance qui presse un obstacle, l'impulsion par laquelle cet obstacle passe d'un lieu dans un autre, en cas qu'il puisse être mu par la puissance qui le presse.

L'effet d'une puissance qui presse, est momentané. Si l'effet continue, il est composé de diverses pressions qui se succedent, & qui ont toutes produit leur effet dans un moment indivisible : elles se suivent l'une l'autre comme les momens du tems, qui se succedent les uns aux autres sans aucune interruption : par conséquent un effet simple d'une puissance qui presse, dépend d'une action momentanée ; mais un effet continu dépend de l'action continuée d'une puissance : nous ne traiterons ici que de l'action d'une puissance qui presse, laquelle se fait dans chaque moment indivisible.

L'action d'une pression qui pousse un obstacle, peut différer, tant à l'égard de la grandeur de l'obstacle que par rapport à la vîtesse avec laquelle il est mu : par conséquent on peut découvrir l'action d'une puissance par la grandeur de l'obstacle en mouvement, & par la vîtesse avec laquelle l'obstacle est mu. Pour estimer la grandeur d'une pression, il faut en comparer deux l'une avec l'autre : ces deux pressions peuvent alors agir sur des obstacles égaux ou inégaux ; elles peuvent les mouvoir avec une vîtesse égale ou inégale. Si deux pressions poussent deux obstacles égaux, & avec une égale vîtesse ; les actions de ces pressions seront égales, si deux pressions poussent des obstacles inégaux avec une égale vîtesse, leurs actions seront en raison des grandeurs des obstacles.

L'action momentanée d'une puissance dépend de la grandeur de l'obstacle ; desorte que l'action est d'autant plus grande que l'obstacle est plus grand, ou qu'il fait plus de résistance. Or comme la grandeur d'un obstacle peut varier infiniment, l'action momentanée d'une puissance peut aussi varier infiniment.

Voici quelques propositions qui suivent des principes exposés dans cet article. Si deux puissances poussent deux obstacles égaux, mais avec une vîtesse inégale, leurs actions seront en raison des vîtesses. Si deux obstacles de grandeur inégale sont mus avec des vîtesses inégales, les actions des puissances qui pressent, seront en raison composée, tant des vîtesses que des grandeurs des obstacles. Si les actions des deux puissances sont égales, & les obstacles inégaux, les grandeurs des obstacles seront en raison renversée des vîtesses ; & si les grandeurs des obstacles sont en raison renversée des vîtesses, les puissances seront égales. Si l'on divise les actions de deux puissances par les grandeurs des obstacles qui sont poussés, on aura leurs vîtesses : si l'on divise ces mêmes actions par les vîtesses des obstacles, on aura les grandeurs des obstacles. Enfin, si deux puissances qui agissent également fort, se pressent l'une l'autre avec une direction opposée, elles resteront toutes deux dans la même place ; & elles anéantiront leurs pressions mutuelles, tandis qu'elles se presseront. Voyez Musschenbroeck, Essai de Phys. §. 145 & suiv. Article de M. FORMEY. Voyez FORCE & PERCUSSION, & les autres articles épars dans cet ouvrage, & relatifs à la masse, à la vîtesse & au mouvement.

OBSTACLE, (Jurisprud.) dans certaines coutumes, signifie saisie & empêchement, & singulierement la saisie censuelle que le seigneur fait des fruits.

Dans la coutume d'Orléans, art. 103, le seigneur de censive pour les arrérages de son cens, & son défaut, & droits censuels, peut empêcher & obstacler l'héritage tenu de lui à cens, si c'est maison, par obstacle & barreau mis à l'huis, & si c'est terre labourable ou vigne, par brandon mis ès fruits ; les auteurs des notes sur cette coutume observent que dans l'usage on fait mention dans le procès-verbal de saisie de cette apposition de barreaux & brandons, mais qu'on n'en appose point.

La coutume d'Orléans, art. 125, porte aussi que pour être payé des relevoisons à plaisir & arrérages de cens, & d'un défaut qui en seroient dûs, le seigneur censier peut obstacler & barrer l'héritage qui doit lesdites relevoisons jusqu'à payement desdites relevoisons, cens, & un défaut ou provision de justice ; mais la coutume ajoute que le seigneur censier ne peut procéder par obstacle que quinze jours après la mutation, ni enlever les huis & fenêtres obstaclés que huit jours après l'obstacle fait.

Les auteurs des notes observent que ce droit d'enlever les portes & fenêtres est particulier à ces censives ; que par ce terme enlever on entend les ôter de dessus leurs gonds & les mettre en-travers, mais que cet enlevement se pratique peu. Voyez la coutume d'Orléans avec les notes de Fornier, & les nouvelles notes. (A)


OBSTINATIONS. f. (Gramm.) volonté permanente de faire quelque chose de déraisonnable. L'obstination est un vice qui tient au caractere naturel & au défaut de connoissances. Si on se donnoit le tems d'entendre, de regarder & de voir, on se départiroit d'un projet insensé ; on ne formeroit pas ce projet si l'on étoit plus éclairé. Il y a des hommes qui voyent moins d'inconvénient à faire le mal qu'à revenir sur leurs pas. On dit que la fortune s'obstine à poursuivre un homme, qu'il ne faut pas obstiner les enfans ; en ce sens, obstiner signifie s'opposer à leurs volontés sans aucun motif raisonnable.


OBSTRUANS(Médecine) ce sont des remedes qui incrassent & épaississent les humeurs trop subtiles, & qui les arrêtent ; tels sont les narcotiques & les astringens.

Tous les emplâtres, les onguens & les onctueux, sont en cette qualité bons pour attirer la suppuration, parce qu'en fermant les pores ils empêchent la transpiration de la partie, & sont cause que la résolution qui d'ailleurs n'étoit pas possible ne se faisant point, la matiere engorgée fermente, se broie, se divise & devient plus âcre, consomme les parties solides & les vaisseaux qui la contenoient par sa corrosion, & par-là devient une cause de la suppuration. Les suppuratifs sont donc des remedes obstruans. Voyez AGGLUTINATIFS, SARCOTIQUES, SUPPURATIFS.


OBSTRUCTION(Médecine) L'obstruction est une obturation de canal qui empêche l'entrée du liquide vital, sain ou morbifique, qui doit y passer, & qui a pour cause la disproportion qui se trouve entre la masse du liquide, & le diamêtre du vaisseau.

Elle vient donc de l'étroite capacité du vaisseau, de la grandeur de la masse qui doit y passer, ou du concours des deux. Un vaisseau se rétrécit, quand il est extérieurement comprimé par sa propre contraction, ou par l'épaississement de ses membranes. La masse des molécules s'augmente par la viscosité du fluide, ou par le vice du lieu où il coule, & par ces deux causes à la fois, lorsque les causes de l'un & de l'autre mal concourent ensemble.

Les vaisseaux sont extérieurement comprimés, 1°. par une tumeur voisine pléthorique, inflammatoire, purulente, skirrheuse, chancreuse, oedémateuse, empoulée, variqueuse, anévrismale, topheuse, pituiteuse, calculeuse, calleuse : 2°. par la fracture, la luxation, la distorsion, la distraction des parties dures qui compriment les vaisseaux qui sont des parties molles : 3°. par toute cause qui tiraille trop & allonge les vaisseaux, soit une tumeur, soit la pression d'une partie dérangée de sa place, soit l'action d'une force externe : 4°. par des vêtemens étroits, par des bandages, par le poids du corps tranquillement couché sur une partie, par le frottement, par le travail.

La cavité d'un vaisseau se retrécit, quand sa propre contraction, celle des fibres longitudinales, & principalement de ses fibres spirales, augmente. Cette contraction a pour cause 1°. tout ce qui augmente le ressort des fibres, des vaisseaux & des visceres ; 2°. la trop grande plénitude des petits vaisseaux qui forment les parois & la cavité des grands ; 3°. la diminution de la cause qui dilatoit les vaisseaux, soit que ce fût l'inaction ou l'inanition. C'est pourquoi les vaisseaux coupés retiennent bien-tôt leurs liquides.

L'augmentation de l'épaisseur des membranes mêmes du vaisseau, vient 1°. de toute tumeur qui se forme dans les vaisseaux qui composent ces membranes ; 2°. de callosités membraneuses, cartilagineuses, osseuses qui s'y forment.

La masse des parties fluides s'augmente jusqu'au point de devenir imméable, 1°. lorsque leur figure sphérique se change en une autre qui présente plus de surface à l'ouverture du vaisseau ; ou 2°. lorsque plusieurs particules qui étoient auparavant séparées se réunissent en une seule petite masse. Ce changement de figure arrive principalement lorsque les molécules fluides n'étant plus également ni en même tems pressées de toutes parts, sont abandonnées à leur propre ressort, c'est-à-dire, lorsque le mouvement languit, ou que le tissu du vaisseau est relâché, ou que la quantité du fluide est diminuée.

L'union des molécules vient du repos, du froid, de la gelée, du desséchement, de la chaleur, de la violence de la circulation, & de la forte pression du vaisseau, de coagulans acides, austeres, spiritueux, absorbans, de matieres visqueuses, huileuses.

Les parties d'un fluide deviennent imméables par le vice du lieu où il coule, lorsqu'elles ont été poussées avec force dans un vaisseau dilaté vers sa base & trop étroit vers son extrêmité, dans laquelle elles ne peuvent finir leur circulation. La pléthore, l'augmentation du mouvement, la raréfaction des liqueurs, le relâchement du vaisseau, sont les principales causes de cette dilatation, sur-tout lorsqu'elles sont immédiatement suivies des causes contraires.

On connoît par-là les causes & la nature de toutes sortes d'obstructions.

Quand elles se trouvent formées dans un corps vivant, elles s'opposent au passage des humeurs qui y doivent couler, elles arrêtent tout ce qui vient heurter contr'elles, elles en reçoivent l'effort, expriment les parties les plus subtiles, réunissent les plus épaisses, distendent les vaisseaux, les dilatent, les atténuent, les brisent, condensent le fluide dont elles causent la stagnation, suppriment les fonctions qui dépendent de l'intégrité de la circulation, désemplissent & desséchent les vaisseaux qui en doivent être arrosés, diminuent la capacité qui leur est nécessaire pour transmettre les liqueurs, augmentent la quantité & la vélocité des liqueurs dans les vaisseaux libres, & produisent enfin tous les maux qui en peuvent dépendre.

Ces effets se manifestent différemment selon la différente nature du vaisseau obstrué, & de la matiere de l'obstruction.

Elle produit une inflammation du premier genre dans les arteres sanguines, une autre du second genre dans les arteres lymphatiques, un oedeme dans les grands vaisseaux lymphatiques, des douleurs sans tumeur apparente dans les petits ; d'autres effets dans les conduits adipeux, osseux, médullaires, nerveux, biliaires.

Celui qui connoîtra bien le siege, la nature, la matiere, les causes, les effets des différentes obstructions, ne se trompera point aux signes qui manifestent l'obstruction, à ceux qui font prévoir celle qui doit arriver, & ses effets. Toutes les especes de ce mal étant connues, il ne sera pas difficile de trouver la cure propre à chacune.

En effet, celle qui vient d'une compression externe, indique la nécessité d'ôter la cause de cette compression ; &, si la chose est possible, on emploiera la maniere d'y parvenir qui sera indiquée dans la suite.

L'obstruction qui vient de l'augmentation de la contraction des fibres se connoît non-seulement par les signes de la rigidité des fibres des vaisseaux, des visceres, mais encore par les signes clairs de sa cause.

Cette obstruction se dissipe 1°. par les remedes propres à corriger la trop grande rigidité des fibres, des vaisseaux : 2°. principalement, si on peut les appliquer à la partie même affectée sous la forme de vapeurs, de fomentations, de bains, de linimens, de clysteres : 3°. en désemplissant les vaisseaux trop pleins par des évacuans en général, mais sur-tout par des laxatifs, des délayans, des dissolvans, des atténuans, des détersifs, des purgatifs : 4°. par des médicamens qui ont la vertu de fondre les callosités. Mais il est bien rare que l'on guérisse, si on le fait jamais, l'obstruction qui naît de cette cause dans la vieillesse. Les meilleurs remedes sont les émolliens & les relâchans. Tant il est vrai que la mort est inévitable, & qu'il est très-difficile de se procurer une vie longue par le secours de la Médecine.

La difficulté qu'ont les fluides à passer par les vaisseaux, laquelle vient de ce qu'ils ont perdu leur figure sphérique, se fait aisément connoître par l'examen de ses causes ; car elles sont ordinairement sensibles. L'on y remédie en rétablissant cette figure, c'est-à-dire, en augmentant le mouvement des liqueurs dans les vaisseaux & dans les visceres par les irritans, les fortifians, l'exercice.

Quant aux concrétions du sang, elles se forment par tant de causes différentes qu'elles exigent divers remedes, ou diverses méthodes selon la circonstance. C'est cette variété soigneusement recherchée en chaque maladie, qui indique les secours nécessaires & la maniere de s'en servir. Cependant on les guérit en général par le mouvement réciproque du vaisseau ; 2°. par les délayans ; 3°. en y portant une liqueur fluide qui attenue la matiere par son mêlange & son mouvement ; 4°. en faisant cesser la cause coagulante.

On donne du ressort aux vaisseaux 1°. en diminuant leur tension par la saignée ; 2°. par les fortifians ; 3°. par le frottement & l'action des muscles ; 4°. par les irritans.

L'eau délaye sur-tout si on la prend chaude en boisson, en injection, sous la forme de fomentations ou de vapeurs déterminées vers le siege de la concrétion ; les attractifs, dérivatifs, propulsifs sont bons aussi à cet usage.

Les atténuans sont 1°. l'eau ; 2°. le sel marin, le sel gemme, le sel ammoniac, le sel de nitre, le borax, le sel fixe alkali, volatil ; 3°. les savons faits d'alkali & d'huile, naturels, composés, fuligineux, volatils, fixes, la bile ; 4°. les préparations mercurielles qu'on détermine vers la partie affectée par des dérivatifs, des attractifs, des propulsifs. On détruit la cause coagulante en la faisant passer dans une autre qui l'attire. C'est ainsi que les alkalis absorbent les acides, les huiles, &c. & c'est principalement par des expériences chimiques qu'on fait ces découvertes.

Lorsqu'un fluide qui a été poussé dans des lieux étrangers y devient impénétrable, & forme par-là des obstructions, plusieurs maladies malignes s'ensuivent ; c'est pourquoi ce genre de mal mérite d'être examiné attentivement.

On le connoît, lorsqu'on sait 1°. qu'il a été précédé de ses causes qu'il est ordinairement assez aisé d'observer ; 2°. que des causes contraires leur ont ensuite succédé ; 3°. enfin, quand on voit clairement ses effets, il est assez facile d'en prévoir les suites.

La cure consiste 1°. à faire rétrograder la matiere de l'obstruction dans de plus grands vaisseaux ; 2°. à la résoudre ; 3°. à relâcher les vaisseaux ; 4°. à la faire suppurer.

Ce mouvement de rétrogradation se procure 1°. en évacuant par de grandes & subites saignées les liqueurs qui, par leurs mouvemens, forçoient la matiere de s'engager davantage, &, par ce moyen, le vaisseau à force de se contracter, la fait rétrograder ; 2°. par des frictions faites de l'extrêmité du vaisseau vers sa base.

Tel est le systême de Boerhaave sur l'obstruction ; il est le premier médecin qui ait donné des idées claires & de vrais principes sur cette maladie. (D.J.)


OBTEMPÉRERv. n. (Gramm. & Jurisprud.) c'est la même chose qu'obéir ; on dit obtempérer à un commandement ; obtempérer à un ordre, à une loi.


OBTENIRv. act. (Gramm.) est relatif à solliciter. J'ai obtenu du roi la grace que je sollicitois. Il y a des occasions où l'importunité supplée au mérite, & où l'on obtient presqu'aussi sûrement de la lassitude des grands que de leur bienveillance & de leur justice. Et puis, le moyen de ne pas imaginer que celui qui s'obstine à demander, n'ait quelque droit d'obtenir ?

OBTENIR d'un cheval, (Maréchal) c'est venir à bout de lui faire faire ce qu'il refusoit auparavant.


OBTRINCESIMAE-OPPIDO(Géog. anc.) c'est ainsi qu'on lit dans un passage d'Ammien-Marcellin, liv. XX. ch. viij. mais MM. de Valois ne doutent point qu'il ne faille lire Tricesimae-Oppido, & que ce ne soit la même ville que Colonia Trajana, ainsi nommée du séjour de la légion tricesima. (D.J.)


OBTURATEURTRICE, adj. en Anatomie, se dit de certaines parties relatives à l'ouverture du trou ovalaire de l'os des îles, dont quelques-unes le ferment.

Le muscle obturateur interne est attaché à presque toute la circonférence interne du trou ovalaire : toutes ses fibres se réunissent en un fort tendon qui se glisse dans une sinuosité, située entre l'épine & la tubérosité de l'ischium, & va se terminer en passant entre les deux jumeaux avec lesquels il se confine dans la cavité du grand trochanter.

L'obturateur externe vient de la partie antérieure & inférieure de la circonférence externe du trou ovale, & se termine à la partie inférieure de la cavité du grand trochanter.

Le nerf obturateur est formé par des rameaux de la seconde, troisieme & quatrieme paires lombaires ; il sort du bas-ventre par la partie supérieure des muscles obturateurs & du trou ovalaire de l'os innominé ; il donne en sortant plusieurs filets à ces muscles & aux autres muscles voisins.

Le ligament obturateur est un composé de plusieurs fibres ligamenteuses qui se croisent différemment, & qui ferment le trou ovale de l'os des hanches, en laissant des petits intervalles, sur-tout à la partie supérieure, pour le passage de l'artere, de la veine & du nerf.

OBTURATEUR, instrument de chirurgie destiné à boucher un trou contre nature à la voûte du palais. Les plaies d'armes à feu ou d'autres causes extérieures peuvent causer une déperdition de substance à la voûte du palais : elle arrive plus communément par la carie des os & les ulcères que causent le virus vénérien ou le scorbut.

Lorsqu'une ouverture établit contre l'ordre naturel une communication entre les fosses nasales & la bouche, les personnes ne peuvent presque plus se faire entendre en parlant, parce que l'air qui doit former le son de la voix s'échappe par la breche de la voûte du palais, & la déglutition est fort difficile, parce que les alimens que le mouvement de la langue doit porter dans l'arriere-bouche, passent en partie par le nez.

Le traitement le plus méthodique des causes virulentes qui ont occasionné la maladie, l'exfoliation parfaite des os viciés ou l'extraction des esquilles dans les fracas de la voûte du palais par cause extérieure, laissent un vice d'organisation auquel il faut suppléer par une machine qui empêche les inconvéniens que nous venons de décrire. On y réussit par l'application d'une plaque d'argent ou d'or assez mince, qui a un peu plus d'étendue que l'ouverture qu'elle doit boucher. Cette plaque doit être légérement convexe du côté de la voûte du palais, & un peu concave du côté qui regarde la langue. Toute la difficulté est de contenir cette plaque. Ambroise Paré a donné la description des obturateurs du palais, qu'il a imaginés & appliqués avec succès. Du milieu de la surface supérieure de la plaque obturatrice s'élevent deux tiges d'argent plates & élastiques, destinées à embrasser une petite éponge. Elle est portée dans le nez par l'ouverture du palais ; & les humidités du nez gonflant l'éponge, l'instrument est retenu en situation.

M. de Garengeot dans son traité des instrumens de chirurgie ; donne la description d'un autre obturateur. Voyez Planche XXIII. figures 4 & 5. Du milieu de la convexité de la plaque s'éleve une tige haute de huit lignes, & d'une ligne & demie de diamêtre. Elle se termine à son sommet par une petite vis haute de deux lignes ; un petit écrou quarré, de trois lignes de diamêtre en tout sens, est la seconde piece de l'obturateur. Pour s'en servir, on prend une éponge coupée de façon qu'elle ait une surface plate ; avec des ciseaux on donne au reste la figure d'un demi globe, qu'on enfile par le milieu avec la tige de l'instrument, & on fixe l'éponge par le moyen de l'écrou. On trempe l'éponge dans quelque liqueur ; on l'exprime bien ensuite, & on l'introduit avec la tige dans le trou de la voûte du palais.

L'expérience a démontré que l'éponge, par son gonflement, ne retenoit pas l'obturateur avec assez de stabilité, & qu'elle avoit en outre un inconvénient très-désagréable ; c'est de contracter dès le premier jour une odeur insupportable. On doit donc les construire sans éponge ; Ambroise Paré même en a fait graver qui sont retenues dans le nez au moyen d'une plaque qu'on tourne avec un bec de corbin. Cette plaque est comme une traverse ou un verrou dans la fosse nasale. Fauchard, dans son traité du chirurgien dentiste, décrit cinq especes d'obturateurs, qui sont des machines plus ou moins compliquées, & qui, dans certains cas, peuvent avoir leur utilité : mais M. Bourdet, dentiste de la reine, dans un traité qui a pour titre : recherches & observations sur toutes les parties de l'art du dentiste, vient de donner de très-bonnes remarques sur l'usage des obturateurs du palais. Il trouve que dans la plûpart des cas, on fait très-mal de se servir d'un obturateur avec une tige qui passe par le trou de la voûte du palais, parce que cette tige est un corps étranger qui empêche la réunion des parties, lesquelles sont susceptibles de se rapprocher peu-à-peu, & de fermer enfin à la longue le trou qu'un instrument mal construit entretient constamment. On a vu en effet au bout de six mois ou d'un an, plusieurs breches de palais absolument fermées par l'extension des parties molles. Dans cette vue, il faut se contenter d'une plaque, avec deux branches assez étendues pour être attachées avec des fils d'or à une dent de chaque côté. Cette espece d'obturateur remplit parfaitement les intentions qu'on a dans l'usage de cet instrument, & il ne met aucun obstacle au rapprochement des parties qui peuvent diminuer considérablement l'ouverture & même la boucher entierement.

Dans le cas où la partie de l'os maxillaire détruite avoit des alvéoles & portoit des dents, il faut que l'obturateur soit en même tems dentier. On trouve des machines ingénieusement imaginées pour ce cas dans le chirurgien dentiste de Fauchard. Voyez aussi dans le livre cité de M. Bourdet, l'article des palais artificiels ou obturateurs. (Y)


OBTURATIONterme de Chirurgie, qui se dit de la maniere dont les ouvertures se bouchent. La voûte du palais est sujette à être trouée contre l'ordre naturel : on y remedie par l'application d'un instrument. Voyez OBTURATEUR.

On a mis en question utile pour la pratique de savoir comment se referment les ouvertures du crane après l'opération du trépan. Ambroise Paré parle de certains abuseurs qui trompoient les malades, en leur demandant une piece d'or, qu'ils tailloient de la figure convenable à la perte de substance du crane, & qui faisoient croire qu'ils la mettoient au lieu & place de l'os. Ce grand chirurgien pense que la breche de l'os est irréparable ; & les observations les plus exactes sur cet objet font voir que le trou du trépan se bouche par une substance membraneuse, fournie par la dure mere, à laquelle se joignent les bourgeons charnus qui naissent du diploé dans toute la circonférence du trou, & que les tégumens fortifient. Cette espece de tampon calleux, formé de la substance préexistante de toutes les parties qui ont contribué à le produire, a été pris pour une substance nouvelle, une génération particuliere, parce que cette production ressemble à une corne naissante par sa couleur & sa consistance. Dans les grandes déperditions de substance, la dure mere produit des bourgeons charnus, qui, en se dessechant de la circonférence de la plaie vers le centre, deviennent assez fermes pour mettre le cerveau en sureté. On sent le mouvement du cerveau au-travers de cette membrane. Pour éviter les injures extérieures, on doit faire porter aux personnes qui sont dans ce cas une calotte. M. de la Peyronie a vu des inconvéniens d'une calotte d'argent : elle s'échauffe & devient fort incommode. Ambroise Paré a fait porter une calotte de cuir bouilli à un homme, pour mettre la cicatrice en sureté, jusqu'à ce qu'elle fût devenue assez ferme. Il y auroit de la prudence à ne jamais être au moins sans une calotte de carton, après la cure des plaies où l'on a perdu une partie d'os du crane. On peut tenir pour suspecte l'observation d'un auteur, qui dit que pour suppléer à une grande partie du pariétal, on appliqua une plaque d'argent percée de plusieurs trous, à-travers desquels les chairs se joignirent par-dessus la plaque, qu'elles enfermerent. On ajoute qu'on sentoit cette plaque & ses trous, lorsqu'on portoit le doigt sur la cicatrice.

Belloste loue beaucoup dans son traité intitulé le chirurgien d'hôpital, un instrument de son invention pour boucher le trou du crane d'un pansement à l'autre. C'est une plaque de plomb percée de plusieurs trous, pour laisser suinter les matieres purulentes, & qui retient le cerveau très-disposé en certaines occasions à faire hernie par l'ouverture. Mais si l'on fait attention que souvent c'est une excroissance fongueuse de la tumeur qu'on prend pour une hernie du cerveau, on concevra qu'une plaque de plomb ne peut qu'être préjudiciable, & qu'il faut attaquer l'excroissance par des cathéretiques capables de la détruire. En la contenant par la plaque de Belloste, on fait une compression sur le cerveau, dont il peut résulter des accidens. Si c'est la substance même du cerveau qui se tumefie, il faut remédier à cet accident par des saignées, qui diminuent le volume du sang, & l'action impulsive des vaisseaux. Il faut de plus se servir de remedes convenables. M. de la Peyronie a observé que l'usage de l'esprit-de-vin, qui s'oppose à la pourriture dans toutes les parties du corps, qui coagule la lymphe & excite la crispation des vaisseaux, produisoit des effets tout contraires au cerveau. Il rarefie sa substance ; & en lui faisant occuper plus de volume, il en favorise la dissolution putride. L'huile de térébenthine, ou le baume du commandeur, font sur le crane une espece de vernis, qui empêche l'action putréfiante de l'air ; & ces médicamens, en resserrant le tissu de ce viscere, répriment la force expansive qui lui vient de l'action de ses vaisseaux ; la saignée modere efficacement cette action. La plaque obturatrice de Belloste ne produit point ces effets salutaires. (Y)


OBTURATRICE(Anat.) l'artere obturatrice vient quelquefois de l'épigastrique, d'autres fois de l'hypogastrique : elle passe par la sinuosité qui s'observe à la partie supérieure du trou ovale des os des hanches, & se distribue dans toutes ces parties.


OBTUSadj. angle obtus en Géométrie est un angle de plus de 90 degrés, c'est-à-dire, qui contient plus d'un quart de cercle, ou qui est plus grand qu'un angle droit. Voyez ANGLE AIGU & DROIT.

OBTUSANGLE, adj. (Géom.) On appelle triangle obtusangle celui qui a un angle obtus. Voyez ANGLE & OBTUS.


OBULARIAS. f. (Botan.) nom donné par Linnaeus à un genre de plante, dont voici les caracteres. La fleur n'a point de calice, & est monopétale ; c'est un tube en forme de cloche, percé, dont le bord est divisé en quatre quartiers, plus courts que le tuyau. Les étamines sont quatre filets qui s'élevent des segmens de la fleur ; & deux de ces filets sont un peu plus courts que les deux autres. Les bossettes des étamines sont courtes ; le germe du pistil est ovale & applati ; le stile est cylindrique & de la longueur des étamines ; le stigma est oblong, fendu en deux & subsistant ; la capsule est d'une figure ovale comprimée, & renferme quantité de semences aussi menues que la poussiere. (D.J.)


OBULCON(Géog. anc.) en grec, , ville d'Espagne dans la Bétique, selon Ptolémée, lib. II. c. iv. Mariana croit que c'est présentement Porcuna, petite place entre Cordoue & Jaen. On y a trouvé une ancienne inscription rapportée dans le recueil de Gruter, où on lit, Ordo Pontificiensis Obulconensis. (D.J.)


OBUSHAUBITZ ou OBUSIER, c'est dans l'artillerie une espece de mortier, qui se tire horisontalement comme le mortier ordinaire, & qui a un affut à roues de même que le canon. Les Anglois & les Hollandois sont les inventeurs de ces sortes de pieces. Les premiers que l'on vit en France furent pris à la bataille de Nerwinde, que M. le maréchal de Luxembourg gagna sur les alliés en 1693. Outre 77 pieces de fonte qu'ils abandonnerent, on trouva deux obus anglois & six hollandois. Les obus anglois pesoient environ quinze cent livres, & les hollandois neuf cent. (q)


OBVIERv. neut. (Gram.) c'est prévenir, empêcher, aller au-devant. On crie sans cesse contre les formalités, & on ne sait pas à combien de maux elles obvient. Les enregistremens, par exemple, obvient presqu'à borner les actes de despotisme, que les ministres ne seroient que trop souvent tentés d'exercer sur les peuples au nom du souverain.


OBY(Géog.) grande riviere d'Asie. Elle prend sa source dans la grande Tartarie du lac Osero Teleskoi vers les 52 deg. de lat. L'Irtis se jette dans l'Oby, à 60 d. 40 m. de lat. ensuite elle tourne au nord, & va se décharger vers les 65 d. de lat. dans la Guba-Tassaukoya, par laquelle ses eaux sont portées dans la mer glaciale vers les 70 deg. de lat. après une course d'environ 400 lieues. Cette vaste riviere est extrêmement abondante en toutes sortes d'excellens poissons ; ses eaux sont blanches & légeres, & ses bords fort élevés sont par-tout couverts de forêts. On trouve sur ses rives des pierres fines, transparentes, rouges & blanches, dont les Russes font beaucoup de cas. Il n'y a point de villes sur les bords de cette riviere, mais seulement des bourgs, que les Russes y ont bâtis, depuis qu'ils possedent la Siberie. La source de l'Oby est à 160d. 12'. 45''. de long. & à 49d. 50'. de lat. (D.J.)


OCAS. f. (Gram. & Bot.) racine dont les Indiens occidentaux se servent au lieu de maïs dans les provinces où ce dernier ne vient point. L'oca est grosse & longue comme le pouce ; on la mange crue, & est douce au goût ; on la mange aussi crue, séchée au soleil. Elle s'appelle cavi.


OCAIGNEROCAIGNER


OCAK(Géog.) ville ruinée de la Tartarie, sur la rive occidentale du Wolga, & autrefois habitée par les Tartares nogais. (D.J.)


OCALÉE(Géog. anc.) en grec, , ancienne ville de Grece en Béotie, dont parle Homere, & dont Pline, l. IV. c. vij. met la situation sur la côte. Strabon nous apprend qu'elle étoit à distance égale, savoir à trente stades d'Haliarte & d'Alalcomene. (D.J.)


OCANA(Géog.) ville d'Espagne, dans la nouvelle Castille, dans une plaine qui abonde en tout ce qui est nécessaire à la vie, à 9 lieues de Madrid. Long. 14. 36. lat. 39. 56. (D.J.)


OCANGou OCANGA, (Géog.) petite contrée très-peu connue de l'Ethiopie occidentale, à l'orient du Congo, entre le Zaire au N. O. la Zambre au N. & le Coango.


OCCA(Géogr.) ce nom est commun à deux rivieres bien éloignées ; savoir, 1°. à une riviere d'Espagne dans la vieille Castille, qui prend sa source aux montagnes de Burgos, & qui se jette dans la mer au-dessous de Frias : 2°. Occa est une riviere de l'empire russien, qui a sa source dans l'Ukraine, & qui se perd dans le Wolga. (D.J.)


OCCABUSS. m. (Hist. anc.) terme d'inscription que M. de Bose croit être la même chose que le , & le des Grecs, qui répond au circulus ou à l'armilla des Romains ; & en ce cas l'occabus est un ornement de cou ou de bras, un collier ou un bracelet garni de pierres précieuses, & d'où pendoient quelques petites chaînes, que les sacrificateurs portoient dans les cérémonies éclatantes, & sur-tout dans celle du taurobole.


OCCASARY(Hist. mod.) c'est le titre que l'on donne dans le royaume de Bénin, en Afrique, au général en chef des forces de l'état. Quoique dans ce pays l'on ignore l'art de la guerre, la discipline des troupes est extrêmement sévere, & la moindre transgression est punie de mort.


OCCASES. m. (Astronom.) amplitude occase est la même chose qu'amplitude occidentale. Voyez AMPLITUDE.


OCCASIONS. f. (Gram.) moment propre par le concours de différentes circonstances pour agir ou parler avec succès. Je chercherai l'occasion de vous servir ; il a montré de la fermeté dans une occasion difficile ; fuyez l'occasion de faillir ; l'occasion fait le larron.

OCCASION, (Mythologie) les Grecs personnifierent l'Occasion, qu'ils nommerent , & qu'un poëte a dit être le plus jeune des fils de Jupiter. Les Eléens lui avoient érigé un autel. Les Romains en firent une déesse, parce qu'en latin son nom est féminin. On représentoit ordinairement cette divinité sous la figure d'une femme nue & chauve par derriere. Elle portoit un pié en l'air & l'autre sur une roue, tenant un rasoir de la main droite & un voile de la main gauche. Ausone l'a peinte ainsi dans une de ses épigrammes, & l'explication de ces symboles n'est pas difficile. (D.J.)


OCCIDENTS. m. (Astronom.) est la partie de l'horison où le soleil se couche, c'est-à-dire par laquelle le soleil paroit passer pour entrer dans l'hémisphere inférieur & pour se cacher. Voyez ORIENT.

Occident d'été, est le point de l'horison où le soleil se couche lorsqu'il entre dans le signe de l'écrevisse, & que les jours sont les plus longs.

Occident d'hiver, est le point de l'horison où le soleil se couche lorsqu'il entre dans le signe du capricorne, & que les jours sont les plus courts.

Occident équinoxial, est le point de l'horison où le soleil se couche lorsqu'il entre dans le bélier ou dans la balance ; l'occident équinoxial est proprement ce qu'on appelle couchant, parce que le point de l'occident équinoxial est également éloigné du midi & du nord. Voyez COUCHANT & HARRIS. (O)

OCCIDENT, dans la Géographie, s'applique aux pays qui sont situés au coucher du soleil par rapport à d'autres pays, c'est ainsi qu'on appelloit autrefois l'empire d'Allemagne l'empire d'occident par opposition à l'empire d'orient qui étoit celui de Constantinople. L'église romaine s'appelle l'église d'occident, par opposition à l'église grecque, &c. Les François, les Espagnols, les Italiens, &c. sont appellés des nations occidentales à l'égard des Asiatiques, & l'Amérique Indes occidentales à l'égard des Indes orientales. Chambers. (O)


OCCIDENTAL(Gnom.) se dit de tout ce qui a rapport à l'occident, qui est tourné vers l'occident, qui est à l'occident d'un lieu, &c. Voyez OCCIDENT.

Cadran occidental, est un cadran vertical dont la surface regarde directement le couchant. Voyez CADRAN.


OCCIPITALLE, adj. en Anatomie, qui appartient à l'occiput. Voyez OCCIPUT.

On divise l'os occipital en deux faces, une postérieure externe convexe, unie à la partie supérieure, inégale & raboteuse à la partie inférieure ; une antérieure interne concave & inégale.

On remarque à la partie moyenne de la face externe la protubérance ou bosse occipitale, sur les parties latérales de cette protubérance deux arcades transversales qui sont plus ou moins sensibles, au-dessous une ligne perpendiculaire appellée épine ou crête de l'occipital, qui divise la partie inférieure de la face externe, & les deux parties égales & symmétriques jusqu'au grand trou occipital, deux plans raboteux aux parties latérales de cette ligne, les deux condyles de l'occipital sur les parties latérales antérieures du grand trou occipital, deux fossettes condyloïdiennes antérieures, & deux trou ; condyloïdiens antérieurs à la partie antérieure de ces condyles ; deux fosses condyloïdiennes postérieures, & deux trous condyloïdiens postérieurs (ils ne s'y trouvent pas toujours) à leur partie postérieure ; l'apophyse basilaire ou l'apophyse cunéiforme, qui se termine antérieurement & inférieurement ; sur les parties latérales de cette apophyse une échancrure, qui avec celle de l'os des tempes, forme le trou déchiré postérieur. Voyez TROU DECHIRE, &c.

On voit dans la partie moyenne de la face interne un tubercule vis-à-vis la protubérance externe, à la partie supérieure de ce tubercule, & sur ses parties latérales une gouttiere, à sa partie inférieure une crête ou épine occipitale interne (c'est quelquefois une gouttiere) qui répond à l'épine externe ; cette épine & les trois gouttieres forment une espece de croix qui divise la face interne en quatre fosses, deux supérieures & deux inférieures, sur les parties latérales antérieures du grand trou occipital, les trous condyloïdiens antérieurs, sur l'apophyse basilaire, la fosse basilaire. Voyez CRETE, éPINE, &c.

Cet os est articulé avec les pariétaux, les temporaux, le sphénoïde, & la premiere vertebre du cou par ginglyme, il est composé de quatre pieces dans les enfans nouveaux nés ; mais ces pieces s'unissent avec le tems, & n'en forment plus qu'une.

Le sinus occipital postérieur de la dure-mere est quelquefois double & se trouve situé sur les parties latérales d'une espece de petite faux formée par la tente du cervelet tout le long de l'épine interne de l'os occipital ; ce sinus s'abouche avec les sinus occipitaux inférieurs.

Ces sinus forment en partie un sinus circulaire tout-au-tour du rebord supérieur du trou occipital ; ils s'appellent aussi sinus latéraux inférieurs.

L'artere occipitale vient de la carotide externe, elle passe obliquement sur la jugulaire interne, se glisse entre les apophyses stiloïde & mastoïde, & va se distribuer aux tégumens de l'occiput. Voyez OCCIPUT.

OCCIPITAUX, les muscles occipitaux sont au nombre de deux, un de chaque côté, situés obliquement de la partie externe à l'interne, de bas en haut sur l'occipital ; il s'attache par ses fibres charnues à la cime supérieure demi-circulaire de l'occipital, entre la tubérosité & la partie supérieure de l'apophyse mastoïde ; enfin lorsqu'il est parvenu vers la suture lambdoïde, ses fibres sont tendineuses, & vont s'entrelacer avec celles du côté opposé, celles des muscles frontaux, des eleveurs de l'oreille, & se perdent en partie à la peau, qu'ils tirent en haut lorsqu'ils agissent. Voyez nos Pl. anat. & leur explication.


OCCIPUTen Anatomie, la partie postérieure de la tête. Voyez TETE.


OCCITANIA(Géog. anc.) c'est le nom que quelques auteurs du moyen âge ont donné à la province du Languedoc ; mais ce nom étoit commun à tous les peuples qui disoient oc pour oui, c'est-à-dire, aux habitans de la Gascogne, de la Provence, du Dauphiné, ainsi que du Languedoc, dont le nom moderne a été formé. (D.J.)


OCCLIS(Géog. anc.) ancienne ville de l'Arabie heureuse, autrefois marchande, & port de mer fameux par le commerce des Indes ; mais ce n'est aujourd'hui qu'une aiguade. Ptolémée la met à 75d. de long. & à 12d. 30'. de lat. (D.J.)


OCCREL '(Géog.) petite riviere de France en Berry. Elle vient d'auprès de Cernoi, & tombe dans la Loire entre Gien & le canal de Briare. (D.J.)


OCCULTATIONS. f. (Astron.) se dit du tems pendant lequel une étoile ou une planete est cachée à notre vue par l'interposition du corps de la lune, ou de quelqu'autre planete. Voyez ECLIPSE.

Cercle d'occultation perpétuelle est dans la sphere oblique, un parallele aussi éloigné du pole abaissé, que le pole élevé est distant de l'horison.

Toutes les étoiles renfermées entre ce cercle & le pole abaissé, ne se levent jamais sur l'horison ; mais demeurent toujours au-dessous, &c. Ainsi, dans nos climats, toutes les étoiles qui sont à moins de 48°. 50'. de distance du pole austral ou méridional, ne peuvent jamais être vues sur notre horison. C'est ce qui obligea M. Halley de se transporter, en 1677, à l'île de Sainte Helene, pour donner un catalogue de ces étoiles. Voyez ÉTOILES, CIRCUMPOLAIRE, & CERCLE. (O)


OCCULTEse dit de quelque chose de secret, de caché, ou d'invisible. Les sciences occultes sont la Magie, la Nécromancie, la Cabale, &c. sciences toutes frivoles, & sans objets réels. Voyez MAGIE, CABALE, NECROMANCIE, &c.

Agrippa a fait plusieurs livres de philosophie occulte, remplis de folies & de réveries ; & Fludd a fait neuf volumes de cabale, ou science occulte, où presque tout est entortillé de figures & de caracteres hébreux. Voyez ROSECROIX.

Les anciens Philosophes attribuoient à des vertus, à des causes, à des qualités occultes les phénomenes dont ils ne sont pas capables de trouver la raison.

Si par ce mot de qualité occulte ces philosophes n'entendent autre chose, sinon une cause dont la nature & la maniere d'agir est inconnue ; il faut avouer que leur philosophie est, à plusieurs égards, plus sage que la notre. Voyez ATTRACTION & NEWTONIANISME.

OCCULTE, se dit en Géometrie d'une ligne qui s'apperçoit à peine, & qui a été tirée ou avec la pointe du compas, ou au craion.

Les lignes occultes sont fort en usage dans différentes opérations, comme quand on leve des plans, qu'on dessine un bâtiment, un morceau de perspective ; on efface ces lignes quand l'ouvrage est fini. Chambers. (E)

OCCULTE, couvé, se dit des maladies qui ne sont annoncées par aucun symptome avant de se manifester ; qui font sentir toute leur violence dès le premier abord, & dont le malade est accablé brusquement, & sans qu'on puisse lui reprocher d'y avoir donné lieu. Ces sortes de maladies sont causées, pour l'ordinaire, par la disposition pléthorique & cacochyme du malade, qui occasionne l'attaque subite par l'irruption de la matiere morbifique qui se fait tout-à-coup, soit sur un viscere, soit sur un nombre considérable de vaisseaux.


OCCUPANT(Jurisprud.) se dit d'un procureur constitué sur une cause, instance ou procès. Il ne peut pas y avoir deux procureurs occupans en même tems pour une même partie.

Premier occupant se dit de celui qui se saisit le premier d'une chose & qui s'en rend le maître. Les choses abandonnées sont au premier occupant. Voyez les institutes, liv. II. tit. premier, & ci-après OCCUPATION. (A)


OCCUPATIONS. f. figure de Rhétorique, qui consiste à prévenir une objection que l'on prévoit, en se la faisant à soi-même & en y répondant. M. Flechier a mis cette figure en usage dans cet endroit de l'oraison funebre de M. de Turenne. " Quoi donc n'y a-t-il point de valeur & de générosité chrétienne ? L'Ecriture qui commande de se sanctifier, ne nous apprend-elle pas que la piété n'est point incompatible avec les armes ?... Je sai, messieurs, que ce n'est pas en vain que les princes portent l'épée, que la force peut agir quand elle se trouve jointe avec l'équité, que le Dieu des armées préside à cette redoutable justice, que les souverains se font à eux-mêmes, que le droit des armes est nécessaire pour la conservation de la société, & que les guerres sont permises pour assurer la paix, pour protéger l'innocence, pour arrêter la malice qui se déborde, & pour retenir la cupidité dans les bornes de la justice. "

On nomme ainsi cette figure du mot latin occupare, occuper, s'emparer, parce qu'elle sert à s'emparer, pour ainsi dire, de l'esprit de l'auditeur. On l'appelle autrement préoccupation. Voyez PREOCCUPATION.

OCCUPATION, (Jurisprud.) signifie quelquefois habitation, c'est-à-dire, ce qu'un locataire occupe, & le tems qu'il a à garder les lieux. C'est ainsi que l'article 162 de la coutume de Paris porte : que s'il y a des sous-locatifs, leurs biens peuvent être pris pour le loyer & charge de bail, & néanmoins qu'ils leur seront rendus en payant le loyer pour leur occupation. (A)

Occupation est aussi un moyen d'acquérir du droit des gens, suivant lequel les choses appellées nullius, c'est-à-dire, qui n'ont point de maîtres, & les choses appartenantes aux ennemis sont au premier occupant.

Il y a, suivant le droit romain, cinq manieres d'acquérir ainsi par occupation ; savoir, venatus, la chasse aux bêtes fauves ; aucupium, qui est la chasse à l'oiseau ; piscatio, la pêche ; inventio, comme quand on trouve des perles sur le bord de la mer, des choses abandonnées, ou un trésor ; enfin, praeda bellica, c'est-à-dire, le butin que l'on fait sur les ennemis. Voyez les instit. liv. II. tit. 1.

Ces manieres d'acquérir n'ont pas toutes également lieu dans notre usage. Voyez CHASSE, PECHE, INVENTION, TRESOR, ENNEMIS, BUTIN. (A)


OCCURRENCES. f. (Gram.) il est synonyme à conjoncture ; il marque seulement un peu plus de hasard. S'il est prudent, il n'est pas toujours honnête de changer de conduite selon les occurrences.


OCÉANS. m. (Géog.) c'est cette immense étendue de mer qui embrasse les grands continens du globe que nous habitons. Les Grecs nous ont donné le mot Océan, , formé d', rapidement, & de , couler.

On dit la mer simplement pour signifier la vaste étendue d'eaux qui occupent une grande partie du globe. L'Océan a quelque chose de plus particulier, & se dit de la mer en général par opposition aux mers qui sont enfermées dans les terres. L'Océan n'environne pas moins le nouveau monde que l'ancien ; mais dans les mers resserrées dans de certains espaces de terre, le nom d'Océan ne convient plus.

L'Océan lui-même se partage en diverses mers, non qu'il soit divisé par aucune borne, comme les mers enfermées entre des rivages, & où l'on entre par quelques détroits, mais parce qu'une aussi grande étendue de mer que l'Océan est parcourue par des navigateurs qui ont besoin de distinguer en quel lieu ils se sont trouvés, on a imaginé des parties que l'on distingue par des noms plus particuliers.

Mais en général plusieurs géographes ont divisé l'Océan principal en quatre grandes parties, dont chacune est appellée aussi Océan, & qui répondent aux quatre continens ou grandes îles de la terre, telles sont :

1°. L'Océan atlantique, qui est situé entre la côte occidentale du vieux monde, & la côte orientale du nouveau. On l'appelle aussi Océan occidental, parce qu'il est à l'occident de l'Europe. L'équateur le divise en deux parties, dont l'une est contiguë à l'Océan hyperboréen, & l'autre à la mer Glacée ou mer Méridionale.

2°. L'Océan pacifique, ou grande mer du sud, qui est située entre la côte occidentale d'Asie & d'Amérique, & s'étend jusqu'à la Chine, & aux îles Philippines.

3°. L'Océan hyperboréen ou septentrional, qui environne le continent arctique.

4°. L'Océan méridional, qui regne autour du continent méridional, & dont l'Océan indien fait partie.

D'autres géographes divisent aussi l'Océan principal en quatre parties de la maniere suivante : l'Océan atlantique, selon eux, en fait une partie ; mais ils ne l'étendent pas au-delà de l'équateur, où ils font commencer l'Océan éthiopique. Ils comptent aussi avec nous l'Océan pacifique, & ils y ajoutent l'Océan indien. Mais nous avons plus d'égards dans notre division aux quatre grands continens. Quelques-uns ne le divisent qu'en trois parties ; savoir, l'atlantique, le pacifique & l'indien ; mais alors ils donnent plus d'étendue à l'Océan pacifique. Chacun peut s'attacher à la division qui lui semblera la meilleure ; cela n'est pas fort important ; car cette division n'est point faite par la nature même, c'est l'ouvrage de l'imagination seule.

L'Océan dans son étendue continuée environne toute la terre & toutes ses parties. Sa surface n'est interrompue nulle part par l'interposition de la terre ; il y a seulement des endroits où la communication ne se fait que par des trajets plus étroits.

La vérité de cette proposition ne peut se prouver que par l'expérience qu'on a acquise principalement en navigeant autour de la terre ; ce qui a été plusieurs fois entrepris & exécuté heureusement ; premierement par les Espagnols sous le capitaine Magellan, qui a découvert le premier le détroit auquel il a donné son nom ; ensuite par les Anglois, savoir, par François Drak, Thomas Cavendish & autres ; & postérieurement par les Hollandois, &c.

Les anciens n'ont jamais douté que l'Océan ne fût ainsi continué ; car ils supposoient que l'ancien monde étoit élevé au-dessus des eaux qui l'environnoient de toutes parts ; quelques uns même ont cru qu'il étoit flottant. Mais quand on eut découvert l'Amérique, qui a beaucoup d'étendue du nord au sud, & qui semble interrompre la continuité de l'Océan, & que l'on eût trouvé les continens arctique & antarctique ; alors on commença à changer de sentiment ; car on s'imagina que l'Amérique étoit jointe à quelque partie du continent méridional ; ce qui n'étoit pas sans vraisemblance, de même que la plûpart de nos géographes modernes supposent que l'Amérique méridionale est jointe au Groenland. Si ces deux conjectures eussent été justes, il s'en seroit suivi à la vérité que l'Océan n'environnoit pas toute la terre ; mais Magellan a levé tous les scrupules, & écarté tous les doutes à cet égard, en découvrant, en 1520, les détroits qui séparent l'Amérique d'avec le continent du sud, & qui joignent l'Océan atlantique avec la mer pacifique. Ainsi, ce que les anciens avoient supposé par une mauvaise forme de raisonner, l'expérience nous a démontré que c'est une vérité certaine. On en peut dire autant de l'Afrique ; car les Anciens supposoient sans hésiter qu'elle étoit bornée au sud par l'Océan, & qu'elle ne s'étendoit pas si loin au-delà de l'équateur, ce qui s'est trouvé exactement vrai ; mais quand les Portugais eurent navigé le long de la côte occidentale d'Afrique, & découvert qu'elle s'étendoit bien au-delà de l'équateur, on douta alors si on pourroit en faire le tour de maniere à pouvoir y trouver un passage pour aller aux Indes ; c'est-à-dire, si l'Afrique s'étendoit bien loin au midi, & si elle étoit entourée de l'Océan. Mais Vasco de Gama leva encore ce doute ; car, en 1497, il côtoya d'abord la partie la plus méridionale du promontoire d'Afrique, appellé le Cap de bonne espérance ; nom qui lui fut donné par Jean II. roi de Portugal, en 1494, lorsque Barthelemi Diaz, qui d'abord en revint, quoiqu'il n'eut pas doublé ce cap faute de provision, & à cause des temps orageux, lui eût donné une description détaillée de l'état tempestueux & orageux de la mer auprès de ce promontoire.

On fait bien des questions curieuses sur l'Océan ; nous n'en toucherons que quelques-unes d'entre celles que Varenius n'a pas dédaigné de résoudre. Les voici.

I. On recherche pourquoi l'Océan apperçu du rivage paroît s'élever à une grande hauteur, à mesure qu'il s'éloigne ?

Je réponds que c'est une erreur de la vue, ou pour parler plus exactement, une faute de calcul, qui a jetté bien des gens dans l'erreur, & leur a fait croire qu'en beaucoup d'endroits la mer est plus élevée de quelques stades que la terre. Mais il est bien surprenant que ces personnes n'aient jamais pensé à une expérience qu'on est à portée de faire tous les jours, & qui découvre aisément cette tromperie des sens. Quand nous regardons une longue allée d'arbres ou une rangée de colonnes, la partie la plus éloignée nous paroît toujours plus haute que celle qui est auprès de nous ; & toute l'allée semble s'élever petit-à-petit, à mesure que ses parties s'éloignent de nous, quoique réellement elle soit partout au même niveau : c'est ainsi que nous estimons aussi la hauteur de la mer ; car, si nous prenions un niveau, & que du rivage nous observassions les parties éloignées de la mer, nous ne les trouverions pas plus hautes que nous ; au contraire elles se trouveroient un peu plus basses que l'horison sur lequel nous sommes.

II. On demande si l'Océan est partout de la même hauteur ?

Il paroît que les différentes parties de l'Océan & les baies ouvertes sont toutes de la même hauteur ; mais les baies en longueur, & principalement celles que forment des détroits serrés, sont un peu plus basses, surtout à leurs extrêmités. Il seroit cependant à souhaiter que nous eussions des observations meilleures & plus exactes que celles qu'on a faites jusqu'à ce jour sur ce sujet. Il seroit desirable que ceux qui sont à portée de les faire, travaillassent à lever, s'il est possible, les doutes suivans : savoir, 1°. si l'Océan indien, pacifique & atlantique n'est pas plus bas que les deux autres ; 2°. si l'Océan septentrional auprès du pole, & sous la zone froide est plus élevé que l'atlantique ; 3°. si la mer rouge est plus haute que la Méditerranée ; 4°. si la mer pacifique est plus haute que la baie de Mexique ; 5°. si la mer baltique est aussi haute que l'Océan atlantique. Il faudroit encore observer ces différences dans la baie de Hudson, au détroit de Magellan, & dans d'autres endroits.

Le flux & reflux continuel de la mer, & les courans, font changer la face de l'Océan, & rendent les parties d'une hauteur différente dans différens tems : mais ce changement est opéré par des causes étrangeres, & nous n'examinons ici que la constitution naturelle de l'eau ; d'ailleurs, il ne paroît pas que ce changement de hauteur soit si sensible au milieu de l'Océan qu'auprès des côtes.

III. La profondeur de l'Océan n'est-elle pas variable, & telle dans quelques endroits qu'on n'en peut pas trouver le fond ?

La profondeur de l'Océan varie suivant que son lit est plus ou moins enfoncé ; on la trouve quelquefois de 1/10, 1/40, 1/20, 1/4, 1/2, &c. mille d'Allemagne, &c. Il y a des endroits où l'on trouve un mille & plus, & où la sonde ne se trouve pas communément assez longue pour atteindre au fond ; cependant il est assez vraisemblable que, même dans ce cas, le fond n'est pas aussi éloigné qu'on le croit, si ce n'est peut-être aux endroits où il se rencontre des trous extraordinaires, ou des passages souterrains.

La profondeur des baies n'est pas si grande que celle de l'Océan, & leurs lits sont d'autant moins creux, qu'ils se trouvent plus proches de la terre : par la même raison l'Océan n'est pas si profond auprès des côtes que plus avant, ce qui est occasionné par la figure concave de son lit.

Les marins trouvent la profondeur de la mer avec un plomb de figure pyramidale, & d'environ douze livres de pesanteur ; qu'ils attachent à une ligne de 200 perches de longueur ; quelquefois on prend un plomb plus pesant. Cependant ils peuvent bien être trompés dans cette observation lorsque la sonde est entraînée par un courant ou un tournant d'eau : car alors elle ne descend pas perpendiculairement, mais dans une direction oblique. Lorsque la profondeur est si grande que la sonde ne suffit pas pour y parvenir, on peut employer la méthode donnée par le docteur Hook dans les Transactions philosophiques, n°. 9.

Il paroît pourtant que la profondeur de l'Océan est limitée par-tout, & qu'elle ne va pas jusqu'aux Antipodes ; car si deux portions de terre étoient divisées par quelque partie de l'Océan qui pût être continuée à-travers le centre du globe jusqu'au côté opposé, elles tomberoient ensemble au centre, à moins d'être soutenues par les arcades, par la raison que la terre est plus pesante que l'eau. D'ailleurs toute la masse de la terre & de l'eau est limitée, & conséquemment la profondeur de l'Océan ne peut pas être infinie.

D'ailleurs les observations qu'on a faites en divers endroits à ce sujet, prouvent clairement que la profondeur de la mer équivaut à-peu-près à la hauteur des montagnes & des lieux méditerranés, c'est-à-dire qu'autant les unes sont élevées, autant l'autre est déprimée ; & que comme la hauteur de la terre augmente à mesure qu'on s'éloigne des côtes, de même la mer devient de plus en plus profonde en avançant vers son milieu, où communément sa profondeur est la plus grande.

La profondeur de la mer est souvent altérée dans le même lieu par quelques-unes des causes suivantes : 1°. par le flux & reflux ; 2°. par l'accroissement & le décroissement de la lune ; 3°. par les vents ; 4°. par les dépôts du limon qui vient des côtes : ce qui fait qu'avec le tems les sables & le limon rendent petit-à-petit le lit de la mer plus plat.

IV. Pourquoi l'Océan qui reçoit tant de rivieres, ne s'aggrandit-il point ? Cette question est très-curieuse.

Puisque l'Océan reçoit perpétuellement une quantité prodigieuse d'eau, tant des rivieres qui s'y déchargent que de l'air par les pluies, les rosées & les neiges qui y tombent, il seroit impossible qu'il n'augmentât pas considérablement, s'il ne diminuoit de la même quantité par quelqu'autre moyen ; mais comme on n'a remarqué aucun accroissement considérable dans la mer, & que les limites de la terre & de l'Océan sont les mêmes dans tous les siecles, il faut chercher par quel moyen l'Océan perd autant d'eau qu'il en reçoit par les pluies & les rivieres. Il y a à ce sujet deux hypothèses chez les Philosophes : l'une est que l'eau de la mer est portée par des conduits souterrains jusqu'aux sources des rivieres, où se filtrant à-travers les crevasses, elle perd sa salure : l'autre hypothèse est que cette perte se fait par les vapeurs qui s'élevent de sa surface. La premiere opinion est presqu'abandonnée de tout le monde, parce qu'il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, d'expliquer comment l'eau de l'Océan, étant plus basse que l'embouchure des rivieres, peut remonter aux sources, qui sont la plûpart sur de hautes montagnes. Mais dans la seconde hypothèse on n'a point cette difficulté à expliquer, ni à empêcher l'accroissement de l'Océan, ni à fournir d'eau les sources : ce qui se doit faire aisément par les vapeurs que nous savons certainement être attirées de la surface de l'Océan.

La quantité de vapeurs qui s'éleve de la mer a été calculée par M. Halley de la maniere suivante. Trans. philos. n°. 189.

Il a trouvé, par une expérience faite avec beaucoup de soin, que l'eau salée au même degré que l'est ordinairement l'eau de mer, & échauffée au degré de chaleur de l'air dans nos étés les plus chauds, exhale l'épaisseur d'un soixantieme de pouce d'eau en deux heures : d'où il paroît qu'une masse d'eau d'un dixieme de pouce se perdra en vapeurs dans l'espace de douze heures. Desorte que connoissant la surface de tout l'Océan ou d'une de ses parties, comme la Méditerranée, on peut aussi connoître combien il s'en éleve d'eau en vapeurs en un jour, en supposant que l'eau soit aussi chaude que l'air l'est en été.

Il s'ensuit de ce qui vient d'être dit, qu'une surface de dix pouces quarrés perd tous les jours un pouce cubique d'eau ; un pié quarré une demi-pinte, le quarré de quatre piés, un gallon ; un mille quarré 6914 tonneaux ; & un degré quarré de 69 milles anglois, 33 millions de tonneaux.

Le savant Halley suppose que la Méditerranée est d'environ 40 degrés de longueur & 4 de largeur, compensation faite des lieux où elle est plus large avec ceux où elle est plus étroite : desorte que toute sa surface peut être estimée à 160 degrés quarrés ; & par conséquent toute la Méditerranée, suivant la proportion ci-devant établie, doit perdre en vapeurs au moins 5 milliars 280 millions de tonneaux d'eau dans un jour d'été. A l'égard de la quantité d'eau que les vents emportent de dessus la surface de la mer, qui quelquefois est plus considérable que celle qui s'exhale par la chaleur du soleil, il me paroît impossible d'établir aucune regle pour la fixer.

Il ne reste qu'à comparer cette quantité d'eau avec celle que les rivieres portent tous les jours à la mer : ce qu'il est difficile de calculer, puisqu'on ne peut mesurer ni la largeur du lit de ces rivieres, ni la vîtesse de leur courant. Il n'y a qu'une ressource, c'est d'établir une comparaison entr'elles & la Tamise ; & en les supposant plus grandes qu'elles ne sont réellement, on peut avoir une quantité d'eau plus considérable qu'elles n'en fournissent réellement dans la Méditerranée.

La Méditerranée reçoit neuf rivieres considérables, savoir l'Ebre, le Rhône, le Tibre, le Pô, le Danube, le Niester, le Boristhène, le Tanaïs & le Nil ; toutes les autres sont peu de chose en comparaison. Cet ingénieux auteur suppose chacune de ces rivieres dix fois plus grande que la Tamise, non qu'il y en ait aucune de si forte, mais afin de compenser toutes les petites rivieres qui vont se rendre dans la même mer.

Il suppose que la Tamise au pont de Kingston, où la marée monte rarement, a 190 aunes de large & trois de profondeur, & que ses eaux parcourent l'espace de deux milles par heure. Si donc on multiplie 190 aunes de largeur de l'eau par trois aunes de profondeur, & le produit 390 aunes quarrées par 48 milles ou 84 milles 480 aunes, qui est la vîtesse que l'eau parcourt en un jour, le produit sera 25 millions 344 mille aunes cubiques d'eau, ou 20 millions 300 mille tonneaux qui se rendent chaque jour dans la mer Méditerranée.

Or si chacune de ces neuf rivieres fournit dix fois autant d'eau que la Tamise, il s'ensuivra que chacune d'elle porte tous les jours dans la mer 203 millions de tonneaux d'eau, & conséquemment toutes les neuf ensemble donneront 1827 millions de tonneaux d'eau par jour.

Or cette quantité ne fait guere plus que le tiers de ce qui s'en exhale en vapeurs de la Méditerranée en douze heures de tems : d'où il paroît que la Méditerranée, bien loin d'augmenter ou de déborder par l'eau des rivieres qui s'y déchargent, seroit bien-tôt desséchée si les vapeurs qui s'en exhalent n'y retournoient pas en partie au moyen des pluies & des rosées qui tombent sur sa surface.

V. Il y a des parties de l'Océan dont la couleur est différente des autres, & l'on en cherche la raison.

On observe que vers le pole du nord la mer paroît être de couleur noire, brune sous la zone torride, & verte dans les autres endroits ; sur la côte de la nouvelle Guinée elle paroît blanche & jaune par endroits, & dans les détroits elle paroît blanchâtre sur la côte de Congo. Vers la baie d'Alvaro, où la petite riviere Gonzales se jette dans la mer, l'Océan est d'une couleur rouge, & cette teinture lui vient d'une terre minérale rouge sur laquelle la riviere coule. Mais l'eau la plus singuliere pour sa couleur, est celle du golfe Arabique, qu'on appelle aussi par cette raison la mer Rouge. Il est probable que ce nom lui a été donné à cause du sable rouge qui se trouve sur son rivage, & qui contre sa nature se mêle souvent avec l'eau par la violence du flux & reflux, qui est extraordinaire dans ce golfe : desorte qu'il le balotte comme des cendres, & l'empêche de tomber au fond par sa violente agitation. Les marins confirment ce fait, & disent que cette mer paroît quelquefois aussi rouge que du sang ; mais que si on met de cette eau dans un vase sans le remuer, le sable rouge se précipite, & qu'on peut le voir dans le fond. Il arrive souvent que de fortes tempêtes exerçant leur furie sur la mer Rouge vers l'Arabie & l'Afrique, emportent avec elles des monceaux de sable rouge capables d'engloutir des caravanes entieres, & des troupes d'hommes & d'animaux, dont par succession de tems les corps se changent en véritables momies.

VI. Pourquoi la mer paroît-elle claire & brillante pendant la nuit, sur-tout quand les vagues sont fort agitées dans une tempête ?

Ce phénomene nous paroît être expliqué par ce passage de l'optique de Newton, pag. 314. " Tous les corps fixes, dit-il ne luisent-ils pas & ne jettent-ils pas de la lumiere lorsqu'ils sont échauffés jusqu'à un certain point ? Cette émission ne se fait-elle pas par le mouvement de vibration de leurs parties ? Tous les corps qui ont beaucoup de parties terrestres & sur-tout de sulphureuses, ne jettent-ils pas de la lumiere toutes les fois que leurs parties sont suffisamment agitées, soit que cette agitation se fasse par la chaleur, par la friction, la percussion, la putréfaction, par quelque mouvement vital, ou autre cause semblable ? Par exemple, l'eau de la mer brille la nuit pendant une violente tempête, &c. "

VII. Comment arrive-t-il que l'Océan abandonne ses côtes en certains endroits, desorte qu'il se trouve de la terre ferme où il y avoit autrefois pleine mer ?

En voici les principales causes : 1°. si la violence des vagues qui s'élancent contre la côte est arrêtée par des rochers, des bas fonds, & des bancs répandus çà & là sous l'eau, la matiere terrestre contenue dans l'eau, comme la boue, la vase, &c. fait un dépôt & augmente la hauteur des bancs de sable, au moyen de quoi ils opposent de plus en plus de la résistance à la violence de l'Océan, ce qui lui fait déposer encore plus de sédiment : desorte qu'à la longue les bancs de sable étant devenus fort hauts, excluent tout-à-fait l'Océan & se changent en terre seche.

2°. Ce qui contribue beaucoup à augmenter les bas-fonds, c'est quand ils sont de sable & de rocher : car alors la mer venant s'y briser & s'en retournant, n'en peut rien détacher ; au lieu que toutes les fois qu'elle en approche elle y laisse un sédiment qui les augmente, comme je l'ai déja dit.

3°. Si quelque rivage voisin est d'une terre legere ; poreuse, & qui se détache aisément, le flux de la mer en emporte des parties qui se mêlent avec l'eau, & qu'elle dépose sur quelqu'autre côte adjacente qui se trouve plus dure. D'ailleurs quand la mer anticipe sur une côte, elle quitte autant de terrein sur une autre voisine.

4°. Les grandes rivieres apportent une grande quantité de sable & de gravier à leurs embouchures ou à l'endroit où elles se déchargent dans la mer, & l'y laissent, soit parce que le lit est plus large & moins profond à cet endroit, soit parce que la mer résiste à leur mouvement. C'est une observation que l'on fait principalement dans les pays où les rivieres débordent tous les ans.

5°. Si les vents soufflent fréquemment de la mer vers les côtes, & que la côte elle-même soit de rocailles ou d'une terre dure sans sable, elle amasse la vase & les sédimens, ce qui la rend plus haute.

6°. Si la marée y monte vîte & sans beaucoup d'effort, & qu'elle descende lentement, elle apporte beaucoup de matieres étrangeres sur le rivage, & n'en remporte point.

7°. Si la côte a une longue pente oblique dans la mer, la violence des vagues se trouve ralentie & diminuée par degrés, au moyen de quoi la mer y dépose sa vase & sa bourbe.

Il y a plusieurs endroits ou cantons de terrein que l'on sait certainement avoir été couverts autrefois par l'Océan. L'endroit où est actuellement l'Egypte étoit une mer autrefois, comme le démontre l'expérience & le témoignage des anciens : car le Nil venant des régions éloignées de l'Ethiopie, quand il est débordé, couvre toute l'Egypte pour un tems ; & ensuite diminuant insensiblement, il dépose de la vase & une matiere terrestre, que le cours violent du fleuve avoit entraînées avec lui ; au moyen de quoi l'Egypte devient plus élevée d'année en année. Mais avant que le Nil eût apporté cette quantité si prodigieuse de matiere, la mer, qui maintenant est repoussée par la hauteur que l'Egypte a acquise, couvroit alors tout son terrein.

Le Gange & l'Inde, deux fameuses rivieres de l'Inde, font le même effet que le Nil par leurs inondations, aussi-bien que le Rio de la Plata au Brésil. Il est probable que la Chine s'est formée de la même maniere, ou du-moins qu'elle s'est considérablement étendue, parce que le fleuve rapide appellé Hoambo, qui coule de la Tartarie dans la Chine, & qui est sujet à des débordemens fréquens, quoique non annuels, contient tant de sable & de gravier, que ces matieres font presque le tiers de ses eaux.

Ces exemples démontrent la quatrieme cause ; savoir que les rivieres font que la mer abandonne la côte ; mais il y a plusieurs pays où la mer elle-même est cause de cet abandon, parce qu'elle apporte & dépose sur le rivage assez de matiere & de sédiment pour augmenter la hauteur de la côte, de maniere qu'elle n'est plus en état de la couvrir de ses eaux. C'est ainsi que la Hollande, la Zélande & la Gueldres ont été formées, car la mer couvroit autrefois ces pays, comme il est démontré, tant par les anciens monumens conservés dans l'Histoire, que par la qualité même de leur terrein. On trouve dans les montagnes de Gueldres, près de Nimegue, des coquillages de mer ; & en creusant la terre en Hollande, on a trouvé à une grande profondeur des arbrisseaux de mer & des matieres marécageuses. Outre cela, la mer même y est plus haute que les terres, qui en seroient submergées si on ne la retenoit par des digues & des écluses. D'un autre côté, il y a des gens qui croient avec assez de vraisemblance que la Hollande & la Zélande ont été formées des sédimens déposés par le Rhin & la Meuse. De même la Prusse & les pays voisins s'aggrandissent de jour en jour, parce que la mer se retire.

VIII. Il n'est pas difficile de comprendre par quelle raison l'Océan couvre la terre dans des lieux où il n'y avoit point d'eau auparavant.

Cela peut arriver de plusieurs manieres : 1°. quand il se fait passage dans les terres en formant des baies & des détroits, comme la Méditerranée, la baie de Bengale, le golfe d'Arabie, &c. Ainsi se sont formés les détroits d'entre la Sicile & l'Italie, entre Ceylan & l'Inde, entre la Grece & le Négrepont ; les détroits de Magellan, de Manille & du Sund. Quelques-uns même prétendent que l'Océan atlantique a été ainsi formé, & qu'il a séparé l'Amérique d'avec l'Europe, afin de pouvoir par ce moyen expliquer plus aisément comment ses habitans descendent d'Adam. Il est certain qu'un prêtre égyptien dit à Solon l'athénien, qu'environ 600 ans avant Jesus-Christ (comme on le voit dans le Timée de Platon) il y avoit vis-à-vis du détroit de Gibraltar une île plus grande que l'Afrique & l'Asie, qu'on appelloit Atlantis, & que par un grand tremblement de terre & une inondation, la plus grande partie fut submergée en un jour & une nuit : ce qui nous fait voir qu'il y avoit parmi les savans d'Egypte une tradition que l'Amérique avoit été séparée du vieux monde plusieurs siecles auparavant.

2°. Quand les eaux de la mer sont poussées par de gros vents sur les côtes, & qu'elles minent les rivages & les bancs formés par la nature ou par l'industrie des hommes, il y a plusieurs exemples d'inondations considérables, comme autrefois en Thessalie, & plus récemment dans la Frise & le pays de Holstein.

3°. Quand par les mêmes causes l'Océan se répand dans les terres, & y forme des îles en plusieurs endroits, comme dans les Indes orientales.

4°. Quand la mer mine ses bords & entre dans les terres, par exemple, la mer Baltique s'est étendue dans la Poméranie, & a détruit Vineta port de mer très-célébre. La mer a miné la côte de Norwege, & séparé du continent quelques îles. L'Océan germanique est entré dans la Hollande auprès du village de Catti, & a submergé un grand espace de terrein. Les ruines de l'ancien château Breton qui étoit un lieu de garnison des Romains, sont fort avancées dans la mer, & ensevelies sous les eaux. Dans la partie méridionale de Ceylan, auprès de l'Inde, la mer a mangé 20 milles de terrein, & forme une petite île ; on pourroit citer encore beaucoup d'autres exemples.

On conçoit aisément, par ce détail historique, que l'Océan occupe maintenant des lieux qui faisoient autrefois partie du continent, & qui pourront retourner à leur premier état, si le monde dure encore des milliers d'années.

IX. Enfin, on demande pourquoi, il y a peu d'îles dans le milieu de l'Océan, & qu'on ne trouve jamais de petites îles ramassées, qu'auprès des grandes îles ou du continent.

L'expérience confirme la vérité de ce fait, & personne n'en doute. On trouve à peine une petite île dans le milieu de l'Océan pacifique ; & il y en a très-peu dans le grand Océan, entre l'Afrique & le Brésil, si ce n'est Sainte-Hélene & l'île de l'Ascension ; mais c'est sur les côtes de l'Océan & du grand continent que se trouvent toutes les îles, excepté celles que je viens de nommer, & sur-tout les bouquets d'îles. Celles de la mer Egée sont auprès de l'Europe & de l'Asie & le continent méridional : il n'y a que les Açores qui semblent être au milieu de l'Océan, entre l'Amérique & le vieux Monde, quoiqu'elles soient plus proches du dernier.

La cause de ce phénomène paroît venir de ce que la mer les a séparées du continent, en se faisant passage dans les terres, & qu'elle n'a pas pû les couvrir, à cause de leur hauteur ; peut-être aussi que quelques-unes ont été formées de la maniere suivante. La mer ayant miné quelque étendue de terrein, & ne pouvant pas en emporter les petites parties, les a déposées insensiblement auprès de la terre, ce qui a formé à la fin des îles : mais on voit peu d'îles dans le milieu de l'Océan. 1°. Parce que la mer n'a pas pû emporter si loin les particules qu'elle détachoit des côtes ; 2°. parce que l'eau y a beaucoup de force & un mouvement qui tend à augmenter la profondeur de la mer, plutôt qu'à former des îles ; 3°. parce que n'y ayant point là de continent, il n'a pas pû se former des grappes d'îles de la maniere dont j'ai dit qu'elles se formoient. Cependant dans les tems reculés, lorsque le milieu de l'Océan n'étoit pas où il est maintenant, il a pû y avoir des grappes d'îles, que la force de l'eau aura pû miner & détruire par la suite des siecles. (D.J.)

OCEAN, (Mythol.) les Poëtes ont jugé à propos d'en faire une divinité : Hésiode nous dit que l'Océan eut de Thétis prise pour la terre, tous les fleuves dispersés dans le monde, & la plûpart des Nymphes qui, par cette raison porterent le nom d'Océanides. Homere va plus loin, il atteste que l'Océan est le premier de tous les dieux ; les hymnes attribués à Orphée nous débitent la même idée. Virgile lui-même l'appelle le pere de toutes choses, Oceanum patrem rerum, suivant la doctrine de Thalès, qui enseignoit d'après les Egyptiens, que l'eau étoit la matiere premiere dont tous les corps étoient composés.

Homere fait faire aux dieux de fréquens voyages chez l'Océan, où ils passoient douze jours de suite dans la bonne chere & les festins : c'est une allusion que le poëte grec fait à une ancienne coutume des peuples qui habitoient sur les bords de l'Océan atlantique, lesquels célébroient dans une certaine saison de l'année des fêtes solemnelles, où ils portoient en procession la statue de Jupiter, de Neptune & des autres dieux, & leur offroient des sacrifices.

Les Grecs & les Romains n'oublierent point de leur côté de sacrifier à la divinité de l'eau, sous le nom de l'Océan, ou sous celui de Poseidon chez les uns, & de Neptune chez les autres. De-là, tant d'autels & de temples que le paganisme éleva à la gloire de ce dernier, dont la souveraineté bornée d'abord à la Méditerranée, s'étendit depuis à toutes les autres mers. Nous apprenons de Diodore de Sicile, que les Egyptiens donnerent le nom d'Océan au Nil, & qu'ils le reconnurent pour une divinité suprême.

D'anciens monumens nous représentent l'Océan sous la figure d'un vieillard, assis sur les ondes de la mer, & ayant près de lui un monstre marin ; ce vieillard tient une urne, dont il verse de l'eau, symbole de la mer, des fleuves & des fontaines. (D.J.)


OCÉANIDESS. f. pl. (Mythol.) c'étoient les filles de l'Océan & de Thétis. Hésiode compte soixante-douze nymphes Océanides, dont il a forgé les noms, qu'il n'est pas nécessaire de transcrire ici. (D.J.)


OCELLIOCELLI


OCELUou OCELUS, (Géog. anc.) ancienne ville ou bourg de la Gaule dans les Alpes, que César dit être la derniere ville de la province citérieure, oppidum citerioris provinciae extremum. MM. de Valois & Sanson croient que c'est Exiles en Dauphiné, dans la vallée de la Doria, entre le mont Genèvre & la ville de Suze. (D.J.)


OCHÉ(Géog. anc.) en grec ; montagne de l'île d'Eubée, selon Strabon, qui met la ville de Caryste au pié de cette montagne. (D.J.)


OCHESS. f. (Charpent.) entailles ou marques que font les Charpentiers sur des regles de bois, pour marquer des mesures. (D.J.)


OCHIO(Géog.) contrée du Japon dans l'île de Niphon, elle comprend onze provinces, & a pour capitale Jedo. (D.J.)


OCHLOCRATIES. f. (Gouvern.) ; abus qui se glisse dans le gouvernement démocratique, lorsque la vile populace est seule maîtresse des affaires. Ce mot vient d', multitude, & , puissance.

L'ochlocratie doit être regardée comme la dégradation d'un gouvernement démocratique : mais il arrive quelquefois que ce nom dans l'application qu'on en fait, ne suppose pas tant un véritable défaut ou une maladie réelle de l'état, que quelques passions ou mécontentemens particuliers qui sont cause qu'on se prévient contre le gouvernement présent. Des esprits orgueilleux qui ne sauroient souffrir l'égalité d'un état populaire, voyant que dans ce gouvernement chacun a droit de suffrage dans les assemblées où l'on traite des affaires de la république, & que cependant la populace y fait le plus grand nombre, appellent à tort cet état une ochlocratie ; comme qui diroit un gouvernement où la canaille est la maîtresse, & où les personnes d'un mérite distingué, tels qu'ils se croyent eux-mêmes, n'ont aucun avantage par-dessus les autres ; c'est oublier que telle est la constitution essentielle d'un gouvernement populaire, que tous les citoyens ont également leur voix dans les affaires qui concernent le bien public. Mais, dit Ciceron, on auroit raison de traiter d'ochlocratie, une république où il se feroit quelque ordonnance du peuple, semblable à celle des anciens Ephésiens, qui, en chassant le philosophe Hermodore, déclarerent que personne chez eux ne devoit se distinguer des autres par son mérite. Nemo de nobis unus excellat. Cic. Tusc. quaest. lib. V. cap. xxxvj. (D.J.)


OCHNA(Botan. exot.) genre de plante que le pere Plumier 32, & Linnaeus, gen. plant. p. 819. caractérisent ainsi.

Le calice de la fleur est composé de cinq petites feuilles ovales, pointues à l'extrêmité, & qui tombent avec la fleur. Cette fleur est formée de deux pétales, arrondis & obtus. Les étamines sont des filets extrêmement déliés qui se réunissent à leur extrêmité. Le germe du pistil est ovale, & se termine en un stile pointu, droit, & plus long que les étamines. Le fruit est un placenta charnu, arrondi, contenant dans chacun de ses côtés, une seule baie ovoïde. Ses semences sont uniques, & pareillement de forme ovale. (D.J.)


OCHRES. f. (Hist. nat. Bot.) ochrus, genre de plante à fleur papilionacée ; le pistil sort du calice & devient dans la suite une silique le plus souvent cylindrique, qui renferme des semences arrondies. Ajoutez aux caracteres de ce genre, que les feuilles sont rangées une à une ou par paire, & toujours terminées par une main. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

OCHRES, (Hist. nat. Minéral.) ochrae terrae metallicae ; c'est ainsi qu'on nomme dans l'histoire naturelle des terres colorées & métalliques, formées par la décomposition des métaux qui se vitriolisent, tels que le fer, le cuivre & le zinc ; l'on voit par-là qu'il y a différentes especes d'ochres, & elles varient considérablement pour la couleur, pour la densité & par les autres terres étrangeres avec lesquelles elles sont mêlées.

L'ochre de fer doit être regardée comme une vraie mine de fer, dont on tire ce métal en y joignant une matiere inflammable qui lui rend le phlogistique qu'il avoit perdu. On trouve de l'ochre rouge que l'on nomme quelquefois rubrica ou ochre rouge naturelle ; l'ochre jaune ; elle est quelquefois d'un jaune de safran, d'autres fois elle est d'un jaune moins vif, elle est très-fine & colore les doigts ; on l'appelle quelquefois moëlle de pierre ; l'ochre brune est d'un brun plus ou moins foncé.

Toutes les ochres varient pour la consistance, il y en a qui ont la dureté des pierres, tandis que d'autres sont très-friables & se trouvent même sous la forme d'une poudre légere. Il y a de l'ochre qui a la forme d'écailles minces ou de feuillets ; telle est celle qui forme les enveloppes, dont les étites ou pierres d'aigle sont composées.

Il sera aisé de se former une idée de la formation de l'ochre, si l'on fait attention que le vitriol, toutes les fois qu'on en fait la dissolution dans l'eau, dépose une substance terreuse jaune, qui n'est autre chose que du fer privé de son phlogistique ; cette substance terreuse est une ochre pure. De même dans le sein de la terre les pyrites martiales se décomposent peu-à-peu, se changent en vitriol, qui lui-même, par l'humidité & le contact de l'air, souffre de l'altération & dépose cette terre jaune que nous appellons ochre.

Quelques auteurs parmi lesquels on compte MM. Hill & Emanuel Mendez d'Acosta, ont distingué les ochres & en ont fait différentes classes, suivant qu'elles font ou ne font point effervescence avec les acides, c'est-à-dire, d'après les différentes terres avec lesquelles les ochres se trouvent accidentellement mêlées ; mais l'ochre pure, c'est-à-dire, la terre métallique produite par la décomposition de la pyrite vitriolique, ne fait point d'effervescence avec les acides ; quand cela lui arrive, c'est un signe que l'ochre est jointe avec quelque terre calcaire. Cependant comme l'ochre est une vraie mine de fer que l'on exploite très-souvent, il est à-propos de connoître la nature des terres avec lesquelles elle peut être mêlée, afin de savoir quel fondant il sera àpropos d'y joindre pour en tirer le fer avec profit. En effet, si l'ochre est mêlée, par exemple, avec une terre calcaire, on sent qu'il sera bon de lui joindre une terre argilleuse, parce que la terre argilleuse se vitrifie avec la terre calcaire. Voyez l'art. FONDANT. Cette observation peut être utile, vû que l'ochre est la mine de fer la plus commune en France, & que l'on exploite le plus ordinairement ; en effet, les ochres font des couches souvent très-considérables, & qui s'étendent dans un très-grand espace de terrein.

La substance que les Minéralogistes appellent ochre de cuivre, est un cuivre décomposé & produit par le vitriol cuivreux. Cette ochre est ou verte ou bleue ; la premiere, s'appelle vert de montagne ; la seconde, s'appelle bleu de montagne, & toutes deux sont comprises sous le nom de chrysocolle. Voyez ces différens articles.

Comme le zinc a aussi la propriété de se vitrioliser, on compte aussi une ochre de zinc, c'est la terre ou pierre calaminaire.

L'ochre qui est produite par le fer lorsqu'elle est bien pure, s'emploie dans la peinture pour les jaunes & pour les bruns ; en faisant réverberer ces ochres sous une moufle, elles deviennent d'un rouge plus ou moins vif, suivant que l'ochre est plus ou moins mêlée avec des terres étrangeres, ou suivant que la partie ferrugineuse y domine ; en essayant les ochres de nos pays de cette maniere, on verroit que souvent on fait venir de bien loin des couleurs que l'on pourroit se procurer à beaucoup moins de frais, sur-tout si on vouloit un peu examiner la terre. Le giallolino ou jaune de Naples, n'est autre chose que de l'ochre. L'ochre de rue est une ochre d'un jaune tirant sur le rouge : la couleur qu'on appelle brun rouge, est aussi une espece d'ochre. Quant à la terre d'ombre, on la regarde plutôt comme une terre bitumineuse, que comme de l'ochre.

Dans la Médecine, l'ochre comme toutes les substances ferrugineuses, est regardée comme désiccative & comme astringente. (-)


OCHRIDALAC D ', (Géog.) lac de la Turquie en Europe, entre l'Albanie au couchant, & le Coménolitari au levant. Ce lac n'a qu'une demi-lieue de large sur dix lieues de long, & une seule ville du même nom, autrement dite Giustandil. Les anciens ont connu ce lac sous le nom de lacus Lycuicus.


OCHSENFURT(Géogr.) ville d'Allemagne en Franconie, dans l'évêché de Wurtzbourg. Elle est sur le Mein, à 5 lieues S. E. de Wurtzbourg. Long. 27. 50. lat. 49. 40.


OCHUMS(Géog.) riviere de la Mingrelie, qui, selon le pere Archange Lamberti, a deux sources dans le Caucase, & se jette dans la mer Noire.


OCHUS(Géog. anc.) riviere d'Asie dans la Bactriane, selon Ptolémée, l. VI. c. xj. Il en met sa source à 110 degrés de long. & 59 degrés de lat. Cette riviere se perd dans l'Oxus à 119 degrés de long. & 44 degrés 20'de lat. Strabon parle de ce fleuve d'une maniere inintelligible. Selon M. Delisle, le Zotale est l'Ochus de Strabon. Arrien parle de l'Ochus, montagne de la Perse proprement dite. (D.J.)


OCKERL ', (Géog.) riviere d'Allemagne en basse-Saxe, dans les états de la maison de Brunswick. Elle se perd dans l'Aller, environ trois lieues audessous de Gifhorn.


OCNUS(Littér.) c'étoit un homme laborieux, dit Pausanias, qui avoit une femme fort peu ménagere ; desorte qu'elle dépensoit en un moment tout ce qu'il pouvoit gagner à la sueur de son visage. Dans le fameux tableau de Polignote, il est représenté assis, faisant une corde avec du jonc ; une ânesse qui est auprès, mange cette corde à mesure, & rend inutile tout le travail du cordier. Ce tableau donna lieu à un proverbe chez les Grecs : pour dire, c'est bien de la peine perdue, on disoit, c'est la corde d'Ocnus. (D.J.)


OCOCOLINS. m. (Hist. nat. Orn.) perdrix de montagne, perdix montana, oiseau de la grosseur de la perdrix grise. Il a près de dix pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'au bout des ongles : la tête, la gorge & le haut du cou sont fauves ; le bas du cou, la poitrine, la partie antérieure du ventre, les côtés du corps & les plumes du dessous de la queue ont une couleur de marron clair : celle des plumes du dos, du croupion, des épaules & du dessus de la queue est la même, excepté que le bord de chaque plume est brun ; le bas-ventre & les jambes sont d'un fauve très-clair : la fausse aîle & les grandes plumes de l'aîle ont une couleur grise, mêlée de brun, à l'exception du bord extérieur qui a un peu de roussâtre. La queue est composée de vingt plumes ; les six du milieu sont de couleur de marron, mêlée de brun, & à l'extrêmité est un peu blanchâtre : les sept autres de chaque côté ont une couleur de marron clair. On trouve cette espece de perdrix sur les montagnes ; elle descend quelquefois dans les plaines, & elle se mêle avec les perdrix grises. Ornit. de M. Brisson, tom. I. Voyez OISEAU.

OCOCOLIN du Mexique, perdrix de montagne du Mexique, seu perdix montana Hernandezii Raii ; cet oiseau est plus gros que la perdrix grise, il a un pié à neuf pouces de longueur, depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité des ongles. Les couleurs dominantes de cet oiseau sont le brun, le jaunâtre & le fauve mêlés ensemble. Il y a quelques plumes grises & blanches sur la tête & sur le cou, dont la couleur est fauve. Le dessus de la tête, la gorge & les côtés du corps ont des taches noires ; la face intérieure des aîles est cendrée, & la face supérieure est grise, avec des taches blanches & des taches rousses. Le bec & les piés sont d'un rouge pâle. On trouve cet oiseau au Mexique. Ornit. de M. Brisson, tom. I. V. OISEAU.


OCOSOQUA, ou OCQUE, (Comm.) poids de Turquie qui pese quatre cent dragmes, ou trois livres deux onces, poids de Marseille. quarante-quatre ocques, & en quelques échelles du Levant, quarante-cinq, composent le quintal de Turquie de cent rottes ou rotons. Voyez ROTTES, Dictionn. de Comm.


OCOSCOL(Hist. nat.) nom d'un arbre qui croît en Amérique, dans la nouvelle Espagne. Ses feuilles ressemblent à celles du lierre ; son écorce est grise & épaisse. Lorsqu'on y fait une incision, il en sort une substance résineuse, rougeâtre & transparente, qui est le liquidambar. Voyez cet article.


OCRA(Géogr. anc.) montagne qui fait partie des Alpes, & qui, selon Strabon, servoit de bornes entre les peuples Carni & le Norique. Ce sont aujourd'hui les Alpes entre Gorice, Laubach & Trieste.


OCRÉATULES. f. (Hist. nat.) nom donné par Llwyd à une pierre inconnue, semblable à la jambe d'un homme.


OCRICULUM(Géogr. anc.) ville qui étoit sur la voie Flaminienne & dans l'Apennin. Strabon, Tite-Live, liv. XX. ch. xj. Tacite liv. III. c. lxxviij. Pline le jeune, epist. xxv. l. VI. & Ptolémée, l. III. t. j. en font mention. Le nom vulgaire est aujourd'hui Otricoli.


OCRINUMPROMONTORIUM, (Géog. anc.) promontoire de l'île d'Albion, dont parle Ptolémée, liv. II. ch. ij. Quelques-uns croient que c'est aujourd'hui Landsend, & d'autres la pointe du Lésard.


OCTAÉTÉRIDECYCLE, (Chronol.) en grec , c'étoit chez les Grecs, un cycle ou terme de huit ans, au bout desquels on ajoutoit trois mois lunaires. Ce cycle fut en usage, jusqu'à ce que Meton l'Athénien réforma le calendrier, en inventant le nombre d'or, ou le cycle de dix-neuf ans. Voyez Potter, Archaeol. graec. tom. I. p. 460. (D.J.)


OCTAHEDREou OCTAEDRE, s. m. nom qu'on donne en Géométrie à l'un des cinq corps réguliers, qui consiste en huit triangles égaux équilatéraux. Voyez CORPS REGULIER.

On peut regarder l'octahedre comme composé de deux pyramides quadrangulaires, qui s'unissent par leurs bases (voyez PYRAMIDE) : ainsi on peut trouver la solidité de l'octahedre en multipliant la base quarrée d'une de ces pyramides par le tiers de sa hauteur, & en doublant ensuite le produit.

Le quarré du côté de l'octahedre est la moitié du quarré du diamêtre de la sphere circonscrite.

Euclide a donné dans ses élémens une méthode pour inscrire un cube dans un octahedre. Le pere Lamy, dans ses élémens de Géométrie, ayant voulu résoudre ce problême d'une autre maniere qu'Euclide, a commis un parallogisme. On en peut voir la preuve & le détail dans les mémoires de l'académie de 1726. M. de Mairan y prouve que le prétendu octahedre inscrit par le pere Lamy n'en est pas un, & fait sur cette matiere plusieurs autres remarques utiles & curieuses. (E)

Le cube inscrit par Euclide a ses angles appuyés sur les faces de l'octahedre ; le prétendu cube inscrit par le pere Lamy, a au contraire ses angles contigus aux angles de l'octahedre. M. de Mairan fait voir, & cela est très-facile, qu'on peut corriger le cube du pere Lamy, en laissant ses angles appuyés à ceux de l'octahedre, & qu'on peut d'ailleurs inscrire une infinité de cubes dans l'octahedre dont les angles seront placés sur les faces de l'octahedre, & placés dans une courbe. Ainsi M. de Mairan a non-seulement corrigé le pere Lamy, mais étendu la théorie d'Euclide. (O)


OCTANou OCTILE, s. m. se dit en Astronomie, d'une espece d'aspect ou position de deux planetes, dans laquelle elles sont distantes l'une de l'autre de la huitieme partie d'un cercle, c'est-à-dire de 45 degrés. Voyez ASPECT.

On appelle aussi octant un instrument d'Astronomie qui renferme 45 degrés. Voyez INSTRUMENT DE M. HADLEY. (E)

On dit que la Lune est dans les octans, lorsqu'elle est à 45, 135, 225, 315 degrés du lieu du Soleil, c'est-à-dire à 45° + 0, 45° + 90°, ou 45° + 180, ou 45 + 270. C'est dans ces octans que l'inégalité découverte par Ticho, & appellée variation, est la plus grande qu'il est possible. En effet, cette inégalité est proportionnelle au sinus du double de la distance de la Lune au Soleil, qui dans les octans devient égal au sinus total. (O)


OCTAPLES(Littér. sacrée) les octaples étoient une espece de bible polyglotte d'Origene à huit colonnes. Elle contenoit 1°. le texte hébreu en caracteres hébraïques ; 2°. le même texte en caracteres grecs ; 3°. la version d'Aquila ; 4°. celle de Symmaque ; 5°. celle des septante ; 6°. celle de Théodotion ; 7°. celle qui s'appelloit la cinquieme grecque ; 8°. enfin celle qu'on nommoit la sixieme. Voyez pour vous éclairer sur toutes les différentes versions des livres sacrés, rassemblées par ce pere de l'Eglise en plusieurs colonnes, le mot ORIGENE, HEXAPLES, Critique sacrée. (D.J.)


OCTATEUQUES. m. en Théologie & en littérature sacrée, signifie les huit premiers livres de l'ancien Testament ; savoir, la Genese, l'Exode, le Lévitique, les Nombres, le Deuteronome, le livre de Josué, le livre des Juges & de Ruth. Ce mot est formé du grec , huit & , livre ; ouvrage. Voyez BIBLE & PENTATEUQUE. Procope de Gaze a fait dix livres de commentaires sur l'Octateuque.


OCTAVA substf. (Hist. anc.) le huitieme du gain des porteurs. Sous le triumvirat d'Antoine, d'Auguste & de Lépide, les affranchis étoient tenus de donner le huitieme de leurs revenus. Dans la suite, on exigea le même impôt de toutes les marchandises qui entroient. On appella les receveurs, octaviarici, octaviaires. Les soldats qu'on assignoit à quelqu'un pour le défendre des insultes du peuple, s'appellerent aussi octaviarici.


OCTAVANORUMOCTAVANORUM


OCTAVES. f. (Hist. eccl.) se dit dans l'église romaine d'un espace de tems de huit jours destiné à la célébration d'une fête, dont on en répete en grande partie l'office ; comme les hymnes, les antiennes, les versets, & toujours à matines une leçon relative à cette fête. L'office dans l'octave est ordinairement semi-double, excepté le huitieme & dernier jour, qu'on nomme proprement l'octave, où il est double majeur. Ainsi il y a l'octave de Noël, de Pâques, de la Pente côte, de la fête Dieu, de la dédicace, &c. Voyez DOUBLE, SEMI-DOUBLE, &c.

OCTAVE, se dit aussi d'une station de prédicateur qui prêche plusieurs sermons pendant l'octave de la fête-Dieu. Cette coutume a été établie en France, sur-tout depuis l'hérésie des sacramentaires, pour instruire les peuples plus particulierement sur le sacrement de l'Eucharistie, & les affermir dans la foi de la présence réelle. Ainsi l'on dit que tel prédicateur a prêché l'octave dans telle ville, telle cathédrale, telle paroisse.


OCTAVIERv. n. en Musique, quand on force le vent dans un instrument à vent, le son monte aussi-tôt à l'octave, c'est ce qu'on appelle octavier. En renforçant ainsi l'inspiration, l'air renfermé dans le tuyau & contraint par l'air extérieur, est obligé, pour céder à la vîtesse des oscillations, de se partager en deux colonnes égales, ayant chacune la moitié de la longueur du tuyau : & c'est ainsi que chacune de ces moitiés sonne l'octave du tout. Une corde de violon celle octavie par un principe semblable, quand le coup d'archet est trop brusque ou trop voisin du chevalet. C'est un défaut dans l'orgue quand un tuyau octavie, cela vient de ce qu'il prend trop de vent. (S)


OCTAVINES. f. (Musique) cet instrument de musique est une espece de petite épinette, qui, pour être transportée plus commodément, n'a que la petite octave, ou le petit jeu du clavecin. (D.J.)


OCTAVOS. m. (Comm. Monnoie) monnoie de cuivre qui a cours en Espagne. L'octavo ou ochavo vaut deux maravédis de vellon, & il en faut dix-sept pour une réale aussi de vellon. Il y a des octavos de quatre ou de huit maravédis ; mais on les appelle ordinairement les uns des quartas, & les autres des doubles quartas.


OCTAVUM(Géog. anc.) ville d'Afrique & siege épiscopal en Numidie. Il ne faut pas confondre celui-ci avec un autre siége épiscopal de même nom, situé dans la Byzacene. (D.J.)


OCTILou OCTANT, s. m. terme d'Astrologie, qui signifie l'aspect de deux planetes éloignées l'une de l'autre de 45 degrés, ou de la huitieme partie de la circonférence du zodiaque, c'est-à-dire d'un signe & demi. Voyez OCTANT & TRIOCTILE.


OCTIREMEoctoremis, s. f. (Marine des anc.) bâtiment des anciens, selon les uns, à huit rangs de rames ; & selon les autres, ou à huit rangs de rameurs, ou à huit rameurs sur chaque rame ; car les sentimens des savans sont fort partagés ; nous traiterons ailleurs cette matiere.


OCTOBRE(Calendrier de l'ancienne Rome) huitieme mois de l'année dans le calendrier de Romulus, & le dixieme dans celui de Numa ; il a toujours gardé son premier nom, malgré les noms différens que le sénat & les empereurs romains lui ont voulu donner. En vain le sénat desira qu'on appellât ce mois Faustinus, en l'honneur de Faustine, femme de l'empereur Antonin. Commode ne réussit pas mieux en le nommant Invictus, ni Domitien en l'appellant Domitianus. Ce mois étoit sous la protection de Mars.

Le 4 Octobre, on faisoit la solemnité du Mundus patens.

Le 12 fut consacré par un autel à la Fortune de retour, Fortunae reduci, pour flatter Auguste qui revenoit à Rome après avoir pacifié la Sicile, la Grece, la Syrie, l'Asie & les Parthes.

Le 13 arrivoit la fête Fontinalia, les Fontinales.

Le 15, on sacrifioit un cheval à Mars, nommé October equus.

Le 19, on solemnisoit dans les armées la fête nommée Armilustrium.

Le 28 & les suivans, se donnoient les jeux de la victoire, institués par Sylla.

On célébroit à la fin de ce mois les vortumnales & les jeux sarmatiques. (D.J.)

OCTOBRE, (Calendrier des modernes) nom du dixieme mois de notre année. Il a 31 jours ; & c'est le 23 que le Soleil entre dans le signe du Scorpion. Le nom d'Octobre qu'il a vient de ce qu'il étoit le huitieme de l'année romaine, qui n'étoit composée que de dix. (D.J.)


OCTODORUou OCTODURUS, (Géogr. anc.) village dont parle Jules César de bello Gallico, l. III. c. j. & le donne au peuple Veragri. Sanson estime que c'est Martigny ou Martignach, comme disent les Allemands, sur les côtes de la Dranse, qui tombe incontinent dans le Rhône. Ce lieu a été la capitale du bas Vallais, comme Sion du haut Vallais. Voyez les mém. des Inscrip. tome XIV. le plan d'un camp que Galba établit autrefois à Octodurum. Stewechius avoit tiré ce plan sur les lieux, & le fit le premier graver dans son commentaire sur Végece. (D.J.)


OCTOGENAIREadj. & subst. (Gramm.) qui a atteint l'âge de 80 ans, on dit c'est un octogenaire.


OCTOGESA(Géogr. anc.) ancienne ville de l'Espagne Tarragonoise au pays des Itergetes. César en parle de bello civili, l. I. c. lxj. M. de Marca pense qu'Octogésa devoit être au lieu où est aujourd'hui Mequicenza au confluent de la Segre & de l'Ebre : cette conjecture est des plus vraisemblables. (D.J.)


OCTOGONES. m. (Géom.) se dit en Géométrie d'une figure de huit côtés & de huit angles. Voyez FIGURE & POLYGONE.

Quand tous les côtés & les angles de cette figure sont égaux, on l'appelle octogone régulier ou octogone inscriptible dans un cercle. (E)

Le côté de l'octogone régulier est la corde de 45 degrés ; or nommant 1 le rayon, le sinus de 45 degrés est (1/2), & la corde est (1/2+[1-1/2]2) = (2 - 2). Par cette formule on peut calculer ou le côté d'un octogone dont le rayon est donné, ou le diamêtre d'un octogone dont on connoît le côté. Je me souviens d'avoir employé, il y a plus de 25 ans, cette derniere méthode pour trouver le diamêtre du grand bassin octogone du jardin des Tuileries, j'ai trouvé, s'il m'en souvient bien, par la mesure actuelle le côté de 77 piés, d'où j'ai conclu le diamêtre de 32 à 33 toises ; car les nombres précis ne sont plus présens à ma mémoire. On prétend que ce diamêtre est égal à la hauteur des tours de Notre-Dame, mais je le crois plus petit de quelques toises. (O)


OCTOPHORES. m. (Hist. anc.) litiere portée par huit esclaves ; elle étoit plus encore à l'usage des femmes que des hommes ; on s'en servoit à la ville, quand on étoit indisposé, pour aller en visite, & en tout tems pour aller à la campagne.


OCTOPODES. m. (Antiq. ecclés.) c'étoit une banniere des papes divisée en huit flammes ou huit languettes. Voyez Bollandus, Act. SS. Febr. tome II. page 26.


OCTOSTYLES. m. (Archit. civile) face d'un bâtiment orné de huit colonnes ; c'est une ordonnance de huit colonnes disposées sur une ligne droite, comme le temple pseudo-diptere de Vitruve, & le portique du Panthéon à Rome, ou sur une ligne circulaire, comme le monoptere rond ou temple d'Apollon Pythien à Delphes, & toute autre tour de dôme ayant huit colonnes en son pourtour. Le mot octostyle est dérivé de deux mots grecs, dont l'un signifie huit, & l'autre colonne.


OCTROIS. m. (Jurisprud.) signifie concession de quelque grace ou privilege faite par le prince.

Les octrois ou deniers d'octrois sont des levées de certains droits en deniers, que le prince permet à des communautés de faire sur elles-mêmes pour leurs besoins & nécessités, comme pour les fortifications des villes, réparations des bâtimens, entretien du pavé, &c.

Ces octrois se levent sur la vente du vin, du charbon, du bois à brûler, & autres denrées & marchandises, selon ce qui a été octroyé par le prince.

Les deniers d'octrois & autres deniers communs & patrimoniaux des villes & communautés sont perçus par le receveur de la ville ou communauté.

Ces receveurs des octrois ont été érigés en titre d'office dans les villes par divers édits ; on leur a aussi donné des contrôleurs, mais tous ces offices ont été supprimés & rétablis par divers édits : l'édit du mois de Juin 1725, qui les a rétablis, forme le dernier état ; la ville de Paris a été exceptée de ces créations.

Les comptes des deniers d'octrois se rendent à la chambre des comptes. Sur les fonctions, créations & suppressions des receveurs des octrois, voyez le Dictionnaire des arrêts au mot Octrois.


OCTULAINS(Géog. anc.) en latin Octulani, anciens peuples d'Italie dans le Latium, & l'un de ceux qui avoient part à la distribution des viandes sur le mont Albano, selon Pline, l. III. c. v. (D.J.)


OCTUPLEadj. (Gramm. & Arith.) qui est huit fois plus grand.


OCULAIREadj. en Anatomie, qui appartient à l'oeil. Nerfs oculaires communs, nerfs oculaires externes. Voyez MOTEURS.

OCULAIRE, s. m. (Dioptr.) on appelle ainsi celui des verres d'une lunette, ou d'un microscope qui est tourné vers l'oeil. Voyez LUNETTE, MICROSCOPE, TELESCOPE, &c. voyez aussi OBJECTIF. (O)

OCULAIRE, pierre, (Hist. nat.) lapis ocularis. Mercati a donné ce nom à une espece d'opercule de coquille qui est l'umbilicus maximus.

Les anciens semblent aussi avoir donné indifféremment le nom de pierres oculaires à toutes les pierres dans lesquelles ils trouvoient ou croyoient trouver la ressemblance d'un oeil. Les pierres qu'ils nommoient lapides ocellati, paroissent n'avoir été que des boules avec lesquelles les enfans jouoient comme les nôtres font avec les gobilles. (-)


OCULATIONS. f. (Jardinage) c'est l'action d'ébourgeonner ou d'ôter les bourgeons inutiles des plantes, & sur-tout de la vigne : ce mot vient d'oculus, qui veut dire oeil ou bourgeon. (K)


OCULÉEPIERRE, (Hist. nat.) lapis oculatus, nom donné par Mercati à une pierre formée par l'assemblage d'un grand nombre de petits cailloux, telles que les pierres que les Anglois nomment pudding ; ce nom vient, suivant toute apparence, des cailloux ronds & roulés, renfermés dans cette pierre qui ressemblent à des yeux. Voyez Mercati, Metallotheca.


OCULISTES. m. chirurgien qui s'applique particulierement à toutes les maladies des yeux, ocularius chirurgus, ophthalmiater.

Dans les statuts des Chirurgiens de Paris il y a un article qui porte, que ceux qui voudront être reçus pour exercer seulement la partie de la Chirurgie qui concerne la vûe, subiront un examen, dans lequel ils seront interrogés sur la théorie & sur la pratique, & qu'ils auront le titre d'expert pour les yeux, sans pouvoir y joindre celui de chirurgien.

Celui qui se destine aux maladies des yeux devroit néanmoins avoir toutes les connoissances qu'on exige dans les autres Chirurgiens, car les maladies sont presque toutes les mêmes, c'est les lieux qu'elles occupent qui en font la différence : l'inflammation de l'oeil n'est pas d'une autre nature que l'inflammation du foie & des poumons. Les principes généraux sont les mêmes, il faut seulement en faire des applications particulieres aux différentes parties, & les maladies y ont des symptômes relatifs aux fonctions lésées. On ne peut guere attendre de grands progrès de ceux qui se sont livrés spécialement à un genre d'exercice, sans avoir puisé dans les sources de l'art les grands principes qui doivent les diriger : le public qui n'est pas au fait des choses, croit aisément qu'un homme qui s'applique uniquement à la connoissance des maladies d'un organe doit avoir des lumieres supérieures à un autre, & cela seroit vrai s'il étoit d'ailleurs profondément instruit des principes de l'art. Mais souvent on ne choisit une partie que par l'incapacité où l'on se sent de s'adonner à l'exercice complet de l'art : il est certain que les auteurs qui ont le mieux traité des maladies des yeux, étoient des chirurgiens également versés dans la connoissance de toutes les maladies, & qui pratiquoient indistinctement toutes les grandes opérations de la Chirurgie : parmi les anciens, Guillemeau, éleve d'Ambroise Paré, & premier chirurgien du roi après son maître. Au commencement de ce siecle, Antoine Maître-Jean, chirurgien à Mery-sur-Seine, qui termine son traité des maladies de l'Oeil, le plus estimé que nous ayons, par ces mots.... " Je sais que la plûpart des chirurgiens négligent de s'appliquer aux maladies des yeux, parce qu'elles sont si nombreuses qu'on s'en est fait un monstre, & que l'on croit qu'elles demandent toute l'application d'un homme, & une adresse toute singuliere pour exécuter toutes les opérations qui leur conviennent. Il n'est rien de tout cela ; elles sont nombreuses à la vérité, mais elles sont très-faciles à apprendre à un chirurgien déjà éclairé dans sa profession : elles n'ont point d'autres regles pour leur traitement que celles que l'on suit pour traiter les autres maladies, pourvû seulement qu'on ait égard à la nature de l'oeil : & il n'est besoin que d'une adresse médiocre & d'un peu de jugement pour en faire les plus difficiles opérations ". Voilà l'avis d'un très-habile oculiste sur un point où il ne doit pas être suspect. Il pouvoit mettre à un très-haut degré d'estime les talens nécessaires pour exercer convenablement cette partie de l'art, & personne n'avoit plus mérité d'en être cru sur sa parole. Il a été excellent oculiste, parce qu'il étoit très-bon chirurgien, & personne n'ignore que les opérations les mieux concertées de la chirurgie oculaire, sont dûes à des chirurgiens qui n'en ont point fait leur capital ; la fistule lacrymale par M. Petit, la cataracte dont M. Chery a connu la possibilité de l'extraction, pratiquée si heureusement de nos jours par M. Daviel, &c. (Y)

Voici la notice des auteurs qu'un bon oculiste doit connoître.

Anel, Méthode pour guérir les fistules lacrymales. Turin 1713 & 1714, in-4°. Item, Dissertation sur la nouvelle découverte de l'hydropisie du conduit lacrymal. Paris 1716, in-12.

Aquapendente (Hieronymus Fabricius ab), Tractatus de oculo visus organo. Patav. 1601, fol. Francof. 1605, 1613, fol. & dans ses ouvrages anatom. & physiol. Lips. 1687, fol. cum Albini praefatione, L. B. 1738, fol.

Bailly, on the preservation of the Sigh. London, 1560, in-12.

Banister (Richard), Traité des yeux, contenant la connoissance & la cure de onze cent treize maladies, auxquelles cette partie & les paupieres sont sujettes. Londres, 1622, in -4°. en anglois.

Bastisch, des maladies des yeux. Dresdae 1583, fol. fig. en allemand.

Beddevole, remarques sur les yeux des oiseaux. Genève 1680, in-8 °.

Beneventus Hierosolimitanus, de oculis, corumque aegritudinibus & curis. Venetiis 1550, in-fol. & in -4°.

Boye, à disquisition about the final causes of natural things, &c. with some uncommon observations about vitiated sight. Lond. 1689, in-8 °. rare.

Brisseau, de la cataracte & du glaucoma. Paris 1709, in-12. fig.

Briggs (Guillelm.) ophthalmographia. Cantabridgiae 1675, in -8°. il y donne une exacte description de l'oeil avec la méthode de le disséquer.

Burgos (Joh. de), de pupillâ oculi. Romae 1543, in-8 °. Le P. Paul, Fra Paolo, beau génie, est le premier, pour le dire en passant, qui ait observé la contraction & la dilatation de la prunelle de l'oeil.

Barrhus (Joseph Frider.) epistola de artificio humores oculorum restaurandi. Hafn. 1669, in-4 °.

Carcanus (Joh. Bapt.) de cordis vasorum in foetu unione, & de musulis palpebrarum & oculorum. Ticini 1764, in-8 °.

Cocchi (Anton.) epistola ad Morgagnum de lente crystalinâ oculi humani, verâ suffusionis sede. Romae 1721, in-8 °.

Coward (Guillelm.) ophthalmomiatria, sive oculorum medela. London. 1706. in-8 °.

Dubois, des maladies qui arrivent à l'oeil, & des remedes les plus convenables pour les guérir sans opération manuelle. Paris 1733, in-12.

Friderici (Petri), tractatus de oculis. Lips. 1576, in-8 °.

Guenelloni, epistola ad D. Carletonum, &c. de anatome oculorum, &c. Amstael. 1686, in-8 °.

Heisteri (Laurent.) de cataracta, glaucomate, & amaurosi. Altorf. 1713, in-8 °.

Henricus (Joh.) de morbis oculorum, aurium, nasi, dentium. Antverp. 1608, in -4.

Hodierna (Joh. Bapt.) de oculo muscae. Pauormi 1644, in-4 °. cet ouvrage rare est fort bon.

Hoferus (Tobias), de ophthalmia tractatus. Basileae 1653, in-8 °.

Hovius (Jacobus), de circulari humorum motu in oculis. Lugd. Bat. 1716, cum fig. c'est un bon ouvrage.

Huyghens (Chrétien), opera varia. Lugd. Bat. 1682, in -4°. & opera reliqua. Amstael. 1728, 2 vol. in-4 °.

Kennedy, ophthalmographia, &c. Lond. 1713, in-8 °. en anglois.

Maître-Jan (Antoine), des maladies de l'oeil. Troyes 1707, in 4°. prem. édit. c'est le meilleur auteur sur cette matiere.

Manelphi (Johannis), tractatus de fletu & lacrymis. Romae 1618, in-8 °.

Marini (Girol.) pratique des opérations chirurgicales sur les yeux, & dans la lithotomie. Rome 1723, in-8 °. en Italien.

Michael (Joh.) oculi fabrica, actio, usus, &c. Lugd. Bat. 1649, in-8 °.

Monavius (Frider.) elenchus affectuum ocularium. Cryphiswaldiae 1644, in-4 °, 1654, in -4°.

Moaline (Antoine), à relation of new anatomical observations in the eyes of animals. Lond. 1682, in-4 °. c'est un ouvrage très-curieux.

Newton (le chev. Isaac), optique, livre immortel.

Petit (le médecin), lettre où l'on démontre que le crystallin est fort près de l'uvée, avec de nouvelles preuves concernant l'opération de la cataracte. Paris 1729, in-4 °. rare & curieuse.

Panamusali de Buldac, liber super praeparationibus rerum quae ad oculorum medicinas faciunt. Venet. 1500, in-fol.

Plempii (Vopisc. Fortun.) ophthalmographia. Lovani 1648, fol. il a fait sa réputation par cet ouvrage.

Read (Guillelm.) on the diseases of the eyes. Lond. 1704, in-8 °.

Ruschius (Joh. Bapt.) super visus organo, libri quatuor. Pisis, 1631, in-4 °.

Schelhammeri (Christoph.) ophthalmographia & opsioscopia, &c. Jenae 1640, in -4°.

Severus (Nicolaus), observationes anatomicae de glandulis oculorum, novisque eorum vasis. Hafniae 1664, in -4°.

Taylor (Joh.) of the cataract and glaucoma. London 1736, in-8°. Item, le méchanisme du globe de l'oeil. Paris 1738, opérateur adroit & charlatan habile.

Trinchusii, dissertatio de caecis sapientiâ & eruditione claris. Jenae 1672, in-4 °. c'est un ouvrage pour les Littérateurs.

Varolius (Constantius), de nervis opticis. &c. Patavii 1573 Francof. 1591, in-8 °.

Woolhouse, dissertationes de cataracta & glaucomate. Francof. 1719, in-8 °.

Yves (Saint) traité des maladies des yeux. Paris 1722, in-8 °.

Zahu, oculus artificialis teledriopticus, &c. Norimb. 1722. in-fol. fig.

Thé perfect oculist. 1603, in-8 °. par un anonyme.

A tous ces traités particuliers il faut joindre les observations qui se trouvent éparses dans les Mémoires de l'académie des Sciences, les Transactions philosophiques, le Recueil d'Edimbourg, les Actes des curieux de la nature, & autres ouvrages de ce genre.

Boerhaave avoit donné dans des leçons publiques un traité sur la structure de l'oeil, & ses principales maladies ; c'est un morceau précieux que messieurs Van-Swieten & Tronchin pourroient mettre au jour. (D.J.)


OCULUS BELou OCULUS SOLIS, (Hist. Botan.) Voyez OEIL DE CHAT.

OCULUS MUNDI. Voyez OEIL DU MONDE.

OCULUS MARIS ou OCULUS VENERIS, nom d'une coquille que l'on connoît mieux sous le nom d'umbilicus veneris.

OCULUS CHRISTI, (Botan.) espece d'astérisque, nommé par Tournefort asteriscus annuus, foliis ad florem rigidis. Voyez ASTERISQUE.

On le cultive quelquefois dans les jardins à cause de sa fleur ronde, radiée & de couleur jaune, qui sert à embellir les parterres ; mais l'astérisque préférable pour ce dessein est l'espece qui fleurit la plus grande partie de l'année, & que Tournefort appelle asteriscus maritimus, perennis, patulus. (D.J.)


OCYMOPHILLONS. m. (Botan.) nom donné par Buxbaum à un nouveau genre de plante dont voici les caracteres. La fleur est sans pétale ; elle porte sur un embrion qui devient ensuite un vaisseau séminal, oblong, quadrangulaire, divisé en quatre loges, qui contiennent des graines arrondies & très-petites. Les feuilles de ce genre de plante sont semblables à celles du basilique, ocymum, d'où lui vient son nom. Elle croît dans les lieux humides. Bocconé la décrit sous le nom impropre de glaux, en l'appellant la grande glaux de marais, à fleur jaune. Act. petropol. vol. IV. pag. 421.


OCYMUMS. m. (Botan.) genre de plante que nous appellons en françois basilic, & c'est sous ce nom que vous la trouverez caractérisée. Tournefort en compte dix-neuf especes, & Boerhaave vingtquatre ; elles possedent une qualité balsamique & tempérée.


OCZAKOW(Géogr.) ville forte de Turquie, dans la Bessarabie, capitale d'un pays de même nom, & fameuse par la bataille de 1644 : c'est où sont les galeres turques qui gardent l'embouchure du Niéper contre les courses des Cosaques. Elle est défendue par plusieurs châteaux, & est à 126 lieues S. O. de Bialogrod, 164 N. E. de Constantinople. Long. 47. 35. lat. 46. 30.

La ville d'Oczakow, nommée par les Turcs Dsian-Crimenda, est située à l'embouchure du Borysthène qui s'y jette dans la mer Noire ; on nommoit autrefois cette ville Obia ou Miletopole, & elle étoit alors le centre du commerce des Milésiens avec les peuples septentrionaux de ces quartiers.

Le pays d'Oczakow est séparé de la Tartarie Crimée par le Borysthène ; il a l'Ukraine au N. O. la mer Noire au S. E. le Budziac au S. O. & la Moldavie au couchant. (D.J.)


ODAS. f. terme de relation, chambre, classe des pages du grand-seigneur dans le serrail : voici ce qu'en dit du Loir.

Les pages du grand-seigneur sont divisés en cinq classes, qui sont autant de chambres appellées oda. La premiere plus basse en dignité porte la qualité de grande, pour le nombre de ceux qui la composent : ce sont les plus jeunes à qui on enseigne à lire & à écrire, à bien parler les langues, qui sont la turque pour ce monde, l'arabe pour le paradis, & la persane pour l'enfer, à cause, disent les Turcs, de l'hérésie de la nation qui la parle.

La seconde s'appelle la petite oda, où depuis l'âge de 14 ou 15 ans, jusqu'à 20 ou environ, ils sont exercés aux armes, à piquer des chevaux, à l'étude des sciences dont les Turcs ont quelque teinture, comme est l'Arithmétique, la Géométrie & l'Astrologie. Dans chacune de ces chambres il y a un page de la chambre privée, qui leur commande.

La troisieme chambre nommée kilan-oda, comprend bien deux cent pages, qui outre leurs exercices ordinaires, sont commandés par le kilerdgibachi, pour le service de la sommellerie & de la fruiterie.

La quatrieme n'en a que vingt-quatre, qui sous le khazinéda-bachi, ont soin du trésor qui est dans l'appartement du grand-seigneur, où ils n'entrent jamais avec des habits qui aient des poches.

La cinquieme chambre appellée kas-oda, c'est-à-dire classe privée, est composée de quarante pages qui servent à la chambre du prince.

Toutes les nuits un nombre fixe de pages de ces chambres sont de garde, quand leur prince est couché ; ils sont posés en divers endroits, les uns plus près de lui que les autres, selon le degré de leur chambre ; & ceux qui sont de la chambre privée les commandent. Ils prennent garde aussi que la lumiere, qu'ils tiennent toujours dans sa chambre, ne lui donne point dans les yeux, craignant qu'il ne s'éveille ; & s'ils le voient travaillé de quelque songe qui l'inquiete & qui le tourmente, ils en avertissent l'aga pour qu'il le réveille. (D.J.)


ODABACHou ODDOBASSI, s. m. (Hist. mod.) est un officier de l'armée des Turcs, qui répond à-peu-près à ce que nous appellons parmi nous un sergent, ou un caporal.

Les simples soldats & les janissaires, appellés oldachis, lorsqu'ils ont servi un certain nombre d'années, sont avancés, & deviennent biquelars : de biquelars ils sont faits odabachis, c'est-à-dire, caporaux de compagnie, ou chefs de certaines divisions dont le nombre n'est pas fixé, étant quelquefois de dix hommes, quelquefois de vingt.

Leur paye est de six doubles par mois, & ils portent pour marque distinctive un grand feutre, large d'un pié, & encore plus long que large, qui pend par derriere, & orné par devant de deux grandes plumes d'autruches.

L'odabachi est proprement un chef de chambrée des janissaires, comme le porte son nom composé de deux mots turcs savoir, oda, chambre, & bachi, chef. Lorsque les janissaires entrent pour la premiere fois dans cette chambre, l'odabachi les frappe sur le cou, & leur fait baisser la tête pour preuve de l'obéissance à laquelle ils sont engagés. Ils ne peuvent s'absenter sans sa permission, & lorsqu'ils négligent de la lui demander, il leur fait donner par le cuisinier de la chambrée des coups de baguette sur les fesses & non sur les piés, afin de ne pas les mettre hors d'état de marcher où le bien du service le requiert. S'ils commettent quelque crime grave, il les fait étrangler mais secrettement, & jetter leurs corps dans la mer. Que s'il est forcé de rendre leur punition publique, il doit auparavant les dégrader de leur qualité de janissaire, ce qui se fait en mettant en pieces le collet de leur habit. Guer, moeurs des Turcs, tome II.

On donne encore en Turquie le nom d'odabachi au directeur de chaque chambre des ichoglans ou pages du grand-seigneur. Il veille à leur conduite, à leurs exercices, & les fait châtier lorsqu'il leur échappe quelque faute.


ODAGLANDARIS. m. (Hist. mod. terme de relation) on écrit aussi odeglandari, odoglandari, oddoglandari. Ce sont les pages de la cinquieme chambre ou oda ; voyez ODA.

Ces pages sont au nombre de quarante qui servent à la garderobe du grand-seigneur. Ils ont dix aspres par jour, bouche à cour, & deux habits de velours, satin ou damas, tous les ans. Vigenere, illustrat. sur chalcondyle, p. 359. (D.J.)


ODALIQUEou ODALISQUES, s. f. (Hist. mod.) c'est ainsi qu'on nomme en Turquie les simples favorites du grand-seigneur, renfermées dans le serrail pour servir à ses plaisirs. Elles y sont gardées par des eunuques, & occupent chacune un appartement où elles sont servies par des femmes. Les odaliques qui n'ont eu que des filles, ont la liberté de sortir & de se marier à qui il leur plaît ; mais celles qui ont donné des fils au grand-seigneur, & sont arrivées par-là au titre d'asekis, sont renvoyées dans le vieux serrail quand le sultan se dégoûte d'elles, & n'en sortent jamais à-moins que leur fils ne monte sur le trone, & pour-lors on les nomme validé ou sultane-mere. Ce mot odalique vient d'oda, qui en turc signifie une chambre, parce que toutes ces femmes sont logées séparément. C'est entr'elles à qui employera le plus de manege pour plaire au sultan, & d'intrigues pour supplanter ses rivales.


ODAXISME(Médecine) mot grec dérivé de , je mords, & employé par différens auteurs pour désigner une sensation desagréable, plus forte que la démangeaison, & fort analogue à celle qui est l'effet d'une morsure. C'est dans ce sens général que van-Helmont l'emploie ; Dioscoride l'applique aussi à une affection des reins où le malade ressentoit cette espece de douleur, il dit qu'alors les reins étoient , comme mordus. Hippocrate, suivi en cela par le plus grand nombre de médecins, restreint le nom d'odaxisme à cette démangeaison vive & quelquefois douloureuse que les enfans éprouvent aux gencives, lorsqu'elles sont un peu percées & déchirées par les dents qui font effort pour sortir : pendant la dentition, dit-il, non-seulement il y a odaxisme, mais encore il survient des convulsions, &c. aphorism. 25. lib. III. d'où il paroît que ce mot seul signifie une affection des gencives, que presque tous les auteurs ont rendu par démangeaison.


ODES. f. (Poësie lyriq.) Dans la poësie grecque & latine, l'ode est une piece de vers qui se chantoit, & dont la lyre accompagnoit la voix. Le mot ode signifie chant, chanson, hymne, cantique.

Dans la poësie françoise, l'ode est un poëme lyrique, composé d'un nombre égal de rimes plates ou croisées, & qui se distingue par strophes qui doivent être égales entr'elles, & dont la premiere fixe la mesure des autres.

L 'ode avec plus d'éclat, & non moins d'énergie,

Elevant jusqu'au ciel son vol ambitieux,

Entretient dans ses vers commerce avec les dieux ;

....

Chante un vainqueur poudreux au bout de la carriere ;

Mene Achille sanglant au bord du Simoïs,

Ou fait fléchir l'Escaut sous le joug de Louis ;

....

Son style impétueux souvent marche au hasard,

Chez elle un beau desordre est un effet de l'art.

C'est M. Boileau qui parle, & qui dans ses beaux vers si dignes de la sublime matiere qu'il traite, donne sur cette espece de poësie des préceptes excellens qu'il a essayé de pratiquer lui-même avec assez peu de succès.

Comme l'ode est une poësie faite pour exprimer les sentimens les plus passionnés, elle admet l'enthousiasme, le sublime lyrique, la hardiesse des débuts, les écarts, les digressions, enfin le desordre poëtique. Nous pouvons en croire Rousseau sur ce sujet : écoutons-le.

Si pourtant quelque esprit timide

Du Pinde ignorant les détours,

Opposoit les regles d'Euclide

Au desordre de mes discours ;

Qu'il sache qu'autrefois Virgile

Fit même aux Muses de Sicile

Approuver de pareils transports :

Et qu'enfin cet heureux délire

Des plus grands maîtres de la lyre

Immortalise les accords.

L'enthousiasme ou fureur poëtique est ainsi nommée, parce que l'ame qui en est remplie est toute entiere à l'objet qui le lui inspire. Ce n'est autre chose qu'un sentiment quel qu'il soit, amour, colere, joie, admiration, tristesse, &c. produit par une idée.

Ce sentiment n'a pas proprement le nom d'enthousiasme, quand il est naturel, c'est-à-dire, qu'il existe dans un homme qui l'éprouve par la réalité même de son état ; mais seulement quand il se trouve dans un artiste, poëte, peintre, musicien ; & qu'il est l'effet d'une imagination échauffée artificiellement par les objets qu'elle se représente dans la composition.

Ainsi l'enthousiasme des artistes n'est qu'un sentiment vif, produit par une idée vive, dont l'artiste se frappe lui-même.

Il est aussi un enthousiasme doux qu'on éprouve quand on travaille sur des sujets gracieux, délicats, & qui produisent des sentimens forts, mais paisibles.

Le sublime qui appartient à l'ode est un trait qui éclaire ou qui brûle. Voici comment il se forme, dit l'auteur des Beaux-Arts réduits au même principe.

Un grand objet frappe le poëte : son imagination s'éleve & s'allume : elle produit des sentimens vifs qui agissent à leur tour sur l'imagination & augmentent encore son feu. De-là les plus grands efforts pour exprimer l'état de l'ame : de-là les termes riches, forts, hardis, les figures extraordinaires, les tours singuliers. C'est alors que les prophetes voient les collines du monde qui s'abaissent sous les pas de l'éternité ; que la mer fuit ; que les montagnes tressaillissent. C'est alors qu'Homere voit le signe de tête que Jupiter fait à Thétis, & le mouvement de son front immortel qui fait balancer l'univers.

Le sublime de l'ode consiste donc dans l'éclat des images & dans la vivacité des sentimens. C'est cette vivacité qui produit la hardiesse des débuts, les écarts, les digressions & le desordre lyrique, dont nous allons maintenant parler.

Le début de l'ode est hardi, parce que quand le poëte saisit sa lyre, on le suppose fortement frappé des objets qu'il se représente. Son sentiment éclate, part comme un torrent qui rompt la digue : & en conséquence il n'est guere possible que l'ode monte plus haut que son début ; mais aussi le poëte, s'il a du goût, doit s'arrêter précisément à l'endroit où il commence à descendre.

Les écarts de l'ode sont une espece de vuide entre deux idées, qui n'ont point de liaison immédiate. On sait quelle est la vîtesse de l'esprit. Quand l'ame est échauffée par la passion, cette vîtesse est incomparablement plus grande encore. La fougue presse les pensées & les précipite : & comme il n'est pas possible de les exprimer toutes, le poëte seulement saisit les plus remarquables, & les exprimant dans le même ordre qu'elles avoient dans son esprit, sans exprimer celles qui leur servoient de liaison, elles ont l'air d'être disparates & décousues. Elles ne se tiennent que de loin, & laissent par conséquent entr'elles quelques vuides qu'un lecteur remplit aisément, quand il a de l'ame & qu'il a saisi l'esprit du poëte.

Les écarts ne doivent se trouver que dans les sujets qui peuvent admettre des passions vives, parce qu'ils sont l'effet d'une ame troublée, & que le trouble ne peut être causé que par des objets importans.

Les digressions dans l'ode sont des sorties que l'esprit du poëte fait sur d'autres sujets voisins de celui qu'il traite, soit que la beauté de la matiere l'ait tenté, ou que la stérilité de son sujet l'ait obligé d'aller chercher ailleurs dequoi l'enrichir.

Il y a des digressions de deux sortes : les unes qui sont des lieux communs, des vérités générales, souvent susceptibles des plus grandes beautés poëtiques ; comme dans l'ode où Horace, à-propos d'un voyage que Virgile fait par mer, se déchaîne contre la témérité sacrilege du genre humain que rien ne peut arrêter. L'autre espece est des traits d'histoire ou de la fable, que le poëte emploie pour prouver ce qu'il a en vûe. Telle est l'histoire de Régulus, & celle d'Europe dans le même poëte. Ces digressions sont plus permises aux lyriques qu'aux autres, pour la raison que nous avons dite.

Le desordre poëtique de l'ode consiste à présenter les choses brusquement & sans préparation, ou à les placer dans un ordre qu'elles n'ont pas naturellement : c'est le desordre des choses. Il y a celui des mots d'où résulte des tours qui, sans être forcés, paroissent extraordinaires & irréguliers.

En général les écarts, les digressions, le desordre, ne doivent servir qu'à varier, animer, enrichir le sujet. S'ils l'obscurcissent, le chargent, l'embarassent, ils sont mauvais. La raison ne guidant pas le poëte, il faut au-moins qu'elle puisse le suivre : sans cela l'enthousiasme n'est qu'un délire, & les égaremens qu'une folie.

Des observations précédentes, on peut tirer deux conséquences.

La premiere est que l'ode ne doit avoir qu'une étendue médiocre. Car si elle est toute dans le sentiment, & dans le sentiment produit à la vûe d'un objet, il n'est pas possible qu'elle se soutienne longtems : animorum incendia, dit Ciceron, celeriter extinguuntur. Aussi voit-on que les meilleurs lyriques se contentent de présenter leur objet sous les différentes faces qui peuvent produire ou entretenir la même impression ; après quoi ils l'abandonnent presqu'aussi brusquement qu'ils l'avoient saisi.

La seconde conséquence est qu'il doit y avoir dans une ode, unité de sentiment, de même qu'il y a unité d'action dans l'épopée & dans le drame. On peut, on doit même varier les images, les pensées, les tours, mais de maniere qu'ils soient toûjours analogues à la passion qui regne : cette passion peut se replier sur elle-même, se développer plus ou moins, se retourner ; mais elle ne doit ni changer de nature, ni céder sa place à une autre. Si c'est la joie qui a fait prendre la lyre, elle pourra bien s'égarer dans ses transports, mais ce ne sera jamais en tristesse : ce seroit un défaut impardonnable. Si c'est par un sentiment de haine qu'on débute, on ne finira point par l'amour, ou bien ce sera un amour de la chose opposée à celle qu'on haïssoit : & alors c'est toûjours le premier sentiment qui est seulement déguisé. Il en est de même des autres sentimens.

Il y a des odes de quatre especes. L'ode sacrée qui s'adresse à Dieu, & qui s'appelle hymne ou cantique. C'est l'expression d'une ame qui admire avec transport la grandeur, la toute-puissance, la sagesse de l'être suprême, & qui lui témoigne son ravissement. Tels sont les cantiques de Moïse, ceux des prophetes, & les pseaumes de David.

La seconde espece est des odes héroïques, ainsi nommées, parce qu'elles sont consacrées à la gloire des héros. Telles sont celles de Pindare sur-tout, quelques-unes d'Horace, de Malherbe, de Rousseau.

La troisieme espece peut porter le nom d'ode morale ou philosophique. Le poëte frappé des charmes de la vertu ou de la laideur du vice, s'abandonne aux sentimens d'amour ou de haine que ces objets produisent en lui.

La quatrieme espece naît au milieu des plaisirs, c'est l'expression d'un moment de joie. Telles sont les odes anacréontiques, & la plûpart des chansons françoises.

La forme de l'ode est différente suivant le goût des peuples où elle est en usage. Chez les Grecs elle étoit ordinairement partagée en stances, qu'ils appelloient formes, .

Alcée, Sapho, & d'autres lyriques, avoient inventé avant Pindare d'autres formes, où ils mêloient des vers de différentes especes, avec une symmétrie qui revenoit beaucoup plus souvent. Ce sont ces formes qu'Horace a suivies. Il est aisé de s'en faire une idée d'après ses poësies lyriques.

Les François ont des odes de deux sortes : les unes qui retiennent le nom générique, & les autres qu'on nomme cantates, parce qu'elles sont faites pour être chantées, & que les autres ne se chantent pas.

Le caractere de l'ode de quelque espece qu'elle soit, ce qui la distingue de tous les autres poëmes, consiste dans le plus haut degré de pensée & de sentiment dont l'esprit & le coeur de l'homme soient capables. L'ode choisit ce qu'il y a de plus grand dans la religion, de plus surprenant dans les merveilles de la nature, de plus admirable dans les belles actions des héros, de plus aimable dans les vertus, de plus condamnable dans les vices, de plus vif dans les plaisirs de Bacchus, de plus tendre dans ceux de l'amour ; elle ne doit pas seulement plaire, étonner, elle doit ravir & transporter.

Les cantiques de l'Ecriture & les pseaumes de David célebrent de grandes merveilles ; cependant Rousseau & les autres poëtes judicieux n'ont pas traduit toutes ces odes sacrées, ils n'ont choisi que celles qui leur ont paru les plus propres à notre poësie lyrique. Tout est admirable dans l'univers : mais tous ses phénomenes ne doivent pas entrer également dans l'ode. Il faut préférer dans chaque espece les premiers êtres aux êtres moins sensibles & moins bienfaisans ; le soleil, par exemple, aux autres astres. Il faut rassembler dans leur description les circonstances les plus intéressantes, & placer, pour ainsi dire, ces êtres dans l'excès des biens & des maux qu'ils peuvent produire. Si vous décrivez un tremblement de terre, il doit paroître seul plus terrible que ceux que l'Histoire a jamais fait connoître : si vous peignez un paysage, il faut qu'il réunisse tous les charmes de ceux que la Peinture a jamais représentés. Une ode doit parler à l'esprit, au jugement, aux sens, au coeur, & leur offrir tour à tour les objets les plus capables de les occuper entierement.

Autant Erato est rebelle à ceux qui, sans autre guide que l'esprit, osent mettre un pié profane dans son sanctuaire, autant elle est favorable à ceux qui y sont introduits par le génie. Elle leur ouvre le champ le plus vaste, le plus noble & le plus beau ; elle leur permet & leur ordonne même de lâcher la bride à leur imagination, de prendre l'essor le plus rapide & le plus élevé, de se dérober aux regards des foibles mortels à-travers les feux & les éclairs, de s'élancer jusqu'au plus haut des cieux, tels que des aigles intrépides, d'aller prendre la foudre dans les mains de Jupiter pour en frapper les impies Salmonées & les orgueilleux Titans, &c.

Des mouvemens imprévus, des idées saillantes, des expressions hardies, des images fortes, mais gracieuses, un ordre qui soit caché avec art sous le voile d'un désordre apparent, beaucoup d'harmonie, des écarts éclatans, mais réglés par la raison, des transports sublimes, de nobles fureurs, &c. voilà les ornemens qui conviennent à l'ode : elle abhorre la médiocrité ; si elle n'échauffe, elle glace. Si elle ne nous enleve, si elle ne nous transporte par son divin enthousiasme, elle nous laisse transis & morfondus. C'est dans ce genre qu'on peut presque affirmer qu'il n'est point de degré du médiocre au pire. Le poëte, pour donner de la vie aux sujets qu'il traite, doit les animer par la fiction, & les soutenir par les peintures & par la cadence nombreuse. Tous les trésors de la fable, de la poësie, de l'imagination, & de toute la nature, lui sont ouverts ; il peut y puiser à son gré tout ce qu'ils renferment de plus frappant & de plus précieux.

J'ai déja pris soin d'insinuer, & je le répete encore ici, que tous les sublimes transports de l'ode doivent être réglés par la raison, & que tout ce désordre apparent ne doit être en effet qu'un ordre plus caché. Il ne s'agit point de lancer au hasard des idées éblouissantes, ni d'étaler avec emphase un galimatias pompeux. Ce désordre même que l'ode exige, ce qui est une de ses plus grandes beautés, ne doit peut-être avoir pour objet que le retranchement des liaisons grammaticales, & de certaines transitions scrupuleuses qui ne feroient qu'énerver la poësie lyrique. Quoi qu'il en soit, c'est à l'art de régler le désordre apparent de l'ode. Toutes les figures si variées & si hardies doivent tendre à une même fin, & s'entreprêter des beautés mutuelles.

L'ode où l'on chante les dieux ou les héros, doit briller dès le début même. L'hyperbole est son langage favori. Le poëte y peut promettre des miracles. La carriere qu'il doit fournir est si courte, qu'il n'aura pas le tems de perdre haleine, ni de réfroidir ses lecteurs : c'est là l'ode pindarique. Elle commence souvent dans Pindare par la description sublime de quelques phénomenes naturels, dont il fait ensuite l'application à son sujet. La surprise est le sentiment qu'elle doit produire. Toutes les odes de ce genre qui ne portent pas ces caractères, ne meritent que le nom de stances.

Il est un autre genre d'odes moins superbe, moins éclatant, mais non moins agréable ; c'est l'ode anacréontique. Elle chante les jeux, les ris folâtres, les plaisirs & les agrémens de la vie champêtre, &c. Jamais la lyre du voluptueux Anacréon ne résonne pour célébrer les héros & les combats. Partagé entre Bacchus & l'Amour, il ne produit que des chansons inspirées par ces deux divinités.

Il tient parmi les Poëtes le même rang qu'Epicure parmi les Philosophes. Toutes ses odes sont courtes, pleines de douceur, d'élégance, de naïveté, & animées d'une fiction toujours galante, ingénieuse & naturelle. Son imagination livrée toute entiere aux plaisirs, ne lui fournit que des idées douces & riantes, mais souvent trop capables d'allarmer la vertu.

La dixieme muse, la tendre & fidele Sapho, a composé un petit nombre d'odes consacrées aussi à l'amour. On connoît celle qui a été traduite si élégamment par Catulle, Despréaux & Adisson ; trois traductions admirables sans qu'on ait pu dire laquelle méritoit la préférence. Le lecteur les trouvera, je pense, au mot GRADATION.

Horace s'est montré tantôt Pindare, & tantôt Anacréon ; mais s'il imite Pindare dans ses nobles transports, il le suit aussi quelquefois un peu trop dans son désordre ; s'il imite la délicatesse & la douceur naïve d'Anacréon, il adopte aussi sa morale voluptueuse, & la traite d'une maniere encore plus libre, mais moins ingénue.

Malherbe s'est distingué par le nombre & l'harmonie ; il est inimitable dans la cadence de ses vers, & l'on doit excuser la foiblesse de ceux qu'il n'a fait que pour servir de liaisons aux autres. Il faut encore avoir la force de lui passer ses expressions surannées.

Rousseau a été tout-à-la-fois Pindare, Horace, Anacréon, Malherbe, &c. Il a rassemblé tous les talens partagés entre ces grands poëtes ; son génie vigoureux, né pour la lyre, en a embrassé tous les genres, & y a excellé.

Avant lui M. de la Motte avoit composé des odes pleines d'élégance & de délicatesse dans le goût d'Anacréon. Je ne reprocherai point à cet aimable poëte d'avoir été trop moral dans le genre lyrique, parce que Rousseau ne l'est pas moins. Je dirai seulement que l'un moralise en poëte, & l'autre en philosophe ; l'un est sublime dans ses sentences, & l'autre n'est qu'ingénieux ; l'un éclairant, échauffe & transporte ; l'autre en instruisant se contente d'amuser.

Il est sans doute permis dans le lyrique d'étaler de belles & solides maximes ; mais il faut qu'elles soient revêtues des brillantes couleurs qui conviennent à ce genre de poësie. Ainsi le vrai défaut de M. de la Motte est de n'être pas assez animé ; ce défaut se trouve dans ses descriptions & dans ses peintures qui sont trop uniformes, froides & mortes en comparaison de la force, de la variété, & des belles images de celles du célebre Rousseau. Mais j'entrerai dans d'autres détails sur les poëtes dont je viens de parler, au mot POETE LYRIQUE, & je tâcherai en même tems de ne me pas répéter.

Les Anglois seroient sans doute les premiers poëtes lyriques du monde, si leur goût & leur choix répondoient à la force de leur esprit & à la fécondité de leur imagination. Ils apperçoivent ordinairement dans un objet plus de faces que nous n'en découvrons ; mais ils s'arrêtent trop à celles qui ne méritent point leur attention : ils éteignent & ils étouffent le feu de notre ame à force d'y entasser idées sur idées, sentimens sur sentimens.

Jamais la Gréce & la république Romaine n'ont fourni un aussi vaste champ pour l'ode, que celui que l'Angleterre offre à ses poëtes depuis deux siécles. Le regne florissant d'Elisabeth ; la mort tragique de la reine d'Ecosse ; les trois couronnes réunies sur la tête de Jacques I. le despotisme qui renversa le trône de Charles & qui le fit périr sur un échafaud ; l'interregne odieux, mais brillant de l'usurpateur ; le rétablissement du roi légitime ; les divisions & les guerres civiles renaissantes sous ce prince ; une nouvelle révolution sous son successeur ; la nation entiere divisée en autant de sectes dans la religion, que de partis dans le gouvernement ; le roi chassé de son trône & de sa patrie ; un étranger appellé pour régner en sa place ; une nation épuisée par des guerres & des défaites malheureuses ; mais qui se releve tout-à-coup, & qui monte au plus haut point de sa gloire sous le regne d'une femme : en faudroit-il davantage pour livrer toutes les muses à l'enthousiasme ? Rousseau auroit-il été réduit, s'il eût vêcu en Angleterre, à dresser une ode à M. Duché sur les affaires de sa famille, & une autre à M. de Pointis, sur un procès que lui firent les Flibustiers ? (D.J.)


ODÉES. m. (Archit. & antiq. Grecq.) Odéon, & en latin Odeum, mot dérivé du grec , chant, parce que c'étoit chez les anciens un lieu destiné pour la répétition de la musique qui devoit être chantée sur le théâtre ; c'est du moins la signification que Suidas donne de ce terme.

Le plus superbe odée de l'antiquité étoit celui d'Athènes, où tant de grands musiciens disputerent le prix que la république décernoit aux plus habiles. Pausanias, Plutarque, Appian, Vitruve & autres écrivains grecs & latins en ont célébré la grandeur & la magnificence.

Ce bâtiment étoit une espece de théâtre élevé par Périclès ; l'intérieur en étoit orné de colonnes & garni de sieges. Il étoit couvert en pointe de mâts & d'antennes de navires pris sur les Perses ; & il se terminoit en cône sous la forme d'une tente ou d'un pavillon royal.

Avant la construction du grand théâtre d'Athènes, les musiciens & les poëtes s'assembloient dans l'Odeum pour y jouer & représenter leurs pieces, d'où le lieu fut surnommé . On avoit placé à l'entrée une statue de Bacchus pour rappeller l'origine de la tragédie qui commença chez les Grecs par des hymnes en l'honneur de ce dieu. On continua de réciter dans l'Odeum les nouvelles pieces avant que de les représenter sur le théâtre. Comme l'édifice étoit vaste & commode, les archontes y tenoient quelquefois leur tribunal, & l'on y faisoit au peuple la distribution des blés & des farines.

Ce bâtiment fut brûlé l'an de Rome 668, 86 ans avant l'ere chrétienne, pendant le siege d'Athènes par Sylla. Aristion qui défendoit la ville pour Mithridate, craignant que le général romain ne se servît des bois & autres matériaux de l'Odeum pour attaquer l'acropole ou le château, y fit mettre le feu. Dans la suite Ariobarzane le fit rebâtir. C'étoit Ariobarzane Philopator, second du nom, qui regna en Cappadoce depuis l'an 690 de Rome, jusque vers l'an 703. Ce prince n'épargna aucune dépense pour rendre à cet édifice sa premiere splendeur. Strabon, Plutarque, Pausanias qui ont écrit depuis le rétablissement de cet édifice, le mettent au nombre des plus magnifiques ornemens d'Athènes. Le rhéteur Hérodès Atticus, qui vivoit sous les Antonins, ajouta de nouveaux embellissemens à l'Odeum. Athènes, il est vrai, n'étoit plus la souveraine de la Gréce ; mais elle conservoit encore quelque empire dans les Sciences & dans les Arts ; titre qui lui mérita l'amour, le respect & la bienveillance des princes & des peuples étrangers.

L'édifice d'Ariobarzane étoit d'une grande solidité, si l'on en juge par les vestiges qui subsistent encore après dix-huit siecles. Voici la description que Whéler en a faite dans son voyage d'Athènes. " Les fondemens, dit-il, en sont de prodigieux quartiers de roche taillés en pointe de diamans, & bâtis en demi cercle, dont le diamêtre peut être de 140 pas ordinaires ; mais ses deux extrêmités se terminent en angle obtus sur le derriere qui est entiérement taillé dans le roc, & élevé de cinq à six pieds. On y monte par des degrés, & à chaque côté sont des bancs ciselés pour s'asseoir le long des deux branches du demi cercle. " Ainsi l'édifice de forme semi-circulaire pouvoit avoir dans son diamêtre, suivant notre mesure, 350 pieds, ou 58 toises. Whéler prouve d'après ce témoignage de Pausanias, & par les circonstances locales, que ce monument dont il donne le plan est l'Odeum d'Ariobarzane. On ne doit pas le confondre avec le théâtre qui s'appelle encore le théâtre de Bacchus, & dont notre savant voyageur anglois a fait aussi la description.

Il y avoit cinq bâtimens à Rome portant le nom d'Odeum. Ils servoient à instruire les musiciens & les joueurs d'instrumens, ainsi que ceux qui devoient jouer quelque personnage aux comédies & tragédies, avant que de les produire au théâtre devant le peuple. (D.J.)


ODENSÉE(Géog.) ville considérable de Danemark dans l'île de Funen, avec un évêché suffragant de Lunden. Elle est à 18 lieues de Sleswig, 26 S. O. de Copenhague. Long. 28. 2. lat. 55. 28.

On prétend que cette ville reçut le nom d'Odensée, ou plutôt Ottensée, en latin Ottonia, de l'empereur Otton I. l'an 948, ainsi que le passage du Belte, Ottensund, ou détroit d'Otton.

Baugias (Thomas), professeur en Théologie, & homme versé dans les langues orientales, étoit d'Odensée. Il finit ses jours en 1661, après avoir donné quantité d'ouvrages théologiques qu'on ne lit plus aujourd'hui.


ODERL '(Géog.) riviere considérable d'Allemagne, qui prend sa source dans la Moravie au village de Giebe, passe à Oder, bourgade, d'où elle a tiré son nom ; arrose ensuite plusieurs pays, entre dans la Silésie, traverse Breslaw, coule dans le Brandebourg qu'elle sépare de la Lusace, passe à Francfort, arrive ensuite à Gartz & à Stetin, & se jette enfin dans la mer par trois embouchures.

ODER, l '(Géog.) petite riviere de France en Bretagne. Elle a sa source au village de Corai, passe à Quimpercorentin, & se perd dans la mer trois lieues au-dessous de cette ville.


ODERZO(Géog.) c'est l'Opitergium des anciens, petite ville d'Italie dans l'état de Venise, dans la marche Trevisane, sur le ruisseau de Motégan, & à dix milles de Ceneda. Long. 29. 45. lat. 46. 10.


ODESSUS(Géog. anc.) ville bâtie par les Milésiens au rapport de Pline, liv. IV. c. ij. Elle étoit entre Calatis & Apollonie. C'est l'Odyssus de Ptolémée, liv. III. chap. xj. Entr'autres médailles, il y en a une d'Antonin Severe dans le recueil de Patin, sur laquelle on lit ce mot, OHCCEITON. (D.J.)


ODEUMS. m. , étoit chez les anciens un lieu destiné à la répétition de la musique qui devoit être chantée sur le théatre.

On donnoit quelquefois le nom d'odeum à des bâtimens qui n'avoient point de rapport au théatre. Périclès fit bâtir à Athènes un odeum, où l'on disputoit les prix de Musique. Pausanias dit que Hérode l'athénien fit construire un magnifique odeum pour le tombeau de sa femme.

Les écrivains ecclésiastiques désignent aussi quelquefois le choeur d'une église par le mot odeum. Voyez CHOEUR, ODEE. (S)


ODEURS. f. (Physique) sensation dont le siége est dans l'intérieur du nez, & qui est produite par des particules très-subtiles, qui s'échappant des corps, viennent frapper le siége de cette sensation.

L'intérieur du nez est revêtu d'une membrane appellée pituitaire ; elle est composée en grande partie des fibres du nerf olfactif. Voyez NERF. Ces fibres ébranlées par l'action des corpuscules odorans, produisent la sensation de l'odorat. On peut voir un plus grand détail sur cette membrane dans les livres d'Anatomie, & dans les articles anatomiques de ce Dictionnaire, qui y ont rapport, comme NEZ, MEMBRANE PITUITAIRE. On perd le sentiment de l'odorat dans les engorgemens de cette membrane, comme dans les rhumes de cerveau.

Les sensations de l'odorat & du goût, ont beaucoup de rapport entr'elles ; non-seulement les organes de l'un & de l'autre sont voisins, & se communiquent, mais on peut même regarder l'odorat comme une espece de goût ; ordinairement le premier des sens avertit le second de ce qui pourroit lui être desagréable. Voyez GOUT.

Le principal objet de l'odorat consiste vraisemblablement dans les sels volatils ; ces corpuscules capables d'ébranler l'organe de l'odorat, sont d'une extrême divisibilité ; c'est ce que l'expérience journaliere démontre. Un morceau d'ambre ou de musc mis successivement dans plusieurs chambres, les remplit d'odeur en un instant ; & cette odeur subsiste très-long-tems sans qu'on apperçoive de diminution sensible dans le poids de ce morceau d'ambre, ni par conséquent dans la substance. Quand on met dans une cassolette de verre une liqueur odorante, & que la liqueur commence à bouillir, il en sort une vapeur très-forte qui se répand en un instant dans toute la chambre, sans que la liqueur paroisse avoir rien perdu de son volume. Voyez l'article DIVISIBILITE, & la premiere leçon de l'introductio ad veram physicam de Keill, où la divisibilité de la matiere est prouvée par des calculs tirés de la propagation même des odeurs. (O)

Voici un abrégé de ce calcul : il y a, dit M. Keill, plusieurs corps dont l'odeur se fait sentir à cinq piés à la ronde : donc ces corps répandent des particules odorantes au-moins dans toute l'étendue de cet espace ; supposons qu'il n'y ait qu'une seule de ces parties dans chaque quart de pouce cubique. Cette supposition est vraisemblablement fort au-dessous de la vérité, puisqu'il est probable qu'une émanation si rare n'affecteroit point l'odorat ; on trouvera dans cette supposition, qu'il y a dans la sphere de cinq piés de rayon 57839616 particules échappées du corps, sans que ce corps ait perdu sensiblement de sa masse & de son poids.

M. Boyle a observé que l'assa foetida exposée à l'air, avoit perdu en six jours une huitieme partie de grain de son poids ; d'où M. Keill conclut qu'en une minute elle a perdu 1/69120 de grain, & par un calcul auquel nous renvoyons, il fait voir que chaque particule est 2/10000 000 000 000 000 d'un pouce cube.

Dans ce calcul, on suppose les particules également distantes dans toute la sphere de cinq piés de rayon ; mais comme elles doivent être plus serrées vers le centre, (voyez QUALITE) en raison inverse du quarré de la distance, M. Keill recommence son calcul d'après cette supposition, & trouve qu'en ce cas il faut multiplier par 21 le nombre de particules 57839616 ci-dessus trouvé ; ce qui donne 1214631-936 ; il trouve de plus que la grandeur de chaque particule est 38/1000 000 000 000 000 000 de pouce. Voyez les articles DIVISIBILITE & DUCTILITE. Voyez aussi ÉCOULEMENS, ÉMANATIONS, &c. (O)

1°. Du mêlange de deux corps, qui par eux-mêmes n'ont aucune odeur, on peut tirer une odeur d'urine, en broyant de la chaux vive avec du sel ammoniac.

2°. Au moyen du mêlange de l'eau commune, qui par elle-même ne sent rien avec un autre corps sans odeur, il peut en résulter une bien mauvaise odeur : ainsi le camphre dissous dans l'huile de vitriol, n'a point d'odeur ; mais si on y mêle de l'eau, il répand aussi-tôt une odeur très-forte.

3°. Les corps composés peuvent répandre des odeurs qui ne ressemblent en rien à l'odeur des corps simples dont ils sont composés. Ainsi l'huile de térébenthine mêlée avec une double quantité d'huile de vitriol, & ensuite distillée, ne répand qu'une odeur de soufre après la distillation. Mais si on met sur un feu plus violent ce qui est resté dans la retorte, il en résultera une odeur semblable à celle de l'huile de cire.

4°. Il y a plusieurs odeurs qu'on ne tire des corps que par l'agitation & le mouvement. Ainsi le verre, les pierres, &c. qui ne répandent point d'odeur, même quand elles sont échauffées, en répandent cependant une forte, quand on les frotte, & qu'on les agite d'une maniere particuliere : principalement le bois d'hêtre quand on le travaille au tour, laisse une espece d'odeur de rose.

5°. Un corps dont l'odeur est forte étant mêlée avec un autre qui ne sent rien, peut perdre tout-à-fait son odeur. Ainsi si on répand de l'eau-forte dont on n'a pas bien ôté le phlegme, sur du sel de tartre, jusqu'à ce qu'il ne fermente plus, la liqueur, lorsqu'elle est évaporée, laisse un crystal sans odeur, qui ressemble beaucoup au sel de nitre ; mais en le brûlant il répand une très-mauvaise odeur.

6°. Du mêlange de deux corps, dont l'un sent très-mauvais, & l'autre ne sent pas bon, il peut résulter une odeur aromatique très-gracieuse : par exemple, du mêlange de l'eau-forte ou de l'esprit de nitre avec l'esprit-de-vin inflammable.

7°. L'esprit-de-vin, mêlé avec le corps qui a le moins d'odeur, peut former une odeur aromatique bien agréable. Ainsi l'esprit-de-vin inflammable, & l'huile de vitriol de Dantzic mêlés ensemble en égale quantité, & ensuite digérés, & enfin distillés, donnent un esprit d'une odeur bien gracieuse.

8°. Le corps le plus odoriférant peut dégénérer en une odeur puante, sans y rien mêler. Ainsi si on garde dans un vase bien fermé, l'esprit dont il est parlé dans la premiere expérience, elle se changera aussi-tôt en une odeur d'ail.

9°. De deux corps dont l'un n'a point d'odeur, & l'autre en a une mauvaise, il peut résulter une odeur agréable, semblable à celle du musc : par exemple, en jettant des perles dans l'esprit de vitriol : car quand les perles sont dissoutes, le tout répand une fort bonne odeur.

On employe souvent les odeurs dans les maladies hystériques & hypocondriaques ; ce sont, par exemple, l'assa foetida, le camphre, &c.

Les odeurs sont pernicieuses aux uns, & sur-tout aux femmes : cependant cela varie selon les tems & les modes. Autrefois qu'en cour les odeurs étoient proscrites, les femmes ne les pouvoient supporter ; aujourd'hui qu'elles sont à la mode, elles en sont infatuées ; elles se plaisent à se parfumer & à vivre avec ceux qui sont parfumés.

Les odeurs ne produisent donc pas toujours l'effet qu'on leur a attribué depuis long-tems, qui est de donner des vapeurs ; puisqu'aujourd'hui toutes les femmes sont attaquées de vapeurs, & que d'ailleurs elles aiment si fort les odeurs ; qui plus est, c'est qu'on ordonne aujourd'hui le musc pour l'épilepsie, les mouvemens convulsifs, & les spasmes. Il faut donc que l'on lui reconnoisse quelque chose d'anti-spasmodique.

Il faut convenir que les odeurs fortes, disgracieuses, & fétides, tels que le castoreum, l'assa foetida, la savatte brûlée, & autres de cette nature, sont excellentes dans les accès de vapeurs, de quelque maniere qu'elles produisent leur effet. Cela ne peut arriver, qu'en remettant les esprits dans leur premier ordre, & en leur rendant leurs cours ordinaires. Voyez MUSC.

ODEUR, (Critique sacrée) ce mot signifie figurément plusieurs choses dans l'Ecriture : par exemple, 1°. un sacrifice offert à Dieu : Non capiam odorem coetuum vestrorum, Amos, v. 21. je n'accepterai point les victimes que vous m'offririez dans vos assemblées. Odoratus est Dominus odorem suavitatis, Genèse, viij. 21. Dieu agréa le sacrifice de Noé. 2°. Il signifie une mauvaise réputation, Exode, v. 21. Jacob se plaint pareillement à ses fils, de ce que par le meurtre de Sichem, ils l'avoient mis en mauvaise odeur, chez les Cananéens. 3°. Odor ignis, l'odeur du feu, se met pour la flamme même, quoniam odor ignis non transiisset per eos, ils n'avoient point senti l'activité du feu, Daniel, iij. 94. 4°. Le mot bonne odeur, veut dire une chose excellente : sicut balsamum aromatisans odorem dedi, Ecclés. xxiv. 20. J'ai répandu une bonne odeur, l'odeur d'un baume précieux ; cette bonne odeur étoit celle de la doctrine & des préceptes de la loi. (D.J.)


ODIEL(Géog.) riviere d'Espagne, dans l'Andalousie : elle a sa source aux frontieres de l'Estramadure & du Portugal, & son embouchure dans le golfe de Cadix. (D.J.)


ODIEUX(Gramm.) digne de haine. Voyez HAINE. Les méchans sont odieux même les uns aux autres : de tous les méchans, les tyrans sont les plus odieux, puisqu'ils enlevent aux hommes des biens inaliénables, la liberté, la vie, la fortune, &c. On déguise les procédés les plus odieux sous des expressions adroites qui en dérobent la noirceur : ainsi un homme leste est un homme odieux, qui sait faire rire de son ignominie. Si un homme se rend le délateur d'un autre, celui-ci fût-il coupable, le délateur fera toujours aux yeux des honnêtes gens un rôle odieux. Combien de droits odieux que le souverain n'a point prétendu imposer, & dont l'avidité des traitans surcharge les peuples ! Le dévolu est licite, mais il a je ne sais quoi d'odieux : celui qui l'exerce paroît envier à un autre le droit de faire l'aumône ; & au lieu d'obéir à l'Evangile qui lui ordonne d'abandonner son manteau à celui qui lui en disputera la moitié, il ne me montre qu'un homme intéressé qui cherche à s'approprier le manteau d'un autre. Mais n'est-ce pas une chose fort étrange, que dans un gouvernement bien ordonné, une action puisse être en même-tems licite & odieuse ? N'est-ce pas une chose plus étrange encore, que les magistrats chargés de la police, soient quelquefois forcés d'encourager à ces actions ? & n'est-ce pas là sacrifier l'honneur de quelques citoyens mal nés, à la sécurité des autres ? Odieux vient du mot latin odium ; les médisans sont moins insupportables & plus odieux que les sots. Il se dit des choses & des personnes ; un homme odieux, des procédés odieux, des applications, des comparaisons odieuses, &c.


ODINOTHEN, ou VODEN, s. m. (Mythol.) c'est ainsi que les anciens Celtes qui habitoient les pays du nord, appelloient le plus grand de leurs dieux, avant que la lumiere de l'évangile eût été portée dans leur pays. On croit que dans les commencemens les peuples du septentrion n'adoroient qu'un seul Dieu, suprême auteur & conservateur de l'univers. Il étoit défendu de le représenter sous une forme corporelle, on ne l'adoroit que dans les bois ; de ce Dieu souverain de tout, étoient émanés une infinité de génies ou de divinités subalternes, qui résidoient dans les élémens, & dans chaque partie du monde visible qu'ils gouvernoient sous l'autorité du Dieu suprême. Ils faisoient à lui seul des sacrifices, & croyoient lui plaire, en ne faisant aucun tort aux autres, & en s'appliquant à être braves & intrepides. Ces peuples croyoient à une vie à venir ; là des supplices cruels attendoient les méchans, & des plaisirs ineffables étoient réservés pour les hommes justes, religieux & vaillans. On croit que ces dogmes avoient été apportés dans le nord par les Scythes. Ils s'y maintinrent pendant plusieurs siecles : mais enfin ils se lasserent de la simplicité de cette religion. Environ soixante-dix ans avant l'ere chrétienne, un prince scythe, appellé Odin, étant venu faire la conquête de leur pays, leur fit prendre des idées nouvelles de la divinité, & changea leurs lois, leurs moeurs & leur religion. Il paroît même que ce prince asiatique fut dans la suite confondu avec le Dieu suprême qu'ils adoroient auparavant, & à qui ils donnoient aussi le nom d'Odin. En effet ils semblent avoir confondu les attributs d'un guerrier terrible & sanguinaire & d'un magicien, avec ceux d'un Dieu tout puissant, créateur & conservateur de l'univers. On prétend que le véritable nom de ce scythe étoit Sigge, fils de Tridulphe, & qu'il prit le nom d'Odin, qui étoit le nom du Dieu suprême des Scythes, dont il étoit peut-être le pontife. Par-là il voulut peut-être se rendre plus respectable aux yeux des peuples qu'il avoit envie de soumettre à sa puissance. On conjecture que Sigge ou Odin quitta la Scythie ou les Palus méotides au tems où Mithridate fut vaincu par Pompée, à cause de la crainte que cette victoire inspira à tous les alliés du roi de Pont. Ce prêtre conquérant quitta sa patrie ; il soumit une partie des peuples de la Russie ; & voulant se faire un établissement au septentrion de l'Europe, il se rendit maître de la Saxe, de la Westphalie & de la Franconie, & par conséquent d'une grande portion de l'Allemagne, où l'on prétend que plusieurs maisons souveraines descendent encore de lui. Après avoir affermi ses conquêtes, Odin marcha vers la Scandinavie par la Cimbrie, le pays de Holstein. Il bâtit dans l'île de Fionie la ville d'Odensée, qui porte encore son nom : de-là il étendit ses conquêtes dans tout le nord. Il donna le royaume de Danemark à un de ses fils. Le roi de Suede Gulfe se soumit volontairement à lui, le regardant comme un dieu. Odin profita de sa simplicité, & s'étant emparé de son royaume, il y exerça un pouvoir absolu, & comme souverain, & comme pontife. Non content de toutes ces conquêtes, il alla encore soumettre la Norwege. Il partagea tous ses royaumes à ses fils, qui étoient, dit-on, au nombre de vingt-huit, & de trente-deux, selon d'autres. Enfin, après avoir terminé ces exploits, il sentit approcher sa fin : alors ayant fait assembler ses amis, il se fit neuf grandes blessures avec une lance, & dit qu'il alloit en Scythie prendre place avec les dieux à un festin éternel, où il recevroit honorablement tous ceux qui mouroient les armes à la main. Telle fut la fin de ce législateur étonnant, qui, par sa valeur, son éloquence & son enthousiasme, parvint à soumettre tant de nations, & à se faire adorer comme un dieu.

Dans la mythologie qui nous a été conservée par les Islandois, Odin est appellé le dieu terrible & sévere, le pere du carnage, le dépopulateur, l'incendiaire, l'agile, le bruyant, celui qui donne la victoire, qui ranime le courage dans les combats, qui nomme ceux qui doivent être tués, &c. tantôt il est dit de lui, qu'il vit & gouverne pendant les siecles ; qu'il dirige tout ce qui est haut & tout ce qui est bas, ce qui est grand & ce qui est petit : il a fait le ciel & l'air & l'homme, qui doit toujours vivre ; & avant que le ciel & la terre fussent, ce dieu étoit déja avec les géans, &c.

Tel étoit le mêlange monstrueux de qualités que ces peuples guerriers attribuoient à Odin. Ils prétendoient que ce dieu avoit une femme appellée Frigga ou Fréa, que l'on croit être la même que la déesse Hertus ou Hertha, adorée par des Germains, & qui étoit la terre. Il ne faut point la confondre avec Frey ou Freya, déesse de l'amour. V. FRIGGA. De cette femme Odin avoit eu le dieu Thor. Voyez THOR.

Selon ces mêmes peuples, Odin habitoit un palais céleste appellé Valhalla, où il admettoit à sa table ceux qui étoient morts courageusement dans les combats. Voyez VALHALLA. Malgré cela, Odin venoit dans les batailles se joindre à la mêlée, & exciter à la gloire les guerriers qui combattoient. Ceux qui alloient à la guerre, faisoient voeu de lui envoyer un certain nombre de victimes.

Odin étoit représenté une épée à la main ; le dieu Thor étoit à sa gauche, & Frigga étoit à la gauche de ce dernier. On lui offroit en sacrifice des chevaux, des chiens & des faucons ; & par la suite des tems, on lui offrit même des victimes humaines. Le temple le plus fameux du nord étoit celui d'Upsal en Suede ; les peuples de la Scandinavie s'y assembloient pour faire faire des sacrifices solemnels tous les neuf ans.

On voit encore des traces du culte rendu à Odin par les peuples du nord, le quatriéme jour de la semaine, ou le mercredi, appellé encore onsdag, vonsdog, vodensdag, le jour d'Odin. Les Anglois l'appellent wednes-day. Voyez l'introduction à l'histoire de Danemark par M. Mallet, & l'art. EDDA des Islandois.


ODOMANTICA(Géog. anc.) contrée de la Thrace, dont parle Tite-Live, l. XLV. c. iv. ainsi qu'Hérodote & Thucydide. Elle étoit presque toute à l'orient du Strymon, au nord de la Bisaltie & de l'Edonide. (D.J.)


ODOMETREen Arpentage, est un instrument pour mesurer les distances par le chemin qu'on a fait. On l'appelle aussi pédometre ou compte-pas, & roue d'arpenteur. Voyez PEDOMETRE, &c. Ce mot vient des deux mots grecs , chemin, & , mesure.

L'avantage de cet instrument consiste en ce qu'il est d'un usage fort facile & sort expéditif. Sa construction est telle qu'on peut l'attacher à une roue de carrosse. Dans cet état, il fait son office, & mesure le chemin, sans causer aucun embarras.

Il y a quelques différences dans la maniere de construire cet instrument. Voici l'odometre qui est à présent le plus en usage, & qui paroît le plus commode.

Construction de l'odometre. Celui qui est réprésenté, Planche de l'arpent. fig. 23. consiste en une roue de deux piés sept pouces & demi de diamêtre, & dont la circonférence est par conséquent d'environ huit piés trois pouces. A un des bouts de l'axe est un pignon de trois quarts de pouces de diamêtre, divisé en huit dents, qui viennent quand la roue tourne s'engrener dans les dents d'un autre pignon c, fixé à l'extrêmité d'une verge de fer, de maniere que cette verge tourne une fois, pendant que la roue fait une révolution. Cette verge qui est placée le long d'une rainure pratiquée sur le côté de l'affut B de cet instrument, porte à son autre bout un trou quarré, dans lequel est placé le bout b du petit cylindre P. Ce cylindre est disposé sous un cadran à l'extrêmité de l'affut B, de telle maniere qu'il peut se mouvoir autour de son axe. Son extrêmité a est faite en vis sans fin, & s'engrene dans une roue de trente-deux dents, qui lui est perpendiculaire. Quand l'instrument est porté en avant, la roue fait une révolution à chaque sixieme perche. Sur l'axe de cette roue est un pignon de six dents, qui rencontre une autre roue de soixante dents, & lui fait faire un tour sur cent soixante perches ou un demi mille.

Cette derniere roue porte un index ou aiguille, qui peut tourner sur la surface du cadran, dont le limbe extérieur est divisé en cent soixante parties répondantes aux cent soixante perches, & l'aiguille indique le nombre de perches que l'on a faites. De plus, sur l'axe de cette derniere roue est un pignon de vingt dents, qui s'engrene dans une troisieme roue de quarante dents, & lui fait faire un tour sur trois cent vingt perches ou un mille. Sur l'axe de cette roue est un pignon, lequel s'engrenant dans une autre roue, qui a soixante-douze dents, lui fait faire un tour en douze milles.

Cette quatrieme roue porte un autre index, qui répond au limbe intérieur du cadran. Ce limbe est divisé en douze parties pour les milles, & chaque mille est subdivisé en moitiés, en quarts, &c. & sert à marquer les révolutions de l'autre aiguille, ainsi qu'à connoître les demi-milles, les milles, &c. jusqu'à douze milles, que l'on a parcourus.

Usage de l'odometre. La maniere de se servir de cet instrument est facile à comprendre par sa construction. Il sert à mesurer les distances dans les cas où l'on est pressé, & où l'on ne demande pas une si grande exactitude.

Il est évident qu'en faisant agir cet instrument, & observant les tours des aiguilles, on a la longueur de l'espace qu'on veut mesurer, comme si on l'arpentoit à la chaîne ou à la toise. Chambers. (E)

L'odometre ci-dessus est celui qui est destiné à compter le chemin par les tours de roue d'un carrosse ou d'une voiture.

L'odometre à compter les pas s'ajuste dans le gousset, où il tient à un cadran qu'on fait passer au-dessous du genou, & qui, à chaque pas, fait avancer l'aiguille. Du reste, ces deux odometres different peu l'un de l'autre.

C'est par le moyen d'un odometre que Fernel mesura les degrés de Paris à Amiens ; & malgré la grossiereté de ce moyen, il le trouva très-approchant du vrai. Voyez FIGURE DE LA TERRE & DEGRE.

M. Meynier présenta à l'académie des Sciences en 1724 un odometre qui parut fort bien construit, & dans lequel chaque pas & chaque tour de roue donnoit exactement un pas d'aiguille, & n'en donnoit qu'un : cependant cet odometre avoit un inconvénient, c'est que dans le recul il s'arrêtoit ; & reprenant ensuite son mouvement, donnoit sur le cadran autant de tours de roue ou de pas de trop en avant qu'on avoit eus en arriere. M. l'abbé Outhier a remédié à cet inconvénient dans un odometre qu'il a présenté à l'académie en 1742, & dans lequel l'aiguille recule quand le voyageur recule ; ensorte que l'odometre décompte de lui-même tous les pas de trop que l'on a fait en arriere. Voyez Hist. acad. 1742, pag. 145. (O)


ODONTALGIES. f. terme de Médecine & de Chirurgie, douleur de dents. Ce mot est composé du grec , dent, & de , douleur. Le mal de dents est des plus ordinaires & des plus cruels, au point qu'on a vu des gens attenter à leur vie pour s'en délivrer. Les violentes douleurs de dents sont presque toujours occasionnées par la carie, qui, mettant le nerf de la dent à découvert, permet sur ce nerf l'action des causes extérieures qui excitent la douleur. Les auteurs admettent une odontalgie idiopathique, qui dépend d'une fluxion sur les nerfs & les vaisseaux nourriciers de la dent. Mauquest de la Motte, dans son traité de chirurgie, assure avoir délivré des personnes qui souffroient violemment de la douleur de dents, en les faisant saigner du bras ; ce qui prouve qu'une fluxion inflammatoire étoit la cause formelle de cette douleur. Charles le Pois, dans son excellent traité de morbis a colluvie serosâ, met l'engorgement séreux au nombre des causes de l'odontalgie, & il rapporte un cas qui s'est passé sur lui-même. Il prit un remede purgatif contre une douleur de dents, qui le tourmentoit depuis plusieurs jours ; il vomit une assez grande quantité d'eaux, avec un tel succès, qu'il fut plus de dix ans sans être incommodé du même mal. On a remarqué que les dents arrachées dans le tems de la douleur, avoient leurs vaisseaux fort engorgés, & le tissu cellulaire qui les soutient, comme oedemateux. On peut faire cette observation quand ces vaisseaux se rompent dans le fond de l'alvéole, & non pas précisément à l'extrêmité des racines de la dent dont on fait l'extraction.

Les causes externes de la douleur de dents sont, l'air froid & humide, la trop grande chaleur qui raréfie le sang & les humeurs, les intempérances dans le boire & dans le manger, la négligence de se chausser tout en sortant du lit, &c.

S'il n'y a aucune dent cariée, il faut procéder à la guérison du mal de dents par les remedes généraux, qui consiste à diminuer le volume des humeurs, & à discuter celles qui font l'engorgement local. Dans les fluxions inflammatoires, la saignée, les boissons délayantes, la diete humectante & rafraîchissante détruiront la cause de la douleur. La saignée sera moins indiquée que la purgation, si l'engorgement est formé par des sucs pituiteux. On fait ensuite usage extérieurement des remedes odontalgiques qui sont en très-grand nombre. Voyez ODONTALGIQUE. On peut avoir recours aux narcotiques pris intérieurement pour calmer la vive douleur, lorsqu'on a suffisamment diminué le volume redondant du sang & des humeurs, suivant les diverses indications.

Quoique les dents ne paroissent pas cariées, il n'est pas sûr que la douleur des dents ne soit pas causée par la carie occulte de la partie de la dent qui est cachée dans l'alvéole. Il est à propos de frapper les dents sur leur couronne avec un instrument d'acier, tel que seroit un poinçon obtus, ou autre corps semblable. Ce contact a souvent découvert le mal, par la sensation douloureuse qu'il a exercée sur une dent saine en apparence. Dans ce cas il faut faire sans hésiter le sacrifice de la dent, pour pouvoir faire cesser efficacement le mal présent, & en prévenir de plus grands, tels que l'abscès du sinus maxillaire. Voyez ce que nous avons dit de cette maladie, en parlant de celles qui attaquent les gencives à la suite du mot GENCIVES.

Quand la carie des dents est apparente, si elle est disposée de façon que l'on puisse plomber la dent avec succès, on peut la conserver par ce moyen. Voyez PLOMBER. Lorsque cela n'est pas possible, les personnes timides, qui craignent de s'exposer à la douleur de l'extraction de la dent, en laissent détruire le nerf par le cautere actuel. Voyez CAUTERE & CAUTERISATION. Mais hors le cas où le plomb peut conserver la dent, les odontalgiques ne sont que des secours palliatifs dans le cas de carie ; & le parti le plus sûr est de faire ôter la dent, pour s'épargner les douleurs cruelles, si sujettes à récidive, pour se délivrer de la puanteur de la bouche, qui est causée par une dent gâtée, & empêcher la communication de la carie à d'autres dents.

La carie est une suite assez ordinaire de leur érosion, maladie nouvellement découverte, & dont l'étiologie est due aux observations du feu sieur Bunon, dentiste des enfans de France, & expert reçu à saint Côme. Le séjour des alimens dans le creux de l'érosion, le chaud & le froid alternatif des boissons, la qualité des liqueurs, &c. alterent l'émail, & causent la carie des dents.

Les académiciens curieux de la nature, decad. xj. parlent d'une odontalgie qui fut guérie par un soufflet que reçut la personne souffrante. Bien des gens sont délivrés de la douleur d'une façon bien plus surprenante : ils cessent de sentir leur mal, lorsqu'ils voient le dentiste qui doit leur arracher la dent. (Y)


ODONTALGIQUES. m. & adj. terme de Chirurgie concernant la matiere médicale externe, remede propre pour calmer la douleur des dents.

Ces remedes sont en très-grand nombre, & il n'y a presque personne qui n'en vante un dont il assure l'efficacité.

On applique avec succès un emplâtre de mastic ou de gomme élemi à la région des tempes. L'emplâtre d'opium a souvent produit un très-bon effet, de même que le cataplasme de racine de grande consoude pour réprimer la fluxion.

Quelques-uns appliquent des médicamens dans l'oreille du côté de la douleur. L'huile d'amandes ameres, ou la vapeur du vinaigre dans lequel on a fait bouillir du pouillot ou de l'origan. Le vinaigre est recommandé contre les fluxions chaudes ou inflammatoires : & quand l'engorgement vient d'une cause froide ou humorale, on coule dans l'oreille du jus d'ail cuit avec de la thériaque, & employé chaudement, ou bien un petit morceau de gousse d'ail cuit sous la cendre, & introduit dans l'oreille en forme de tente.

Il n'y a sorte de cataplasmes astringens, émolliens, résolutifs, discussifs, dont on ne trouve des formules pour appliquer sur la machoire & la joue, contre les fluxions qu'occasionne la douleur des dents. On conseille aussi des gargarismes, avec des noix de galles cuites dans le vinaigre ; avec du vinaigre dans lequel on a éteint des cailloux rougis au feu ; de la décoction de verveine, de la décoction de gayac dans l'eau ou le vin, en y ajoutant un peu de sel. D'autres font mâcher de la racine de pyrethre pour faire dégorger les glandes salivaires ; la racine de calamus aromaticus a produit souvent de très-bons effets : mais c'est sur-tout les remedes qu'on applique sur la dent, dans le creux que forme la carie, qui méritent essentiellement le nom d'odontalgiques. L'huile de gayac, celles de buis, de gerofle, de camphre, de canelle, portées dans le creux de la dent avec un peu de coton, dessechent la carie, empêchent ses progrès, & brûlent le nerf. C'est un préparatif à l'opération de plomber une dent. Si la douleur est très-violente, le coton trempé dans les gouttes anodynes, calme puissamment : on peut même introduire avec succès dans la dent deux ou trois grains d'opium. Mais l'extraction de la dent est le moyen le plus sûr, comme nous l'avons dit à l'article ODONTALGIE.

Les personnes du peuple mettent dans le creux d'une dent cariée un morceau d'encens : ce remede pourrit la dent & la fait tomber par parcelles ; mais on a remarqué que cela étoit dangereux pour les dents voisines. Les autres parlent d'un trochisque fait avec le lait de tithymale, l'encens en poudre & temperé d'amidon, pour procurer la chute spontanée de la dent. L'adresse de nos dentistes doit faire préferer leurs secours, tout douloureux qu'ils sont, à des remedes incertains, qui ont tant d'inconveniens d'ailleurs. (Y)


ODONTOIDE, en Anatomie, apophyse dans le milieu de la seconde vertebre, à laquelle on a donné ce nom par rapport à la ressemblance qu'elle a avec une dent. Voyez PYRENOÏDE & VERTEBRE.

Ce mot est formé du grec , dent, & de , forme.

Sa surface est un peu inégale, afin que le ligament qui en sort & qui la lie avec l'occiput, s'y attache mieux.

Elle est aussi environnée par un ligament solide & rond, fait d'une maniere industrieuse, pour empêcher que la moëlle de l'épine ne soit comprimée par cette apophyse. (L)


ODONTOIDESODONTOIDES


ODONTOLOGIES. f. partie de l'Anatomie qui traite des dents, ce mot est composé des deux grecs , dent & , traité. (L)


ODONTOPETRES(Hist. nat.) nom donné par quelques naturalistes aux dents de poissons que l'on appelle communément glossopetres ou langues de serpent ; on les appelle aussi bufonites, crapaudines, ichthyodontes, chelonite, &c.


ODONTOTECHNIES. f. terme de Chirurgie, dérivé du mot grec , dent, & , art, ce qui signifie à proprement parler l'art du dentiste en général : quelques-uns entendent particulierement par ce terme, la partie de l'art du dentiste qui a pour objet les dents artificielles.

La perte des dents à l'occasion d'un coup, d'une chûte, ou de leur extraction indiquée par la carie dont elles étoient gâtées, défigure la bouche, nuit à la mastication & à la prononciation. L'art a des ressources efficaces pour réparer cette perte.

Les dents qu'on emploie ne sont pas toujours artificielles ; on peut faire porter dans l'alvéole une dent naturelle semblable en dimension & de la même espece que celle qu'on a perdue. Les dentistes ont à cet effet beaucoup de dents tirées des mâchoires des personnes mortes, qui avoient les dents fort saines. Pour placer une dent naturelle, il faut le faire immédiatement après l'extraction de la mauvaise ; & on l'assujettit pendant quelque tems aux dents voisines avec des liens de soie cirés, ou avec des fils d'or. On monte quelquefois une dent artificielle à vis sur la racine qui remplit l'alvéole, lorsque la couronne seule étoit cariée, & qu'on a cru pouvoir se contenter de la scier sans faire l'extraction de sa racine. La matiere dont on forme les dents artificielles, est la dent d'hippopotame ; elle est bien préférable à l'ivoire dont on se servoit anciennement, qui n'est ni si dure, ni si blanche que la dent de cheval marin, & qui jaunit très-promptement. On en fait des rateliers complets d'une seule piece, lorsque toutes les dents manquent ; (voyez RATELIER). Guillemeau donne la recette d'une composition pour faire des dents artificielles ; (voyez le tome IV. de l'Encyclopédie à l'article DENT, pag. 840). Cette pâte servira plus utilement à remplir une dent cariée, " afin d'empêcher, suivant l'expression de l'auteur, qu'il ne tombe & se cache quelque viande en mangeant, qui la pourrit davantage, & excite souvent grande douleur ". Au défaut d'artiste capable de bien plomber une dent, on pourroit se servir de cette composition, après les précautions que nous avons indiquées à l'article ODONTALGIQUE, & que nous exposerons à l'article PLOMBER. (Y)


ODORANTPRINCIPE, (Chimie, Pharmac. & Mat. médic.) partie odorante, principe ou partie aromatique, parfum, odeur, gas, esprit recteur, ens, esprit, mercure.

Les Chimistes ont désigné sous tous ces noms un principe particulier dont un grand nombre de plantes & un très-petit nombre de substances animales sont pourvues, qui est l'objet propre du sens de l'odorat, ou le principe matériel du sens de cette sensation. Voyez ODORAT, Physiologie.

Le principe aromatique des végétaux réside ou dans une huile essentielle, dont quelques substances végétales sont pourvues (voyez HUILE ESSENTIELLE) ; ou il adhere au parenchyme de quelques autres qui ne contiennent point d'huile essentielle ; ou même il est logé chez ces derniers dans de petits reservoirs insensibles. Il peut fort bien être encore que les plantes qui ont de l'huile essentielle, contiennent leur principe aromatique de ces deux manieres.

Les baumes & les racines n'étant autre chose que des huiles essentielles, plus ou moins épaissies, qui se sont séparées d'elles-mêmes de certains végétaux, il est évident qu'elles ne méritent aucune considération particuliere, par rapport à leur principe aromatique.

Le petit nombre de substances animales aromatiques ; le musc, la civette, le castor, sont aussi exactement analogues à cet égard aux baumes & aux résines, & par conséquent aux huiles essentielles.

L'union naturelle du principe aromatique & de l'huile essentielle est bien évidente, puisqu'une pareille huile retirée sans la moindre altération d'un végétal, par exemple, l'huile retirée de l'écorce de citron en en exprimant des zests, est abondamment chargée de ce principe, & qu'elle peut ensuite le perdre absolument étant gardée à l'air libre, ou dans un vaisseau négligemment fermé.

Quant à la partie odorante des plantes qui ne contiennent point d'huile essentielle, tout ce qu'on sait de sa façon d'être dans les plantes, c'est qu'elle adhere assez à leur substance, pour que la dessiccation ne le dissipe pas entierement ; quoiqu'il soit vrai que les plantes aromatiques qui ne contiennent point d'huile essentielle, telles que les muguets, les jacintes, le jasmin, &c. perdent infiniment plus de leur odeur par la dessiccation, que celles qui contiennent de l'huile essentielle.

Ce principe est le plus mobile de tous ceux que renferment les plantes. Il doit être regardé comme étranger à leur texture & même à leurs sucs propres ou fondamentaux (voyez VEGETAL), & comme étant répandu à leur surface & dans leurs pores, comme adhérent à ces parties en les mouillant, ou tout au plus comme étant déposé dans de petits reservoirs particuliers, soit seul & pur, soit mêlé à de l'huile essentielle. Il n'est pas permis de croire que ce principe nage dans l'eau de la végétation, puisqu'il est plus volatil que ce dernier principe, qu'on peut néanmoins dissiper tout entier par la dessiccation, sans que la meilleure partie du principe aromatique soit dissipée en même tems. Ce fait est très-sensible, par exemple, dans les feuilles de menthe, qui étant bien seches, contiennent encore une quantité considérable de principes aromatiques.

Le principe aromatique est si subtil & si léger, si peu corporel, s'il est permis de s'exprimer ainsi, qu'il n'est pas possible de le déterminer par le poids ni par mesure ; car, selon l'expérience de Boerhaave, une eau distillée très-chargée de parfum, qui ayant été exposée à l'air, a perdu absolument toute odeur, n'a pas diminué sensiblement de poids ni de volume.

Il est cependant évident que le principe aromatique est un être composé, puisqu'il y en a autant d'especes distinctes, qu'il y a de substances odorantes : or ces divers principes odorans ne peuvent être spécifiés que par des diversités dans leurs mixtions.

Quant à l'essence propre à la constitution intérieure ou chimique du principe aromatique, elle est encore absolument inconnue ; mais malgré l'extrême subtilité de ce principe, qui le dérobe aux sens & aux instrumens chimiques, on peut cependant avancer, d'après le petit nombre de notions que nous avons sur cet objet, que la connoissance intime de sa composition n'est pas une découverte audessus de l'art.

Il semble qu'on ne doit pas confondre avec le principe aromatique une certaine vapeur qui s'exhale de presque toutes les substances végétales & animales appellées inodores, & qui est pourtant capable de faire reconnoître ces substances par l'odorat ; car quoiqu'on peut soutenir avec quelque vraisemblance qu'elles ne different à cet égard des substances aromatiques que par le plus ou le moins, cependant comme l'odeur de ces substances est presque commune à de grandes divisions ; par exemple, à toutes les herbes, à toutes les chairs, à tous les laits, &c. il est plus vraisemblable que ce principe mobile n'est qu'une foible émanation de toute leur substance, & non point un principe particulier. On peut assurer la même chose avec encore plus de vraisemblance du soufre commun, du cuivre & du plomb, qui ont chacun une odeur propre très-forte. L'odeur de la transpiration des divers animaux, & même des divers individus de la même espece, paroît être aussi un être fort distinct du principe qui fait le sujet de cet article.

La partie odorante a été regardée par les pharmacologistes, comme le principe le plus précieux des plantes qui en étoient pourvues. Boerhaave a surtout poussé si loin ses prétentions à cet égard, qu'il regarde tous les autres principes des plantes aromatiques comme absolument dépouillés de vertus. Voici comme il s'en exprime : quin etiam scire refert hominum industriam deprehendisse tenui huic stirpium vapori deberi stupendos effectus quos in corpore hominis excitant concreta vegetantia tàm evacuando quàm mutando : quoniam co solo de medicamentis venenisque penitus separato sine ullâ ferè ponderis jacturâ caret omni illâ efficaciâ. Cette prétention est certainement outrée, sur-tout si on veut la généraliser ; car certainement il y a plusieurs substances aromatiques qui exercent d'ailleurs des effets médicamenteux très-manifestes par des principes fixes. Il est cependant vrai en général que le principe aromatique doit être ménagé dans la préparation des médicamens odorans, comme un agent médicamenteux très-efficace : aussi est-ce une loi constante de manuel pharmaceutique, de ne soumettre aucune substance aromatique à un degré de feu capable de dissiper le principe odorant ; or le degré de l'eau bouillante, & même celui du bain-marie étant plus que suffisant, pour dissiper ce principe, on ne doit point traiter les substances aromatiques par la décoction, ni même par la chaleur du bain-marie très-chaude dans les vaisseaux ouverts, & lorsque la décoction est d'ailleurs nécessaire pour retirer en même tems d'autres principes de la même substance ; il faut faire cette décoction dans un appareil convenable de distillation, & réunir le principe aromatique qui s'est élevé & qu'on a retenu à la décoction refroidie. On en use ainsi dans la préparation de certains syrops (voyez SYROP.) Si l'on est obligé de faire essuyer la chaleur d'un bain-marie très chaud à une liqueur chargée de principes aromatiques ; comme par exemple, pour la disposer à dissoudre une très-grande quantité de sucre, on doit lui faire essuyer cette chaleur dans un vaisseau exactement fermé. On trouvera encore des exemples de cette manoeuvre à l'article SYROP.

Il ne faut pas imaginer cependant que toutes les substances aromatiques soient absolument dépouillées de leur partie odorante par une décoction même très-longue, comme beaucoup de chimistes & de médecins le pensent, sur la foi de Boerhaave & de la théorie. Il est sûr au contraire que la plûpart des substances qui ont beaucoup d'odeur, telles que presque tous les aromates exotiques, la racine de benoite, celle d'iris de Florence, & même quelques fleurs, comme les fleurs d'orange, les oeillets, conservent beaucoup d'odeur après de longues décoctions : mais malgré cette observation, il est toujours très-bon de s'en tenir à la loi générale. L'excès de circonspection n'est point blâmable dans ce cas. Le principe aromatique résidant dans un véhicule que l'on doit regarder comme sans vertu, c'est-à-dire, dans de l'eau, étant aussi concentré qu'il est possible dans ce véhicule, en un mot, réduit sous la forme d'eau distillée très-chargée (voyez EAU DISTILLEE), & qui peut être regardé dans cet état comme pur, relativement à ses effets sur le corps humain ; ce principe, dis-je, a une saveur générique vive, active, irritante, qui le rend propre à exercer la vertu cordiale, stomachique, fortifiante, nervine, sudorifique : c'est principalement pour ces vertus connues qu'on ordonne les différentes eaux distillées aromatiques ; mais outre cela, quelques-uns de ces principes aromatiques ont des qualités particulieres & distinctes, manifestées par les sens ou par l'observation médicinale. L'amertume singuliere de l'eau de fleurs d'orange, & la saveur piquante de l'eau de chardon-béni des parisiens, sont très-sensibles ; par exemple, l'eau distillée de laurier-cerise est un poison ; l'eau rose est purgative ; l'eau distillée de rue est hystérique ; celle de menthe éminemment stomachique, &c. Boerhaave qui, en établissant la différence spécifique des eaux aromatiques, a dit du principe aromatique de la lavande, & de celui de la melisse, que chacun avoit, outre leurs propriétés communes, vim adhuc penitùs singularem, a, ce me semble, mal choisi ses exemples. Nous rapporterons dans les articles particuliers les qualités médicinales propres de chaque substance aromatique usuelle. (b)

ODORANTE, substance, (Chimie) substance ou matiere aromatique. Les Chimistes appellent ainsi toutes les substances qui contiennent un principe particulier qu'ils appellent aromatique, odorant, esprit recteur, &c. Voyez ODORANT PRINCIPE.

C'est principalement dans le regne végétal qu'on trouve ces substances odorantes. Il n'y a aucune partie des végétaux qui soit exclue de l'ordre des substances aromatiques. On trouve des fleurs, des calices, des feuilles, des écorces, des bois, des racines, &c. qui sont chargés de parfums : ce principe est quelquefois répandu dans toutes les parties d'une plante, par exemple, dans l'oranger ; quelquefois il est propre à une partie seulement, comme aux fleurs dans le rosier, à la racine dans l'iris, &c. Le petit nombre de substances animales aromatiques que nous connoissons, sont des humeurs particulieres déposées dans des reservoirs particuliers ; tels sont le musc, la civette, le castor, &c. car il ne faut pas compter tous les animaux vivans parmi les substances aromatiques, quoique la plûpart ont une odeur particuliere, quelquefois même très-forte, comme le bouc. Voyez l'article ODORANT PRINCIPE.

On ne comprend pas non plus dans la classe des substances odorantes certaines matieres minérales qui ont une odeur propre, telles que le soufre, le cuivre, &c. Voyez encore article ODORANT PRINCIPE. (b)

ODORANTES, pierres, (Hist. nat.) nom générique des pierres à qui la nature a fait prendre de l'odeur sans le secours de l'art ; telles sont les jolites, les pierres puantes, le lapis suillus, le lapis felinus. Voyez ces différens articles. Ces odeurs sont purement accidentelles à la pierre, elles ne tiennent point de sa combinaison, mais des matieres qui les accompagnent, telles que les bitumes, certaines plantes, les débris des animaux qui ont été ensevelis dans le sein de la terre, &c. Voyez PIERRES. (-)


ODORATS. m. (Physiolog.) olfactus, sens destiné par la nature pour recevoir & discerner les odeurs. L'odorat cependant paroît moins un sens particulier qu'une partie ou un supplément de celui du goût, dont il est comme la sentinelle : c'est le goût des odeurs & l'avant-goût des saveurs.

L'organe de cette sensation est la membrane qui revêt le nez, & qui se trouve être une continuation de celle qui tapisse le gosier, la bouche, l'oesophage & l'estomac : la différence des sensations de ces parties est à-peu-près comme leurs distances du cerveau ; je veux dire que l'odorat ne differe pas plus du goût que le goût de la faim & de la soif : la bouche a une sensation plus fine que l'oesophage ; le nez l'a encore plus fine que la bouche, parce qu'il est plus près de l'origine du sentiment ; que tous les filets de ses nerfs, de leurs mamelons font déliés, remplis d'esprits ; au lieu que ceux qui s'éloignent de cette source deviennent par la loi commune des nerfs plus solides, & leurs mamelons dégénerent, pour ainsi parler, en excroissances, relativement aux autres mamelons.

Tout le monde sait que l'intérieur du nez est l'organe de l'odorat, mais peu de gens savent l'artifice avec lequel cet intérieur est construit pour recevoir cette sensation ; & il manque encore aux plus habiles bien des connoissances sur cet artifice merveilleux. Nous n'envisagerons ici que ce qui est nécessaire à l'intelligence de cette sensation.

Méchanisme de l'organe de l'odorat. Immédiatement après l'ouverture des narines, qui est assez étroite, l'intérieur du nez forme deux cavités toujours séparées par une cloison ; ces cavités s'élargissent ensuite, se réunissent finalement en une seule qui va jusqu'au fond du gosier, par où elles communiquent avec la bouche.

Toute cette cavité est tapissée de la membrane pituitaire, ainsi nommée par les anciens, à cause de la pituite qui en découle. Nous ne savons rien autre chose de cette membrane, sinon qu'elle est spongieuse, & que sa surface offre un velouté très-ras. Le tissu spongieux est fait d'un lacis de vaisseaux, de nerfs, & d'une grande quantité de glandes : le velouté est composé de petits mamelons nerveux qui font l'organe de l'odorat & des extrêmités de vaisseaux d'où découle la pituite & la mucosité du nez : ces liqueurs tiennent les mamelons nerveux dans la souplesse nécessaire à leur fonction ; & elles sont encore aidées dans cet office par les larmes que le canal lacrymal charrie dans le nez.

Le nerf olfactif, qui est la premiere paire des nerfs qui sortent du crâne, se jette dans la membrane pituitaire. On nommoit le nerf olfactif apophyse mammiforme avant Piccolomini ; ses filets sont en grand nombre, & ils y paroissent plus mous & plus découverts qu'en aucun autre organe. Cette structure des nerfs de l'odorat, qui dépend de leur grande proximité du cerveau, contribue sans doute à les rendre plus propres à recevoir l'impression de ces odeurs.

La grande multiplicité des filets du nerf olfactoire est ce qui produit la grande quantité de glandes de la membrane pituitaire, car ces glandes ne sont que celles des extrêmités nerveuses épanouies au-dessous des mamelons.

Outre le nerf olfactoire, il entre dans le nez une branche du nerf ophthalmique, c'est-à-dire d'un des nerfs de l'oeil. C'est la communication de ce petit nerf avec celui de l'odorat qui est cause qu'on pleure quand on a reçu de fortes odeurs.

Le velouté de la membrane pituitaire est tout propre à s'imbiber des vapeurs odorantes ; mais il y a encore un autre artifice pour arrêter ces vapeurs sur leur organe. L'intérieur du nez est garni de chaque côté de deux especes de cornets doubles : ces cornets s'avancent très-loin dans cette cavité, en embarrassent le passage, & obligent par-là les vapeurs à se répandre & à séjourner un certain tems dans leur contour. Cette structure fait que ces vapeurs agissent plus long-tems, plus fortement sur une grande étendue de la membrane, & par conséquent la sensation en est plus parfaite. Aussi voit-on que les chiens de chasse & les autres animaux qui excellent par l'odorat, ont ces cornets du nez beaucoup plus considérables que ceux de l'homme.

Ces mêmes cornets, en arrêtant un peu l'air qu'on respire par le nez, en adoucissent la dureté dans l'hiver : c'est ce bon office qu'ils rendent aux poumons qui expose la membrane pituitaire à ces engorgemens nommés enchifrenemens de la membrane schneidérienne, qui ferment le passage à l'air, parce que les parois devenues plus épaisses se touchent immédiatement : ce qui prouve que quoique la cavité du nez soit très-grande, le labyrinthe que la nature y a construit pour y savourer les odeurs, y laisse peu d'espace vuide.

Méchanisme des odeurs, objet de l'odorat. Les vapeurs odorantes qui font l'objet de l'odorat, sont, en fait de fluides, ce que les saveurs sont parmi les liqueurs & les sucs ; mais les vapeurs odorantes, dont la nature nous est inconnue, doivent être très-volatiles ; & la quantité prodigieuse de ces fluides volatiles qui s'exhalent sans cesse d'un corps odorant sans diminuer sensiblement son poids, prouve une division de la matiere qui étonne l'imagination. Cette partie des végétaux, des animaux ou des fossiles qui réside dans leurs esprits, dans leurs huiles, dans leurs sels, dans leurs savons, pourvu qu'elle soit assez divisée pour pouvoir voltiger dans l'air, est l'objet de l'odorat.

Parmi les minéraux, le soufre allumé a le plus d'odeur, ensuite des sels de nature opposée dans l'acte même de leur effervescence, comme les métaux dans celui de leur érosion. Quelle odeur pénétrante n'ont point les sels alkalis volatils des corps animés durant la vie, des particules odorantes que le chien distingue mieux que l'homme ? du sein de la putréfaction quelle odeur fétide ne s'éleve-t-il pas ? Les corps putréfiés donnent une odeur désagréable, malgré ce que Plutarque dit du corps d'Alexandre le grand, & ce que le bon Camérarius dit d'une jeune fille. La plûpart des végétaux ont de l'odeur, & dans certaines classes ils ont presque tous une bonne odeur. Les sucs acides, simples ou fermentés en ont de pareilles, ensuite la putréfaction alkaline d'un petit nombre de plantes n'en manque pas. Le feu & le broyement, qui n'est qu'une espece de feu plus doux, tire des odeurs du regne animal & végétal. La Chimie nous fournit sur ce sujet quantité de faits curieux. On sait par une suite d'expériences, que cette matiere subtile qu'on nomme esprit, & qui est contenue dans l'huile, est la principale chose qui excite le sentiment de l'odeur. En effet, si l'on sépare des corps odoriférans tout l'esprit qu'ils contiennent, ils n'ont presque plus d'odeur ; & au contraire les matieres qui ne sont point odoriférantes le deviennent lorsqu'on leur communique quelques particules de ce même esprit.

Boyle a écrit un traité curieux sur l'émanation des corpuscules qui forment les odeurs : celle du romarin fait reconnoître les terres d'Espagne à 40 milles, suivant Bartholin, à quelques milles, suivant la vérité. Diodore de Sicile dit à-peu-près la même chose de l'Arabie, que Bartholin de l'Espagne. Un chien qui a bon nez reconnoît au bout de six heures la trace d'un animal ou de son maître ; desorte qu'il s'arrête où les particules odoriférantes le lui conseillent. Je supprime ici quantité d'observations semblables ; je ne dois pas cependant oublier de remarquer que l'odeur de plusieurs corps odoriférans se manifeste ou s'accroît par le mouvement & par la chaleur : le broyement donne de l'odeur à tous les corps durs qui n'en ont point, ou augmente celle qu'ils ont ; c'est ce qu'on a tant de fois éprouvé sur le succin, sur l'aloës. Il est des bois qui prennent de l'odeur dans les mains du tourneur.

Cette odeur des corps odoriférans augmente aussi quand on en mêle plusieurs ensemble, ou quand on mêle des sels avec des corps huileux odoriférans. Le sel ammoniac & le sel alkali, l'un & l'autre sans odeur, mêlés ensemble, en ont une très-forte. Un grain de sel fixe donne un goût brûlant & nulle odeur, à-moins qu'il ne rencontre une salive acide & qui aide l'alkali à le dégager. L'esprit de sel, l'huile de vitriol dulcifiés, ont une odeur fort agréable, différente de celle de l'alcohol & d'une liqueur acide. L'eau de mélilot, qui est presque inodorante, augmente beaucoup plus les odeurs des corps qui en ont. L'odeur de l'ambre lorsqu'il est seul, est peu de chose, mais elle s'exalte par le mêlange d'un peu de musc.

C'est dans ce mêlange de divers corps que consistent les parfums, hors de mode aujourd'hui, & si goûtés des anciens, qu'ils les employoient à table, dans les funérailles, & sur les tombeaux pour honorer la mémoire des morts. Antoine recommande de répandre sur ses cendres des herbes odoriférantes, & de mêler des baumes à l'agréable odeur des roses.

Sparge mero cineres, & odoro perlue nardo

Hospes, & adde rosis balsama puniceis.

Maniere dont se fait l'odorat. Le véhicule général des corpuscules odorans, est l'air où ces corpuscules sont répandus ; mais ce n'est pas assez que l'air soit rempli des particules odorantes des corps, il faut qu'il les apporte dans les cavités du nez, & c'est ce qui est exécuté par le mouvement de la respiration, qui oblige sans cesse l'air à passer & repasser par ces cavités pour entrer dans les poumons ou pour en sortir. C'est pourquoi ceux qui ont le passage du nez fermé par l'enchifrenement & qui sont obligés de respirer par la bouche, perdent en même tems l'odorat. M. de la Hire le fils a vu un homme qui s'empêchoit de sentir les mauvaises odeurs en remontant sa luette, ensorte qu'elle bouchoit la communication du nez à la bouche, & il respiroit par cette derniere voie. On peut croire que les odeurs ne laissent pas pour cela de venir toujours frapper le nez, où est le siége du sentiment ; mais comme on ne respire point alors par le nez, elles ne sont point attirées par la respiration, & ont trop peu de force pour se faire sentir.

Ce même passage de l'air dans les cavités du nez, sert quelquefois à nettoyer ces cavités de ce qui les embarrasse, comme lorsqu'on y pousse l'air des poumons avec violence, soit qu'on veuille se moucher, soit que l'on éternue, après quoi l'odorat se fait beaucoup mieux. Un animal qui respire par la trachée-artere coupée, ne sent point du tout les odeurs les plus fortes : c'est une expérience de Lower. On sait que quand l'air sort du poumon par les narines, on a beau présenter au nez un corps odoriférant, il ne fait aucune impression sur l'odorat. Lorsqu'on retient son haleine, on ne sent aussi presque point les odeurs ; il faut pour les sentir les attirer avec l'air par les narines. Varolius l'a fort bien remarqué, tandis que Cassérius l'a nié mal-à-propos : car plus l'inspiration est forte & fréquente, plus l'odorat est exquis. Il faut cependant avouer, & c'est peut-être ce qui a jetté Cassérius dans l'erreur ; il faut, dis-je, avouer qu'on ne laisse pas de sentir dans l'expiration. La sensation n'est pas entierement abolie, ainsi qu'elle l'est lorsque la respiration est absolument retenue : elle est seulement très-foible ; la raison de ce fait est que toutes les particules odorantes n'ayant pû être réunies & ramassées dans le tems que l'air passe dans la cavité du nez pendant l'inspiration, il reste encore dans l'air quelques particules odorantes qui repassent dans l'expiration, qui ne peuvent produire qu'une legere sensation.

L'odorat se fait donc quand les particules odoriférantes contenues dans l'air sont attirées avec une certaine force dans l'inspiration par les narines : alors elles vont frapper vivement les petites fibres olfactives que le nez par sa figure, & les osselets par leur position, leur présentent ; c'est de cette impression, communiquée ensuite au sensorium commune, que résultent les différentes odeurs d'acide, d'alkali, d'aromatique, de pourri, de vineux, & autres dont la combinaison est infinie.

Explication des phénomenes de l'odorat. On peut comprendre, par les principes que nous venons d'établir, les phénomenes suivans :

1°. L'affinité qui se trouve entre les corps odoriférans & les corps savoureux, ou entre les objets du goût & de l'odorat. L'odorat n'est souvent que l'avant goût des saveurs, la membrane qui tapisse le nez étant une continuation de celle qui tapisse le palais : de-là naît une grande liaison entre ces deux organes. Les narines ont leurs nerfs très-déliés & découverts ; la langue a un réseau épais & pulpeux ; ainsi l'odorat doit être frappé avant le goût. Mais il y a quelque chose de plus : les corpuscules qui font les odeurs, retiennent souvent quelque chose de la nature des corps dont ils sortent : en voici des preuves. 1°. Les corpuscules qui s'exhalent de l'absinthe font sur la langue les mêmes impressions que l'absinthe même. Boyle dit la même chose du succin dissout dans l'esprit-de-vin. 2°. Le même auteur ajoute qu'un de ses amis ayant fait piler de l'hellébore noir dans un mortier, tous ceux qui se trouverent dans la chambre furent purgés. Sennert assure la même chose au sujet de la coloquinte. 3°. Quand on distille des matieres somniferes, on tombe souvent dans un profond sommeil. 4°. On prétend que quelques personnes ont prolongé quelque tems leur vie par l'odeur de certaines matieres. Le chancelier Bacon rapporte qu'un homme vécut quatre jours soutenu par l'odeur seule de quelques herbes mêlées avec de l'ail & des oignons. Tous ces faits justifient qu'il se trouve une grande liaison entre les odeurs & les saveurs de beaucoup de corps, parce qu'ils produisent les mêmes effets à ces deux égards.

Puisqu'il regne tant d'affinité entre les odeurs & le goût, d'où vient que des odeurs desagréables, comme celles de l'ail, des choux, du fromage, & de plusieurs autres choses corrompues, ne choquent point quand elles sont dans des alimens dont le goût plaît ? c'est parce qu'on s'y est habitué de bonne heure sans accident, & sans que la santé en ait souffert. Ceux qui se sont efforcés à goûter, à sentir des choses qui les révoltoient d'abord, viennent à les souffrir & finalement à les aimer. Il arrive aussi quelquefois que les aversions & les inclinations qu'on a pour les odeurs & les saveurs, ne sont pas toujours fondées sur des utilités & des contrariétés bien effectives, parce que les idées qu'on a de l'agréable ou du desagréable, peuvent avoir été formées par des jugemens précipités que l'ame réforme à la fin par des réflexions philosophiques.

2°. Pourquoi ne sent-on point les odeurs quand on est enrhumé ? parce que l'humeur épaisse qui est sur la membrane pituitaire arrête les corpuscules odoriférans qui viennent du dehors, & leur bouche les passages par où ils peuvent arriver jusqu'aux nerfs olfactifs & les agiter.

3°. Pourquoi les odeurs rendent-elles souvent la vie dans un instant, & fortifient-elles quelquefois d'une façon singuliere ? Par exemple, il n'est rien de plus puissant dans certains cas que l'esprit volatil du sel ammoniac préparé avec de la chaux vive : cela vient de ce que les parties des corps odoriférans, en agitant les nerfs olfactifs, agitent ceux qui communiquent avec eux & y portent le suc nerveux ; d'ailleurs elles entrent peut-être dans les vaisseaux sanguins sur lesquels elles agissent, & dans lesquels par conséquent elles font couler les liqueurs rapidement. Toutes ces causes nous font revenir des syncopes, puisqu'elles ne consistent que dans une cessation de mouvement. Enfin, il y a un rapport inconnu entre le principe vital & les corps odorans.

4°. Mais d'où vient donc que les odeurs causent quelquefois des maladies, la mort, & presque tous les effets des médicamens & des poisons ? c'est lorsque l'agitation produite par les corps odoriférans est trop violente : alors elle pourra porter les convulsions dans les parties dont les nerfs communiquent avec ceux du nez ; ces convulsions pourront donner des maladies, & finalement la mort. La puanteur des cadavres a quelquefois causé des fievres malignes. Méad parle d'une eau qui sortit d'un cadavre, dont le seul attouchement, tant elle étoit corrosive, excitoit des ulceres. On prépare des poisons si subtils, que leur odeur fait mourir ceux qui les inspirent : l'Histoire n'en fournit que trop d'exemples.

On connoît le danger du soufre allumé dans des endroits privés d'air ; les vapeurs mortelles de certaines cavernes souterreines, celles du foin échauffé dans des granges fermées ; les vapeurs du vin & des liqueurs qui fermentent : cependant dans tous ces cas il y a une autre cause nuisible que celle des odeurs, c'est qu'on est suffoqué par la perte du ressort de l'air qu'on respire ; car l'air plus léger qu'il ne doit être, ou privé de son élasticité, tue par l'empêchement même de la respiration.

Enfin, des odeurs produiront les effets des médicamens, quand elles retiendront quelque chose de la nature des corps dont elles sortent, qui se trouvent être purgatifs ou vomitifs ; c'est pourquoi l'odeur des pilules cochiées purgeoit un homme dont parle Fallope. Dans Schneider & Boyle, on lit divers exemples semblables. Plusieurs purgatifs n'agissent que par leur esprit recteur, selon Pechlin, un des hommes qui a le mieux écrit sur cette matiere. Or de quelle volatilité, de quelle subtilité n'est point cet esprit recteur, puisque le verre d'antimoine communique au vin une vertu émétique sans perdre de son poids ?

5°. Pour quelle raison la même odeur du même corps odoriférant produit-elle des effets opposés en différentes personnes ? Guy-Patin parle d'un médecin célebre que l'odeur agréable des roses jettoit en foiblesse. On ne voit en effet que des sensations différentes en fait d'odeurs : c'est que chacun a sa disposition nerveuse inconnue, & des esprits particuliers qui gouvernent l'ame & le corps, comme s'il étoit sans ame ; les nerfs olfactifs sont moins sensibles dans les uns que dans les autres : ainsi les mêmes corpuscules pourront faire des impressions fort différentes. Et voilà la cause pourquoi les odeurs qui ne sont pas sensibles pour certaines personnes, produisent en d'autres des effets surprenans.

Ces effets mêmes sont quelquefois fort bisarres, car dans l'affection hystérique les femmes reviennent par la force de certaines odeurs desagréables & très-pénétrantes, au lieu que les bonnes odeurs aigrissent leur mal. Nous ne dirons pas, pour expliquer ce phénomene, que les bonnes odeurs arrêtent un peu le cours du suc nerveux, & doivent par conséquent produire un dérangement. Nous n'attribuerons pas non plus cet effet des bonnes odeurs à la vertu somnifere : ces sortes d'explications sont de vains raisonnemens qu'aucun principe ne sauroit appuyer.

N'oublions pas cependant de remarquer que l'habitude a beaucoup d'influence sur l'odorat, & que l'imagination ne perd rien de ses droits sur tous les sens. D'où vient ce musc, si recherché jadis, donne-t-il aujourd'hui des vapeurs à toutes les dames, & même à une partie des hommes, tandis que le tabac, odeur ammoniacale & venimeuse, fait le délice des odorats les plus susceptibles de délicatesse ? Est-ce que les organes sont changés ? Ils peuvent l'être à quelques égards, mais il en faut sur-tout chercher la cause dans l'imagination, l'habitude & les préjugés de mode.

6°. Pourquoi l'odorat est-il si fin dans les animaux qui ont de longs becs, de longues narines, & les os spongieux considérables ? Parce que les vrais & premiers organes de l'odorat paroissent être les cornets osseux ; ces cornets par leur nombre de contours en volute, multiplient les parties de la sensation, donnent plus d'étendue à la membrane qui reçoit les divisions infinies des nerfs olfactifs, & par conséquent rendent l'odorat plus exquis. Plus un animal a de nez, plus ses cornets ont de lames. Petham dit que dans le chien de chasse, les nerfs ont une plus vaste expansion dans les narines, & que les lames y sont plus entortillées, que dans aucune autre bête. Dans le lievre, animal qui a du nez, & un nez qu'il remue toujours, les petits os sont à cellules en-dedans, avec plusieurs cornets ou tuyaux. L'os spongieux du boeuf a intérieurement un tissu réticulaire ; cet os dans le cheval, forme des cornets entortillés avec des cellules à rets, selon les observations de Cassérius, de Schneïder & de Bartholin. C'est par le même méchanisme que le cochon sent merveilleusement les racines qu'il cherche en terre. La main de l'éléphant n'est qu'un nez très-long, & sa trompe, dont Duverney a seulement décrit la fabrique musculeuse, n'est presque qu'un assemblage de nerfs olfactifs : cet organe a donc une énorme surface dans cet animal.

Sténon a démontré la même chose dans les poissons, dont les nerfs olfactifs ressemblent aux nerfs optiques, & se terminent en un semblable hémisphere. Ainsi regle générale, à proportion de la longueur des narines, des cornets osseux & contournés, la finesse & l'étendue de l'odorat se multiplient dans l'homme & dans les autres animaux. Quant aux oiseaux, ils ont dans les narines des vessies à petits tubes, & garnies de nerfs visibles, qui viennent des processus mamillaires par l'os cribleux. Il y en a beaucoup dans le faucon, l'aigle & le vautour. On dit qu'après la bataille qui décida de l'empire du monde entre César & Pompée, les vautours passoient de l'Asie à Pharsale.

7°. Comment des corps odoriférans, très-petits, peuvent-ils répandre si long-tems des odeurs si fortes, sans que les corps dont ils s'exhalent paroissent presque avoir perdu de leur masse à en juger par leur pesanteur ? Un morceau d'ambre gris ayant été suspendu dans une balance, qu'une petite partie d'un grain faisoit trébucher, ne perdit rien de son poids pendant 3 jours, ni l'assa foetida en 5. Une once de noix muscade ne perdit en 6 jours que cinq grains & demi ; & une once de clous de gérofle sept grains & trois huitiemes : ce sont des expériences de Boyle. Une seule goutte d'huile de canelle dans une pinte de vin, lui donne un goût aromatique. On fait avec cette même huile un esprit très-vif, lequel évaporé laisse le reste sans odeur ni diminution. Une goutte d'huile de Galanga embaume une livre de thé. Les plus subtiles particules odoriférantes ne passent cependant point au-travers du verre, ce corps que pénétrent le feu, la lumiere & la matiere de l'aimant : donc elles sont d'une nature plus grossiere. Mais les sels fixes, les terres les plus arides, l'alun, le vitriol, démontrent avec quelle facilité la partie humide de l'air va pénétrer différens corps, & constitue un tout avec eux. Tout cela porte à croire que les petits corpuscules odoriférans reçoivent des parties d'air commun, qui les remplacent à mesure qu'ils s'exhalent ; & c'est la raison pour laquelle cette évaporation se fait sans diminution de la masse.

8°. Pourquoi la puanteur qui s'exhale de parties d'animaux, ou de végétaux putréfiés, fait-elle sur les narines une impression si longue, si opiniâtre & si désagréable ? La fétidité d'une maladie mortelle porte au nez pendant plusieurs jours. L'odorat n'est-il pas long-tems affecté des rapports nidoreux d'une matiere indigeste qui croupit dans l'estomac ? Comme il y a beaucoup de détours dans la membrane pituitaire, & qu'il s'y trouve toûjours de la mucosité, cette mucosité vicieuse y retient, & prend pour-ainsi-dire à sa glu, ces corpuscules empoisonnés qui s'exhalent des corps malades, des parties d'animaux, ou de végétaux putréfiés. On a besoin de prendre beaucoup de matiere sternutatoire pour dissiper ces corpuscules ; l'agitation qui survient alors à la membrane pituitaire, & l'humeur muqueuse qui coule en abondance produit cet effet ; si de pareilles odeurs étoient portées au nez après l'éternuement, elles feroient encore plus d'impression, comme on l'éprouve à son lever.

9°. Pourquoi l'odorat est-il émoussé quand on s'éveille le matin, & devient-il plus vif après qu'on a éternué ? Nous venons de l'expliquer. Alors, c'est-à-dire au reveil, une humeur épaisse couvre la membrane pituitaire, parce que la chaleur a évaporé la partie aqueuse, & a laissé la matiere grossiere qui n'a pu être chassée durant le repos de la nuit ; cette humeur visqueuse arrête les corpuscules odoriférans, mais quand on l'a rejettée par la force de la sternutation ou l'émonction, les nerfs se trouvent libres & pleins de suc nerveux, ils sont plus sensibles qu'auparavant.

10°. Pourquoi les plus forts odoriférans sont-ils sternutatoires ? Parce qu'en ébranlant fortement les nerfs olfactifs, ils ébranlent les nerfs qui servent à la respiration & qui communiquent avec eux.

11°. Pourquoi ne sent-on rien quand on court contre le vent ? Parce que le vent desséche le mucus qui lubrefie la membrane pituitaire, & qu'aucun nerf n'a de sentiment s'il n'est humecté.

12°. Enfin il y a des odeurs si fortes, comme celle de l'oignon, du vinaigre, du soufre allumé, de l'esprit de nitre, qu'elles n'agissent pas seulement sur l'organe de l'odorat, mais qu'elles blessent les yeux. On en peut trouver la cause dans la communication du nerf ophthalmique avec celui de l'odorat.

Le sentiment que les yeux souffrent des odeurs fortes, est un sentiment du toucher, pareil à celui que la lumiere ramassée cause sur la peau, ou à celui que des saveurs très vives, telles que les âcres & les acides exaltés, causent sur la langue ; mais comme la peau n'est émue par les objets de la vûe & du goût, que quand ils agissent avec une véhémence extraordinaire ; de même les yeux ne souffrent de la douleur des odeurs, que lorsqu'elles ont une force assez grande pour blesser leur délicatesse ; & comme les odeurs en général sont d'une nature particuliere qui ébranle toûjours leur propre organe, ceux de la vûe & du goût ne sont point ébranlés de la même maniere, & par conséquent ne sont point affectés de la sensation de l'odorat.

Le sens de l 'odorat est plus parfait dans les animaux. Les hommes ont l'odorat moins bon que les animaux ; & la raison en est évidente par l'examen de la construction de l'organe. Je sais que le P. du Tertre, dans son voyage des Antilles, & le P. Laffitau, dans son livre des moeurs des Sauvages, nous parlent, l'un de negres & l'autre de sauvages qui avoient l'odorat plus fin qu'aucun chien de chasse, & qui distinguoient de fort loin la piste d'un noir, d'un françois & d'un anglois : mais ce sont des faits trop suspects pour y donner confiance. Il en est de même d'un garçon dont parle le chevalier Digby, qui élevé dans une forêt où il n'avoit vécu que de racines, pouvoit trouver sa femme à la piste, comme un chien fait son maître. Pour ce qui est du religieux de Prague, qui connoissoit par l'odorat les différentes personnes, distinguoit une fille ou une femme chaste de celles qui ne l'étoient point, c'est un nouveau conte plus propre à fournir matiere à quelque bon mot, qu'à la créance d'un physicien.

Je conviens que les hommes par leur genre de vie, par leur habitude aux odeurs fortes dont ils sont sans cesse entourés, usent l'organe de leur odorat ; mais il est toûjours vrai que s'ils l'ont beaucoup moins fin que les animaux, ce n'est point à l'abus qu'ils en font que l'on doit en attribuer la cause, c'est dans le défaut de l'organe qu'il la faut chercher. La nature ne l'a point perfectionné dans l'homme, comme dans la plûpart des quadrupedes. Voyez le nombre de leurs cornets en volute, le merveilleux tissu du réseau qui les accompagne, & vous conclurez de là la distance qui doit se trouver entre l'homme & la bête pour la finesse de l'odorat ! Considerez de quelle étendue sont les os spongieux dans les brutes ; comme leur cerveau est plus petit que celui de l'homme, cet espace qui manque vient augmenter leur nez : car la multiplicité des plis & des lames rend la sensation plus forte ; & c'est cette augmentation qui en fait la différence dans les bêtes mêmes. L'odorat est le seul organe par lequel elles savent distinguer si sûrement, & sans expérience sur tant de végétaux dont les montagnes des Alpes sont couvertes, ceux qui sont propres à leur nourriture, d'avec ceux qui leur seroient nuisibles. La nature, dit Willis, a moins perfectionné dans l'homme les facultés inférieures, pour lui faire cultiver davantage les supérieures ; mais si telle est la vocation de l'homme, on doit avouer qu'il ne la remplit guere. (D.J.)

ODORAT, (Séméiotiq.) les signes que l'odorat fournit, n'ont pas jusqu'ici beaucoup enrichi la séméiotique, & attiré l'attention des praticiens. Hippocrate observateur si scrupuleux & si exact à saisir tout ce qui peut répandre quelque lumiere sur la connoissance & le pronostic des maladies, ne paroît avoir tiré aucun parti de l'odorat : ce signe ne doit être ni bien étendu, ni bien lumineux. Riviere & quelques autres praticiens, assurent avoir observé que la perte totale de l'odorat, étoit dans le cas de foiblesse extrême, signe d'une mort très-prochaine ; que les malades qui trouvoient une odeur forte & désagréable à la boisson, aux alimens & aux remedes, enfin à tout ce qu'on leur présentoit, étoient dans un danger pressant ; que ceux pour qui toutes les odeurs étoient fétides, avoient des ulceres dans le nez ou dans les parties voisines, ou l'estomac farci de mauvais sucs, ou toutes les humeurs sensiblement alterées. (m)


ODORIFÉRANTse dit des choses qui ont une odeur forte, agréable & sensible à une certaine distance, voyez ODEUR. Le jasmin, la rose, la tubéreuse, sont des fleurs odoriférantes. Voyez PARFUM.


ODOWARA(Géog.) petite ville du Japon dans l'île de Niphon, à 3 journées d'Iedo. Ce n'est que dans cette ville & à Méaco, qu'on prépare le cachou parfumé, au rapport du P. Charlevoix.


ODRISAE(Géog. anc.) ancien peuple de Thrace, qui devoit y tenir un rang considérable, puisque les Poëtes ont appellé la Thrace Odrisiae tellus. La capitale de ce peuple se nommoit Odryssus, Odrysse ; ensuite Odrestiade, à-présent Adrianople.

Cette capitale de la Thrace est célebre par la naissance de Thamyris, poëte & musicien, dont l'histoire & la fable ont tant parlé. Ce fut la plus belle voix de son siecle, si nous en croyons Plutarque, qui ajoute qu'il composa un poëme de la guerre des Titans contre les dieux. Ce poëme existoit encore lorsque Suidas travailloit à son dictionnaire. Homere parle du défi que Thamyris fit aux muses, & de la punition de son audace. Pausanias dit que Thamyris perdit la vûe, non en punition de sa dispute contre les muses, mais par maladie. Pline prétend qu'il fut l'inventeur de la musique qu'on nommoit dorique. Platon a feint, suivant les principes de la métempsycose, que l'ame de Thamyris passa dans le corps d'un rossignol. (D.J.)


ODYSSÉES. f. (Belles-lettres) poëme épique d'Homere, dans lequel il décrit les aventures d'Ulysse retournant à Itaque après la prise de Troie. Voyez EPIQUE. Ce mot vient du grec , qui signifie la même chose, & qui est dérivé d', Ulysse.

Le but de l'iliade, selon le P. le Bossu, est de faire voir la différence de l'état des Grecs réunis en un seul corps, d'avec les Grecs divisés entre eux ; & celui de l'odyssée est de nous faire connoître l'état de la Grece dans ses différentes parties. Voyez ILIADE.

Un état consiste en deux parties, dont la premiere est celle qui commande, la seconde celle qui obéit. Or il y a des instructions nécessaires & propres à l'une & à l'autre ; mais il est possible de les réunir dans la même personne.

Voici donc, selon cet auteur, la fable de l'odyssée. Un prince a été obligé de quitter son royaume, & de lever une armée de ses sujets, pour une expédition militaire & fameuse. Après l'avoir terminée glorieusement, il veut retourner dans ses états, mais malgré tous ses efforts il en est éloigné pendant plusieurs années, par des tempêtes qui le jettent dans plusieurs contrées, différentes par les moeurs, les coutumes de leurs habitans, &c. Au milieu des dangers qu'il court, il perd ses compagnons, qui périssent par leur faute, & pour n'avoir pas voulu suivre ses conseils. Pendant ce même tems les grands de son royaume, abusant de son absence, commettent dans son palais les désordres les plus criants, dissipent ses trésors, tendent des pieges à son fils, & veulent contraindre sa femme à choisir l'un d'eux pour époux, sous prétexte qu'Ulysse étoit mort. Mais enfin il revient, & s'étant fait connoître à son fils & à quelques amis qui lui étoient restés fideles, il est lui-même témoin de l'insolence de ses courtisans. Il les punit comme ils le méritoient, & rétablit dans son île la paix & la tranquillité qui en avoient été bannis durant son absence. Voyez FABLE.

La vérité, ou pour mieux dire la moralité enveloppée sous cette fable, c'est que quand un homme est hors de sa maison, de maniere qu'il ne puisse avoir l'oeil à ses affaires, il s'y introduit de grands désordres. Aussi l'absence d'Ulysse fait dans l'odyssée la partie principale & essentielle de l'action, & par conséquent la principale partie du poëme.

L'odyssée, ajoute le P. le Bossu, est plus à l'usage du peuple que l'iliade, dans laquelle les malheurs qui arrivent aux Grecs viennent plutôt de la faute de leurs chefs que de celle des sujets ; mais dans l'odyssée le grand nom d'Ulysse représente autant un simple citoyen, un pauvre paysan, que des princes, &c. Le petit peuple est aussi sujet que les grands à ruiner ses affaires & sa famille par sa négligence, & par conséquent il est autant dans le cas de profiter de la lecture d'Homere que les rois mêmes.

Mais, dira-t-on, à quel propos accumuler tant de fictions & de beaux vers pour établir une maxime aussi triviale que ce proverbe : Il n'est rien tel que l'oeil du maître dans une maison. D'ailleurs pour en rendre l'application juste dans l'odyssée, il faudroit qu'Ulysse pouvant se rendre directement & sans obstacles dans son royaume, s'en fût écarté de propos déliberé ; mais les difficultés sans nombre qu'il rencontre lui sont suscitées par des divinités irritées contre lui. Le motif de la gloire qui l'avoit conduit au siege de Troie, ne devoit pas passer pour condamnable aux yeux des Grecs, & rien ce me semble ne paroît moins propre à justifier la bonté du proverbe, que l'absence involontaire d'Ulysse. Il est vrai que les sept ans qu'il passe à soupirer pour Calypso, ne l'exemptent pas de reproche ; mais on peut observer qu'il est encore retenu là par un pouvoir supérieur, & que dans tout le reste du poëme il ne tente qu'à regagner Ithaque. Son absence n'est donc tout au plus que l'occasion des désordres qui se passent dans sa cour, & par conséquent la moralité qu'y voit le P. le Bossu paroît fort mal fondée.

L'auteur d'un discours sur le poëme épique, qu'on trouve à la tête des dernieres éditions du Télémaque, a bien senti cette inconséquence, & trace de l'odyssée un plan bien différent & infiniment plus sensé. " Dans ce poëme, dit-il, Homere introduit un roi sage, revenant d'une guerre étrangere, où il avoit donné des preuves éclatantes de sa prudence & de sa valeur : des tempêtes l'arrêtent en chemin, & le jettent dans divers pays dont il apprend les moeurs, les lois, la politique. Delà naissent naturellement une infinité d'incidens & de périls. Mais sachant combien son absence causoit de désordre dans son royaume, il surmonte tous ces obstacles, méprise tous les plaisirs de la vie, l'immortalité même ne le touche point, il renonce à tout pour soulager son peuple ".

Le vrai but de l'odyssée, considerée sous ce point de vûe, est donc de montrer que la prudence jointe à la valeur, triomphe des plus grands obstacles ; & envisagé de la sorte, ce poëme n'est point le livre du peuple, mais la leçon des rois. A la bonne heure que la moralité qu'y trouve le pere le Bossu s'y rencontre, mais comme accessoire & de la même maniere qu'une infinité d'autres semblables, telles que la nécessité de l'obéissance des sujets à leurs souverains, la fidélité conjugale, &c. Gérard Croës hollandois, a fait imprimer à Dort en 1704, un livre intitulé OMHPO EBPAIO, dans lequel il s'efforce de prouver qu'Homere a pris tous ses sujets dans l'Ecriture, & qu'en particulier l'action de l'odyssée n'est autre chose que les pérégrinations des Israélites jusqu'à la mort de Moïse, & que l'odyssée étoit composée avant l'iliade, dont le sujet est la prise de Jéricho. Quelles visions !


ODYSSIA(Géog. anc.) promontoire de Sicile vers l'extrêmité orientale de la côte méridionale, selon Ptolémée, l. III. c. iv. ses interpretes disent que c'est aujourd'hui Capo-Marzo.


OEANTHE(Géog. anc.) ville de Grece dans la Locride ; mais comme les Locres & les Etoliens étoient voisins, Polybe donne cette ville à l'Etolie. Son nom moderne est Pentagii.


OEBALIEOebalia, (Géog. anc.) surnom donné au pays de Lacédémone à cause d'Oebalus, compagnon de Phalante : mais ce surnom n'a pas été borné au pays des Lacédémoniens dans le Péloponnèse, car Virgile appelle Tarente, colonie lacédémonienne, du même nom d'Oebalie.

Namque sub Oebaliae memini me turribus altis

Quâ niger humectat flaventia culta Galesus

Corytium vidisse senem, &c.

Georg. l. IV. vers. 125.

" Près de la superbe ville de Tarente, dans cette contrée fertile qu'arrose le Galese, je me souviens d'avoir vû autrefois un vieillard de Cilicie ".


OEBAN D'OR(Monnoie.) autrement ouban d'or, espece de monnoie de compte du Japon. Les mille oebans font 45 mille taels d'argent.


OECALIE(Géog. anc.) en grec , nom commun à plusieurs villes de Grece, suivant la remarque de Strabon. 1°. Oecalie étoit une ville de Grece dans la Thessalie, dont parle Homere, Iliad. B. v. 730. 2°. Oecalie, dans l'Euboée ; 3°. Oecalie, ville du Péloponnèse dans la Messénie ; 4°. Oecalie, ville d'Arcadie ; 5°. Oecalie, ville de l'Etolie chez les Euristanes. (D.J.)


OECONOMATS. m. (Jurisprud.) signifie regle & administration ; ce terme n'est guere usité que pour exprimer la fonction & administration de ceux qui sont préposés à la régie du temporel des évêchés & abbayes pendant la vacance.

On entend aussi quelquefois par le terme d'oeconomat le bureau des oeconomes sequestres.

Les oeconomats tirent leur origine des commandes que l'on donnoit autrefois à des ecclésiastiques, & même à des séculiers, lesquels à ce titre avoient la garde & la régie des revenus d'une église cathédrale ou abbatiale.

En France, cette régie n'a lieu présentement pour les bénéfices de nomination royale que pendant la vacance en régale.

Il y a un directeur général des oeconomats, & deux oeconomes sequestres du clergé.

Le tiers des revenus qui se portent aux oeconomats est employé à l'entretien des nouveaux convertis, ce qui a été ainsi ordonné pour obliger les nouveaux titulaires à obtenir leurs bulles, au lieu qu'auparavant plusieurs, pour éviter le coût des bulles, s'arrangeoient avec les oeconomats pour jouir sous leur nom des fruits du bénéfice.

Il y a un des bureaux du conseil destiné pour examiner les affaires des oeconomats.

Les comptes des oeconomats se rendent à la chambre des comptes. Voyez ci-après OECONOME. (A)


OECONOMES. m. (Jurisprud.) est celui qui est préposé pour régir & administrer les revenus de quelque église, communauté ou particulier.

Les hôpitaux & communautés ont des oeconomes, qui ont soin d'en faire la dépense, & particulierement celle de bouche.

Les oeconomes sequestres du clergé sont ceux qui font la régie du temporel des évêchés & abbayes pendant la vacance.

Le roi avoit créé en 1691 des oeconomes sequestres en titre d'office dans chaque diocese pour avoir l'administration des bénéfices, dont les fruits seroient sequestrés par sentence ou arrêt ; mais par l'édit du mois de Décembre 1714, ces offices ont été supprimés, & les fonctions d'oeconomes sequestres sont remplies par des personnes préposées par le conseil. Voyez ci-devant OECONOMATS.

OECONOME SPIRITUEL étoit autrefois un ecclésiastique qui avoit le gouvernement d'une église pendant la vacance ; ces sortes d'oeconomes furent établis lors des différends de la cour de France avec celle de Rome, on créa dans chaque diocese des oeconomes en titre d'office, lesquels non contens de régir le temporel, entreprirent aussi de nommer des vicaires, conférer les bénéfices, donner des dimissoires, & faire généralement toutes les fonctions qui appartiennent aux légitimes titulaires ; mais la paix étant faite entre les deux puissances, tous ces oeconomes, appellés vulgairement oeconomes spirituels, furent révoqués par l'édit de Melun en 1580. Voyez les définitions canoniques au mot Oeconomes. (A)


OECONOMIEconduite sage & prudente que tient une personne en gouvernant son propre bien ou celui d'un autre.

Il y a l'oeconomie politique. Voyez ce mot à l'orthographe ÉCONOMIE.

Il y a l'oeconomie rustique ; c'est ce qui a rapport à toute la vie rustique.

Pour encourager les hommes à l'oeconomie, un auteur moderne observe qu'en Angleterre on afferme pour 20 schellings par an un acre de tout ce qu'il y a de meilleur en terre, & qu'on la vend pour 20 livres sterlings ; qu'un acre de terre contient 43560 piés en quarré, & qu'il y a 4800 sols dans une livre sterling ; que par la division on trouve le quotient de 9, & pour restant 360, ce qui fait voir qu'un sol nous met en état d'acheter 9 piés & presque 13 pouces de terre en quarré, savoir une piece de terre de 3 piés de long & de 3 piés de large, & quelque chose de plus.

D'où il s'ensuit que pour 2 schellings on peut acheter une piece de terre de 216 piés, ou de 18 piés de long & de 12 piés de large, ce qui suffit pour bâtir dessus une maison passable, & pour avoir un petit jardin.

OECONOMIE, (Critiq. sacrée) ; les Théologiens distinguent deux oeconomies, l'ancienne & la nouvelle, ou, pour m'exprimer en d'autres termes, l'oeconomie légale & l'oeconomie évangélique ; l'oeconomie légale est celle du ministere de Moïse, qui comprend les lois politiques & cérémonielles du peuple juif ; l'oeconomie evangélique, c'est le ministere de Jesus-Christ, sa vie & ses préceptes. (D.J.)

OECONOMIE ANIMALE, (Médec.) le mot oeconomie signifie littéralement lois de la maison ; il est formé des deux mots grecs , maison, & , loi ; quelques auteurs ont employé improprement le nom d'oeconomie animale, pour désigner l'animal lui-même ; c'est de cette idée que sont venues ces façons de parler abusives, mouvemens, fonctions de l'oeconomie animale ; mais cette dénomination prise dans le sens le plus exact & le plus usité ne regarde que l'ordre, le méchanisme, l'ensemble des fonctions & des mouvemens qui entretiennent la vie des animaux, dont l'exercice parfait, universel, fait avec constance, alacrité & facilité, constitue l'état le plus florissant de santé, dont le moindre dérangement est par lui-même maladie, & dont l'entiere cessation est l'extrême diamétralement opposé à la vie, c'est-à-dire la mort. L'usage, maître souverain de la diction, ayant consacré cette signification, a par-là même autorisé ces expressions usitées, lois de l'oeconomie animale, phénomenes de l'oeconomie animale, qui sans cela & suivant l'étymologie présenteroient un sens absurde, & seroient un pléonasme ridicule. Les lois selon lesquelles ces fonctions s'operent, & les phénomenes qui en résultent ne sont pas exactement les mêmes dans tous les animaux ; ce défaut d'uniformité est une suite naturelle de l'extrême variété qui se trouve dans la structure, l'arrangement, le nombre, &c. des parties principales qui les composent ; ces différences sont principalement remarquables dans les insectes, les poissons, les reptiles, les bipedes ou oiseaux, les quadrupedes, l'homme, & dans quelques especes ou individus de ces classes générales. Nous ne pouvons pas descendre ici dans un détail circonstancié de toutes les particularités sur lesquelles portent ces différences ; nous nous bornerons à poser les lois, les regles les plus générales, les principes fondamentaux, dont on puisse faire l'application dans les cas particuliers avec les restrictions & les changemens nécessaires. Nous choisirons parmi les animaux l'espece qui est censée la plus parfaite, & nous nous attacherons uniquement à l'homme qui dans cette espece est sans contredit l'animal le plus parfait, le seul d'ailleurs qui soit du ressort immédiat de la Médecine. On trouvera indiqué aux articles INSECTES, POISSON, REPTILE, OISEAU, QUADRUPEDE, ce qu'il peut y avoir de particulier dans ces différentes especes d'animaux ; on observe aussi dans l'homme beaucoup de variété, il n'est pas toujours semblable à lui-même ; l'ordre & le méchanisme de ses fonctions varie dans plusieurs circonstances & dans les différens âges ; plusieurs causes de maladie font naître des variétés très-considérables, qui n'ont point encore été suffisamment observées, & encore moins bien expliquées ; mais la principale différence qu'on remarque, c'est celle qui se rencontre entre un enfant encore contenu dans le ventre de la mere, & ce même enfant peu de tems après qu'il en est sorti, & sur-tout lorsqu'il est parvenu à l'âge d'adulte, on peut assûrer que ces enfans vivent d'une maniere extrêmement différente ; la vie du foetus paroît n'être qu'une simple végétation : celle d'un enfant jusqu'à l'âge de 3 ou 4 ans, & dans plusieurs sujets jusqu'à un âge plus avancé, paroît peu différer de celle des animaux : enfin l'adulte a sa façon particuliere de vivre, qui est proprement la vie de l'homme, & sans contredit la meilleure ; il revient insensiblement à mesure qu'il vieillit & qu'il meurt à la vie des enfans & du foetus. Il n'est pas douteux que cet âge le plus parfait & le plus invariable ne soit aussi le plus propre à y examiner, & y fonder les lois de l'oeconomie animale ; les variétés qui naissent de la différence des âges & des circonstances sont exposées aux articles FOETUS, ENFANT, VIEILLARD, voyez ces mots. Celles qui sont occasionnées par quelque maladie sont marquées dans le cours du dictionnaire aux différens articles de MEDECINE ; elles ont principalement lieu dans les cas d'amputation de quelque partie considérable, de défaut, de dérangement dans la situation, le nombre & la grosseur de quelques visceres. Quant aux causes générales de maladie, leur façon d'agir entre dans le plan que nous nous sommes formé, il en sera fait mention à la fin de cet article.

L'oeconomie animale considérée dans l'homme ouvre un vaste champ aux recherches les plus intéressantes ; elle est de tous les mysteres de la nature celui dont la connoissance touche l'homme de plus près, l'affecte plus intimement, le plus propre à attirer & à satisfaire sa curiosité ; c'est l'homme qui s'approfondit lui-même, qui pénetre dans son intérieur ; il ôte le bandeau qui le cachoit à lui-même, & porte des yeux éclairés du flambeau de la Philosophie sur les sources de sa vie, sur le méchanisme de son existence ; il accomplit exactement ce beau précepte qui servoit d'inscription au plus célebre temple de l'antiquité, , connois toi toi-même. Car il ne se borne point à une oisive contemplation de l'assemblage du nombre & de la structure des différens ressorts dont son admirable machine est composée ; il pousse plus loin une juste curiosité, il cherche à en connoître l'usage, à déterminer leur jeu ; il tâche de découvrir la maniere dont ils exécutent leurs mouvemens, les causes premieres qui l'ont déterminé, & sur-tout celles qui en entretiennent la continuité. Dans cet examen philosophique de toutes ces fonctions, il voit plus que par-tout ailleurs la plus grande simplicité des moyens jointe avec la plus grande variété des effets, la plus petite dépense de force suivie des mouvemens les plus considérables ; l'admiration qui s'excite en lui, réfléchie sur l'intelligence suprème qui a formé la machine humaine & qui lui a donné la vie, me paroît un argument si sensible & si convainquant contre l'athéisme, que je ne puis assez m'étonner qu'on donne si souvent au médecin-philosophe cette odieuse qualification, & qu'il la mérite quelquefois. La connoissance exacte de l'oeconomie animale répand aussi un très-grand jour sur le physique des actions morales : les idées lumineuses que fournit l'ingénieux système que nous exposerons plus bas, pour expliquer la maniere d'agir, & les effets des passions sur le corps humain, donnent de fortes raisons de présumer que c'est au défaut de ces connoissances qu'on doit attribuer l'inexactitude & l'inutilité de tous les ouvrages qu'il y a sur cette partie, & l'extrême difficulté d'appliquer fructueusement les principes qu'on y établit : peut-être est-il vrai que pour être bon moraliste, il faut être excellent médecin.

On ne sauroit révoquer en doute que la Médecine pratique ne tirât beaucoup de lumieres & de la certitude d'une vraie théorie de l'homme ; tout le monde convient de l'insuffisance d'un aveugle empirisme, & quoiqu'on ne puisse pas se dissimuler combien les lois de l'oeconomie animale mal interprétée, ont introduit d'erreurs dans la Médecine clinique, il reste encore un problème, dont je ne hasarderai pas la décision ; savoir, si une pratique réglée sur une mauvaise théorie est plus incertaine & plus pernicieuse que celle qu'aucune théorie ne dirige. Quoi qu'il en soit, les écueils qui se rencontrent en foule dans l'un & l'autre cas, les fautes également dangereuses, inévitables des deux côtés, font seulement sentir l'influence nécessaire de la théorie sur la pratique, & le besoin pressant qu'on a d'avoir sur ce point des principes bien constatés, & des régles dont l'application soit simple & invariable. Mais plus le système des fonctions humaines est intéressant, plus il est compliqué, & plus il est difficile de le saisir ; il semble que l'obscurité & l'incertitude soient l'apanage constant des connoissances les plus précieuses & les plus intéressantes : il se présente une raison fort naturelle de cet inconvénient dans le vif intérêt que nous prenons à de semblables questions, & qui nous porte à les examiner plus séverement, à les envisager de plusieurs côtés ; plus les faces sous lesquelles on les apperçoit augmentent, & plus il est difficile d'en saisir exactement & d'en combiner comme il faut les différens rapports ; & l'on observe communément que les écueils se multiplient à mesure qu'on fait des progrès dans les sciences, chaque découverte fait éclorre de nouvelles difficultés ; & ce n'est souvent qu'après des siecles entiers qu'on parvient à quelque chose de certain, lorsqu'il se trouve de ces hommes rares nés avec un génie vif & pénétrant, aux yeux perçans desquels la nature est comme forcée de se dévoiler, & qui savent démêler le vrai du sein de l'erreur.

La connoissance exacte, sans être minutieuse, de la structure & de la situation des principaux visceres, de la distribution des nerfs & des différens vaisseaux, le détail assez circonstancié, mais sur-tout la juste évaluation des phénomenes qui résultent de leur action & de leur mouvement ; & enfin l'observation refléchie des changemens que produit dans ces effets l'action des causes morbifiques, sont les fondemens solides sur lesquels on doit établir la science théorique de l'homme pour la conduire au plus haut point de certitude dont elle soit susceptible ; ce sont en même tems les différens points d'où doivent partir & auxquels doivent se rapporter les lois qu'on se propose d'établir. Ces notions préliminaires forment le fil nécessaire au médecin qui veut pénétrer dans le labyrinthe de l'oeconomie animale, & c'est en le suivant qu'il peut éviter de se perdre dans les routes détournées, remarquables par les égaremens des plus grands hommes. Il ne lui est pas moins essentiel & avantageux de connoître la source des erreurs de ceux qui l'ont précédé dans la recherche de l'oeconomie animale, c'est le moyen le plus assuré pour s'en garantir ; on ne peut que louer le zèle de ceux qui ont entrepris un ouvrage si pénible, applaudir à leurs efforts, & leur avoir obligation du bien réel qu'ils ont apporté, en marquant par leur naufrage les écueils qu'il faut éviter ; on parvient assez souvent à travers les erreurs, & après les avoir pour ainsi dire épuisées au sanctuaire de la vérité. Nous n'entrerons ici dans aucun détail anatomique, nous supposons tous ces faits déja connus ; ils sont d'ailleurs exposés aux articles particuliers d'Anatomie.

Il nous suffira de remarquer en général, que le corps humain est une machine de l'espece de celles qu'on appelle statico-hydraulique, composée de solides & de fluides, dont les premiers élemens communs aux plantes & aux animaux sont des atomes vivans, ou molecules organiques ; représentons-nous l'assemblage merveilleux de ces molécules, tels que les observations anatomiques nous les font voir dans le corps de l'homme adulte, lorsque les solides ont quitté l'état muqueux pour prendre successivement une consistance plus ferme & plus proportionnée à l'usage de chaque partie : représentons-nous tous les visceres bien disposés, les vaisseaux libres, ouverts, remplis d'une humeur appropriée, les nerfs distribués par tout le corps, & se communiquant de mille manieres ; enfin toutes les parties dans l'état le plus sain, mais sans vie ; cette machine ainsi formée ne differe de l'homme vivant que par le mouvement & le sentiment, phénomenes principaux de la vie vraisemblablement réductibles à un seul primitif ; on y observe même avant que la vie commence, ou peu de tems après qu'elle a cessé, une propriété singuliere, la source du mouvement & du sentiment attachée à la nature organique des principes qui composent le corps, ou plutôt dépendante d'une union telle de ces molécules que Glisson a le premier découverte, & appellée irritabilité, & qui n'est, dans le vrai, qu'un mode de sensibilité. Voyez SENSIBILITE.

Dès que le souffle vivifiant de la divinité a animé cette machine, mis en jeu la sensibilité des différens organes, répandu le mouvement & le sentiment dans toutes les parties, ces deux propriétés diversement modifiées dans chaque viscere, se réproduisent sous un grand nombre de formes différentes, & donnent autant de vies particulieres dont l'ensemble, le concours, l'appui mutuel forment la vie générale de tout le corps ; chaque partie annonce cet heureux changement par l'exercice de la fonction particuliere à laquelle elle est destinée ; le coeur, les arteres & les veines, par une action singuliere, constante, jusqu'ici mal déterminée, produisent ce qu'on appelle la circulation du sang, entretiennent le mouvement progressif des humeurs, les présentent successivement à toutes les parties du corps ; de-là suivent 1°. la nutrition de ces parties par l'intus-susception des molécules analogues qui se moulent à leur type intérieur ; 2°. la formation de la semence, extrait précieux du superflu des parties nutritives ; 3°. les sécrétions des différentes humeurs que les organes appropriés sucent, extraient du sang, & perfectionnent dans les follicules par une action propre ou un simple séjour ; 4°. de l'action spéciale, & encore inexpliquée de ces vaisseaux, mais constatée par bien des faits, viennent les circulations particulieres faites dans le foie, les voies hémorrhoïdales, la matrice dans certain tems, le poumon & le cerveau, & peut-être dans tous les autres visceres. Le mouvement alternatif de la poitrine & du poumon, attirant l'air dans les vésicules bronchiques, & l'en chassant successivement, fait la respiration, & contribue beaucoup au mouvement du cerveau suivant les observations de l'illustre de Lamure, (mém. de l'acad. royale des Sc. année 1739) ; l'action des nerfs appliquée aux muscles de l'habitude du corps, donne lieu aux mouvemens nommés volontaires ; les nerfs agissans aussi dans les organes des sens externes, l'oeil, l'oreille, le nez, la langue, la peau, excitent les sensations qu'on appelle vue, ouïe, odorat, goût, & toucher ; le mouvement des fibres du cerveau (de concert avec l'opération de l'ame, & conséquemment aux loix de son union avec le corps), détermine les sensations internes, les idées, l'imagination, le jugement & la mémoire. Enfin, le sentiment produit dans chaque partie des appétits différens, plus ou moins marqués ; l'estomac appete les alimens ; le gosier, la boisson ; les parties génitales, l'éjaculation de la semence ; & enfin tous les vaisseaux sécrétoires, l'excrétion de l'humeur séparée, &c. &c. &c. toutes ces fonctions se prêtent un appui mutuel ; elles influent réciproquement les unes sur les autres, de façon que la lésion de l'une entraîne le dérangement de toutes les autres, plus ou moins promptement, suivant que sa sympathie est plus ou moins forte, avec telle ou telle partie ; le désaccord d'un viscere fait une impression très-marquée sur les autres ; le pouls, suivant les nouvelles observations de M. Bordeu (recherch. sur le pouls par rapport aux crises), manifeste cette impression sur les organes de la circulation. L'exercice quelconque de ces fonctions, établit simplement la vie ; la santé est formée par le même exercice, poussé au plus haut point de perfection & d'universalité ; la maladie naît du moindre dérangement, morbus ex quocumque defectu. La mort n'est autre chose que son entiere cessation. Six causes principales essentielles à la durée de la vie, connues dans les écoles sous le nom des six choses non naturelles, savoir, l'air, le boire & le manger, le mouvement & le repos, le sommeil & la veille, les excrétions, & enfin les passions de l'ame entretiennent par leur juste proportion cet accord réciproque, cette uniformité parfaite dans les fonctions qui fait la santé ; elles deviennent aussi lorsqu'elles perdent cet équilibre, les causes générales de maladie. L'action de ces causes est détaillée aux articles particuliers non naturelles (choses), air, mouvement, repos, boire, &c. Voyez ces mots.

On a divisé en trois classes toutes les fonctions du corps humain : la premiere classe comprend les fonctions appellées vitales, dont la nécessité, pour perpétuer la vie, paroît telle, que la vie ne peut subsister après leur cessation ; elles en sont la cause la plus évidente, & le signe le plus assuré. De ce nombre sont la circulation du sang, ou plutôt le mouvement du coeur & des arteres, la respiration ; &, suivant quelques-uns, l'action inconnue & inapparente du cerveau. Les fonctions de la seconde classe sont connues sous le nom de naturelles ; leur principal effet est la réparation des pertes que le corps a faites ; on y range la digestion, la sanguification, la nutrition & les sécrétions, leur influence sur la vie est moins sensible que celle des fonctions vitales ; la mort suit moins promptement la cessation de leur exercice. Elle est précédée d'un état pathologique plus ou moins long. Enfin, les fonctions animales forment la troisieme classe ; elles sont ainsi appellées, parce qu'elles sont censées résulter du commerce de l'ame avec le corps ; elles ne peuvent pas s'opérer (dans l'homme) sans l'opération commune de ces deux agens ; tels sont les mouvemens nommés volontaires, les sensations externes & internes ; le dérangement & la cessation même entiere de toutes ces fonctions ne fait qu'altérer la santé, sans affecter la vie. On peut ajouter à ces fonctions celles qui sont particulieres à chaque sexe, & qui ne sont pas plus essentielles à la vie, dont la privation même n'est quelquefois pas contraire à la santé : dans cette classe sont comprises l'excrétion de la semence, la génération, l'évacuation menstruelle, la grossesse, l'accouchement, &c. Toutes ces fonctions ne sont, comme nous l'avons dit, que des modifications particulieres, que le mouvement & le sentiment répandus dans toute la machine, ont éprouvées dans chaque organe, par rapport à sa structure, ses attaches & sa situation. L'ordre, le méchanisme, les lois & les phénomenes de chaque fonction en particulier, forment dans ce dictionnaire autant d'articles séparés. Voyez les mots CIRCULATION, DIGESTION, NUTRITION, RESPIRATION, &c. Tous ces détails ne sauroient entrer dans le plan général d'oeconomie animale, qui ne doit rouler que sur les causes premieres du mouvement, considéré en grand & avant toute application (le sentiment n'est vraisemblablement que l'irritabilité animée par le mouvement) ; il y a tout lieu de croire qu'il en est du corps humain comme de toutes les autres machines dont l'art peut assembler, désunir, & appercevoir les plus petits ressorts ; c'est un fait connu des moindres artistes, que dans les machines, même les plus composées, tout le mouvement roule & porte sur une piece principale par laquelle le mouvement a commencé, d'où il se distribue dans le reste de la machine, & produit différens effets dans chaque ressort particulier. Ce n'est que par la découverte d'un semblable ressort dans l'homme qu'on peut parvenir à connoître au juste & à déterminer exactement la maniere d'agir des causes générales de la vie, de la santé, de la maladie, & de la mort. Pour se former une idée juste de l'oeconomie animale, il saut nécessairement remonter à une fonction primitive qui ait précédé toutes les autres, & qui les ait déterminées. La priorité de cette fonction a échappé aux lumieres de presque tous les observateurs ; ils n'ont examiné qu'une fonction après l'autre, faisant sans cesse un cercle vicieux, & oblique à tout moment, dans cette prétendue chaîne de fonctions, de transformer les causes en effets, & les effets en causes. Le défaut de cette connoissance est la principale source de leurs erreurs, & la vraie cause pour laquelle il n'y a eu pendant très-long-tems aucun ouvrage sur l'oeconomie animale dont le titre fût rempli, avant le fameux traité intitulé, specimen novi medicinae conspectûs, qui parut pour la premiere fois en 1749, & qui fut, bien-tôt après, réimprimé avec des augmentations très-considérables en 1751.

En remontant aux premiers siecles de la Médecine, tems où cette science encore dans son berceau, étoit réduite à un aveugle empirisme, mêlé d'une bizarre superstition, produit trop ordinaire de l'ignorance ; on ne voit aucune connoissance anatomique, pas une observation constatée, rédigée, réfléchie, aucune idée théorique sur l'homme ; ce ne fut qu'environ la quarantieme olympiade, c'est-à-dire, vers le commencement du trente-cinquieme siecle, que les Philosophes s'étant appliqués à la Médecine, ils y introduisirent le raisonnement, & établirent cette partie qu'on appelle physiologie, qui traite particulierement du corps humain dans l'état de santé, qui cherche à en expliquer les fonctions, d'après les faits anatomiques & par les principes de la Physique ; mais ces deux sciences alors peu cultivées, mal connues, ne purent produire que des connoissances & des idées très-imparfaites & peu exactes : aussi ne voit-on dans tous les écrits de ces anciens philosophes Médecins, que quelques idées vagues, isolées, qui avoient pris naissance de quelques faits particuliers mal évalués, mais qui n'avoient d'ailleurs aucune liaison ensemble & avec les découvertes anatomiques : Pythagore est, suivant Celse, le plus ancien philosophe qui se soit adonné à la théorie de la Médecine, dont il a en même tems négligé la pratique ; il appliqua au corps humain les lois fameuses & obscures de l'harmonie, suivant lesquelles il croyoit tout l'univers dirigé ; il prétendoit que la santé de même que la vertu, Dieu même, & en général tout bien, consistoit dans l'harmonie, mot qu'il a souvent employé & qu'il n'a jamais expliqué ; peut-être n'entendoit-il autre chose par-là qu'un rapport exact ou une juste proportion que toutes les parties & toutes les fonctions doivent avoir ensemble ; idée très-belle, très-juste, dont la vérité est aujourd'hui généralement reconnue ; il est cependant plus vraisemblable que ce mot avoit une origine plus mystérieuse & fort analogue à sa doctrine sur la vertu des différens nombres. La maladie étoit, suivant lui, une suite naturelle d'un dérangement dans cette harmonie. Du reste, il établissoit de même que les anciens historiens sacrés qui avoient tiré cette doctrine des Chaldéens, une ame étendue depuis le coeur jusqu'au cerveau, & il pensoit que la partie qui étoit dans le coeur étoit la source des passions, & que celle qui résidoit dans le cerveau produisoit l'intelligence & la raison ; on ne sait point quel usage avoient les autres parties, situées entre le coeur & le cerveau.

Alcmeon son disciple, dont le nom doit être célebre dans les fastes de la Médecine, pour avoir le premier anatomisé des animaux (ce ne fut que longtems après lui, qu'Erasistrate & Hérophile oserent porter le couteau sur les cadavres humains). Alcmaeon, dis-je, croyoit que la santé dépendoit d'une égalité dans la chaleur, la sécheresse, le froid, l'humidité, la douceur, l'amertume & autres qualités semblables ; les maladies naissoient, lorsque l'une de ces choses dominoit sur les autres & en rompoit ainsi l'union & l'équilibre : ces idées ont été les premiers fondemens de toutes les théories anciennes, des différentes classes d'intempéries, & des distinctions fameuses reçues encore aujourd'hui chez les modernes, des quatre tempéramens. Héraclite, ce philosophe fameux, par les larmes qu'il a eu la bonnehommie de répandre sur les vices des hommes, établit la célebre comparaison du corps humain avec le monde, que les Alchimistes ont ensuite renouvellée, désignant l'homme sous le nom de microcosme, (petit monde) par opposition à macro-cosme (grand monde) : il prétendoit que les deux machines se ressembloient par la structure, & que l'ordre & le méchanisme des fonctions étoient absolument les mêmes, tout se fait dit-il, dans notre corps comme dans le monde ; l'urine se forme dans la vessie, comme la pluie dans la seconde région de l'air, & comme la pluie vient des vapeurs qui montent de la terre & qui en s'épaississant, produisent les nuées, de même l'urine est formée par les exhalaisons qui s'élevent des alimens & qui s'insinuent dans la vessie. On peut juger par-là de la physiologie d'Héraclite, de l'étendue & de la justesse de ses connoissances anatomiques.

Le grand Hippocrate surnommé à si juste titre, le divin vieillard, joignit à une exacte observation des faits, un raisonnement plus solide : il vit très-bien que les principales sources où l'on pouvoit puiser les vraies connoissances de la nature de l'homme, étoient l'exercice de la médecine, par lequel on avoit les occasions de s'instruire des différens états du corps, en santé & en maladie, des changemens qui distinguoient un état de l'autre, & sur-tout des impressions que faisoient sur l'homme, le boire & le manger, le mouvement & le repos, &c. soit lorsque cet usage étoit modéré, réduit au juste milieu, soit lorsqu'il étoit porté à un excès absolu ou relatif aux dispositions actuelles du corps, lib. de veter. Med. Ces sources sont assurément très-fécondes, & les plus propres à fournir des principes applicables à l'économie animale ; mais Hippocrate persuadé que l'anatomie étoit plus nécessaire au peintre qu'au médecin, négligea trop cette partie, qui peut cependant repandre un grand jour sur la théorie de l'homme. Le livre des chairs ou des principes, qui contient sa doctrine sur la formation du corps & le jeu des parties, est tout énigmatique ; il n'a point été encore suffisamment éclairci par les commentateurs ; les mots de chaud, de froid, d'humide, de sec, &c. dont il se sert à tout moment n'ont point été bien expliqués & évalués ; on voit seulement, ou l'on croit voir qu'il a sur la composition des membranes ou du tissu cellulaire des idées très-justes, il les fait former d'une grande quantité de matiere gluante qui répond au corps muqueux des modernes. Toutes les fonctions du corps humain étoient produites, suivant ce médecin célebre, par l'exercice constant de quatre facultés qu'il appelloit attractrice, retentrice, assimilatrice & expultrice ; la faculté attractrice attiroit au corps tout ce qui pouvoit concourir au bien être de l'homme ; la faculté retentrice le retenoit ; l'usage de la faculté assimilatrice étoit de changer tout corps étranger héterogène, susceptible de changement, & de l'assimiler, c'est-à-dire de le convertir en la nature propre de l'homme : enfin, les matieres qui pouvoient être nuisibles par un trop long séjour, par leur quantité ou leur qualité, étoient chassées, renvoyées dans des reservoirs particuliers, ou hors du corps par la faculté expultrice. Ces facultés appliquées à chaque viscere, à chaque organe, & entretenues dans l'état naturel & dans une juste proportion établissoient la santé ; la maladie étoit déterminée, lorsqu'il arrivoit quelque dérangement dans une ou plusieurs de ces facultés : Hippocrate admettoit aussi pour premier mobile de ces facultés, un principe veillant à la conservation de la machine, qui dans la santé, en regloit & dirigeoit l'exercice, & le conservoit dans l'état nécessaire d'uniformité ; lorsque quelque cause troubloit cet équilibre exact, ce même principe guérissoit des maladies, , faisoit des efforts plus ou moins actifs pour combattre, vaincre & détruire l'ennemi qui travailloit à l'anéantissement de sa machine. Ce principe est désigné dans les écrits d'Hippocrate sous les noms d'ame, de nature, de chaud inné, d'archée, de chaleur primordiale, effective, &c. Sennert a prétendu que le chaud inné n'étoit autre chose que le principal organe dont l'ame se sert pour exercer ses fonctions dans le corps. Fernel remarque, au contraire, fondé sur la décision expresse de Galien, voyez INFLAMMATION, que tous ces noms ne sont que des synonymes d'ame & employés indifféremment par Hippocrate dans la même signification. C'étoit une grande maxime d'Hippocrate, que tout concourt, tout consent, tout conspire ensemble dans le corps : maxime remarquable, très-vraie & très-utile pour l'explication de l'oeconomie animale. Il attribuoit à toutes les parties une affinité qui les fait compatir réciproquement aux maux qu'elles souffrent, & partager le bien qui leur arrive. Nous remarquerons en terminant ce qui le regarde, qu'il plaçoit le siege du sentiment autour de la poitrine, qu'il donne à la membrane qui sépare la poitrine du bas ventre le même nom que celui par lequel les Grecs désignoient l'esprit, ; les plus anciens Médecins avoient ainsi nommé cette partie, parce qu'ils pensoient qu'elle étoit le siége de l'entendement ou de la prudence. Platon avoit imaginé une ame, située dans les environs du diaphragme, qui recherche & appette le boire & le manger & tout ce qui est nécessaire à la vie, & qui est en outre le principe des desirs & de la cupidité. Galien, admirateur enthousiaste d'Hippocrate, n'a rien innové dans sa doctrine sur l'oeconomie animale, il n'a fait que la commenter, l'étendre, la soutenir & la répandre avec beaucoup de zele ; toutes ses opinions ont été pendant plusieurs siecles la théorie régnante, la seule adoptée & suivie dans les écoles sous le nom de Galenisme. Les Médecins chimistes qui parurent dans le treizieme siecle, y apporterent quelques changemens, & Paracelse qui vécut sur la fin du quinzieme, l'abandonna entierement : il avoit l'ambition de changer tout-à-fait la face de la médecine, & d'en créer une nouvelle ; une imagination bouillante, vive, mais préoccupée, ne lui laissa trouver dans le corps humain qu'un assemblage de différens principes chimiques ; le corps de l'homme, s'écria-t-il, paramis. lib. de origin. morbor. n'est autre chose que soufre, mercure & sel ; l'équilibre & la juste proportion de ces trois substances lui parut devoir faire la humain santé ; & les causes de maladie n'agissent suivant lui, qu'en y occasionnant quelqu'altération ; dès que ce premier coup eût été frappé, la Chimie devint la base de la Médecine. Le chimisme se répandit avec beaucoup de rapidité dans toutes les écoles, le galenisme en fut exilé, & elles ne retinrent plus que des noms vagues indéterminés, de sels, d'esprits, de soufre ou d'autres principes, que chaque chimiste varia & multiplia à sa guise, selon les signes qu'il croyoit en appercevoir, ou le besoin qu'il en avoit pour expliquer quelques phénomenes. On fit du corps humain, tantôt un alambic, tantôt un laboratoire entier, où se faisoient toutes les especes d'opérations, les différentes fonctions n'en étoient que le résultat, &c. Voyez CHIMISTE, MEDECINE, Histoire de la.

Lors qu'Harvey eut publié & confirmé par quelques expériences, la circulation du sang, le chimisme perdit beaucoup de son crédit ; la face de la Médecine changea de nouveau : cette découverte, ou soi-disant telle, éblouit tous les esprits, & se répandit peu de tems après dans toutes les Ecoles, malgré les violentes déclamations de la faculté de Paris, trop souvent opposée aux innovations même les plus utiles par le seul crime de nouveauté, & malgré les foibles objections de Riolan ; on ne tarda pas à tomber dans l'excès, la circulation du sang parut jetter un grand jour sur l'oeconomie animale ; elle fut regardée comme la fonction par excellence, la véritable source de la vie : la respiration & l'action du cerveau ne parurent plus nécessaires que par leur influence immédiate sur cette fonction principale : l'enthousiasme général, suite ordinaire de la nouveauté, ne permit pas d'examiner, si la circulation étoit aussi générale & aussi uniforme qu'on l'avoit d'abord annoncé, le mouvement du sang par flux & reflux fut traité de chimere. Les premieres expériences, très-simples & très-naturelles, n'étoient pas en leur faveur, elles firent conclure que tout le sang étoit porté du coeur dans les différentes parties du corps par les artères, & qu'il y étoit rapporté par les veines ; on crut & on le croit encore aujourd'hui, que tout ce sang qui sort du ventricule gauche pour se distribuer dans tout le corps, est versé dans ce même ventricule par les veines pulmonaires, & qu'il passe en entier par le poumon ; le passage libre, égal & facile de tout ce sang par une partie qui n'est pas la dixieme de tout le corps, qui n'est pas plus vasculeuse que bien d'autres visceres, & dans laquelle le sang ne se meut pas plus vîte, n'a point paru difficile à concevoir, parce qu'on ne s'est pas donné la peine de l'examiner sévérement ; la maniere dont le sang circule dans le foie, n'a frappé que quelques observateurs ; les mouvemens du cerveau analogues à ceux de la respiration, découverte importante, n'ont fait qu'une légere sensation ; cependant de toutes ces considérations naissent de violens soupçons, sur l'universalité & l'uniformité généralement admises de la circulation du sang, Voyez CIRCULATION. On peut s'appercevoir par-là combien peu elle mérite d'être regardée, comme la premiere fonction & le mobile de toutes les autres. Mais quand même elle seroit aussi-bien constatée qu'elle l'est peu, il y a bien d'autres raisons, comme nous verrons plus bas, qui empêcheroient de lui accorder cette prérogative. Les Méchaniciens qui ont renversé, sans restriction & sans choix tous les dogmes des chimistes, ont formé une secte particuliere, composée de quelques débris encore subsistans du galenisme & de la découverte de la circulation du sang, d'autant plus fameuse alors, qu'elle étoit plus récente ; le corps humain devint entre leurs mains une machine extrêmement composée, ou plutôt un magasin de cordes, leviers, poulies & autres instrumens de méchanique, & ils pensoient que le but général de tous ces ressorts étoit de concourir au mouvement progressif du sang, le seul absolument nécessaire à la vie ; que les maladies venoient de quelque dérangement dans ce mouvement, & la célebre théorie des fievres est toute fondée sur un arrêt des humeurs dans les extrêmités capillaires. Voyez FIEVRE, INFLAMMATION. On crut que le mouvement s'y faisoit, suivant les lois ordinaires qui ont lieu dans toutes les machines inorganiques ; on traita géométriquement le corps humain ; on calcula avec la derniere sévérité tous les degrés de force requis pour les différentes actions, les dépenses qui s'en faisoient, &c. mais tous ces calculs qui ne pouvoient que varier prodigieusement, n'éclaircirent point l'oeconomie animale. On ne fit pas même attention à la structure organique du corps humain qui est la source de ses principales propriétés. C'est de ces opinions diversement combinées, & surtout très-méthodiquement classées, qu'a pris naissance le Boerhaavisme, qui est encore aujourd'hui la théorie vulgaire ; l'illustre Boerhaave sentit que la constitution de l'oeconomie animale tenoit essentiellement à un ensemble de lois d'actions nécessairement dépendantes les unes des autres ; mais il trouva ce cercle, cet enchaînement d'actions si impénétrable, qu'il ne pouvoit y assigner, comme il l'avoue lui-même, ni commencement, ni fin ; ainsi plutôt que de s'écarter de sa façon, peut-être trop méthodique, d'écrire & d'enseigner, il a négligé d'entrer dans l'examen des premieres lois de la vie, & s'est réduit à n'en considérer que successivement les fonctions à mesure qu'elles paroissoient naître les unes des autres, tâchant de remplacer des principes généraux & des lois fondamentales, par un détail très-circonstancié des faits ; mais isolés, nus, & comme inanimés, manquant de cette vie qui ne peut se trouver que dans la connexion, le rapport & l'appui mutuel des différentes parties. L'impossibilité qu'on crut appercevoir de déduire tous les mouvemens humains d'un pur méchanisme, & d'y faire consister la vie, impossibilité qui est très-réelle, lorsqu'il s'agit des machines composées de parties brutes inorganiques, fit recourir les Médecins modernes à une faculté hyperméchanique intelligente, qui dirigeât, économisât ses mouvemens, les proportionnât aux différens besoins, & entretint par sa vigilance & son action, la vie & la santé, tant que les ressorts subsisteroient unis & bien disposés, & qui pût même corriger & changer les mauvaises dispositions du corps dans le cas de maladie ; ils établirent en conséquence l'ame ouvriere de toutes les fonctions, conservant la santé, guérissant les maladies ou les procurant quand leur utilité paroissoit l'emporter sur leur danger. Ce sentiment est le même à-peu-près qu'Hippocrate avoit soutenu plusieurs siecles auparavant. Stahl est le premier qui ait fait revivre cet ancien système ; on a appellé stahliens, éclectiques ou animistes, ceux qui ont marché sur ses traces. Sans entrer dans le fond du système, dont nous avons prouvé ailleurs l'insuffisance & la fausseté ; il nous suffira de remarquer qu'en remontant à l'ame, pour expliquer la vie & rechercher les lois de l'oeconomie animale ; c'est couper le noeud & non pas le résoudre, c'est éloigner la question & l'envelopper dans l'obscurité, où est plongé par rapport à nous cet être spirituel : d'ailleurs, il ne faudroit pas moins trouver le méchanisme de ce rapport général des mouvemens de la vie dont Stahl lui-même a été vivement frappés, mais qu'il n'a que très-imparfaitement developpé : il resteroit encore à déterminer quelle est la partie premierement mue par ce mobile caché, quelle est la fonction qui précede les autres, & qui en est la source & le soutien.

Toutes ces explications, que les Médecins dans divers tems ont tâché de donner de l'oeconomie animale, quelque spécieuses qu'elles aient paru, sous quel jour avantageux qu'elles se soient montrées, n'ont pu emporter les suffrages des vrais observateurs. Elles sont la plûpart inexactes, d'autres ne sont que trop généralisées, quelques-unes évidemment fausses, toutes insuffisantes ; cette insuffisance frappoit d'abord qu'on les approfondissoit, & jettoit dans l'esprit une sorte de mécontentement qu'on ne pouvoit déterminer, & dont on ignoroit la source immédiate. Enfin, parmi les bons esprits nécessairement peu satisfaits de toutes ces théories, mais plutôt par ce sentiment vague & indéfini que par une notion claire & raisonnée, s'éleva un homme de génie qui découvrit la source de l'ignorance & des erreurs, qui se frayant une route nouvelle, donna à l'art une consistance & une forme qui le rapprochent autant qu'il est possible, de l'état de science exacte & démontrable.

Dès le premier pas, il apperçut les deux vices fondamentaux de la méthode adoptée. 1°. Les sources des connoissances lui parurent mal choisies : les expériences de la physique vulgaire, les analogies déduites des agens méchaniques, la contemplation des propriétés chimiques des humeurs, soit saines soit dégénérées, celles de la contexture des organes, de la distribution des vaisseaux, &c. ces sources de connoissances, dis-je, lui parurent absolument insuffisantes, quoique précieuses en soi, du moins pour la plûpart.

Le second vice essentiel des théories régnantes lui parut être le manque absolu de liaison entre les notions particulieres ; car en partant même de la fausseté des principes sur lesquels la plûpart sont établies, en accordant que les dogmes particuliers reçus fussent des vérités, il est incontestable qu'un amas aussi immense qu'on voudra le supposer, de vérités isolées, ne sauroit former une science réelle. Il conclut de ces deux considérations préliminaires, 1°. qu'il falloit recourir à un autre moyen de recherche ; 2°. qu'il étoit nécessaire de ramener, s'il étoit possible, les connoissances particulieres à un petit nombre de principes, dont il faudroit ensuite tâcher d'établir les rapports ; & se proposa même un objet plus grand, & auquel on doit toujours tendre, savoir, d'établir un principe unique & général, embrassant, ralliant, éclairant tous les objets particuliers, ce qui fait le complément & le faîte de toute science ; car selon un axiome ancien, que l'auteur rappelle d'après Séneque : omnis scientia atque ars debet aliquid habere manifestum, sensu comprehensum, ex quo oriatur & crescat.

Ce nouveau moyen de recherche, ce guide éclairé, & jusqu'alors trop négligé, que notre réformateur a scrupuleusement suivi ; c'est le sentiment intérieur : en effet, quel sujet plus prochain, plus approprié, plus continuellement soumis à nos observations que nous mêmes, & quel flambeau plus fidele & plus sûr que notre propre sentiment, pourroit nous découvrir la marche, le jeu, le méchanisme de notre vie ?

L'auteur du nouveau plan de médecine que nous exposons, s'étudia donc profondement, & appliqua ensuite la sagacité qu'il dut nécessairement acquérir par l'habitude de cette observation, à découvrir chez les autres les mêmes phénomenes qu'il avoit apperçus en lui-même. Il commença par s'occuper des maladies & des incommodités, à s'orienter par la contemplation de l'état contre nature, parce que la santé parfaite consiste dans un calme profond & continu, un équilibre, une harmonie qui permettent à peine de distinguer l'action des organes vitaux, la correspondance & la succession des fonctions. Mais dès que cet état paisible est détruit par le trouble de la maladie ou par la secousse des passions, dèslors la maladie & la douleur, ces sentimens si distincts & si énergiques, manifestent le jeu des divers organes, leurs rapports, leurs influences réciproques. En procédant donc selon cette méthode, & se conduisant avec ordre depuis l'inéquilibre le plus manifeste jusqu'à l'état le plus voisin de l'équilibre parfait, notre ingénieux observateur parvint à se former une image sensible de l'oeconomie animale, tant dans l'état de santé que dans celui de maladie.

Il soumit d'abord à l'examen la vue la plus simple, & en même tems la plus féconde sous laquelle on ait envisagé toute l'oeconomie animale, celle qui la représente comme roulant sur deux pivots ou deux points essentiels & fondamentaux, le mouvement & le sentiment, & il adopta ce principe. Ses observations lui firent admettre cette autre vérité reçue, que le mouvement & le sentiment & les diverses fonctions qui dépendent de chacun, se modifient & se combinent de différentes manieres. Mais dès qu'il fut parvenu à cet autre point de doctrine régnante, savoir, que le système de ces différentes modifications est tel, que par une vicissitude constante les causes & les effets sont réciproques, ou, ce qui revient au même, les premiers agens sont à leur tour mis en jeu par les puissances dont ils avoient eux-mêmes déterminé l'action ; il se convainquit sans peine que c'étoit là un cercle très-vicieux qui exprimoit une absurdité pour les gens qui prendroient littéralement & positivement cette assertion ; & pour le moins un aveu tacite, mais formel, d'ignorance pour ceux qui veulent seulement faire entendre parlà, que l'enchaînement de ces phénomenes leur paroît impénétrable ; car certainement un système d'actions, dans lequel l'effet le plus éloigné devient premiere cause, est absolument & rigoureusement impossible. Ayant ainsi découvert la source des erreurs de tous les médecins philosophes qui s'étoient occupés de l'étude théorique de l'homme ; pleinement convaincu de la necessité d'admettre une fonction premiere le mobile de toutes les autres, il appliqua ce principe lumineux & fécond à ses recherches sur l'oeconomie animale. Il fut donc question de trouver dans le cercle prétendu & apparent ce point primordial & opérateur, ou, pour parler sans figure, dans la suite des fonctions, cette fonction fondamentale & premiere le vrai principe de la vie & de l'animalité.

Cette fonction ne sauroit être la circulation du sang, qui, quand même elle seroit aussi uniforme & aussi universelle qu'on le prétend, est d'ailleurs trop subordonnée, trop passive, s'il est permis de s'exprimer ainsi. Les altérations qu'elle éprouve sont trop lentes & trop peu considérables dans les cas fondamentaux, tels que les événemens communs des passions, des incommodités, des maladies, & la mort même qui arrive très-communément sans dérangement sensible dans le système vasculeux, sans inflammation, sans gangrene, sans arrêts d'humeur, &c. Voyez MORT. D'ailleurs elle existe dans le foetus qui n'a point de vie propre, comme nous l'observerons dans un instant, aussi-bien que dans l'animal qui est devenu un être isolé & à soi, sui juris.

Les principales fonctions, qui par leur importance sensible, mériterent de fixer ensuite son attention, sont la respiration, l'action des organes de la digestion, & celle des organes internes de la tête. La respiration est évidemment celle des trois qui s'est exercée la premiere, & dont l'influence sur toute la machine s'est manifestée dès l'instant de la naissance ; & ce n'est que dès ce moment que l'animal doit être considéré comme ayant une vie propre : tant qu'il est contenu dans la matrice, il ne peut être regardé que comme un être parasite. Notre illustre auteur peint d'une maniere sensible & frappante cette révolution singuliere qu'éprouve un animal qui respire pour la premiere fois, par l'exemple d'une sorte de convulsion générale, d'un soubresaut qui souleve le corps d'un de ces enfans ordinairement foibles & malades, qui restent pendant quelques minutes après leur naissance dans une inaction, une espece de mort, dont ils sortent enfin par l'effort de cette premiere respiration. Or comme on connoît que le diaphragme est l'organe principal, le premier & véritable mobile de la respiration, que cet organe est soulevé, voûté dans le foetus, de maniere qu'il réduit presqu'à rien la cavité de la poitrine, & que dans l'inspiration il est au contraire applani, déprimé, contracté ; on est très-porté à penser que le premier mobile de la vie proprement dite, est le diaphragme ; & à le regarder au-moins d'abord comme une espece de balancier qui donne le branle à tous les organes ; il est au moins bien évident, que commencer à vivre a été pour tout animal respirant, éprouver l'influence de la premiere contraction du diaphragme.

Mais comme il n'y a point d'action sans réaction, & que le point d'appui qui régit principalement celle-ci, qui la borne & qui la favorise par une réciprocation prochaine & immédiate, c'est la masse gastrico-intestinale, soit par son ressort inné, mais principalement par celui qu'elle acquiert en s'érigeant pour sa fonction propre : savoir, la digestion des alimens. Il résulte de ce premier commerce de forces une fonction commune & moyenne, que l'auteur a admirablement suivie, analysée & présentée, sous le nom de forces gastrico-diaphragmatiques, ou de forces épigastriques.

Voilà donc la fonction fondamentale, premiere, modératrice : reste à déterminer quels sont les organes qui la contre-balancent assez victorieusement pour exercer avec elle cette réciprocation ou cet antagonisme, sans lequel nulle force ne peut être exercée, déterminée, contenue ; ces organes sont la tête considérée comme organe immédiatement altéré par les affections de l'ame, les sensations, les passions, &c. & un organe général extérieur dont la découverte appartient éminemment à notre observateur. Un commerce d'action du centre épigastrique à la tête & à l'extérieur du corps, & une distribution constante & uniforme de forces, de mouvemens, de ton aux différens organes secondaires, vivifiés & mis en jeu par ces organes primitifs : voilà la vie & la santé. Cette distribution est-elle interrompue, y a-t-il aberration, ou accumulation de forces dans quelqu'un de ces organes, soit par des résistances vicieuses, soit au contraire par une inertie contre nature ; l'état de maladie ou de convulsion existe dès-lors : car maladie ou convulsion n'est proprement qu'une même chose : in tantum laeditur, in quantum convellitur.

Ce point de vue général doit n'être d'abord que soupçonné, que pressenti : il est de l'essence des apperçues en grand de n'être pas soumises aux voies exactes & rigoureuses de la démonstration ; car ces vérifications de détail arrêtent la marche du génie, qui, dans les objets de cet ordre, ne sauroit être trop libre, prendre un essor trop vaste. D'ailleurs cette façon de concevoir est nécessairement liée à l'essence même du moyen de recherches, dont on a établi la nécessité, savoir, le sentiment intérieur, dont les découvertes ne sauroient s'appliquer à la toise vulgaire de l'art expérimental. Mais cette espece de pressentiment équivaut à la démonstration artificielle pour tout observateur initié, & qui procedera de bonne foi. On n'a rien de valable à objecter à qui vous dit : observez-vous, descendez profondément dans vous-même, apprenez à voir, & vous verrez ; car tous les bons esprits que j'ai accouchés d'après mon plan, ont senti & observé comme moi.

Mais il y a plus, les phénomenes les plus connus de la santé & des maladies, les faits anatomiques, les observations singulieres, inexpliquées des médecins qui nous ont devancé, le qu'Hippocrate trouvoit dans les maladies ; tout cela, disje, se range si naturellement sous le principe établi, qu'on peut l'étayer d'un corps de preuves à l'usage & dans la maniere du théoriste le plus attaché aux méthodes reçues.

Le renouvellement des causes d'activité, le soutien du jeu de la vie par l'action des six choses non naturelles ; les divisions & la saine théorie des maladies découlent comme de soi-même de ce principe fécond & lumineux ; ensorte qu'il naît de cet ensemble un corps de doctrine & un code de pratique, où tout est correspondant, tout est lié, tout est simple, tout est un ; & dès-lors tout médecin qui a appris à manier cet instrument, cette regle de conduite, éprouve pour premier avantage (avantage précieux & trop peu senti) d'être affranchi du souci continuel où laissent les notions vagues, isolées, décousues, souvent disparates d'après lesquelles il étoit obligé d'exercer un art dont l'objet est si intéressant. Cet avantage est si grand, je le répete, que quand même il ne seroit dû qu'à un système artificiel, un pareil système seroit toujours un bien très-réel, à plus forte raison doit-il être accueilli avec la plus grande reconnoissance, étant vrai, réel, puisé dans les sources de la plus vive lumiere qu'on puisse espérer dans les études de cette espece, savoir, le sentiment intérieur & l'observation, & s'appuyant même subsidiairement de tous les autres moyens de connoissance reçus.

Mais un des principaux avantages de ce nouveau plan de médecine, & en quoi il est éminemment préférable & véritablement unique, c'est le grand jour qu'il répand sur l'hygiene, ou la science du régime, cette branche de la médecine si précieuse & si négligée, & d'embrasser le régime des sensations des passions d'une maniere si positive & si claire, qu'il en résulte un traité médical de morale & de bonheur.

La forme de cet ouvrage ne permet pas d'exposer ici les branches particulieres du système ; les théories satisfaisantes qu'il fournit sur les fonctions plus ou moins générales, sur les sécrétions, sur les générations, &c. non plus que le tableau des maladies, le plan général de thérapeutique, &c. parce que ces choses sont traitées dans les articles particuliers. Voyez PASSION, (diete & thérapeut.) D'ailleurs les lecteurs qui ne font pas une étude particuliere des objets de cet ordre, ne desireront pas plus de détail ; & les médecins de profession doivent trouver cette matiere trop intéressante pour ne pas chercher à s'en instruire à fond dans les ouvrages mêmes de l'auteur. Ils doivent consulter pour cela le specimen novi medicinae conspectûs, édit. alter. Paris 1751. les institutiones medicae, faites sur ce nouveau plan, Paris, 1755, l'idée de l'homme physique & moral, & l'extrait raisonné de ce même ouvrage. Le savant auteur du discours sur les animaux carnassiers, qui est le premier morceau du septieme volume de l'histoire du cabinet du roi, a formellement adopté le système d'oeconomie animale que nous venons d'exposer. Cet écrit doit être consulté. (m)

OECONOMIE POLITIQUE, (Hist. Pol. Rel. anc. & mod.) c'est l'art & la science de maintenir les hommes en société, & de les y rendre heureux, objet sublime, le plus utile & le plus intéressant qu'il y ait pour le genre humain.

Nous ne parlerons point ici de ce que font ou de ce que devroient faire les puissances de la terre : instruites par les siecles passés, elles seront jugées par ceux qui nous suivront. Renfermons-nous donc dans l'exposition historique des divers gouvernemens qui ont successivement paru, & des divers moyens qui ont été employés pour conduire les nations.

L'on réduit communément à trois genres tous les gouvernemens établis ; 1°. le despotique, où l'autorité réside dans la volonté d'un seul ; 2°. le républicain, qui se gouverne par le peuple, ou par les premieres classes du peuple ; & 3°. le monarchique, où la puissance d'un souverain, unique & tempérée par des lois & par des coutumes que la sagesse des monarques & que le respect des peuples ont rendu sacrées & inviolables ; parce qu'utiles aux uns & aux autres, elles affermissent le trône, défendent le prince, & protegent les sujets.

A ces trois gouvernemens, nous en devons joindre un quatrieme, c'est le théocratique, que les écrivains politiques ont oublié de considérer. Sans doute qu'ils ont été embarrassés de donner un rang sur la terre à un gouvernement où des officiers & des ministres commandent au nom d'une puissance & d'un être invisible ; peut-être cette administration leur a-t-elle paru trop particuliere & trop surnaturelle, pour la mettre au nombre des gouvernemens politiques. Si ces écrivains eussent cependant fixé des regards plus réfléchis sur les premiers tableaux que présente l'antiquité, & s'ils eussent combiné & rapproché tous les fragmens qui nous restent de son histoire, ils auroient reconnu, que cette théocratie, quoique surnaturelle, a été non-seulement un des premiers gouvernemens que les hommes se sont donnés, mais que ceux que nous venons de nommer en sont successivement sortis, en ont été les suites nécessaires ; & qu'à commencer à ce terme, ils sont tous liés par une chaîne d'événemens continus, qui embrassent presque toutes les grandes révolutions qui sont arrivées dans le monde politique & dans le monde moral.

La théocratie que nous avons ici particulierement en vue, n'est point, comme on pourroit d'abord le penser, la théocratie mosaïque ; mais une autre plus ancienne & plus étendue, qui a été la source de quelques biens & de plus grands maux, & dont la théocratie des Hébreux n'a été dans son tems qu'un renouvellement & qu'une sage réforme qui les a séparés du genre humain, que les abus de la premiere avoient rendu idolâtre. Il est vrai que cette théocratie primitive est presque ignorée, & que le souvenir s'en étoit même obscurci dans la mémoire des anciens peuples ; mais l'analyse que nous allons faire de l'histoire de l'homme en société, pourra la faire entrevoir, & mettre même sur la voie de la découvrir tout-à-fait ceux qui voudront par la suite étudier & considérer attentivement tous les objets divers de l'immense carriere, que nous ne pouvons ici que légérement parcourir.

Si nous voulions chercher l'origine des sociétés & des gouvernemens en métaphysiciens, nous irions trouver l'homme des terres Australes. S'il nous convenoit de parler en théologiens sur notre état primitif, nous ferions paroître l'homme dégénéré de sa premiere innocence ; mais pour nous conduire en simples historiens, nous considérerons l'homme échappé des malheurs du monde, après les dernieres révolutions de la nature. Voilà la seule & l'unique époque où nous puissions remonter ; & c'est là le seul homme que nous devions consulter sur l'origine & les principes des sociétés qui se sont formées depuis ces événemens destructeurs. Malgré l'obscurité où il paroît que l'on doive nécessairement tomber en franchissant les bornes des tems historiques, pour aller chercher au-delà & dans les espaces ténébreux, des faits naturels & des institutions humaines, nous n'avons point cependant manqué de guides & de flambeaux. Nous nous sommes transportés au milieu des anciens témoins des calamités de l'univers. Nous avons examiné comment ils en étoient touchés, & quelles étoient les impressions que ces calamités faisoient sur leur esprit, sur leur coeur & sur leur caractere. Nous avons cherché à surprendre le genre humain dans l'excès de sa misere ; & pour l'étudier, nous nous sommes étudiés nous-mêmes, singulierement prévenus que malgré la différence des siecles & des hommes, il y a des sentimens communs & des idées uniformes, qui se réveillent universellement par les cris de la nature, & même par les seules terreurs paniques, dont certains siecles connus se sont quelquefois effrayés. Après l'examen de cette conscience commune, nous avons réfléchi sur les suites les plus naturelles de ces impressions & sur leur action à l'égard de la conduite des hommes ; & nous servant de nos conséquences comme de principes, nous les avons rapprochés des usages de l'antiquité, nous les avons comparés avec la police & les lois des premieres nations, avec leur culte & leur gouvernement ; nous avons suivi d'âge en âge les diverses opinions & les coutumes des hommes, tant que nous avons cru y connoître les suites, ou au moins les vestiges des impressions primitives ; & par-tout en effet il nous a semblé appercevoir dans les annales du monde une chaîne continue, quoiqu'ignorée, une unité singuliere cachée sous mille formes ; & dans nos principes, la solution d'une multitude d'énigmes & de problêmes obscurs qui concernent l'homme de tous les tems, & ses divers gouvernemens dans tous les siecles.

Nous épargnerons au lecteur l'appareil de nos recherches ; il n'aura que l'analyse de notre travail ; & si nous ne nous sommes pas fait une illusion, il apprendra quelle a été l'origine & la nature de la théocratie primitive. Aux biens & aux maux qu'elle a produit, il reconnoîtra l'âge d'or & le regne des dieux ; il en verra naître successivement la vie sauvage, la superstition & la servitude, l'idolâtrie & le despotisme ; il en remarquera la réformation chez les Hébreux : les républiques & les monarchies paroîtront ensuite dans le dessein de remédier aux abus des premieres législations. Le lecteur pesera l'un & l'autre de ces deux gouvernemens ; & s'il a bien suivi la chaîne des événemens, il jugera, ainsi que nous, que le dernier seul a été l'effet de l'extinction totale des anciens préjugés, le fruit de la raison & du bon sens, & qu'il est l'unique gouvernement qui soit véritablement fait pour l'homme & pour la terre.

Il faudroit bien peu connoître le genre humain, pour douter que dans ces tems déplorables où nous nous supposons avec lui, & dans les premiers âges qui les ont suivis, il n'ait été très-religieux, & que ses malheurs ne lui aient alors tenu lieu de séveres missionnaires & de puissans législateurs, qui auront tourné toutes ses vues du côté du ciel & du côté de la morale. Cette multitude d'institutions austeres & rigides dont on trouve de si beaux vestiges dans l'histoire de tous les peuples fameux par leur antiquité, n'a été sans doute qu'une suite générale de ces premieres dispositions de l'esprit humain.

Il en doit être de même de leur police. C'est sans doute à la suite de tous les événemens malheureux qui ont autrefois ruiné l'espece humaine, son séjour & sa subsistance, qu'ont dû être faits tous ces réglemens admirables, que nous ne retrouvons que chez les peuples les plus anciens, sur l'agriculture, sur le travail, sur l'industrie, sur la population, sur l'éducation, & sur tout ce qui concerne l'oeconomie & publique & domestique.

Ce fut nécessairement sous cette époque que l'unité de principe, d'objet & d'action s'étant rétablie parmi les mortels réduits à petits nombres & pressés des mêmes besoins, ce fut alors que les lois domestiques devinrent la base des lois, ou pour mieux dire, les seules lois des sociétés, ainsi que toutes les plus antiques législations nous le prouvent.

Comme la guerre forme des généraux & des soldats, de même les maux extrêmes du genre humain & de la grandeur de ses nécessités ont donné lieu en leur tems aux lois les plus simples & les plus sages, & aux législations primitives, qui, dans les choses de police, ont eu souverainement pour objet le véritable & le seul bien de l'humanité. L'homme alors ne s'est point laissé conduire par la coutume ; il n'a pas été chercher des lois chez ses voisins ; mais il les a trouvées dans sa raison & dans ses besoins.

Que le spectacle de ces premieres sociétés devoit être touchant ! Aussi pures dans leur morale, que régulieres dans leur discipline, animées d'une fervente charité les unes envers les autres, mutuellement sensibles, étroitement unies, c'étoit alors que l'égalité brilloit, & que l'équité regnoit sur la terre. Plus de tien, plus de mien : tout appartenoit à la société, qui n'avoit qu'un coeur & qu'un esprit. Erat terra labii unius, & sermonum eorumdem. Gen. XI. 1.

Ce n'est donc point une fable dépourvue de toute réalité, que la fable de l'âge d'or, tant célébrée par nos peres. Il a dû exister vers les premieres époques du monde renouvellé, un tems, un ancien tems, où la justice, l'égalité, l'union & la paix ont regné parmi les humains. S'il y a quelque chose à retrancher des récits de la mythologie, ce n'est vraisemblablement que le riant tableau qu'elle nous a fait de l'heureux état de la nature ; elle devoit être alors bien moins belle que le coeur de l'homme. La terre n'offroit qu'un désert rempli d'horreur & de misere, & le genre humain ne fut juste que sur les débris du monde.

Cette situation de la nature, à qui il fallut plusieurs siecles pour se réparer, & pour changer l'affreux spectacle de sa ruine, en celui que nous lui voyons aujourd'hui, fut ce qui retint long-tems le genre humain dans cet état presque surnaturel. La morale & le genre de vie de l'âge d'or n'ont pu regner ensuite au milieu des sociétés aggrandies, parce qu'ils ne conviennent pas plus au luxe de la nature, qu'au luxe de l'humanité, qui n'en a été que la suite & l'effet. A mesure que le séjour de l'homme s'est embelli, à mesure que les sociétés se sont multipliées, & qu'elles ont formé des villes & des états, le regne moral a dû nécessairement faire place au regne politique, & le tien & le mien ont dû paroître dans le monde, non d'abord d'homme à homme, mais de famille à famille & de société à société, parce qu'ils y sont devenus indispensables, & qu'ils font partie de cette même harmonie qui a dû rentrer parmi les nations renouvellées, comme elle est insensiblement rentrée dans la nature après le dernier chaos. Cet âge d'or a donc été un état de sainteté, un état surnaturel digne de notre envie, & qui a justement mérité tous les regrets de l'antiquité : cependant lorsque les législations postérieures en ont voulu adopter les usages & les principes sans discernement, le bien s'est nécessairement changé en mal, & l'or en plomb. Peut-être même n'y auroit-il jamais eu d'âge de fer, si l'on n'eût point usé de cet âge d'or lorsqu'il n'en étoit plus tems ; c'est ce dont on pourra juger par la suite de cet article.

Tels ont été les premiers, & nous pouvons dire les heureux effets des malheurs du monde. Ils ont forcé l'homme à se réunir ; dénué de tout, rendu pauvre & misérable par les désastres arrivés, & vivant dans la crainte & l'attente de ceux dont il se crut long-tems encore menacé, la religion & la nécessité en rassemblerent les tristes restes, & les porterent à être inviolablement unis, afin de seconder les effets de l'activité & de l'industrie : il fallut alors mettre en usage tous ces grands ressorts dont le coeur humain n'est constamment capable que dans l'adversité : ils sont chez nous sans force & sans vigueur ; mais dans ces tristes siecles il n'en fut pas de même, toutes les vertus s'exalterent ; l'on vit le regne & le triomphe de l'humanité, parce que ce sont-là ses instans.

Nous n'entrerons point dans le détail de tous les moyens qui furent mis alors en usage pour réparer les maux du genre humain, & pour rétablir les sociétés : quoique l'histoire ne nous les ait point transmis, ils sont aisés à connoître ; & quand on consulte la nature, elle nous les fait retrouver dans le fond de nos coeurs. Pourroit-on douter, par exemple, qu'une des premieres suites des impressions que fit sur les hommes l'aspect de la ruine du monde, n'ait été d'écarter du milieu des premieres familles, & même du milieu des premieres nations, cet esprit destructeur dont elles n'ont cessé par la suite d'être animées les unes contre les autres ? La violence, le meurtre, la guerre, & leurs suites effroyables ont dû être pendant bien des siecles inconnus ou abhorrés des mortels. Instruits par la plus puissante de toutes les leçons, que la Providence a des moyens d'exterminer le genre humain en un clin d'oeil, sans doute qu'ils stipulerent entr'eux, & au nom de leur postérité, qu'ils ne répandroient jamais de sang sur la terre : ce fut-là en effet le premier précepte de la loi de nature où les malheurs du monde ramenerent nécessairement les sociétés : requiram animam hominis de manu fratris ejus, quicumque effuderit humanum sanguinem, &c. Gen. jx. 5. 6. Les peuples qui jusqu'aujourd'hui ont évité comme un crime de répandre ou de boire le sang des animaux, nous offrent un vestige de cette primitive humanité ; mais ce n'en est qu'une ombre foible : & ces peuples, souvent barbares & cruels à l'égard de leurs semblables, nous montrent bien qu'ils n'ont cherché qu'à éluder la premiere & la plus sacrée de toutes les lois.

Ce n'est point cependant encore dans ces premiers momens qu'il faut chercher ces divers gouvernemens politiques qui ont ensuite paru sur la terre. L'état de ces premiers hommes fut un état tout réligieux ; leurs familles pénétrées de la crainte des jugemens d'en-haut, vécurent quelque tems sous la conduite des peres qui rassembloient leurs enfans, & n'eurent point entr'elles d'autre lien que leurs besoins, ni d'autre roi que le Dieu qu'elles invoquoient. Ce ne fut qu'après s'être multipliées qu'il fallut un lien plus fort & plus frappant pour des sociétés nombreuses que pour des familles, afin d'y maintenir l'unité dont on connoissoit tout le prix, & pour entretenir cet esprit de religion, d'oeconomie, d'industrie & de paix qui seul pouvoit réparer les maux infinis qu'avoit souffert la nature humaine : on fit donc alors des lois ; elles furent dans ces commencemens aussi simples que l'esprit qui les inspira : pour en faire le projet, il ne fallut point recourir à des philosophes sublimes, ni à des politiques profonds ; les besoins de l'homme les dicterent ; & quand on en rassembla toutes les parties, on ne fit sans doute qu'écrire ou graver sur la pierre ou sur le bois ce qui avoit été fait jusqu'à ce tems heureux où la raison des particuliers n'ayant point été différente de la raison publique, avoit été la seule & l'unique loi ; telle a été l'origine des premiers codes ; ils ne changerent rien aux ressorts primitifs de la conduite des sociétés. Cette précaution nouvelle n'avoit eu pour objet que de les fortifier, en raison de la grandeur & de l'étendue du corps qu'ils avoient à faire mouvoir, & l'homme s'y soumit sans peine ; ses besoins lui ayant fait connoître de bonne heure qu'il n'étoit point un être qui pût vivre isolé sur la terre, il s'étoit dès le commencement réuni à ses semblables, en préférant les avantages d'un engagement nécessaire & raisonnable à sa liberté naturelle ; & l'agrandissement de la société ayant ensuite exigé que le contrat tacite que chaque particulier avoit fait avec elle en s'y incorporant, eût une forme plus solemnelle, & qu'il devînt authentique, il y consentit donc encore ; il se soumit aux lois écrites, & à une subordination civile & politique ; il reconnut dans ses anciens des supérieurs, des magistrats, des prêtres : bien plus, il chercha un souverain, parce qu'il connoissoit dès-lors, qu'une grande société sans chef ou sans roi n'est qu'un corps sans tête, & même qu'un monstre dont les mouvemens divers ne peuvent avoir entr'eux rien de raisonné ni d'harmonique.

Pour s'appercevoir de cette grande vérité, l'homme n'eut besoin que de jetter un coup d'oeil sur cette société qui s'étoit déja formée : nous ne pouvons en effet, à l'aspect d'une assemblée telle qu'elle soit, nous empêcher d'y chercher celui qui en est le chef ou le premier ; c'est un sentiment involontaire & vraiment naturel, qui est une suite de l'attrait secret qu'ont pour nous la simplicité & l'unité, qui sont les caracteres de l'ordre & de la vérité : c'est une inspiration précieuse de notre raison par laquelle tel penchant que nous ayons tous vers l'indépendance, nous savons nous soumettre pour notre bien-être & pour l'amour de l'ordre. Loin que le spectacle de celui qui préside sur une société soit capable de causer aucun déplaisir à ceux qui la composent, la raison privée ne peut le voir sans un retour agréable & flatteur sur elle-même, parce que c'est cette société entiere, & nous-mêmes qui en faisons partie, que nous considérons dans ce chef & dans cet organe de la raison publique dont il est le miroir, l'image & l'auguste représentation. La premiere société réglée & policée par les lois, n'a pu sans doute se contempler elle-même sans s'admirer.

L'idée de se donner un roi a donc été une des premieres idées de l'homme sociable & raisonnable. Le spectacle de l'univers seconda même la voix de la raison. L'homme alors encore inquiet, levoit souvent les yeux vers le ciel pour étudier le mouvement des astres & leur accord, d'où dépendoit la tranquillité de la terre & de ses habitans ; & remarquant sur-tout cet astre unique & éclatant, qui semble commander à l'armée des cieux & en être obéi, il crut voir là-haut l'image d'un bon gouvernement, & y reconnoître le modele & le plan que devoit suivre la société sur la terre, pour le rendre heureux & immuable par un semblable concert. La religion enfin appuya tous ces motifs. L'homme ne voyoit dans toute la nature qu'un soleil, il ne connoissoit dans l'univers qu'un être suprême ; il vit donc parlà qu'il manquoit quelque chose à sa législation ; que sa société n'étoit point parfaite ; en un mot qu'il lui falloit un roi qui fût le pere & le centre de cette grande famille, & le protecteur & l'organe des lois.

Ce furent-là les avis, les conseils & les exemples que la raison, le spectacle de la nature & la religion donnerent unanimement à l'homme dès les premiers tems ; mais il les éluda plutôt qu'il ne les suivit. Au lieu de se choisir un roi parmi ses semblables, avec lequel la société auroit fait le même contrat que chaque particulier avoit ci-devant fait avec elle, l'homme proclama le roi de l'âge d'or, c'est-à-dire, l'Etre suprême ; il continua à le regarder comme son monarque ; & le couronnant dans les formes, il ne voulut point qu'il y eût sur la terre, comme dans le ciel, d'autre maître, ni d'autre souverain.

On ne s'est pas attendu sans doute à voir de si près la chûte & l'oubli des sentimens que nous nous sommes plu à mettre dans l'esprit humain, au moment où les sociétés songeoient à représenter leur unité par un monarque. Si nous les avons fait ainsi penser, c'est que ces premiers sentimens vrais & pleins de simplicité sont dignes de ces âges primitifs, & que la conduite surnaturelle de ces sociétés semble nous indiquer qu'elles ont été surprises & trompées dans ce fatal moment. Peut-être quelques-uns soupçonneront-ils que l'amour de l'indépendance a été le mobile de cette démarche, & que l'homme, en refusant de se donner un roi visible, pour en reconnoître un qu'il ne pouvoit voir, a eu un dessein tacite de n'en admettre aucun. Ce seroit rendre bien peu de justice à l'homme en général, & en particulier à l'homme échappé des malheurs du monde, qui a été porté plus que tous les autres à faire le sacrifice de sa liberté & de toutes ses passions. S'il fit donc, en se donnant un roi, une si singuliere application des leçons qu'il recevoit de sa raison & de la nature entiere, c'est qu'il n'avoit point encore épuré sa religion comme sa police civile & domestique, & qu'il ne l'avoit pas dégagée de la superstition, cette fille de la crainte & de la terreur, qui absorbe la raison, & qui prenant la place & la figure de la religion, l'anéantit elle-même pour livrer l'humanité à la fraude & à l'imposture : l'homme alors en fut cruellement la dupe ; elle seule présida à l'élection du dieu monarque, & ce fut-là la premiere époque & la source de tous les maux du genre humain.

Comme nous avons dit ci-devant que les premieres familles n'eurent point d'autre roi que le dieu qu'elles invoquoient, & comme c'est ce même usage qui s'étant consacré avec le tems, porta les nations multipliées à métamorphoser ce culte religieux en un gouvernement politique, il importe ici de faire connoître quels ont été les préjugés que les premieres familles joignirent à leur culte, parce que ce sont ces mêmes préjugés qui pervertirent par la suite la religion & la police de leur postérité.

Parmi les impressions qu'avoit fait sur l'homme l'ébranlement de la terre & les grands changemens arrivés dans la nature, il avoit été particulierement affecté de la crainte de la fin du monde ; il s'étoit imaginé que les jours de la justice & de la vengeance étoient arrivés ; il s'étoit attendu de voir dans peu le juge suprême venir demander compte à l'univers, & prononcer ces redoutables arrêts que les méchans ont toujours craint, & qui ont toujours fait l'espérance & la consolation des justes. Enfin l'homme, en voyant le monde ébranlé & presque détruit, n'avoit point douté que le regne du ciel ne fût très-prochain, & que la vie future que la religion appelle par excellence le royaume de Dieu ne fût prêt à paroître. Ce sont là de ces dogmes qui saisissent l'humanité dans toutes les révolutions de la nature, & qui ramenent au même point l'homme de tous les tems. Ils sont sans doute sacrés, réligieux & infiniment respectables en eux-mêmes ; mais l'histoire de certains siecles nous a appris à quels faux principes ils ont quelquefois conduit les hommes foibles, lorsque ces dogmes ne leur ont été présentés qu'à la suite des terreurs paniques & mensongeres.

Quoique les malheurs du monde, dans les premiers tems, n'ayent eu que trop de réalité, ils conduisirent néanmoins l'homme aux abus des fausses terreurs, parce qu'il y a toujours autant de différence entre quelque changement dans le monde & sa fin absolue dont Dieu seul sait les momens, qu'il y en a entre un simple renouvellement, & une création toute miraculeuse : nous conviendrons cependant que dans ces anciennes époques, où l'homme se porta à abuser de ces dogmes universels, qu'il fut bien plus excusable que dans ces siecles postérieurs où la superstition n'eut d'autre source que de faux calculs & de faux oracles que l'état même de la nature contredisoit. Ce fut cette nature elle-même, & tout l'univers aux abois qui séduisirent les siecles primitifs. L'homme auroit-il pû s'empêcher, à l'aspect de tous les formidables phénomènes d'une dissolution totale, de ne pas se frapper de ces dogmes religieux dont il ne voyoit pas, il est vrai, la fin précise, mais dont il croyoit évidemment reconnoître tous les signes & toutes les approches ? Ses yeux & sa raison sembloient l'en avertir à chaque instant, & justifier ses terreurs : ses maux & ses miseres qui étoient à leur comble, ne lui laissoient pas la force d'en douter : les consolations de la religion étoient son seul espoir ; il s'y livra sans reserve, il attendit avec résignation le jour fatal ; il s'y prépara, le desira même ; tant étoit alors déplorable son état sur la terre !

L'arrivée du grand juge & du royaume du ciel avoient donc été, dans ces tristes circonstances, les seuls points de vue que l'homme avoit considérés avec une sainte avidité ; il s'en étoit entretenu perpétuellement pendant les fermentations de son séjour ; & ces dogmes avoient fait sur lui de si profondes impressions, que la nature, qui ne se rétablit sans doute que peu-à-peu, l'étoit tout-à-fait lorsque l'homme attendoit encore. Pendant les premieres générations, ces dispositions de l'esprit humain ne servirent qu'à perfectionner d'autant sa morale, & firent l'héroïsme & la sainteté de l'âge d'or. Chaque famille pénétrée de ces dogmes, ne représentoit qu'une communauté religieuse qui dirigeoit toutes ses démarches sur le céleste avenir, & qui ne comptant plus sur la durée du monde, vivoit, en attendant les événemens, sous les seuls liens de la religion. Les siecles inattendus qui succéderent à ceux qu'on avoit cru les derniers, auroient dû, ce semble, détromper l'homme de ce qu'il y avoit de faux dans ses principes. Mais l'espérance se rebute-t-elle ? La bonne foi & la simplicité avoient établi ces principes dans les premiers âges ; le préjugé & la coutume les perpétuerent dans les suivans, & ils animoient encore les sociétés aggrandies & multipliées, lorsqu'elles commencerent à donner une forme réglée à leur administration civile & politique. Préoccupées du ciel, elles oublierent dans cet instant qu'elles étoient encore sur la terre ; & au lieu de donner à leur état un lien fixe & naturel, elles persisterent dans un gouvernement, qui n'étant que provisoire & surnaturel, ne pouvoit convenir aux sociétés politiques, ainsi qu'il avoit convenu aux sociétés mystiques & religieuses. Elles s'imaginerent sans doute par cette sublime spéculation, prévenir leur gloire & leur bonheur, jouir du ciel sur la terre, & anticiper sur le céleste avenir. Néanmoins ce fut cette spéculation qui fut le germe de toutes leurs erreurs & de tous les maux où le genre humain fut ensuite plongé. Le dieu monarque ne fut pas plutôt élu, qu'on appliqua les principes du regne d'en-haut au regne d'ici-bas ; & ces principes se trouverent faux, parce qu'ils étoient déplacés. Ce gouvernement n'étoit qu'une fiction qu'il fallut nécessairement soutenir par une multitude de suppositions & d'usages conventionnels ; & ces suppositions ayant été ensuite prises à la lettre, il en résulta une foule de préjugés religieux & politiques, une infinité d'usages bizarres & déraisonnables, & des fables sans nombre qui précipiterent à la fin dans le chaos le plus obscur, la religion, la police primitive & l'histoire du genre humain. C'est ainsi que les premieres nations, après avoir puisé dans le bon sens & dans leurs vrais besoins leurs lois domestiques & oeconomiques, les soumirent toutes à un gouvernement idéal, que l'histoire connoît peu, mais que la Mythologie qui a recueilli les ombres des premiers tems, nous a transmis sous le nom de regne des dieux ; c'est-à-dire, dans notre langage, le regne de Dieu, & en un seul mot, théocratie.

Les historiens ayant méprisé, & presque toujours avec raison, les fables de l'antiquité, la théocratie primitive est un des âges du monde les plus suspects ; & si nous n'avions ici d'autres autorités que celle de la Mythologie, tout ce que nous pourrions dire sur cet antique gouvernement, paroîtroit encore sans vraisemblance aux yeux du plus grand nombre ; peut-être aurions-nous les suffrages de quelques-uns de ceux dont le génie soutenu de connoissance, est seul capable de saisir l'ensemble de toutes les erreurs humaines ; d'appercevoir la preuve d'un fait ignoré dans le crédit d'une erreur universelle, & de remonter ensuite de cette erreur, aux vérités ou aux événemens qui l'ont fait naître, par la combinaison réfléchie de tous les différens aspects de cette même erreur : mais les bornes de notre carriere ne nous permettant point d'employer les matériaux que peut nous fournir la Mythologie, nous n'entreprendrons point ici de réédifier les annales théocratiques. Nous ferons seulement remarquer que si l'universalité & si l'uniformité d'une erreur sont capables de faire entrevoir aux esprits les plus intelligens quelques principes de vérité, où tant d'autres ne voient cependant que les effets du caprice & de l'imagination des anciens poëtes, on ne doit pas totalement rejetter les traditions qui concernent le regne des dieux, puisqu'elles sont universelles, & qu'on les retrouve chez toutes les nations, qui leur font succéder les demi-dieux, & ensuite les rois, en distinguant ces trois regnes comme trois gouvernemens différens. Egyptiens, Chaldéens, Perses, Indiens, Chinois, Japonois, Grecs, Romains, & jusqu'aux Américains mêmes, tous ces peuples ont également conservé le souvenir ténébreux d'un tems où les dieux sont descendus sur la terre pour rassembler les hommes, pour les gouverner, & pour les rendre heureux, en leur donnant des lois, & en leur apprenant les arts utiles. Chez tous ces peuples, les circonstances particulieres de la descente de ces dieux sont les miseres & les calamités du monde. L'un est venu, disent les Indiens, pour soutenir la terre ébranlée ; & celui-là pour la retirer de dessous les eaux ; un autre pour secourir le soleil, pour faire la guerre au dragon, & pour exterminer des monstres. Nous ne rappellerons pas les guerres & les victoires des dieux grecs & égyptiens sur les Typhons, les Pythons, les Géans & les Titans. Toutes les grandes solemnités du paganisme en célébroient la mémoire. Vers tel climat que l'on tourne les yeux, on y retrouve de même cette constante & singuliere tradition d'un âge théocratique ; & l'on doit remarquer qu'indépendamment de l'uniformité de ce préjugé qui décele un fait tel qu'il puisse être, ce regne surnaturel y est toujours désigné comme ayant été voisin des anciennes révolutions, puisqu'en tous lieux le regne des dieux y est orné & rempli des anecdotes littérales ou allégoriques de la ruine ou du rétablissement du monde. Voici, je crois, une des plus grandes autorités qu'on puisse trouver sur un sujet si obscur.

" Si les hommes ont été heureux dans les premiers tems, dit Platon, IV. liv. des Lois, s'ils ont été heureux & justes, c'est qu'ils n'étoient point alors gouvernés comme nous le sommes aujourd'hui, mais de la même maniere que nous gouvernons nos troupeaux ; car comme nous n'établissons pas un taureau sur des taureaux, ni une chevre sur un troupeau de chevres, mais que nous les mettons sous la conduite d'un homme qui en est le berger ; de même Dieu qui aime les hommes, avoit mis nos ancêtres sous la conduite des esprits & des anges ".

Ou je me trompe, ou voilà ce gouvernement surnaturel qui a donné lieu aux traditions de l'âge d'or & du regne des dieux. Platon a été amené à cette tradition par une route assez semblable à celle que je suis. Il dit ailleurs, qu'après le déluge, les hommes vécurent sous trois états successifs : le premier, sur les montagnes errans & isolés les uns des autres : le deuxieme, en familles dans les vallées voisines, avec un peu moins de terreur que dans le premier état : & le troisieme, en sociétés réunies dans les plaines, & vivant sous des lois. Au reste, si ce gouvernement est devenu si généralement obscur & fabuleux, on ne peut en accuser que lui-même. Quoique formé sous les auspices de la religion, ses principes surnaturels le conduisirent à tant d'excès & à tant d'abus, qu'il se défigura insensiblement, & fut enfin méconnu. Peut-être cependant l'histoire qui l'a rejetté, l'a-t-elle admis en partie dans ses fastes, sous le nom de regne sacerdotal. Ce regne n'a été dans son tems qu'une des suites du premier, & l'on ne peut nier que cette administration n'ait été retrouvée chez diverses nations fort historiques.

Pour suppléer à ce grand vuide des annales du monde par une autre voie que la Mythologie, nous avons réfléchi sur l'étiquette & sur les usages qui ont dû être propres à ce genre de gouvernement ; & après nous en être fait un plan & un tableau, nous avons encore cherché à les comparer avec les usages politiques & réligieux des nations. Tantôt nous avons suivi l'ordre des siecles, & tantôt nous les avons retrogradés, afin d'éclaircir l'ancien par le moderne, comme on éclaircit le moderne par l'ancien. Telle a été notre méthode pour trouver le connu par l'inconnu ; on jugera de sa justesse ou de son inexactitude par quelques exemples, & par le résultat dont voici l'analyse.

Le gouvernement surnaturel ayant obligé les nations à recourir à une multitude d'usages & de suppositions pour en soutenir l'extérieur, un de leurs premiers soins fut de représenter au milieu d'elles la maison de leur monarque, de lui élever un trône, & de lui donner des officiers & des ministres. Considérée comme un palais civil, cette maison étoit sans doute de trop sur la terre, mais ensuite considérée comme un temple, elle ne put suffire au culte public de toute une nation. D'abord on voulut que cette maison fût seule & unique, parce que le dieu monarque étoit seul & unique ; mais toutes les différentes portions de la société ne pouvant s'y rendre aussi souvent que le culte journalier qui est dû à la divinité l'exige, les parties les plus écartées de la société tomberent dans une anarchie religieuse & politique, ou se rendirent rébelles & coupables, en multipliant le dieu monarque avec les maisons qu'elles voulurent aussi lui élever. Peu-à-peu les idées qu'on devoit avoir de la divinité se rétrecirent ; au lieu de regarder ce temple comme des lieux d'assemblées & de prieres publiques, infiniment respectables par cette destination, les hommes y chercherent le maître qu'ils ne pouvoient y voir, & lui donnerent à la fin une figure & une forme sensible. Le signe de l'autorité & le sceptre de l'empire ne furent point mis entre des mains particulieres ; on les déposa dans cette maison & sur le siege du céleste monarque ; c'est-à-dire dans un temple & dans le lieu le plus respectable de ce temple, c'est-à-dire dans le sanctuaire. Le sceptre & les autres marques de l'autorité royale n'ont été dans les premiers tems que des bâtons & des rameaux ; les temples que des cabanes, & le sanctuaire qu'une corbeille & qu'un coffret. C'est-ce qui se trouve dans toute l'antiquité ; mais par l'abus de ces usages, la religion absorba la police ; & le regne du ciel lui donna le regne de la terre, ce qui pervertit l'un & l'autre.

Le code des lois civiles & religieuses ne fut point mis non plus entre les mains du magistrat, on le déposa dans le sanctuaire ; ce fut à ce lieu sacré qu'il fallut avoir recours pour connoître ces lois & pour s'instruire de ses devoirs. Là elles s'y ensevelirent avec le tems ; le genre humain les oublia, peut-être même les lui fit-on oublier. Dans ces fêtes qui portoient chez les anciens le nom de fêtes de la législation, comme le palilies & les thesmophories, les plus saintes vérités n'y étoient plus communiquées que sous le secret à quelques initiés, & l'on y faisoit aux peuples un mystere de ce qu'il y avoit de plus simple dans la police, & de ce qu'il y avoit de plus utile & de plus vrai dans la religion.

La nature de la théocratie primitive exigeant nécessairement que le dépôt des lois gardé dans le sanctuaire parût émané de dieu même, & qu'on fût obligé de croire qu'il avoit été le législateur des hommes comme il en étoit le monarque ; le tems & l'ignorance donnerent lieu aux ministres du paganisme d'imaginer que des dieux & des déesses les avoient révélés aux anciens législateurs, tandis que les seuls besoins & la seule raison publique des premieres sociétés en avoient été les uniques & les véritables sources. Par ces affreux mensonges, ils ravirent à l'homme l'honneur de ces lois si belles & si simples qu'il avoit fait primitivement, & ils affoiblirent tellement les ressorts & la dignité de sa raison, en lui faisant faussement accroire qu'elle n'avoit point été capable de les dicter, qu'il la méprisa, & qu'il crut rendre hommage à la divinité, en ne se servant plus d'un don qu'il n'avoit reçu d'elle que pour en faire un constant usage.

Le dieu monarque de la société ne pouvant lui parler ni lui commander d'une façon directe, on se mit dans la nécessité d'imaginer des moyens pour connoître ses ordres & ses volontés. Une absurde convention établit donc des signes dans le ciel & sur la terre qu'il fallut regarder, & qu'on regarda en effet comme les interpretes du monarque : on inventa les oracles, & chaque nation eut les siens. On vit paroître une foule d'augures, de devins & d'aruspices ; en police, comme en religion, l'homme ne consulta plus la raison, mais il crut que sa conduite, ses entreprises & toutes ses démarches devoient avoir pour guide un ordre ou un avis de son prince invisible ; & comme la fraude & l'imposture les dicterent aux nations aveuglées, elles en furent toutes les dupes, les esclaves, les victimes.

De semblables abus sortirent aussi des tributs qu'on crut devoir lui payer. Dans les premiers tems où la religion ni la police n'étoient point encore corrompues par leur faux appareil, les sociétés n'eurent d'autres charges & d'autres tributs à porter à l'Etre suprême que les fruits & les prémices des biens de la terre ; encore n'étoit-ce qu'un hommage de reconnoissance, & non un tribut civil dont le souverain dispensateur de tout n'a pas besoin. Il n'en fut plus de même lorsque d'un être universel chaque nation en eut fait son roi particulier : il fallut lui donner une maison, un trône, des officiers, & enfin des revenus pour les entretenir. Le peuple porta donc chez lui la dixme de ses biens, de ses terres & de ses troupeaux ; il savoit qu'il tenoit tout de son divin roi, que l'on juge de la ferveur avec laquelle chacun vint offrir ce qui pouvoit contribuer à l'éclat & à la magnificence de son monarque. La piété généreuse ne connut point de bornes, on en vint jusqu'à s'offrir soi-même, sa famille & ses enfans ; on crut pouvoir, sans se deshonorer, se reconnoître esclave du souverain de toute la nature, & l'homme ne se rendit que le sujet & l'esclave des officiers théocratiques.

A mesure que la simplicité religieuse s'éteignit, & que la superstition s'augmenta avec l'ignorance, il fallut par gradation renchérir sur les anciennes offrandes & en chercher de nouvelles : après les fruits, on offrit les animaux ; & lorsqu'on se fut familiarisé par ce dernier usage avec cette cruelle idée que la divinité aime le sang, il n'y eut plus qu'un pas à faire pour égorger des hommes, afin de lui offrir le sang le plus cher & le plus précieux qui soit sans doute à ses yeux. Le fanatisme antique n'ayant pu s'élever à un plus haut période, égorgea donc des victimes humaines ; il en présenta les membres palpitans à la divinité comme une offrande qui lui étoit agréable ; bien plus, l'homme en mangea lui-même ; & après avoir ci-devant éteint sa raison, il dompta enfin la nature pour participer aux festins des dieux.

Il n'est pas nécessaire de faire une longue application de ces usages à ceux de toutes les nations payennes & sauvages qui les ont pratiqués. Chez toutes, les sacrifices sanglans n'ont eu primitivement pour objet que de couvrir la table du roi théocratique, comme nous couvrons la table de nos monarques. Les prêtres de Belus faisoient accroire aux peuples d'Assyrie, que leurs divinités mangeoient elles - mêmes les viandes qu'on lui présentoit sur ses autels ; & les Grecs & les Romains ne manquoient jamais dans les tems de calamités d'assembler dans la place publique leurs dieux & leurs déesses autour d'une table magnifiquement servie, pour en obtenir, par un festin extraordinaire, les graces qui n'avoient pu être accordées aux repas réglés du soir & du matin, c'est-à-dire aux sacrifices journaliers & ordinaires ; c'est ainsi qu'un usage originairement établi, pour soutenir dans tous ses points le cérémonial figuré d'un gouvernement surnaturel, fut pris à la lettre, & que la divinité, se trouvant en tout traitée comme une créature mortelle, fut avilie & perdue de vûe.

L'anthropophagie qui a regné & qui regne encore dans une moitié du monde, ne peut avoir non plus une autre source que celle que nous avons fait entrevoir : ce n'est pas la nature qui a conduit tant de nations à cet abominable excès ; mais égaré & perdu par le surnaturel de ses principes, c'est pas à pas & par degré qu'un culte insensé & cruel a perverti le coeur humain. Il n'est devenu anthropophage qu'à l'exemple & sur le modele d'une divinité qu'il a cru anthropophage.

Si l'humanité se perdit, à plus forte raison les moeurs furent-elles aussi altérées & flétries. La corruption de l'homme théocratique donna des femmes au dieu monarque ; & comme tout ce qu'il y avoit de bon & de meilleur lui étoit dû, la virginité même fut obligée de lui faire son offrande. De-là les prostitutions religieuses de Babylone & de Paphos ; de-là ces honteux devoirs du paganisme qui contraignoient les filles à se livrer à quelque divinité avant que de pouvoir entrer dans le mariage ; de-là enfin, tous ces enfans des dieux qui ont peuplé la mythologie & le ciel poëtique.

Nous ne suivrons pas plus loin l'étiquette & le cérémonial de la cour du dieu monarque, chaque usage fut un abus, & chaque abus en produisit mille autres. Considéré comme un roi, on lui donna des chevaux, des chars, des boucliers, des armes, des meubles, des terres, des troupeaux, & un domaine qui devint, avec le tems, le patrimoine des dieux du paganisme ; considéré comme un homme, on le fit séducteur, colere, emporté, jaloux, vindicatif & barbare ; enfin on en fit l'exemple & le modele de toutes les iniquités, dont nous trouvons les affreuses légendes dans la théogonie payenne.

Le plus grand de tous les crimes de la théocratie primitive a sans doute été d'avoir précipité le genre humain dans l'idolâtrie par le surnaturel de ses principes. Il est si difficile à l'homme de concevoir un être aussi grand, aussi immense, & cependant invisible tel que l'être suprême, sans s'aider de quelques moyens sensibles, qu'il a fallu presque nécessairement que ce gouvernement en vînt à sa représentation. Il étoit alors bien plus souvent question de l'être suprême qu'il n'est aujourd'hui : indépendamment de son nom & de sa qualité de dieu, il étoit roi encore. Tous les actes de la police, comme tous les actes de la religion, ne parloient que de lui ; on trouvoit ses ordres & ses arrêts par-tout ; on suivoit ses lois ; on lui payoit tribut ; on voyoit ses officiers, son palais, & presque sa place ; elle fut donc bien-tôt remplie.

Les uns y mirent une pierre brute, les autres une pierre sculptée ; ceux-ci l'image du soleil, ceux-là de la lune ; plusieurs nations y exposerent un boeuf, une chevre ou un chat, comme les Egyptiens : en Ethiopie, c'étoit un chien ; & ces signes représentatifs du monarque furent chargés de tous les attributs symboliques d'un dieu & d'un roi ; ils furent décorés de tous les titres sublimes qui convenoient à celui dont on les fit les emblêmes ; & ce fut devant eux qu'on porta les prieres & les offrandes, qu'on exerça tous les actes de la police & de la religion, & que l'on remplit enfin tout le cérémonial théocratique. On croit déja sans doute que c'est là l'idolâtrie ; non, ce ne l'est pas encore, c'en est seulement la porte fatale. Nous rejettons ce sentiment affreux que les hommes ont été naturellement idolâtres, ou qu'ils le sont devenus de plein gré & de dessein prémédité : jamais les hommes n'ont oublié la divinité, jamais dans leurs égaremens les plus grossiers ils n'ont tout-à-fait méconnu son excellence & son unité, & nous oserions même penser en leur faveur qu'il y a moins eu une idolâtrie réelle sur la terre qu'une profonde & générale superstition ; ce n'est point non plus par un saut rapide que les hommes ont passé de l'adoration du Créateur à l'adoration de la créature ; ils sont devenus idolâtres sans le savoir & sans vouloir l'être, comme nous verrons ci-après, qu'ils sont devenus esclaves sans jamais avoir eu l'envie de se mettre dans l'esclavage. La religion primitive s'est corrompue, & l'amour de l'unité s'est obscurci par l'oubli du passé & par les suppositions qu'il a fallu faire dans un gouvernement surnaturel qui confondit toutes les idées en confondant la police avec la religion : nous devons penser que dans les premiers tems où chaque nation se rendit son dieu monarque sensible, qu'on se comporta encore vis-à-vis de ses emblêmes avec une circonspection religieuse & intelligente ; c'étoit moins dieu qu'on avoit voulu représenter que le monarque, & c'est ainsi que dans nos tribunaux, nos magistrats ont toujours devant eux l'image de leur souverain, qui rappelle à chaque instant par sa ressemblance & par les ornemens de la royauté le véritable souverain qu'on n'y voit pas, mais que l'on sait exister ailleurs. Ce tableau qui ne peut nous tromper, n'est pour nous qu'un objet relatif & commémoratif, & telle avoit été sans doute l'intention primitive de tous les symboles représentatifs de la divinité : si nos peres s'y tromperent cependant, c'est qu'il ne leur fut pas aussi facile de peindre cette divinité qu'à nous de peindre un mortel. Quel rapport en effet put-il y avoir entre le dieu regnant & toutes les différentes effigies que l'on en fit ? Ce ne put être qu'un rapport imaginaire & de pure convention, toujours prêt par conséquent à dégrader le dieu & le monarque si-tôt qu'on n'y joindroit plus une instruction convenable ; on les donna sans doute (ces instructions) dans les premiers tems, mais parlà le culte & la police, de simples qu'ils étoient, devinrent composés & allégoriques, par-là l'officier théocratique vit accroître le besoin & la nécessité que l'on eut de son état ; & comme il devint ignorant lui-même, les conventions primitives se changerent en mysteres, & la religion dégénéra en une science merveilleuse & bizarre, dont le secret devint impénétrable d'âge en âge, & dont l'objet se perdit à la fin dans un labyrinthe de graves puérilités & d'importantes bagatelles.

Si toutes les différentes sociétés eussent au moins pris pour signe de la divinité regnante un seul & même symbole, l'unité du culte, quoique dégénéré, auroit encore pu se conserver sur la terre ; mais ainsi que tout le monde fait, les uns prirent une chose, & les autres une autre ; l'Etre suprême, sous mille formes différentes, fut adoré par-tout sans n'être plus le même aux yeux de l'homme grossier. Chaque nation s'habitua à considérer le symbole qu'elle avoit choisi comme le plus véritable & le plus saint.

L'unité fut donc rompue : la religion générale étant éteinte ou méconnue, une superstition générale en prit la place, & dans chaque contrée elle eut son étendart particulier ; chacun regardant son dieu & son roi comme le seul & le véritable, détesta le dieu & le roi de ses voisins. Bien-tôt toutes les autres nations furent réputées étrangeres, on se sépara d'elles, on ferma ses frontieres, & les hommes devinrent ainsi par naissance, par état & par religion, ennemis déclarés les uns des autres.

Inde furor vulgò, quod numina vicinorum

Odit uterque locus, cum solos credat habendos

Esse deos, quos ipse colit.

Juvenal, Sat. 15.

Tel étoit l'état déplorable où les abus funestes de la théocratie primitive avoient déja précipité la religion de tout le genre humain, lorsque Dieu, pour conserver chez les hommes le souvenir de son unité, se choisit enfin un peuple particulier, & donna aux Hébreux un législateur sage & instruit pour reformer la théocratie payenne des nations. Pour y parvenir, ce grand homme n'eut qu'à la dépouiller de tout ce que l'imposture & l'ignorance y avoient introduit : Moïse détruisit donc tous les emblêmes idolâtres qu'on avoit élevés au dieu monarque, & il supprima les augures, les devins & tous les faux interpretes de la divinité, défendit expressément à son peuple de jamais la représenter par aucune figure de fonte ou de pierre, ni par aucune image de peinture ou de ciselure ; ce fut cette derniere loi qui distingua essentiellement les Hébreux de tous les peuples du monde. Tant qu'ils l'observerent, ils furent vraiment sages & religieux ; & toutes les fois qu'ils la transgresserent, ils se mirent au niveau de toutes les autres nations ; mais telle étoit encore dans ces anciens tems, la force des préjugés & l'excès de la grossiereté des hommes, que ce précepte, qui nous semble aujourd'hui si simple & si conforme à la raison, fut pour les Hébreux d'une observance pénible & difficile ; de-là leurs fréquentes rechûtes dans l'idolâtrie, & ces perpétuels retours vers les images des nations, qu'on n'a pu expliquer jusqu'ici que par une dureté de coeur & un entêtement inconcevables, dont on doit actuellement retrouver la source & les motifs dans les anciens préjugés & dans les usages de la théocratie primitive.

Après avoir parcouru la partie religieuse de cet antique gouvernement jusqu'à l'idolâtrie qu'il a produit & jusqu'à sa réforme chez les Hébreux, jettons aussi quelques regards sur sa partie civile & politique, dont le vice s'est déja fait entrevoir. Tel grand & tel sublime qu'ait paru dans son tems un gouvernement qui prenoit le ciel pour modele & pour objet, un édifice politique construit ici-bas sur une telle spéculation a dû nécessairement s'écrouler & produire de très-grands maux ; entre cette foule de fausses opinions, dont cette théocratie remplit l'esprit humain, il s'en éleva deux fortes opposées l'une à l'autre, & toutes deux cependant également contraires au bonheur des sociétés. Le tableau qu'on se fit de la félicité du regne céleste fit naître sur la terre de fausses idées sur la liberté, sur l'égalité & sur l'indépendance ; d'un autre côté, l'aspect du dieu monarque si grand & si immense réduisit l'homme presqu'au néant, & le porta à se mépriser lui-même & à s'avilir volontairement par ces deux extrêmes : l'esprit d'humanité & de raison qui devoit faire ce lien des sociétés se perdit nécessairement dans une moitié du monde, on voulut être plus qu'on ne pouvoit & qu'on ne devoit être sur la terre ; & dans l'autre, on se dégrada au-dessous de son état naturel ; enfin on ne vit plus l'homme, mais on vit insensiblement paroître le sauvage & l'esclave.

Le point de vûe du genre humain avoit été cependant de se rendre heureux par la théocratie, & nous ne pouvons douter qu'il n'y ait réussi au moins pendant un tems. Le regne des dieux a été célébré par les Poëtes ainsi que l'âge d'or, comme un regne de félicité & de liberté. Chacun étoit libre dans Israël, dit aussi l'Ecriture en parlant des commencemens de la théocratie mosaïque ; chacun faisoit ce qu'il lui plaisoit, alloit où il vouloit, & vivoit alors dans l'indépendance : unusquisque, quod sibi rectum videbatur, hoc faciebat. Jug. xvij. 6. Ces heureux tems, où l'on doit appercevoir néanmoins le germe des abus futurs, n'ont pû exister que dans les abords de cet âge mystique, lorsque l'homme étoit encore dans la ferveur de sa morale & dans l'héroïsme de sa théocratie ; & sa félicité aussi bien que sa justice ont dû être passageres, parce que la ferveur & l'héroïsme qui seuls pouvoient soutenir le surnaturel de ce gouvernement, sont des vertus momentanées & des saillies religieuses qui n'ont jamais de durée sur la terre. La véritable & la solide théocratie n'est réservée que pour le ciel ; c'est-là que l'homme un jour sera sans passion comme la Divinité : mais il n'en est pas de même ici-bas d'une théocratie terrestre où le peuple ne peut qu'abuser de sa liberté sous un gouvernement provisoire & sans consistance, & où ceux qui commandent ne peuvent qu'abuser du pouvoir illimité d'un dieu monarque qu'il n'est que trop facile de faire parler. Il est donc ainsi très-vraisemblable que c'est par ces deux excès que la police théocratique s'est autrefois perdue : par l'un, tout l'ancien occident a changé sa liberté en brigandage & en une vie vagabonde ; & par l'autre, tout l'orient s'est vû opprimé par des tyrans.

L'état sauvage des premiers Européens connus & de tous les peuples de l'Amérique, présente des ombres & des vestiges encore si conformes à quelques-uns des traits de l'âge d'or, qu'on ne doit point être surpris si nous avons été portés à chercher l'origine de cet état d'une grande partie du genre humain dans les suites des malheurs du monde, & dans l'abus de ces préjugés théocratiques qui ont répandus tant d'erreurs par toute la terre. En effet, plus nous avons approfondi les différentes traditions & les usages des peuples sauvages, plus nous y avons trouvé d'objets issus des sources primitives de la fable & des coutumes relatives aux préventions universelles de la haute antiquité ; nous nous sommes même apperçus quelquefois que ces vestiges étoient plus purs & mieux motivés chez les Américains & autres peuples barbares ou sauvages comme eux, que chez toutes les autres nations de notre hémisphere. Ce seroit entrer dans un trop vaste détail, que de parler de ces usages ; nous dirons seulement que la vie sauvage n'a été essentiellement qu'une suite de l'impression qu'avoit fait autrefois sur une partie des hommes le spectacle des malheurs du monde, qui les en dégoûta & leur en inspira le mépris. Ayant appris alors quelle en étoit l'inconstance & la fragilité, la partie la plus religieuse des premieres sociétés crut devoir prendre pour base de sa conduite ici-bas que ce monde n'est qu'un passage ; d'où il arriva que les sociétés en général ne s'étant point donné un lien visible, ni un chef sensible pour leur gouvernement dans ce monde, elles ne se réunirent jamais parfaitement, & que des familles s'en séparerent de bonne-heure & renoncerent tout-à-fait à l'esprit de la police humaine, pour vivre en pélerins, & pour ne penser qu'à un avenir qu'elles desiroient & qu'elles s'attendoient de voir bien-tôt paroître.

D'abord ces premieres générations solitaires furent aussi religieuses qu'elles étoient misérables : ayant toûjours les yeux levés vers le ciel, & ne cherchant à pourvoir qu'à leur plus pressant besoin, elles n'abuserent point sans doute de leur oisiveté ni de leur liberté. Mais à mesure qu'en se multipliant elles s'éloignerent des premiers tems & du gros de la société ; elles ne formerent plus alors que des peuplades errantes & des nations mélancoliques qui peu-à-peu se séculariserent en peuples sauvages & barbares. Tel a été le triste abus d'un dogme très-saint en lui-même. Le monde n'est qu'un passage, il est vrai, & c'est une vérité des plus utiles à la société, parce que ce passage conduit à une vie plus excellente que chacun doit chercher à mériter en remplissant ici-bas ses devoirs ; cependant une des plus grandes fautes de la police primitive est de n'avoir pas mis de sages bornes à ses effets. Ils ont été infiniment pernicieux au bien-être des sociétés, toutes les fois que des événemens ou des terreurs générales ont fait subitement oublier à l'homme qu'il est dans ce monde parce que Dieu l'y a placé, & qu'il n'y est placé que pour s'acquiter envers la société & envers lui-même de tous les devoirs où sa naissance & le nom d'homme l'engagent. En contemplant une vérité on n'a jamais dû faire abstraction de la société. Le dogme le plus saint n'est vrai que relativement à tout le genre humain ; la vie n'est qu'un pélerinage, mais un pélerin n'est qu'un fainéant, & l'homme n'est pas fait pour l'être ; tant qu'il est sur la terre, il y a un centre unique & commun auquel il doit être invisiblement attaché, & dont il ne peut s'écarter sans être déserteur, & un déserteur très-criminel que la police humaine a droit de réclamer. C'est ainsi qu'auroit dû agir & penser la police primitive, mais l'esprit théocratique qui la conduisoit pouvoit-il être capable de précaution à cet égard ? il voulut s'élever & se précipita. Il voulut anticiper sur le regne des justes & n'engendra que des barbares & des sauvages, & l'humanité se perdit enfin parce qu'on ne voulut plus être homme sur la terre. C'est ici sans doute qu'on peut s'appercevoir qu'il en est des erreurs humaines dans leur marche comme des planetes dans leur cours ; elles ont de même un orbite immense à parcourir, elles y sont vûes sous diverses phases & sous différens aspects, & cependant elles sont toûjours les mêmes & reviennent constamment au point d'où elles sont parties pour recommencer une nouvelle révolution.

Le gouvernement provisoire qui conduisit à la vie sauvage & vagabonde ceux qui se séparerent des premieres sociétés, produisit un effet tout contraire sur ceux qui y resterent ; il les réduisit au plus dur esclavage. Comme les sociétés n'avoient été dans leur origine que des familles plutôt soumises à une discipline religieuse qu'à une police civile, & que l'excès de leur religion qui les avoit porté à se donner Dieu pour monarque, avoit exigé avec le mépris du monde le renoncement total de soi-même & le sacrifice de sa liberté, de sa raison, & de toute propriété ; il arriva nécessairement que ces familles s'étant aggrandies & multipliées dans ces principes, leur servitude religieuse se trouva changée en une servitude civile & politique ; & qu'au lieu d'être le sujet du dieu monarque, l'homme ne fut plus que l'esclave des officiers qui commanderent en son nom.

Les corbeilles, les coffres & les symboles, par lesquels on représentoit le souverain n'étoient rien, mais les ministres qu'on lui donna furent des hommes & non des êtres célestes incapables d'abuser d'une administration qui leur donnoit tout pouvoir. Comme il n'y a point de traité ni de convention à faire avec un Dieu, la théocratie où il étoit censé présider a donc été par sa nature un gouvernement despotique, dont l'Etre suprême étoit le sultan invisible & dont les ministres théocratiques ont été les visirs, c'est-à-dire, les despotes réels de tous les vices politiques de la théocratie. Voilà quel a été l'état le plus fatal aux hommes, & celui qui a préparé les voies au despotisme oriental.

Sans doute que dans les premiers tems les ministres visibles ont été dignes par leur modération & par leur vertu de leur maître invisible ; par le bien qu'ils auront d'abord fait aux hommes, ceux-ci se seront accoutumés à reconnoître en eux le pouvoir divin ; par la sagesse de leurs premiers ordres & par l'utilité de leurs premiers conseils, on se sera habitué à leur obéir, & l'on se sera soumis sans peine à leurs oracles ; peu-à-peu une confiance extrême aura produit une crédulité extrême par laquelle l'homme, prévenu que c'étoit Dieu qui parloit, que c'étoit un souverain immuable qui vouloit, qui commandoit & qui menaçoit, aura cru ne devoir point résister aux organes du ciel lors même qu'ils ne faisoient plus que du mal. Arrivé par cette gradation au point de déraison de méconnoître la dignité de la nature humaine, l'homme dans sa misere n'a plus osé lever les yeux vers le ciel, & encore moins sur les tyrans qui le faisoient parler ; fanatique en tout il adora son esclavage, & crut enfin devoir honorer son Dieu & son monarque par son néant & par son indignité. Ces malheureux préjugés sont encore la base de tous les sentimens & de toutes les dispositions des Orientaux envers leurs despotes. Ils s'imaginent que ceux-ci ont de droit divin, le pouvoir de faire le bien & le mal, & qu'ils ne doivent trouver rien d'impossible dans l'exécution de leur volonté. Si ces peuples souffrent, s'ils sont malheureux par les caprices féroces d'un barbare, ils adorent les vûes d'une providence impénétrable, ils reconnoissent les droits & les titres de la tyrannie dans la force & dans la violence, & ne cherchent la solution des procédés illégitimes & cruels dont ils sont les victimes que dans des interprétations dévotes & mystiques, ignorant que ces procédés n'ont point d'autres sources que l'oubli de la raison, & les abus d'un gouvernement surnaturel qui s'est éternisé dans ces climats quoique sous un autre appareil.

Les théocraties étant ainsi devenues despotiques, à l'abri des préjugés dont elles aveuglerent les nations, couvrirent la terre de tyrans ; leurs ministres pendant bien des siecles furent les vrais & les seuls souverains du monde, & rien ne leur résistant ils disposerent des biens, de l'honneur & de la vie des hommes, comme ils avoient déja disposé de leur raison & de leur esprit. Les tems qui nous ont dérobé l'histoire de cet ancien gouvernement, parce qu'il n'a été qu'un âge d'ignorance profonde & de mensonge, ont à-la-vérité jetté un voile épais sur les excès de ses officiers : mais la théocratie judaïque, quoique réformée dans sa religion, n'ayant pas été exempte des abus politiques, peut nous servir à en dévoiler une partie ; l'Ecriture nous expose elle-même quelle a été l'abominable conduite des enfans d'Héli & de Samuel, & nous apprend quels ont été les crimes qui ont mis fin à cette théocratie particuliere où régnoit le vrai Dieu. Ces indignes descendans d'Aaron & de Lévi ne rendoient plus la justice aux peuples, l'argent rachetoit auprès d'eux les coupables, on ne pouvoit les aborder sans présens, leurs passions seules étoient & leur loi & leur guide, leur vie n'étoit qu'un brigandage, ils enlevoient de force & dévoroient les victimes qu'on destinoit au Dieu monarque qui n'étoit plus qu'un prête-nom ; & leur incontinence égalant leur avarice & leur voracité, ils dormoient, dit la Bible, avec les femmes qui veilloient à l'entrée du tabernacle. I. liv. Reg. ch. ij.

L'Ecriture passe modestement sur cette derniere anecdote que l'esprit de vérité n'a pû cependant cacher. Mais si les ministres du vrai Dieu se sont livrés à un tel excès, les ministres théocratiques des anciennes nations l'avoient en cela emporté sur ceux des Hébreux par l'imposture avec laquelle ils pallierent leurs desordres. Ils en vinrent par-tout à ce comble d'impiété & d'insolence de couvrir jusqu'à leurs débauches du manteau de la divinité. C'est d'eux que sortit un nouvel ordre de créatures, qui, dans l'esprit des peuples imbécilles, fut regardé comme une race particuliere & divine. Toutes les nations virent alors paroître les demi-dieux & les héros dont la naissance illustre & les exploits porterent enfin les hommes à altérer leur premier gouvernement, & à passer du regne de ces dieux qu'ils n'avoient jamais pû voir, sous celui de leurs prétendus enfans qu'ils voyoient au milieu d'eux ; c'est ainsi que l'incontinente théocratie commença à se donner des maîtres, & que ce gouvernement fut conduit à sa ruine par le crime & l'abus du pouvoir.

L'âge des demi-dieux a été un âge aussi réel que celui des dieux, mais presque aussi obscur il a été nécessairement rejetté de l'Histoire, qui ne reconnoît que les faits & les tems transmis par des annales constantes & continues. A en juger seulement par les ombres de cette Mythologie universelle qu'on retrouve chez tous les peuples, il paroît que le regne des demi-dieux n'a point été aussi suivi ni aussi long que l'avoit été le regne des dieux, & que le fut ensuite le regne des rois ; & que les nations n'ont point toûjours été assez heureuses pour avoir de ces hommes extraordinaires. Comme ces enfans théocratiques ne pouvoient point naître tous avec des vertus héroïques qui répondissent à ce préjugé de leur naissance, le plus grand nombre s'en perdoit sans doute dans la foule, & ce n'étoit que de tems en tems que le génie, la naissance & le courage réciproquement secondés, donnoient à l'univers languissant des protecteurs & des maîtres utiles. A en juger encore par les traditions mythologiques, ces enfans illustres firent la guerre aux tyrans, exterminerent les brigands, purgerent la terre des monstres qui l'infestoient, & furent des preux incomparables qui, comme les paladins de nos antiquités gauloises, couroient le monde pour l'amour du genre humain, afin d'y rétablir par-tout le bon ordre, la police & la sûreté. Jamais mission sans doute n'a été plus belle & plus utile, sur-tout dans ces tems où la théocratie primitive n'avoit produit dans le monde que ces maux extrêmes, l'anarchie & la servitude.

La naissance de ces demi-dieux & leurs exploits concourent ainsi à nous montrer quel étoit de leur tems l'affreux desordre de la police & de la religion parmi le genre humain : chaque fois qu'il s'élevoit un héros, le sort des sociétés paroissoit se réaliser & se fixer vers l'unité ; mais aussi-tôt que ces personnages illustres n'étoient plus, les sociétés retournoient vers leur premiere théocratie, & retomboient dans de nouvelles miseres jusqu'à ce qu'un nouveau libérateur vint encore les en retirer.

Instruites cependant par leurs fréquentes rechûtes, & par les biens qu'elles avoient éprouvés toutes les fois qu'elles avoient eu un chef visible dans la personne de quelque demi-dieu, les sociétés commencerent enfin à ouvrir les yeux sur le vice essentiel d'un gouvernement qui n'avoit jamais pu avoir de consistance & de solidité, parce que rien de constant ni de réel n'y avoit représenté l'unité, ni réuni les hommes vers un centre sensible & commun. Le regne des demi-dieux commença donc à humaniser les préjugés primitifs, & c'est cet état moyen qui conduisit les nations à desirer les regnes des rois ; elles se dégoûterent insensiblement du joug des ministres théocratiques qui n'avoient cessé d'abuser du pouvoir des dieux qu'on leur avoit mis en main, & lorsque l'indignation publique fut montée à son comble, elles se souleverent contr'eux, & placerent enfin un mortel sur le trône du dieu monarque, qui jusqu'alors n'avoit été représenté que par des symboles muets & stupides.

Le passage de la théocratie à la royauté se cache, ainsi que tous les faits précédens, dans la nuit la plus sombre ; mais nous avons encore les Hébreux dont nous pouvons examiner la conduite particuliere dans une révolution semblable, pour en faire ensuite l'application à ce qui s'étoit fait antérieurement chez toutes les autres nations, dont les usages & les préjugés nous tiendront lieu d'annales & de monumens.

Nous avons déja remarqué une des causes de la ruine de la théocratie judaïque dans les desordres de ses ministres, nous devons y en ajouter une seconde, c'est le malheur arrivé dans le même tems à l'arche d'alliance qui fut prise par les Philistins. Un gouvernement sans police & sans maître ne peut subsister sans doute ; or tel étoit dans ces derniers instans le gouvernement des Hébreux, l'arche d'alliance représentoit le siege de leur suprême souverain, en paix comme en guerre.

Elle étoit son organe & son bras, elle marchoit à la tête des armées comme le char du dieu des combats, on la suivoit comme un général invincible, & jamais à sa suite on n'avoit douté de la victoire. Il n'en fut plus de même après sa défaite & sa prise ; quoiqu'elle fût rendue à son peuple, la confiance d'Israël s'étoit affoiblie, & les desordres des ministres ayant encore aliené l'esprit des peuples, ils se souleverent & contraignirent Samuel de leur donner un roi qui pût marcher à la tête de leurs armées, & leur rendre la justice. A cette demande du peuple on sait quelle fut alors la réponse de Samuel, & le tableau effrayant qu'il fit au peuple de l'énorme pouvoir & des droits de la souveraine puissance. La flatterie & la bassesse y ont trouvé un vaste champ pour faire leur cour aux tyrans ; la superstition y a vû des objets dignes de ses rêveries mystiques, mais aucun n'a peut-être reconnu l'esprit théocratique qui le dicta dans le dessein d'effrayer les peuples & les détourner de leur projet. Comme le gouvernement qui avoit précédé avoit été un regne où il n'y avoit point eu de milieu entre le dieu monarque & le peuple, où le monarque étoit tout, & où le sujet n'étoit rien ; ces dogmes religieux, changés avec le tems en préjugés politiques, firent qu'on appliqua à l'homme monarque toutes les idées qu'on avoit eues de la puissance & de l'autorité suprême du dieu monarque. D'ailleurs comme le peuple cherchoit moins à changer la théocratie qu'à se dérober aux vexations des ministres théocratiques qui avoient abusé des oracles & des emblèmes muets de la divinité, il fit peu d'attention à l'odieux tableau qui n'étoit fait que pour l'effrayer, & content d'avoir à l'avenir un emblème vivant de la divinité, il s'écria : n'importe, il nous faut un roi qui marche devant nous, qui commande nos armées, & qui nous protege contre tous nos ennemis.

Cette étrange conduite sembleroit ici nous montrer qu'il y auroit eu des nations qui se seroient volontairement soumises à l'esclavage par des actes authentiques, si ce détail ne nous prouvoit évidemment que dans cet instant les nations encore animées de toutes les préventions religieuses qu'elles avoient toujours eues pour la théocratie, furent de nouveau aveuglées & trompées par ses faux principes. Quoique dégoûté du ministere sacerdotal, l'homme en demandant un roi n'eut aucun dessein d'abroger son ancien gouvernement ; il crut en cela ne faire qu'une réforme dans l'image & dans l'organe du dieu monarque, qui fut toujours regardé comme l'unique & véritable maître, ainsi que le prouve le regne même des rois hébreux, qui ne fut qu'un regne précaire, où les prophetes élevoient ceux que Dieu leur désignoit, & comme le confirme sans peine ce titre auguste qu'ont conservé les rois de la terre, d'image de la divinité.

La premiere élection des souverains n'a donc point été une véritable élection, ni le gouvernement d'un seul, un nouveau gouvernement. Les principes primitifs ne firent que se renouveller sous un autre aspect, & les nations n'ont cru voir dans cette révolution qu'un changement & qu'une réforme dans l'image théocratique de la divinité. Le premier homme dont on fit cette image n'y entra pour rien, ce ne fut pas lui que l'on considéra directement ; on en agit d'abord vis-à-vis de lui comme on en avoit agi originairement avec les premiers symboles de fonte ou de métal, qui n'avoient été que des signes relatifs, & l'esprit & l'imagination des peuples resterent toujours fixes sur le monarque invisible & suprême ; mais ce nouvel appareil ayant porté les hommes à faire une nouvelle application de leurs faux principes, & de leurs anciens préjugés, les conduisit à de nouveaux abus & au despotisme absolu. Le premier âge de la théocratie avoit rendu la terre idolâtre, parce qu'on y traita Dieu comme un homme ; le second la rendit esclave, parce qu'on y traita l'homme comme un dieu. La même imbécillité qui avoit donné autrefois une maison, une table, & des femmes à la divinité, en donna les attributs, les rayons, & le foudre à un simple mortel ; contraste bizarre, & conduite toujours déplorable, qui firent la honte & le malheur de ces sociétés, qui continuerent toujours à chercher les principes de la police humaine ailleurs que dans la nature & dans la raison.

La seule précaution dont les hommes s'aviserent, lorsqu'ils commencerent à représenter leur dieu monarque par un de leurs semblables, fut de chercher l'homme le plus beau & le plus grand, c'est ce que l'on voit par l'histoire de toutes les anciennes nations ; elles prenoient bien plus garde à la taille & aux qualités du corps qu'à celles de l'esprit, parce qu'il ne s'agissoit uniquement dans ces primitives élections que de représenter la divinité sous une apparence qui répondit à l'idée qu'on se formoit d'elle, & qu'à l'égard de la conduite du gouvernement, ce n'étoit point sur l'esprit du représentant, mais sur l'esprit de l'inspiration du dieu monarque que l'on comptoit toujours, ces nations s'imaginerent qu'il se révéleroit à ces nouveaux symboles, ainsi qu'elles pensoient qu'il s'étoit révélé aux anciens. Elles ne furent cependant pas assez stupides pour croire qu'un mortel ordinaire pût avoir par lui-même le grand privilege d'être en relation avec la divinité ; mais comme elles avoient ci-devant inventé des usages pour faire descendre sur les symboles de pierre ou de métal une vertu particuliere & surnaturelle, elles crurent aussi devoir les pratiquer vis-à-vis des symboles humains, & ce ne fut qu'après ces formalités que tout leur paroissant égal & dans l'ordre, elles ne virent plus dans le nouveau représentant qu'un mortel changé, & qu'un homme extraordinaire dont on exigea des oracles, & qui devint l'objet de l'adoration publique.

Si nous voulions donc fouiller dans les titres de ces superbes despotes de l'Asie qui ont si souvent fait gémir la nature humaine, nous ne pourrions en trouver que de honteux & de deshonorans pour eux. Nous verrions dans les monumens de l'ancienne Ethiopie, que ces souverains qui, selon Strabon, ne se montroient à leurs peuples que derriere un voile, avoient eu pour prédécesseurs des chiens auxquels on avoit donné des hommes pour officiers & pour ministres ; ces chiens pendant de longs âges avoient été les rois théocratiques de cette contrée, c'est-à-dire les représentans du dieu monarque, & c'étoit dans leurs cris, leurs allures, & leurs divers mouvemens qu'on cherchoit les ordres & les volontés de la suprême puissance dont on les avoit fait le symbole & l'image provisoire. Telle a sans doute été la source de ce culte absurde que l'Egypte a rendu à certains animaux, il n'a pû être qu'une suite de cet antique & stupide gouvernement, & l'idolâtrie d'Israël dans le désert semble nous en donner une preuve évidente. Comme ce peuple ne voyoit point revenir son conducteur qui faisoit une longue retraite sur le mont Sina, il le crut perdu tout-à-fait, & courant vers Aaron il lui dit : faites-nous un veau qui marche devant nous, car nous ne savons ce qu'est devenu ce Moïse qui nous a tiré d'Egypte ; raisonnement bizarre, dont le véritable esprit n'a point encore été connu, mais qui justifie, ce semble, pleinement l'origine que nous donnons à l'idolâtrie & au despotisme ; c'est qu'il y a eu des tems où un chien, un veau, ou un homme placés à la tête d'une société, n'ont été pour cette société qu'une seule & même chose, & où l'on se portoit vers l'un ou vers l'autre symbole, suivant que les circonstances le demandoient, sans que l'on crût pour cela rien innover dans le système du gouvernement. C'est dans le même esprit que ces Hébreux retournerent si constamment aux idoles pendant leur théocratie, toutes les fois qu'ils ne voyoient plus au milieu d'eux quelque juge inspiré ou quelque homme suscité de Dieu. Il falloit alors retourner vers Moloch ou vers Chamos pour y chercher un autre représentant, comme on avoit autrefois couru au veau d'or pendant la disparition de Moïse.

Présentement arrivés où commence l'histoire des tems connus, il nous sera plus facile de suivre le despotisme & d'en vérifier l'origine par sa conduite & par ses usages. L'homme élevé à ce comble de grandeur & de gloire d'être regardé sur la terre comme l'organe du dieu monarque, & à cet excès de puissance de pouvoir agir, vouloir & commander souverainement en son nom, succomba presque aussi-tôt sous un fardeau qui n'est point fait pour l'homme. L'illusion de sa dignité lui fit méconnoître ce qu'il y avoit en elle de réellement grand & de réellement vrai, & les rayons de l'être suprême dont son diadème fut orné l'éblouirent à un point qu'il ne vit plus le genre humain & qu'il ne se vit plus lui-même. Abandonné de la raison publique qui ne voulut plus voir en lui un mortel ordinaire, mais une idole vivante inspirée du ciel, il auroit fallu que le seul sentiment de sa dignité lui eût dicté l'équité, la modération, la douceur, & ce fut cette dignité même qui le porta vers tous les excès contraires. Il auroit fallu qu'un tel homme rentrât souvent en lui-même ; mais tout ce qui l'environnoit l'en faisoit sortir & l'en tenoit toujours éloigné. Eh comment un mortel auroit-il pu se sentir & se reconnoître ? il se vit décoré de tous les titres sublimes dûs à la divinité, & qui avoient été ci-devant portés par les idoles & ses autres emblèmes. Tout le cérémonial dû au dieu monarque fut rempli devant l'homme monarque ; adoré comme celui dont il devint à son tour le représentant, il fut de même regardé comme infaillible & immuable ; tout l'univers lui dut, il ne dut rien à l'univers. Ses volontés devinrent les arrêts du ciel, ses férocités furent regardées comme des jugemens d'enhaut, enfin cet emblème vivant du dieu monarque surpassa en tout l'affreux tableau qui en avoit été fait autrefois aux Hébreux ; tous les peuples souscrivirent comme Israël à leurs droits cruels & à leurs privileges insensés. Ils en gémirent tous par la suite, mais ce fut en oubliant de plus en plus la dignité de la nature humaine, & en humiliant leur front dans la poussiere, ou bien en se portant vers des actions lâches & atroces, méconnoissant également cette raison, qui seule pouvoit être leur médiatrice. Il ne faut pas être fort versé dans l'histoire pour reconnoître ici le gouvernement de l'orient depuis tous les tems connus. Sur cent despotes qui y ont regné, à peine en peut-on trouver deux ou trois qui ayent mérité le nom d'homme, & ce qu'il y a de plus extraordinaire, c'est que les antiques préjugés qui ont donné naissance au despotisme subsistent encore dans l'esprit des Asiatiques, & le perpétuent dans la plus belle partie du monde, dont ils n'ont fait qu'un désert malheureux. Nous abrégerons cette triste peinture ; chaque lecteur instruit en se rappellant les maux infinis que ce gouvernement a faits sur la terre, retrouvera toujours cette longue chaîne d'évenemens & d'erreurs, & les suites funestes de tous les faux principes des premieres sociétés : c'est par eux que la religion & la police se sont insensiblement changés en phantômes monstrueux qui ont engendré l'idolâtrie & le despotisme, dont la fraternité est si étroite qu'ils ne sont qu'une seule & même chose. Voilà quels ont été les fruits amers des sublimes spéculations d'une théocratie chimérique, qui pour anticiper sur le céleste avenir a dédaigné de penser à la terre, dont elle croyoit la fin prochaine.

Pour achever de constater ces grandes vérités, jettons un coup-d'oeil sur le cérémonial & sur les principaux usages des souverains despotiques qui humilient encore la plus grande partie des nations ; en y faisant reconnoître les usages & les principes de la théocratie primitive, ce sera sans doute mettre le dernier sceau de l'évidence à ces annales du genre humain : cette partie de notre carriere seroit immense si nous n'y mettions des bornes, ainsi que nous en avons mis à tout ce que nous avons déja parcouru. Historiens anciens & modernes, voyageurs, tous concourent à nous montrer les droits du dieu monarque dans la cour des despotes ; & ce qu'il y a de remarquable, c'est que tous ces écrivains n'ont écrit ou n'ont vû qu'en aveugles les différens objets qu'ils ont tâché de nous représenter.

Tu ne paroîtras jamais devant moi les mains vuides (Exode, xxiij. 15.), disoit autrefois aux sociétés théocratiques, le Dieu monarque par la bouche de ses officiers. Tel est sans doute le titre ignoré de ces despotes asiatiques devant lesquels aucun homme ne peut se présenter sans apporter son offrande. Ce n'est donc point dans l'orgueil ni dans l'avarice des souverains, qu'il faut chercher l'origine de cet usage onéreux, mais dans les préjugés primitifs qui ont changé une leçon de morale en une étiquette politique. C'est parce que toutes choses viennent ici-bas de l'Etre suprême, qu'un gouvernement religieux avoit exigé qu'on lui fit à chaque instant l'hommage des biens que l'on ne tenoit que de lui ; il falloit même s'offrir soi-même : car quel est l'homme qui ne soit du domaine de son créateur ? Tous les Hébreux, par exemple, se regardoient comme les esclaves nés de leur suprême monarque : tous ceux que j'ai tiré des miseres de l'Egypte, leur disoit-il, sont mes esclaves ; ils sont à moi ; c'est mon bien & mon héritage : & cet esclavage étoit si réel, qu'il falloit racheter les premiers nés des hommes, & payer un droit de rachat au ministere public. Ce précepte s'étendoit aussi sur les animaux ; l'homme & la bête devoient être assujettis à la même loi, parce qu'ils appartenoient également au monarque suprême. Il en a été de même des autres lois théocratiques, moralement vraies, & politiquement fausses ; leur mauvaise application en fit dès les premiers tems les principes fondamentaux de la future servitude des nations. Ces lois n'inspiroient que terreur, & ne parloient que châtiment, parce qu'on ne pouvoit que par de continuels efforts, maintenir les sociétés dans la sphere surnaturelle où l'on avoit porté leur police & leur gouvernement. Le monarque chez les Juifs endurcis, & chez toutes les autres nations, étoit moins regardé comme un pere & comme un Dieu de paix, que comme un ange exterminateur. Le mobile de la théocratie avoit donc été la crainte ; elle le fut aussi du despotisme : le dieu des Scythes étoit représenté par une épée. Le vrai Dieu chez les Hébreux, étoit aussi obligé à cause de leur caractere, de les menacer perpétuellement : tremblez devant mon sanctuaire, leur dit-il ; quiconque approchera du lieu où je réside, sera puni de mort ; & ce langage vrai quelquefois dans la bouche de la Religion, fut ensuite ridiculement adopté des despotes asiatiques, afin de contrefaire en tout la Divinité. Chez les Perses & chez les Medes, on ne pouvoit voir son roi comme on ne pouvoit voir son dieu, sans mourir : & ce fut-là le principe de cette invisibilité que les princes orientaux ont affecté dans tous les tems.

La superstition judaïque qui s'étoit imaginé qu'elle ne pouvoit prononcer le nom terrible de Jehovah, qui étoit le grand nom de son monarque, nous a transmis par-là une des étiquettes de cette théocratie primitive, & qui s'est aussi conservée dans le gouvernement oriental. On y a toûjours eu pour principe de cacher le vrai nom du souverain ; c'est un crime de lese-majesté de le prononcer à Siam ; & dans la Perse, les ordonnances du prince ne commencent point par son nom ainsi qu'en Europe, mais par ces mots ridicules & emphatiques, un commandement est sorti de celui auquel l'univers doit obéir, Chardin tome VI. ch. xj. En conséquence de cet usage théocratique, les princes orientaux ne sont connus de leurs sujets que par des surnoms ; jamais les Historiens grecs n'ont pû savoir autrefois les véritables noms des rois de Perse qui se cachoient aux étrangers comme à leurs sujets sous des épithetes attachées à leur souveraine puissance. Hérodote nous dit livre V. que Darius signifioit exterminateur, & nous pouvons l'en croire, c'est un vrai surnom de despotes.

Comme il n'y a qu'un Dieu dans l'univers, & que c'est une vérité qui n'a jamais été totalement obscurcie, les premiers mortels qui le représenterent, ne manquerent point aussi de penser qu'il ne falloit qu'un souverain dans le monde ; le dogme de l'unité de Dieu a donc aussi donné lieu au dogme despotique de l'unité de puissance, c'est-à-dire, au titre de monarque universel, que tous les despotes se sont arrogé, & qu'ils ont presque toûjours cherché à réaliser en étendant les bornes de leur empire, en détruisant autour d'eux ce qu'ils ne pouvoient posséder, & en méprisant ce que la foiblesse de leur bras ne pouvoit atteindre sous ce point de vûe ; leurs vastes conquêtes ont été presque toutes des guerres de religion, & leur intolérance politique n'a été dans son principe qu'une intolérance religieuse.

Si nous portons nos yeux sur quelques-uns de ces états orientaux qui ont eu pour particuliere origine la sécularisation des grands prêtres des anciennes théocraties qui en quelques lieux se sont rendus souverains héréditaires, nous y verrons ces images théocratiques affecter jusqu'à l'éternité même du dieu monarque dont ils ont envahi le trone. C'est un dogme reçu en certains lieux de l'Asie, que le grand lama des Tartares, & que le kutucha des Calmoucs, ne meurent jamais, & qu'ils sont immuables & éternels, comme l'Etre suprême dont ils sont les organes. Ce dogme qui se soutient dans l'Asie par l'imposture depuis une infinité de siecles, est aussi reçu dans l'Abissinie ; mais il y est spirituellement plus mitigé, parce qu'on y a éludé l'absurdité par la cruauté ; on y empêche le chitomé ou prêtre universel, de mourir naturellement ; s'il est malade on l'étouffe ; s'il est vieux on l'assomme ; & en cela il est traité comme l'apis de l'ancienne Memphis que l'on noyoit dévotement dans le Nil lorsqu'il étoit caduc, de peur sans doute que par une mort naturelle, il ne choquât l'éternité du dieu monarque qu'il représentoit. Ces abominables usages nous dévoilent quelle est l'antiquité de leur origine : contraires au bien être des souverains, ils ne sont donc point de leur invention. Si les despotes ont hérité des suprêmes avantages de la théocratie, ils ont aussi été les esclaves & les victimes des ridicules & cruels préjugés dont elle avoit rempli l'esprit des nations. Au royaume de Saba, dit Diodore, on lapidoit les princes qui se montroient & qui sortoient de leurs palais ; c'est qu'ils manquoient à l'étiquette de l'indivisibilité, nouvelle preuve de ce que nous venons de dire.

Mais quel contraste allons-nous présenter ? ce sont tous les despotes commandans à la nature même ; là ils font fouetter les mers indociles, & renversent les montagnes qui s'opposent à leur passage. Ici ils se disent les maîtres de toutes les terres, de toutes les mers, & de tous les fleuves, & se regardent comme les dieux souverains de tous les dieux de l'univers. Tous les Historiens moralistes qui ont remarqué ces traits de l'ancien despotisme, n'ont vu dans ces extravagances que les folies particulieres de quelques princes insensés ; mais pour nous, nous n'y devons voir qu'une conduite autorisée & reçue dans le plan des anciens gouvernemens. Ces folies n'ont rien eu de personnel, mais elles ont été l'ouvrage de ce vice universel qui avoit infecté la police de toutes les nations.

L'Amérique qui n'a pas moins conservé que l'Asie une multitude de ces erreurs théocratiques, nous en présente ici une des plus remarquables dans le serment que les souverains du Méxique faisoient à leur couronnement, & dans l'engagement qu'ils contractoient lorsqu'ils montoient sur le trone. Ils juroient & promettoient que pendant la durée de leur regne, les pluies tomberoient à propos dans leur empire ; que les fleuves ni les rivieres ne se déborderoient point ; que les campagnes seroient fertiles, & que leurs sujets ne recevroient du ciel ni du soleil aucune maligne influence. Quel a donc été l'énorme fardeau dont l'homme se trouva chargé aussitôt qu'à la place des symboles brutes & inanimés de la premiere théocratie, on en eût fait l'image de la Divinité ? Il fallut donc qu'il fût le garant de toutes les calamités naturelles qu'il ne pouvoit produire ni empêcher, & la source des biens qu'il ne pouvoit donner : par-là les souverains se virent confondus avec ces vaines idoles qui avoient encore eu moins de pouvoir qu'eux, & les nations imbécilles les obligerent de même à se comporter en dieux, lorsqu'elles n'auroient dû en les mettant à la tête des sociétés, qu'exiger qu'ils se comportassent toûjours en hommes, & qu'ils n'oubliassent jamais qu'ils étoient par leur nature & par leurs foiblesses égaux à tous ceux qui se soumettoient à eux sous l'abri commun de l'humanité, de la raison & des lois.

Parce que ces anciens peuples ont trop demandé à leurs souverains, ils n'en ont rien obtenu : le despotisme est devenu une autorité sans bornes, parce qu'on a exigé des choses sans bornes ; & l'impossibilité où il a été de faire les biens extrêmes qu'on lui demandoit, n'a pu lui laisser d'autre moyen de manifester son énorme puissance, que celui de faire des extravagances & des maux extrêmes. Tout ceci ne prouve-t-il pas encore que le despotisme n'est qu'une idolâtrie aussi stupide devant l'homme raisonnable, que criminelle devant l'homme religieux. L'Amérique pouvoit tenir cet usage de l'Afrique où tous les despotes sont encore des dieux de plein exercice, ou des royaumes de Totoca, d'Agag, de Monomotapa, de Loango, &c. C'est à leurs souverains que les peuples ont recours pour obtenir de la pluie ou de la sécheresse ; c'est eux que l'on prie pour éloigner la peste, pour guérir les maladies, pour faire cesser la stérilité ou la famine ; on les invoque contre le tonnerre & les orages, & dans toutes les circonstances enfin où l'on a besoin d'un secours surnaturel. L'Asie moderne n'accorde pas moins de pouvoir à quelques uns de ses souverains ; plusieurs prétendent encore rendre la santé aux malades ; les rois de Siam commandent aux élémens & aux génies malfaisans ; ils leur défendent de gâter les biens de la terre ; & comme quelques anciens rois d'Egypte, ils ordonnent aux rivieres débordées de rentrer dans leurs lits, & de cesser leurs ravages.

Nous pouvons mettre aussi au rang des privileges insensés de la théocratie primitive, l'abus que les souverains orientaux ont toûjours fait de cette foible moitié du genre humain qu'ils enferment dans leurs serrails, moins pour servir à des plaisirs que la polygamie de leur pays semble leur permettre, que comme une étiquette d'une puissance plus qu'humaine, & d'une grandeur surnaturelle en tout. En se rappellant ce que nous avons dit ci-devant des femmes que l'incontinente théocratie avoit donné au dieu monarque, & des devoirs honteux auxquels elle avoit asservi la virginité ; on ne doutera pas que les symboles des dieux n'ayent aussi hérité de ce tribut infâme, puisque dans les Indes on y marie encore solemnellement des idoles de pierre, & que dans l'ancienne Libye, au liv. L. au rapport d'Herodote, les peres qui marioient leurs filles étoient obligés de les amener au prince la premiere nuit de leur noce pour lui offrir le droit du seigneur. Ces deux anecdotes suffisent sans doute pour montrer l'origine & la succession d'une étiquette que les despotes ont nécessairement dû tenir d'une administration qui avoit avant eux perverti la morale, & abusé de la nature humaine.

La source du despotisme ainsi connue, il nous reste pour complete r aussi l'analyse de son histoire, de dire quel a été son sort & sa destinée vis-à-vis des ministres théocratiques qui survécurent à la ruine de leur premiere puissance. La révolution qui plaça les despotes sur le trone du dieu monarque, n'a pu se faire sans doute, sans exciter & produire beaucoup de disputes entre les anciens & les nouveaux maîtres : l'ordre théocratique dut y voir la cause du dieu monarque intéressée. L'élection d'un roi pouvoit être regardée en même tems comme une rébellion & comme une idolâtrie. Que de fortes raisons pour inquiéter les rois, & pour tourmenter les peuples ! Cet ordre fut le premier ennemi des empires naissans, & de la police humaine. Il ne cessa de parler au nom du monarque invisible pour s'assujettir le monarque visible ; & c'est depuis cette époque, que l'on a souvent vu les deux dignités suprêmes se disputer la primauté, lutter l'une contre l'autre dans le plein & dans le vuide, & se donner alternativement des bornes & des limites idéales, qu'elles ont alternativement franchies suivant qu'elles ont été plus ou moins secondées des peuples indécis & flottans entre la superstition & le progrès des connoissances.

Un reste de respect & d'habitude ayant laissé subsister les anciens symboles de pierre & de métal qu'on auroit dû supprimer, puisque les symboles humains devoient en tenir lieu, ils resterent sous la direction de leurs anciens officiers, qui n'eurent plus d'autre occupation que celle de les faire valoir de leur mieux, afin d'attirer de leur côté par un culte religieux, les peuples qu'un culte politique & nouveau attiroit puissamment vers un autre objet. La diversion a dû être forte sans doute dès les commencemens de la royauté ; mais les desordres des princes ayant bien-tôt diminué l'affection qu'on devoit à leur trone, les hommes retournerent aux autels des dieux & aux autres oracles, & rendirent à l'ordre théocratique presque toute sa premiere autorité. Ces ministres dominerent bien-tôt sur les despotes eux-mêmes : les symboles de pierre commanderent aux symboles vivans ; la constitution des états devint double & ambiguë, & la réforme que les peuples avoient cru mettre dans leur premier gouvernement ne servit qu'à placer une théocratie politique à côté d'une théocratie religieuse, c'est-à-dire qu'à les rendre plus malheureux en doublant leurs chaînes avec leurs préjugés.

La personne même des despotes ne se ressentit que trop du vice de leur origine ; si les nations se sont avisées quelquefois d'enchaîner les statues de leurs dieux, elles en ont aussi usé de même vis-à-vis des symboles humains, c'est ce que nous avons déja remarqué chez les peuples de Saba & d'Abissinie, où les souverains étoient le jouet & la victime des préjugés qui leur avoient donné une existence funeste par ses faux titres. De plus, comme l'origine des premiers despotes, & l'origine de tous les simulacres des dieux étoit la même ; les ministres théocratiques les regarderent souvent comme des meubles du sanctuaire, & les considérant sous le même point de vue que ces idoles primitives qu'ils décoroient à leur fantaisie, & qu'ils faisoient paroître ou disparoître à leur gré ; ils se crurent de même en droit de changer sur le trône comme sur l'autel ces nouvelles images du dieu monarque, dont ils se croyoient eux seuls les véritables ministres. Voilà quel a été le titre dont se sont particulierement servis contre les souverains de l'ancienne Ethiopie les ministres idolâtres du temple de Meroë.

" Quand il leur en prenoit envie, dit Diodore de Sicile, liv. III. ils écrivoient aux monarques que les dieux leur ordonnoient de mourir, & qu'ils ne pouvoient, sans crime, désobéir à un jugement du ciel. Ils ajoutoient à cet ordre plusieurs autres raisons qui surprenoient aisément des hommes simples, prévenus par l'antiquité de la coutume, & qui n'avoient point le génie de résister à ces commandemens injustes. Cet usage y subsista pendant une longue suite de siecles, & les princes se soumirent à toutes ces cruelles ordonnances, sans autre contrainte que leur propre superstition. Ce ne fut que sous Ptolomée II. qu'un prince, nommé Ergamenes, instruit dans la philosophie des Grecs, ayant reçu un ordre semblable, osa le premier secouer le joug ; il prit, continue notre auteur, une résolution vraiment digne d'un roi ; il assembla son armée, & marcha contre le temple, détruisit l'idole avec ses ministres, & réforma leur culte. ".

C'est sans doute l'expérience de ces tristes excès qui avoit porté dans la plus haute antiquité plusieurs peuples à reconnoître dans leurs souverains les deux dignités suprêmes, dont la division n'avoit pu produire que des effets funestes. On avoit vu en effet dès les premiers tems connus, le sacerdoce souvent uni à l'empire, & des nations penser que le souverain d'un état en devoit être le premier magistrat ; cependant l'union du diadème & de l'autel ne fut pas chez ces nations sans vice & sans inconvenient, parce que chez plusieurs d'entr'elles le trône n'étoit autre chose que l'autel même, qui s'étoit sécularisé, & que chez toutes on cherchoit les titres de cette union dans des préventions théocratiques & mystiques, toutes opposées au bien - être des sociétés.

Nous terminerons ici l'histoire du despotisme ; nous avons vu son origine, son usage & ses faux titres, nous avons suivi les crimes & les malheurs des despotes, dont on ne peut accuser que le vice de l'administration surnaturelle qui leur avoit été donnée.

La théocratie dans son premier âge avoit pris les hommes pour des justes, le despotisme ensuite les a regardé comme des méchans ; l'une avoit voulu afficher le ciel, l'autre n'a représenté que les enfers ; & ces deux gouvernemens, en supposant des principes extrêmes qui ne sont point faits pour la terre, ont fait ensemble le malheur du genre humain, dont ils ont changé le caractere & perverti la raison. L'idolâtrie est venue s'emparer du trône élevé au dieu monarque, elle en a fait son autel, le despotisme a envahi son autel, il en a fait son trône ; & une servitude sans bornes a pris la place de cette précieuse liberté qu'on avoit voulu afficher & conserver par des moyens surnaturels. Ce gouvernement n'est donc qu'une théocratie payenne, puisqu'il en a tous les usages, tous les titres & toute l'absurdité.

Arrivé au terme où l'abus du pouvoir despotique va faire paroître en diverses contrées le gouvernement républicain ; c'est ici que dans cette multitude de nations anciennes, qui ont toutes été soumises à une puissance unique & absolue, on va reconnoître dans quelques-unes, cette action physique qui concourt à fortifier ou à affoiblir les préjugés qui commandent ordinairement aux nations de la terre avec plus d'empire que leurs climats.

Lorsque les abus de la premiere théocratie avoient produit l'anarchie & l'esclavage ; l'anarchie avoit été le partage de l'occident dont tous les peuples devinrent errans & sauvages, & la servitude avoit été le sort des nations orientales. Les abus du despotisme ayant ensuite fait gémir l'humanité, & ces abus s'étant introduit dans l'Europe par les législations & les colonies asiatiques qui y répandirent une seconde fois leurs préjugés & leurs faux principes ; cette partie du monde sentit encore la force de son climat, elle souffrit, il est vrai, pendant quelques-tems ; mais à la fin, l'esprit de l'occident renversa dans la Grece & dans l'Italie le siege des tyrans qui s'y étoient élevés de toute part ; & pour rendre aux Européens l'honneur & la liberté qu'on leur avoit ravie, cet esprit a établi par-tout le gouvernement républicain, le croyant le plus capable de rendre les hommes heureux & libres.

On ne s'attend pas sans doute à voir renaître dans cette révolution les préjugés antiques de la théocratie primitive ; jamais les historiens grecs ou romains ne nous ont parlé de cette chimere mystique, & ils sont d'accord ensemble pour nous montrer l'origine des républiques dans la raison perfectionnée des peuples, & dans les connoissances politiques des plus profonds législateurs : nous craindrions donc d'avancer un paradoxe en disant le contraire, si nous n'étions soutenus & éclairés par le fil naturel de cette grande chaîne des erreurs humaines que nous avons parcourue jusqu'ici avec succès, & qui va de même se prolonger dans les âges que l'on a cru les plus philosophes & les plus sages. Loin que les préjugés théocratiques fussent éteints, lorsque l'on chassa d'Athènes les Pisistrates & les Tarquins de Rome, ce fut alors qu'ils se reveillerent plus que jamais, ils influerent encore sur le plan des nouveaux gouvernemens ; & comme ils dicterent les projets de liberté qu'on imagina de toute part, ils furent aussi la source de tous les vices politiques dont les législations républicaines ont été affectées & troublées.

Le premier acte du peuple d'Athènes après sa délivrance fut d'élever une statue à Jupiter, & de lui donner le titre de roi, ne voulant point en avoir d'autre à l'avenir ; ce peuple ne fit donc autre chose alors que rétablir le regne du dieu monarque, & la théocratie lui parut donc le véritable & le seul moyen de faire revivre cet ancien âge d'or, où les sociétés heureuses & libres n'avoient eu d'autre souverain que le dieu qu'elles invoquoient.

Le gouvernement d'un roi théocratique, & la nécessité de sa présence dans toute société tenoit tellement alors à la religion des peuples de l'Europe, que malgré l'horreur qu'ils avoient conçue pour les rois, ils se crurent néanmoins obligés d'en conserver l'ombre lorsqu'ils en anéantissoient la réalité. Les Athéniens & les Romains en réleguerent le nom dans le sacerdoce, & les uns en créant un roi des augures, & les autres un roi des sacrifices, s'imaginerent satisfaire par-là aux préjugés qui exigeoient que telles ou telles fonctions ne fussent faites que par des images théocratiques. Il est vrai qu'ils eurent un grand soin de renfermer dans des bornes très-étroites le pouvoir de ces prêtres rois ; on ne leur donna qu'un faux titre & quelques vaines distinctions ; mais il arriva que le peuple ne reconnoissant pour maître que des dieux invisibles, ne forma qu'une société qui n'eut de l'unité que sous une fausse spéculation ; & que chacun en voulut être le maître & le centre, & comme ce centre fut partout, il ne se trouva nulle part.

Nous dirons de plus que, lorsque ces premiers républicains anéantirent les rois, en conservant cependant la royauté, ils y furent encore portés par un reste de ce préjugé antique, qui avoit engagé les primitives sociétés à vivre dans l'attente du regne du dieu monarque, dont la ruine du monde leur avoit fait croire l'arrivée instante & prochaine ; c'étoit cette fausse opinion qui avoit porté ces sociétés à ne se réunir que sous un gouvernement figuré, & à ne se donner qu'une administration provisoire. Or, on a tout lieu de croire que les républicains ont eu dans leurs tems quelque motif semblable, parce qu'on retrouve chez eux toutes les ombres de cette attention chimérique. L'oracle de Delphes promettoit aux Grecs un roi futur, & les sibylles des Romains leur avoient aussi annoncé pour l'avenir un monarque qui les rendroit heureux, & qui étendroit leur domination par toute la terre. Ce n'a même été qu'à l'abri de cet oracle corrompu que Rome marcha toujours d'un pas ferme & sûr à l'empire du monde, & que les Césars s'en emparerent ensuite. Tous ces oracles religieux n'avoient point eu d'autres principes que l'unité future du regne du dieu monarque, qui avoit jetté dans toutes les sociétés cette ambition turbulente qui a tant de fois ravagé l'univers, & qui a porté tous les anciens conquérans à se regarder comme dieux, ou comme les enfans des dieux.

Après la destruction des rois d'Israël & de Juda, & le retour de la captivité, les Hébreux en agirent à-peu-près comme les autres républiques ; ils ne rétablirent point la royauté, ni même le nom de roi, mais ils en donnerent la puissance & l'autorité à l'ordre sacerdotal, & du reste ils vécurent dans l'espérance qu'ils auroient un jour un monarque qui leur assujettiroit tous les peuples de la terre ; mais ce faux dogme fut ce qui causa leur ruine totale. Ils confondirent cette attente chimérique & charnelle avec l'attente particuliere où ils devoient être de notre divin Messie, dont le dogme n'avoit aucun rapport aux folies des nations. Au lieu de n'esperer qu'en cet homme de douleur, & ce dieu caché qui avoit été promis à leurs peres, les Juifs ne chercherent qu'un prince, qu'un conquérant & qu'un grand roi politique. Après avoir troublé toute l'Asie pour trouver leur phantome, bientôt ils se dévorerent les uns les autres, & les Romains indignés engloutirent enfin ces foibles rivaux de leur puissance & de leur ambition religieuse. Cette frivole attente des nations n'ayant été autre dans son principe que celle du dieu monarque, dont la descente ne doit arriver qu'à la fin des tems, elle ne manqua pas de rappeller par la suite les autres dogmes qui en sont inséparables, & de ranimer toutes les antiques terreurs de la fin du monde : aussi vit-on dans ces mêmes circonstances, où la république romaine alloit se changer en monarchie, les devins de la Toscane annoncer dès le tems de Sylla & de Marius l'approche de la révolution des siecles, & les faux oracles de l'Asie, semer parmi les nations ces allarmes & ces fausses terreurs qui ont agi si puissamment sur les premiers siecles de notre ére, & qui ont alors produit des effets assez semblables à ceux des âges primitifs.

Par cette courte exposition d'une des grandes énigmes de l'histoire du moyen âge, l'on peut juger qu'il s'en falloit de beaucoup que les préjugés de l'ancienne théocratie fussent effacés de l'esprit des Européens. En proclamant donc un dieu pour le roi de leur république naissante, ils adopterent nécessairement tous les abus & tous les usages qui devoient être la suite de ce premier acte, & en le renouvellant, ils s'efforcerent aussi de ramener les sociétés à cet ancien âge d'or, & à ce regne surnaturel de justice, de liberté & de simplicité qui en avoit fait le bonheur. Ils ignoroient alors que cet état n'avoit été dans son tems que la suite des anciens malheurs du monde, & l'effet d'une vertu momentanée, & d'une situation extrême, qui, n'étant point l'état habituel du genre humain sur la terre, ne peut faire la base d'une constitution politique, qu'on ne doit asseoir que sur un milieu fixe & invariable. Ce fut donc dans ces principes plus brillans que solides, qu'on alla puiser toutes les institutions qui devoient donner la liberté à chaque citoyen, & l'on fonda cette liberté sur l'égalité de puissance, parce qu'on avoit encore oublié que les anciens n'avoient eu qu'une égalité de misere. Comme on s'imagina que cette égalité que mille causes physiques & morales ont toujours écarté, & écarteront toujours de la terre ; comme on s'imagina, dis-je, que cette égalité étoit de l'essence de la liberté, tous les membres d'une république se dirent égaux, ils furent tous rois, ils furent tous législateurs ou participans à la législation. Pour maintenir ces glorieuses & dangereuses chimeres, il n'y eut point d'état républicain qui ne se vit forcé de recourir à des moyens violens & surnaturels. Le mépris des richesses, la communauté des biens, le partage des terres, la suppression de l'or & de l'argent monnoyé, l'abolition des dettes, les repas communs, l'expulsion des étrangers, la prohibition du commerce, les formes de la police & de la discipline, le nombre & la valeur des voix législatives ; enfin une multitude de lois contre le luxe & pour la frugalité publique les occuperent & les diviserent sans cesse. On édifioit aujourd'hui ce qu'il falloit détruire peu après, les principes de la société étoient toujours en contradiction avec son état, & les moyens qu'on employoit étoient toujours faux parce qu'on appliquoit à des nations nombreuses & formées des loix ou plutôt des usages qui ne pouvoient convenir qu'à un âge mystique, & qu'à des familles religieuses.

Les républiques se disoient libres, & la liberté fuyoit devant elles ; elles vouloient être tranquilles, elles ne le furent jamais ; chacun s'y prétendoit égal, & il n'y eut point d'égalité : enfin, ces gouvernemens pour avoir eu pour point de vue tous les avantages extrêmes des théocraties & de l'âge d'or, furent perpétuellement comme ces vaisseaux qui, cherchant des contrées imaginaires, s'exposent sur des mers orageuses, où après avoir été long-tems tourmentés par d'affreuses tempêtes vont échouer à la fin sur des écueils & se briser contre les rochers d'une terre déserte & sauvage. Le système républicain cherchoit de même une contrée fabuleuse, il fuyoit le despotisme, & partout le despotisme fut sa fin ; telle étoit même la mauvaise constitution de ces gouvernemens jaloux de liberté & d'égalité, que ce despotisme qu'ils haïssoient en étoit l'asyle & le soutien dans les tems difficiles : il a fallu bien souvent que Rome, pour sa propre conservation se soumît volontairement à des dictateurs souverains. Ce remede violent, qui suspendoit l'action de toute loi & de toute magistrature, fut la ressource de cette fameuse république dans toutes les circonstances malheureuses, où le vice de sa constitution la plongeoit. L'héroïsme des premiers tems le rendit d'abord salutaire, mais sur la fin, cette dictature se fixa dans une famille ; elle y devint héréditaire, & ne produisit plus que d'abominables tyrans.

Le gouvernement républicain n'a donc été dans son origine qu'une théocratie renouvellée ; & comme il en eut le même esprit, il en eut aussi tous les abus, & se termina de même par la servitude. L'un & l'autre gouvernement eurent ce vice essentiel de n'avoir point donné à la société un lien visible & un centre commun qui la rappellât vers l'unité, qui la représentât dans l'aristocratie. Ce centre commun n'étoit autre que les grands de la nation en qui résidoit l'autorité, mais un titre porté par mille têtes, ne pouvant représenter cette unité, le peuple indécis y fut toujours partagé en factions, ou soumis à mille tyrans.

La démocratie dont le peuple étoit souverain fut un autre gouvernement aussi pernicieux à la société, & il ne faut pas être né dans l'orient pour le trouver ridicule & monstrueux. Législateur, sujet & monarque à la fois, tantôt tout, & tantôt rien, le peuple souverain ne fut jamais qu'un tyran soupçonneux, & qu'un sujet indocile, qui entretint dans la société des troubles & des dissentions perpétuelles, qui la firent à la fin succomber sous les ennemis du dedans & sous ceux qu'on lui avoit faits au dehors. L'inconstance de ces diverses républiques & leur courte durée suffiroient seules, indépendamment du vice de leur origine, pour nous faire connoître que ce gouvernement n'est point fait pour la terre, ni proportionné au caractere de l'homme, ni capable de faire ici bas tout son bonheur possible. Les limites étroites des territoires entre lesquelles il a toujours fallu que ces républiques se renfermassent pour conserver leurs constitutions, nous montrent aussi qu'elles sont incapables de rendre heureuses les grandes sociétés. Quand elles ont voulu vivre exactement suivant leurs principes, & les maintenir sans altération, elles ont été obligées de se séparer du reste de la terre ; & en effet, un desert convient autant autour d'une république qu'autour d'un empire despotique, parce que tout ce qui a ses principes dans le surnaturel, doit vivre seul & se séparer du monde ; mais par une suite de cet abus nécessaire, la multitude de ces districts républicains fit qu'il y eut moins d'unité qu'il n'y en avoit jamais eu parmi le genre humain. On vit alors une anarchie de ville en ville, comme on en avoit vu une autrefois de particulier à particulier. L'inégalité & la jalousie des républiques entr'elles firent répandre autant & plus de sang que le despotisme le plus cruel ; les petites sociétés furent détruites par les grandes, & les grandes à leur tour se détruisirent elles-mêmes.

L'idolâtrie de ces anciennes républiques offriroit encore un vaste champ où nous trouverions facilement tous les détails & tous les usages de cet esprit théocratique qu'elles conserverent. Nous ne nous y arrêterons pas cependant, mais nous ferons seulement remarquer, que si elles consulterent avec la derniere stupidité le vol des oiseaux & les poulets sacrés, & si elles ne commencerent jamais aucune entreprise, soit publique, soit particuliere, soit en paix, soit en guerre, sans les avis de leurs devins & de leurs augures, c'est qu'elles ont toujours eu pour principe de ne rien faire sans les ordres de leur monarque théocratique. Ces républiques n'ont été idolâtres que par-là, & l'apostasie de la raison qui a fait le crime & la honte du paganisme, ne pouvoit manquer de se perpétuer par leur gouvernement surnaturel.

Malgré l'aspect désavantageux sous lequel les républiques viennent de se présenter à nos yeux, nous ne pouvons oublier ce que leur histoire a de beau & d'intéressant dans ces exemples étonnans de force, de vertu & de courage qu'elles ont toutes donnés, & par lesquels elles se sont immortalisées ; ces exemples, en effet, ravissent encore notre admiration, & affectent tous ces coeurs vertueux, c'est là le beau côté de l'ancienne Rome & d'Athènes. Exposons donc ici les causes de leurs vertus, puisque nous avons exposé les causes de leur vice.

Les républiques ont eu leur âge d'or, parce que tous les états surnaturels ont nécessairement dû commencer par-là. Les spéculations théocratiques ayant fait la base des spéculations républicaines, leurs premiers effets ont du élever l'homme au-dessus de lui-même, lui donner une ame plus qu'humaine, & lui inspirer tous les sentimens qui seuls avoient été capables autrefois de soutenir le gouvernement primitif qu'on vouloit renouveller pour faire reparoître avec lui sur la terre la vertu, l'égalité & la liberté. Il a donc fallu que le républicain s'élévât pendant un tems au-dessus de lui-même ; le point de vûe de sa législation étant surnaturel, il a fallu qu'il fût vertueux pendant un tems, sa législation voulant faire renaître l'âge d'or qui avoit été le regne de la vertu ; mais il a fallu à la fin que l'homme redevînt homme, parce qu'il est fait pour l'être.

Les grands mobiles qui donnerent alors tant d'éclat aux généreux efforts de l'humanité, furent aussi les causes de leur courte durée. La ferveur de l'âge d'or s'étoit renouvellée, mais elle fut encore passagere ; l'héroïsme avoit reparu dans tout son lustre, mais il s'éclipsa de même, parce que les prodiges ici bas ne sont point ordinaires, & que le surnaturel n'est point fait pour la terre. Quelques-uns ont dit que les vertus des anciens républicains n'avoient été que des vertus humaines & de fausses vertus ; pour nous nous disons le contraire : si elles ont été fausses, c'est parce qu'elles ont été plus qu'humaines ; sans ce vice elles auroient été plus constantes & plus vraies.

L'état des sociétés ne doit point être en effet établi sur le sublime, parce qu'il n'est pas le point fixe ni le caractere moyen de l'homme, qui souvent ne peut pratiquer la vertu qu'on lui prêche, & qui plus souvent encore en abuse lorsqu'il la pratique, quand il a éteint sa raison, & lorsqu'il a dompté la nature. Nous avons toujours vû jusqu'ici qu'il ne l'a fait que pour s'élever au-dessus de l'humanité, & c'est par les mêmes principes que les républiques se sont perdues, après avoir produit des vertus monstrueuses plutôt que des vraies vertus, & s'être livrées à des excès contraires à leur bonheur & à la tranquillité du genre humain.

Le sublime, ce mobile si nécessaire du gouvernement républicain & de tout gouvernement fondé sur des vûes plus qu'humaines, est tellement un ressort disproportionné dans le monde politique, que dans ces austeres républiques de la Grece & de l'Italie, souvent la plus sublime vertu y étoit punie, & presque toujours maltraitée : Rome & Athènes nous en ont donné des preuves qui nous paroissent inconcevables, parce qu'on ne veut jamais prendre l'homme pour ce qu'il est. Le plus grand personnage, les meilleurs citoyens, tous ceux enfin qui avoient le plus obligé leur patrie, étoient bannis ou se bannissoient d'eux-mêmes ; c'est qu'ils choquoient cette nature humaine qu'on méconnoissoit ; c'est qu'ils étoient coupables envers l'égalité publique par leur trop de vertu. Nous conclurons donc par le bien & le mal extrême dont les républiques anciennes ont été susceptibles, que leur gouvernement étoit vicieux en tout, parce que préoccupé de principes théocratiques, il ne pouvoit être que très-éloigné de cet état moyen, qui seul peut sur la terre arrêter & fixer à leur véritable degré la sûreté, le repos & le bonheur du genre humain.

Les excès du despotisme, les dangers des républiques, & le faux de ces deux gouvernemens, issus d'une théocratie chimérique, nous apprendront ce que nous devons penser du gouvernement monarchique, quand même la raison seule ne nous le dicteroit pas. Un état politique où le trône du monarque qui représente l'unité a pour fondement les lois de la société sur laquelle il regne, doit être le plus sage & le plus heureux de tous. Les principes d'un tel gouvernement sont pris dans la nature de l'homme & de la planete qu'il habite ; il est fait pour la terre comme une république & une véritable théocratie ne sont faites que pour le ciel, & comme le despotisme est fait pour les enfers. L'honneur & la raison qui lui ont donné l'être, sont les vrais mobiles de l'homme, comme cette sublime vertu, dont les républiques n'ont pû nous montrer que des rayons passagers, sera le mobile constant des justes de l'empirée, & comme la crainte des états despotiques sera l'unique mobile des méchans au tartare. C'est le gouvernement monarchique qui seul a trouvé les vrais moyens de nous faire jouir de tout le bonheur possible, de toute la liberté possible, & de tous les avantages dont l'homme en société peut jouir sur la terre. Il n'a point été, comme les anciennes législations, en chercher de chimériques dont on ne peut constamment user, & dont on peut abuser sans cesse.

Ce gouvernement doit donc être regardé comme le chef-d'oeuvre de la raison humaine, & comme le port où le genre humain, battu de la tempête en cherchant une félicité imaginaire, a dû enfin se rendre pour en trouver une qui fût faite pour lui. Elle est sans doute moins sublime que celle qu'il avoit en vûe, mais elle est plus solide, plus réelle & plus vraie sur la terre. C'est-là qu'il a trouvé des rois qui n'affichent plus la divinité, & qui ne peuvent oublier qu'ils sont des hommes : c'est-là qu'il peut les aimer & les respecter, sans les adorer comme de vaines idoles, & sans les craindre comme des dieux exterminateurs : c'est-là que les rois reconnoissent des lois sociales & fondamentales qui rendent leurs trônes inébranlables & leurs sujets heureux, & que les peuples suivent sans peine & sans intrigues des lois antiques & respectables que leur ont donné de sages monarques, sous lesquels depuis une longue succession de siecles, ils jouissent de tous les privileges & de tous les avantages modérés qui distinguent l'homme sociable de l'esclave de l'Asie & du sauvage de l'Amérique.

L'origine de la monarchie ne tient en rien à cette chaîne d'événemens & à ces vices communs qui ont lié jusqu'ici les uns aux autres tous les gouvernemens antérieurs, & c'est ce qui fait particulierement son bonheur & sa gloire. Comme les anciens préjugés, qui faisoient encore par-tout le malheur du monde, s'étoient éteints dans les glaces du Nord, nos ancêtres, tout grossiers qu'ils étoient, n'apporterent dans nos climats que le froid bon sens, avec ce sentiment d'honneur qui s'est transmis jusqu'à nous, pour être à jamais l'ame de la monarchie. Cet honneur n'a été & ne doit être encore dans son principe que le sentiment intérieur de la dignité de la nature humaine, que les gouvernemens théocratiques ont dédaigné & avili, que le despotique a détruit, mais que le monarchique a toujours respecté, parce que son objet est de gouverner des hommes incapables de cette vive imagination qui a toujours porté les peuples du midi aux vices & aux vertus extrêmes. Nos ancêtres trouverent ainsi le vrai qui n'existe que dans un juste milieu ; & loin de reconnoître dans leurs chefs des dons surnaturels & une puissance plus qu'humaine, ils se contentoient en les couronnant de les élever sur le pavoi & de les porter sur leurs épaules, comme pour faire connoître qu'ils seroient toujours soutenus par la raison publique, conduits par son esprit, & inspirés par ses lois. Bien plus : ils placerent à côté d'eux des hommes sages, auxquels ils donnerent la dignité de pairs, non pour les égaler aux rois, mais pour apprendre à ces rois qu'étant hommes, ils sont égaux à des hommes. Leurs principes humains & modérés n'exigerent donc point de leurs souverains qu'ils se comportassent en dieux, & ces souverains n'exigerent point non plus de ces peuples sensés ni ce sublime dont les mortels sont peu capables, ni cet avilissement qui les révolte ou qui les dégrade. Le gouvernement monarchique prit la terre pour ce qu'elle est & les hommes pour ce qu'ils sont ; il les y laissa jouir des droits & des privileges attachés à leur naissance, à leur état & à leur faculté ; il entretint dans chacun d'eux des sentimens d'honneur, qui font l'harmonie & la contenance de tout le corps politique ; & ce qui fait enfin son plus parfait éloge, c'est qu'en soutenant ce noble orgueil de l'humanité, il a su tourner à l'avantage de la société les passions humaines, si funestes à toutes les autres législations qui ont moins cherché à les conduire qu'à les détruire ou à les exalter : constitution admirable digne de tous nos respects & de tout notre amour ! Chaque corps, chaque société, chaque particulier même y doit voir une position d'autant plus constante & d'autant plus heureuse, que cette position n'est point établie sur de faux principes, ni fondée sur des mobiles ou des motifs chimériques, mais sur la raison & sur le caractere des choses d'ici bas. Ce qu'il y a même de plus estimable dans ce gouvernement, c'est qu'il n'a point été une suite d'une législation particuliere ni d'un systême médité, mais le fruit lent & tardif de la raison dégagée de ces préjugés antiques.

Il a été l'ouvrage de la nature, qui doit être à bon titre regardée comme la législatrice & comme la loi fondamentale de cet heureux & sage gouvernement : c'est elle seule qui a donné une législation capable de suivre dans ses progrès le génie du genre humain, & d'élever l'esprit de chaque gouvernement à mesure que l'esprit de chaque nation s'éclaire & s'éleve ; équilibre sans lequel ces deux esprits cherchoient en vain leur repos & leur sureté.

Nous n'entrerons point dans le détail des diversités qu'ont entr'elles les monarchies présentes de l'Europe, ni des événemens qui depuis dix à douze siecles ont produit ces variations. Dans tout, l'esprit primitif est toujours le même ; s'il a été quelquefois altéré ou changé, c'est parce que les antiques préventions des climats où elles sont venues s'établir, ont cherché à les subjuguer dans ces âges d'ignorance & de superstitions qui plongerent pour un tems dans le sommeil le bon sens des nations européennes, & même la religion la plus sainte.

Ce fut sous cette ténébreuse époque que ces mêmes préjugés théocratiques, qui avoient infecté les anciens gouvernemens, entreprirent de s'assujettir aussi les monarchies nouvelles, & que sous mille formes différentes ils en furent tantôt les fléaux & tantôt les corrupteurs. Mais à quoi sert de rappeller un âge dont nous détestons aujourd'hui la mémoire, & dont nous méprisons les faux principes ? qu'il nous serve seulement à montrer que les monarchies n'ont pu être troublées que par des vices étrangers sortis du sein de la nature calme & paisible. Elles n'ont eu de rapport avec les théocraties, filles de fausses terreurs, que par les maux qu'elles en ont reçu. Seules capables de remplir l'objet de la science du gouvernement, qui est de maintenir les hommes en société & de faire le bonheur du monde, les monarchies y réussiront toujours en rappellant leur esprit primitif pour éloigner les faux systêmes ; en s'appuyant sur une police immuable & sur des lois inaltérables, afin d'y trouver leur sureté & celle de la société, & en plaçant entre la raison & l'humanité, comme en une bonne & sure garde, les préjugés théocratiques, s'il y en a qui subsistent encore. Du reste, c'est le progrès des connoissances qui, en agissant sur les puissances & sur la raison publique, continuera de leur apprendre ce qu'il importe pour le vrai bien de la société : c'est à ce seul progrès, qui commande d'une façon invisible & victorieuse à tout ce qui pense dans la nature, qu'il est reservé d'être le législateur de tous les hommes, & de porter insensiblement & sans effort des lumieres nouvelles dans le monde politique, comme il est porté tous les jours dans le monde savant.

Nous croirions avoir obmis la plus intéressante de nos observations, & avoir manqué à leur donner le degré d'autenticité dont elles peuvent être susceptibles, si après avoir suivi & examiné l'origine & les principes des divers gouvernemens, nous ne finissions point par faire remarquer & admirer quelle a été la sagacité d'un des grands hommes de nos jours, qui sans avoir considéré l'origine particuliere de ces gouvernemens, qu'il auroit cependant encore mieux vu que nous, a commencé par où nous venons de finir, & a prescrit néanmoins à chacun d'eux son mobile convenable & ses lois. Nous avons vu que les républiques avoient pris pour modele l'âge d'or de la théocratie, c'est-à-dire le ciel même ; c'est la vertu, dit M. de Montesquieu, qui doit être le mobile du gouvernement républicain. Nous avons vu que le despotisme n'avoit cherché qu'à représenter le monarque exterminateur de la théocratie des nations ; c'est la crainte, a dit encore M. de Montesquieu, qui doit être le mobile du despotisme. C'est l'honneur, a dit enfin ce législateur de notre âge, qui doit être le mobile de la monarchie ; & nous avons reconnu en effet que c'est ce gouvernement raisonnable fait pour la terre, qui laissant à l'homme tout le sentiment de son état & de son existence, doit être soutenu & conservé par l'honneur, qui n'est autre chose que le sentiment que nous avons tous de la dignité de notre nature. Quoi qu'aient donc pu dire la passion & l'ignorance contre les principes du sublime auteur de l'esprit des lois, ils sont aussi vrais que sa sagacité a été grande pour les découvrir & en suivre les effets sans en avoir cherché l'origine. Tel est le privilége du génie, d'être seul capable de connoître le vrai d'un grand tout, lors même que ce tout lui est inconnu, ou qu'il n'en considere qu'une partie. Cet article est de feu M. Boulanger.


OECONOMIQUE(Morale) c'est le nom d'une des parties de la philosophie morale, qui enseigne le ménage & la façon de gouverner les affaires d'une famille ou de régir une maison. Voyez ÉCONOMIE.


OECUMENIQUEadj. (Théologie) c'est-à-dire général ou universel, dérivé d', la terre habitable ou toute la terre, comme qui diroit reconnu par toute la terre.

Ainsi nous disons un concile oecumenique, c'est-à-dire auquel les évêques de toute l'église chrétienne ont assisté ou du-moins ont été convoqués. Voyez CONCILE. Les Africains ont cependant quelquefois donné ce nom à des conciles composés des évêques de plusieurs provinces.

Ducange observe que plusieurs patriarches de Constantinople se sont arrogés la qualité ou le titre de patriarches oecumeniques, & voici à quelle occasion. Les prêtres & les diacres de l'église d'Alexandrie présentant leur requête au concile général de Chalcédoine, tenu en 451, auquel saint Léon présidoit, par ses légats, donnerent ce titre au pape lorsqu'ils s'adresserent à lui, en ces termes, comme s'il eût été présent : Au très-saint & très-heureux patriarche oecumenique de la grande Rome, Léon ; & précédemment en 381, le premier concile de Constantinople ayant statué que l'évêque de Constantinople auroit les prérogatives d'honneur après l'évêque de Rome, parce qu'elle étoit la nouvelle Rome, les patriarches de cette derniere ville prirent aussi le titre de patriarches oecumeniques, sous prétexte qu'on l'avoit donné à saint Léon, quoiqu'on ne lise nulle part que celui-ci l'ait accepté. Dès l'an 518. Jean III. évêque de Constantinople, fut appellé patriarche oecumenique : en 536 Epiphane prit le même titre ; & enfin Jean VI. surnommé le jeûneur, le prit encore avec plus d'éclat dans un concile général de tout l'Orient qu'il avoit convoqué sans la participation du pape Pelage II. qui condamna en vain toutes ces démarches, puisque les successeurs de Jean le jeûneur conserverent toûjours ce titre, & qu'on en vit encore un le prendre au concile de Bâle.

Le pape saint Grégoire le grand fut extrêmement irrité de cette conduite des patriarches de Constantinople, & prétendit que le titre dont ils se paroient étoit un titre d'orgueil & un caractere de l'antechrist. En effet, le terme d'oecumenique est équivoque ; car en disant patriarche oecumenique ou universel, on peut entendre celui dont la jurisdiction s'étend universellement par tout le monde en ce qui regarde le gouvernement général de l'église, ou celui qui seroit seul évêque & patriarche dans le monde, tous les autres n'étant dans l'Eglise que ses vicaires ou substituts ; ou enfin celui qui a pouvoir sur une partie considérable de la terre, en prenant la partie pour le tout, par une figure assez commune à l'Ecriture, qui par cette expression n'entend quelquefois que tout un pays. Le premier de ces trois sens, qui est le plus naturel, est celui qu'adopta le concile de Chalcédoine, quand il permit qu'on donnât ce titre à S. Léon, à cause de sa primauté d'honneur & de jurisdiction sur toute l'Eglise. Les patriarches de Constantinople le prenoient dans le troisieme sens, en qualité de chefs de l'Eglise d'Orient, mais après le pape, de la même maniere que le premier docteur de l'église de Constantinople s'appelloit docteur oecumenique. Pour le second sens, ce n'a été ni celui des peres du concile de Chalcédoine, ni celui des patriarches de Constantinople. Il semble pourtant que saint Grégoire, par une erreur de fait, le leur attribue, puisqu'il n'appelle le titre de patriarche oecumenique un blaspheme contre l'évangile & contre les conciles, que parce que, selon lui, quiconque se disoit patriarche oecumenique, se disoit seul évêque, & privoit tous les autres de leur dignité, qui est d'institution divine. Il est aussi fort probable que les Grecs ou n'expliquerent point ou expliquerent mal leur intention, ce qui fit prendre aux papes cette expression en mauvaise part. Aujourd'hui tous les patriarches grecs prennent le titre d'oecumeniques, ce qui n'emporte qu'une universalité partielle & restreinte à leurs patriarchats respectifs. Ducange, glossar. lat.


OEDÉMATEUXadj. terme de Chirurgie, qui est de la nature de l'oedeme, voyez OEDEME. L'on dit un bras oedémateux, des jambes oedémateuses, &c.

Les tumeurs oedémateuses sont rarement dangereuses d'elles-mêmes. Quand elles sont invétérées, elles sont difficiles à guérir ; & elles sont absolument incurables, si elles sont causées & entretenues par des maladies qu'on ne puisse guérir. Le gonflement oedémateux d'un bras est symptomatique dans l'hydropisie de poitrine, & annonce concurremment avec d'autres signes de quel côté est l'épanchement. La dissipation de cette oedématie ne peut dépendre que de la destruction de la cause qui y donne lieu. Le gonflement oedémateux d'un bras à l'occasion d'un cancer de la mamelle, est ordinairement l'effet de l'engorgement des glandes de l'aisselle ; de-là on peut juger que ce symptome résistera à tous les secours qu'on pourroit donner à l'enflure oedémateuse. Les piés & les mains restent longtems oedémateuses, à la suite des plaies d'armes à feu considérables, qui ont produit de longues suppurations, & pendant le traitement desquelles les membres ont resté long-tems dans l'inaction ; ce sont là des sucs lymphatiques & séreux croupissants dans les cellules du tissu cellulaire, qui causent cette enflure : elle est assez ordinaire après la cure des fractures qui ont exigé le repos du membre, & l'application continuée de bandes par lesquelles la circulation du sang & des humeurs a été gênée. Dans ces cas, les fomentations résolutives discutent la lymphe stagnante, & donnent du ressort aux parties solides : telles sont les lotions avec la lessive de cendres de sarment, ou de solution de sel ammoniac, ou de nitre dans l'eau commune. Un bandage bien méthodiquement appliqué & qui comprime mollement & également les parties oedémateuses de la circonférence vers le centre, favorise beaucoup la résolution de l'enflure oedémateuse consécutive. Il y a beaucoup de cas où on la préviendroit par la situation convenable de la partie malade. Une écharpe mal mise qui laisseroit la main pendante, & qui ne la soutiendroit pas, de façon qu'elle fût un peu plus haut que le coude, donneroit lieu à l'engorgement oedémateux du poignet, de la main & des doigts.

Lorsqu'un chirurgien intelligent connoît la cause d'une enflure oedémateuse, il juge si elle sera curable ou non, & il est en état de faire choix des moyens les plus convenables pour remplir l'indication que présente la nature de la maladie. Dans l'administration des remedes résolutifs, il faut employer d'abord ceux qui sont incisifs, & employer successivement ceux qui ont le plus d'activité. On ne doit pas perdre de vûe le degré d'épaississement de la lymphe & d'atonie des solides. Quand les lotions & fomentations ne suffisent pas, on a recours aux cataplasmes faits avec les quatre farines, où l'on joint les fleurs de camomille & de mélilot, les semences carminatives, les baies de genievre & de laurier, les plantes aromatiques seches. Toutes ces choses pulvérisées, & cuites dans le vin, donnent du ressort aux vaisseaux, & en excitant leur action, sur une humeur lente & visqueuse, la font rentrer dans le torrent de la circulation : il est à propos souvent d'aider les remedes topiques, par l'usage des purgatifs & des remedes apéritifs, tels que les boissons nitrées.

Si la tumeur oedémateuse est accompagnée d'inflammation, & qu'elle dépende de causes permanentes qu'on ne peut détruire, il est à craindre qu'elle ne tombe en gangrene : il faut alors rendre les cataplasmes moins actifs, de peur que la vertu stimulante n'irrite l'inflammation : la farine de graine de lin, ajoutée aux cataplasmes susdits, & la précaution de les faire avec de l'eau de sureau au lieu de vin, seront des moyens de calmer la chaleur de la partie. L'eau de chaux est un excellent antiseptique dans l'oedeme qui menace de gangrene ; l'eau-de-vie camphrée & ammoniacée a aussi son utilité, quand il faut augmenter fortement le ressort de la partie. Si les dispositions gangréneuses se manifestent malgré les soins, il faut se conduire en conséquence. Voyez GANGRENE.

Dans le gonflement oedémateux, si la partie conserve du ressort, & se releve après qu'on l'a comprimée, c'est une simple bouffissure : quand la partie oedémateuse est molle & sans ressort, & que les sucs & stagnation sont au - dessous de la peau dont le tissu n'est pas abreuvé, c'est un empâtement. L'oedeme est une autre espece de la même maladie ; & les soins tant internes qu'externes, doivent être variés relativement aux indications que prescrivent ces différens états, aux causes qui les ont produits, au tempérament des personnes qui en sont attaquées, &c. (Y)


OEDEMES. f. ou m. en terme de Chirurg. tumeur molle, lâche, sans douleur, sans changement de couleur à la peau, & qui retient l'impression du doigt qui la comprime. Ce mot est dérivé du grec, d'un terme qui signifie enflure ; ce qui fait qu'Hippocrate a donné le nom d'oedeme à toute tumeur en général.

L'oedeme est produite par l'engorgement de la lymphe dans les cellules du tissu adipeux ; & comme la peau n'est formée que par la réunion de plusieurs membranes folliculeuses qui composent ce tissu, la lymphe dans le progrès de l'oedeme écarte peu-à-peu ces feuillets membraneux, & se porte enfin jusque sous l'épiderme immédiatement, qu'il suffit d'effleurer, pour procurer l'écoulement des sucs stagnans. Cette éthiologie est sûre & donne les vûes les plus salutaires pour la guérison de cette maladie.

Quand l'oedeme occupe une grande partie du corps, cette maladie s'appelle anasarque ou leucophlegmatie & hydropisie universelle. Voyez ANASARQUE & LEUCOPHLEGMATIE. Le nom d'oedeme reste aux tuméfactions particulieres & bornées à certaines parties, telles que les piés, les mains, les paupieres, les bourses, &c.

Les causes de l'extravasation de la lymphe sont différentes. L'appauvrissement des sucs, & l'inertie des solides produisent l'oedeme dans les vieillards : les personnes les plus robustes y sont sujettes après des évacuations considérables qui les ont fort affoiblies. Les fréquentes saignées, par la spoliation des parties rouges, rendent le sang séreux & disposé à croupir dans les extrêmités principalement. Les femmes grosses sont sujettes à l'oedeme des jambes, par la difficulté du retour du sang des parties inférieures, en conséquence de la pression de la matrice sur les veines iliaques. Le sang retardé dans son cours, cause l'obstruction des vaisseaux lymphatiques qui laissent échapper les sucs blancs dans les tissus cellulaires. Les bandages dans les fractures & les luxations, l'engorgement des glandes axillaires dans le cancer de la mamelle produisent l'oedeme par cette raison. Voyez le mot OEDEMATEUX.

La connoissance des causes de l'oedeme en donnera le prognostic, & réglera les indications curatives qu'il faut suivre dans le traitement. L'oedeme qui vient de l'appauvrissement de la masse du sang, exige l'usage des alimens de prompte & facile digestion : tels que les gelées de viande, les jaunes d'oeufs frais, du bon vin pris modérément & comme cordial, pour passer par degrés à des nourritures plus fortes. Les frictions moderées & un exercice convenable donnent du ressort aux solides, & dissipent les sucs stagnans. Les topiques résolutifs peuvent être employés. L'oedeme qui vient de compression accidentelle & étrangere, tels que sont les bandages, exige des attentions dans l'application des bandes & dans la maniere de situer la partie. Si la compression vient de quelque tumeur incurable, comme d'un cancer qu'on ne peut extirper, il faut se contenter des secours palliatifs. Voyez l'art. OEDEMATEUX. En général, il faut résoudre la lymphe stagnante, & donner du ressort aux fibres ; & si l'on peut, attaquer directement la cause qui a déterminé la maladie. C'est par cette considération qu'on a guéri des oedemes en faisant saigner des malades fort pléthoriques ; parce que l'enflure avoit pour cause la difficulté de la circulation du sang occasionnée par la plénitude excessive des vaisseaux. Les diurétiques qui poussent les sucs blancs par la voie des urines, les sudorifiques qui excitent leur secrétion par les pores de la peau, & les purgatifs hydragogues qui les déterminent par les selles, remplissent l'indication qui se tireroit de la surabondance de sérosités dans le sang. Nous avons indiqué les meilleurs topiques à l'article OEDEMATEUX, pour raffermir le ton des vaisseaux ; & si ces secours sont inutiles, l'on a une ressource très-efficace dans les mouchetures faites avec attention sur la partie oedémateuse. Voyez SCARIFICATION & MOUCHETURE.

L'oedeme des jambes est souvent un effet de l'hydropisie ascite. Voyez HYDROPISIE. (Y)


OEDÉMOSARQUEoedemosarca, terme de Chirurgie, espece de tumeur d'une nature moyenne entre l'oedeme & le sarcoma, voyez OEDEME & SARCOMA. C'est une espece de loupe formée par des sucs blancs, congelés & qui n'ont pas acquis un degré d'épaississement qui les fasse résister à l'impression du doigt. Marc-Aurele Severin, dans son traité de reconditâ abscessuum naturâ, au liv. IV. chap. iv. donne la description d'une tumeur, d'un volume considérable, qui s'étendoit depuis le genou jusqu'au pié, comme une espece de sac. Cette tumeur étoit indolente, remplie d'humeurs assez fluides, pour retenir l'impression du doigt comme l'oedeme, si la surface extérieure, lisse & polie de la tumeur n'avoit pas eu un certain degré de dureté calleuse. Le malade âgé d'environ soixante ans, demandoit avec instance qu'on le délivrât de cette tumeur ; ce que notre auteur, quoique l'un des plus intrépides chirurgiens qui ait existé, crut une entreprise trop dangereuse. Il lui fit un seton à l'aîne du même côté, & après un long usage de décoction de salsepareille, il l'envoya sur le bord de la mer, pour se faire couvrir la jambe de sable, comme on va prendre les boues médicamenteuses à Bourbonne, à Barbotan, &c. Fabrice de Hildan a décrit une maladie de même caractere, dont la résolution spontanée a eu des suites très-fâcheuses. Il y avoit une tumeur sur chaque main ; il l'a nommée oedémateuse dure. On fit long-tems sans succès tous les remedes qu'on crut convenables. A l'âge de treize ans, lorsqu'on pensoit le moins à la guérison sur laquelle on n'avoit plus d'espérance, les tumeurs se dissiperent insensiblement ; mais quelque tems après cette jeune personne eut des douleurs cruelles à une épaule : elles cedérent aux remedes sagement administrés ; la hanche fut attaquée ensuite, & il se fit luxation par la fluxion de l'humeur qui relâcha les ligamens ; enfin il se fit un abscès considérable au talon, & la guérison fut radicale après l'exfoliation d'une petite portion du calcaneum. Ce qu'il y a de surprenant, c'est que tout cela s'est passé en quinze jours de tems. La malade s'est bien portée depuis, a été mariée, & n'a souffert que l'inconvénient d'être un peu boiteuse. (Y)


OEDIPODIA(Géog. anc.) c'est-à-dire, fontaine de Thebes. Plutarque raconte que Sylla y fit dresser un théatre pour donner des jeux de musique, & célébrer une victoire qu'il venoit de remporter. Pausanias dit qu'elle eut ce nom, parce qu'Oedipe s'y lava pour se purifier du meurtre de Laïus. (D.J.)


OEENSISURBS, (Géog. anc.) ville d'Afrique dans la province tripolitaine, & qui devint le siege d'un évêché. Cette ville est une des trois dont l'ancienne Tripoli fut formée ; les deux autres étoient Sabrata, & la grande Leptis ; chacune avoit son évêque. (D.J.)


OEILS. m. (Anatomie) organe de la vûe, & qu'on peut regarder comme le miroir de l'ame, puisque les passions se peignent d'ordinaire dans cet organe nerveux, voisin du cerveau & abondant en esprits qui ne peuvent manquer d'y exprimer les états divers qui les agitent. Mais il ne s'agit ici que de décrire l'oeil & ses appartenances en simple anatomiste. Nous espérons de dévoiler ailleurs les merveilles du sens de la vûe.

Les yeux sont situés au bas du front, un à chaque côté de la racine du nez. Ils sont composés en général de parties dures & de parties molles. Les parties dures sont les os du crâne & de la face qui forment les deux cavités coniques, comme deux entonnoirs appellés orbites. Voyez ORBITES.

Les parties molles sont de plusieurs sortes. La principale & la plus essentielle desdites parties molles, est celle qu'on nomme le globe de l'oeil. Des autres parties molles, les unes sont externes, les autres sont internes. Les externes sont les sourcils, les paupieres, la caroncule lacrymale, les points lacrymaux dont il faut voir les articles en particulier. Les internes sont les muscles, la graisse, la glande lacrymale, les nerfs, les vaisseaux sanguins.

Le globe de l'oeil est de toutes les parties molles qui appartiennent à l'organe de la vûe, la plus essentielle, & celle dont on est obligé de faire mention presque toutes les fois qu'on parle de ses autres parties ; ainsi nous commencerons par en faire l'exposition.

Ce globe est composé de plusieurs parties qui lui sont propres, dont les unes sont plus ou moins fermes, & représentent une espece de coque, formée par l'assemblage & l'union de différentes couches membraneuses, appellées tuniques du globe de l'oeil. Les autres parties sont plus ou moins fluides, & renfermées dans des capsules membraneuses propres, ou dans les intervalles des autres tuniques, sous le nom d'humeurs du globe de l'oeil. On donne aussi le nom de tuniques à ces capsules.

Les tuniques du globe de l'oeil sont de trois sortes ; il y en a qui forment principalement la coque du globe ; il y en a qui sont accessoires, & ne sont attachées qu'à une portion du globe ; il y en a enfin qui sont particulierement capsulaires, & renferment les humeurs.

Les tuniques qui forment la coque sont au nombre de trois. La plus externe & qui seule fait toute la convexité du globe, est appellée sclérotique ou cornée. La moyenne est nommée choroïde ; la troisieme ou interne porte le nom de rétine. Les tuniques accessoires sont deux, la tendineuse ou albuginée, qui fait le blanc de l'oeil ; & la conjonctive. Les tuniques capsulaires sont deux ; savoir la vitrée & la crystalline.

Le globe de l'oeil formé porte en arriere une espece de queue ou pédicule d'une grosseur médiocre, qui est la continuation du nerf optique. Il est situé environ au milieu du pavillon de l'orbite, & il est attaché à l'orbite par le nerf optique, par six muscles, par la tunique conjonctive, & enfin par les paupieres. Le derriere du globe, le nerf optique & les muscles sont environnés & enveloppés d'une graisse mollasse qui occupe tout le reste du fond de l'orbite.

Les humeurs sont au nombre de trois ; savoir l'aqueuse, la vitrée & la crystalline. La premiere est assez proprement appellée humeur. Elle est contenue dans un espace formé par le seul intervalle de la portion antérieure des tuniques. La seconde ou l'humeur vitrée, est renfermée dans une capsule membraneuse particuliere, & occupe plus que les trois quarts de la coque ou capacité du globe de l'oeil ; on la nomme humeur vitrée, parce qu'elle ressemble en quelque façon à une masse de verre fondu : elle ressemble plutôt au blanc d'un oeuf frais.

L'humeur crystalline est ainsi nommée à cause de sa ressemblance avec le crystal : on l'appelle aussi simplement le crystallin. C'est plutôt une masse gommeuse qu'une humeur. Elle est lenticulaire, plus convexe à la face postérieure qu'à la face antérieure, & revêtue d'une membrane très-fine, appellée de même la membrane ou capsule crystalline.

La tunique la plus interne, la plus épaisse & la plus forte du globe de l'oeil, est la sclérotique ou cornée : elle renferme toutes les autres parties dont ce globe est composé. On la divise en deux portions ; une grande appellée cornée opaque, & une petite nommée cornée transparente, qui n'est qu'un petit segment de sphere, & situé antérieurement.

La cornée opaque est composée de plusieurs couches étroitement collées ensemble. Son tissu est fort dur & compacte, semblable à une espece de parchemin. Elle est comme percée vers le milieu de la portion postérieure de sa convexité, où elle porte le nerf optique. Elle est fort épaisse à cet endroit, & son épaisseur diminue par degrés vers la portion opposée. Cette épaisseur est percée d'espace en espace & très-obliquement par de petits vaisseaux sanguins. Elle est encore traversée d'une maniere particuliere par des filets de nerfs, qui entrant dans sa convexité à quelque distance du nerf optique, se glissent dans l'épaisseur de la tunique, & percent sa concavité vers la cornée transparente.

La cornée transparente est percée d'un grand nombre de pores imperceptibles, par lesquels suinte continuellement une rosée très-fine qui s'évapore à mesure qu'elle en sort. C'est cette rosée qui produit sur les yeux des moribonds une espece de pellicule glaireuse, qui quelquefois se fend peu de tems après.

La seconde tunique du globe de l'oeil est la choroïde. Elle est noirâtre, tirant plus ou moins sur le rouge ; elle adhere à la cornée opaque par le moyen de quantité de petits vaisseaux, depuis l'insertion du nerf optique jusqu'à l'union des deux cornées, où elle forme une cloison percée, qui sépare ce petit segment du globe d'avec le grand segment : cette portion est communément appellée uvée.

La lame externe de la choroïde est plus forte que la lame interne. Elle paroît noire ou noirâtre comme l'interne, à cause de sa transparence. Elle est intérieurement abreuvée de vaisseaux nommés par Stenon vasa vorticosa, vaisseaux tournoyans. La lame interne de la choroïde est plus mince que la lame externe : elle est appellée lame Ruyschienne.

On donne particulierement à la portion antérieure, ou cloison percée de la choroïde, le nom d'uvée, & celui de prunelle ou pupille au trou dont à-peu-près le centre de cette cloison est percé. On donne le nom d'iris à la lame antérieure de la même cloison, & enfin celui de procès ciliaires à des plis rayonnés de la lame postérieure. On découvre dans la duplicature de chaque procès ciliaire un réseau vasculaire très-fin.

L'espace qui est entre la cornée transparente & l'uvée renferme la plus grande partie de l'humeur aqueuse, & il communique par la prunelle avec un espace fort étroit qui est derriere l'uvée, ou entre l'uvée & le crystallin : on appelle ces deux espaces les chambres de l'humeur aqueuse.

La troisieme tunique du globe de l'oeil est blanchâtre, mollasse, tendre, comme médullaire, ou semblable à une espece de colle farineuse étendue sur une toile circulaire extrêmement fine. Elle paroit plus épaisse que la choroïde, & elle s'étend depuis l'insertion du nerf optique, jusqu'aux extrêmités des rayons ciliaires. Elle est dans tout ce trajet également collée à la choroïde.

L'insertion du nerf optique dans le globe de l'oeil devient un peu retrecie, & sa premiere enveloppe est une vraie continuation de la dure-mere. Cette insertion du nerf optique dans le globe de l'oeil, est le plus souvent trouvée n'être pas directement à l'opposite de la prunelle ; desorte que la distance de ces deux endroits n'est pas la même tout autour du globe. La plus grande de ces distances est le plus souvent du côté des tempes, & la plus petite du côté du nez.

L'humeur vitrée est une liqueur gélatineuse très-claire & très-limpide, renfermée dans une capsule membraneuse très-fine & transparente, qu'on appelle tunique vitrée, & avec laquelle elle forme une masse à-peu-près de la consistance d'un blanc d'oeuf. Elle occupe la plus grande partie de la capacité du globe de l'oeil, savoir presque tout l'espace qui répond à l'étendue de la rétine, excepté un petit endroit derriere l'uvée, où elle forme une fossette dans laquelle le crystallin est logé. Cette humeur étant tirée hors du globe avec adresse, se soutient dans sa capsule pendant quelque tems en masse, à-peu-près comme le blanc d'oeuf ; mais peu-à-peu elle en découle, & se perd à la fin tout-à-fait.

Le crystallin est un petit corps inégalement lenticulaire, d'une consistance médiocrement ferme, & d'une transparence à-peu-près semblable à celle du crystal. Je viens de dire qu'il est renfermé dans une capsule membraneuse transparente, & logée dans la fossette de la partie antérieure de l'humeur vitrée. On ne le peut compter parmi les humeurs que très-improprement, & seulement par rapport à sa grande facilité de se laisser manier, paîtrir, & quelquefois même presque dissoudre par de différentes compressions réiterées entre les doigts, surtout après l'avoir tiré hors de sa capsule. La structure interne de la masse du crystallin n'est pas encore assez développée pour en parler avec assurance, sur-tout dans l'homme où l'on ne découvre point un certain arrangement de tuyaux crystallins entortillés en maniere de pelotons, qu'on prétend avoir vus dans les yeux des grands animaux.

La couleur & la consistance du crystallin varient naturellement suivant les différens âges. C'est l'observation de M. Petit médecin, démontrée par lui-même à l'académie des Sciences, sur un grand nombre d'yeux humains, & insérée dans les Mémoires de 1726. Il est fort transparent & comme sans couleur jusque vers l'âge de 30 ans, où il commence à devenir jaunâtre, & devient ensuite de plus en plus jaune. La consistance suit à-peu-près les mêmes degrés. Il paroît également mollasse jusqu'à l'âge de 25 ans, & acquiert après cela plus de consistance dans le milieu de la masse. Cela varie comme on le peut voir dans les Mémoires de l'académie des Sciences de 1727.

L'humeur aqueuse est une liqueur très-limpide, très-coulante & comme une espece de lymphe ou sérosité très-peu visqueuse. Elle n'a point de capsule particuliere comme la vitrée & le crystallin ; elle occupe & remplit l'espace qui est entre la cornée transparente & l'uvée, ainsi que l'espace qui est entre l'uvée & le crystallin, de même que le trou de la prunelle. On donne le nom de chambres de l'humeur aqueuse à ces deux espaces, & on les distingue par rapport à la situation, en chambre antérieure & en chambre postérieure.

Ces deux chambres ou capsules communes de l'humeur aqueuse different en étendue. L'antérieure qui est assez visible à tout le monde, entre la cornée transparente & l'uvée, est la plus grande des deux. La postérieure qui est cachée entre l'uvée & le crystallin est fort étroite, sur-tout vers la prunelle où l'uvée touche presque au crystallin. Cette proportion des deux chambres a été assez prouvée & démontrée contre l'opinion de plusieurs anciens, par MM. Heister, Morgagni & Petit.

La tunique albuginée, qu'on appelle communément le blanc de l'oeil, est principalement formée par l'expansion tendineuse de quatre muscles. Cette expansion est très-adhérente à la sclérotique, & la fait paroître là tout-à-fait blanche & luisante ; au lieu qu'ailleurs elle n'est que blanchâtre & terne. Elle est très-mince vers le bord de la cornée, où elle se termine uniformément, & devient comme effacée par la cornée.

Il y a pour l'ordinaire six muscles attachés à la convexité du globe de l'oeil dans l'homme. On les divise selon leur direction en quatre droits & en deux obliques. On distingue ensuite les muscles droits selon leur situation, en supérieur, inférieur, interne, externe, & selon leurs fonctions particulieres, en releveur, abaisseur, adducteur, abducteur. Les deux obliques sont nommés selon leur situation & leur étendue, l'un oblique supérieur ou grand oblique, & l'autre oblique inférieur ou petit oblique. Le grand oblique est aussi appellé trochléateur, du latin trochlea, c'est-à-dire poulie, parce qu'il passe par un petit anneau cartilagineux, comme autour d'une poulie.

Les muscles droits ne répondent pas tout-à-fait à leurs noms, car dans leurs places naturelles ils n'ont pas tous les quatre cette situation droite qu'on leur fait avoir hors de leurs places dans un oeil détaché ; le seul interne des quatre muscles est situé directement, la situation des trois autres est oblique. Ces divers muscles levent les yeux, les abaissent, les tournent vers le nez ou vers la tempe. Quand les quatre muscles droits agissent successivement les uns après les autres, ils font mouvoir la partie antérieure du globe en rond : c'est ce qu'on appelle rouler les yeux.

L'usage des muscles obliques est principalement de contrebalancer l'action des muscles droits, & de servir d'appui au globe de l'oeil dans tous ses mouvemens.

Les paupieres sont une espece de voiles ou rideaux, placés transversalement au-dessus & au-dessous de la convexité antérieure du globe de l'oeil. Il y a deux paupieres à chaque oeil, une supérieure & une inférieure. La paupiere supérieure est la plus grande, & la plus mobile des deux dans l'homme. La paupiere inférieure est la plus petite, & la moins mobile des deux. Les deux paupieres de chaque oeil s'unissent sur les deux côtés du globe. On donne aux endroits de leur union le nom d'angles, & on appelle angle interne ou grand angle, celui qui est du côté du nez, & angle externe ou petit angle, celui qui est du côté des tempes.

Les paupieres sont composées de parties communes & de parties propres. Les parties communes sont la peau, l'épiderme, la membrane cellulaire ou adipeuse. Les parties propres sont les muscles, les tarses, les cils, les points ou trous ciliaires, les points ou trous lacrymaux, la caroncule lacrymale, la membrane conjonctive, la glande lacrymale, & enfin les ligamens particuliers qui soutiennent les tarses. De toutes ces parties des paupieres les tarses & leurs ligamens en sont comme la base. Voyez tous ces mots.

La membrane conjonctive est mise dans l'histoire des tuniques du globe de l'oeil. C'est une membrane très-mince, dont une portion couvre la surface interne des paupieres, ou pour m'exprimer plus précisément, la surface interne des tarses & de leurs ligamens larges. Elle se replie vers le bord de l'orbite, & par l'autre portion se continue sur la moitié antérieure du globe de l'oeil, où elle est adhérente à la tunique albuginée ; ainsi ce n'est qu'une même membrane repliée qui revêt les paupieres & le devant du globe de l'oeil. Dans l'endroit qui tapisse les paupieres, elle est parsemée de vaisseaux capillaires sanguins, & est percée de quantité de pores imperceptibles dont il transsude continuellement une sérosité.

La conjonctive de l'oeil n'est adhérente que par un tissu cellulaire qui la rend lâche & comme mobile. Elle est blanchâtre & forme avec la tunique albuginée ce qu'on appelle le blanc de l'oeil. La plupart des vaisseaux dont elle est parsemée en grande quantité, ne contiennent dans leur état naturel que la portion séreuse du sang, & par conséquent ne sont visibles que par des injections anatomiques, des inflammations, des obstructions, &c.

La glande lacrymale est blanchâtre & du nombre de celles qu'on appelle glandes conglomerées. Elle est située sous l'enfoncement qu'on voit dans la voûte de l'orbite vers le côté des tempes, & latéralement au-dessus du globe de l'oeil. Elle est fort adhérente à la graisse qui environne les muscles, & la convexité postérieure de l'oeil ; on la nommoit autrefois glande innominée.

Vers l'angle interne de l'oeil ou l'angle nasal, est une espece de mamelon percé obliquement d'un petit trou dans l'épaisseur du bord de chaque paupiere ; ces deux petits trous sont assez visibles, & se nomment communément points lacrymaux. Ce sont les orifices des deux petits conduits qui vont s'ouvrir par-delà l'angle de l'oeil dans un reservoir particulier, appellé sac lacrymal.

La caroncule lacrymale est une petite masse rougeâtre, grenue & oblongue, située précisement entre l'angle interne des paupieres & le globe de l'oeil. Elle paroît toute glanduleuse étant vue par un microscope simple. On y découvre quantité de petits poils fins, qui paroissent enduits d'une matiere huileuse plus ou moins jaune.

Les vaisseaux sanguins qui se distribuent d'une maniere merveilleuse dans les parties internes de l'oeil, comme Hovius & Ruysch l'ont démontré, sont des branches d'arteres qui procedent des carotides internes & externes, & dont un grand nombre deviennent enfin arteres lymphatiques. Les veines répondent à-peu-près aux arteres ; les unes se rendent au sinus de la dure-mere, & les autres aux veines jugulaires externes.

Les nerfs de l'oeil & de ses appartenances sont en très-grand nombre. 1°. les nerfs optiques forment la rétine. 2°. la troisieme paire se rend aux muscles releveur, abaisseur, adducteur, oblique inférieur. 3°. le nerf pathétique se jette dans l'oblique supérieur. 4°. la cinquieme paire va aux membranes de l'oeil, à la glande lacrymale, au sac lacrymal, aux paupieres, &c. 5°. Un rameau de la sixieme paire se rend au muscle abducteur.

Telle est la description anatomique, fort abregée de l'oeil : on a taché de la démontrer en sculpture. Un médecin sicilien, nommé Mastiani, l'a assez heureusement executée, par deux pieces en bois de grandeur double de l'oeil ; elles sont dans le cabinet du Roi, & M. Daubenton en a donné la description & les figures. Ces deux pieces peuvent s'emboîter ensemble, pour montrer le rapport que les parties charnues de l'oeil ont avec les parties osseuses de l'orbite ; cependant toutes ces sortes d'imitations sont toûjours très-imparfaites & très-grossieres.

Le jeu de la nature le plus rare, est un sujet qui vient au monde sans yeux. Je n'en connois qu'un seul exemple, rapporté dans l'histoire de l'acad. des Sciences, année 1721. C'étoit un jeune garçon, né en province, sans cet organe, ni nulle apparence de cet organe. Les deux orbites, au rapport du chirurgien qui l'examina, étoient creuses ; les paupieres étoient sans séparation, & par plusieurs plis qu'elles faisoient, elles couvroient un petit trou au grand coin de l'oeil.

Indiquons à-présent les usages de cet organe, & de ses appartenances.

La glande lacrymale humecte continuellement le devant du globe. Le clignotement de la paupiere supérieure étend la sérosité lacrymale, d'autant mieux qu'elle est comme légérement veloutée intérieurement. La rencontre des deux paupieres dirige cette sérosité vers les points lacrymaux. L'onctuosité des trous ciliaires l'empêche de s'échapper entre les deux paupieres. La caroncule, par sa masse & par son onctuosité, l'empêche de passer par-dessus les points lacrymaux, & l'oblige pour ainsi dire d'y couler.

Les sourcils peuvent détourner un peu la sueur de tomber sur l'oeil. Les cils supérieurs plus longs que les inférieurs, peuvent aussi avoir cet usage. Ils peuvent encore de même que les cils inférieurs, empêcher la poussiere, les insectes, &c. d'entrer dans les yeux pendant qu'on les tient seulement entr'ouverts.

Pour ce qui regarde l'oeil en particulier, les parties transparentes du globe modifient par différentes réfractions les rayons de la lumiere. La rétine & la choroïde en reçoivent les impressions. Le nerf optique porte ces impressions au cerveau. La prunelle se dilate dans l'éloignement des objets & dans l'obscurité ; elle se rétrecit dans la proximité des objets & dans la clarté.

Outre que l'oeil reçoit l'impression des images, on doit le regarder comme un instrument d'optique qui donne à ces images les conditions nécessaires à une sensation parfaite. Cette double fonction est distribuée aux différentes parties de cet organe : en un mot tout le corps de l'oeil est une espece de lorgnette qui transmet nettement les images jusqu'à son fond.

Mais pour se former une idée de la structure de l'oeil, & du méchanisme de la vision, on peut employer l'exemple de la chambre obscure dont l'oeil est une espece.

Fermez une chambre de façon qu'elle soit totalement privée de lumiere ; faites un trou au volet d'une des fenêtres ; mettez vis-à-vis de ce trou, à plusieurs piés de distance, une toile ou un carton blanc, & vous verrez avec étonnement que tous les objets de dehors viendront se peindre sur ce carton, avec les couleurs les plus vives & les plus naturelles, dans un sens renversé : par exemple, si c'est un homme on le voit la tête en-bas. Quand on veut rendre ces images encore plus nettes & plus vives, on met au trou de la fenêtre, une loupe, une lentille qui en rassemblant les rayons, fait une image plus petite & plus précise.

Vous pouvez faire les mêmes expériences avec une simple boëte noircie en-dedans, & à l'entrée de laquelle vous ajouterez un tuyau & une lentille ; vous aurez de plus ici la commodité de pouvoir dessiner ces images à la transparence, en fermant le derriere de la boëte où tombera l'image, avec un papier huilé ou un verre mat ; ou bien en plaçant dans la boëte un miroir incliné qui refléchira l'image contre la paroi supérieure, où vous aurez placé un chassis de verre. Il ne manque à cette boëte pour être un oeil artificiel quant à la simple optique, que d'avoir la figure d'un globe, & que la lentille soit placée au-dedans de ce globe.

Enfin l'oeil n'est pas seulement l'organe du sens si précieux que nous nommons la vûe, il est lui-même le sens de l'esprit & la langue de l'intelligence. Nos pensées, nos réflexions, nos agitations secrettes se peignent dans les yeux, on y pouvoit encore lire dans un âge avancé l'histoire de mademoiselle Lenclos, à ce que prétendoit l'abbé Fraguier. Il est dumoins certain que l'oeil appartient à l'ame plus qu'aucun autre organe, il en exprime, dit un physicien de beaucoup d'esprit, les passions les plus vives, & les émotions les plus tumultueuses, comme les mouvemens les plus doux & les sentimens les plus délicats ; il les rend dans toute leur force, dans toute leur pureté, tels qu'ils viennent de naître ; il les transmet par des traits rapides qui portent dans une autre ame, ce feu, l'action, l'image de celle dont ils partent. L'oeil reçoit & réfléchit en même tems la lumiere de la pensée & la chaleur du sentiment.

O miros oculos, animae lampades,

Et quâdam propriâ notâ loquaces,

Illîc sunt sensus, hîc Venus, & Amor !

De plus (dit le même physicien dont je viens de parler, l'auteur de l'histoire naturelle de l'homme), la vivacité ou la langueur du mouvement des yeux fait un des principaux caracteres de la physionomie, & leur couleur contribue à rendre ce caractere plus marqué. Voici les autres observations de M. de Buffon.

" Les différentes couleurs des yeux sont l'orangé foncé, le jaune, le verd, le bleu, le gris & le gris mêlé de blanc ; la substance de l'iris est veloutée & disposée par filets & par flocons ; les filets sont dirigés vers le milieu de la prunelle comme des rayons qui tendent à un centre, les flocons remplissent les intervalles qui sont entre les filets, & quelquefois les uns & les autres sont disposés d'une maniere si réguliere, que le hasard a fait trouver dans les yeux de quelques personnes des figures qui sembloient avoir été copiées sur des modeles connus. Ces filets & ces flocons tiennent les uns aux autres par des ramifications très-fines & très-déliées ; aussi la couleur n'est pas si sensible dans ces ramifications, que dans le corps des filets & des flocons qui paroissent toujours être d'une teinte plus foncée.

Les couleurs les plus ordinaires dans les yeux sont l'orangé & le bleu, & le plus souvent ces couleurs se trouvent dans le même oeil. Les yeux que l'on croit être noirs, ne sont que d'un jaune brun ou d'orangé foncé ; il ne faut, pour s'en assûrer, que les regarder de près, car lorsqu'on les voit à quelque distance, ou lorsqu'ils sont tournés à contre-jour, ils paroissent noirs, parce que la couleur jaune-brune tranche si fort sur le blanc de l'oeil, qu'on la juge noire par l'opposition du blanc. Les yeux qui sont d'un jaune moins brun, passent aussi pour des yeux noirs, mais on ne les trouve pas si beaux que les autres, parce que cette couleur tranche moins sur le blanc ; il y a aussi des yeux jaunes & jaune-clairs, ceux-ci ne paroissent pas noirs, parce que ces couleurs ne sont pas assez foncées pour disparoître dans l'ombre.

On voit très-communément dans le même oeil des nuances d'orangé, de jaune, de gris & de bleu ; dès qu'il y a du bleu, quelque léger qu'il soit, il devient la couleur dominante ; cette couleur paroît par filets dans toute l'étendue de l'iris, & l'orangé est par flocons autour, & à quelque petite distance de la prunelle. Le bleu efface si fort cette couleur que l'oeil paroît tout bleu, & on ne s'apperçoit du mêlange de l'orangé qu'en le regardant de près.

Les plus beaux yeux sont ceux qui paroissent noirs ou bleus, la vivacité & le feu qui font le principal caractere des yeux, éclatent davantage dans les couleurs foncées, que dans les demi-teintes de couleurs. Les yeux noirs ont donc plus de force d'expression & plus de vivacité, mais il y a plus de douceur, & peut-être plus de finesse dans les yeux bleus : on voit dans les premiers un feu qui brille uniformément, parce que le fond qui nous paroît de couleur uniforme, renvoie par-tout les mêmes reflets, mais on distingue des modifications dans la lumiere qui anime les yeux bleus, parce qu'il y a plusieurs teintes de couleur qui produisent des reflets.

Il y a des yeux qui se font remarquer sans avoir, pour ainsi dire, de couleur, ils paroissent composés différemment des autres, l'iris n'a que des nuances de bleu ou de gris, si foibles qu'elles sont presque blanches dans quelques endroits ; les nuances d'orangé qui s'y rencontrent, sont si légeres qu'on les distingue à peine du gris & du blanc, malgré le contraste de ces couleurs ; le noir de la prunelle est alors trop marqué, parce que la couleur de l'iris n'est pas assez foncée ; on ne voit, pour ainsi dire, que la prunelle isolée au milieu de l'oeil ; ces yeux ne disent rien, & le regard paroît être fixe ou effacé.

Il y a aussi des yeux dont la couleur de l'iris tire sur le verd ; cette couleur est plus rare que le bleu, le gris, le jaune & le jaune-brun ; il se trouve aussi des personnes dont les deux yeux ne sont pas de la même couleur. Cette variété qui se trouve dans la couleur des yeux est particuliere à l'espece humaine, à celle du cheval, &c. Dans la plûpart des autres especes d'animaux, la couleur des yeux de tous les individus est la même ; les yeux des boeufs sont bruns, ceux des moutons sont couleur d'eau, ceux des chevres sont gris, &c. Aristote, qui fait cette remarque, prétend que dans les hommes les yeux gris sont les meilleurs, que les bleus sont les plus foibles, que ceux qui sont avancés hors de l'orbite ne voient pas d'aussi loin que ceux qui y sont enfoncés, que les yeux bruns ne voient pas si bien que les autres dans l'obscurité " La remarque d'Aristote est en partie vraie & en partie fausse. (D.J.)

OEIL, humeurs de l ', (Physiolog.) voyez OEIL & HUMEURS DE L'OEIL. Je ne vais répondre ici qu'à une seule question. On demande si les humeurs de l'oeil se régénerent : Hovius le prétend, & a fait un traité pour le prouver. Il est certain que l'humeur aqueuse se dissipe, s'évapore, & que cette évaporation est réparée, mais ce fait n'est pas de la même certitude par rapport aux autres humeurs. Il est pourtant vrai que le même méchanisme paroît nécessaire pour les entretenir dans le même éclat & la même transparence. C'est Nuck qui a le premier apperçu & indiqué la maniere dont la perte accidentelle de l'humeur aqueuse se répare. Il découvrit un canal particulier qui part de l'artere carotide interne, & qui, après avoir serpenté le long de la sclérotique, passe à-travers la cornée aux environs de la prunelle, se disperse en plusieurs branches autour de l'iris, s'y insere, & répare l'humeur aqueuse. Stenon a vû le premier les canaux qui portent l'humidité qui arrose l'oeil & qui en facilitent les mouvemens. (D.J.)

OEIL DES ANIMAUX, (Anat.) il se trouve de la diversité dans les yeux des animaux à l'égard de leur couverture. Ceux qui ont les yeux durs comme les écrevisses n'ont point de paupieres, non plus que la plûpart des poissons, parce qu'ils n'en ont pas besoin.

Le mouvement des yeux est encore très-différent dans les différens animaux ; car ceux qui ont les yeux fort éloignés l'un de l'autre & placés aux côtés de la tête, comme les oiseaux, les poissons, les serpens, ne tournent que très-peu les yeux : au contraire ceux qui, comme l'homme, les ont devant, les tournent beaucoup davantage, & ils peuvent, sans remuer la tête, voir les choses qui sont à côté d'eux en y tournant les yeux. Cependant quoique le caméléon ait les yeux placés aux côtés de la tête, de même que les oiseaux, il ne laisse pas de les tourner de tous les côtés avec un mouvement plus manifeste qu'en aucun autre animal ; & ce qui est de plus particulier, c'est que contre l'ordinaire de tous les animaux qui tournent nécessairement les yeux d'un même côté, les tenant toujours à une même distance ; le caméléon les tourne d'une telle maniere, qu'en même-tems il regarde devant & derriere lui, & lorsqu'un oeil est levé vers le ciel, l'autre est baissé vers la terre. L'extrême défiance de cet animal peut être cause de cette action, de laquelle le lievre, animal aussi fort timide, a quelque chose, mais elle n'est pas remarquable comme dans le caméléon.

La figure du crystallin est différente dans les animaux. On remarque qu'elle est toujours sphérique aux poissons, & lenticulaire aux autres animaux ; cette différence vient de la différente nature du milieu de leur vûe ; car à l'égard des poissons, tout ce qui sert de milieu à leur vûe depuis l'objet jusqu'au crystallin est aqueux, savoir l'eau dans laquelle ils sont, & l'humeur aqueuse de l'oeil qui est au-devant du crystallin. Mais dans les autres animaux, ce milieu est composé de l'air & de l'eau de leur oeil, laquelle commence la réfraction que le crystallin acheve avec l'humeur vitrée : c'est pourquoi il a fallu que le crystallin des poissons fût sphérique, ayant besoin d'une réfraction plus forte, puisqu'il doit suppléer celle qui se fait aux autres animaux dans l'humeur aqueuse ; elle n'est pas capable de faire de réfraction dans les poissons, parce qu'elle est de même nature que celle du milieu. C'est aussi par cette raison que dans les animaux qui vont dans l'eau & sur la terre, comme le veau marin, le cormoran, & les autres poissons qui plongent, le crystallin a une figure moyenne entre la sphérique & la lenticulaire.

La couleur des yeux est toujours pareille aux animaux, chacun de leur espece ; elle ne se trouve différente que dans l'homme & dans le cheval ; dans quelques-uns de ces animaux, la couleur brune, qui est ordinaire à leur espece, se trouve bleue, mais la diversité des couleurs dans l'oeil de l'homme est bien grande, car ils sont noirs, roux, gris, bleus, verds, selon les pays, les âges, les tempéramens. Les passions même ont le pouvoir de les changer, & souvent le gris terne qu'ils ont dans la tristesse se change à un beau bleu ou un brun vif dans la joie.

L'ouverture des paupieres est tantôt plus, tantôt moins ronde dans des animaux différens : elle est plus parfaitement ronde dans la plûpart des poissons ; aux autres animaux, elle forme des angles qui sont presque d'une même hauteur, & comme dans une même ligne à l'homme & à l'autruche : aux autres animaux, les coins de vers le nez sont beaucoup plus bas, mais principalement dans le cormoran, dont les yeux ont une obliquité extraordinaire.

Dans l'oeil de l'homme, les paupieres laissent voir plus de blanc qu'en aucun autre animal. Il y en a, comme le caméléon, qui n'en laissent jamais rien voir du tout, à cause que la paupiere unique qu'il a & qui couvre presque tout son oeil, lui est tellement adhérente, qu'elle suit toujours son mouvement.

Le poisson appellé l'ange, a l'oeil fait avec une méchanique particuliere, & très-propre à rendre ses mouvemens extraordinairement prompts : elle consiste en ce que l'oeil est articulé sur un genou qui est un long stilet osseux qui pose par un bout sur le fond de l'orbite, & par l'autre élargi & applati soutient le fond du globe de l'oeil, qui est osseux en cet endroit. L'effet de cette articulation est que l'oeil étant ainsi affermi, il arrive que pour peu qu'un des muscles tire d'un côté, il y fait tourner l'oeil bien plus promptement étant posé sur le stilet qui n'obéit point, que s'il étoit posé sur des membranes & sur de la graisse, comme à tous les autres animaux.

Il faut à present dire un mot de l'oeil des oiseaux en particulier.

Dans l'homme & les animaux à quatre piés, le muscle qu'on nomme le grand oblique, passe, comme on sait, par un cartilage, qu'on appelle trochlée, qui lui sert de poulie. Mais M. Petit n'a jamais trouvé ce cartilage dans aucun des oiseaux & des poissons qu'il a disséqués. Il faut encore remarquer que dans les oiseaux le petit oblique ou l'oblique inférieur est plus long, plus large & plus épais que le grand oblique, ce qui n'est pas de même dans l'homme & les animaux à quatre piés.

On ne peut appercevoir de mouvement dans le globe de l'oeil des oiseaux. Le même M. Petit a fait passer & repasser des objets devant leurs yeux, il les a touchés avec un stilet, ces moyens n'ont produit aucun effet ; il n'a vû de mouvement que dans les paupieres, & n'a remarqué aucune fibre charnue que dans la paupiere inférieure. Il croyoit d'abord que le nerf optique étant très-court dans les oiseaux, ne pouvoit se prêter au mouvement de l'oeil, mais ayant appuyé le doigt sur le bord externe de la sclérotique, le globe de l'oeil a roulé avec facilité dans tous les endroits du contour où il appuyoit le doigt.

Les oiseaux sont doués d'une excellente vûe, à cause que leur vol les éloigne ordinairement des objets qu'ils ont intérêt de connoître. Mais en outre, ils ont sous les paupieres une membrane attachée à côté du crystallin, & qui est encore plus noire que l'uvée. Cette membrane est de figure rhomboïde & non pas triangulaire, comme MM. Perrault, de la Hire & Hovius l'ont cru ; elle n'a aucune cavité, elle est formée par des fibres paralleles qui tirent leur origine du nerf optique & de la choroïde. La demoiselle de Numidie (qui est, je crois, le célebre Otus des anciens) n'a point cette membrane clignante, mais elle a l'uvée d'une noirceur extraordinaire.

Cette membrane clignante (en latin periophthalmium) des oiseaux & de quelques quadrupedes sert à nettoyer la cornée qui pourroit perdre sa faculté transparente en se séchant. Il faut savoir que dans les oiseaux le canal lacrymal pénetre jusques à la moitié de la paupiere interne, & est ouvert pardessous au-dessus de l'oeil pour humecter la cornée, ce qui arrive lorsque cette paupiere passe & repasse sur elle. L'artifice dont la nature se sert pour étendre & retirer cette membrane clignante, a été expliqué fort au - long dans le Recueil de l'académie des Sciences, année 1693. J'y renvoye le lecteur, ainsi que, pour le crystallin des oiseaux, au mémoire de M. Petit, qui se trouve dans le Recueil de la même académie, année 1730.

La structure de l'oeil des oiseaux & des poissons est proportionnée aux différens milieux où ils vivent, & les met en état de se prêter aux convergences & divergences des rayons qui en résultent. La choroïde dans les oiseaux a un certain ouvrage dentelé placé sur le nerf optique. La partie antérieure de la sclérotique est dure comme de la corne ; la postérieure est mince & fléxible, avec des cordelettes, par le moyen desquelles la cornée & la partie postérieure se conforment à tout le globe de l'oeil.

Le grand but de tout cet appareil est vraisemblablement, 1° afin que les oiseaux puissent voir à toutes sortes de distances, de près aussi-bien que de loin ; 2°. pour les disposer à conformer leurs yeux aux différentes réfractions du milieu où ils sont, car l'air varie dans ses réfractions, selon qu'il est plus ou moins rare, plus ou moins comprimé, comme Hawksbée l'a prouvé par ses expériences. (D.J.)

OEIL POSTICHE, (Chirur.) on a inventé les yeux postiches ou artificiels, pour cacher la difformité que cause la perte des véritables. On les fait aujourd'hui avec des lames d'or, d'argent ou de verre, qu'on émaille de maniere qu'ils imitent parfaitement les yeux naturels. Ils tiennent d'autant mieux dans les orbites qu'ils égalent davantage le volume de ceux qu'on a perdus. Il est bon de les nettoyer souvent, pour empêcher que les ordures qui s'y attachent ne les fassent reconnoître, & même d'en avoir plusieurs pour remplacer ceux qui peuvent se perdre, se rompre ou s'altérer. Le malade doit les ôter lorsqu'il va se coucher, les nettoyer & les remettre le matin à son lever. Mais pour qu'on puisse les ôter & les remettre sans que rien ne paroisse, il faut que le chirurgien qui fait l'opération, retranche autant de l'oeil malade qu'il est nécessaire pour faire place à l'artificiel.

L'oeil postiche exécute d'autant mieux les mouvemens que lui impriment les muscles qui restent, qu'il est mieux adapté aux paupieres. C'est ce qui fait qu'on ne doit retrancher de l'oeil malade que ce qu'il y a d'absolument superflu, à-moins qu'un skirrhe ou un cancer n'oblige à l'extirper totalement ; & dans ce cas, l'oeil artificiel n'a d'autre mouvement que celui qu'il reçoit des paupieres.

On remarque qu'un oeil artificiel irrite souvent les parties, & occasionne des inflammations, des fluxions & autres maladies semblables, sur-tout lorsqu'il est mal fait, de maniere qu'il enflamme & affoiblit quelquefois celui qui est sain. Dans ce cas, le malade doit en chercher un autre qui lui convienne mieux, ou même s'en passer tout-à-fait, plutôt que de s'exposer à perdre l'oeil qui lui reste. Voyez plus bas OEIL ARTIFICIEL. Heister. (D.J.)

OEIL, maladies de cet organe, il n'y a point de partie dans le corps humain sujette à autant de maladies que l'oeil. La structure particuliere de cet organe, & la nature des parties tant solides que fluides qui le composent, peuvent être viciées de différentes manieres qui n'ont que des rapports éloignés, avec les affections contre nature des autres parties du corps. Quoiqu'on soit peu propre à traiter méthodiquement les maladies de l'oeil lorsqu'on n'a point les connoissances lumineuses qui doivent conduire dans le traitement de toutes les maladies, comme nous l'avons observé au mot OCULISTE ; il faut néanmoins convenir que la pathologie des yeux mérite une attention spéciale, & que les méthodes curatives doivent être dirigées sur les principes particuliers que fournit l'étiologie particuliere de chaque maladie.

Les parties extérieures de l'oeil qui ne constituent pas le globe, ont leurs maladies connues assez souvent sous différens noms qui leur sont propres. Les paupieres sont sujettes à des fluxions & inflammations, comme toutes les autres parties du corps. Elles peuvent être réunies par vice de conformation ou accidentellement contre l'ordre naturel. Les paupieres sont éraillées par la section ou l'érosion de leur commissure. Voyez ECTROPION & LAGOPHTHALMIE. Les cils éprouvent la chûte & le dérangement. Quand ils entrent dans l'oeil & en piquent le globe, cette maladie se nomme trichiase, voyez ce mot. Quelquefois il y en a un double rang. Il survient des ulceres prurigineux le long des bords des paupieres. Voyez PSOROPHTHALMIE. Les paupieres peuvent être attaquées de varices, de verrues, de cancers qu'il faut extirper, de tumeurs enkystées, de concrétions lymphatiques dures comme des pierres. Voyez ORGEOLET, &c. L'abscès du grand angle de l'oeil est une maladie particuliere, voyez ANCHILOPS. Les larmes retenues par l'obstruction du conduit nasal causent une tumeur au grand angle, qui finit par s'ulcerer, voyez AEGILOPS, & produire une fistule lacrymale. Voyez ce mot à l'article FISTULE. Il survient au grand angle de l'oeil des excroissances. Voyez ENCANTHIS.

Les graisses qui entourent le globe de l'oeil & qui remplissent le vuide qu'il laisse dans l'orbite, sont susceptibles d'un engorgement qui chasse l'oeil sur la joue. Voyez EXOPHTHALMIE ; maladie qu'on a confondue souvent avec la dilatation du globe. Voyez HYDROPHTHALMIE.

Les muscles de l'oeil & les nerfs dont ils tirent la puissance motrice, ont leurs maladies particulieres. Ces organes sont affectés dans les yeux louches. Voyez STRABISME.

La conjonctive est fort souvent attaquée d'inflammation. Voyez OPHTHALMIE. Dans les ophthalmies invétérées, les vaisseaux restent variqueux. Voyez VARICES. Cette membrane est sujette au gonflement oedémateux. Voyez OEDEMATEUX. Il y survient des ulceres. Voyez STAPHYLOME.

La cornée perd sa transparence par des pustules, des cicatrices, des engorgemens lymphatiques. Voyez TAYE, LEUCOMA, ALBUGO. La cornée s'abscède. Voyez HYPOPYON. Les ulceres restent fistuleux, il se forme sur la cornée une excroissance charnue. Voyez ONGLE & PTERYGION.

Le globe de l'oeil peut être blessé & ouvert par des instrumens piquans, tranchans & contondans. Voyez PLAIES DES YEUX à l'article PLAIE. Il augmente de volume par la plénitude excessive que cause la surabondance des humeurs qu'il contient. Voyez HYDROPHTHALMIE. Il souffre atrophie & diminution, le nerf optique devient paralytique. Voyez GOUTTE SEREINE. La prunelle se dilate par cette cause, ou par le gonflement du corps vitré, ce qu'il ne faut pas confondre : le corps vitré perd sa transparence, voyez GLAUCOME, & le crystallin devient opaque, voyez CATARACTE, & la nouvelle méthode de guérir cette maladie par l'extraction du cristallin, au mot EXTRACTION. La totalité du globe de l'oeil forme quelquefois un cancer, maladie qui requiert absolument l'extirpation complete de cet organe : cette opération, dont les auteurs ont parlé trop superficiellement jusqu'ici, fera le sujet de l'article qui suit. (Y)

OEIL, extirpation de l'oeil, opération de chirurgie. Les auteurs dogmatiques qui se sont acquis la plus grande réputation sur les maladies de l'oeil, sont en défaut sur l'exposition des cas qui exigent l'extirpation. On ne doit pas la tenter dans l'exophthalmie qui vient de cause interne, ni même, dans ce qu'on appelle l'oeil hors de la tête, à l'occasion de coups reçus sur l'orbite, à moins que la nécessité de l'extirpation ne soit bien expressément marquée. Covillard, dans ses observations jatro-chirurgiques, dit s'être opposé à ce qu'un chirurgien coupât avec des ciseaux l'oeil pendant sur la joue, séparé de l'orbite par un coup de bâton de raquette ; & qu'ayant remis l'oeil à sa place le plus proprement & promptement qu'il lui fut possible, il continua ses soins & guérit le blessé, sans aucune altération ou diminution de la vue.

Un fait aussi intéressant dans la chirurgie des yeux, mériteroit d'être examiné avec une scrupuleuse attention. Antoine Maître-Jan ne craint point de dire qu'il est faux & exagéré. Ses raisonnemens ne peuvent prévaloir contre l'expérience. Lamzwerde, médecin de Cologne, rapporte un cas semblable. Spigélius, ce fameux anatomiste, qu'on ne soupçonne pas de s'être laissé tromper par les apparences, voulant prouver que les nerfs sont des parties lâches, susceptibles d'être fort étendues, prend le nerf optique pour exemple, & donne le récit d'une blessure faite à un enfant par un coup de pierre, qui lui avoit fait sortir l'oeil de l'orbite, au point qu'il pendoit jusqu'au milieu du nez. Un habile chirurgien prit soin de cet enfant ; l'oeil se rétablit peu-à-peu, & si bien, qu'il n'en est resté aucune difformité. Guillemeau admet la possibilité de la réduction de l'oeil qui a été poussé hors de l'orbite par une cause violente.

On sent assez que ces principes doivent paroître absurdes à ceux qui prendroient le terme de réduction à la lettre, comme si la chûte de l'oeil étoit simplement une maladie par situation viciée, pour me servir de l'expression des anciens pathologistes, & qu'on parlât de le remettre comme on réduit une luxation. Il est néanmoins certain que les anciens replaçoient l'oeil, & comptoient beaucoup sur une compression violente par le moyen d'un bandage convenable pour le soutenir & favoriser sa réunion.

Ceux qui, à l'exemple de Maître-Jan, n'admettent dans ces faits que ce qu'ils y entrevoient de vraisemblable, auroient peut-être moins douté des principales circonstances qu'on y détaille, s'ils eussent connu bien précisément la disposition relative de l'oeil & de l'orbite dans l'état naturel. Le plan du bord de chaque orbite est oblique, & se trouve plus reculé, ou plus en arriere vers la tempe que vers le nez. Le globe de l'oeil est fixé du côté du nez, & déborde antérieurement le plan de l'orbite. Il est donc manifeste, par la seule inspection, que le globe de l'oeil dans l'état naturel, est en partie hors de l'orbite. Si l'on considere ensuite que le nerf optique est fort lâche, pour suivre avec aisance tous les mouvemens que le globe fait autour de son centre par l'action de ses différens muscles, on n'aura pas de peine à concevoir, qu'au moindre gonflement, l'oeil ne puisse saillir d'une maniere extraordinaire, & qu'il ne faut pas un si grand désordre qu'on pourroit se l'imaginer, pour le faire paroître tout-à-fait hors de l'orbite, sans que le nerf optique soit rompu ou déchiré. Il y auroit donc une grande impéritie de se décider trop précipitamment à faire l'extirpation du globe de l'oeil dans le cas où on le croit tout-à-fait détaché de l'orbite, & comme pendant sur la joue.

Le cancer de l'oeil est une maladie très-formidable par sa nature, & par la difficulté d'user des secours applicables en toute autre partie. De grands chirurgiens ont surmonté ces obstacles ; ils nous ont laissé dans leurs ouvrages, les exemples de leur savoir & de leur habileté dans ces cas épineux. Je vais exposer la doctrine des autres sur l'extirpation de l'oeil, en suivant l'ordre des tems. C'est surtout dans un Dictionnaire encyclopédique qu'on doit placer l'histoire des arts : elle est toujours intéressante ; par elle on rassemble les traits de lumiere qui ont éclairé chaque âge, & l'on dissipe les ténebres, qui, de tems à autre, ont obscurci les meilleures idées. On n'est pas obligé de remonter fort loin pour trouver les premieres notions de l'opération dont il s'agit ; & contre la marche naturelle des arts & des sciences qui vont ordinairement d'un pas plus ou moins rapide vers leur perfection, on voit que ceux à qui nous sommes redevables des premiers détails, ont travaillé plus utilement qu'aucun de leurs successeurs. De-là la nécessité d'étudier les anciens, & de ne pas ignorer leurs découvertes & leurs observations.

C'est dans un traité allemand sur les maladies des yeux, publié à Dresde en 1583, par George Bartisch, qu'on trouve la premiere époque de la pratique d'extirper l'oeil. L'auteur a orné son ouvrage de beaucoup de figures, & y a fait représenter plusieurs maladies qui exigent cette opération. Il propose un instrument en forme de cuillier, tranchante à son bec, pour cerner l'oeil, & le tirer de l'orbite. Treize ans après la publication de cet ouvrage, Fabrice de Hildan eut occasion d'extirper un oeil ; il fit construire l'instrument de Bartisch, & en fit l'essai sur deux animaux. Il reconnut que son usage étoit incommode & dangereux ; qu'il étoit trop large pour pouvoir être porté jusque dans le fond de l'orbite, & y couper le nerf optique, avec les muscles qui y sont implantés : qu'ainsi il faudroit laisser la moitié du mal, ou fracturer les parois de l'orbite, en poussant l'instrument avec violence dans le fond de cette cavité, pour l'extirpation radicale. Fabrice de Hildan imagina un autre instrument, dont il s'est servi avec grand succès. C'est un bistouri, mousse à son extrêmité comme le couteau lenticulaire, de crainte d'offenser les parois de l'orbite. Le tranchant est en-dedans ; la tige qui le porte est un peu courbe, ni plus ni moins, dit l'auteur, que sont les couteaux dont on se sert pour creuser les cuillieres de bois. Il en avoit fait le modele en plomb, en prenant les dimensions nécessaires sur une tête de squelete.

Pour se servir de cet instrument, après avoir mis le malade en situation sur une chaise, Fabrice de Hildan prit tout ce qu'il put saisir de l'excroissance cancereuse de l'oeil dans une bourse de cuir, dont les cordons furent serrés sur la tumeur, afin de pouvoir la tirer un peu en-dehors, & faciliter l'opération. Cette méthode est préférable aux anses de fil, qu'on forme par deux points d'aiguille donnés crucialement, parce que les humeurs contenues dans la tumeur qu'on veut extirper, venant à s'écouler, les membranes s'affaissoient, la tumeur devient flasque, & l'opération plus difficile. L'excroissance saisie dans la bourse, l'opérateur fit une incision à la conjonctive pour couper les attaches de la tumeur avec les paupieres. Il porta alors dans le fond de l'orbite l'instrument que je viens de décrire, avec lequel il coupa derriere le globe de l'oeil le nerf optique & les muscles qui l'entourent, à leur origine. L'opération ne fut ni longue ni douloureuse ; & le malade pansé avec des remedes balsamiques, fut guéri en peu de tems.

Tulpius qui n'ignoroit pas le succès de cette opération, laissa mourir une fille d'un cancer à l'oeil, par l'omission de ce secours. Dans le même tems, les fastes de l'art nous montrent une autre personne qui est la victime d'une opération pratiquée d'une maniere cruelle. Bartholin, dans les histoires anatomiques, fait mention d'un homme à qui on arracha l'oeil carcinomateux avec des tenailles, & qui en mourut le quatrieme jour.

On lit dans la collection posthume des observations médico-chirurgicales de Job à Meckréen, qu'il a fait l'extirpation de l'oeil à Amsterdam à une fille de dix-huit ans. L'instrument qu'on a fait graver est précisément la cuilliere tranchante de Bartisch. Voilà un instrument défectueux qui se trouve entre les mains d'un très-habile homme, cent ans ou environ après avoir été inventé, quoiqu'il eût été proscrit presqu'aussi-tôt par la censure de Fabrice de Hildan ; censure que Job à Meckréen devoit connoître, puisqu'il cite cet auteur en plusieurs occasions.

Bidloo rapporte quatre observations sur l'heureuse extirpation du globe de l'oeil. Il se servit d'un bistouri droit qui faisoit angle avec le manche. Son procédé n'a pas été méthodique ; car il a été obligé d'employer à différentes reprises le bistouri & des ciseaux. Quoi qu'il en soit, il a guéri ses malades, & la réussite est un argument en faveur de l'opération.

Jusqu'ici nous n'avons pu citer que des étrangers. Je n'ai rien trouvé sur l'extirpation de l'oeil dans les écrits de nos compatriotes avant Lavauguyon. Ce médecin, dans un traité d'opération de chirurgie, imprimé en 1696, recommande l'extirpation de l'oeil cancereux, en se contentant de dire qu'il faut le disséquer avec une lancette. Un autre médecin, dans une pathologie de chirurgie regarde comme incurable le cancer de l'oeil ; il ne conseille que la cure palliative. Il cite l'opération pratiquée par Fabrice de Hildan, en disant qu'elle est trop délicate, pour qu'on l'entreprenne sans de grandes précautions. Un chirurgien a commenté ce texte de Verduc, & il dit qu'il faut que l'opérateur, pour entreprendre une telle affaire, y soit comme forcé par instances réitérées du malade & des assistans, à cause de l'incertitude du succès d'une cure presqu'absolument déplorée. Nous reconnoissons là le langage d'un chirurgien timide, qui n'a aucune expérience personnelle, & qui a négligé de s'instruire par celle des autres. Antoine Maître Jan, dont le traité sur les maladies de l'oeil a joui jusqu'ici d'une estime générale, proscrit l'extirpation de l'oeil, ou plutôt il se contente de prescrire quelques remedes palliatifs, pour éloigner autant qu'il est possible les suites funestes du cancer de l'oeil.

Parmi les auteurs françois, il n'y a que Saint-Yves, qui soit entré dans quelques détails très-succincts, sur la pratique de cette opération. Il passoit, au moyen d'une aiguille, une soie à-travers le globe pour le soulever pendant l'extirpation ; il ne décrit point le procédé qu'il suivoit, & il se borne à dire, que les malades sont guéris en peu de tems.

Heister, attentif à recueillir toutes les méthodes qui sont venues à sa connoissance pendant quarante années d'une application continuelle, est fort court sur l'extirpation de l'oeil. En admettant la necessité de cette opération, il prétend qu'il ne faut pas d'autre instrument pour la faire, qu'un bistouri droit ordinaire. L'experience & la raison ne sont pas favorables à une assertion aussi hasardée.

On voit par cet exposé, qu'on n'a point encore de regles précises sur le manuel d'une opération, dont la necessité & l'utilité ne peuvent être équivoques. Fabrice de Hildan est le seul qui ait décrit son procedé avec quelque attention : il n'a point eu d'imitateur ; le silence, la négligence ou la timidité des auteurs modernes sur ce point sont difficiles à concevoir. La perte infaillible des malades à qui l'on ne fera point cette opération, les cures heureuses qu'on lui doit, devoient animer les praticiens à la perfectionner & à la rendre aussi simple & facile qu'elle est avantageuse. Consulté plusieurs fois dans des cas qui exigeoient cette opération, je me suis fait une méthode que la structure de l'oeil, ses attaches & ses rapports avec les parties circonvoisines m'ont fait concevoir comme la plus convenable ; elle a eu l'approbation de l'académie royale de Chirurgie, & plusieurs personnes l'ont pratiquée depuis moi avec succès.

Il faut d'abord inciser les attaches de l'oeil avec les paupieres, comme Hildanus l'a fort bien remarqué. Il ne faut pas d'instrument particulier pour cela : mais cette incision peut être faite avec plus ou moins de méthode. Inférieurement, il suffit de couper dans l'angle ou repli que font la conjonctive & la membrane interne de la paupiere ; on doit penser en même-tems à l'attache fixe du muscle petit oblique, sur le bord inférieur de l'orbite du côté du grand angle : supérieurement il faut diriger la pointe de l'instrument pour couper le muscle releveur de la paupiere supérieure avec la membrane qui le double ; & en faisant glisser un peu le bistouri de haut en bas du côté de l'angle interne, on coupera le tendon du grand oblique. Dès-lors l'oeil ne tient plus à la circonférence antérieure de l'orbite : il ne s'agit plus que de couper dans le fond de cette cavité le nerf optique & les muscles qui l'environnent : cela se fera d'un seul coup de ciseaux appropriés à cette section ; les lames en sont courbes du côté du plat. Il paroît assez indifférent de quel côté on porte la pointe des ciseaux dans le fond de l'orbite. Dans l'état naturel, l'obliquité du plan de l'orbite, & la situation de l'oeil près de la paroi interne, prescrivent de pénetrer dans l'orbite du côté du petit angle, en portant la concavité des lames sur la partie laterale externe du globe ; mais comme la protubérance de l'oeil & sa tumefaction contre nature ne gardent aucunes mesures, & que les végétations fongueuses se font vers les endroits où il y a naturellement le moins de résistance ; c'est le côté du petit angle qui se trouve ordinairement le plus embarrassé. Il sera donc au choix du Chirurgien d'entrer dans l'orbite avec ses ciseaux courbes, du côté qui lui paroîtra le plus commode. Les muscles & le nerf optique étant coupés, les ciseaux fermés servent comme d'une curete pour soulever l'oeil en-dehors ; c'est ce que Bartisch prétendoit faire avec sa cuillier tranchante. L'opération est fort simple de la façon dont je viens de la décrire ; & l'on sent assez qu'ayant pris de la main gauche l'oeil, qui tient encore par des graisses mollasses & extensibles, il faut les couper avec des ciseaux qu'on a dans la droite.

L'extirpation de l'oeil avec tout autre instrument n'est reglée par aucun précepte ; on fait abstraction de tout ordre opératoire relatif à la situation & à l'attache des parties. Au contraire, dans l'opération que je recommande, chaque mouvement de la main est dirigé par les connoissances anatomiques ; il n'y en a aucun qui n'ait un effet déterminé. L'opération se fait promptement & avec précision, chaque procedé est raisonné & va directement au but que l'opérateur se propose ; enfin, il y a une méthode, & l'on n'en voit point dans l'opération pratiquée avec le bistouri seulement.

Si la glande lacrymale étoit engorgée, il faudroit la détacher de sa fosse particuliere avec la pointe des ciseaux courbes ; après que l'oeil seroit extirpé, ainsi que toutes les duretés skirrheuses qui pourroient être restées dans l'orbite. Cette attention tient aux préceptes généraux de l'extirpation des tumeurs cancéreuses : les pansemens doivent être dessicatifs avec des substances balsamiques, afin de réprimer les graisses qui ont grande disposition à se boursouffler, parce que rien ne les contient, & qu'il faut conserver un vuide dans l'orbite pour placer un oeil artificiel. (Y)

OEIL ARTIFICIEL. La Chirurgie ne s'occupe pas seulement du rétablissement de la santé, elle détermine des moyens qui suppléent aux choses qui manquent. La connoissance de ces moyens est un point capital dans la Chirurgie, & la maniere de donner des secours aux parties qui manquent naturellement ou par accident, forme une classe générale des opérations, connue sous le nom de prothese. Voyez PROTHESE.

Le moyen dont nous parlons ici, n'est point curatif, & n'aide à aucune fonction. C'est un objet de pure décoration, sur la construction duquel le chirurgien doit donner ses conseils.

Les yeux artificiels peuvent être faits d'or, d'argent ou d'émail. Les yeux d'or ou d'argent doivent être peints ou émaillés de façon à imiter la couleur naturelle. L'inconvénient d'un oeil de métal est de gêner par son poids, & de procurer un écoulement d'humeur chassieuse fort incommode. L'oeil de verre ou d'émail est bien plus léger, & l'on n'en emploie point d'autres ; il y a des ouvriers à Paris qui les font en imitant si parfaitement les couleurs de l'oeil sain, qu'on ne s'apperçoit pas que celui qui porte un oeil artificiel, soit privé de l'un de ses yeux. Fabrice d'Aquapendente fait le même éloge des yeux de verre qu'on construisoit de son tems à Venise.

L'oeil artificiel doit être différemment configuré, suivant les cas où son application est nécessaire. Lorsqu'on a perdu les humeurs de l'oeil, à l'occasion d'une plaie, ou d'un abscès qu'il a fallu ouvrir, &c. les membranes qui composent le globe sont conservées ; il reste un globe informe, une espece de moignon qui fait les mêmes mouvemens que l'oeil sain par l'action des muscles. Dans ce cas l'oeil artificiel est un hémisphere allongé, dont la partie concave s'adapte sur le moignon de l'oeil. On est bientôt habitué à porter cette machine qu'on glisse très-facilement sous les paupieres ; on la porte tout le jour, & on l'ôte le soir pour la laver, & on la remet le matin. Cette précaution journaliere n'est pas indispensablement nécessaire ; mais la propreté l'exige autant que l'amour-propre. L'oeil artificiel crasseux est comme un vase de porcelaine mal nettoyé ; faute de soin, les moins clairvoyans s'appercevroient de l'artifice.

Si l'on a perdu le globe de l'oeil par extirpation, la cavité de l'orbite est plus ou moins remplie d'une chair vermeille dont les bourgeons ont été fournis par les graisses qui entouroient l'oeil extirpé. Dans ce cas, l'oeil artificiel doit avoir postérieurement une surface plus ou moins convexe ; ordinairement il lui faut à-peu-près la figure d'un noyau d'abricot ; mais si les choses étoient disposées de façon que rien ne pût tenir dans l'orbite, il y auroit encore une ressource pour éviter le desagrément d'être défiguré, faute de pouvoir faire usage d'un oeil artificiel. Ambroise Paré a prévû ce cas ; il fait porter l'oeil artificiel à l'extrêmité d'un fil de fer applati & couvert de ruban qui passera par-dessus l'oreille & autour de la moitié de la tête. Dans le cas où l'on auroit été obligé d'extirper les paupieres cancéreuses avec l'oeil, ou en conservant l'oeil sain, on pourroit, au lieu d'une lame d'acier élastique, porter un oeil garni de paupieres, ou seulement de paupieres artificielles. Le besoin suggérera tous les artifices capables de réparer les difformités.

OEIL SIMPLE, terme de Chirurgie, bandage contentif pour l'oeil. Voyez MONOCULE.

OEIL DOUBLE, terme de Chirurgie, bandage contentif pour les deux yeux. Pour faire ce bandage, après avoir appliqué sur les yeux les plumaceaux, compresses & autres pieces d'appareil nécessaires, on prend une bande de quatre à cinq aunes de long roulée à deux chefs. Le plat de la bande s'applique sur le front ; on conduit le globe qui est dans chaque main à la nuque où on les croise ; on les change de main, on revient de chaque côté par-dessous l'oreille, sur la joue ; on monte obliquement croiser la bande au-dessus de la racine du nez, en changeant encore les globes de main ; on conduit la bande de chaque côté sur les parties latérales de la tête, on va croiser à la nuque ; on revient en devant en faisant un doloire sur la joue, & on continue pour faire comme auparavant un troisieme doloire, & on finit la bande par des circulaires autour de la tête, qui affermissent & soutiennent les trous de bande qui ont passé obliquement sur les pariétaux & sur les joues pour couvrir les deux yeux. Voyez nos Pl. de Chirurgie. (Y)

OEIL DES INSECTES, L ', (Hist. nat. des Insectes) organe de la vûe des insectes. La plûpart des insectes ont la faculté de voir ; leurs yeux sont de forme très-différente : les uns ont le lustre & presque toute la rondeur des perles ; les autres sont hémisphériques, comme sont ceux des grillons sauvages ; & d'autres tiennent de la sphéroïde.

Ils n'ont pas tous la même couleur ; l'on voit plusieurs papillons qui ont les yeux blancs comme la neige ; ceux des araignées sont tout-à-fait noirs ; ceux des pucerons de noisettiers, sont couleur d'ambre jaune ; l'éclat de ceux des petites demoiselles, est semblable à celui de l'or ; ceux des sauterelles vertes, ont la couleur d'une émeraude ; ceux des pucerons de tilleul, sont comme du vermillon. Il y en a une autre espece qui les ont d'un rouge brun de jaspe : enfin, l'on en voit dont les yeux ont autant de feu & d'éclat, que ceux des chats pendant la nuit. La plupart perdent peu-à-peu après la mort, le brillant de ces couleurs ; elles en viennent même au point de se ternir totalement ; c'est ce qu'il est bon de savoir, afin qu'on ne se figure pas que les yeux des insectes vivans soient semblables aux yeux ternis des insectes morts que l'on trouve dans les cabinets.

Il n'est pas surprenant qu'ils se ternissent totalement ; la cornée des yeux des insectes est écailleuse & transparente comme le verre. Ce ne sont que les humeurs colorées qui se trouvent sous cette cornée, qui la font paroître avec les couleurs qu'on lui voit. Ces humeurs venant après la mort de l'insecte à se corrompre & à se sécher, changent de couleur, & donnent à tout l'oeil la couleur terne qu'elles ont prise.

Les yeux des insectes sont ordinairement placés au front sous les antennes : cette regle n'est cependant pas sans exception, puisqu'il y en a qui les ont derriere ces mêmes antennes. Chez les uns, ils avancent un peu hors de la tête ; c'est ainsi qu'ils sont dans les grillons des champs : chez les autres, ils sortent tellement de la tête, qu'on diroit qu'ils n'y tiennent que par une articulation ; c'est ce qu'on remarque dans les petites demoiselles aquatiques.

Le nombre des yeux n'est pas égal chez tous les insectes : la plûpart en ont deux ; mais il y en a aussi qui en ont cinq, comme l'abbé Catelan l'a observé dans les mouches. Ces yeux s'appellent ordinairement des yeux à réseau : M. Lyonnet les a toujours trouvés à toutes les especes d'insectes aîlés, mais rarement aux insectes qui n'avoient pas encore subi leur derniere transformation.

Les araignées ont ordinairement huit yeux, qui ne sont pas rangés chez toutes les especes dans le même ordre. Il en faut cependant excepter quelques araignées à longues jambes, dont les antennes ressemblent aux pattes d'écrevisses, qui n'ont que deux yeux. Il y a quelques insectes dont les yeux ressemblent à deux demi-globes, élevés sur les deux côtés de la tête, & l'on apperçoit dans ces yeux une infinité de petits hexagones de la figure des alveoles des abeilles. Dans chacun de ces hexagones, il y a des cercles en forme de lentilles, qui sont tout autant d'yeux, dont le nombre par - là devient presqu'innombrable. Par ce moyen, ces insectes jouissent, non-seulement des avantages de la vûe, mais il y a apparence, qu'ils l'ont plus claire & plus forte que les autres animaux : cela étoit sans doute nécessaire à cause de la rapidité de leur vol, & de la nécessité où ils sont de chercher leur nourriture de côté & d'autre en volant.

Les yeux des insectes ne sont, ni environnés d'os, ni garnis de sourcils, pour les garantir des accidens extérieurs ; mais en échange la tunique extérieure, qu'on nomme cornée, est assez dure pour mettre leurs yeux hors des dangers qu'ils auroient à craindre sans cela. Aristote en a fait la remarque. L. II. de partib. anim. c. xiij.

Il résulte assez de ce détail, que les yeux des insectes sont des morceaux surprenans de méchanisme ; mais leur structure & leur disposition ne nous auroient jamais été connues, sans le secours du microscope : il nous fait voir que les escarbots, les abeilles, les guèpes, les fourmis, les mouches, les papillons & plusieurs autres insectes, ont deux bourrelets immuables, qui forment la plus grande partie de leur tête & renferment un nombre prodigieux de petits hémispheres ronds, placés avec une extrême régularité en lignes qui se croisent & qui ressemblent à des filets.

C'est un amas de plusieurs yeux, si parfaitement unis & polis, que comme autant de miroirs, ils réfléchissent les images de tous les objets extérieurs. On peut voir à leur surface l'image d'une chandelle, multipliée presque une infinité de fois, changeant la direction de ses rayons vers chaque oeil, selon le mouvement que lui donne la main de l'observateur. Tous ces petits hémispheres sont des yeux réels, qui ont chacun au milieu une petite lentille transparente, une prunelle par où les objets paroissent renversés comme par un verre convexe ; ils forment aussi un petit telescope, lorsqu'on les place à la distance précise du foyer qui leur est commun avec la lentille du microscope. Il y a lieu de croire que chacune de ces petites lentilles répond à une branche distincte des nerfs optiques, & que les objets n'y paroissent qu'un à un, tout comme nous ne voyons pas un objet double, quoique nous ayons deux yeux.

Tous ceux qui ont un microscope, se sont amusés à considerer ces petits yeux ; mais il y en a peut-être peu qui en ayent consideré la nature ou le nombre. M. Hook a trouvé quatorze mille hémispheres dans les deux yeux d'un bourdon, c'est-à-dire, sept mille dans chacun. M. Leuwenhoeck en a compté six mille deux cent trente-six dans les deux yeux d'un vers à soie, lorsqu'il est dans l'état de mouche ; trois mille cent quatre-vingt-un dans chaque oeil de l'escarbot ; & huit mille dans les deux yeux d'une mouche ordinaire. Mais la mouche-dragon est encore plus remarquable par la grandeur & la finesse de ses yeux à réseau. Voyez MOUCHE-DRAGON.

Si l'on coupe l'oeil d'une mouche - dragon, d'un bourdon, d'une mouche commune ; qu'avec un pinceau & un peu d'eau claire on en ôte tous les vaisseaux ; qu'on examine ces vaisseaux au microscope, leur nombre paroîtra prodigieux. M. Leeuwenhoek ayant préparé un oeil de cette maniere, le plaça un peu plus loin de son microscope qu'il ne faisoit, lorsqu'il vouloit examiner un objet ; ensorte qu'il sit concourir le foyer de sa lentille avec le foyer antérieur de cet oeil ; alors regardant à-travers ces deux lentilles qui formoient un telescope, le clocher d'une église qui avoit 300 piés de hauteur, & à la distance de 750 piés, lui parut à-travers de chaque petite lentille renversé, mais pas plus grand que la pointe d'une aiguille fine ; ensuite dirigeant sa vûe vers une maison voisine à-travers ce grand nombre de petits hémispheres, il vit non-seulement le devant de la maison, mais encore les portes & les fenêtres ; & il fut en état de distinguer si les fenêtres étoient ouvertes ou fermées.

On ne peut pas douter que les poux, les mites & plusieurs autres animaux encore plus petits, n'ayent des yeux façonnés de maniere à distinguer des objets quelques milliers de fois plus petits qu'ils ne sont eux-mêmes ; car les petites particules qui les nourrissent, & plusieurs autres choses qu'il leur importe de distinguer, doivent certainement être de cette petitesse. Combien donc leurs yeux ne doivent-ils pas grossir les objets ; & quelle découverte ne feroit-on pas, s'il étoit possible d'avoir des lentilles de cette force, pour découvrir par leur moyen ce que ces petits animaux découvrent clairement.

Jean-Baptiste Hodierna a fait un examen très-curieux des yeux des insectes dans son traité italien : l'occhio della mosca, o discorso fisico intorno all anatomia del occhio di tutti gli animali annulosi detti Jasetti, recentemente scoverta. Panormi 1644.

On peut voir aussi de belles observations curieuses sur les yeux des insectes, par l'abbé Catelan dans le journal des Savans, 1680 & 1681, &c. (D.J.)

OEIL, (Critiq. sacrée) dans le langage de l'Ecriture, l'oeil mauvais, oculus nequam, , signifie l'envie & l'avarice, an oculus tuus nequam est, quia ego sum bonus ? Matth. xx. 15. Marc, vij. 22. Luc, xj. 24. Etes-vous envieux de ce que je suis bon ? Oculus malus ad mala, l'homme avare ne tend qu'au mal, Eccl. xiv. 10. L'oeil simple, , l'oeil bon, marque au contraire la libéralité, l'inclination à la bénéficence, vir boni oculi, une ame liberale, Prov. Mettre ses yeux sur quelqu'un, indique quelquefois la colere ; ponam oculos meos super eos, souvent aussi ces mots désignent les bienfaits ; oculi ejus super gentes respiciunt, Ps. 65. 7. Joseph dit à ses freres de lui amener Benjamin, afin qu'il mette les yeux sur lui, c'est-à-dire, qu'il veut lui faire du bien. Oculo coeco esse dans Job. xxix. 15. c'est une expression qui signifie généralement prendre soin des affligés & les secourir dans leurs besoins. Eruere oculos alterius, Num. vj. 14. se dit métaphoriquement de ceux avec qui on traite comme avec des aveugles. Josephus ponet manus suas super oculos tuos, Genes. xlvj. 4. Joseph vous fermera les yeux à votre mort ; cérémonie en usage chez les anciens. Ad oculum servire, Colos. iij. 22. servir à l'oeil, c'est ne servir un maître avec soin que quand on en est vû. La hauteur des yeux désigne l'orgueil, Eccles. xxiij. 5. Enfin, oculi pleni adulterii, oculi fornicantes, & autres façons de parler semblables de l'Ecriture, viennent de ce que les yeux sont les organes des passions. (D.J.)

OEIL ARTIFICIEL, (Optiq.) cette machine qu'on peut voir, Pl. d'Optique, fig. 9. n°. 2. est une espece de petit globe, à-peu-près comme celui de l'oeil, & traversé dans sa longueur par un tuyau F C qui est garni d'un verre lenticulaire à son extrêmité F. A l'autre extrêmité C est adapté un papier huilé, qu'on place à-peu-près au foyer du verre, & sur lequel viennent se peindre dans l'obscurité les images renversées des objets extérieurs ; cet oeil artificiel est une espece de chambre obscure. Voyez CHAMBRE OBSCURE, & il représente la maniere dont les images des objets extérieurs se peignent au fond de l'oeil, qui est lui-même une chambre obscure naturelle. Voyez VISION. (O)

OEIL, s. m. (Botan. & Jardin.) est un petit point rond qui vient le long des branches des arbres d'où sortent les jeunes pousses, qui produisent les fleurs & les fruits ; il n'y a de différence entre oeil & bourgeon, qu'en ce que l'oeil demeure long-tems en repos jusqu'à l'arrivée de la sève, au lieu qu'alors le bourgeon s'enfle & se manifeste ; desorte qu'on peut dire qu'il est un oeil animé.

On appelle oeil rond, celui qui est enflé & propre à former une branche à fruit.

Oeil plat est celui qui ne donne que du bois ; on dit encore oeil poussant, oeil dormant.

Le premier est employé quand on greffe, dans la pousse ou dans le tems de la sève.

Le second veut dire qu'on greffe entre les deux sèves, tems où les yeux ne sont point animés. (K)

OEIL DE BOEUF, s. m. (Hist. nat. Bot.) buphthalmum, genre de plante à fleur radiée, dont le disque est composé de plusieurs fleurons, séparés les uns des autres par une feuille pliée en gouttiere ; la couronne de cette fleur est composée de demi-fleurons, placés sur des embryons, & soutenus par un calice formé de plusieurs feuilles disposées en écailles. Lorsque la fleur est passée, les embryons deviennent des semences qui sont le plus souvent menues & anguleuses. Ajoutez aux caracteres de ce genre, le port entier de la plante. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.

OEIL, (Conchyl.) terme d'usage en parlant du centre de la volute d'une coquille. (D.J.)

OEIL DE BOUC, nom que l'on a donné à une espece de patelle ou de lepas. Voyez LEPAS & COQUILLE.

La coquille de ce poisson, dit Tournefort, dans son voyage du levant, est un bassin d'une seule piece, d'environ un pouce ou deux de diamêtre, presque ovale, haut de huit ou neuf lignes, retréci en pavillon d'entonnoir, terminé en pointe, rempli par un poisson qui présente d'abord un grand muscle pectoral gris-brun, roussâtre sur les bords, & légerement ondé. La surface de ce muscle se remue de telle sorte, qu'on s'apperçoit de certains points ou petits grains qui s'élevent & même s'élancent, comme on le remarque, sur les liqueurs qui commencent à frémir avant que de bouillir. D'ailleurs, cette surface est souple, drapée & couverte d'une liqueur baveuse & gluante : tout cela la rend propre à s'insinuer dans les moindres inégalités des rochers, auxquels ce poisson s'attache si fortement, que ne pouvant lui faire lâcher prise, on se sert d'un couteau pointu pour l'en détacher.

Ce muscle est coriace, épais d'environ trois lignes, & long ordinairement d'un pouce, tout semblable au muscle pectoral des limaçons de terre : la surface intérieure du muscle pectoral de l'oeil de bouc est lisse, luisante, creusée en gouttiere, au fond de laquelle est placée un tendon qui le sépare en deux ventres, & auquel vient aboutir de chaque côté un plan de fibres transverses, chargé verticalement des fibres qui forment le muscle : ce même muscle est entouré d'une bordure ou fraise, laquelle se meut fort vîte indépendamment du muscle, lorsqu'on la pique ; elle est composée, quelque mince qu'elle soit, de fibres transverses, rangées du centre à la circonférence ; ce qui pourroit faire soupçonner, qu'elle seroit détachée, si par son tendon elle n'étoit aussi adherente qu'elle l'est à la coquille ; car pour l'en détacher, il faut la cerner entierement avec un couteau.

La tête du poisson sort d'une espece de coëffe frangée & frisée, produite par l'allongement de la fraise dont on vient de parler ; cette tête qui ressemble en quelque maniere à celle d'un petit cochon, a quatre ou cinq lignes de longueur, sur moitié moins de largeur, arrondie par-dessus, terminée par une bouche roussâtre, large de deux lignes, & bordée d'une grosse levre. Des côtés du front sortent deux cornes qui s'allongent & se racourcissent à-peu-près comme celles des boeufs.

Les autres parties de cet animal sont renfermées dans un sac, où l'oesophage vient aboutir ; ce sac long d'environ un pouce & demi, large de neuf ou dix lignes, arrondi sur le dos, retréci vers la tête, est tout-à-fait couché sur la gouttiere du muscle pectoral, & renferme une substance mollasse, bonne à manger, parsemée de vaisseaux noirâtres, dans laquelle l'oesophage s'allonge en un conduit courbé en plusieurs sinuosités.

Le muscle pectoral tient lieu de jambes & de piés à ces animaux, de même qu'à tous les limaçons & à tous les poissons, dont la coquille est d'une seule piece. Lorsque les yeux de bouc veulent avancer, ils appuient fortement sur le bord anterieur de ce muscle ; c'est le point fixe vers lequel tout le reste du muscle qui est dans le relâchement est amené, au lieu que lorsqu'ils veulent reculer, ils se cramponnent fortement sur le bord postérieur du même muscle ; & alors le devant qui est dans l'inaction est obligé de s'approcher vers cette partie, où le point d'appui se trouve dans ce tems-là.

Nous renvoyons au mot patelle à établir le caractere essentiel de ce genre de coquillage qui forme la premiere famille des coquilles univalves, & là nous en indiquerons les différentes especes. Voyez PATELLE. (D.J.)

OEIL DE BOEUF, (Phys.) le cap de Bonne-Espérance est fameux par ses tempêtes, & par le nuage singulier qui les produit ; ce nuage ne paroît d'abord que comme une petite tache ronde dans le ciel, & les matelots l'ont appellé oeil de boeuf. De tous les voyageurs qui ont parlé de ce nuage, Kolbe paroît être celui qui l'a examiné avec le plus d'attention ; voici ce qu'il en dit, tome I. pag. 224. & suivantes de la description du cap de Bonne-Espérance. " Le nuage que l'on voit sur les montagnes de la Table, ou du Diable, ou du Vent, est composé, si je ne me trompe, d'une infinité de petites particules poussées, premierement contre les montagnes du cap, qui sont à l'est, par les vents d'est qui regnent pendant presque toute l'année dans la zone torride ; ces particules ainsi poussées sont arrêtées dans leurs cours par ces hautes montagnes, & se ramassent sur leur côté oriental ; alors elles deviennent visibles & y forment de petits monceaux ou assemblages de nuages, qui étant incessamment poussés par le vent d'est, s'élevent au sommet de ces montagnes ; ils n'y restent pas long-tems tranquilles & arrêtés, contraints d'avancer, ils s'engouffrent entre les collines qui sont devant eux, où ils sont serrés & pressés comme dans une maniere de canal, le vent les presse au-dessous, & les côtés opposés de deux montagnes les retiennent à droite & à gauche ; lorsqu'en avançant toujours ils parviennent au pié de quelque montagne où la campagne est un peu plus ouverte, ils s'étendent, se déploient, & deviennent de nouveau invisibles ; mais bien-tôt ils sont chassés sur les montagnes par les nouveaux nuages qui sont poussés derriere eux, & parviennent ainsi, avec beaucoup d'impétuosité, sur les montagnes les plus hautes du cap, qui sont celles du Vent & de la Table, où regne alors un vent tout contraire ; là il se fait un conflit affreux, ils sont poussés parderriere & repoussés par-devant, ce qui produit des tourbillons horribles, soit sur les hautes montagnes dont je parle, soit dans la vallée de la Table où ces nuages voudroient se précipiter. Lorsque le vent de nord-ouest a cédé le champ de bataille, celui de sud-est augmente & continue de souffler avec plus ou moins de violence pendant son semestre ; il se renforce pendant que le nuage de l'oeil de boeuf est épais, parce que les particules qui viennent s'y amasser par derriere, s'efforcent d'avancer ; il diminue lorsqu'il est moins épais, parce qu'alors moins de particules pressent par derriere ; il baisse entierement lorsque le nuage ne paroît plus, parce qu'il ne vient plus de l'est de nouvelles particules, ou qu'il n'en arrive pas assez ; le nuage enfin ne se dissipe point, ou plutôt paroît toujours à-peu-près de la même grosseur, parce que de nouvelles matieres remplacent par-derriere celles qui se dissipent par devant.

Toutes ces circonstances du phénomène conduisent à une hypothèse qui en explique si bien toutes les parties ; 1°. derriere la montagne de la Table on remarque une espece de sentier ou une traînée de légers brouillards blancs, qui commençant sur la descente orientale de cette montagne, aboutit à la mer, & occupe dans son étendue les montagnes de Pierre. Je me suis très - souvent occupé à contempler cette trainée qui, suivant moi, étoit causée par le passage rapide des particules dont je parle, depuis les montagnes de Pierre jusqu'à celle de la Table.

Ces particules, que je suppose, doivent être extrêmement embarrassées dans leur marche, par les fréquens chocs & contre-chocs causés, nonseulement par les montagnes, mais encore par les vents de sud & d'est qui regnent aux lieux circonvoisins du cap ; c'est ici ma seconde observation : j'ai déja parlé des deux montagnes qui sont situées sur les pointes de la baie Falzo, ou fausse baie ; l'une s'appelle la LÈvre pendante, & l'autre Norvege. Lorsque les particules que je conçois sont poussées sur ces montagnes par les vents d'est, elles en sont repoussées par les vents de sud, ce qui les porte sur les montagnes voisines ; elles y sont arrêtées pendant quelque tems & y paroissent en nuages, comme elles le faisoient sur les deux montagnes de la baie Falzo, & même un peu davantage. Ces nuages sont souvent fort épais sur la Hollande hottentote, sur les montagnes de Stellenbosch, de Drakenstein, & de Pierre, mais sur-tout la montagne de la Table & sur celle du Diable.

Enfin, ce qui confirme mon opinion, est que constamment deux ou trois jours avant que les vents de sud-est soufflent, on apperçoit sur la tête du lion de petits nuages noirs qui la couvrent ; ces nuages sont, suivant moi, composés des particules dont j'ai parlé ; si le vent de nord - ouest regne encore lorsqu'ils arrivent, ils sont arrêtés dans leur course, mais ils ne sont jamais chassés fort loin jusqu'à ce que le vent de sud-est commence ".

OEIL DE CHAT, (Hist. nat. Minéral.) oculus cati, oculus solis, oculus beli, bellochio, c'est une espece d'opale, assez transparente, ordinairement d'un jaune verdâtre ou d'une couleur rougeâtre & changeante, semblable à celle de la prunelle de l'oeil d'un chat ; tenue au jour & remuée elle semble darder un rayon de lumiere. Quelquefois par des accidens heureux on trouve une tache noire ou d'une autre couleur, accompagnée de plusieurs cercles concentriques, au milieu de cette pierre, ce qui la fait encore plus ressembler à un oeil : souvent aussi les Jouailliers ont des secrets pour aider la nature, & pour perfectionner cette ressemblance qu'elle n'avoit fait qu'ébaucher.

Les anciens lithographes, à qui les noms ne coûtoient rien, ont appellé erytrophtalmus les pierres dans lesquelles il se trouvoit un cercle rouge ; quand ce cercle étoit gris ou blanc ils ont nommé la pierre leucophtalmus ; lorsqu'il y avoit deux yeux représentés sous la même pierre, ils l'ont appellée diophtalmus : c'est ainsi qu'ils ont aussi nommé oegrophthalmus & lycophtalmus les pierres sur lesquelles ils ont vû, ou cru voir la ressemblance d'un oeil de chevre ou de loup. (-)

OEIL DU MONDE, (Hist. nat. Minéralogie) oculus mundi, lapis mutabilis, pierre précieuse qui est une vraie onyx à qui elle ressemble par sa couleur qui est aussi celle d'un ongle.

On dit que cette pierre, qui a peu de transparence, présente un phénomene singulier ; si on la laisse dans l'eau pendant quelques minutes, elle devient beaucoup plus transparente qu'auparavant, & aulieu d'être d'un gris pâle, elle paroît alors d'une couleur jaunâtre, à-peu-près comme celle de l'ambre ; aussi-tôt qu'elle a été retirée de l'eau & sechée, elle redevient opaque comme auparavant : on prétend que cette pierre ne se trouve qu'à la Chine. (-)

OEIL DE SERPENT, (Hist. nat.) en italien occhio di serpe, nom donné par quelques auteurs à la pierre appellée bufonito ou crapaudine. Voyez cet article.

OEIL, (Métallurgie) on appelle ainsi dans les fonderies de métaux une ouverture qui est au bas du fourneau, par laquelle la matiere fondue s'écoule pour être reçue dans le bassin qui est au-dessous. Pendant la fusion le trou se bouche avec un mêlange de glaise & de charbon ; lorsque la fonte est achevée & que la matiere est bien fluide, on perce cet oeil avec une barre de fer. Quelquefois on fond par l'oeil : c'est-à-dire on ne bouche point ce trou, & on laisse découler le métal fondu à mesure qu'il se fond : cela convient sur-tout aux métaux qui se calcinent aisément, comme le plomb ou l'étain. Voyez ÉTAIN & PLOMB. (-)

OEIL, (Architect. civile) nom général qu'on donne à toute fenêtre ronde prise dans un fronton, un attique, ou dans les reins d'une voûte, comme il y en a, par exemple, aux deux berceaux de la grande salle du palais à Paris.

Oeil de boeuf, petit jour pris dans une couverture, pour éclairer un grenier ou un faux comble, fait de plomb ou de poterie : on appelle encore oeil de boeuf les petites lucarnes d'un dôme, telles qu'il y en a, par exemple, à celui de saint Pierre de Rome, qui en a quarante-huit en trois rangs.

Oeil de dôme, c'est l'ouverture qui est au haut de la coupe d'un dôme, comme au Panthéon à Rome, & qu'on couvre le plus souvent d'une lanterne, ainsi que la plûpart des dômes.

Oeil de volute, c'est le petit cercle du milieu de la volute ionique, où l'on marque les treize centres pour en décrire les circonvolutions.

Oeil de pont, terme d'architecture hydraulique, nom qu'on donne à de certaines ouvertures rondes au-dessus des piles, & dans les reins des arches d'un pont, qu'on fait autant pour rendre l'ouvrage léger que pour faciliter le passage des grosses eaux, telles qu'il y en a, par exemple, au pont neuf de la ville de Toulouse, & à ceux que Michel-Ange a bâtis sur l'Arno, à Florence. Daviler. (D.J.)

OEIL DE PIE, (Marine) ce sont les trous ou oeillets qu'on fait le long du bas de la voile au - dessus de la ralingue, pour y passer des garottes de ris. (Z)

OEILS-YEUX, ou trous de la voile de sivadiere, ce sont deux trous aux deux points d'en-bas de la sivadiere, par où s'écoule l'eau que la mer jette dans la sivadiere. (Z)

OEIL, terme de Manufacture, se dit du lustre & de l'éclat des marchandises d'une certaine beauté extérieure qui frappe la vûe, & qui ne fait pourtant pas la plus grande perfection. Néanmoins comme l'on est souvent plus touché de l'oeil & du lustre d'une étoffe que de sa bonne fabrique, c'en est aussi une des meilleures qualités pour le débit, & si les ouvriers doivent être attentifs à donner cet oeil à leurs ouvrages, les marchands ne doivent pas moins l'être à le leur conserver. (D.J.)

OEIL, terme d'Artisans, ce mot s'entend des trous qui servent à emmancher plusieurs de leurs outils, comme l'oeil d'un marteau, d'un pieu, d'un houe, d'une pioche, d'un déceintroir, d'un têtu, &c.

On dit aussi l'oeil d'un étau, pour signifier le trou par où passe sa vis ; & l'oeil d'une louve, instrument de fer qui sert à élever des pierres de taille, pour dire le trou par où passe l'esse du cable.

L'oeil d'une meule à moulin, est le trou qu'elle a dans son centre.

Les grues, les engins, les chevres, & autres semblables machines à élever des fardeaux, ont aussi leurs yeux, ce sont les trous par où passent les cables. (D.J.)

OEIL, en terme d'Eperonnier, sont des trous qui terminent chacune des branches d'un mors par enhaut de quelque espece que ce mors soit, à gorge de pigeon, à canne, &c. c'est dans ces yeux que passent la gourmette & deux corroyes de cuir qui arrêtent le mors sur la tête du cheval en se passant derriere les oreilles. Voyez GOURMETTE, &c. Voyez les planches de l'Eperonnier.

OEIL des caracteres d'Imprimerie ; on entend par oeil la figure de la lettre qui se trouve à un des deux bouts du corps : on dit d'un caractere qu'il est gros oeil ou petit oeil, parce que sur un même corps on y fond des lettres un peu plus ou moins grosses qui se distinguent par gros ou petit oeil. Voyez OEIL, impr.

OEIL, en terme de Fourbisseur, c'est la partie d'une garde qui est entre la poignée & la plaque. On la nomme aussi quelquefois corps. Elle se termine en bas par une batte. Voyez BATTE.

OEIL D'UN RESSORT, s'entend parmi les Horlogers, d'une fente longue faite à chacune des extrêmités du grand ressort d'une montre ou d'une pendule pour le faire tenir aux crochets du barillet & de son arbre. Voyez BARILLET, ARBRE DE BARILLET, RESSORT, &c. (T)

OEIL, terme de Joaillerie ; ce mot signifie, en stile de Lapidaire, le brillant & l'éclat des pierres, quelquefois leur qualité & leur nature. Ce diamant a un oeil admirable, cet autre a l'oeil un peu louche, il l'a un peu noirâtre, &c.

OEIL, en terme d'Imprimerie, s'entend assez généralement des différentes grosseurs des caracteres, considérés par leur superficie, qui est l'oeil ; l'on dit par exemple, le gros romain est à plus gros oeil que le saint-augustin ; ce cicero est d'un oeil plus petit que celui dont est imprimé tel ouvrage : ainsi des autres caracteres supérieurs ou inférieurs. Si on considere ces mêmes caracteres par la force des corps, il faut alors appeller chaque caractere par le nom que leur a donné l'usage. Voyez table des caracteres.

Par oeil de la lettre, les Imprimeurs entendent la partie gravée dont l'empreinte se communique sur le papier par le moyen de l'impression ; & ils distinguent dans cette même partie gravée ou oeil trois sortes de proportion, dimension, ou grosseur ; parce qu'il est possible en effet, & assez fréquent de donner au même corps de caractere une de ces trois différences, qui consistent à graver l'oeil, ou gros ou moyen, ou à petit oeil. Cette différence réelle dans l'art de la gravure propre à la fonderie en caracteres, & apparente au lecteur, n'en produira aucune dans la justification des pages & des lignes, si le moyen ou petit oeil est fondu sur le même corps que le gros oeil, ou celui ordinaire.

OEIL DU CHEVAL, (Maréchal) les yeux de cet animal doivent être grands à fleur de tête, vifs & nets : oeil verron, signifie que la prunelle est d'une couleur approchante du verd : oeil de cochon, se dit d'un cheval qui a les yeux trop petits. La vitre de l'oeil. Voyez VITRE.

OEIL & BATTE, terme de Marchand de poisson ; il signifie tout ce qui est contenu depuis l'ouie ou l'oeil du poisson jusqu'à la queue, qu'on appelle sa batte, à cause qu'il s'en sert à battre l'eau lorsqu'il nage. Le brochet a deux piés entre oeil & batte ; c'est-à-dire, que dans la maniere de mesurer qui s'observe dans le commerce du poisson, il ne doit se vendre que pour être de deux piés de long, quoique la tête & la queue comprises, il y en ait souvent plus de trois.

OEIL DE PERDRIX, instrument du métier d'étoffe de soie : l'oeil de perdrix est un petit anneau de fer rond très-poli, de la grosseur environ d'un oeil de perdrix ; c'est sans doute pourquoi il en porte le nom.

Il sert à passer, ou être enfilé par la corde de rame. On met autant d'yeux de perdrix qu'on veut attacher de semples aux rames ; les cordes de semples sont attachées aux yeux de perdrix, afin que le frottement de la corde de semple contre celle de rame ne l'use pas si vîte.

OEIL, terme de Tireur d'or ; c'est la plus petite ouverture d'une filiere par où passe le lingot de quelque métal pour le réduire en fil.

OEIL DE BOEUF, terme de Verrerie ; c'est ce noeud qu'on nomme communément boudine, qui est au milieu du plat de verre, & qui est inutile pour être employé en vitres, du moins dans les maisons de quelque considération, n'étant propre qu'à être jetté au groisil. (D.J.)


OEILLERESDENTS, (Anat.) Voyez DENTS.

OEILLERES, s. f. terme de Bourrelier, ce sont deux morceaux de cuir, un peu épais, quarrés, attachés par un côté aux montans de la bride, précisément à côté des yeux du cheval. L'usage des oeilleres est d'empêcher le cheval de voir de côté, & l'assujettir à regarder devant. Voyez les Pl. du Bourrelier.

L'oeillere se dit encore de la partie de la têtiere du cheval de harnois. Ce sont aussi des morceaux de cuir posés à côté des yeux, pour les garantir des coups de fouet.


OEILLETcaryophyllus, s. m. (Botan.) genre de plante dont la fleur est composée de plusieurs pétales disposés en rond, qui sortent d'un calice cylindrique, membraneux & écailleux à son origine. Le pistil sort de ce calice, & devient dans la suite un fruit cylindrique qui s'ouvre par la pointe, & qui est enveloppé par le calice. Ce fruit renferme des semences plates, feuilletées, & attachées à un placenta. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Personne n'ignore combien ce genre de plante est étendu : M. de Tournefort en distingue quatre-vingt-neuf especes, qui different par la grandeur, la couleur & le nombre des pétales, toutes variétés qui viennent de la différente culture ; ainsi dans la diversité qu'on voit de ces agréables fleurs, il suffira de ne décrire ici que l'oeillet commun de nos jardins, & celui de la Chine.

L'oeillet commun de nos jardins est le caryophyllus major de C. B. P. 207. & de Tournefort, I. R. H. 330. Sa racine est simple, fibreuse ; ses tiges sont nombreuses, lisses, cylindriques, hautes d'une coudée, genouillées, noueuses, branchues. Ses feuilles sortent de chaque noeud deux-à-deux ; elles sont étroites comme celles du chien-dent, dures, pointues à leur extrêmité, d'une couleur bleue ou de verd de mer.

Ses fleurs naissent au sommet des tiges, composées de plusieurs pétales de différentes couleurs, d'écarlate, de chair-blanche, noirâtre ou panachée, placées en rond, au nombre de cinq, de six ou davantage, légerement dentelées, d'une odeur douce de clou-de-gérofle ; ayant à leur milieu des étamines garnies de sommets blancs, & un pistil qui se termine par deux ou trois filamens recourbés ; ces filamens sortent d'un calice cylindrique, membraneux, écailleux vers le bas, dentelé dans le haut : le pistil se change en un fruit cylindrique qui s'ouvre par le sommet, enveloppé dans le calice, rempli de petites graines plates & comme feuillées, ridées, noires quand elles sont mûres, & attachées à un placenta.

L'oeillet de la Chine, caryophyllus sinensis, supinus, leviori folio, flore vario, est décrit par Tournefort dans les mém. de l'acad. des Sciences, année 1701. Sa racine est grosse au collet comme le petit doigt, dure, ligneuse, d'un blanc sale tirant sur le jaunâtre dans les especes dont les fleurs n'ont pas les couleurs foncées, mais rougeâtre comme celle de l'oseille dans les piés qui portent les fleurs rouges ou mêlées de purpurin.

Les tiges naissent en foule, longues d'un pié & demi ou deux, cassantes, garnies à chaque noeud de feuilles opposées deux-à-deux, semblables par leur figure & par leur couleur à celles du giroflier jaune : ces tiges se divisent vers le haut en plusieurs brins chargés de fleurs sur les extrêmités.

La même graine produit plusieurs variétés par rapport aux couleurs & au nombre des feuilles : il y a des piés dont les fleurs sont à-demi-doubles ; mais il y a beaucoup d'apparence qu'elles deviendront doubles par la suite.

Les premieres fleurs sont à cinq pétales blanc-de-lait, colorées de verdâtre en-dessous, crenelées & comme dentées.

La calice est un tuyau découpé en cinq pointes, accompagné à sa naissance d'une autre espece de calice, formé de cinq ou six feuilles comme posées par écailles & très pointues ; le pistil est enfermé dans le fond de ce calice : il est surmonté par deux filets blancs & crochus par le bout, accompagné de dix étamines blanches, déliées, chargées chacune d'un sommet cendré.

Lorsque la fleur est passée, le pistil fait crever le calice, & devient un fruit cylindrique qui s'ouvre en cinq pointes, & laisse voir plusieurs graines noires, plates, presqu'ovales, pointues, minces & comme feuilletées sur les bords, & attachées à un placenta blanc & cylindrique. La racine n'est pas tout-à-fait sans acreté : les fleurs n'ont presque pas d'odeur ; elles varient étrangement.

On éleve les oeillets dans les jardins à cause de leur beauté & de leur douce odeur. On les multiplie plus souvent par les marcottes que l'on sépare des piés, que par la graine ; car les fleurs qui naissent sur les piés élevés de graine, deviennent sauvages, & donnent des fleurs plus petites, mais odorantes & simples, quoique la graine ait été tirée d'oeillet à fleur double.

On prépare dans les boutiques un syrop d'oeillet, une conserve, du vinaigre & une eau distillée odorante. Le syrop est de grand usage dans les juleps & les potions. Les fleurs d'oeillet macérées dans le vinaigre lui donnent la couleur rouge, une odeur suave & une saveur agréable. (D.J.)

OEILLET, (Jardin) cette fleur délicieuse par son odeur & ses belles couleurs, fait un des objets de la passion des fleuristes : ils vous indiqueront dans plusieurs traités exprès, la maniere d'élever de beaux oeillets, les pots pour les planter, la terre qui leur est nécessaire, la façon de les marcotter, celle de les oeilletonner & de les empoter, le tems de les mettre dans la serre, celui de les en sortir, leur arrosement, leur culture à mesure qu'ils poussent leurs dards, la maniere d'en ôter les boutons superflus, celle de les aider à fleurir, le lieu qui leur est propre quand ils sont en fleurs, l'art de les soutenir, leur graine & leurs maladies. C'est assez dans cet ouvrage de se borner à quelques remarques particulieres que j'emprunterai de Bradley & de Miller.

Ils ont trouvé qu'on pouvoit assez commodément diviser tout le genre des oeillets en cinq classes, qu'ils distinguent par les noms d'oeillets piquetés, de dames-peintes, (painted ladies), de bizarres, d'étincelans & de flambés.

Les oeillets piquetés ont toujours le fond blanc, & sont tachetés ou imprimés, comme disent les fleuristes, de rouge ou de pourpre. Les dames-peintes ont les pétales colorés en-dessus de rouge ou de pourpre, & tout-à-fait blancs en dessous. Les bizarres sont rayés & diversifiés de quatre couleurs. Les étincelans ne sont que de deux couleurs, mais toujours par rayes. Enfin les flambés ont un fond rouge, toujours rayé de noir, ou de couleur bien brune. Il seroit inutile & même impossible d'indiquer les variétés de chacune de ces classes, puisque la graine en produit sans cesse de nouvelles en tout pays.

Mais de quelque classe & de quelque genre que soit un oeillet, sa valeur est proportionnée à l'assemblage de certaines qualités qu'il doit avoir pour être réputé beau. 1°. La tige de cette fleur doit être forte, & capable de supporter tout le poids de la fleur sans tomber : 2°. les pétales ou feuilles de la fleur doivent être longues, larges, épaisses, fermes, & cependant faciles à se déployer ; 3°. la cosse du milieu de la fleur ne doit pas trop s'élever au-dessus de l'autre partie de la fleur : 4°. les couleurs doivent être brillantes, & marquées également sur toutes les parties de la fleur : 5°. l'oeillet doit être rempli de feuilles qui le rendent, après son épanouissement, haut dans le milieu, & bien rond dans sa circonférence.

Il y a des oeillets qui ont dix, douze, jusqu'à quatorze pouces de tour, & qui sont en même tems garnis de beaucoup de feuilles ; c'est aussi ce qui constitue leur beauté. L'oeillet est beaucoup plus beau quand il pomme en forme de houppe, que lorsqu'il est plat. Plus il est net, plus il est beau ; plus sa fleur est mêlée également de panaches & de couleurs, plus elle est estimée. Quand le panache est bien tranché & point imbibé, c'est toujours le mieux. Les pieces de panaches bien empotées, qui s'étendent depuis leur racine jusqu'à l'extrêmité des feuilles de l'oeillet, sont les plus recherchées : mais on tolere quelques légeres imperfections dans la plûpart de ces fleurs, en faveur de plusieurs beautés.

Les fleuristes font aussi dépendre les qualités de ces fleurs de la forme de leurs cosses : l'espece de celles qui fleurissent sans se crever, est appellée fleur à cosses longues ; l'espece dont les pétales ne peuvent pas se contenir dans les bornes du calice, est nommée fleur à cosses rondes. Il y a telles fleurs des dernieres especes qui ont plus de quatre pouces. Il est difficile d'avoir des oeillets de la grosseur qu'on désire, sans qu'ils crevent. On peut laisser beaucoup de boutons & plusieurs dards sur les plus gros pour qu'ils ne crevent pas si aisément ; mais ils en viennent un peu moins larges.

Ces fleurs ne sont pas d'une certaine hauteur fixe, les unes fleurissant à deux piés, & d'autres à quatre piés de haut : ils fleurissent plus ou moins tôt, suivant les différentes saisons où on les a semés. Cependant le fort de leurs fleurs est en général vers le milieu de Juin ; & c'est alors que les fleuristes en rassemblent beaucoup pour étaler leurs variétés, & donner des noms à leurs especes nouvelles.

Les fleurs doubles portent rarement de la graine, ou parce que les parties mâles ne sont pas parfaites chez elles, ou parce que la multitude des pétales les empêche de faire leurs fonctions, ou par d'autres raisons qui nous sont inconnues. Quoi qu'il en soit, les fleuristes curieux plantent de toutes les bonnes especes de leurs oeillets carnés doubles au milieu des carreaux sur une ligne ; ils mettent de chaque côté au moins deux rangées des especes simples de couleurs choisies, & entr'elles quelques piés d'oeillets de la Chine, qui possedent les différentes variétés de couleurs extraordinaires.

L'oeillet de la Chine est à fleur simple ou double : la premiere sorte est nommée par les Botanistes caryophyllus sinensis, supinus, leucoii folio, flore vario ; en anglois the variable china-pink : la seconde sorte est appellée caryophyllus sinensis, supinus, leucoii folio, flore pleno ; en anglois, the double china-pink.

Il y a une si grande variété de couleurs differentes dans les oeillets de la Chine, qu'on en voit à peine deux exactement semblables dans un très-grand parterre ; & comme leurs couleurs sont en même tems de la derniere beauté, il faut avoir soin de n'employer les graines que des plus beaux ; car ils sont fort sujets à dégénerer. Les graines de l'espece double produiront de nouveau quantité de fleurs doubles, au lieu que les graines de l'espece simple ne donnent presque jamais de fleurs doubles. On ne multiplie l'une & l'autre espece que de graines ; & Miller vous enseignera mieux que personne la maniere d'y réussir.

Je n'ajoute qu'un mot sur les marcottes d'oeillet. Quand on les leve en automne, au lieu du printems, & qu'on les transporte dans des pots ou des plates-bandes où elles doivent fleurir, on est plus assuré qu'elles produiront des fleurs plus fortes, & de meilleure heure, & outre cela les marcottes seront bientôt en état d'être marcottées elles-mêmes. Mais soit qu'on transplante les oeillets en automne ou au printems, il faut les tenir à l'ombre, les garantir du soleil pendant une quinzaine après les avoir plantés, & préparer toujours pour l'hiver des endroits propres à les abriter en cas qu'il survienne de fortes gelées. (D.J.)

OEILLET, (Pharmac. & Mat. méd.) ce n'est que la fleur de cette plante qui est en usage en Médecine, & même seulement dans les préparations officinales.

La plus usitée est le syrop simple d'oeillet, appellé communément dans les pharmacopées latines de tunicâ.

Ce syrop se prépare par infusion & par la dissolution du sucre au bain marie sans cuite. Voyez SYROP. On choisit pour le préparer les oeillets rouges semi-doubles que l'on cultive exprès à Paris, qui ont beaucoup plus d'odeur que tous les autres, & qui donnent une belle couleur au syrop ; car la partie colorante de ces fleurs est soluble par l'eau. On ne prend exactement que les pétales. On peut, si l'on veut, augmenter le parfum de ce syrop en y faisant infuser pendant la préparation deux ou trois clous de gerofle entiers sur huit ou dix livres de syrop. L'odeur de ces oeillets est si exactement analogue à celle du gerofle, qu'on pourroit employer des clous de gerofle seuls à la place des oeillets, sans que personne pût reconnoître cette substitution par le fond du parfum. Aussi est-ce avec le gerofle qu'on prépare le ratafiat, connu sous le nom de ratafiat d'oeillet, qu'on colore avec la cochenille, avec les fleurs de pavot rouge, les roses de Provins, &c. On prépare aussi avec l'oeillet une eau distillée, une conserve & un vinaigre.

Tous ces remedes, & sur-tout le premier, sont regardés comme céphaliques, cordiaux & alexipharmaques. Ils sont spécialement recommandés dans les fievres malignes & pestilentielles pris intérieurement. Le vinaigre qui se prépare en faisant infuser les pétales de ces fleurs dans du fort vinaigre pendant une quinzaine de jours, est aussi célébré comme très-utile en tems de peste, si on le flaire habituellement. (b)

OEILLET D'INDE, tagetes, genre de plante à fleur radiée, dont le disque est composé de plusieurs fleurons découpés de différentes façons, selon les diverses especes ; la couronne de cette fleur est formée de demi-fleurons placés sur des embryons, & soutenus par un calice qui est d'une seule feuille & allongé en forme de tuyau. Les embryons deviennent dans la suite des semences anguleuses, qui ont une sorte de tête formée de petites feuilles. Ces semences sont attachées à un placenta. Il y a quelques especes de ce genre, dont les fleurs sont composées de demi-fleurons fistuleux. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

OEILLET DE MER, (Hist. nat.) petit madrepore qui a une sorte de pédicule, & qui est évasé par l'extrêmité supérieure, & épanoui, pour ainsi dire, comme un oeillet. C'est pourquoi on l'a appellé oeillet de mer. Voyez MADREPORE. (I)

OEILLET D'ETAI, (Marine) c'est une grande boucle qu'on fait au bout de l'étai vers le haut. C'est par-dedans cette boucle que passe le même étai après avoir fait le tour du mât.

Oeillets de la tournevire, ce sont des boucles que l'on fait à chacun des bouts de la tournevire, pour les joindre l'un à l'autre avec un quarantenier. (Z)

OEILLET, terme de Tailleur & de Couturiere ; petit trou entouré de soie, de fil, de cordonnet, qu'on fait à divers ouvrages de soie, de laine, ou de toile. (D.J.)

OEILLETS, (Emaill.) ce sont de petits trous ou bouillons qui se forment sur l'émail en se parfondant.


OEILLETONS. m. (Botan.) Les Botanistes, les Fleuristes & les Jardiniers, s'accordent à donner ce nom à des bourgeons qui sont à côté des racines de plusieurs plantes, fleurs ou légumes, comme des artichauts par exemple : on détache les oeilletons pour multiplier ces plantes, parce qu'ils sont, pour ainsi dire, autant de petits oeufs, qui renferment une plante semblable à la mere d'où on les a tirés. (D.J.)


OEILLETONNERv. act. (Jardinage) se dit d'une opération que l'on fait à plusieurs fleurs, particulierement à l'oeillet & à l'oreille d'ours : on cherche au pié des plantes des rejettons, appellés oeilletons, que l'on détache avec la main, & que l'on replante dans des pots. Voyez OEILLETON.

On se sert encore de ce terme en parlant des artichauts, aux piés desquels on ôte des oeilletons pour les multiplier. Voyez ARTICHAUT.


OELAND(Géog.) île considérable de la mer Baltique, sur la côte de Suede, le long de la province de Smaland. Borckholm en est la capitale. Long. 34. 48 - 35. 45. lat. 56. 12 - 57. 24.

Oeland signifie l'île du Foin. Elle a un peu plus de quinze lieues suédoises de longueur, mais elle est fort étroite ; sa côte occidentale n'a que la capitale, mais l'orientale est fort peuplée. (D.J.)

OELAND, MARBRE D ', (Hist. nat.) marmor oelandicum rubrum ; pierre très-dure, qui prend un beau poli d'un rouge matte, très-pesante, & d'un tissu fort compacte. Son nom lui vient de l'île d'Oeland, dans la mer Baltique, vis-à-vis de la ville de Calmar, où il y en a des couches immenses. Cette pierre est très-belle & très-estimée ; on en fait des tables, des chambranles de cheminées, &c. Elle renferme une grande quantité de coquilles, appellées orthoceratites ou tuyau chambré, dont l'intérieur est ordinairement rempli d'une substance spathique. Voyez d'Acosta, natur. hist. of fossils. (-)


OENANTHEoenanthe, s. m. (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur en rose, en forme de parasol, composée de plusieurs pétales inégaux, en forme de coeur, disposés en rond & soutenus par un calice qui devient dans la suite un fruit composé de deux semences oblongues qui sont relevées en bosse, striées d'un côté & applaties de l'autre. Ces semences ont plusieurs pointes, celle du milieu est la plus forte. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Ajoutons ici ses caracteres, suivant le système de Ray. Sa racine est un gros navet, long, charnu, qui a la figure d'un fuseau : les pétales de la fleur sont inégaux & faits en forme de coeur. Le sommet de l'ovaire est couronné par le placenta qui pousse de longs tuyaux, & qui est environné par le bas de la levre supérieure de l'ovaire ; l'ovaire se déploie en cinq petits lobes, lesquels soutiennent les pétales de la fleur en forme de calice. Ces lobes s'attachent aux semences qui ont atteint leur maturité, comme les épines, & les tuyaux eux-mêmes se durcissent en des substances de même forme.

Tournefort compte dix especes d'oenanthe ; nous parlerons des deux principales, celle qui est à feuilles d'ache, & celle qui est à feuilles de cerfeuil.

L'oenanthe à feuilles d'ache ou de persil, oenanthe apii folio, est une plante dont les racines sont des navets noirs en-dehors, blancs en-dedans, suspendus par des fibres longues, comme par autant de filamens qui s'étendent plus au large, ou sur les côtés, qu'ils ne pénetrent avant dans la terre. Ils sont d'un goût doux & assez agréable, approchant un peu de celui du panais ; ses racines poussent plusieurs tiges à la hauteur d'environ deux piés, bleuâtres, anguleuses, cannelées, rameuses. Ses feuilles jouent beaucoup ; elles sont premierement larges, répandues à terre, & semblables à celles du persil des jardins, du goût duquel elles approchent, si ce n'est qu'elles ont un peu plus d'astriction, d'un verd presque luisant ; ensuite elles prennent la figure de celles de la queue de pourceau. Ses fleurs sont disposées en ombelles aux sommités des branches, petites, composées chacune de cinq pétales rangées en fleurs de lis, de couleur blanche tirant sur le purpurin. Lorsque les fleurs sont passées, il leur succede des semences jointes deux à deux, oblongues, cannelées sur le dos, garnies à leurs extrêmités d'en-haut de plusieurs pointes. Cette plante croît aux lieux marécageux ; on la cultive aussi dans les jardins des curieux ; elle fleurit l'été en Juin, Juillet & Août. Sa racine passe en Médecine pour détersive, apéritive & diurétique.

Il faut bien se garder de confondre l'oenanthe dont nous venons de parler, avec l'espece vénéneuse qui est à feuilles de cerfeuil ou de ciguë, oenanthe chaerophylli foliis, C. B. P. 162. I. R. H. 313. oenanthe cicutae facie, succo viroso, croceo, Lobelii Icon. oenanthe cicutae facie, Lobelii, Raii hist. I. 441. oenanthe succo viroso, I. B. 193. & Wepfer : décrivons cette plante.

Elle a beaucoup de rapport avec la ciguë : elle s'éleve à la hauteur d'environ trois piés : il sort de sa racine plusieurs tiges assez éparses, rondes, rameuses, portant des feuilles qui ressemblent à celles du cerfeuil, de couleur verte-brune, d'un goût âcre, remplies d'un suc qui est au commencement laiteux, mais qui jaunit ensuite & devient ulcérant : ses fleurs sont disposées en ombelles, & composées de plusieurs pétales rangés en rose ou en fleur-de-lis ; elles laissent, après qu'elles sont tombées, un petit fruit contenant deux semences oblongues & cannelées : ses racines sont des navets blancs, attachés immédiatement à leur tête, sans qu'aucune fibre les suspende, & remplis de suc. Cette plante ne croît guere qu'en Angleterre, en Irlande & en Hollande, le long des ruisseaux & des autres lieux aquatiques.

Ce végétable est un poison mortel pour ceux qui ont eu le malheur d'en avoir mangé ; il jette dans des convulsions dont la mort est la prompte suite. On en lit des exemples dans les observations de Vander-Wiel. On en cite en Angleterre d'autres preuves ; mais on n'a rien en ce genre de plus exact & de plus certain que le fait suivant rapporté dans les Transactions philosophiques.

Neuf prisonniers françois, dans la derniere guerre de 1744, eurent la liberté de se promener à Pembroke & aux environs : trois d'entr'eux ayant trouvé dans la campagne une grande quantité de cette plante fatale, qu'ils prirent pour du céleri sauvage, la cueillirent avec les racines, la laverent, & en mangerent sur le champ en petite quantité avec du pain & du beurre. Ils entroient à-peine dans la ville, que l'un d'eux, sans avoir ressenti de mal de tête ni d'estomac, fut tout-d'un-coup attaqué de violentes convulsions ; on le saigna vainement, car il mourut peu de tems après. Ses deux compagnons ignorant la mort de leur camarade & le danger qu'ils couroient, donnerent le reste des mêmes racines qu'ils avoient apportées, à huit autres prisonniers qui en mangerent tous plus ou moins à dîner ; cependant les deux camarades du mort tomberent au sortir de la table en convulsions, & l'un d'eux en mourut : le second réchappa après avoir été saigné & avoir pris un vomitif avec grande peine, par la difficulté qu'on eut de lui ouvrir la bouche pour lui faire avaler le remede ; les autres huit se rétablirent aussi par la prompte saignée & les vomitifs qu'on employa. Il est bon de remarquer qu'aucun d'eux n'eut ces symptomes comateux & ces stupeurs qu'éprouvent ceux qui ont mangé de la ciguë.

La racine de l'oenanthe vénéneuse est fort connue dans le pays de Galles sous le nom de racine à cinq doigts, the five-fingered root, où le petit peuple l'applique extérieurement en cataplasme dans le panaris. Les françois dont nous avons parlé ne mangerent que la racine, & ne toucherent ni aux feuilles, ni à la tige.

Il est extrêmement important, & sur-tout en Angleterre, que cette dangereuse plante soit bien connue, parce qu'elle croît en abondance sur tous les bords de la Tamise ; c'est ce qui a engagé M. Watson à la bien faire graver dans les Transactions philosophiques, n °. 481. conjointement avec la ciguë aquatique de Wepfer, pour qu'on les connût toutes deux & qu'on ne les confondît point, comme il est arrivé à de très-habiles botanistes. Wepfer lui-même s'y est mépris dans son Traité de la ciguë, en nous disant que Lobel a décrit la ciguë aquatique sous le nom d'oenanthe. Hoffman qui généralement est assez exact, n'établit point la différence de ces deux plantes en traitant des poisons des végétaux. Huit jeunes gens en Irlande ont été empoisonnés par l'oenanthe, en la prenant pour la racine du panais aquatique ; deux autres en sont morts, en la prenant pour du persil de Macédoine.

Les racines de l'oenanthe, ainsi que celle de la ciguë aquatique de Wepfer, se ressemblent en ce qu'elles n'ont point d'odeur ni de saveur desagréable, & qu'elles causent également des convulsions & une prompte mort, si l'on n'y remédie sur le champ. Il semble donc que la méthode curative doit être la même, savoir, de vuider promptement l'estomac & les intestins, & ensuite de donner au malade une grande quantité de fluides huileux. Il est certain que quand l'estomac a été délivré de ce poison, les symptomes diminuent sensiblement, & le malade a le bonheur de se rétablir ; la plus grande difficulté est de lui faire avaler quoi que ce soit, ses mâchoires se serrant fortement l'une contre l'autre par la violence des spasmes.

L'oenanthe abonde dans la province de Cumberland, où le peuple l'appelle la langue morte, the dead-tongue, & l'emploie cuite en bouillie pour les galles du dos de leurs chevaux. Les botanistes d'Allemagne ne la connoissent point dans leur pays ; & le savant Haller n'en fait aucune mention dans son catalogue des plantes de la Suisse. Il faut conclure delà qu'on ne la trouve guere qu'en Angleterre, en Hollande, &, à ce qu'on prétend, dans quelques endroits de la France. (D.J.)

OENANTHE, voyez CUL-BLANC.


OENÉIDE(Antiq. grecq.) nom d'une des douze tribus des Athéniens ; elle avoit pris ce nom d'Oenéus, roi de Calydonie, & pere de Déjanire qu'Hercule épousa. (D.J.)


OENELAEUMS. f. (Pharmac.) mixtion composée de gros vin & d'huile rosat. Dans les fractures avec plaie, où l'os n'est pas découvert, les Chirurgiens imbibent d'oenelaeum leurs compresses, afin de tenir les os appliqués, adoucir la douleur, empêcher l'inflammation : de plus, ils ont soin d'arroser tous les jours leurs bandes de cette mixtion ; ils en bassinent aussi quelquefois la partie malade ; ce mot qu'on a francisé est composé d', vin, & , huile. (D.J.)


OENI-PONS(Géog. anc.) c'étoit un pont sur une riviere qui couloit entre la Rhétie & le Norique. Il s'agit d'un pont sur l'Inn ; de-là les uns ont conclu que l'Oeni-Pons des anciens étoit Inspruck. Cluvier pense au contraire, que ce pont étoit un passage sur la route qui va de Munich à Salzbourg. Velzer met le pont de l'Inn à Oetingen en Baviere ; ce qu'il y a de sûr, c'est que ce pont étoit un passage gardé par une garnison romaine, & qu'il ne faut pas le chercher à Inspruck, qui est moderne.


OENIADE(Géog. anc.) en latin Oeniadae, ancienne ville de Grece dans l'Acarnanie, à l'embouchure de l'Acheloüs, & aux confins de l'Etolie. Strabon en marque la situation dans son livre. Il en est aussi parlé dans Diodore de Sicile, dans Polybe, dans Thucydide, l. I. & dans Tite-Live, l. XXXVIII. ch. xj. Il y a de l'apparence que cette ville tira son nom d'Oenéus, pere de Déjanire. Elle fut ensuite nommée Erysiché. (D.J.)


OENISTERIESoenisteria, fêtes que célebroient à Athenes les jeunes gens prêts à entrer dans l'adolescence, avant que de se faire couper pour la premiere fois la barbe & les cheveux. Ils apportoient au temple d'Hercule une certaine mesure de vin, en faisoient des libations, & en offroient à boire aux assistans. Hesychius & Pollux font mention de cette fête, qui prend son nom du vin qu'on y offroit, & que les Grecs appelloient . (G)


OENOÉ(Géog. anc.) nom commun à plusieurs lieux de la Grece ; 1°. c'est le nom de deux bourgs de l'Attique, l'un dans la tribu Aïantide, l'autre dans la tribu Hippothoontide, près de Marathon. 2°. Oenoé étoit une ville de l'Elide au Péloponnèse ; 3°. Oenoé étoit une ville de l'île d'Icaria ; 4°. une ville de la Laconie au Péloponnése, à l'occident d'Epidaure ; 5°. lieu maritime d'Asie dans la Cappadoce ; 6°. lieu des Corinthiens sur le promontoire d'Olénia ; 7°. ville & fontaine d'Arcadie, au Péloponnèse ; 8°. île de l'Archipel, l'une des Sporades dont Pline fait mention, liv. IV. ch. xij. On la nomma ensuite Sicinus. (D.J.)


OENOENDA(Géog. anc.) ancienne ville de la Lycie, dont parle Tite-Live, liv. XXXVIII. chap. xxxvij. Elle devint épiscopale dans la suite des tems. (D.J.)


OENOMANTIES. f. (Divination) , c'est-à-dire divination par le vin ; elle se faisoit dans l'antiquité par des conjectures tirées de la couleur, & autres accidens du vin destiné aux libations. Potter, Archaeol. graec. t. I. p. 319.


OENONE(Géog. anc.) île de la mer Egée. Eaque, fils de Jupiter, & grand-pere d'Achille, regna dans l'île d'Oenone, qu'ensuite du nom de sa mere, il appella Egine, & s'acquit une réputation d'intégrité, qui lui valut l'honneur de juger aux enfers les pâles Européens, & d'avoir sa place entre Minos & Rhadamanthe ; c'est un triumvirat poétique, bien différent de celui d'Octave, d'Antoine & de Lépide.


OENOPIE(Géog. anc.) l'ancienne Oenopie, aujourd'hui Angia, étoit une île de la Grece près d'Athenes, avec une ville de même nom. La peste ayant dévasté ce pays, il fut repeuplé par les Myrmidons. Les habitans de cette île ont été estimés grands athletes & bons marins. Il s'y trouve aujourd'hui une si grande quantité de perdrix rouges, que le peuple est obligé chaque année de s'assembler au printems pour casser les oeufs de peur que les perdreaux qui en naîtroient ne mangeassent les semailles. On voit encore quelques vestiges de deux temples d'Oenopie renommés dans l'antiquité ; l'un étoit dédié à Venus, l'autre à Jupiter.


OENOPTES. f. (Hist. anc.) c'étoit chez les Athéniens une espece de censeur qui veilloit à reprimer toutes les débauches illicites qui pouvoient se glisser dans les festins ; & il déféroit les coupables à l'aréopage. Ce mot signifie proprement inspecteur sur les vins.


OENOTRIDES(Géog. anc.) il y avoit deux îles de ce nom dont Pline parle, liv. III. ch. vij. mais qu'il n'est pas aisé de retrouver aujourd'hui. Le P. Hardouin croit que c'est Ponza & Ischia.


OENOTRIE(Géog. anc.) Oenotria, nom donné à la partie de l'Italie habitée par les Arcadiens, sous la conduite d'Oenotrius. Ce prince, dit Pausanias, fit voile en Italie, y regna, & donna son nom à cette contrée : ce fut, ajoute-t-il, la premiere colonie grecque qui alla habiter une terre étrangere ; & c'est là la peuplade de barbares la plus ancienne. Virgile n'ignoroit pas cette tradition, quand il a parlé de l'Italie.

Est locus, Hesperiam Graii cognomine dicunt,

Terra antiqua, potens armis : atque ubere glebae

Oenotrii coluere viri.

Aeneid. l. I.

(D.J.)


OENOTRIENSLES (Géog. anc.) Oenotri ; anciens peuples d'Italie, dont Denys d'Halicarnasse, liv. I. ch. iij. vous indiquera complete ment l'origine & les divers établissemens. Ils étoient une colonie d'Arcadiens, qui traverserent la mer Ionienne sous la conduite d'Oenotrius fils de Lycaon, & vinrent s'établir en Italie.


OENUS(Géog. anc.) nom latin de l'Inn, riviere d'Allemagne ; de-là vient Instadt, qui se nomme en latin Oenopolis. Le mot Oenus est diversement écrit par les anciens : savoir, tantôt Oenus, tantôt Henus, & même Hinus dans Paul le diacre.


OENUSAE(Géog. anc.) Pline, liv. IV. ch. xij. nomme ainsi trois îles qu'il place vis-à-vis de Messenes. Pausanias, liv. IV. ch. xxxiv. n'en fait qu'une seule, qui se nomme aujourd'hui Carpera.


OEPATAS. m. (Botan. exot.) grand arbre des Indes qui croît au bord de la mer, surtout aux environs de Cochin. Son fruit ressemble beaucoup à l'anacarde. Cet arbre est nommé arbor indica, fructu conoïde, cortice pulvinato, nucleum unicum nullo ossiculo claudente. H. M. part. 4. liv. V.


OES(Mythol. syrienne) nom d'un dieu des anciens Chaldéens ou Babyloniens ; c'est selon Selden & Vossius le même que Oannès. Voyez OANNES. (D.J.)


OESEL(Géog.) en latin Osilia ; île de la mer Baltique sur la côte de Livonie, près du golfe de Riga. Elle appartient à la Russie. Long. 39. 40'. 40-54''. lat. 57. 58-38''.


OESOPHAGES. m. (Anat.) c'est un canal en partie musculeux & en partie membraneux, situé derriere la trachée-artere, & devant les vertebres du dos, depuis environ le milieu du cou jusqu'au bas de la poitrine, où il passe par l'ouverture particuliere du petit muscle ou muscle inférieur du diaphragme, dans le bas-ventre, & se termine à l'orifice supérieur de l'estomac.

Il est composé de plusieurs tuniques à-peu-près comme l'estomac, dont il est la communication. La premiere n'est formée dans la poitrine que par la duplicature de la portion postérieure du médiastin. Elle manque au-dessus de la poitrine & dans le cou, où l'oesophage n'a pour tunique commune que la continuation du tissu cellulaire des parties voisines.

La seconde tunique est musculeuse, composée de différentes couches de fibres charnues. Les plus externes sont pour la plûpart longitudinales, & elles ne sont pas toutes continuées d'un bout à l'autre. Les couches suivantes sont obliquement transversales, celles d'après sont plus transversales, & les internes biaisent à contre sens. Elles se croisent toutes en plusieurs endroits très-irrégulierement, sans être spirales ni annulaires.

La troisieme tunique est appellée nerveuse, & ressemble à celle de l'estomac & des intestins. Elle est différemment plissée en long, étant beaucoup plus ample que la musculeuse, & est environnée d'un tissu filamenteux blanchâtre, mollet & fin, comme une espece de coton. Si l'on met le tissu cotonneux tremper dans de l'eau, il se gonfle & devient épais.

La quatrieme tunique, ou la plus interne, a quelque ressemblance avec celle des intestins, excepté qu'elle a des mamelons très-petits & très-courts, au lieu de velouté. Elle est aussi plissée en long comme la troisieme ; desorte qu'un oesophage coupé en travers représente un tuyau dans un autre. Cette tunique suinte toujours une lymphe visqueuse par les porosités.

L'oesophage dès son origine se porte peu-à-peu vers le côté gauche, & va naturellement le long des extrêmités gauches des cartilages de la trachée-artere.


OESOPHAGIENen Anatomie, un des muscles du pharynx, décrit par M. Albinus sous le nom de constricteur du pharynx. On donne ordinairement ce nom au petit plan de fibres demi-circulaires qui se remarque au-dessous des cricopharingiens, & qui s'attache de même qu'eux aux parties latérales externes du cartilage cricoïde.


OESOPHAGOTOMIEterme de Chirurgie, opération qu'on fait à l'oesophage pour tirer les corps étrangers qui y sont arrêtés, qui ne peuvent être ni retirés ni enfoncés, & dont le séjour dans cette partie seroit une cause d'accidens funestes. Voyez dans l'article précédent les secours qu'on peut donner contre les corps étrangers de l'oesophage ; & l'article BRONCHOTOMIE, où l'on voit que la ponction de la trachée-artere ayant rétabli la respiration, très-gênée par un corps étranger dans l'oesophage, on a pu enfoncer ce corps étranger dans l'estomac par des moyens ordinaires, ce qui a dispensé de l'oesophagotomie.

M. Guattani, chirurgien de l'hôpital général de Rome, & premier chirurgien de sa sainteté en survivance, a communiqué en 1747 à l'académie royale de Chirurgie, dont il est associé, une dissertation imprimée dans le troisieme tome de ses mémoires, dans laquelle il établit la possibilité de l'incision de l'oesophage, d'après plusieurs dissections anatomiques, & plusieurs expériences sur des animaux vivans. Il fait observer que l'incision doit toujours se faire à gauche, parce que l'oesophage, suivant la remarque de M. Winslow, n'est point couché sur le milieu des vertebres, mais est situé à la gauche de la trachée-artere. (Y)


OESTREvoyez HUITRE.


OESTRYMNISPROMONTORIUM, (Géog. anc.) Festus Avienus parle d'un promontoire, d'un golfe & d'îles qu'il nomme Oestrymnides. Il dit que le promontoire a le sommet de roche ; que le golfe commence à ce promontoire, & que les îles sont riches en plomb & en étain. Ce dernier trait ressemble bien à l'idée que les anciens ont eu des îles Cassitérides : en ce cas le golfe peut être le golfe de France. (D.J.)


OESYPES. m. (Commerce) c'est cette espece de graisse ou axonge que l'on nomme plus communément suint, qui est adhérente à la laine de moutons & de brebis, sur-tout à celle d'entre les cuisses & de dessous la gorge.

Ceux qui lavent les laines ont soin de recueillir cette graisse, qui surnage sur l'eau où ils les lavent, & ils la mettent, après l'avoir fait passer par un linge, dans des petits barrils dans lesquels les marchands Epiciers & Droguistes la reçoivent.

Le Berry, la Beauce & la Normandie sont les provinces de France qui fournissent davantage d'oesype, sans doute à cause des nombreux troupeaux qui s'y nourrissent. Les Normands lui donnent le nom de si : en Berry on l'appelle serin, & ailleurs soin.

Cette drogue doit être choisie nouvelle, d'une consistance moyenne, d'un gris de souris, sans saleté, & d'une odeur supportable. Quand elle vieillit elle ressemble à du savon sec, & s'empuantit à l'excès. Cependant elle a une propriété extraordinaire, qui est qu'après un très-long-tems & une insupportable puanteur, elle acquiert une odeur agréable & approchant de celle de l'ambre gris.

OESYPE, (Mat. med.) Les anciens pharmacologistes ont attribué, suivant leur usage, beaucoup de vertus à cette graisse, qu'ils ont principalement recommandée contre les douleurs de la rate & de l'estomac, la dureté du foie, & les nodosités des membres ; contre les ulceres du fondement & de la vulve, &c. L'usage de ce remede est absolument aboli. (b)


OETA(Géogr. anc.) longue chaîne de montagnes dans la Grece, qu'elle traverse depuis le pas des Thermopyles jusqu'au golfe d'Ambracie. L'Oeta commence aux Thermopyles, au bord du golfe Maliac, & se termine dans la mer, auprès des îles Echinades. Sophien dit que le nom moderne est Bunina.

Cette montagne de Thessalie, entre le Pinde & le Parnasse, est célebre dans l'histoire grecque, par le pas des Thermopyles, & dans la Fable, par la mort d'Hercule qui s'y brûla : d'où vient que le peuple qui habitoit au pié de l'Oeta avoit un culte particulier pour ce héros. Ce mont étoit encore renommé par son ellébore. Enfin, comme le mont Oeta se perd dans la mer égée, qui est à l'extrêmité de l'Europe à l'orient, les Poëtes ont feint que le soleil & les étoiles se levoient derriere cette montagne, & que de-là naissoient le jour & la nuit. (D.J.)


OETINou OETINGEN, (Géog.) ville d'Allemagne dans la Souabe, avec titre de comté. Long. 28. 20. lat. 48. 52.

Oetingen est la patrie de Wolfius (Jérôme) un des habiles humanistes du xvj. siecle en Allemagne. On lui doit plusieurs bonnes traductions latines des orateurs grecs & d'autres auteurs. Il mourut de la pierre à Augsbourg en 1580, à 64 ans. Il y a eu plusieurs autres savans hommes de son nom en Allemagne & en Suisse.

OETING ou OTTINGEN, (Géog.) ville d'Allemagne dans la haute Baviere, sous la jurisdiction de Burckhausen. Elle est sur l'Inn, & se divise en ancienne & en nouvelle. Long. 30. 32. lat. 48. 8. (D.J.)


OEUFdans l'Histoire Naturelle, c'est cette partie qui se forme dans les femelles des animaux, & qui, sous une écaille ou écorce qu'on nomme coque, renferme un petit animal de même espece, dont les parties se développent & se dilatent ensuite, soit par incubation, soit par l'accession d'un suc nourricier.

Les especes d'animaux qui produisent des oeufs se nomment en particulier ovipares ; & la partie de la femelle dans laquelle l'oeuf se forme, se nomme ovaire. Voyez OVAIRE.

Comme de tous les oeufs ceux des poules ou ceux dont se forment les poulets sont les plus communs & en même tems ceux qui ont été plus observés, nous dirons quelque chose ici de leur structure & de la maniere dont les poulets s'y engendrent.

La partie extérieure d'un oeuf de poule est donc la coque, écorce blanche, mince, friable, qui renferme & garantit toutes les autres parties des injures qu'elles auroient à craindre du dehors. Immédiatement après la coque il y a une membrane commune, membrana communis, qui tapisse toute la cavité de la coque, & qui lui est attachée très-serrée, excepté dans le gros bout de l'oeuf, où on découvre entre ces deux parties une petite cavité qui peu-à-peu devient plus considérable. Dans cette membrane sont contenus les deux albumina ou blancs, enveloppés chacun dans sa membrane propre. Dans le milieu du blanc est le vitellus ou jaune, enveloppé aussi particulierement dans son enveloppe ou membrane particuliere : l'albumen extérieur est oblong ou ovale, & il suit la figure de la coque ; l'intérieur est sphérique, & d'une substance plus crasse & plus visqueuse, & le jaune est de la même figure. A chacune de ses extrémités est un chalaza, & les deux ensemble sont comme les poles de ce microcosme : ce sont des corps blancs, denses, dont chacun est composé de trois petits globules, semblables à des grains de grêle joints ensemble. Non-seulement c'est dans ces chalazas que les différentes membranes sont jointes ou attachées ensemble, ce qui fait que les différentes liqueurs se tiennent chacune dans sa place ou sa position respective ; mais ils servent encore à tenir toujours une même partie de l'oeuf en en-haut, de quelque côté qu'on se tourne. Voyez CHALAZA.

Vers le milieu, entre les deux chalazas, sur le côté du jaune & dans sa membrane, est une petite vessie de la figure d'une vessie ou lentille, qu'on appelle en latin cicatricula, & en françois germe, & que quelques auteurs nomment aussi l'oeil-de-boeuf, & qui contient une humeur dans laquelle le poulet s'engendre.

Toutes ces parties qu'on distingue dans l'oeuf de poule, se trouvent aussi dans les autres oeufs : l'une des parties de l'oeuf est ce dont l'animal se forme, & le reste est destiné à sa nourriture ; suivant cela, la premiere semence ou stamen du poulet est dans la cicatricule.

L'albumen est le suc nourricier qui sert à l'étendre & à le nourrir jusqu'à ce qu'il devienne gros, & le jaune lui sert de nourriture lorsqu'il est tout-à-fait formé, & même en partie lorsqu'il est éclos ; car il reste après que l'oeuf est éclos une bonne partie du jaune, laquelle est reçue dans le ventre du poulet comme dans un magasin, & portée de-là par les appendicula ou canal intestinal, aussi bien que par entonnoir, dans les boyaux, & qui sert comme de lait. Voyez ECLORE & PUNCTUM SALIENS.

Un oeuf proprement dit est ce du total dequoi l'animal se forme ; tels sont ceux des mouches, des papillons, &c. qu'Aristote appelle vermiculi.

Il y a entre cette derniere espece d'oeufs & la premiere, cette différence, qu'au lieu que ceux de la premiere espece (aussi-tôt que la femelle les a pondus) n'ont plus besoin que de chaleur & d'incubation, sans aucune nourriture extérieure, pour porter le foetus à sa perfection ; ceux de la derniere espece, après qu'ils sont tombés de l'ovaire dans la matrice, ont besoin des sucs nourriciers de la matrice pour s'étendre & grossir : c'est aussi ce qui fait qu'ils restent plus long-tems dans la matrice que les autres.

La principale différence qui se trouve entre les oeufs proprement dits, c'est qu'il y en a qui sont parfaits, c'est-à-dire qu'ils ne manquent d'aucune des parties que nous venons de décrire, lors même qu'ils sont dans l'ovaire ou dans la matrice ; & d'autres imparfaits, qui n'ont toutes ces parties à-la-fois qu'après qu'ils sont pondus : tels sont les oeufs des poissons, où se forme un albumen pour les garantir de l'eau lorsqu'ils sont déja hors du corps de la mere.

Une autre différence, c'est qu'il y en a de fécondés & d'autres qui ne le sont point : les premiers sont ceux qui contiennent un sperme que le mâle injecte dans le coït, pour les disposer à la conception ; les autres ne sont point imprégnés de ce sperme, & ne donnent jamais des petits par incubation, mais seulement par putréfaction. Un oeuf fécondé contient les rudimens du poulet avant même que la poule ait commencé à le couver. Le microscope nous fait voir à découvert dans le milieu de la cicatricule la carcasse du poulet qui nage dans le liquamen ou l'humeur ; elle est composée de cinq petites zones ou cordons que la chaleur de l'incubation future grossit en rarefiant & liquefiant la matiere premiere de l'albumen, & ensuite celle du germe, & les faisant entrer dans les vaisseaux de la cicatricule pour y recevoir encore une préparation, une digestion, une assimilation & une accrétion ultérieure, jusqu'à ce que le poulet devenu trop gros, ait rompu la coque & soit éclos.

On croyoit autrefois qu'il n'y avoit que les oiseaux & les poissons, avec quelques autres animaux, qui fussent produits ab ovo, par des oeufs ; mais le plus grand nombre des modernes inclinent plutôt à penser que tous les animaux & les hommes mêmes sont engendrés de cette maniere. Harvé, Graaf, Kerkringius, & quelques grands anatomistes, ont si bien défendu cette opinion, qu'elle est à-présent généralement reçue.

On voit dans les testicules des femmes de petites vésicules qui sont environ de la grosseur d'un pois verd, qu'on regarde comme des oeufs : c'est ce qui a fait donner par les modernes le nom d'ovaires à ces parties, que les anciens appelloient testicules ; ces oeufs fécondés par la partie la plus volatile & la plus spiritueuse de la semence du mâle, se détachent de l'ovaire & tombent par le conduit de Fallope dans la matrice, où ils se forment & grossissent. Voyez CONCEPTION & GENERATION.

Plusieurs observations & plusieurs expériences concourent pour donner plus de poids à ce système, & pour le confirmer. M. de Saint-Maurice ayant ouvert une femme à Paris en 1682, lui trouva un foetus parfaitement formé dans le testicule.

M. Olivier médecin de Brest, assure qu'en 1684, une femme qui étoit grosse de sept mois accoucha dans son lit d'un grand plat d'oeufs, liés ensemble comme une grappe de raisin, & de différentes grosseurs, depuis celle d'une lentille, jusqu'à celle d'un oeuf de pigeon. Wormius rapporte avoir vu lui-même une femme qui étoit accouchée d'un oeuf ; & Bartholin confirme la même chose, Cent. prim. hist. anat. IV. p. 11. Le même auteur dit qu'il avoit connu à Copenhague une femme, qui au bout de douze semaines de grossesse, avoit jetté un oeuf enveloppé d'une coque mollasse. Lanzonus, Dec. 11. ann. IX. obs. xxxviij. p. 731. des mém. des curieux de la nature, rapporte la même chose d'une autre femme grosse de sept semaines. L'oeuf qu'elle rendit, n'étoit ni aussi gros qu'un oeuf de poule, ni aussi petit qu'un oeuf de pigeon : il étoit couvert de membranes, au lieu de coque. La membrane extérieure appellée chorion, étoit épaisse & sanguinolente ; l'intérieure nommée amnios, étoit déliée & transparente ; & elle renfermoit une humeur blanchâtre, dans laquelle nageoit l'embryon attaché par les vaisseaux umbilicaux, lesquels ressembloient à des fils de soie.

Bonet dans sa lettre à Zwinger, publiée dans les éphémérides des curieux de la nature, Dec. 11. ann. 2. observ. clxxxvj. p. 417. rapporte qu'une jeune fille avoit rendu une grande quantité de petits oeufs. Conrad Virsungius dit qu'en faisant l'anatomie d'une femme qui avoit une descente, il trouva dans une des trompes des oeufs de différentes grosseurs. Enfin, on voit encore de semblables exemples dans Rhodius, Cent. 111. observ. lvij. & dans différens endroits des mémoires des curieux de la nature : de sorte que Berger dans son traité de naturâ humanâ, liv. II. chap. j. p. 461. n'hésite point de penser que la seule différence qu'il y ait entre les animaux qu'on nomme vivipares, & ceux qu'on appelle ovipares, c'est que les derniers jettent leurs oeufs hors de leur corps, & les déposent dans un nid, & que leurs oeufs contiennent toute la nourriture nécessaire à leur fruit ; au lieu que dans les derniers, les oeufs sont déposés des ovaires dans la matrice, qu'ils ont peu de suc, & que la mere fournit le reste de l'aliment.

Il n'y a pas jusqu'aux plantes dont Empedocles, & depuis Malpighi, Rallius, Fabrice d'Aquapendente, Grew, & d'autres, n'ayent prétendu que la génération se fait par des oeufs. Voyez PLANTE.

D'un autre côté, nous avons plusieurs exemples où les animaux ovipares ont produit leurs petits tout vivans & sans oeufs. On en rapporte en particulier d'un corbeau, d'une poule, de serpens, d'un poisson, d'anguilles, &c. Voyez Isibord, ab Amelanxen, breviar. memorabil. n °. 28. in append. Mém. nat. cur. dec. 11. an. 4. pag. 201. Lyserus, observ. VI. envoyée à Bartholin, Aldrovand. hist. serp. & dracon. pag. 309. Seb. Nuremberg, de miraculis naturae in Europ. c. xlj. Franc. Paulin, de anguilla, sect prim. cap. ij. &c.

Ce n'est pas tout : les Physiciens rapportent des exemples de mâles qui ont jetté des oeufs par le fondement. Ce fait paroîtra si ridicule à un lecteur sage, qu'on pourroit nous blâmer de transcrire ici les passages sur lesquels on l'appuie ; & ainsi nous nous contenterons de renvoyer le lecteur qui aura assez de curiosité pour les confronter aux auteurs d'où nous aurions pû les tirer : savoir, Christophe Paulin, Cynograph. curios. sect. I. liv. III. §. 56. M. nat. cur. Dec. 11. ann. 8. observ. cxvij. p. 261. & Dec. 1. ann. 2. observ. ccl. & Dec. 11. ann. 4. append. 199. Scheulk, hist. monast. p. 129. &c.

M. Hotterfort pense qu'il a bien pu se faire au-moins dans quelque cas, que ce qu'on avoit pris pour des oeufs, ne fût que des alimens mal digérés & coagulés, ainsi qu'il l'a trouvé une fois lui-même. Quant aux oeufs des femmes, Wormius & Fromann, lib. III. de fascinat. v. 6. cap. xx. §. 9. pag. 882. ont cru que c'étoit un effet du pouvoir du démon ; mais M. Bartholin & M. Stotterfoht, se moquent avec raison de cette relation.

Gousset, de causis linguae hebraïcae, taxe le sentiment moderne de la génération ab ovo, d'être contraire à l'Ecriture ; & d'autres ont cru voir dans la semence des animaux mâles, l'animal en vie & tout formé. Voyez ANIMALCULE & SEMENCE.

Malpighi fait des observations très-curieuses avec le microscope de tous les changemens qui arrivent dans l'oeuf qu'une poule couve de demi-heure en demi-heure. Vossius & divers autres auteurs sont fort embarrassés de décider cette question, lequel a existé le premier de l'oeuf ou de la poule, de idol. lib. III. cap. lxxviij.

En Egypte, on fait éclorre les oeufs par la chaleur d'un fourneau ou d'un four, & on en fait quelquefois éclorre sept ou huit mille tout-à-la-fois. On trouve la maniere dont on se sert pour cela décrite dans les Transactions philosophiques. Voyez ECLORE. Voyez ces fours, Pl. d'Agricul.

On dit qu'à Tunquin on conserve les oeufs pendans trois ans, en les enveloppant d'une pâte faite de cendre & de saumure. La tortue fait, à ce qu'on dit, jusqu'à quinze cent oeufs qu'elle couvre de sable, & qu'elle abandonne à la chaleur du soleil pour éclorre ; les oeufs d'Autruche éclosent de la même maniere. Villugh. Ornithol. Lib. II. c. viij. §. 1.

Dans les acta eruditorum de Lips. Leypsik, année 1683. p. 221. il est parlé d'un oeuf de poule tout semblable aux oeufs ordinaires, au milieu duquel on en trouva un autre de la grosseur d'un oeuf de pigeon. Voyez SUPERFETATION.

Les oeufs à double coque ne sont pas rares ; Harvey donne fort au long dans son traité de la génération de l'animal, l'explication de cette apparence.

Chez les anciens l'oeuf étoit le symbole du monde, & c'étoit une tradition parmi eux que le monde avoit été fait d'un oeuf, ce qui rendit les oeufs d'une grande importance dans les sacrifices de Cybele, la mere des dieux : quelques-uns de leurs faux-dieux étoient aussi venus d'un oeuf.

OEUF VUIDE voyez VUIDE.

OEUF DE VACHE, c'est un nom que quelques auteurs donnent à une espece de besoard qu'on trouve dans l'estomac de la vache.

OEUF, en Architecture, ornement de forme ovale qu'on pratique de l'echinus ou quart de rond du chapiteau ïonique & composite ; le profil ou le contour de l'échinus s'enrichit d'oeufs & d'ancres placés alternativement. Voyez nos Pl. d'Architecture. Voyez aussi ECHINUS, ORE, &c.

OEUF PHILOSOPHIQUE, en Chimie, voyez PHILOSOPHIQUE.

OEUF, (Physique générale) on trouve quelquefois des oeufs extraordinaires en petitesse, en grosseur, en figure, sans coque, sans jaune ; d'autres qui ont une double coque ; d'autres qui renferment un second oeuf ; d'autres qui contiennent des corps étrangers, comme des pois, des lentilles, des épingles, &c. Enfin, j'ai recueilli beaucoup d'observations en ce genre ; mais il suffira d'en citer quelques-unes.

Le petit oeuf, ou l'oeuf nain, que les Ornithologistes nomment communément, ovum centeninum, est le dernier que la poule ponde de la saison. Cet oeuf pour l'ordinaire ne contient pas de jaune, mais une espece de glaire ou de blanc. Il n'est pas surprenant que ce dernier oeuf soit si petit ; mais il est assez étonnant qu'une poule ne ponde jamais que de ces oeufs nains.

Malpighi vous donnera la raison pourquoi ces oeufs sont stériles, & ne produisent jamais de poulets.

Il y a d'autres oeufs qui surpassent de beaucoup les oeufs communs en grosseur. On les nomme ova gemellifica ; il semble même qu'Aristote s'en soit apperçu : mais il est certain qu'il n'y a que les oiseaux domestiques qui pondent de ces sortes d'oeufs : ils contiennent deux blancs & deux jaunes, & M. Harvey remarque que communément ils renferment deux poulets, qui quoiqu'éclos ne vivent pas.

De tous les oeufs extraordinaires, il n'y en a guere de si remarquables que ceux qui ont une double coque, & que Harvey appelle ovum in ovo : cet habile homme explique en même tems les causes de ce phénomene dans son traité de generatione animalium.

Le petit oeuf renfermé dans un grand, est ordinairement de la grosseur d'une olive, pointu par le bout, couvert d'une membrane dure, épaisse, & cassante. L'humeur qu'il contient est moins jaune que dans les autres oeufs.

M. Méri a montré à l'académie des Sciences un oeuf de poule cuit, dont le blanc renfermoit un autre petit oeuf revétu de sa coque & de sa membrane intérieure, & rempli de la matiere blanche sans jaune.

On a fait voir à la même académie en 1745, un oeuf de poule d'Inde, dans lequel étoit renfermé un autre oeuf garni de sa coque. Ceux qui savent que la coque de l'oeuf ne se forme que dans l'oviductus, ou canal qui conduit l'oeuf de l'ovaire au-dehors de l'animal, sentiront combien doivent être rares les circonstances nécessaires pour produire un pareil effet.

M. Petit porta en 1742 à la même académie un petit corps oviforme d'environ dix lignes de longueur, & de cinq lignes de diametre, qu'il avoit trouvé dans le blanc d'un oeuf. Ce corps qui étoit lui-même une espece de petit oeuf, n'étoit attaché au grand que par un pédicule assez court, & qui avoit peu de consistance : on y voyoit quatre enveloppes : l'extérieure étoit assez solide, puisqu'en étant séparée, elle conservoit sa forme & se soutenoit par elle-même, ce que ne faisoient point les autres. A chaque séparation des trois premiers enveloppes, ainsi prises extérieurement, le petit corps conservoit sa figure ; mais on n'eut pas plutôt séparé la quatrieme, que tout ce qui y étoit renfermé s'échappa en forme de blanc d'oeuf sans jaune.

Il y a des poules qui par un effet de la structure de leur ovaire, pondent toujours des oeufs sans jaune. Il y en a d'autres qui n'en pondent que quelquefois ; savoir, lorsque dans des efforts, ou par quelque cause extérieure, le jaune de l'oeuf se creve dans l'oviductus ; mais la cause n'étant pas constante, elles en font aussi de bien conditionnés.

Quant aux poules qui pondent quelquefois des oeufs sans coque, cela vient ou de quelque maladie qui irritant la trompe, leur fait chasser l'oeuf avant le tems ; ou bien par une grande fécondité qui ne leur donne pas le loisir de les mûrir tous : il y a des poules qui font le même jour un oeuf bien conditionné, & un autre sans coque.

Le défaut d'une suffisante quantité de cette humeur dans certaines poules, peut encore en être la cause. Les oeufs sans coque s'appellent oeufs hardés. Voyez OEUF HARDE.

Quoique beaucoup de personnes, d'ailleurs raisonnables, croyent avec le peuple que les coqs pondent des oeufs, & en particulier les oeufs qui sont sans jaune ; que ces oeufs étant trouvés dans du fumier ou ailleurs, on en voit éclorre des serpens aîlés, qu'on appelle basilics ; cette erreur n'a d'autre fondement qu'une ancienne tradition, que les préjugés de l'éducation & l'amour du merveilleux entretiennent.

On a trouvé quelquefois dans des oeufs de poule des corps étrangers, comme des pois, des lentilles, & même une épingle. Ces pois & ces lentilles qui ont germé & porté du fruit, étoient entre le blanc & le jaune de l'oeuf : peut-être que ces graines, ainsi que l'épingle dont j'ai parlé, se sont insinuées dans les poules pendant l'accouplement qui se sera fait dans un endroit où il y avoit beaucoup de pois & de lentilles : peut-être sont-ils entrés du jabot dans l'ovaire. (D.J.)

OEUF HARDE, (Hist. nat.) il n'est pas rare de trouver des oeufs de poule sans coque : on les appelle des oeufs hardés. Leurs liqueurs ne sont contenues que par la membrane épaisse qui tapisse l'intérieur de la coquille des autres. Cette enveloppe cede sous le doigt en quelqu'endroit qu'on la presse : on tenteroit très-inutilement de faire éclorre le poulet d'un oeuf sans coque ; la transpiration s'y fait avec une trop grande facilité ; bien-tôt la membrane qui est sa seule enveloppe, se plisse, se ride, & se chiffonne très irrégulierement en différens endroits. Au bout de peu de jours l'oeuf a totalement perdu sa forme, & les deux tiers, ou même les trois quarts de son volume : il ne contient plus que des matieres épaissies au point d'être devenues solides & dures. Peut-être néanmoins ne seroit-il pas impossible, dit M. de Réaumur, de faire développer le poulet d'un oeuf hardé : mais il faudroit, ajoute-t-il, que l'art lui donnât l'équivalent de ce que la nature lui a refusé. Il faudroit suppléer par quelque enduit à la coquille qui lui manque, lui en faire une de plâtre, ou de quelque mortier, ou de quelque ciment poreux. Cette expérience qui ne seroit que curieuse, ne réussiroit sans doute, qu'après avoir été tentée bien des fois, & ne nous apprendroit rien de plus que ce que nous savons déja sur la nécessité d'une transpiration mesurée. (D.J.)

OEUFS, conservation des, (Physique générale) il n'est pas indifférent de pouvoir conserver des oeufs, & en particulier des oeufs de poule, frais pendant long-tems. Tous les oeufs que couve une poule, ne sont pas également frais ; si elle les a tous pondus, il y en a tel qui est de quinze à seize jours plus vieux qu'un autre. L'embryon périt dans l'oeuf, lorsque l'oeuf devient trop vieux, parce que l'oeuf se corrompt ; mais il y vivroit quelquefois plus longtems, si on empêchoit l'oeuf de se corrompre.

Malgré la tissure compacte de sa coque écailleuse, malgré la tissure serrée des membranes flexibles qui lui servent d'enveloppe immédiate, l'oeuf transpire journellement, & plus il transpire & plus tôt il se gâte. Il n'est personne qui ne sache que dans un oeuf frais & cuit, soit mollet, soit au point d'être dur, la substance de l'oeuf remplit sensiblement la coque ; & qu'au contraire il reste un vuide dans tout oeuf vieux qui est cuit, & un vuide d'autant plus grand, que l'oeuf est plus vieux. Ce vuide est la mesure de la quantité du liquide qui a transpiré au-travers de la coque. Aussi, pour juger si un oeuf même qui n'est pas cuit, est frais, on le place entre une lumiere & l'oeil ; la transparence de la coque permet alors de voir que l'oeuf vieux n'est pas plein dans sa partie supérieure. Mais des observations faites par les Physiciens, leur ont découvert les conduits par lesquels l'oeuf peut transpirer. Ils ont vu que dans les enveloppes qui renferment le blanc & le jaune de l'oeuf, il y a des conduits à air qui communiquent au-travers de la coque avec l'air extérieur. On voit où sont ces passages, lorsqu'on tient un oeuf sous le récipient de la machine pneumatique dans un vase plein d'eau purgée d'air. A mesure qu'on pompe l'air du récipient, celui qui est dans l'oeuf sort par des endroits où la coque lui permet de s'échapper.

Un fait qui prouve encore très-bien que la coque de l'oeuf est pénétrable à l'air, c'est que le poulet prêt à éclorre fait entendre sa voix avant qu'il ait commencé à becqueter sa coque, & avant qu'il l'ait même filée. On l'entend crier très-distinctement, quoique sa coque soit bien entiere ; malgré sa tissure serrée, l'oeuf transpire ; il est pour nous d'autant plus vieux, ou, pour parler plus exactement, d'autant moins bon, qu'il a transpiré davantage. Les paysans de nos provinces & des autres pays agissent comme s'ils savoient cette physique. Pour conserver longtems leurs oeufs en bon état, ils les tiennent dans des tonneaux où ils sont entourés de toutes parts de cendre bien pressée, de son, de sciure de bois de chêne, &c. cette cendre, ce son, cette sciure de bois de chêne s'applique contre les coques, en bouche les pores & rend leur transpiration difficile. Les oeufs ainsi conservés sont mangeables dans un tems où ils eussent été entierement corrompus sans ces précautions.

M. de Réaumur a imaginé d'abord un meilleur moyen d'empêcher l'insensible transpiration des oeufs ; c'est en les enduisant d'un vernis impénétrable à l'eau ; ce vernis est composé de deux parties de gomme-laque plate, avec une partie de colophone dissoute dans de l'esprit-de-vin. Une pinte d'esprit-de-vin, dans laquelle on dissout une demie livre de laque plate & un quart de livre de colophone, peut vernir 72 douzaines d'oeufs, c'est-à-dire que la dépense en vernis pour chaque douzaine d'oeufs ne sauroit aller à un sol ; & si l'on fait les couches très-minces, cette dépense n'iroit qu'à la moitié du prix.

Quoique la composition de ce vernis & son application soient faciles, M. de Réaumur a trouvé depuis qu'on pouvoit substituer à ce vernis une matiere moins chere encore, plus connue & aisée à avoir par-tout, c'est de la graisse de mouton fraîche. Les oeufs qui ont été enduits de cette graisse, se conservent frais aussi long-tems que ceux qui ont été vernis. Cette graisse ne coûte presque rien de plus que le suif ordinaire, qui réussiroit également, mais qui blesseroit l'imagination. On fait fondre de la graisse de mouton fraîche ; & après l'avoir rendue liquide, on la passe à-travers un linge, on la met dans un pot de terre, on l'échauffe près du feu, on plonge chaque oeuf dans cette graisse, & on le retire sur le champ : s'il est bien frais, il peut se conserver ainsi pendant près d'une année.

On peut plonger l'oeuf dans la graisse avec des pinces, dont l'attouchement ne se feroit que dans deux points ; & quand la graisse seroit figée sur tous les autres endroits, on porteroit avec une plume ou un pinceau une petite goutte de graisse liquide sur les deux endroits qui sont restés découverts. Mais pour n'avoir plus à revenir à l'oeuf après qu'il a été tiré du pot, il sera peut-être plus commode de donner à chaque oeuf un lien d'un brin de fil long de 6 à 7 pouces ; on entourera l'oeuf vers son milieu, c'est-à-dire à distance à-peu-près égale de ses deux bouts avec ce fil, on lui fera une ceinture arrêtée par un double noeud, lequel noeud se trouvera très-près d'un des bouts de ce fil, c'est par l'autre bout du fil qu'on tiendra l'oeuf suspendu pour le plonger dans la graisse liquide. Celle qui s'attachera sur la partie du fil qui entoure l'oeuf, arrêtera aussi-bien toute évaporation dans cet endroit, que celle qui sera immédiatement appliquée contre la coquille. On imaginera peut-être qu'il est difficile de mettre un oeuf en équilibre sur un tour de fil, & de faire que cet oeuf ne s'échappe pas ; mais pour peu qu'on l'éprouve, on trouvera le contraire.

La graisse de mouton ne communique pas le plus léger goût de graisse à l'oeuf ; car quand on le retire de l'eau bouillante, il n'y a que le-dessus de la coquille qui soit un peu gras, & on emporte toute trace de graisse en frottant l'oeuf avec un linge. L'enduit de graisse est préférable au vernis pour les oeufs destinés à être couvés, parce qu'il est difficile de dévernir les oeufs, & que l'enduit de graisse est très-aisé à enlever. Enfin on pourroit par le moyen de l'enduit de graisse transporter dans les divers pays un grand nombre d'oeufs d'oiseaux étrangers, les y faire couver, & peut-être, en naturaliser plusieurs. Cependant, malgré toutes ces vérités, ni le vernis des oeufs, ni leur enduit de graisse proposés l'un & l'autre par M. de Réaumur, n'ont point encore pris faveur dans ce royaume. (D.J.)

OEUF, (Chimie) voyez SUBSTANCES ANIMALES.

OEUF, (Diete, Pharmac. & Mat. méd.) les oeufs les plus employés à titre d'aliment sont ceux de poule. On mange aussi en Europe les oeufs d'oie, de canne, de poule-d'inde, de paon, de faisan, &c. Les Africains mangent les oeufs d'autruche, & ceux de crocodile. Les oeufs de tortue sont un aliment très-usité dans les îles de l'Amérique.

C'est aux oeufs de poule que convient principalement ce que nous allons en observer en général, & cela instruira suffisamment sur les qualités essentielles des autres oeufs qu'on mange quelquefois dans ce pays ; ce qui peut mériter quelque considération particuliere sur les qualités spéciales des autres, par exemple, sur ceux de tortue, sera rapporté à cet article particulier. Voyez TORTUE D'AMERIQUE.

Les oeufs de poule, que nous n'appellerons plus que les oeufs, doivent être choisis les plus frais qu'il se pourra ; on veut encore qu'ils soient bien blancs & longs. On connoît à ce sujet les vers d'Horace.

Longa quibus facies ovis erit, illa memento

Ut succi melioris, & ut magis alba rotundis

Ponere.

Les oeufs nourrissent beaucoup : ils fournissent un bon aliment, utile en santé comme en maladie. Les auteurs de diete s'accordent tous à assûrer qu'ils augmentent considérablement la semence, qu'ils réveillent l'appétit vénérien, & disposent très-efficacement à le satisfaire. On les prépare de bien des manieres, & on en forme différens mets qui sont d'autant plus salutaires qu'ils sont plus simples. Car toutes ces préparations recherchées où les oeufs sont mêlés avec des laitages, du sucre, des parfums, &c. déguisent tellement la vraie nature de l'oeuf qu'il peut y perdre toutes ses bonnes qualités. Il est observé même que les laitages chargés d'oeufs subissant dans les premieres voies, l'altération à laquelle ils sont naturellement sujets, la communiquent aux oeufs, & que la corruption d'un pareil mêlange devient pire que n'auroit été celle du lait seul. On peut donc établir que tous ces mêlanges délicats d'oeufs & de lait, comme crêmes, &c. sont des alimens au-moins suspects, comme le lait. Voyez LAIT. Quant à la meilleure façon de préparer les oeufs seuls, on peut la déterminer d'après cette seule regle ; savoir qu'en général ils doivent être modérement cuits ; la raison en est, dit Louis Lemery, que quand ils le sont trop peu, ils demeurent encore glaireux, & par conséquent difficiles à digérer. Quand au contraire ils sont trop cuits, la chaleur en a dissipé les parties aqueuses, qui servoient à étendre les autres principes de l'oeuf, & à leur donner de la fluidité ; or ces principes se trouvant dépourvûs de leur humidité naturelle, s'approchent & s'unissent étroitement les uns aux autres, & forment un corps compact, resserré en ses parties, pesant à l'estomac. Ainsi l'oeuf ne doit être ni glaireux, ni dur, mais d'une substance molle & humide, comme on le peut voir par ce vers de l'école de Salerne.

Si sumas ovum, molle sit atque novum.

Lemery, Traité des alimens.

Il est assez reçu que les oeufs échauffent beaucoup, quand ils sont vieux ; cette qualité n'est pas annoncée par des effets assez déterminés, mais il est toujours sûr qu'ils sont d'un goût désagréable, & qu'ils sont plus sujets à se corrompre dans l'estomac que les frais.

Les plus mauvais de tous sont donc les vieux oeufs durs, tels que les oeufs de Pâques qu'on vend au peuple à Paris & dans plusieurs autres pays. Ces oeufs sont sujets à peser sur l'estomac, à exciter des rapports fétides & âcres, des coliques, en un mot des vraies indigestions d'autant plus fâcheuses qu'elles sont ordinairement accompagnées de constipation ; car la propriété de resserrer le ventre qu'on attribue communément aux oeufs durs, est très-réelle. Nous ne saurions cependant approuver la pratique fondée sur cette propriété qui fait des oeufs durs un remede populaire & domestique contre les dévoiemens.

Les auteurs de diete ont rapporté plusieurs signes, auxquels on peut reconnoître si les oeufs sont frais ou non ; mais les paysannes & les plus grossieres cuisinieres en savent plus, à cet égard, que n'en peuvent apprendre tous les préceptes écrits.

Mais quant à l'art de les conserver dans cet état de fraicheur, il faut rendre justice à la science, elle a été plus loin que l'économie rustique. Le principal secret qu'avoit découvert celui-ci, & qui est encore en usage dans les campagnes consistoit à les garder sous l'eau ; mais M. de Réaumur ayant considéré que les oeufs ne perdoient leur état de fraîcheur, que par une évaporation qui se faisoit à-travers les pores de leur coquille, laquelle en diminuant le volume des liqueurs dont l'oeuf est formé, exposoit ces liqueurs à une altération spontanée, une espece de fermentation, un commencement de corruption, en un mot aux inconvéniens auxquels sont sujettes les liqueurs fermentables gardées en vuidange ; il pensa que si l'on enduisoit les oeufs d'un vernis qui empêchât cette transpiration, on parviendroit à retarder considérablement leur corruption. Le succès répondit à ses espérances : des oeufs enduits d'un vernis à l'esprit-de-vin quelconque, d'une légere couche de cire, d'un mêlange de cire & de poix résine, de graisse de mouton, &c. se conservent pendant plusieurs mois, & même pendant des années entieres dans l'état de la plus parfaite fraîcheur. Les enduits de colle de poisson, de gomme arabique &c. arrêtent moins parfaitement cette transpiration, parce que la liqueur que l'oeuf exhale étant aqueuse, peut dissoudre une partie de ces dernieres substances, & se frayer ainsi quelques routes. On conserve aussi très-bien les oeufs sous l'huile, mais cette liqueur bouche les pores bien moins exactement que les matieres graisseuses & résineuses concrètes. Le suif y seroit très-bon, mais quoiqu'on puisse l'enlever facilement, l'idée de son emploi est toujours dégoûtante. M. de Réaumur donne la préférence à la graisse de mouton, parce qu'elle coûte très-peu, & qu'elle se sépare facilement de l'oeuf en le faisant tremper dans l'eau chaude. La maniere de les enduire de graisse de mouton proposée par cet académicien, est fort simple & plus facile dans l'exécution, comme il l'observe lui-même, qu'on ne seroit tenté de croire d'abord. Il ne s'agit que de suspendre un oeuf à un fil, dans lequel on l'engage comme dans une espece de ceinture au moyen d'un noeud coulant, & de le tremper une seule fois dans de la graisse fondue sur le feu. Voyez l'Histoire des insectes de M. de Réaumur, tome II. & Mémoires de l'académie royale des Sciences, année 1735.

Ce que nous avons dit des oeufs jusqu'à présent convient à l'oeuf entier, c'est-à-dire au blanc & au jaune mangés ensemble, & se tempérant mutuellement ; car chacune de ces substances considérée en particulier a des qualités diétetiques différentes. Le blanc ou partie glaireuse est beaucoup plus nourrissante, c'est à celle-là que convient principalement l'exagération d'Avicenne qui dit des oeufs qu'ils engendrent autant de sang qu'ils pesent. Le jaune est moins nourrissant & plus échauffant ; c'est à cette substance qu'appartient spécialement la qualité aphrodisiaque ou excitant à l'amour, observée dans les oeufs.

Boerhaave, qui a donné dans sa chimie un long examen du blanc d'oeuf sans dire un mot du jaune, observe que cette matiere albumineuse étant portée jusqu'à la putréfaction vraiment alkaline, produit les plus terribles effets dans le corps animal, prise en la plus petite quantité, pauxillum, & même que sa seule odeur dissout les humeurs de notre corps à l'égal du venin de la peste, solo putrido halitu suo humores corporis nostri mirificè dissolvit instar veneni pestilentialis. Cette proposition ne nous paroît guere moins outrée que celle de ce singulier Hecquet, qui dit dans son Traité des dispenses du carême, qu'un oeuf est une quintessence naturelle, un soufre, un volatile, un feu prêt à s'allumer.

Plusieurs auteurs ont accordé aux oeufs des vertus vraiment médicamenteuses. Hippocrate recommande les blancs d'oeufs battus dans de l'eau de fontaine comme une boisson humectante, rafraîchissante & laxative, très-propre aux fébricitans, &c. Tout le monde connoît l'usage des bouillons à la reine, dont la base est le jaune d'oeuf dans la toux & dans les coliques bilieuses. Ce dernier usage qui est le moins connu, peut être cependant regardé comme le meilleur par l'analogie qu'a le jaune d'oeuf avec la bile, qu'il est capable d'adoucir en s'y unissant.

La même qualité du jaune d'oeuf, savoir, sa qualité analogue à la bile, c'est-à-dire, savonneuse, capable de servir de moyen d'union entre les substances huileuses & les aqueuses, le rend très-propre à appaiser les tranchées violentes, & les autres accidens qui suivent quelquefois l'usage des violens purgatifs résineux : car le jaune d'oeuf est capable de s'unir chimiquement à ces résines, & de les disposer par là à être dissoutes & entraînées par les liqueurs aqueuses, soit celles que fournissent les glandes des intestins, soit celles qu'on peut donner aux malades à dessein, quelque tems après lui avoir fait prendre des jaunes d'oeuf.

On l'emploie d'avance au même usage, c'est-à-dire à prévenir ces accidens, si on ne donne ces résines âcres, qu'après les avoir dissoutes dans une suffisante quantité de jaune d'oeuf, & étendus ensuite en triturant dans suffisante quantité d'eau, ce qui produit l'espece d'émulsion purgative dont il est parlé à la fin de l'article ÉMULSION. Voyez cet article.

Les baumes & les huiles essentielles peuvent aussi commodément être unis aux jaunes d'oeuf, comme au sucre, pour l'usage médicinal : ce composé, qu'on pourroit appeller éléoon, est entierement analogue à l'éléosaccharum. Voyez cet article.

On trouve dans la pharmacopée de Paris un looch d'oeuf, qui est un mêlange d'huile d'amandes douces, de sirop & d'eaux distillées fait par le moyen d'un jaune d'oeuf : l'union que tous ces ingrédiens contractent, est très-légere ; ainsi on peut en évaluer l'action particuliere par les vertus respectives de ces différens ingrédiens : quant à sa qualité commune ou collective, celle qu'elle doit à sa forme, à sa consistance de looch, & à la maniere de l'appliquer, voyez LOOCH.

Le jaune d'oeuf trituré avec de la térébenthine, ou un autre baume naturel pour en composer les digestifs ordinaires des chirurgiens, exerce dans ce mêlange la même propriété : il se combine avec ces baumes, en corrige par-là la ténacité & l'âcreté, les rend en partie miscibles aux sucs lymphatiques & capables d'être enlevés de dessus la peau par des lotions aqueuses. Au reste, il ne leur communique cependant ces propriétés qu'à demi, parce qu'il n'entre point dans ce mêlange en assez grande quantité.

Le jaune d'oeuf employé à la liaison des sausses, y opere encore par la même propriété : il sert à faire disparoître une graisse fondue qui y surnage en la combinant, la liant avec la partie aqueuse qui fait la base de ces sausses.

L'huile par expression retirée des jaunes d'oeufs durcis, passe pour éminemment adoucissante dans l'usage extérieur ; mais elle ne possede évidemment que les qualités communes des huiles par expression. Voyez le mot HUILE.

Le blanc d'oeuf est l'instrument chimique le plus usité de la clarification. Voyez CLARIFICATION.

La propriété qu'a le blanc d'oeuf dur exposé dans un lieu humide, de se resoudre en partie en liqueur, d'éprouver une espece de défaillance, le rend propre à dissoudre certaines substances dont on le remplit après en avoir séparé le jaune : les oeufs durs ainsi chargés de myrrhe, fournissent l'huile de myrrhe par défaillance, voyez MYRRHE ; chargés de vitriol blanc & d'iris de Florence en poudre, un collyre fort usité, &c.

Le blanc d'oeuf entre dans la composition du sucre d'orge, de la pâte de réglisse blanche & de celle de guimauve, &c.

Enfin les coques ou coquilles d'oeufs se préparent sur le porphyre pour l'usage médicinal : c'est un absorbant absolument analogue aux yeux d'écrevisse, aux écailles d'huitre, aux perles, à la nacre (voyez ces articles), & par conséquent on ne peut pas moins précieux. C'est par un pur caprice de mode que quelques personnes se sont avisées depuis quelque tems de porter dans leur poche une boîte de coquilles d'oeufs porphyrisées, qu'on envoie de Louvain. Cette substance terreuse est un des ingrédiens du remede de mademoiselle Stephens. Voyez REMEDE de mademoiselle Stephens.

OEUFS DES INSECTES. (Hist. nat. des insect.) la maniere dont les insectes mâles commercent avec les femelles, quoique très-variée, rend la femelle féconde, & la met en état de pondre des oeufs lorsqu'il en est tems.

La variété qu'il y a entre ces oeufs est incroyable, soit en grosseur, soit en figures, soit en couleurs. Les figures les plus ordinaires de leurs oeufs sont la ronde, l'ovale & la conique : les oeufs des araignées & d'un grand nombre de papillons, quoique ronds, sont encore distingués par bien des variétés ; mais il faut remarquer que dans ces mêmes figures il y a beaucoup de plus ou de moins, & que les unes approchent plus des figures dont on vient de parler que les autres. Pour ce qui regarde les couleurs, la différence est plus sensible. Les uns, comme ceux de quelques araignées, ont l'éclat de petites perles ; les autres, comme ceux des vers-à-soie, sont d'un jaune de millet ; on en trouve aussi d'un jaune de soufre, d'un jaune d'or & d'un jaune de bois. Enfin il y en a de verds & de bruns ; & parmi ces derniers, on en distingue de diverses especes de bruns, comme le jaunâtre, le rougeâtre, le châtain, &c.

La matiere renfermée dans ces oeufs (car la plûpart des insectes sont ovipares) est d'abord d'une substance humide, dont se forme l'insecte même qui en sort quand il est formé.

Tous les insectes ne demeurent pas le même espace de tems dans leurs oeufs. Quelques heures suffisent aux uns, tandis qu'il faut plusieurs jours, & souvent même plusieurs mois aux autres pour éclorre. Les oeufs qui pendant l'hiver ont été dans un endroit chaud, éclosent plus tôt qu'ils ne le devroient, selon le cours de la nature. Les oeufs fraîchement pondus sont très-mous ; mais au bout de quelques minutes ils se durcissent. D'abord on n'y apperçoit qu'une matiere aqueuse, mais bientôt après on découvre dans le milieu un point obscur, que Swammerdam croit être la tête de l'insecte, qui prend la premiere, selon lui, sa consistance & sa couleur.

L'insecte est plié avec tant d'art, que malgré la petitesse de son appartement, il ne manque pas de place pour former tous les membres qu'il doit avoir. On ne peut s'empêcher, en voyant ces merveilles, d'admirer la puissance de celui qui a su mettre tant de choses dans un si petit espace. Un très-grand nombre d'insectes semblent n'avoir presque d'autre soin pour leurs oeufs, que celui de les placer dans des endroits où leurs petits, dès qu'ils seront éclos, trouveront une nourriture convenable. Aussi est-ce alors tout le soin que demandent ces oeufs, & que le plus souvent les meres ne peuvent prendre, puisque quantité d'entr'elles meurent peu après qu'elles ont pondu ; ce soin cependant n'est pas toujours borné-là, bien des fois il est accompagné d'autres précautions.

Plusieurs enveloppent leurs oeufs dans un tissu de cire très-serré ; d'autres le couvrent d'une couche de poils tirés de leur corps. Quelques especes les arrangent dans un amas d'humeur visqueuse, qui se durcissant à l'air, les garantit de tout accident. Il y en a qui font plusieurs incisions obliques dans une feuille, & cachent dans chacune de ces incisions un oeuf. On en voit qui ont soin de placer leurs oeufs derriere l'écorce des arbres, & dans des endroits où ils sont entierement à couvert de la pluie, du mauvais tems & de la trop grande ardeur du soleil. Quelques-uns ont l'art d'ouvrir les nervures des feuilles & d'y pondre leurs oeufs ; de maniere qu'il se forme autour d'eux une excroissance qui leur sert tout-à-la-fois d'abri, & aux petits éclos d'alimens. Il y en a qui enveloppent leurs oeufs d'une substance molle qui fait la premiere nourriture de ces animaux naissans, avant qu'ils soient en état de supporter des alimens plus solides, & de se les procurer. D'autres enfin font un trou en terre, & après y avoir porté une provision suffisante de nourriture, ils y placent leur ponte.

Si un grand nombre d'insectes, après avoir ainsi placé leurs oeufs, les abandonnent au hasard, il y en a d'autres qui ne les abandonnent jamais ; tels sont par exemple quelques sortes d'araignées qui ne vont nulle part, sans porter avec elles dans une espece d'enveloppe tous les oeufs qu'elles ont pondus. L'attachement qu'elles ont pour ces oeufs est si grand, qu'elles s'exposent aux plus grands périls plutôt que de les quitter. Telles sont encore les abeilles, les guêpes, les frélons & plusieurs mouches de cet ordre. Les soins que les fourmis ont de leurs petits va encore plus loin, car ils s'étendent jusqu'aux nymphes dans lesquels ils doivent se changer. Les insectes ayant en général tant de soin de leurs oeufs, il est aisé de comprendre la multitude incroyable de ces petits animaux sur la terre, dont une partie périt au bout d'un certain tems, & l'autre sert à nourrir les oiseaux & autres animaux qui en doivent subsister. (D.J.)

OEUF DE SERPENT, (Littérat.) Une grande superstition des druides regardoit l'oeuf des serpens. Selon ces anciens prêtres gaulois, les serpens formoient cet oeuf de leur propre bave, lorsqu'ils étoient plusieurs entortillés ensemble. Dès que cet oeuf étoit formé, il s'élevoit en l'air au sifflement des serpens, & il falloit, pour conserver sa vertu, l'attraper lorsqu'il tomboit ; mais celui qui l'avoit ainsi pris montoit d'abord à cheval pour s'enfuir, & s'éloignoit au plus vîte, parce que les serpens, jaloux de leur production, ne manquoient pas de poursuivre celui qui la leur enlevoit, jusqu'à ce que quelque riviere arrêtât leur poursuite.

Dès que quelqu'un avoit été assez heureux pour avoir un de ces oeufs, on en faisoit l'essai en le jettant dans l'eau, après l'avoir entouré d'un petit cercle d'or ; & pour être trouvé bon, il falloit qu'il surnageât ; alors cet oeuf avoit la vertu de procurer à celui qui le possédoit gain de cause dans tous ses différends, & de lui faire obtenir, quand il le désiroit, un libre accès auprès des rois mêmes.

Les druides recherchoient avec grand soin cet oeuf, se vantoient souvent de l'avoir trouvé, & en vendoient à ceux qui avoient assez de crédulité pour ajouter foi à toutes leurs rêveries. Pline, en traitant ce manege de vaine superstition, nous apprend que l'empereur Claude fit mourir un chevalier romain du pays des Vocontiens (de la Provence), pour cette seule raison qu'il portoit un de ces oeufs dans son sein, dans la vue de gagner un grand procès. Il nous reste un ancien monument sur lequel sont deux serpens, dont l'un tient dans la gueule un oeuf que l'autre façonne avec sa bave. (D.J.)

OEUF DE MER, (Hist. nat.) ce sont des échinites ou oursins pétrifiés.

OEUFS DE SERPENS, (Hist. natur.) ovum anguium, nom donné par Boëce de Boot & par quelques autres naturalistes à une espece d'échinites ou d'oursins pétrifiés.

OEUF PHILOSOPHIQUE, espece de petit matras ayant la forme d'un oeuf, & portant son cou à l'un de ses bouts, c'est-à dire selon la direction de son grand diamêtre. Ce vaisseau doit être fait d'un verre très-épais & très-fort. On l'emploie aux digestions de certaines matieres peu volatiles, & ordinairement métalliques, qu'on y enferme en le scellant hermétiquement. (b)

OEUF DES DRUIDES, (Hist. anc.) chez les Celtes ou les premiers habitans des Gaules, les druides ou prêtres exerçoient la Médecine ; ils attribuoient sur-tout des vertus merveilleuses à ce qu'ils appelloient l'oeuf des serpens. Cet oeuf prétendu étoit formé, selon eux, par l'accouplement d'un grand nombre de serpens entortillés les uns dans les autres : aussi-tôt que ces serpens commençoient à siffler, l'oeuf s'élevoit en l'air, & il falloit le saisir avant qu'il fût retombé à terre ; aussi-tôt après il falloit monter à cheval, & fuir au galop pour éviter la fureur des serpens, qui ne s'arrêtoient que lorsque le cavalier avoit franchi quelque riviere. Voyez Pline, Hist. nat. liv. XXIX. ch. iij. Voyez plus haut OEUF DE SERPENT.

OEUF D'ORPHEE, (Hist. anc.) symbole mystérieux dont se servoit cet ancien poëte philosophe, pour désigner la force intérieure & le principe de fécondité dont toute la terre est imprégnée, puisque tout y pousse, tout y végete, tout y renaît. Les Egyptiens & les Phéniciens avoient adopté le même symbole, mais avec quelque augmentation ; les premiers en représentant un jeune homme avec un oeuf qui lui sort de la bouche ; les autres en mettant cet oeuf dans celle d'un serpent dressé sur sa queue. On conjecture que par-là les Egyptiens, naturellement présomptueux, vouloient faire entendre que toute la terre appartient à l'homme, & qu'elle n'est fertile que pour ses besoins. Les Phéniciens au contraire, plus retenus, se contentoient de montrer que si l'homme a sur les choses insensibles un empire très-étendu, il en a moins sur les animaux, dont quelques-uns disputent avec lui de force, d'adresse & de ruses. Les Grecs, qui respectoient trop Orphée pour avoir négligé une de ses principales idées, assignerent à la terre une figure ovale. Voyez l'Histoire critique de la Philosophie par M. Deslandes. (G)

OEUF D'OSIRIS, (Hist. anc.) les Egyptiens, si l'on en croit Hérodote, racontoient qu'Osiris avoit enfermé dans un oeuf douze figures pyramidales blanches pour marquer les biens infinis dont il vouloit combler les hommes ; mais que Typhon son frere ayant trouvé le moyen d'ouvrir cet oeuf, y avoit introduit secrettement douze autres pyramides noires, & que par ce moyen le mal se trouvoit toujours mêlé avec le bien. Ils exprimoient par ces symboles l'opposition des deux principes du bien & du mal qu'ils admettoient, mais dont cette explication ne concilioit pas les contrariétés. (G)

OEUFS, en terme de metteur en oeuvre, sont de petites cassolettes ou boîtes de senteur qui sont suspendues à chaque côté de la chaîne d'un étui de piece. Voyez ÉTUI DE PIECE.

OEUF, (Raffin. de sucre) on nomme ainsi dans les moulins à sucre, le bout du pivot du grand tambour, à cause qu'il a la figure de la moitié d'un oeuf d'oye. Cette piece s'ajoute au pivot, & y tient par le moyen d'une ouverture barlongue qu'on y fait ; elle est d'un fer acéré posée sur une platine ou crapaudine de même matiere.


OEUILL ', (Géog.) petite riviere de France dans le Bourbonnois. Elle a sept ou huit sources, qui forment au-dessous de Cosne une petite riviere, laquelle se perd dans le Cher à Valigni, aux confins du Berry.


OEUVRES. m. & f. (Gramm. Critique sacrée) ce terme a plusieurs significations dont voici les principales. 1°. Il se prend pour ouvrage des mains : & adoraverunt opus manuum suarum. Ps. cxxxiv. 15. Il signifie 2°. les productions de la nature : mentietur opus olivae, le fruit de l'olivier manquera. 3°. La délivrance du peuple juif : Domine, opus tuum vivifica ; Seigneur, accomplissez votre ouvrage. 4°. Les bienfaits : meditatus sum in omnibus operibus tuis, Ps. lxvj. 12. j'ai médité sur toutes les graces dont vous nous avez comblé. 5°. Les châtimens. 6°. La récompense & le prix du travail : non morabitur opus mercenarii apud te. Levit. xix. 13. 7°. Les actions morales bonnes ou mauvaises. (D.J.)

OEUVRE, (Métallurgie) lorsque l'on traite dans une fonderie des mines qui contiennent de l'argent, ou ces mines renferment déja par elles-mêmes du plomb, ou l'on est obligé d'y joindre ce métal avant que de faire fondre la mine : après avoir fait ce mêlange, on fond le tout, & de cette fonte il en résulte une matiere qu'on appelle l'oeuvre, en allemand werk ; ce n'est autre chose que du plomb qui s'est chargé de l'argent qui étoit contenu dans la mine avec laquelle on l'a mêlé, aussi-bien que des substances étrangeres, du soufre, de l'arsenic, du cuivre, &c. qui se trouvoient dans cette mine d'argent. Pour dégager ensuite l'argent du plomb & des autres substances avec lesquelles il est joint dans l'oeuvre, on le fait passer par la grande coupelle, après avoir préalablement fait l'essai de l'oeuvre pour savoir combien il contient d'argent.

L'on nomme aussi oeuvre ou plomb d'oeuvre celui qui découle du fourneau dans l'opération appellée liquation, & qui a servi à dégager l'argent qui étoit contenu dans le cuivre noir. Voyez LIQUATION. (-)

OEUVRE, (Hydr.) on dit qu'un bassin a dans oeuvre tant de toises, pour exprimer qu'il tient entre ses murs tant de superficie d'eau. On dit même hors d'oeuvre, quand on parle du dehors d'un ouvrage. Ce terme s'emploie très-à-propos pour les escaliers, perrons, balcons & cabinets qui excedent le bâtiment. (K)

OEUVRE, s. m. (Archit. civile) ce terme a plusieurs significations dans l'art de bâtir. Mettre en oeuvre, c'est employer quelque matiere pour lui donner une forme & la poser en place : dans oeuvre & hors d'oeuvre, c'est prendre des mesures du dedans & du dehors d'un bâtiment : sous oeuvre ; on dit reprendre un bâtiment sous oeuvre, quand on le rebâtit par le pié : hors d'oeuvre ; on dit qu'un cabinet, qu'un escalier, ou qu'une galerie est hors d'oeuvre, quand elle n'est attachée que par un de ses côtés à un corps de logis. Daviler.

OEUVRE D'EGLISE, s. f. (Archit. civile) c'est dans la nef d'une église, un banc où s'assoyent les marguilliers, & qui a au-devant un coffre ou table sur laquelle on expose les reliques : ce banc est ordinairement adossé contre une cloison à jour, avec aîles aux côtés, qui portent un dais ou chapiteau, & le tout est enrichi d'architecture & de sculpture. L'oeuvre de saint Germain l'Auxerrois est une des plus belles oeuvres de Paris. (D.J.)

OEUVRES DE MAREE, (Marine) c'est le radoub & le carénage que l'on donne aux vaisseaux.

Oeuvres vives, ce sont les parties du vaisseau qui entrent dans l'eau.

Oeuvres mortes, comprennent toutes les parties du vaisseau qui sont hors de l'eau, ou bien tous les hauts d'un vaisseau, tels que la dunette, l'acastillage, les galeries, bouteilles, feugnes, couronnement, vergues & hunes.

Quelques-uns disent que les oeuvres vives sont toutes les parties du corps du bâtiment comprises depuis la quille jusqu'au vibord ou au pont d'enhaut. (K)

OEUVRES DU POIDS, (Comm.) on appelle à Paris marchandises d'oeuvres du poids quelques-unes des marchandises qui sont sujettes au droit de poids-le-roi établi dans cette ville. Voyez POIDS-LE-ROI.

OEUVRE, s. m. ce mot est masculin pour signifier un des ouvrages de musique d'un auteur. Voyez OPERA. (S)

OEUVRE, terme d'Artisans ; on dit du bois, du fer, du cuivre mis en oeuvre. Un diamant mis en oeuvre, est celui que le lapidaire a taillé, & à qui il a donné la figure qui lui convient pour en faire une table, un brillant, ou une rose : il se dit aussi par opposition au diamant brut, c'est-à-dire qui est encore tel qu'il est sorti de la carriere. (D.J.)

OEUVRE, main d ', (Manufacture) on appelle main d'oeuvre, dans les manufactures, ce qu'on donne aux ouvriers pour le prix & salaires des ouvrages qu'ils ont fabriqués : ainsi on dit, ce drap coûte quarante sols par aune de main d'oeuvre, pour dire qu'on en a donné quarante sols par aune au tisserand.

OEUVRES BLANCHES, (Taillanderie) ce sont proprement les gros ouvrages de fer tranchans & coupans, qui se blanchissent, ou plutôt qui s'éguisent sous la meule, comme les coignées, besiguës, ébauchoirs, ciseaux, terriers, essettes, tarrots, planes, haches, doloires, arrondissoirs, grandes scies, grands couteaux, serpes, bêches, ratissoires, couperets, faux, faucilles, houes, hoyaux, & autres tels outils & instrumens servant aux Charpentiers, Charrons, Menuisiers, Tourneurs, Tonneliers, Jardiniers, Bouchers, Pâtissiers, &c. On met aussi dans cette premiere classe les griffons, & outils de Tireurs d'or & d'argent, & les marteaux & enclumes pour Potiers d'étain, Orfevres & batteurs de paillettes. (D.J.)

OEUVRES, maîtres des, (Antiq. rom.) les Romains n'avoient qu'un seul maître des oeuvres, il n'étoit pas citoyen, & il ne lui étoit pas permis de demeurer ni de loger dans Rome ; son office consistoit à attacher le criminel au gibet. L'empereur Claude étant à Tivoli, eut la basse curiosité de voir exécuter des criminels, qu'on devoit punir d'un supplice ordinaire ; mais il fut obligé d'attendre jusqu'au soir, parce qu'il fallut aller chercher le maître des oeuvres qui étoit alors occupé à Rome même. Cet office ne paroit pas avoir subsisté dans les premiers tems chez les Romains ; car dans l'affaire d'Horace, c'est à un licteur que le roi s'adresse pour l'attacher à l'arbre funeste, en cas qu'il fût condamné : dans la suite on vit les soldats romains faire la même fonction que les licteurs, fustiger & trancher la tête. (D.J.)


OFANTO L '(Géogr.) les François disent l'Ofante, riviere du royaume de Naples, qui traverse la Pouille de l'ouest à l'est, & tombe dans le golfe de Venise : sa source est dans la principauté ultérieure, proche de Conza, & sépare dans son cours la Capitanate de la terre de Bari & de la Basilicate.

Cette riviere se nomme en latin Aufidus, & Horace en a fait une peinture des plus animées. " C'est ainsi, dit-il, que l'Ofanto, qui baigne les campagnes de la Pouille, enfle ses eaux courroucées, & menace de ruiner par ses débordemens l'espérance du laboureur, en roulant avec furie ses flots mugissans. "

Sic tauriformis volvitur Aufidus

Qui regna Dauni praefluit Appuli,

Cum saevit, horrendamque cultis

Diluviem meditatur agris.

Liv. IV. Ode xiv.

Voilà des images & de la poësie. Tauriformis Aufidus ; l'Ofanto jettant des gémissemens se courrouce, entre en fureur, saevit ; il forme des desseins, meditatur ; quels desseins ? de ramasser un déluge d'eau, diluviem horrendam cultis agris, & de décharger sa colere ; enfin l'exécution suit de près les préparatifs, il franchit ses rives, il se roule au milieu des campagnes, & traîne avec lui le ravage & la désolation. (D.J.)


OFAVAI(Hist. mod. superstition) c'est ainsi que l'on nomme au Japon une petite boîte longue d'un pié & d'environ deux pouces de largeur, remplie de bâtons fort menus, autour desquels on entortille des papiers découpés : ce mot signifie grande purification, ou rémission totale des péchés, parce que les canusi ou desservans des temples de la province d'Isje, donnent ces sortes de boîtes aux pelerins qui sont venus faire leurs dévotions dans les temples de cette province, respectés par tous les Japonois qui professent la religion du Sintos. Ces pelerins reçoivent cette boîte avec la plus profonde vénération, & lorsqu'ils sont de retour chez eux ils la conservent soigneusement dans une niche faite exprès, quoique leurs vertus soient limitées au terme d'une année, parce qu'il est de l'intérêt des canusi que l'on recommence souvent des pelerinages, dont ils reconnoissent mieux que personne l'utilité. Voyez SIAKA.


OFFAOFFA


OFFES. f. (Comm. de pêche) espèce de jonc qui vient d'Alicante en Espagne, & dont on tire un grand usage en Provence, particulierement pour faire des filets à prendre du poisson.


OFFENBURG(Géog.) petite ville impériale d'Allemagne, au cercle de Souabe dans l'Ortuau : les François la prirent en 1689. Elle est à 5 lieues S. E. de Strasbourg, 88 O. de Bade. Long. 25 d. 37'. 14''. lat. 48 d. 28'. 11''. (D.J.)


OFFENDICESS. f. pl. (Hist. anc.) bandes qui descendoient des deux côtés des mitres ou bonnets des flamines & qu'ils nouoient sous le menton : si le bonnet d'un flamine lui tomboit de la tête pendant le sacrifice, il perdoit sa place.


OFFENSES. f. OFFENSER, OFFENSEUR, OFFENSE, (Gramm. & Morale) l'offense est toute action injuste considérée relativement au tort qu'un autre en reçoit, ou dans sa personne ou dans la considération publique, ou dans sa fortune. On offense de propos & de fait. Il est des offenses qu'on ne peut mépriser ; il n'y a que celui qui l'a reçue qui en puisse connoître toute la griéveté ; on les repousse diversement selon l'esprit de la nation. Les Romains qui ne porterent point d'armes durant la paix, traduisoient l'offenseur devant les lois ; nous avons des lois comme les Romains, & nous nous vengeons de l'offense comme des barbares. Il n'y a presque pas un chrétien qui puisse faire sa priere du matin sans appeller sur lui-même la colere & la vengeance de Dieu : s'il se souvient encore de l'offense qu'il a reçue, quand il prononce ces mots : pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ; c'est comme s'il disoit : j'ai la haine au fond du coeur, je brûle d'exercer mon ressentiment ; Dieu que j'ai offensé, je consens que tu en uses envers moi, comme j'en userois envers mon ennemi, s'il étoit en ma puissance. La philosophie s'accorde avec la religion pour inviter au pardon de l'offense. Les Stoïciens, les Platoniciens ne vouloient pas qu'on se vengeât ; il n'y a presque aucune proportion entre l'offense & la réparation ordonnée par les lois. Une injure & une somme d'argent, ou une douleur corporelle, sont deux choses hétérogenes & incommensurables. La lumiere de la vérité offense singulierement certains hommes accoutumés aux ténébres ; la leur présenter, c'est introduire un rayon du soleil dans un nid de hiboux, il ne sert qu'à blesser leurs yeux & à exciter leurs cris. Pour vivre heureux, il faudroit n'offenser personne & ne s'offenser de rien ; mais cela est bien difficile, l'un suppose trop d'attention, & l'autre trop d'insensibilité.


OFFENSIFadj. (Gramm.) corrélatif de défensif ; on dit armes offensives & défensives, c'est-à-dire propres pour l'attaque & pour la défense ; une ligue offensive & défensive, c'est-à-dire que la condition est qu'on se réunira soit qu'il faille attaquer ou se défendre.


OFFEQUE(Hist. nat. Botan.) racine qui croît dans l'île de Madagascar ; elle est fort amère, mais on lui enleve ce goût en la faisant bouillir : on la seche au soleil, après quoi elle se conserve très-long-tems ; lorsqu'on veut la manger on n'a qu'à la faire ramollir dans l'eau.


OFFERTES. f. (Théol.) oblation que le prêtre fait à Dieu dans le sacrifice de la messe, du pain & du vin, avant la consécration : la priere de l'offerte s'appelle secrette.


OFFERTOIRES. f. antienne chantée ou jouée par les orgues dans le tems que le peuple va à l'offrande. Voyez ANTIENNE & OFFRANDE.

Autrefois l'offertoire consistoit dans un pseaume que l'on chantoit avec son antienne, mais il est douteux si l'on chantoit le pseaume tout entier : saint Grégoire, qui en a fait mention, dit que lorsqu'il étoit tems, le pape regardant du côté du choeur où l'on chantoit l'offertoire, faisoit signe de finir.

Offertoire étoit aussi le nom que l'on donnoit à un morceau de toile sur lequel on mettoit les offrandes.

Le docteur Harris dit que c'étoit proprement un morceau d'étoffe de soie, ou de toile fine, dans lequel on enveloppoit les offrandes casuelles qui se faisoient dans chaque église. (G)


OFFICES. m. pris dans son sens moral, marque un devoir, c'est-à-dire, une chose que la vertu & la droite raison engagent à faire. Voyez MORALE, MORALITE, ETHIQUE, &c.

La vertu, selon Chauvin, est le dessein de bien faire ; ce qui suit ou résulte immédiatement de ce dessein, est l'obéissance à la vertu, qu'on appelle aussi devoir, ou officium, ainsi l'office & le devoir est l'objet de l'obéissance qu'on rend à la vertu. Voyez VERTU.

Ciceron, dans son traité des offices, reprend Panaetius, qui avoit écrit avant lui sur la même matiere, d'avoir oublié de définir la chose sur laquelle il écrivoit : cependant il est tombé lui-même dans une semblable faute. Il s'étend beaucoup sur la division des offices ou devoirs ; mais il oublie de les définir. Dans un autre de ses ouvrages, il définit le devoir une action que la raison exige. Quod autem ratione actum sit, id officium appellamus. Definit.

Les Grecs, suivant la remarque de Ciceron, distinguent deux especes de devoirs ou offices : savoir, les devoirs parfaits, qu'ils appellent , & les devoirs communs ou indifférens, qu'ils appellent ; ils les distinguent en disant que ce qui est absolument juste est un office parfait, ou devoir absolu, au lieu que les choses qu'on ne peut faire que par une raison probable, sont des devoirs communs ou indifférens. Voyez RAISON. Voyez DEVOIRS.


OFFICIALofficialis, s. m. (Jurisprud.) suivant sa dénomination latine, signifie en général ministre, serviteur ; il se dit particulierement des clercs qui rendent service à l'église. Mais ce même terme officialis pris pour official, signifie un ecclésiastique qui exerce la jurisdiction contentieuse d'un évêque, abbé, archidiacre ou chapitre ; c'est proprement le lieutenant de la jurisdiction ecclésiastique.

Boniface VIII. appelle les grands-vicaires officiaux, & encore actuellement dans le style de la chancellerie romaine le mot officialis est ordinairement employé pour signifier grand-vicaire ; c'est en ce sens qu'il se trouve employé en plusieurs endroits du droit canonique.

Cependant en France il y a une grande différence entre les fonctions de grand vicaire & celles d'official ; ils sont l'un & l'autre dépositaires de l'autorité de l'évêque, & ministres universels de sa jurisdiction, avec cette différence que le grand-vicaire ne peut exercer que la jurisdiction volontaire, au lieu que l'official n'exerce que la jurisdiction contentieuse.

Il ne faut pas s'étonner si dans les premiers siecles de l'Eglise les évêques n'avoient point d'officiaux, puisqu'ils n'avoient alors aucune jurisdiction contentieuse ; c'est ce qui paroît par la novelle 12 de Valentinien, de episcopali judicio, qui est de l'an 452. Ils étoient juges en matiere de religion ; mais en matiere contentieuse, même entre clercs, ils n'en connoissoient que par la voie du compromis. Suivant cette même novelle, c'étoit une des raisons pour lesquelles il n'y avoit pas d'appel de leurs jugemens. Justinien en ajouta ensuite une autre, en ordonnant que leurs jugemens seroient respectés comme ceux des préfets du prétoire, dont il n'y avoit pas d'appel. Lorsque les évêques & autres prélats commencerent à jouir du droit de jurisdiction contentieuse & proprement dite, ils rendoient eux-mêmes la justice en personne, ce qui se pratiqua ainsi pendant les onze premiers siecles de l'Eglise.

On voit néanmoins dans l'histoire ecclésiastique que quelques évêques se déchargeoient d'une partie du fardeau de l'épiscopat sur certains prêtres dont ils connoissoient le mérite ; tel étoit saint Grégoire de Nazianze, lequel sortit de sa solitude pour soulager son pere dans le gouvernement de son église. Le même dépeint S. Basile comme l'interprete & l'appui d'Eusebe de Césarée qui lui confioit une partie de sa jurisdiction épiscopale.

L'Eglise d'Occident fournit quelques exemples semblables. Valere, évêque d'Hippone, engagea, non sans peine, saint Augustin à partager avec lui le gouvernement de son diocèse. Sidoine Apollinaire parlant du prêtre Claudien, frere de saint Mamert évêque de Vienne, dit qu'il travailloit sous les ordres de son frere dans le gouvernement du diocèse.

Mais il faut convenir que ceux qui soulageoient ainsi les évêques, étoient plutôt des grands-vicaires que des officiaux ; & en effet, c'étoit dans un tems où les évêques n'avoient point encore de jurisdiction contentieuse ; & hors ces exemples, qui sont même assez rares, on ne voit point que dans les onze premiers siecles il y ait eu des clercs dans les églises cathédrales qui aient fait la fonction qu'exercent présentement les officiaux, si ce n'est les archiprêtres & les archidiacres qui, suivant l'usage de chaque diocèse, avoient plus ou moins de part à l'exercice de la jurisdiction contentieuse de l'évêque.

Les archiprêtres dans leur institution étoient les premiers prêtres du diocèse : c'étoit la premiere dignité après l'évêque, & pour l'ordinaire l'archiprêtre étoit, comme le grand-vicaire, chargé de la conduite de l'église en l'absence de l'évêque ; il avoit aussi jurisdiction sur le clergé de son église & du diocèse : ensorte qu'il étoit en cette partie l'official de l'évêque. C'est de-là que les archi-prêtres s'étoient attribué le pouvoir d'accorder des monitoires ; ils établissoient eux-mêmes des officiaux, tellement que le concile de Château-Gontier en 1231, regla que les archiprêtres ne pourroient avoir des officiaux hors le lieu de leur résidence, mais qu'ils seroient tenus d'y aller exercer leur jurisdiction en personne.

Le concile de Pontau-de-mer en 1279, prouve encore bien qu'ils avoient jurisdiction, puisque par le canon 16 il leur est défendu de suspendre & d'excommunier sans mettre leur sentence par écrit.

On voit encore à la principale porte de l'église archipresbytérale de saint Severin de Paris, des vestiges de la jurisdiction qu'exerçoit l'archiprêtre de la ville ; ce sont les deux lions qui sont en relief aux deux côtés du perron ; ces lions étoient alors la marque ordinaire des jurisdictions ecclésiastiques ; & comme elles s'exerçoient en-dehors aux portes des églises, les sentences étoient ainsi datées à la fin, datum inter duos leones.

Encore actuellement dans les îles qui sont sous la domination des Vénitiens, l'archiprêtre est juge en matiere ecclésiastique.

Mais dans la plûpart des églises le pouvoir qui étoit attribué aux archiprêtres, notamment pour la jurisdiction, ne dura pas long-tems. L'archidiacre, qui dans l'origine n'étoit que la seconde dignité des églises cathédrales, & dont la jurisdiction ne s'étendoit que sur les diacres, accrut tellement son pouvoir, que sa jurisdiction prévalut sur celle de l'archiprêtre.

L'archidiacre exerçant ainsi la jurisdiction de l'évêque en tout ou partie, faisoit alors la fonction d'official.

Mais les archidiacres, après avoir agi long-tems comme délégués de l'évêque, se regarderent insensiblement comme juges ordinaires ; ils s'imaginerent que la jurisdiction qu'ils exerçoient leur étoit propre, & qu'elle étoit attachée à leur dignité ; qu'ils étoient les officiaux nés de l'évêque, & qu'ils pouvoient faire exercer en leur nom la jurisdiction. Ils instituerent donc eux-mêmes des officiaux pour rendre la justice à leur décharge, & se sont long-tems maintenus dans cette possession.

Plusieurs conciles ont toléré les officialités des archidiacres, lorsqu'elles n'étoient point établies dans les villes épiscopales. Le douzieme canon du concile de Château-Gontier, tenu en 1231, confirmé par un autre concile de la province de Tours en 1239, défend aux archidiacres d'avoir des officiaux hors le lieu de leur résidence pour y exercer leur jurisdiction, & les oblige de faire dans les campagnes leurs visites en personne.

Quelques archidiacres ont même prétendu qu'ils n'étoient pas tenus de rapporter aux évêques les procès-verbaux de leurs visites ; & qu'ayant eux-mêmes des officialités, ils pouvoient les déposer dans leurs greffes.

Une grande partie des archidiacres s'étoient maintenus dans le droit d'accorder des monitoires à fin de revélation, & cette entreprise a été assez difficile à réformer, quoique plusieurs conciles, tels que celui de Tours en 1583, en eussent expressément réitéré les défenses.

Ces officiaux des archidiacres étoient encore assez communs dans le dernier siecle ; présentement ils sont très-rares.

Suivant la transaction faite au mois de Mai 1636, entre l'évêque de Chartres & ses archidiacres, homologuée au grand-conseil par arrêt du 11 Février 1631, & 18 Juillet 1633, le grand-archidiacre doit avoir deux siéges pour l'exercice de sa jurisdiction, & deux officiaux seulement ; les autres archidiacres un seul. Ces archidiacres & leurs officiaux connoissent des promesses de mariages, mais non pas de la nullité d'iceux ; ils ne peuvent donner aucune dispense de bans de mariages, sinon qu'y ayant cause contestée devant eux, il fût besoin, pour éviter le scandale, de solemniser promptement le mariage, & en ce cas même ils ne peuvent dispenser que des deux derniers bans. Ils ne peuvent accorder des monitoires ; ils connoissent de toutes les causes criminelles en leur archidiaconés, s'ils ne sont prévenus par l'official ou par les vicaires de l'évêque, hors les crimes d'hérésie & de sortilege, à la charge de l'appel, & de faire conduire ès prisons de l'évêque ceux qu'ils condamneront à la prison, trois jours après la condamnation. L'évêque faisant la visite de son diocèse a droit de se faire représenter une fois par chacun an, par les archidiacres ou leurs officiaux, les registres & papiers de leur jurisdiction civile & criminelle, & les sceaux, lesquels il peut retenir pendant cinq jours utiles en chaque siége de jurisdiction desdits archidiaconés, & pendant ce tems il peut exercer ou faire exercer par ses vicaires toute jurisdiction civile & criminelle, & corriger les abus qu'il trouvera en l'exercice desdites jurisdictions.

Les évêques employerent divers moyens dans le xij. siecle & les suivans pour arrêter les entreprises des archidiacres : ils établirent dans cette vûe des grands-vicaires & des officiaux amovibles.

Le P. Thomassin croit que l'usage des officiaux ne s'introduisit que vers le tems du pape Boniface VIII, c'est-à-dire, vers la fin du xiij. siecle. Il paroît néanmoins par les lettres de Pierre de Blois qui vivoit sur la fin du xij. siecle, qu'ils étoient déja établis en France, & qu'il s'étoit même déja introduit beaucoup d'abus dans l'exercice de ces charges. La même chose paroît aussi par le septieme canon d'un concile tenu à Tours en 1163, qui a rapport à ces desordres des officiaux.

Anciennement les évêques n'étoient point obligés d'établir un official ; il leur étoit libre d'exercer en personne leur jurisdiction contentieuse, comme ils peuvent encore eux-mêmes exercer la jurisdiction volontaire.

Il est constant, suivant le droit canonique, qu'ils peuvent tenir eux-mêmes le siege de leur officialité : le concile de Narbonne en 1609 y est conforme. Le clergé de France a obtenu de nos rois plusieurs ordonnances qui prescrivent cette discipline dans le royaume. Les assemblées du clergé de 1655 & de 1665 obtinrent les déclarations de 1657 & de 1666 ; & ces déclarations n'ont pas été enregistrées.

Les évêques se déchargerent d'abord volontairement de la jurisdiction contentieuse, soit sur leurs archiprêtres ou leurs archidiacres, soit sur leurs officiaux. Ils cesserent insensiblement d'exercer en personne leur jurisdiction contentieuse ; soit parce que les affaires du diocèse se multipliant, ils ne pouvoient suffire à tout, & qu'ils préférerent l'exercice de la jurisdiction volontaire ; soit parce que les lois & les formalités judiciaires ayant été multipliées, ils crurent plus convenable de confier l'exercice de leur jurisdiction à des personnes versées dans l'étude de ces matieres ; soit enfin qu'ils aient cru peu convenable à leur dignité & à leur caractere de s'occuper continuellement de toutes les petites discussions qui se présentent dans les officialités.

Quoi qu'il en soit, l'usage s'est établi dans presque toutes les provinces du royaume, que les évêques ne peuvent plus, sans donner lieu à des appels comme d'abus, satisfaire eux-mêmes aux devoirs de la jurisdiction : en quoi ils ont imité la conduite du roi & celle des seigneurs, lesquels rendoient aussi autrefois la justice en personne à leurs sujets ; au lieu que le roi a établi des juges pour rendre la justice à sa décharge ; il a aussi obligé les seigneurs de faire la même chose.

L'édit de 1695. art. xxxj. suppose comme un point constant, que l'évêque doit avoir un official. Il y a néanmoins quelques évêques qui sont en possession d'aller siéger, quand bon leur semble, en leur officialité. Ils y vont ordinairement une fois, à leur avénement au siege épiscopal, & y sont installés avec cérémonie. C'est ainsi que le 2 Juin 1746, M. de Bellefond qui étoit depuis peu archevêque de Paris, prit possession & fut installé à l'officialité de Paris, où il jugea deux causes avec l'avis du doyen & du chapitre.

Le parlement de Paris a même approuvé par ses arrêts l'usage où sont les évêques des diocèses de France, qui ont autrefois appartenu à l'Espagne, de tenir eux-mêmes le siege de leur officialité. Ainsi les évêques des Pays-bas jouissent de ce droit, & notamment l'archevêque de Cambrai, qui en a fait une réserve spéciale lors de la capitulation de cette ville.

C'est à l'évêque à nommer son official : le pape ne peut en établir un dans le diocèse d'un autre évêque. Une telle création faite à Antibes par le pape, fut déclarée abusive par arrêt du Conseil du 21 Octobre 1732.

En général, il ne doit y avoir qu'un official pour un diocèse, parce que la pluralité des officiaux pourroit causer du trouble & de la confusion dans l'exercice de la jurisdiction contentieuse.

Néanmoins, quand un diocèse s'étend dans le ressort de différens parlemens, l'évêque doit nommer un official forain pour la partie de son diocèse qui est du ressort d'un autre parlement que la ville épiscopale dans laquelle l'official ordinaire ou principal doit avoir son siege : ce qui a été ainsi établi afin que les parlemens pussent plus facilement faire les injonctions nécessaires aux officiaux, & faire exécuter leurs arrêts.

On doit à plus forte raison observer la même chose, par rapport aux évêques des pays étrangers qui ont en France quelque partie de leur diocèse.

Le roi donne quelquefois des lettres patentes, pour dispenser les prélats d'établir des officiaux dans les parties de leur diocèse qui sont d'un autre parlement que la ville épiscopale.

Il faut que l'official soit né en France ou naturalisé ; qu'il soit prêtre, licencié en Droit canon ou en Théologie, & qu'il ait pris ses degrés régulierement & dans une université du royaume.

L'official rend la justice étant revêtu de son surplis & couvert de son bonnet quarré.

Il n'y a point de loi qui défende aux évêques de prendre pour official un régulier : il y en a même des exemples.

La fonction d'official est pareillement incompatible avec les offices royaux.

L'official ne peut aussi tenir aucune ferme de l'évêque qui l'a nommé, soit la ferme du sceau ou autre.

Quelques auteurs ont avancé qu'un curé ne peut remplir la fonction d'official. Mais outre qu'il n'y a nulle loi qui l'ordonne ainsi, l'usage est constant que les officiaux peuvent posséder des cures & tous bénéfices à charge d'ames.

Outre l'official, l'évêque peut commettre un autre ecclésiastique pour vice-gérent, lequel est comme le lieutenant de l'official.

Il y a aussi dans quelques officialités un ou plusieurs assesseurs laïcs ordinaires ; dans quelques officialités, on n'en appelle qu'extraordinairement, & dans les affaires majeures où l'official est bien-aise d'avoir l'avis de quelques gradués éclairés.

Le promoteur est dans les officialités ce que les gens du roi ou du seigneur sont dans les tribunaux séculiers.

Il y a aussi dans chaque officialité un greffier pour recevoir & expédier les jugemens qui s'y rendent, des appariteurs qui font les mêmes fonctions que les huissiers, & des procureurs qui occupent pour les parties.

L'évêque doit donner gratuitement les places d'official, de vice-gérent & de promoteur.

Les commissions que l'évêque donne à ces officiers, doivent être par écrit, signées de lui, & insinuées au greffe des insinuations ecclésiastiques du diocèse.

Le pouvoir de l'official finit par la mort ou démission de l'évêque. Le chapitre a droit d'en nommer un le siege vacant.

L'évêque peut, quand bon lui semble, destituer ses officiaux, soit principal ou forain, soit qu'il les ait nommés lui-même ou qu'ils aient été nommés par son prédécesseur ou par le chapitre : la révocation doit être faite par écrit, & insinuée comme la commission.

L'official connoît des matieres personnelles entre ecclésiastiques, & lorsqu'un ecclésiastique est défendeur & un laïc demandeur ; à l'exception néanmoins des causes de l'évêque, dont il ne peut connoître ; il faut s'addresser pour cela à l'official métropolitain.

Il ne peut juger par provision que jusqu'à 25 liv. en donnant caution.

Ses jugemens sont exécutoires, sans pareatis des juges séculiers.

Il ne peut faire défenses aux parties, sous des peines spirituelles, de proceder ailleurs que devant lui, quand le juge royal est saisi de la contestation.

Les officiaux sont en possession de connoître de toutes matieres purement spirituelles, soit entre ecclésiastiques ou laïques, comme de la foi, de la doctrine, des sacremens, même des demandes en nullité de mariage, quoad foedus & vinculum, mais ils ne peuvent prononcer sur les dommages & intérêts.

Ils connoissent pareillement des voeux de religion, du service divin, de la simonie, du pétitoire des dixmes, du crime d'hérésie, de la discipline ecclésiastique.

Quant aux crimes dont l'official peut connoître, il n'y a que le délit commun des ecclésiastiques qui soit de sa compétence ; le cas privilégié doit être instruit conjointement par lui & par le juge royal ; ensuite chaque juge rend séparément son jugement.

Lorsqu'un ecclésiastique n'est accusé que d'un délit commun, c'est-à-dire, d'un délit qui n'est sujet qu'aux peines canoniques, c'est l'official qui en connoît sans le concours du juge royal ; desorte que si l'ecclésiastique est traduit pour un tel fait devant le juge royal, celui-ci doit renvoyer l'accusé devant son juge. Mais il ne le doit pas faire quand il s'agit du délit privilégié, lequel pour le bon ordre, demande toujours à être poursuivi sans aucun retardement. Et si le juge d'église négligeoit de poursuivre le délit commun, la poursuite en seroit dévolue au juge royal, comme exerçant la manutention des canons.

Le juge royal n'est jamais tenu, en aucun cas, soit de délit commun ou de cas privilégié, d'avertir l'official, pour qu'il ait à instruire le procès conjointement avec lui. Mais si le promoteur revendique l'affaire pour le délit commun ; en ce cas le juge royal doit instruire conjointement avec lui. Et pour cet effet, le juge royal doit se transporter au siege de l'officialité avec son greffier. C'est l'official dans ce cas qui a la parole : c'est lui qui prend le serment des accusés & des témoins, qui fait les interrogatoires, récolemens, confrontations & toutes les autres procédures qui se font par les deux juges ; le juge royal peut néanmoins requérir l'official d'interpeller les accusés sur les faits qu'il juge nécessaires.

Quand on fait au parlement le procès à un ecclésiastique, l'évêque doit, si le parlement l'ordonne, nommer pour son vicaire un des conseillers-clercs du parlement, pour faire l'instruction conjointement avec le conseiller-laic qui est commis à cet effet.

Un ecclésiastique accusé devant le juge royal peut, en tout état de cause, demander son renvoi devant l'official, à moins qu'il ne soit question de crime de lese-majesté au premier ou au second chef.

L'official ne peut ordonner qu'il sera passé outre nonobstant & sans préjudice de l'appel, à moins qu'il ne soit question de correction & de discipline, ou de quelque cas exécutoire nonobstant l'appel.

Les appels comme d'abus interjettés des sentences des officiaux n'ont aucun effet suspensif, quand il s'agit du service divin, de la discipline ecclésiastique ou de la correction des moeurs, c'est la disposition de l'article xxxvj. de l'édit de 1605.

Les peines spirituelles que l'official peut infliger, sont les prieres, les jeûnes, les censures ; il ne doit décerner des monitoires que pour des crimes graves & scandales publics, & lorsque les autres preuves manquent.

Les peines temporelles que l'official peut prononcer, sont les dépens, l'amende applicable en oeuvres pieuses. Les peines corporelles se bornent à la prison à tems ou perpétuelle. Il ne peut condamner à aucune autre peine afflictive : autrefois néanmoins il condamnoit aux galeres, au bannissement, à la torture ou question, au pilori, échelle ou carcan, au fouet, à la marque du fer chaud, à l'amende honorable in figuris, mais cela ne se pratique plus.

On ne peut appeller de l'official à l'évêque qui l'a commis : l'appel de l'official ordinaire va à l'official métropolitain, & de celui-ci à l'official primatial. S'il y a appel comme d'abus, l'appel est porté au parlement.

Sur les officiaux, voyez les Mémoires du clergé, l'édit de 1695, le Traité de la jurisdiction ecclésiastique de Ducasse, les lois ecclésiastiques, le Traité des matieres bénéficiales de Fuet, le Dictionnaire des arrêts, & les mots DELIT COMMUN, & JURISDICTION ECCLESIASTIQUE, PROMOTEUR & VICEGERENT.

OFFICIAL D'UN ABBE. Les abbés qui ont jurisdiction, ont droit d'avoir un official.

OFFICIAL DE L'ARCHEVEQUE, est de deux sortes : il a son official ordinaire & son official métropolitain. Voyez ci-après OFFICIAL METROPOLITAIN.

OFFICIAL DE L'ARCHIDIACRE, est celui que commet un archidiacre, qui a une jurisdiction propre attachée à sa dignité.

OFFICIAL DE L'ARCHIPRETRE, étoit celui que commettoit l'archiprêtre, lorsqu'il avoit la jurisdiction. Voyez ce qui est dit ci-devant des OFFICIAUX en général.

OFFICIAL DU CHAPITRE : dans les lieux où le chapitre de la cathédrale a une jurisdiction propre, il a aussi son official ; le chapitre nomme aussi son official, le siege vacant.

OFFICIAL DE L'EVEQUE, est celui qui exerce la jurisdiction ordinaire de l'évêque.

OFFICIAL FORAIN, est celui qui est commis par l'évêque pour exercer sa jurisdiction hors la ville principale de son diocèse. Il y avoit autrefois beaucoup de ces officiaux forains répandus dans les différentes parties de chaque diocése ; présentement il y en a peu d'exemples, si ce n'est dans certains dioceses, dont quelque partie est du ressort d'un autre parlement ou d'une autre domination que la ville épiscopale. En ce cas l'évêque nomme pour cette partie de son diocèse un official forain.

OFFICIAL ad litem, est celui qui est commis pour une affaire particuliere, lorsque l'official est recusé ou se déporte.

OFFICIAL METROPOLITAIN, est l'official établi par un archevêque pour juger les appels interjettés des sentences & des ordonnances rendues par les officiaux des évêques suffragans, dans les églises qui ont le titre de primatie, comme Lyon & Bourges : il juge aussi l'appel des sentences rendues par l'official ordinaire du métropolitain.

OFFICIAL NE, est celui, qui par le droit de sa place, fait les fonctions d'official, comme étoient autrefois la plûpart des archidiacres.

OFFICIAL ORDINAIRE, est celui qui exerce le premier degré de la jurisdiction ecclésiastique, à la différence du métropolitain & du primatial qui sont juges d'appel.

OFFICIAL in partibus, est la même chose qu'official forain.

OFFICIAL PATRIARCHAL, est celui d'un prélat qui a le titre de patriarche. L'archevêque de Bourges qui prend le titre de patriarche d'Aquitaine, a un official patriarchal qui juge les appellations rendues par l'official métropolitain.

OFFICIAL PRIMATIAL, est l'official établi par le primat pour juger les appels interjettés de l'official métropolitain.

OFFICIAL PRINCIPAL, est celui qui est établi dans la ville épiscopale, à la différence des officiaux forains, lesquels sont dans les parties du diocèse qui relevent d'un autre parlement, ou qui sont d'une autre domination. Voyez ce qui a été dit ci-devant sur les OFFICIAUX en général. (A)


OFFICIALITÉS. f. (Jurisprud.) est le tribunal d'un primat, archevêque, évêque, abbé, archidiacre, chapitre ou autre ayant une jurisdiction ecclésiastique contentieuse.

Cette jurisdiction s'exerçoit autrefois aux portes des églises, ensuite dans une chapelle du palais épiscopal. Présentement il y a un auditoire destiné à cet usage ; mais en plusieurs endroits, il est à l'entrée de la chapelle épiscopale, comme à Paris, où l'audience de l'officialité se tient à l'entrée de la chapelle épiscopale inférieure. Voyez l'histoire du diocèse de Paris par M. l'abbé Lebeuf, tome I. page. 32.

Ce tribunal est composé d'un official, un vicegérent & quelquefois plusieurs assesseurs, un greffier, un promoteur, des appariteurs. Voyez ci-devant le mot OFFICIAL. (A)


OFFICIERS. m. (Hist. mod.) homme qui possede un office, qui est revêtu d'une charge. Voyez OFFICE.

Les grands officiers de la couronne ou de l'état sont en Angleterre le grand maître-d'hôtel, le chancelier, le grand trésorier, le président du conseil, le garde du sceau privé, le grand chambellan, le grand connétable, le comte-maréchal & le grand amiral. Voyez chacun sous son article particulier, CHANCELIER, TRESORIER, MARECHAL, &c.

En France on a une notion très-vague de ce qu'on nomme les grands officiers, & d'ailleurs tout cela change perpétuellement. On s'imagine naturellement que ce sont ceux à qui leurs charges donnent le titre de grand, comme grand-écuyer, grand-échanson ; mais le connétable, les maréchaux de France, le chancelier, sont grands officiers, & n'ont point le titre de grand, & d'autres qui l'ont, ne sont point réputés grands officiers. Les capitaines des gardes, les premiers gentilshommes de la chambre, sont devenus réellement de grands officiers, & ne sont pas comptés pour tels par le P. Anselme. En un mot rien n'est décidé sur leur nombre, leur rang & leurs prérogatives.

Les grands officiers de la couronne n'étoient autrefois qu'officiers de la maison du roi. Ils étoient élus le plus souvent par scrutin sous le regne de Charles V. & dans le bas âge de Charles VI. par les princes & seigneurs, à la pluralité des voix. Les pairs n'en vouloient point souffrir avant le regne de Louis VIII. qui régla qu'ils auroient séance parmi eux. Son arrêt donné solemnellement à Paris en 1224 dans sa cour des pairs, porte, que suivant l'ancien usage & les coutumes observées dès long-tems, les grands officiers de la couronne, sçavoir, le chancelier, le bouteiller, le chambrier, &c. devoient se trouver aux procès qui se feroient contre un pair de France, pour le juger conjointement avec les autres pairs du royaume ; en conséquence ils assisterent tous au jugement d'un procès de la comtesse de Flandres.

Il paroît que sous Henri III. les grands officiers de la couronne étoient le connétable, le chancelier, le garde des sceaux, le grand maître, le grand chambellan, l'amiral, les maréchaux de France & le grand écuyer. Ce prince ordonna en 1577, par des lettres patentes vérifiées au Parlement, que les susdits grands officiers ne pourroient être précédés par aucun des pairs nouveaux créés. (D.J.)

Les officiers de justice sont ceux auxquels on a confié l'administration de la justice dans les différentes cours ou tribunaux du royaume. Voyez COUR, JUSTICE, &c.

Les officiers royaux sont ceux qui administrent la justice au nom du roi, comme les juges, &c. Voyez JUGE.

Les officiers subalternes sont ceux qui administrent la justice au nom de quelque seigneur sujet du roi : tels sont les juges qui exercent leurs fonctions sous le comte-maréchal, sous l'amiral, &c.

Les officiers de police sont ceux auxquels on a confié le gouvernement & la direction des affaires d'une communauté ou d'une ville : tels sont les maires, les shérifs, &c. Voyez POLICE.

Les officiers de guerre sont ceux qui ont quelque commandement dans les armées du roi. Voyez ARMEE.

Ces officiers sont généraux ou subalternes.

Les officiers généraux sont ceux dont le commandement n'est point restraint à une seule troupe, compagnie ou régiment ; mais qui ont sous leurs ordres un corps de troupes composé de plusieurs régimens : tels sont les généraux, lieutenans-généraux, majors-généraux & brigadiers. Voyez GENERAL, &c.

Les officiers de l'état-major sont ceux qui ont sous leurs ordres un régiment entier, comme les colonels, lieutenans-colonels & majors.

Les officiers subalternes sont les lieutenans, cornettes, enseignes, sergens & caporaux. Voyez tous ces officiers sous leurs propres articles, CAPITAINE, COLONEL, &c.

Les officiers à commission sont ceux qui ont commission du roi : tels sont tous les officiers militaires, depuis le général jusqu'au cornette inclusivement.

On les appelle officiers à commission, par opposition aux officiers à brevet, ou à baguette, qui sont établis par brevet des colonels ou des capitaines : tels sont les quartier-maîtres, sergens, caporaux, & même les chirurgiens & les chapelains.

Officiers de mer ou de marine, sont ceux qui ont quelque commandement sur les vaisseaux de guerre. Voyez MARINE.

Les officiers à pavillon sont les amiraux, vice-amiraux, contre-amiraux. Voyez PAVILLON, AMIRAL, &c.

Officiers de la maison du roi, sont le grand-maître d'hôtel, le trésorier, le contrôleur, le trésorier de l'épargne, le maître, les clercs du tapis verd, &c. le grand chambellan, le vice chambellan, les gentilshommes de la chambre privée & de la chambre du lit, les gentilshommes huissiers, les garçons de la chambre, les pages, le maître de la garderobe, le maître des cérémonies, &c. le grand écuyer, le contrôleur de l'écurie, les sous écuyers, les intendans, &c. Voyez MAISON DU ROI, & chaque officier sous son article.

Les officiers à baguette sont ceux qui portent une baguette blanche en présence du roi, & devant lesquels un valet de pied, nue tête, porte une baguette blanche quand ils sortent en public, & quand ils ne sont pas en présence du roi : tels sont le grand-maître d'hôtel, le grand chambellan, le grand trésorier, &c.

La baguette blanche est la marque d'une commission, & à la mort du roi ces officiers cassent leur baguette sur le cercueil où l'on doit mettre le corps du roi, pour marquer par cette cérémonie, qu'ils déchargent leurs officiers subalternes de leur subordination.

Dans toutes les autres cours & les autres gouvernemens de l'Europe & du monde, il y a également différentes sortes d'officiers, tant pour le civil & le militaire, que pour les maisons des princes.

Les officiers militaires en France, sont les maréchaux de France, lieutenans-généraux, maréchaux de camp, brigadiers, colonels, lieutenans-colonels, majors, capitaines, lieutenans, sous-lieutenans, enseignes ou cornettes, sergens, maréchaux des logis, & brigadiers dans la cavalerie, pour le service de terre ; & pour celui de mer, l'amiral, les vice-amiraux, le général des galeres, les chefs-d'escadre, capitaines, lieutenans, enseignes de vaisseaux, &c. Voyez MARECHAL DE FRANCE, LIEUTENANT-GENERAL, &c.

Pour le civil, les officiers de justice sont, le chancelier, le garde des sceaux, les conseillers d'état, maîtres des requêtes, présidens à mortier, conseillers au parlement, procureurs & avocats généraux ; & dans les justices subalternes, les présidens & conseillers au présidial, les lieutenans généraux de police, les lieutenans civils & criminels, baillifs, prevôts, avocats & procureurs du roi & leurs substituts, & autres dignités de robe, qu'on peut voir chacun à leur article particulier.

Les principaux officiers de la maison du roi sont le grand-maître, le grand écuyer, le grand veneur, le grand échanson, le grand aumônier, le grand chambellan, les quatre gentilshommes de la chambre, les quatre capitaines des gardes, sans parler de plusieurs autres, & tous les divers officiers qui sont soumis à ces premiers. Voyez GRAND-MAITRE, GRAND ECUYER, &c.

Les grands officiers, ou grades militaires, sont conférés par le bon plaisir du roi, & ne sont point héréditaires ; mais la plûpart des offices de judicature, aussi-bien que les charges chez le roi, passent de pere en fils, pourvu que l'on ait payé les droits imposés sur quelques-unes pour les conserver à sa famille : on achete pourtant un régiment, une compagnie.

Les princes étrangers ont aussi des officiers dans tous ces divers genres. On trouvera les noms & les principales fonctions de leurs charges répandus dans le corps de ce Dictionnaire.

OFFICIERS MUNICIPAUX, voyez MUNICIPAL.

OFFICIERS REFORMES, voyez REFORME.

OFFICIERS DE LA MONNOIE, voyez MONNOIE.

Signaux pour les officiers, voyez SIGNAL.

OFFICIERS GENERAUX, (Hist. mod.) ou commandant des troupes, ceux qui ont autorité sur les soldats. On peut en distinguer de deux sortes, les officiers généraux, & les officiers subalternes.

Parmi tous les anciens peuples, la discipline militaire qui n'a pas été la partie la moins cultivée du gouvernement, exigeant de la subordination dans les troupes, les souverains ont été obligés de confier une partie de leur autorité à des hommes intelligens dans le métier de la guerre ; & ceux-ci pour mettre plus d'ordre dans les armées, ont distribué les troupes en différens corps, commandés par des chefs capables d'exécuter leurs ordres, & de les faire exécuter au reste des soldats.

Nous savons en général, que les Egyptiens avoient de nombreuses troupes sur pied, qu'elles alloient ordinairement à quatre cent mille hommes, & que l'armée de Sesostris étoit de seize cent mille combattans. Nous voyons les rois d'Egypte à la tête de leurs armées ; mais autant il seroit absurde de dire qu'un seul prince, un seul homme commandoit seul en détail à cette multitude ; autant est-il raisonnable de penser qu'il avoit sous lui des officiers généraux, & ceux-ci des subalternes distribués avec plus ou moins d'autorité dans tous les corps.

La milice des Hébreux, dans les premiers tems, ne nous est guère moins inconnue. Cependant on peut inférer de l'ordre que les tribus gardoient dans leurs campemens, chacune sous leur enseigne particuliere, qu'elles avoient aussi leurs officiers subordonnés à un général en chef, tel que fut Josué. Sous les rois des Juifs nous voyons ces princes commander eux-mêmes leurs armées, ou en confier la conduite à des généraux en chef, tels qu'Abner sous Saül, Joab sous David ; & ce dernier avoit dans les troupes plusieurs braves, connus sous le nom de force d'Israël, hommes distingués par leurs exploits, & qui sans doute commandoient des corps particuliers : tels qu'un Banaias, chef de la légion des Pheletes & des Cerethes, & qui devint sous Salomon général en chef. Il est donc plus que probable, que sous les rois d'Israël, & sous ceux de Juda, jusqu'à la captivité de Babylone, les troupes Israëlites furent divisées en petits corps commandés par des officiers, quoique l'Ecriture ne nous ait pas conservé le nom de leurs dignités, ni le détail de leurs fonctions. Sous les Macchabées il est parlé clairement de tribuns, de pentacontarques & de centurions, que ces illustres guerriers établirent dans la milice juive ; il y a apparence que les tribuns commandoient mille hommes, les pentacontarques cinq cent, & les centurions cent hommes.

Pour les tems héroïques de la Grece, nous voyons toujours des rois & des princes à la tête des troupes. Jason est le premier des argonautes ; sept chefs sont ligués contre Thèbes pour venger Polynice ; & dans Homere, les Grecs, confédérés pour détruire Troie, ont tous leurs chefs par chaque nation ; mais Agamemnon est le généralissime, comme Hector l'est chez les Troyens, quoique différens princes commandent les Troyens même, & d'autres leurs alliés, comme Rhesus les Thraces, Sarpedon les Lyciens, &c.

Mais l'histoire en répandant plus de lumieres sur les tems postérieurs de la Grece, nous a conservé les titres & les fonctions de la plupart des officiers, tant des troupes de terre, que de celles de mer.

A Lacédemone les rois commandoient ordinairement les armées ; qu'ils eussent sous eux des chefs, cela n'est pas douteux, puisque leurs troupes étoient divisées par bataillons, & ceux-ci en trois ou quatre compagnies chacun. Mais les historiens n'en donnent point le détail. Comme ils étoient puissans sur mer, ils avoient un amiral & des commandans sur chaque vaisseau ; mais en quel nombre, avec quelle autorité, c'est encore sur quoi nous manquons des détails nécessaires. Il reste donc à juger des autres états de la Grece par les Athéniens, sur le militaire desquels on est mieux instruit.

A Athènes, la république étant partagée en dix tribus, chacune fournissoit son chef choisi par le peuple, & cela chaque année. Mais ce qui n'est que trop ordinaire, la jalousie se mettoit entre ces généraux, & les affaires n'en alloient pas mieux. Ainsi voit-on que dans le tems de crise, les Athéniens furent attentifs à ne nommer qu'un général. Ainsi à la bataille de Marathon on déféra à Miltiade le commandement suprême ; depuis Conon, Alcibiade, Thrasybule, Phocion, &c. commanderent en chef. Ordinairement le troisieme archonte, qu'on nommoit le polemarque ou l'archistrategue, étoit généralissime, & sous lui servoient divers officiers distingués par leurs noms & par leurs fonctions. L'hipparque avoit le commandement de toute la cavalerie. On croit pourtant que comme elle étoit divisée en deux corps, composés chacun des cavaliers des cinq tribus, elle avoit deux hipparques. Sous ces officiers étoient des philarques, ou commandans de la cavalerie de chaque tribu. L'infanterie de chaque tribu avoit à sa tête un taxiarque, & chaque corps d'infanterie de mille hommes, un chiliarque ; chaque compagnie de cent hommes étoit partagée en quatre escouades, & avoit un capitaine ou centurion. Sur mer il y avoit un amiral, ou généralissime appellé ou , & sous lui les galeres ou les vaisseaux étoient commandés par des trierarques, citoyens choisis d'entre les plus riches qui étoient obligés d'armer des galeres en guerre, & de les équiper à leurs dépens. Mais comme le nombre de ces citoyens riches qui s'unissoient pour armer une galere ne fut pas toujours fixe, & que depuis deux il alla jusqu'à seize, il n'est pas facile de décider, si sur chaque galere il y avoit plusieurs trierarques, ou s'il n'y en avoit qu'un seul. Pour la manoeuvre chaque bâtiment avoit un pilote, , qui commandoit aux matelots.

A Rome les armées furent d'abord commandées par les rois, & leur cavalerie par le préfet des celeres, praefectus celerum. Sous la république, le dictateur, les consuls, les proconsuls, les préteurs & les propréteurs, avoient la premiere autorité sur les troupes qui recevoient ensuite immédiatement les ordres des officiers appellés legati, qui tenoient le premier rang après le général en chef, & servoient sous lui, comme parmi nous les lieutenans-généraux servent sous le maréchal de France, ou sous le plus ancien lieutenant-général. Mais le dictateur se choisissoit un général de cavalerie, magister equitum, qui paroît avoir eu, après le dictateur, autorité sur toute l'armée. Les consuls nommoient aussi quelquefois leurs lieutenans-généraux. Ils commandoient la légion, & avoient sous eux un préfet qui servoit de juge pour ce corps. Ensuite étoient les grands tribuns ou tribuns militaires, qui commandoient chacun deux cohortes, chaque cohorte avoit pour chef un petit tribun ; chaque manipule ou compagnie, un capitaine, de deux cent hommes, ducentarius ; sous celui-ci deux centurions, puis deux succenturions ou options, que Polybe appelle tergiducteurs, parce qu'ils étoient postés à la queue de la compagnie. Le centurion qu'on appelloit primipile, étoit le premier de toute la légion, conduisoit l'aigle, l'avoit en garde, la défendoit dans le combat, & la donnoit au porte-enseigne ; mais celui-ci, ni tous les autres, nommés vexillarii, n'étoient que de simples soldats, & n'avoient pas rang d'officier. Tous ces grades militaires furent conservés sous les empereurs, qui y ajouterent seulement le préfet du prétoire, commandant en chef la garde prétorienne ; & en outre les consuls eurent des généraux qui commandoient sur les frontieres pendant tout le cours d'une guerre, tels que Corbulon en Arménie, Vespasien en Judée, &c. Dans la cavalerie, outre les généraux nommés magister equitum, & praefectus celerum, il y avoit des décurions, nom qu'il ne faut pas prendre à la lettre, selon Elien, pour des capitaines de dix hommes, mais pour des chefs de division de cinquante, ou cent hommes. Les troupes des alliés, tant d'infanterie que cavalerie, étoient commandées par des préfets, dont Tite-Live fait souvent mention sous le titre de praefecti sociorum. Dans la marine, outre le commandant général de la flotte, chaque vaisseau avoit le sien particulier, & dans une bataille, les différentes divisions ou escadres avoient leurs chefs comme à celle d'Actium. Voyez MARINE.

OFFICIER, en terme militaire, est un homme de guerre employé à la conduite des troupes, pour les commander & pour y maintenir l'ordre & la regle.

Des officiers des troupes de France. Le plus haut titre d'officier des troupes de France étoit autrefois celui de connétable ; à présent c'est celui de maréchal de France. La fonction principale des maréchaux de France, c'est de commander les armées du roi.

Après les maréchaux de France sont les lieutenans généraux des armées du roi.

Ensuite les maréchaux de camp ; les uns & les autres sont appellés officiers généraux, parce qu'ils ne sont réputés officiers d'aucune troupe en particulier, & que dans leurs fonctions ils commandent indifféremment à toutes sortes de troupes.

Les maréchaux de camp, lorsque le roi les éleve à ce grade, quittent le commandement des régimens qu'ils avoient, ou les charges qu'ils possédoient, à-moins que ce ne soit des régimens étrangers, ou des charges dans les corps destinés à la garde du roi.

Après les maréchaux de camp, le premier grade dans les armées est celui de commandant de la cavalerie. Cette sorte de troupe fait corps dans une armée, c'est-à-dire que tout ce qu'il y a de cavalerie dans cette armée, est unie ensemble sous les ordres d'un seul chef. Elle a trois chefs naturels, qui sont le colonel général, le mestre de camp général, & le commissaire général : en l'absence de ces trois officiers, c'est le plus ancien brigadier de la cavalerie qui la commande.

Les dragons font aussi corps dans l'armée. Ils ont un colonel général & un mestre de camp général ; & en l'absence de ces deux officiers, le plus ancien brigadier des dragons les commande.

L'infanterie a eu autrefois un colonel général. Cette charge qui avoit été abolie sous Louis XIV. fut rétablie pendant la minorité de Louis XV. mais elle a été depuis supprimée en 1730 sur la démission volontaire de M. le duc d'Orléans, qui en étoit pourvû. Aucun officier particulier n'a jamais fait la fonction de cette charge, & l'infanterie n'a point ainsi de commandant particulier dans une armée.

Les brigadiers de cavalerie, d'infanterie & de dragons ont rang après les officiers qu'on vient de nommer. Ils sont attachés à la cavalerie, à l'infanterie & aux dragons. Ils conservent les emplois qu'ils avoient avant que d'être brigadiers, & ils en font les fonctions.

Après les brigadiers sont les colonels ou mestres de camp dans la cavalerie. Le colonel général retient pour lui seul le nom de colonel, & ceux qui commandent les régimens ont le titre de mestre de camp. Il en est aussi de même dans les dragons. L'usage en étoit aussi établi dans l'infanterie, lorsqu'il y avoit un colonel général, mais depuis la suppression de cet officier, les commandans des régimens d'infanterie portent le nom de colonel. Cependant, par les ordonnances, les colonels ou mestres de camp sont égaux en grade ; & dans l'usage ordinaire, on se sert assez indifféremment de l'un & de l'autre terme pour la cavalerie & pour les dragons.

Outre les commandemens des régimens, les capitaines des compagnies de la maison du roi, ou de la gendarmerie, & quelques autres officiers de ce corps, ont rang de mestre de camp ; le roi donne aussi le brevet de mestre de camp à des officiers qu'il veut favoriser, & dont les emplois ne donnent pas ce rang. Les capitaines des gardes françoises & suisses ont aussi rang de colonel d'infanterie.

Après le colonel & mestre de camp est le lieutenant-colonel, lequel doit aider le colonel dans toutes ses fonctions & le remplacer en son absence.

Après les lieutenans-colonels sont les commandans de bataillon, dont le grade est au-dessous de ces officiers, & au-dessus de celui de capitaine. Ils font à l'armée le même service que les lieutenans-colonels.

Les capitaines sont ceux qui ont le commandement particulier d'une compagnie, & qui sont chargés de l'entretenir.

Le roi donne quelquefois le grade de capitaine à des officiers qui n'ont point de compagnie.

Le major d'un régiment est un officier qui est chargé de tous les détails qui ont rapport au régiment en général & à sa police. Il a rang de capitaine, & il n'a point de compagnie. Voyez MAJOR.

Il a sous lui un aide-major ; dans l'infanterie où les régimens sont plus nombreux, il y a plusieurs aides-majors. Le roi n'en entretient point dans les régimens ordinaires, & ceux qui en font les fonctions se nomment communément garçons-majors.

Dans toutes les compagnies il y a un lieutenant pour aider le capitaine dans ses fonctions, & le remplacer en son absence.

Dans la cavalerie & dans les dragons, il y a au-dessous du lieutenant un autre officier, appellé cornette, parce qu'une des principales fonctions est de porter l'étendart que l'on appelloit autrefois cornette, cet officier n'est pas toujours entretenu pendant la paix. Dans l'infanterie à la place du cornette, il y a un sous-lieutenant ou enseigne qui n'est pas non plus entretenu pendant la paix.

Les lieutenans, sous-lieutenans, cornettes ou enseignes, sont nommés officiers subalternes. Ils ont néanmoins une lettre du roi pour être reçus officiers.

Après le cornette, dans la cavalerie & les dragons, est le maréchal de logis : il est chargé des détails de la compagnie, il est comme l'homme d'affaire du capitaine, il a sous lui un brigadier & un sous-brigadier. Ces deux derniers sont compris dans le nombre des cavaliers ou dragons. Ils ont cependant quelque commandement sur les autres.

Dans l'infanterie, après le sous-lieutenant ou enseigne, sont les sergens, dont les fonctions sont les mêmes que celles des maréchaux de logis de la cavalerie & des dragons. Ils ont sous eux des caporaux & anspessades, qui sont du nombre des soldats, mais qui ont cependant quelque commandement sur les autres soldats.

Les maréchaux de logis & les sergens sont nommés seulement suivant l'usage bas-officiers. Ils n'ont point de lettre du roi pour avoir leur emploi, ils ne le tiennent que de l'autorité du colonel & de leur capitaine.

Outre tous les officiers qu'on vient de détailler, le roi a des inspecteurs généraux de la cavalerie & de l'infanterie. Ils sont pris parmi les officiers généraux, brigadiers, ou au-moins colonels ; leurs fonctions consistent à faire des recrues & à examiner si les troupes sont en bon état, si les officiers font bien leur devoir, particulierement pour ce qui concerne l'entretien des troupes.

Tous les officiers en général sont subordonnés les uns aux autres, ensorte que par-tout où il y a des troupes, le commandement se réduit toujours à un seul à qui tous les autres obéissent. Cette subordination bien établie, & l'application de chacun à se bien acquiter de ses fonctions, est ce qui produit l'ordre, la regle & la discipline dans les troupes.

L'officier de grade supérieur commande toujours à celui qui est de grade inférieur. Entre officiers du même grade, s'ils sont officiers généraux de cavalerie ou de dragons, c'est l'ancienneté dans le grade qui donne le commandement.

Dans la maison du roi & dans la gendarmerie, c'est l'officier de la plus ancienne compagnie qui commande ; & dans l'infanterie, c'est l'officier du plus ancien régiment.

Parmi les officiers d'infanterie d'une part, ceux de cavalerie & de dragons d'autre part, à grade égal, c'est l'officier d'infanterie qui commande dans les places de guerre & autres lieux fermés, & en campagne c'est l'officier de cavalerie.

Quoique le roi soit le maître de donner les grades & les emplois comme il lui plaît, voici néanmoins l'ordre qu'il s'est prescrit ou qu'il suit ordinairement.

Ordre dans lequel les officiers montent aux grades. Les maréchaux de France sont choisis parmi les lieutenans généraux, ceux-ci parmi les maréchaux de camp, lesquels sont choisis parmi les brigadiers, & les brigadiers parmi les colonels, mestres de camp ou lieutenans-colonels.

Les colonels ou mestres de camp doivent avoir été au-moins mousquetaires.

Le plus ancien capitaine d'un régiment est ordinairement choisi pour remplir la place de lieutenant colonel lorsqu'elle vaque.

La place de major se donne à un capitaine, suivant les termes de l'ordonnance. Il n'est pas nécessaire de le choisir par rang d'ancienneté.

Les capitaines doivent avoir été mousquetaires, ou bien lieutenans, sous-lieutenans, enseignes ou cornettes. Ceux-ci sont pris parmi les cadets, quand il y en a, ou bien parmi la jeunesse qui n'a pas encore servi.

Les maréchaux des logis & les sergens sont toujours tirés du nombre des cavaliers & soldats. Lorsqu'on est satisfait de leur service, on les fait officiers ; on leur donne plus communément cette marque de distinction dans la cavalerie que dans l'infanterie.

Outre ces officiers qui commandent les troupes, il y en a de particuliers pour l'armée ; tels sont le maréchal-général des logis de l'armée, le major-général, le maréchal-général des logis de la cavalerie, le major-général des dragons, les majors des brigades, le major de l'artillerie ou génie, intendant de l'armée ; le général des vivres, le capitaine des guides, &c. Voyez les articles qui concernent chacun de ces emplois.

Tous les officiers doivent en général s'appliquer à bien remplir leur emploi ; ce n'est qu'en passant par les différens grades, & en les remplissant avec distinction, qu'on peut acquérir la pratique de la guerre, & se rendre digne des charges supérieures. Ce n'est pas seulement des officiers généraux que dépendent les succès à la guerre ; les officiers particuliers peuvent y contribuer beaucoup ; ils peuvent même quelquefois suppléer les officiers généraux, comme ils le firent au combat d'Altenheim en 1675. Voyez sur ce sujet les Mémoires de M. de Feuquiere, tome III. p. 240.

Comme les officiers généraux doivent posséder parfaitement toutes les différentes parties de l'art militaire, & que les colonels peuvent en être regardés comme la pépiniere, il seroit à-propos de les engager par des travaux particuliers, à se mettre au fait de tout ce qui concerne le détail non-seulement de la guerre en campagne, mais encore du génie & de l'artillerie.

Pour cet effet, ils pourroient être obligés de résider en tems de paix six mois à leur régiment ; & pour rendre ce séjour utile à leur instruction, indépendamment de l'avantage d'être éloignés pendant ce tems des plaisirs & de la dissipation de Paris, il faudroit les charger de faire des mémoires raisonnés des différentes manoeuvres qu'ils feroient exécuter à leur régiment. Un régiment de 2 ou de 4 bataillons peut être regardé comme une armée, en considérant chaque compagnie comme un bataillon ; c'est pourquoi on peut lui faire exécuter toutes les manoeuvres que l'armée peut faire en campagne.

On pourroit encore leur demander des observations sur le terrein des environs de la place, d'examiner les avantages & les inconvéniens d'une armée qui se trouveroit obligée de l'occuper & de s'y défendre ; un projet d'attaque & de défense des lieux qu'occupe leur régiment ; ce qu'il faudroit pour approvisionner ces lieux, tant de munitions de bouche que de guerre, pour y soutenir un siége relativement à la garnison qu'ils croiroient nécessaire pour les défendre, &c.

A leur retour à la cour, ils communiqueroient les mémoires qu'ils auroient faits sur ces différens objets, à un comité particulier d'officiers généraux habiles & intelligens, nommés à cet effet par le ministre de la guerre. On examineroit leur travail, on le discuteroit avec eux, soit pour les applaudir, ou pour leur donner les avis dont ils pourroient avoir besoin pour le faire avec plus de soin dans la suite. Ils se trouveroient ainsi dans le cas de se former insensiblement dans toutes les connoissances nécessaires aux officiers généraux ; la cour seroit par-là plus à portée de connoître le mérite des colonels ; & en distribuant les emplois par préférence à ceux qui les mériteroient le mieux par leur travail & leur application, on ne peut guere douter qu'il n'en résultât un très-grand bien pour le service. On ne doit pas penser que notre jeune noblesse puisse regarder l'obligation de s'instruire comme un fardeau pesant & onéreux. Son zèle pour le service du roi est trop connu : elle applaudira sans doute à un projet qui ne tend qu'à lui procurer les moyens de parcourir la brillante carriere des armes avec encore plus de distinction, d'une maniere digne d'elle & des emplois destinés à son état. (Q)

OFFICIERS GENERAUX DE JOUR, c'est le lieutenant général & le maréchal de camp qui sont de service chaque jour. On a vu à l'article de ces officiers, qu'ils ont dans l'armée & dans les sieges alternativement un jour de service. Lorsque ce jour arrive, ils sont officiers généraux de jour.

Il y a aussi un brigadier, un mestre de camp, un colonel & un lieutenant colonel, de service chaque jour ; mais ces officiers qui sont subordonnés aux lieutenans généraux & aux maréchaux de camp, sont appellés leur jour de service, brigadier ou colonel, &c. de piquet. Les fonctions de ces derniers officiers sont de veiller aux piquets, pour qu'ils soient toûjours prêts à faire leur service. Voyez PIQUET. (Q)

OFFICIERS DE LA MARINE, (Marine) ce sont les officiers qui commandent & servent sur les vaisseaux du roi & dans les ports, & composent le corps militaire.

On donne le nom d'officiers de plume aux intendans, commissaires & écrivains employés pour le service de la marine.

Les officiers mariniers, ce sont des gens choisis tant pour la conduite que pour la manoeuvre & le radoub des vaisseaux : savoir, le maître, le bosseman, le maître charpentier, le voilier & quelques autres. Les officiers mariniers forment ordinairement la sixieme partie des gens de l'équipage.

Les officiers militaires, sont les officiers généraux, les capitaines, les lieutenans & les enseignes.

Les officiers généraux, sont actuellement en France, deux vice-amiraux, 6 lieutenans généraux, 16 chefs d'escadre ; ensuite 200 capitaines, 310 lieutenans, 9 capitaines de brûlots, 380 enseignes, 25 lieutenans de frégates, & 4 capitaines de flûtes. Ce nombre peut varier par mort, retraites ou autrement.

OFFICIERS MUNICIPAUX, (Hist. mod.) sont ceux qu'on choisit pour défendre les intérêts d'une ville, ses droits & ses privileges, & pour y maintenir l'ordre & la police ; comme les majors, sherifs, consuls, baillifs, &c. Voyez OFFICE ou CHARGE.

En Espagne, les charges municipales s'achetent. En Angleterre, elles s'obtiennent par l'élection. Voyez OFFICE ou CHARGE VENALE, &c.

En France, les officiers municipaux sont communément les maires & les échevins, qui représentent le corps de ville. Souvent ils sont créés en titre d'office par des édits bursaux ; & souvent aussi ils sont électifs. Quelques villes considérables sont en possession de cette derniere prérogative, & leurs officiers ou magistrats municipaux prennent différens noms. Leur chef à Paris & à Lyon se nomme prevôt des Marchands, & les autres échevins ; en Languedoc, on les appelle consuls. La ville de Toulouse a ses capitouls ; & celle de Bordeaux ses jurats. Voyez CAPITOULS, JURATS.

OFFICIERS DE VILLE : on distingue à Paris deux sortes d'officiers de ville, les grands & les petits. Les grands officiers, sont le prevôt des Marchands, les échevins, le procureur du roi, le greffier, les conseillers, & le receveur. Les petits officiers, sont les mouleurs de bois & leurs aides, les déchargeurs, les mesureurs, les débacleurs & autres telles personnes établies sur les ports pour la police & le service du public. Voyez tous ces mots sous leurs titres particuliers.

OFFICIERS PASSEURS D'EAU, ce sont les maîtres bateliers de Paris, dont les fonctions consistent à passer d'un rivage de la Seine à l'autre les passagers qui se présentent, leurs hardes, marchandises, &c. Ils furent érigés en titre d'office sous Louis XIV. & sont au nombre de vingt, y compris les deux syndics. Voyez BATELIER, dictionnaire de Comm.

OFFICIERS DE LA VENERIE, ceux qui sont à la tête des chasses de sa majesté. L'ordonnance du roi du 24 Janvier 1695, a permis & permet aux capitaines des chasses desdites capitaineries royales de déposseder leurs lieutenans, sous-lieutenans & autres officiers & gardes desdites capitaineries lorsqu'ils le jugeront à propos, en les remboursant ou faisant rembourser des sommes qu'ils justifieront avoir payées ; & où il ne se trouveroit alors des sujets capables de servir, en état de rembourser lesdits officiers & gardes, permet sa majesté auxdits capitaines de les interdire pour raison de contraventions qu'ils pourroient avoir faites aux ordonnances & à leurs ordres, & de commettre à leurs places, pendant tel tems qu'ils jugeront à propos, & qui ne pourra néanmoins exceder celui de 3 mois, sans que lesdits officiers & gardes ainsi interdits puissent faire aucune fonction de leurs charges durant leur interdiction ; voulant seulement sa majesté qu'ils soient payés de leurs gages jusqu'à l'actuel remboursement du prix de leurs charges : & sera la présente ordonnance lue & publiée ès greffes d'icelles, à la diligence des procureurs de sa majesté.

Les officiers des eaux & forêts & chasses, doivent être reçus à la table de marbre où ressortit l'appel de leur jugement ; autrement toutes leurs sentences & actes de jurisdiction sont nuls, & ils ne peuvent pas recevoir de gardes capables de faire des rapports qui fassent foi, puisqu' eux-mêmes ne sont pas institués valablement. Au parlement de Paris on en excepte les anciennes pairies.

Les subalternes, c'est-à-dire le greffier, les gardes, exempts de gardes & arpenteurs, peuvent être reçus en la maîtrise particuliere ; mais ils doivent être tous âgés de 25 ans pour que leurs actes & procès verbaux aient force & foi.

Les officiers sont compris comme les autres dans les défenses de chasser.


OFFICIEUXadj. (Gramm.) qui a le caractere bienfaisant, & qu'on trouve toûjours disposé à rendre de bons offices. Les hommes officieux sont chers dans la société. Le même mot se prend dans un sens un peu différent : on dit un mensonge officieux, c'est-à-dire un mensonge dit pour éviter un plus grand mal qu'on auroit fait par une franchise déplacée. Les officieux à Rome, officiosi, salutantes, salutatores, gens d'anti-chambres, fainéans, flatteurs, ambitieux, empoisonneurs, qui venoient dès le matin corrompre par des bassesses les grands dont ils obtenoient, tôt ou tard, quelque récompense.


OFFICINALadj. (Pharmacie) les Médecins appellent remede ou médicament officinal, tout remede préparé d'avance & conservé dans les boutiques des apoticaires pour le besoin, ad usum. Les médicamens officinaux sont distingués de la simple matiere médicale, ou des drogues simples, par la préparation pharmaceutique ; & des remedes appellés magistraux, par le tems de cette préparation, les derniers ne la recevant que dans le moment même où on doit les administrer aux malades. Voyez MAGISTRAL, PHARMACIE.

Les médicamens officinaux se préparent d'après des regles, lois ou formules consignées dans les pharmacopées ou dispensaires. Voyez DISPENSAIRE. (b)


OFFRAIEvoyez GLORIEUSE.


OFFRANDESS. f. pl. (Théolog.) en terme de religion, sont tous les dons qu'on présente à Dieu ou à ses ministres, dans le culte public, soit en reconnoissance du souverain domaine qu'il a sur toutes choses, & dont on lui consacre spécialement une portion, soit pour fournir à l'entretien de ses temples, de ses autels, de ses ministres, &c.

Les Hébreux avoient plusieurs sortes d'offrandes qu'ils présentoient au temple. Il y en avoit de libres, & il y en avoit d'obligation. Les prémices, les décimes, les hosties pour le péché, étoient d'obligation : les sacrifices pacifiques, les voeux, les offrandes d'huile, de pain, de vin, de sel & d'autres choses que l'on faisoit au temple ou aux ministres du Seigneur, étoient de dévotion. Les Hébreux appellent en général corban, toutes sortes d'offrandes, & nomment mincha, les offrandes de pain, de sel, de fruits, d'huile, de vin, &c. Les sacrifices ne sont pas proprement des offrandes ; mais l'offrande faisoit partie des cérémonies du sacrifice. Voyez SACRIFICE.

Les offrandes étoient quelquefois seules, & quelquefois elles accompagnoient le sacrifice. On distinguoit de plusieurs sortes d'offrandes, comme de pure farine, de gâteaux cuits au four, de gâteaux cuits dans la poële, ou sur le gril, ou dans une poële percée, les prémices des grains nouveaux qu'on offroit ou purs & sans mêlange, ou rotis & grillés dans l'épi ou hors de l'épi. Le pain pour être offert devoit être sans levain, & on ajoutoit ordinairement à ces choses solides du vin ou de l'huile, qui en étoit comme l'assaisonnement. Le prêtre qui étoit de service retiroit les offrandes de la main de celui qui les offroit ; en jettoit une partie sur le feu de l'autel, ou sur la victime, lorsque l'offrande étoit accompagnée d'un sacrifice, afin qu'il fût consumé par le feu ; & réservoit le reste pour sa subsistance. C'étoit-là son droit comme ministre du Seigneur. Il n'y a que l'encens qui étoit brûlé entierement, le prêtre n'en reservoit rien. On peut voir dans le Lévitique toutes les autres cérémonies qu'on pratiquoit pour toutes les diverses offrandes, soit qu'elles fussent faites par des particuliers, soit qu'elles se fissent au nom de toute la nation.

Les offrandes des fruits de la terre, de pain, de vin, d'huile, de sel, sont les plus anciennes dont nous ayons connoissance. Caïn offroit au Seigneur des fruits de la terre, les prémices de son labourage ; Abel lui offroit aussi des prémices de ses troupeaux & de leurs graisses. Genese, iv. 3. 4. Les Payens n'avoient rien dans leur religion que ces sortes d'offrandes, faites à leurs dieux : ils offroient le pur froment, la farine, le pain :

Farra tamen veteres jaciebant, farra metebant,

Primitias Cereri farra resecta dabant.

Ov. Fast. 2.

Numa Pompilius, au rapport de Pline, liv. XVIII. chap. ij. enseigna le premier aux Romains à offrir aux dieux des fruits, du froment, de la farine, ou de la mie de pain avec du sel, du froment grillé & roti. Ovide nous apprend encore, fastor. j. qu'avant les sacrifices sanglans, ils n'offroient que du froment & du sel :

Ante, deos homini quod conciliare valeret,

Far erat, & puri lucida mica salis.

Théophraste remarque que parmi les Grecs la farine mêlée avec du vin & de l'huile, qu'ils appelloient , étoient la matiere des sacrifices ordinaires des pauvres.

La différence qu'il y avoit entre les offrandes de farine, de vin & de sel dont les Grecs & les Romains accompagnoient leurs sacrifices sanglans, & celles dont les Hébreux se servoient dans leur temple, consistoit en ce que les Hébreux jettoient ces oblations sur les chairs de la victime dejà immolée & mise sur le feu, au lieu que les Payens les jettoient sur la tête même de la victime encore vivante, & prête à être sacrifiée. Voyez LIBATION, IMMOLATION & SACRIFICE.

Dans l'Eglise catholique, quoiqu'il n'y ait proprement qu'une seule offrande, qui est le corps de J. C. dans l'eucharistie, cependant dès les premiers tems on a donné le nom d'offrande aux pieuses libéralités des fideles, & aux dons qu'ils faisoient à l'Eglise pour l'entretien de ses ministres, ou pour le soulagement des pauvres. Les moines eux-mêmes étoient obligés de faire leur offrande, si l'on en croit saint Jérôme, & ne pouvoient s'en dispenser sur leur pauvreté. Ammien Marcellin reproche au pape & aux ministres de son église, de recevoir de riches oblations des dames romaines ; cet auteur payen ignoroit le saint usage qu'on en faisoit. S. Augustin parle d'un tronc ou trésor particulier où l'on faisoit les offrandes qu'on destinoit à l'usage du clergé, comme du linge, des habits & d'autres choses semblables. Il est parlé dans les dialogues de S. Grégoire le Grand, des offrandes qu'on faisoit pour les morts. Le concile de Francfort distingue deux sortes d'offrandes : les unes se faisoient à l'autel pour le sacrifice : les sousdiacres, selon S. Isidore de Séville, les recevoient des mains des fideles pour les remettre en celles des diacres qui les plaçoient sur l'autel : les autres étoient portées à la maison de l'évêque, pour l'entretien des pauvres & du clergé. Selon les constitutions faites par Réginon, le prêtre devoit couper en plusieurs morceaux, & mettre dans un vase propre quelque partie des premieres de ces offrandes, pour les distribuer les dimanches & fêtes à ceux qui n'avoient pas communié. On en trouve aussi deux exemples chez les Grecs, & l'on donnoit à ces portions d'offrandes le nom d'eulogies. Voyez EULOGIE.

Le pere Thomassin remarque que si ce n'est point là l'origine du pain benit, c'est du moins une des plus anciennes preuves de son établissement. Voyez PAIN BENIT.

Depuis que les fideles n'ont plus donné le pain & le vin nécessaire au sacrifice, les offrandes les plus ordinaires se sont faites en argent. Divers conciles ont fait des reglemens pour obliger les fideles, & même les Juifs demeurans sur une paroisse, à les payer. Celui de Londres adjuge à l'église matrice, toutes les offrandes faites aux succursales. Dans un autre concile d'Angleterre, il est ordonné à tous les curés d'envoyer à l'église cathédrale, en signe de reconnoissance, les offrandes du jour de la pentecôte. Voyez CATHEDRATIQUE & PENTECOSTALE.

La discipline a extrêmement varié sur ce point, & il n'y a même rien d'uniforme dans les différens diocèses sur les offrandes, ni sur les occasions ou circonstances où on les fait. Si ce n'est : 1°. que dans toutes les paroisses, chaque paroissien à son tour, est obligé d'offrir le dimanche un pain que le prêtre benit : 2°. qu'aux messes des morts ou services, on offre du pain & du vin avec un cierge : 3°. que les autres offrandes se font en argent & appartiennent de droit aux curés, s'il n'y a usage contraire : 4°. que dans les campagnes en certains endroits, on offre des gerbes après la récolte, lesquelles sont vendues au profit de la fabrique. Voyez FABRIQUE. Thomassin, discipl. ecclés. part. I. liv. III. chap. vj. part. III. liv. II. chap. ij. liv. III. chap. iij. & iv. & part. IV. liv. III. chap. v. Calmet, dictionn. de la bible.

OFFRANDE, (Critique sacrée) oblation, en latin oblatio. Les Hébreux en avoient de trois sortes, les offrandes ordinaires, celles qui étoient d'obligation, & celles qui n'étoient que de pure dévotion. Les offrandes ordinaires se faisoient avec un parfum appellé thymiama, qu'on brûloit tous les jours sur l'autel. Les oblations libres & de pure dévotion étoient les sacrifices pacifiques, les voeux, les offrandes de vin, d'huile, de pain, de sel, & d'autres choses, que l'on faisoit aux ministres du temple. Les offrandes prescrites & d'obligation comprenoient les prémices, les dixmes, les hosties pour le péché. Les prémices de toutes choses devoient être offertes à Dieu. On lui offroit les personnes par la consécration ; les fruits de la terre, par l'oblation ; les liqueurs, par la libation ; des aromates, par les encensemens ; des bêtes, par les sacrifices. Il étoit défendu de moissonner qu'on n'eût offert à Dieu l'omer, c'est-à-dire la gerbe nouvelle, le lendemain du jour des azymes. Il étoit défendu de cuire du pain de blé nouveau, qu'on n'eût présenté le jour de la Pentecôte les pains nouveaux. Avant l'offrande de ces prémices, tout étoit immonde ; après cette offrande, tout étoit sain. Enfin, le mot offrande ou oblation marque le sacrifice de Jesus-Christ pour l'expiation de nos péchés. Tradidit semetipsum pro nobis oblationem & hostiam Deo. Eph. v. 2. (D.J.)


OFFRANTadj. & subst. (Gram. & Jurisp.) celui qui offre. On vend à des ventes de meubles, de livres, d'effets à l'encan, au plus offrant & dernier enchérisseur. Les adjudications par decret de terres, de baux judiciaires, de fermes, se donnent au plus offrant.


OFFRES. f. (Gram.) tout ce qu'on propose à quelqu'un qui a la liberté d'accepter ou de refuser. On dit de belles offres, & de mauvais procédés.

OFFRES, s. f. pl. (Jurisp.) est un acte par lequel on se soumet à faire quelque chose, ou par lequel on exhibe à quelqu'un des pieces ou autres choses qu'on est tenu de lui remettre, ou un bien, une somme de deniers qu'on est obligé de lui payer.

On appelle offres labiales, celles qui ne consistent que dans la déclaration que l'on offre & que l'on est prêt de faire telle. Quand même cette déclaration seroit faite par écrit, on appelle ces offres labiales, pour les distinguer des offres réelles qui sont accompagnées de l'exhibition & présentation effective des deniers ou autres choses que l'on offre, soit que ces offres réelles soient faites par un huissier, ou qu'elles soient faites sur le barreau.

En matiere de retrait lignager il faut faire des offres réelles à chaque journée de la cause. Voyez RETRAIT.


OFFRIRv. act. (Gram.) présenter à quelqu'un une chose qu'on seroit bien-aise qu'il acceptât ; si cela n'est pas, au-moins cela devroit toujours être ainsi. On dit offrir à Dieu nos peines ; offrir un combat, un secours, un sacrifice ; s'offrir à la vûe, &c.


OFFUSQUERv. act. (Gram.) cacher à la vûe. Voilà une montagne qui offusque la vûe de votre château ; les nues ont offusqué le soleil. Il signifie aussi blesser les yeux ; la trop grande clarté du jour m'offusque. Il se prend au moral, comme dans ces phrases : la passion offusque le jugement ; ses bonnes qualités sont offusquées par une infinité de mauvaises. On dit au figuré, votre éclat l'offusque ; sa gloire fut un peu offusquée par cet événement.


OGIVEou AUGIVE, s. f. (Coupe des pierres) signifie les voutes gothiques en tiers point : ce mot vient de l'allemand aug, qui signifie oeil ; parce que les arcs des ceintres des voûtes gothiques sont des angles curvilignes A B C, (fig. 20.) semblables à ceux des coins de l'oeil, quoique dans une position différente.


OGLASA(Géog. anc.) île de la Méditerranée, selon Pline, liv. III. chap. vj. on croit par la situation qu'il lui donne, que c'est Monte Christo.


OGLIO L '(Géog.) riviere d'Italie en Lombardie ; elle prend sa source au Bressan dans sa partie la plus septentrionale, aux confins des Grisons & du Trentin. Elle se perd dans le Pô au couchant de Borgoforte. Le nom latin de cette riviere est Ollius.


OGNIUSou OGMIUS, (Hist. anc. Mytholog.) surnom que l'on donnoit chez les Gaulois à Hercule, suivant quelques-uns, & à Mercure, suivant d'autres. On représentoit ce dieu sous les traits d'un vieillard décrepit, chauve, ridé, & comme accablé de fatigue ; il étoit couvert de la peau d'un lion ; dans sa main droite il portoit sa massue, & dans la gauche son arc & son carquois. Il avoit la langue percée, & il en partoit des chaînes d'or par où il attiroit à lui une foule d'auditeurs qui étoient pris par les oreilles. Sous cet emblême, les Gaulois vouloient représenter la force de l'éloquence, qui attire tous les coeurs.


OGOESSEterme de Blason, il se dit des tourteaux de sable, pour les distinguer des autres qui se nomment gulpes, quand ils sont de pourpre ; guses, quand ils sont de gueules ; heurtes, quand ils sont d'azur ; sommes ou volets, quand ils sont de sinople ; cependant ils retiennent tous en général le nom de tourteaux. Voyez TOURTEAU, Blason. (D.J.)


OGRES. m. (Gram.) sorte de monstre, de géant, d'homme sauvage, qu'on a imaginé & introduit dans les contes où il mange les petits enfans : l'ogre est contemporain des fées.


OGYASS. m. (Hist. turque) nom du précepteur des fils du grand-seigneur. Quoique les fils des sultans soient élevés dans la mollesse, au milieu des plaisirs & de l'oisiveté du serrail, on leur choisit pourtant des précepteurs qu'on appelle ogyas, qui sont d'ordinaire les plus savans du pays. Ces précepteurs vivent dans la suite avec éclat, & reçoivent du sultan, autrefois leur disciple, des honneurs, & des distinctions qu'il refuse au grand-visir, au caïmacan, & aux cadilesquers. Un ambassadeur de France, qui avoit résidé fort long-tems à la Porte, M. de Breves, remarque dans ses mémoires, que les Turcs ont souvent à la bouche ces paroles qu'ils attribuent à Soliman : " Dieu donne l'ame toute brute, mais le précepteur la polit & la perfectionne ". (D.J.).


OGYGIE(Géog. anc.) nom de l'île de Calypso. Pline, liv. III. chap. x. parlant du promontoire Lacynium, aujourd'hui capo delle colonne, dit que devant la côte, est entr'autres îles, celle de Calypso, qu'Homere a nommé Ogygie : mais ni cette île, ni les autres que Pline nomme, ne subsistent plus.

Ogygia est aussi un nom donné à divers lieux & pays, comme à la Béotie, à l'Egypte, à la Lycie, & à Thebes. Pausanias dit que les premiers habitans du territoire de cette ville, avoient Ogyge pour roi : rien n'est plus fameux dans l'antiquité, que le déluge d'Ogygès.


OGYRIS(Géog. anc.) île de la mer des Indes : Pline, liv. VI. chap. xxviij. dit qu'elle est en pleine mer, à 125 milles du continent. Comme ce n'est point l'île d'Ormus, ni celle de Mazira, sur les côtes d'Arabie, nous ignorons quelle île ce peut être. (D.J.)


OHinterjection augmentative : Oh, n'en doutez pas ! Oh, oh, j'ai d'autres principes que ceux que vous me supposez, & je ne suis pas un dans mes écrits, & un autre dans ma conduite.

Il parloit fort bien de la guerre,

Des cieux, du globe de la terre,

Du droit civil, du droit canon,

Et connoissoit assez les choses

Par leurs effets & par leurs causes ;

étoit-il honnête homme ? Oh, non.


OHIO L '(Géog.) grande riviere de l'Amérique septentrionale dans la nouvelle France : elle est ainsi nommée par les Iroquois ; & ce nom, dit-on, marque sa beauté. Elle a ses sources à l'orient du lac Erié, baigne les Tongoria, reçoit dans son sein une autre riviere nommée Ouabache, ou de saint Jérome ; & enfin accrue de nouveau par la riviere des Casquinambaux, elle se perd dans le Mississipi, au pays nommé par les François la Louisiane. Mais il faut consulter sur le cours de cette riviere la carte de l'Amérique septentrionale, publiée à Londres en 1754, par le D. Mitchel F. R. S. (D.J.)


OIBO(Géog.) île d'Afrique sur la côte de Zanguebar, l'une des îles de Quisimba : elle est petite, mais arrosée de belles & bonnes fontaines. (D.J.)


OIES. f. anser domesticus, (Hist. nat. Ornithol.) oiseau qui est plus petit que le cygne, & plus gros que le canard : il a environ deux piés dix pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité des piés, & à-peu-près deux piés huit pouces jusqu'au bout de la queue : le bec a deux pouces & demi de longueur depuis la pointe jusqu'aux coins de la bouche, & environ trois pouces & demi jusqu'aux yeux. La queue est longue à-peu-près de dix pouces, & composée de dix-huit plumes, dont les extérieures sont les plus courtes ; les autres augmentent de longueur successivement jusqu'à celles du milieu qui sont les plus longues de toutes. La couleur des oies varie comme dans tous les autres oiseaux domestiques ; elles sont ordinairement brunes, ou cendrées, ou blanches ; on en trouve aussi dont la couleur est en partie brune, & en partie blanche. Le bec & les pattes sont jaunes dans les jeunes oies, & deviennent ordinairement rouges avec l'âge : il y a vingt-sept grandes plumes dans chaque aîle. Quand on irrite cet oiseau, il fait entendre un sifflement semblable à celui d'un serpent : l'oie vit très-long-tems. Willughby rapporte que l'on avoit gardé chez le pere d'un de ses amis pendant quatre-vingt ans une oie qui paroissoit pouvoir vivre encore autant de tems, si l'on n'avoit pas été obligé de la tuer, parce qu'elle faisoit une guerre continuelle aux autres oies. Willughby, Ornith. Voyez OISEAU. (I)

OIE SAUVAGE, anser ferus, oiseau qui ressemble à l'oie domestique par la grosseur & par la forme du corps, & qui en differe un peu par la couleur. Il a toute la face supérieure du corps brune, ou d'une couleur cendrée obscure, excepté les plumes de la racine de la queue qui sont blanches. Toute la face inférieure a une couleur blanchâtre ; cette couleur est de plus en plus blanche, à mesure qu'elle se trouve plus près de la queue, & les plumes qui sont sous la queue ont un très-beau blanc ; le bec a la racine & la pointe noires ; le milieu est de couleur de safran. Raii, synop. meth. avium. Voyez OISEAU. (I)

OIE DE BASSAN, Voyez OIE D'ECOSSE.

OIE DE BRENTA, Brenta anas, torquenta Bellonii, oiseau qui est un peu plus gros & plus allongé que le canard : la tête, le cou, & la partie supérieure de la poitrine sont noires : il y a de chaque côté sur le milieu du cou, une tache ou une petite ligne blanche, en forme de collier ; le dos est d'une couleur brune cendrée, comme dans l'oie domestique ; cependant la partie postérieure a une couleur plus noirâtre ; les plumes qui recouvrent le dessus de la racine de la queue sont blanches ; la poitrine a une couleur brune cendrée ; le bas-ventre est blanc ; la queue & les grandes plumes des aîles sont noires ; les petites ont une couleur brune cendrée ; les piés sont noirâtres. Cet oiseau a environ un pié six pouces & demi de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue. Willughby, Ornith. Voyez OISEAU. (I)

OIE DE CANADA, anser canadensis, oiseau qui ressemble beaucoup à l'oie domestique ; il a cependant le corps un peu plus allongé. Le dos est d'un brun cendré, comme dans l'oie domestique, & le croupion est noir : les plumes qui recouvrent en-dessus la racine de la queue sont blanches ; le cou est presque entierement noir, excepté la partie inférieure, qui a une couleur blanche ; il y a derriere la tête, au-dessous des yeux, une large bande blanche qui entoure le cou presqu'en entier ; le ventre est blanc ; la queue & les grandes plumes des aîles sont noires ; les petites plumes & celles qui recouvrent immédiatement les grandes, ont une couleur brune cendrée ; celle des pattes est noire. Ray, synop. meth. avium. Voyez OISEAU. (I)

OIE D'ECOSSE, OIE SOLAND, OIE DE BASSAN, anser bassanus, oiseau qui est de la grosseur de l'oie domestique ; il a le bec long, droit dans toute son étendue, à l'exception de l'extrêmité, qui est un peu courbe ; ce bec a une couleur cendrée obscure ; la piéce supérieure a de chaque côté un petit appendice situé près de l'endroit où commence la courbure ; l'ouverture de la bouche est grande ; les narines ne sont pas apparentes au-dehors ; le dedans de la bouche a une couleur noire ; la langue est petite, & les pieces du bec sont dentelées. Cet oiseau est entierement blanc, excepté les grandes plumes des aîles qui ont une couleur noirâtre : quand il est vieux, le dessus de la tête a une teinte de roux ; il prend difficilement son essor lorsqu'il est posé sur la terre, parce que ses aîles sont très-longues. Raii, synop. meth. avium. Voyez OISEAU. (I)

OIE D'ESPAGNE, anser hispanicus, an potius guineensis, oiseau qui a comme l'oie domestique le dos d'une couleur brune mêlée de cendrée. Le ventre est blanc, la gorge & la poitrine sont brunes & ont une teinte de roux. Il y a sur la tête une bande d'un brun noirâtre qui s'étend jusqu'au dos en passant sur la face supérieure du cou. Le bec est noir, & il a à sa racine un tubercule proéminent, qui augmente avec l'âge, & qui est toujours plus gros dans les mâles que dans les femelles. La tête est entourée d'une bande blanche en forme de collier placé entre les yeux & la racine du bec. Les plumes de la queue sont de la même couleur que celles du dos & des aîles, & ont l'extrêmité blanchâtre. Les piés sont rougeâtres. Il y a des individus qui ont aussi le bec de cette couleur. Le doigt de derriere est très-petit. Willughby, ornith. Voyez OISEAU. (I)

OIE DE MAGELLAN, voyez PENGOUIN.

OIE DE MARAIS, anser palustris noster, Raii, oiseau qui est le même que l'oie sauvage ; car la description qu'en donne Ray, d'après Lister, est exactement conforme avec celle de l'oie sauvage, à l'exception de la couleur des piés & du milieu du bec, qui est d'un rouge tirant sur le pourpre dans l'oie de marais ; ces mêmes parties sont de couleur de safran dans l'oie sauvage. Voyez OIE SAUVAGE, OISEAU.

OIE DE MER, nom que l'on a donné au dauphin, parce que les machoires de ce poisson cetacée ressemblent au bec d'une oie. Voyez DAUPHIN. (I)

OIE DE MER, voyez HARLE.

OIE DE MOSCOVIE, oiseau qui est plus grand que l'oie domestique. Il a environ trois piés six pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue, & cinq piés d'envergeure. Le dessus de la tête & la partie supérieure du cou sont d'un brun obscur, & les côtés de la tête & du cou d'un brun plus pâle. Le bec est noir à la racine, & de couleur orangée dans le reste de sa longueur ; il y a sur la piece supérieure une sorte de tubercule aussi de couleur orangée. Les plumes du dos sont d'un brun obscur ; cette couleur est moins foncée sur les bords extérieurs de chaque plume. Toutes les autres parties du corps & les aîles sont blanches, à l'exception de quelques plumes qui recouvrent le dessus de la racine de la queue. Les jambes & les piés sont d'une couleur orangée. La femelle differe un peu du mâle ; elle a la tête, le cou & la poitrine d'un brun clair, & le dos, les aîles & les cuisses d'un brun obscur ; les bords extérieurs des plumes sont d'un blanc sale. Le tubercule du bec est moins gros que celui du mâle. Albin, Hist. nat. des oiseaux, tome II. Voyez OISEAU. (I)

OIE NONETTE, voyez TADORNE.

OIE SOLAND, voyez OIE D'ECOSSE.

OIES, (Diet. & Mat. méd.) oie domestique & oie sauvage ; ces deux oiseaux ont entr'eux le plus grand rapport, quoique le dernier passe généralement pour meilleur. On mange l'oie jeune & ayant acquis à peine la moitié de son accroissement (à cet âge elle est connue sous le nom d'oison), ou bien dans l'état adulte, c'est-à-dire après avoir acquis tout son accroissement.

La chair de l'oison passe pour avoir éminemment le défaut propre aux jeunes animaux, c'est-à-dire, pour être gluante & comme glaireuse ; & en effet, les personnes qui n'y sont point accoutumées, la trouvent sans consistance & d'un goût plat, & ils la digerent mal ; elle leur donne le dévoiement : ainsi elle doit être rangée avec les alimens suspects & peu salutaires. On sert pourtant l'oison sur les bonnes tables dans le pays où on éleve beaucoup d'oies. On a coutume, & on fait bien, de ne le manger que rôti, & avec des sausses piquantes, ou arrosées de jus de citron, ce qui est encore mieux.

L'oie adulte, lorsqu'elle est vieille, est seche, dure & de mauvais goût : les auteurs de diete disent même que l'usage de sa chair est sujet à engendrer des fievres ; ce qui paroît outré : si elle est jeune & grasse, sa chair est fastidieuse & toujours d'un goût plat. En général l'oie n'est servie que dans les festins du peuple ; celui de Paris en mange beaucoup. M. Bruhier observe dans son addition au traité des alimens de Louis Lemeri, que quoiqu'on consomme encore aujourd'hui beaucoup d'oies à Paris, c'étoit toute autre chose autrefois : que la rue nommée à présent la rue aux ours, se nommoit la rue aux oies, ou aux marchands d'oies, qui en faisoient un débit prodigieux, soit qu'ils les vendissent crûes ou rôties. On les mange aujourd'hui soit rôties, soit en ragoût, & principalement en daube. Pour les rendre sous cette derniere forme moins malfaisantes, & plus agréables qu'il est possible, on doit les apprêter avec des assaisonnemens piquans & acides.

Les cuisses d'oie qu'on prépare dans plusieurs pays en les salant à sec, les faisant cuire à demi dans de la graisse d'oie, & les en recouvrant ensuite, qu'on envoie en cet état dans tout le royaume, paroissent un peu corrigées par le sel, & ne sont ni desagréables ni mal saines, étant mangées bouillies : elles font assez bien dans le potage, & sur-tout dans les potages aux choux verds, que les Béarnois appellent garbure, & qui est à présent aussi en usage à Paris, sous le même nom ; servies encore avec de la purée, &c.

La graisse d'oie est très-fine, très-douce & très-fondante. On s'en sert dans quelques pays au lieu de beurre : & les pharmacologistes n'ont pas manqué de lui accorder plusieurs vertus médicinales particulieres ; mais elle ne possede absolument que les qualités diététiques & médicamenteuses communes aux graisses. Voyez GRAISSE, Diete, & Mat. méd.

La fiente d'oie est aussi un remede, recommandé à la dose d'environ demi-gros, comme sudorifique, diurétique, emmenagogue & spécialement propre contre la jaunisse. La peau qui recouvre les pattes de l'oie, a été déclarée astringente ; & sa langue séchée & pulvérisée, comme un spécifique contre la retention d'urine. Ettmuller, qui est un des pharmacologistes qui a proposé sérieusement ce prétendu spécifique, assure encore que la langue du même animal mangée fraîche, guérit l'incontinence d'urine. (b)

OIE, FOIE D ', (Art culin. des anc.) les Grecs & les Romains faisoient grand cas des foies d'oies blanches qu'ils engraissoient. Pline le dit lui-même, lib. X. c. 22. nostri sapientiores qui eos jecoris bonitate novere. Fartilibus in magnum amplitudinem crescit : exemptum quoque lacte mulso augetur. Nous avons encore un passage d'Horace pour le prouver ; c'est dans la Satyre de Nasidiénus homme riche & avare, qui se met en frais pour regaler Mécénas. Il lui donne dans un des plats le foie d'une oie blanche qu'ils ont nourrie de figues fraîches, pinguibus & ficis pastum jecur. Les Grecs appelloient ces foies , en latin, ficata. La maniere de préparer les foies d'oie étoit la même en Italie qu'en Grece. On les servoit rôtis ou frits à la poêle, & enveloppés de la membrane appellée omentum, que nous nommons la coëffe. C'est sur cela qu'est fondé le bon mot d'une aimable courtisanne, qui croyant, étant à table, prendre un foie dans un plat, & ne trouvant sous l'enveloppe qu'un morceau de poumon, s'écria :


OIGNONS. m. cepa, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur liliacée composée de six pétales ; le pistil occupe le milieu de cette fleur, & devient dans la suite un fruit arrondi & divisé en trois loges, qui renferme des semences arrondies. Ajoutez aux caracteres de ce genre que les fleurs sont réunies en un bouquet sphérique, & que les feuilles & les tiges sont fistuleuses. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Outre les treize especes d'oignons que compte Tournefort, il s'y trouve encore d'autres variétés en couleur, en grosseur, en forme, que produit l'art de la culture. L'espece la plus commune dans nos jardins est l'oignon blanc ou rouge : cepa vulgaris, floribus & tunicis candidis, vel purpurascentibus. C. B. P. 71. I. R. H. 382.

Sa racine est bulbeuse, composée de plusieurs tuniques charnues intérieurement & membraneuses à l'extérieur ; elle est tantôt rouge, tantôt blanche ; quelquefois orbiculaire, quelquefois oblongue, d'autrefois applatie, garnie à sa partie inférieure de fibres blanches, remplies d'un suc subtil & très-âcre qui fait pleurer. Ses feuilles sont longues d'un pié, fistuleuses, cylindriques, pointues, d'une saveur âcre. Sa tige est unie, droite, haute de deux ou trois coudées, renflée vers le milieu, portant à son sommet une tête de la grosseur du poing, composée de fleurs-de-lis, dont chacune a six pétales, six étamines & un pistil : ce pistil se change ensuite en un fruit arrondi, partagé en trois loges remplies de graines arrondies, anguleuses, noires. L'oignon differe de toutes les racines bulbeuses, en ce que sa racine n'en donne point d'autres. On le cultive sans cesse dans les jardins pour la cuisine.

L'oignon blanc d'Espagne, ou l'oignon doux, cepa africana, maxima, bulbâ lignariâ, dulci, H. R. P. est encore une espece d'oignon qu'on cultive dans les jardins ; il est remarquable en ce que ses bulbes sont extrêmement grosses & très-douces. L'oignon blanc est apéritif, incisif & résolutif. On l'applique extérieurement pour faire mûrir les abscès.

L'échalote, cepa ascalonica, sive fissilis, I. R. H. 382, est une espece d'oignon. Sa racine est un assemblage de plusieurs bulbes unies ensemble, un peu plus grosses qu'une aveline, & portées sur un paquet de racines fibreuses ; elle a une vive saveur d'oignon, cependant agréable. Elle pousse des feuilles menues, fistuleuses, cylindriques, lisses, qui ont le même goût. On seme l'échalote dans les potagers, pour assaisonner les alimens.

La ciboule, cepa fissilis, I. R. H. 382. est une quatrieme espece d'oignon, qui ressemble par son extérieur à l'échalote, si ce n'est que toutes ses parties sont plus grandes. Il sort plusieurs bulbes grêles & allongées d'un seul paquet de racines chevelues, comme dans l'échalote, dont elles different par leur acrimonie. On la cultive dans les potagers. Elle a les mêmes qualités que l'oignon blanc & l'échalote. Son analyse nous apprend qu'elle contient un sel ammoniacal & un esprit subtil. (D.J.)

OIGNON, (Jardin.) quoiqu'il y ait différentes especes d'oignons dans les jardins des curieux botanistes, les jardiniers n'en cultivent que deux ou trois especes ; savoir, l'oignon d'Espagne, cepa vulgaris floribus & tunicis candidis vel purpurascentibus, C. B. & l'oignon de Strasbourg. Celui d'Espagne a la racine grosse & douce ; l'oignon de Strasbourg est plus amer, & se garde plus long-tems : l'un & l'autre n'ont aucune différence dans leur culture ; mais il faut observer que leurs variétés ne sont pas durables : car si vous semez des graines de l'oignon d'Espagne, vous aurez un mêlange d'oignon rouge parmi. L'oignon de Strasbourg ne conserve pas mieux sa nature ; car il s'applatit insensiblement. La même chose arrive aux oignons de Portugal dans nos climats ; au bout d'un ou deux ans ils dégénerent au point, qu'on ne reconnoît plus leur origine.

L'oignon quel qu'il soit vient de graine, & veut une terre neuve. Cette graine se jette à plein champ un peu à claire voie ; puis on la couvre de terre avec le rateau. On ôte avec soin toutes les mauvaises herbes ; on éclaircit aussi les oignons, afin que ceux qui restent viennent plus beaux ; & lorsqu'ils ont acquis une belle grosseur, on en foule les montans ; quand leurs tiges sont fanées, on tire l'oignon de terre en coupant l'extrêmité de la tige ; on les fait sécher dans un terrein bien sec, observant de les tourner chaque jour, pour les empêcher de pousser de nouvelles racines, ce qu'ils ne manqueroient pas de faire sur-tout dans un tems humide ; on finit par ôter toute la terre qui les entoure, & on met ensemble dans un grenier de la maison tous ceux qui sont bien sains, sans les trop presser les uns contre les autres. Plus on les garantit de l'air, & plus on les conserve.

Il est inutile d'entrer dans de plus grands détails sur une plante si commune ; cependant elle a mérité l'attention de Miller ; & ses préceptes sont bien supérieurs à ceux de nos auteurs qui se sont attachés à indiquer la culture de cette plante potagere. (D.J.)

OIGNON, (Chim. Diete & Mat. médic.) l'oignon rouge & l'oignon blanc ; le principe vif & très-volatil qui nage dans le suc aqueux de l'oignon, & qui se répand au loin dès qu'on vient à le couper ou le piquer, & cela sans le secours du moindre feu artificiel ; la nature de ce principe, dis-je, n'a pas encore été déterminée par les chimistes. Il est certain seulement que ce n'est point de l'alkali volatil, & que Boerhaave & quelques chimistes plus modernes se sont trompés en le croyant du même genre que l'alkali spontané des plantes cruciferes de Tournefort. Il est manifeste encore que ce principe est beaucoup plus mobile que l'alkali volatil qui se trouve dans ces dernieres plantes dans l'état le plus concentré.

La racine ou le bulbe de l'oignon porte par excellence le nom de toute la plante. C'est dans cette partie que réside principalement le principe dont nous venons de parler : elle est encore la seule qui soit employée comme aliment & comme remede.

L'oignon est d'autant plus doux, c'est-à-dire dépourvu de ce principe actif & volatil, qu'il croît dans des pays plus chauds. L'oignon cultivé en Languedoc ou en Provence differe si fort à cet égard de la même espece cultivée aux environs de Paris, que le piquant de ces derniers est un objet absolument nouveau pour les habitans des premieres provinces. Un paysan languedocien qui a mangé fort communément dans son pays un ou deux gros oignons cruds, ne sauroit manger sans répugnance ou sans effort une seule feuille de ceux de Paris. La même différence s'observe dans la même proportion entre les oignons de Languedoc & ceux d'Espagne, de l'île Minorque, &c. On peut couper ces derniers extrêmement près du nez & des yeux, sans qu'ils picotent ces organes d'une façon incommode. J'ai observé encore que la qualité malfaisante de l'oignon crud, dont nous allons parler dans un instant, étoit aussi directement proportionnelle à l'abondance & à la vivacité de ce principe ; ensorte que l'oignon qui en est presque absolument privé, n'est plus qu'un aliment plein d'une eau douce, d'un goût agréable, relevé par un parfum léger ; & que les oignons d'Egypte étant vraisemblablement dans ce degré extrême de perfection, il n'est pas étonnant que les Juifs qui abandonnerent ce pays, en aient tant regretté cette précieuse production.

Cette mauvaise qualité de l'oignon crud de notre pays, dont nous parlions tout-à-l'heure, est de causer l'assoupissement & le vertige aux personnes qui ne sont pas accoutumées à cet aliment, de ne subir qu'une digestion longue & pénible, & enfin de causer des vents & des rapports fort dégoûtans. Les paysans sur-tout dans les pays chauds, & pendant les plus grandes chaleurs de l'été, mangent beaucoup d'oignons cruds, qu'ils assaisonnent avec beaucoup plus de sel qu'aucun autre aliment que je connoisse. Cette nourriture convient aux organes de ces hommes robustes, & aide à les soutenir dans leurs travaux pénibles ; elle les défend utilement sur-tout contre le relâchement qu'opéreroit sur leur corps la chaleur du climat & de la saison. Voyez CLIMAT, Médecine.

Par les raisons du contraire, un pareil aliment est inutile, & peut même être nuisible aux tempéramens plus délicats, & sur-tout à ceux qui ont les nerfs sensibles, & qui sont facilement échauffés.

L'oignon cuit sous la cendre, soit à l'eau, soit dans les potages, ou avec le jus des viandes, qui a été absolument dépouillé dans cette opération de son principe volatil, & dont le suc a peut-être reçu d'ailleurs une élaboration utile ; l'oignon cuit, dis-je, est au contraire un aliment très-sain qui se digere facilement, qui peut même, si l'on veut, être regardé comme adoucissant, pectoral, &c.

Quant aux usages médicinaux de l'oignon, le sue récent de l'oignon crud est compté parmi les diurétiques les plus puissans. L'infusion de l'oignon dans le vin blanc est aussi recommandée pour la même vertu. Il est fort singulier que Chomel, qui vante ce remede, exige, comme une circonstance essentielle, qu'il soit pris les trois derniers jours de la lune, & que Geoffroi rapporte cette prétention sans la réfuter.

La qualité anti-pestilentielle attribuée à l'oignon par le peuple, & par quelques médecins, n'est rien moins que démontrée.

L'oignon crud est encore vanté pour faire revenir les cheveux ; autre qualité peu éprouvée. On applique aussi extérieurement l'oignon crud & pilé sur la tête, pour en calmer les douleurs opiniâtres, sur les oedemes, qu'il guérit quelquefois en excitant les urines, & sur le ventre dans l'ascite & la leucophlegmatie, qu'il dissipe par la même voie : ce sont encore-là des vertus célébrées dans les livres, & trop peu confirmées par l'expérience.

L'oignon cuit & réduit en forme de cataplasme, est un très-bon émollient & résolutif. Cette derniere propriété est prouvée par une expérience journaliere.

L'échalote & la ciboule sont fort analogues à l'oignon. La premiere de ces racines l'est cependant encore davantage à l'ail. Voyez AIL. Ce que nous avons dit de l'oignon crud convient presque absolument à la derniere. (b)

OIGNON MARIN, (Mat. médic.) Voyez SCILLE.

OIGNON MUSQUE, (Botan.) genre de plante, connu des Botanistes sous le nom de muscari. Voyez MUSCARI, Botan.

OIGNON, terme de Chirurgie vulgaire, est une dureté qui vient au pié à la base du gros orteil : c'est une espece de cors. Lorsque sa racine est simplement dans la peau, il n'est que cutané : quelquefois ses racines vont jusqu'aux ligamens & au périoste.

Ces oignons sont quelquefois fort douloureux, s'enflamment & suppurent. J'ai vû un amas de synovie sous l'enveloppe calleuse d'un oignon : le malade a guéri par l'usage de l'esprit de térébenthine introduit dans la plaie.

Les oignons sont en général plus incommodes que dangereux : on les diminue en les coupant, après avoir fait tremper le pié dans le bain tiede ; il ne faut pas aller trop au vif de crainte d'accident ; par une longue macération réitérée, on parvient à les détacher sans se servir d'instrument tranchant.

Le meilleur topique est le galbanum ou la gomme ammoniac amollie dans le vinaigre & appliquée en forme d'emplâtre. Voyez ce que nous avons dit au mot COR. (Y)


OINDREv. act. (Gram.) enduire d'huile ou de quelqu'autre substance grasse & molle : on oint le papier, le bois, les corps des animaux. Dans le fetichisme, la plus ancienne, la plus étendue, & la premiere de toutes les religions, à les considérer selon leur histoire hypothétique & naturelle, ceux qui prenoient pour fétiche une pierre l'oignoient afin de la reconnoître : de-là vint dans la suite la coutume d'oindre tout ce qui porta sur la terre quelque caractere divin & sacré ; mais avant les prêtres, les rois, & long-tems avant, l'oint fut un morceau de bois pourri, une paille, un roseau, un caillou sans prix, en un mot la plûpart des choses précieuses ou viles, sur lesquelles se portoit l'imagination des hommes, frappée d'admiration, de crainte, d'espoir, ou de respect. On dit de Jesus-Christ, qu'il fut l'oint du Seigneur. Le Seigneur a dit, gardez-vous de toucher à mes oints : ces oints sont les rois, les prêtres, les prophetes.


OINGS. m. (Gramm.) vieux oing, graisse de porc qui se tient aux reins : c'est avec cette graisse rance qu'on frotte les essieux des voitures, les rouleaux des presses, &c.


OINGTSS. m. pl. (Hist. eccles.) hérétiques anglois dans le xvj. siecle, qui disoient que le seul péché qu'on pouvoit faire au monde, étoit de ne pas embrasser leur doctrine. Genebrard, in Pio 5.


OINOMANCIES. f. (Hist. anc.) divination par le moyen du vin, soit qu'on en considérât la couleur, soit qu'en le buvant on s'attachât à remarquer scrupuleusement toutes les circonstances qui arrivoient pour en tirer des présages. Virgile dans le quatrieme livre de l'Enéide nous donne un exemple de la premiere espece.

Vidit thuricremis cum dona imponeret aris,

(Horrendum dictu) latius nigrescere sacros,

Fusaque in obscoenum se vertere vina cruorem.

Et dans le Thyeste de Séneque on en trouve un de la seconde espece.

Admotus ipsis Bacchus à labris fugit

Circaque dictus ore decepto effluit.

On dit que les Perses étoient fort attachés à cette sorte d'augure ou de divination, dont le nom est grec & formé d', vin, & de , divination.


OINOPHORE(Littérat.) oinophorum, les oinophores étoient de grandes cruches dans lesquelles on puisoit le vin pour le mettre dans des bouteilles, d'où on versoit à boire dans des gobelets : c'étoit la coutume à table, quand on avoit vuidé ces cruches, de les renverser, & de mettre l'ouverture contre terre. Lucilius dit assez plaisamment à ce sujet :

Vertitur oinophoris fundus, sententia nobis.

" les cruches se renversent & notre raison aussi. ". (D.J.)


OIRA(Géog. anc.) ville capitale de la terre d'Otrante, située sur une montagne de l'ancien pays des Messapiens, entre Tarente & Brindes. Elle a été colonie des Crétois ; c'est pourquoi dans ses médailles on voit le minotaure : on y lit toujours Ypina, ou Anipy, à la maniere ancienne que Cadmus apporta de Phénicie, écrivant de droite à gauche : son nom grec & latin est Uria. On trouve en 977, un André qualifié episcopus Brundusinus & Uritanus. L'an 1491 Grégoire XIV. donna un évêque particulier à Oira, & mit ce nouvel évêché sous la métropole de Tarente. (D.J.)


OISE(Géog.) riviere de France, elle a sa source dans les Ardennes, aux confins du Hainaut & du Thiérache, & finit par tomber dans la Seine, entre Conflans, Sainte Honorine & Andresy. Comme elle est navigable à Chauny, elle facilite pour Paris le transport des blés & des foins de Picardie ; son nom latin est Isara, Oesia, ou Esia. (D.J.)


OISEAUS. m. (Hist. nat. Ornit.) animal couvert de plumes, qui a deux aîles, deux piés, un bec de substance de corne, &c. Les oiseaux n'ont point de vraies dents logées dans des alvéoles, comme les dents des quadrupedes, mais dans quelques especes, par exemple celle des plongeons, le bec est dentelé comme une scie. Le bec des oiseaux leur sert, non-seulement pour prendre leur aliment, mais ils l'emploient aussi comme une arme offensive & défensive ; c'est avec leur bec qu'ils construisent leur nid, qu'ils donnent à manger à leurs petits, & qu'ils arrangent leurs plumes : quelques-uns, tels que les perroquets, les bec-croisés, &c. montent le long des arbres à l'aide de leur bec. Tous les oiseaux, excepté ceux qui ne sortent que la nuit, ont la tête petite à proportion de la grosseur du corps. Les yeux des oiseaux, comme ceux des poissons, ont moins de convexité que ceux des quadrupedes : il y a sous les paupieres une membrane, membrana nictitoria, qui sort du grand angle de l'oeil, & qui recouvre l'oeil en tout ou en partie, au gré de l'oiseau, quoique les paupieres restent couvertes : cette membrane se trouve aussi dans plusieurs quadrupedes ; elle sert à nettoyer la surface de l'oeil. Les oreilles des oiseaux n'ont point de conques à l'extérieur, & dans la plûpart le conduit auditif est sans aucun couvercle, mais il y en a un dans les oiseaux de proie nocturnes, & dans quelques-uns des diurnes. Les oiseaux qui ont les pattes longues ont aussi le cou long, autrement ils ne pourroient prendre leur aliment sur la terre ; mais tous ceux dont le cou est long n'ont pas les pattes longues. Quoique tous les oiseaux ayent des aîles, il y en a qui ne peuvent pas voler ; tels sont l'autruche, l'émeu, le pingouin : au-moins l'autruche étend ses aîles & les agite pour accélérer sa course ; mais celles de l'émeu sont si petites qu'il ne paroît pas qu'il puisse s'en servir. Les aîles des insectes, des chauves-souris, &c. different de celles des oiseaux, principalement en ce qu'elles ne sont pas couvertes de plumes. Il y a des hirondelles qui ont les pattes si courtes & si foibles, & les aîles si grandes que ces oiseaux ont bien de la peine à prendre leur essor lorsqu'ils se trouvent posés à plate terre. On est bien convaincu à présent que tous les oiseaux ont des pattes, même les oiseaux de paradis ; elles avoient été coupées à tous ceux que l'on a apportés dans ce pays-ci destitués de ces parties. La plûpart des oiseaux ont à chaque pié quatre doigts, trois en avant & un en arriere : il y en a quelques-uns qui n'ont que trois doigts, tous trois en avant, tels sont l'émeu, l'outarde, la pie de mer, le pluvier verd, le pingouin, &c.

Il n'y a que l'autruche, qui n'ait que deux doigts à chaque pié : aucun des oiseaux connus n'a plus de quatre doigts, à-moins que l'on ne prenne l'éperon du coq pour un doigt. Dans la plûpart des oiseaux qui en ont quatre, deux sont dirigés en avant & les deux autres en arriere, comme dans le coucou, les perroquets, les pies. Dans quelques-uns des oiseaux qui ont quatre doigts, il y en a deux de dirigés en avant, un seul en arriere, le quatrieme peut s'écarter & se porter en-dehors, au point de former un angle presque droit avec le doigt du milieu, on en voit un exemple dans le balbuzard. Les oiseaux qui n'ont point de doigt en arriere ne se trouvent jamais sur les arbres.

Il y a dans le croupion des oiseaux deux glandes où se fait la sécrétion d'une humeur onctueuse qui remplit la cavité de ces glandes, & qui en sort par un tuyau excrétoire, lorsque l'oiseau approche son bec des glandes ou des plumes qui le couvrent. Le bec étant chargé de la liqueur des glandes, il la porte sur les plumes dont les barbes sont dérangées & ont besoin de cette onction pour s'affermir les unes contre les autres.

Les jambes & les piés sont dénués de plumes dans la plûpart des oiseaux, quelques-uns n'en ont point sur la tête, tels sont le coq d'Inde, la grue, l'émeu ; mais il n'y a que l'autruche qui n'ait pas le corps entier couvert de plumes.

Les oiseaux qui ont la queue courte & les pattes longues, étendent les piés en arriere, lorsqu'ils volent, pour suppléer au défaut de la queue, & pour les employer comme une sorte de gouvernail qui dirige leur mouvement. Lorsque la queue est trop grande, ou au-moins de médiocre grandeur, l'oiseau approche ses piés de son corps en volant ou les laisse pendans. La queue ne sert pas seulement aux oiseaux pour modifier leur mouvement, elle sert aussi comme les aîles à soutenir en l'air la partie postérieure du corps. Ceux qui n'ont point de queue, par exemple les colymbes, volent difficilement, & ont le corps presque droit en l'air, parce que la partie postérieure n'est pas soutenue comme dans les oiseaux qui sont pourvûs d'une queue. Les grandes plumes de la queue sont toujours en nombre pair. Les oiseaux muent tous les ans, c'est-à-dire que leurs plumes tombent & qu'il en revient de nouvelles. Les muscles pectoraux sont très-grands & très-forts dans les oiseaux, parce qu'ils servent à une fonction très-pénible, qui est de mouvoir les aîles.

Les oiseaux ont le corps plus court, plus large, & plus épais que les animaux quadrupedes, & la tête plus petite à proportion de la grandeur du corps. L'oiseau -mouche est le plus petit des oiseaux connus, & le condor le plus grand. Voyez OISEAU-MOUCHE, CONDOR.

Il y a de grandes variétés dans les individus de même espece d'oiseau domestique, pour les couleurs du plumage, le goût de la chair, la grandeur du corps, & peut-être aussi la figure ; ces différences viennent de la température des climats, de la diversité des alimens, &c. La plûpart des oiseaux sauvages de même espece se ressemblent les uns aux autres par les couleurs & par la grandeur ; il s'en trouve néanmoins quelques-uns qui different par les couleurs.

Il y a des oiseaux qui sont toujours attroupés plusieurs ensemble, soit qu'ils volent, soit qu'ils restent en repos, tels sont les pigeons ; d'autres vont deux-à-deux, mâle & femelle, dans la saison de leurs amours & de la ponte, & ils restent avec leurs petits, jusqu'à ce que ces petits soient devenus assez grands pour se passer des soins du pere & de la mere. Les perdrix s'apparient, le mâle avec la femelle, & s'aident mutuellement pour élever leurs petits. Le pigeon mâle couve les oeufs, travaille à la construction du nid, & nourrit les petits comme la femelle.

La plûpart des oiseaux cachent leur tête sous leur aîle pendant leur sommeil ; la plûpart aussi ne se tiennent que sur un pié pendant qu'ils dorment, ils approchent l'autre de leur corps pour le réchauffer.

Les oiseaux de même espece construisent leur nid avec la même matiere & de la même façon, quelque part qu'ils se trouvent. Presque toutes les femelles des oiseaux restent nuit & jour dans leur nid avec une constance singuliere pour couver leurs oeufs ; elles y maigrissent & s'y exténuent faute de nourriture. Si elles quittent le nid pour en chercher, elles y reviennent avec une promptitude extrême. Les oies & les canards couvrent leurs oeufs de paille, lorsqu'ils les quittent, quoique ce ne soit que pour très-peu de tems. Les oiseaux les plus timides & les plus foibles montrent du courage & de la force lorsqu'il s'agit de sauver leurs oeufs, même des oeufs stériles, ou des oeufs qui ne viennent pas d'eux, & ce qui est encore plus étrange, des oeufs simulés, des oeufs de pierre ou autre matiere. L'ardeur que les poules ont pour couver est très-grande ; lorsque ce feu les anime on les entend glousser, on les voit s'agiter, abaisser leurs aîles, hérisser leurs plumes, & chercher par-tout des oeufs qu'elles puissent couver, &c.

Tous les oiseaux ont la voix plus forte & la font entendre plus souvent dans le tems de leurs amours.

Les oiseaux prennent leur accroissement plus promptement que les quadrupedes ; les petits oiseaux nourris par le pere & la mere deviennent en un mois ou six semaines assez forts pour faire usage de leurs aîles, en six mois ils prennent tout leur accroissement.

Beaucoup d'oiseaux apprennent à prononcer quelques mots : à cet égard ils sont au-dessus des animaux quadrupedes.

Les oiseaux vivent très long-tems, si l'on ajoute foi à tout ce qui a été rapporté & attesté à ce sujet. On a dit qu'un cygne avoit vécu trois cent ans ; qu'une oie avoit été tuée à l'âge de quatre-vingt ans, lorsqu'elle étoit encore assez saine & assez robuste pour faire croire qu'elle auroit vécu plus long-tems ; qu'un onocrotale a aussi été nourri jusqu'à l'âge de quatre-vingt ans. Les faits que l'on a avancés sur la durée excessive de la vie de l'aigle & du corbeau sont incroyables, mais ils prouvent au-moins que ces oiseaux vivent très-long-tems.

Aldrovande rapporte qu'un pigeon avoit vécu pendant vingt-deux ans, & qu'il avoit engendré pendant tout ce tems, excepté les six dernieres années de sa vie. Les linotes vivent jusqu'à quatorze ans & plus, & les chardonnerets jusqu'à vingt-trois. Willughby, Ornith.

Il y a des oiseaux qui ne se trouvent que dans les pays froids, & d'autres seulement dans les pays chauds, ou dans les climats tempérés. Les oiseaux, tels que les hirondelles, les cailles, les cigognes, les grues, les grives, les bécasses, les rossignols, &c. que l'on appelle oiseaux de passage, passent en effet d'un pays dans un autre, où la température de l'air & la qualité des alimens les attirent en certains tems. On prétend qu'ils traversent les mers, & qu'ils entreprennent de très-longs voyages.

On ne sait pas en quels lieux les oiseaux de passage se retirent quand ils nous quittent. Willughby croit que les hirondelles passent en Egypte & en Ethiopie. Olaüs Magnus dit qu'elles se cachent dans des trous ou sous l'eau ; ce qui est aussi confirmé par Ettmuller qui assure avoir vû un grouppe gros comme un boisseau, qui étoit composé d'hirondelles accrochées les unes aux autres par la tête & par les piés, & qui avoit été tiré d'un étang gelé, dissert. II. chap. x. Olaüs ajoute que c'est une chose ordinaire dans les pays du nord, que lorsque des enfans portent par hasard ces pelotons d'hirondelles près d'un poële, dès qu'elles sont dégelées, elles commencent à voler mais foiblement, & pour très-peu de tems. Le docteur Colas, homme très-curieux dans ce genre, a confirmé ce fait à la société royale : il dit, en parlant de la maniere de pêcher dans les pays septentrionaux, que les pêcheurs ayant fait des trous & jetté leurs filets dessous la glace, il vit seize hirondelles qu'on tira de la sorte du lac de Sameroth, & environ une trentaine du grand étang royal en Rosineilen ; & qu'à Schledeiten, près la maison du comte de Dona, il vit deux hirondelles au moment qu'elles sortoient de l'eau, qui pouvoient à-peine se soutenir, qui étoient humides & foibles, & qui avoient les aîles pendantes : il ajoute qu'il a toûjours observé que les hirondelles sont foibles pendant quelques jours, après qu'elles ont commencé à paroître. Chambers, dict. M. Klein, le P. du Tertre, le P. Kircher, M. Bruhier, M. Ellis, &c. pensent aussi que les hirondelles peuvent passer l'hiver, les unes sous l'eau, & les autres dans les souterreins : mais M. Fritsch est d'autant plus opposé à cette opinion, qu'il a fait l'expérience suivante ; il a attaché au pié de quelques hirondelles, un peu avant leur départ, un fil rouge teint en détrempe, ces hirondelles sont revenues l'année suivante avec leur fil qui n'étoit pas décoloré ; ce qui prouve qu'elles n'avoient passé l'hiver ni sous l'eau, ni dans les lieux humides. D'ailleurs, comment les hirondelles pourroient-elles respirer sous l'eau ou vivre sans respiration ? & pourquoi ne seroient-elles pas réellement des oiseaux de passage comme tant d'autres, que l'on ne soupçonne pas de passer l'hiver sous l'eau ou dans des trous ?

Au mois de Septembre & d'Octobre, on voit passer les grues du nord au midi par troupes de cinquante, de soixante & de cent ; la nuit elles s'abattent sur la terre pour prendre de la nourriture. Les oies sauvages arrivent dans ces pays-ci après les grues, & y passent l'hiver. Avant cette saison, les cigognes passent de l'Allemagne dans des lieux plus chauds, &c. Suite de la matiere médicale de M. Geoffroi, tom. XIII.

Willughby, dans sa distribution méthodique des oiseaux, les divise en oiseaux terrestres qui approchent rarement des eaux, & qui restent ordinairement dans des lieux secs ; & en oiseaux aquatiques qui se tiennent dans l'eau ou près de l'eau, & qui cherchent leur nourriture dans des lieux aquatiques.

Les oiseaux terrestres ont le bec & les ongles plus ou moins crochus. Parmi les oiseaux qui ont le bec & les ongles très-crochus, les uns se nourrissent de chair, ils sont nommés carnivores & oiseaux de proie ; les autres vivent de fruits & de graines, on les nomme frugivores, tels sont les perroquets.

Il y a des carnivores qui ne sortent de leur retraite que la nuit, on les appelle carnivores nocturnes ; les autres sont diurnes, ils ne volent que dans le jour.

Les carnivores diurnes sont distribués en deux classes, les grands & les petits. Parmi les grands carnivores diurnes, les uns sont courageux & les autres sont lâches. Les premiers ont le bec courbe & crochu depuis la racine jusqu'à la pointe ; ils sont compris dans le genre des aigles, & les autres dans celui des vautours, ils n'ont le bec crochu qu'à la pointe. On distingue les petits carnivores diurnes par les mêmes caracteres de courage & de lâcheté ; on dresse pour la chasse du vol ceux qui sont courageux : les uns ont de longues aîles qui étant pliées s'étendent aussi loin que la queue ; les aîles des autres sont plus courtes.

Les oiseaux qui ont le bec & les ongles droits ou presque droits, sont divisés en deux classes, dont l'une comprend les grands & l'autre les petits. Tout oiseau qui est de la grandeur d'une grive est regardé comme grand suivant cette méthode ; mais comme il n'y a point de méthode en ce genre qui n'admette des exceptions, il se trouve des oiseaux plus petits que des grives dans la classe des grands ; par exemple, de petits pics qui ne peuvent pas être séparés des grands pics, parce qu'ils ont les mêmes caracteres génériques. De ces grands oiseaux dont le bec & les ongles sont peu crochus & presque droits, les uns ont le bec gros, allongé, droit & fort ; le bec des autres est petit & court : parmi les premiers, il y en a qui se nourrissent de la chair des quadrupedes, de la substance des insectes & de celle des fruits, d'autres mangent des insectes & des fruits, d'autres enfin ne vivent que d'insectes. Les oiseaux à petit bec ont la chair blanche ou noire ; le genre des gallinacés comprend ceux qui ont la chair blanche : parmi ceux dont la chair est noire, les uns, tels que les pigeons, sont grands, & ne pondent que deux oeufs à chaque ponte ; les autres sont petits, & pondent plus de deux oeufs, telles sont les grives.

Les petits oiseaux qui ont le bec & les ongles peu crochus & presque droits, sont distribués en deux genres, distingués par la grosseur du bec qui est plus ou moins épais : chacun de ces genres comprend plusieurs especes.

Parmi les oiseaux aquatiques, les uns restent près des eaux & cherchent leur nourriture dans les lieux aquatiques sans nager ; les autres nagent. Les premiers ont les doigts séparés les uns des autres : ces oiseaux sont divisés en deux genres dont l'un comprend les grands, par exemple, la grue, & l'autre les petits. Ceux-ci sont sous-divisés en deux autres genres : ceux du premier de ces genres se nourrissent de poisson, tels sont le héron, la palette, la cigogne, l'ibis, &c. ceux du second genre cherchent leur nourriture dans le limon & mangent des insectes ; ils ont le bec court, ou long, ou de médiocre longueur. Le bec du vanneau, du pluvier, &c. est court ; l'himantope, la pie de mer, &c. ont le bec de médiocre longueur ; celui du courlis est long & courbe ; celui de la becasse est long & droit.

Les oiseaux qui nagent ont les doigts séparés les uns des autres, ou leurs doigts tiennent les uns aux autres par une membrane ; les doigts séparés sont bordés d'une petite membrane ou n'ont aucune bordure : les oiseaux dont les doigts tiennent les uns aux autres par une membrane, sont appellés palmipedes.

Quelques-uns des palmipedes, tels que le flammant, l'avocete, &c. ont les pattes longues. Elles sont courtes dans les autres : ceux-ci ont quatre doigts ou trois comme le pingouin. Lorsqu'il y a quatre doigts à chaque pié, le doigt de derriere n'est pas engagé dans la membrane du pié, il tient à cette membrane de même que les autres doigts, comme on le voit dans l'onocrotale, l'oie d'Ecosse, le corbeau aquatique, &c.

Les palmipedes dont la membrane du pié ne s'étend pas jusqu'au doigt de derriere, ont le bec étroit ou large ; les becs étroits sont crochus à l'extrêmité ou pointus, & presque droits ; les becs crochus sont dentelés ou lissés ; lorsque le bec est pointu & presque droit, les aîles sont longues, &, étant pliées, elles s'étendent aussi loin que la queue, ou elles sont courtes & ne s'étendent pas aussi loin que la queue lorsqu'elles sont pliées. Les colymbes ont les aîles courtes mais ils ne sont pas tous palmipedes.

Les palmipedes à jambes courtes qui ont à chaque pié quatre doigts, dont le postérieur n'est engagé dans la membrane, & qui ont le bec large, composent deux genres, celui des oies & celui des canards ; parmi ceux-ci, les uns cherchent leur nourriture dans les eaux salées, & les autres dans les eaux douces. Willughby, Ornith.

M. Klein, dans sa méthode des oiseaux, les a distribués en huit familles, dont la premiere ne comprend que l'autruche, parce que c'est le seul oiseau qui n'ait que deux doigts à chaque pié.

La seconde famille est composée des oiseaux qui ont trois doigts ; tels sont l'autruche d'Amérique, le casoard, l'outarde, les vanneaux, les pluviers, la pie de mer, &c.

M. Klein a réuni dans la troisieme famille les oiseaux qui ont quatre doigts, dont deux sont dirigés en-avant & les deux autres en-arriere ; comme les perroquets, les pies, les coucous, &c.

La quatrieme famille rassemble les oiseaux qui ont quatre doigts, dont trois en avant & le quatrieme en-arriere. Ce sont les aigles, les vautours, les faucons, les laniers, les oiseaux de nuit, les corbeaux, les corneilles, les pies, les oiseaux de paradis, les étourneaux, les grives, les merles, les alouettes, les rossignols, les fauvettes, les becfigues, les roitelets, les gorges-rouges, les hirondelles, les mésanges, les moineaux, les serins, les ortolans, les linotes, les gros becs, les pinsons, les chardonnerets, les bécasses, les bécassines, les chevaliers, les râles, les colibris, les grimpereaux, les courlis, les guêpiers, les hupes, les coqs & les poules, le paon, les coqs d'Inde, les faisans, les perdrix, les cailles, les coqs de bruyeres, les pigeons, les tourterelles, les grues, les hérons, les cigognes, les palettes, le flammant, &c.

La cinquieme famille comprend les oiseaux palmipedes qui ont à chaque pié quatre doigts, dont le postérieur n'est pas engagé dans la membrane ; ces oiseaux sont divisés en deux genres : ceux du premier ont le bec plat ou large, tels sont les oies & les canards ; les oiseaux du second genre ont le bec en forme de cône, ce sont les mouettes, les plongeons, &c.

La sixieme classe réunit les oiseaux palmipedes qui ont à chaque pié quatre doigts, tenans tous les quatre à la membrane du pié ; tels sont l'onocrotale, l'oie d'Ecosse, le cormoran, &c.

Les palmipedes qui n'ont que trois doigts, dirigés tous les trois en-avant, sont dans la septieme classe.

Ceux qui ont quatre doigts bordés d'une membrane, sans en excepter dans la plûpart le doigt de derriere, se trouvent dans la huitieme classe ; ce sont les colymbes & les foulques.

M. Barrere (Ornith. specim. nov.) distribue les oiseaux en quatre classes, dont la premiere comprend les palmipedes ; la seconde, les semipalmipedes, c'est-à-dire, ceux dont les doigts ne sont que bordés par une membrane ; il rassemble dans la troisieme classe les fissipedes, & dans la quatrieme, les semi-fissipedes, c'est-à-dire, les oiseaux dont les doigts ne sont pas séparés les uns des autres jusqu'à leur origine, mais au contraire tiennent les uns aux autres par une membrane courte, qui ne s'étend pas jusqu'à la moitié de la longueur de tous les doigts. Les genres compris dans chaque classe sont désignés par les noms suivans. Le canard, l'oie, le plongeon, la mouette, l'avocete, le pingouin, le bec-à-ciseaux & le flammant sont dans la premiere classe ; la foulque & le lamprid, dans la seconde ; le busard, le perroquet, le faucon, l'aigle, l'ulote, le hibou-cornu, le crapaud-volant, l'hirondelle, l'outarde, le bruant, le grand-gosier, la bécasse, le pic, le pigeon, l'étourneau, l'alouette, le geai, le becfigue, la lavandiere, la pie, la hupe, le guêpier, le roitelet, la mésange, le toucan, le corbeau d'eau, le bec-croisé, la palette, le moineau, le chardonneret, la grive, le coucou, la poule d'eau, le râle, la petteuse, la demoiselle de Numidie, le casoard, l'oiseau de paradis & l'autruche, se trouvent dans la troisieme classe ; le héron, la bécasse de mer, le martin-pêcheur, le long-bec, le crabier, le vanneau, le pluvier, la frégate, le courlieu, le chevalier, le coq d'Inde, le paon, le coq, la caille, la perdrix & le coq indien, sont dans la quatrieme classe.

M. Barrere a désigné les caracteres des classes de sa méthode qui viennent de la conformation des piés des oiseaux, & les caracteres des genres qui sont tirés de la conformation du bec, par les dénominations suivantes. Pié dont les doigts tiennent les uns aux autres par une membrane, palmipes ; fig. 19. Pl. des ois. hist. nat. pié dont les doigts ne sont que bordés par une membrane, semipalmipes ; fig. 20. pié dont les doigts sont séparés les uns des autres, fissipes ; fig. 21. pié dont les doigts ne sont pas entierement séparés les uns des autres, semifissipes ; fig. 22. bec en toît, rostrum umbricatum ; fig. 23. en hameçon, hamatum ; fig. 24. en faux, falcatum ; fig. 25. partie en faux, partie en hameçon, hamato falcatum ; fig. 26. bec courbe, arcuatum ; fig. 27. bec en sautoir, decussatum ; fig. 28. bec en forme d'alêne, subulatum ; fig. 29. bec en forme de couteau, cultratum ; fig. 30. en forme de couteau & vouté, cultrato-gibberum ; fig. 31. en forme de spatule, spathulatum ; fig. 32. conique, conicum ; fig. 33. conique & courbé ; conico-incurvum ; fig. 34.

Il y a mille choses à considérer sur la structure du corps des oiseaux ; leur tête est faite pour se frayer un chemin au-travers de l'air. Au lieu de levres, les oiseaux sont garnis d'un bec aigu fait de corne, crochu dans ceux qui vivent de proie, droit dans ceux qui amassent leur nourriture, & toujours diversifié, selon leurs classes.

De plus, il est fait pour percer l'air, suppléer au défaut de dents, & peut en quelque maniere leur tenir lieu de main. Sa figure crochue sert aux oiseaux de proie pour saisir & dépecer leur capture. Cette figure n'est pas moins propre à d'autres oiseaux pour grimper, & briser ce qu'ils mangent. Les perroquets, par exemple, grimpent sur tout ce à quoi ils peuvent atteindre avec leur bec : la mâchoire inférieure s'ajuste exactement avec cette figure crochue de la supérieure, & par-là ils peuvent briser leurs alimens en très-petits morceaux.

D'autres oiseaux ont le bec extraordinairement long & grêle, ce qui leur est d'un grand secours pour chercher leur nourriture dans les lieux marécageux ; c'est ce qu'on voit dans les bécasses, les bécassines, &c. qui au rapport de Willughby, vivent aussi d'une humeur onctueuse qu'elles sucent de la terre. Le corlieu & plusieurs oiseaux de mer ont un bec fort long, qui leur procure le moyen de chercher les vers & autres insectes dans les sables des Dunes, qu'ils fréquentent.

Les cannes, les oies & plusieurs autres oiseaux, n'ont le bec si long & si large, qu'afin de pouvoir boire à grands traits, & prendre leur nourriture dans l'eau & dans le limon. Le bec court & gros avec des bords aigus, n'est pas moins nécessaire à d'autres oiseaux pour peler les grains qu'ils avalent. Le bec est fort & aigu dans les oiseaux qui percent le bois & les écorces, comme dans le pic-vert & tous les grimpereaux ; il est menu & délicat dans ceux qui vivent d'insectes ; il est en forme de croix dans ceux qui ouvrent les fruits ; il se croise dans l'oiseau nommé loxia, lequel ouvre avec beaucoup de facilité les pommes ordinaires, celles des sapins, & les autres fruits pour en tirer les pepins. La pie de mer a le bec long, étroit, aigu, applati par les côtés, & disposé à tous égards, pour enlever de dessus les rochers les coquillages qu'on nomme patelles. Les autres formes de bec d'oiseau, toutes ajustées à la maniere de vivre de chaque genre, sont représentées dans les planches de cet ouvrage.

Mais ce qu'il y a de plus digne d'être observé dans les oiseaux à bec plat & large, & qui cherchent leur nourriture en tatonnant ou en fouillant dans la terre, ce sont trois paires de nerfs qui aboutissent au bout de leur bec ; c'est par ces nerfs qu'ils distinguent avec tant de sagacité & d'exactitude, ce qui est propre à leur servir de nourriture, d'avec ce qu'ils doivent rejetter ; ce qu'ils font uniquement par le goût, sans qu'ils voient les alimens. Ces nerfs paroissent avec le plus d'évidence dans le bec & dans la tête du canard, qui les a plus gros que l'oie. ou qu'aucun autre oiseau.

M. Clayton n'a rencontré aucun de ces nerfs dans les oiseaux qui ont le bec rond : mais depuis, faisant plusieurs dissections à la campagne, il vit dans une grôle deux de ces nerfs, qui descendoient entre les deux yeux jusqu'à la partie supérieure du bec ; ils étoient pourtant beaucoup plus menus qu'aucune des trois paires de nerfs qui sont dans le bec du canard, quoiqu'à la vérité plus gros que les nerfs d'aucun autre oiseau à bec rond ; & ce qu'il y a de remarquable, c'est que les grôles paroissent chercher leur nourriture en remuant la bouse de vache, & en fouillant plus qu'aucun autre oiseau à bec rond, &c. trans. philosoph. n °. 206. chez d'autres oiseaux à bec large, le docteur Moulen n'a remarqué que deux paires de nerfs, qui passoient au travers de l'os dans la membrane qui couvre le dedans du bec.

Le cerveau des oiseaux a quelques parties différentes de celui des quadrupedes : on peut voir dans Willis ces différences & leur conformité ; en général, il paroît moins adapté à l'imagination & à la mémoire, que ne l'est le cerveau de l'homme.

L'oreille des oiseaux n'a qu'un seul osselet & un cartilage qui fait une jointure mobile avec l'osselet, lequel d'ailleurs est très-dur & très-menu, appuié sur une base plus large & ronde. M. Derham a fait quelques observations nouvelles sur la membrane du tambour des oiseaux, la petite colonne & ce qu'il appelle la chambre de l'ouie. Voyez la Théologie physique.

La structure de la langue des oiseaux mérite aussi notre attention, par ses varietés, la forme, la longueur, les attaches & les muscles. On indiquera au mot pic-vert pour exemple, la structure particuliere de la langue de cet oiseau.

Le gésier des oiseaux est très-robuste, & a une faculté de trituration bien étonnante. Nous en ferons un article particulier, ainsi que de leur ventricule.

La structure & la situation du poumon, la disposition de la poitrine & de ses os rangés en forme de quille, afin de procurer un passage commode au travers de l'air, sont des parties fort remarquables dans les oiseaux.

Il en faut dire de même des muscles puissans qui meuvent leurs aîles, pour contre-balancer & pour supporter le corps dans le tems que l'oiseau est juché.

Leurs poumons sont attachés au thorax & n'ont que peu de jeu, au lieu qu'ils jouent librement dans d'autres animaux. Cette structure sert à fournir aux oiseaux leur vol constant. Ils n'ont point de diaphragmes, mais à sa place ils ont plusieurs vessies, composées de membranes fines & transparentes, qui s'ouvrent les unes dans les autres. Vers la partie supérieure, chaque lobe des poumons est percé en deux endroits, par lesquels l'air passe dans les vessies dont nous venons de parler ; desorte qu'en soufflant dans la trachée-artere, on fait lever tant soit peu les poumons, & tout le ventre est gonflé par l'air : c'est par ce moyen sans doute, que les oiseaux rendent leur corps plus ou moins léger dans leur vol, laissant entrer plus ou moins d'air à mesure qu'ils veulent monter ou descendre, de la même maniere que les poissons ont une vessie remplie d'air dans le corps, afin de nager plus légerement & s'enfoncer plus ou moins dans l'eau. Histoire de l'Acad. des Sciences, année 1693.

Les muscles de la poitrine des oiseaux, sont les plus forts de tous pour servir au mouvement des aîles, qui requierent cette force dans les vols prompts & de longue haleine : dans l'homme, ce sont les muscles de la jambe ; desorte que s'il vouloit voler, ce seroit plutôt par l'action de ses jambes, que par celle des bras qu'il y parviendroit. Transact. philos. n °. 120.

Le col des oiseaux est exactement proportionné à la longueur des jambes, & quelquefois plus long pour pouvoir chercher la nourriture dans les eaux ; comme, par exemple, dans les cygnes, auxquels le long col sert à pouvoir atteindre jusqu'au fond de la vase des rivieres. Le col sert encore à contre-balancer le corps dans le vol, comme il paroît par l'exemple des oies & des canards. Lorsqu'ils volent, ils étendent la tête & le col, formant de cette maniere un équilibre exact du corps qui pese également des deux côtés sur les aîles ; cependant comme le corps de ces oiseaux est aussi fait pour nager, leurs aîles sont attachées hors du centre de gravité, & plus près de la tête. Dans le héron, la tête & le long col quoique repliés sur le corps, lorsque l'oiseau vole, emportent l'équilibre sur la partie de derriere du corps ; mais pour rétablir cet équilibre, & pour suppléer à la brieveté de sa queue, il étend les jambes en arriere dans le tems du vol.

Je pourrois encore décrire l'organe de la voix des oiseaux, ceux de leur trituration, de leur digestion, de leur génération, &c. mais il faut partager & porter ailleurs ces détails anatomiques, pour leur suppléer ici le tableau charmant du peintre des saisons, que tout le monde s'empressera de lire.

Dieu des arts, fais éclorre au sein de ma patrie

Un poëte semblable à cet heureux génie !

" Prens ma muse (c'est lui qui parle) prens un vol nouveau, l'harmonie des bois t'appelle, & t'invite à sortir dans les plus rians atours de la simplicité & de la joie. Vous rossignols, prêtez-moi vos chants, répandez dans mes vers l'ame touchante & variée de votre mélodie.

Au tems où l'amour, cette ame universelle t'éveille peut-être, échauffe l'air, & souffle l'esprit de vie dans tous les ressorts de la nature, la troupe aîlée renaît à la joie, & sent l'aurore des desirs. Le plumage des oiseaux mieux fourni, se peint de vives couleurs ; ils recommencent leurs chants long-tems oubliés, & gazouillent d'abord foiblement ; mais bien-tôt l'action de la vie se communique aux ressorts intérieurs ; elle gagne, s'étend, entraîne un torrent de délices, dont l'expression se déploie en concerts qui n'ont de bornes, que celles d'une joie qui n'en connoît point.

La messagere du matin, l'alouette s'éleve en chantant, à-travers les ombres qui fuient devant le crépuscule du jour ; elle appelle d'une voix perçante & haute, les chantres des bois, & les éveille au fond de leur demeure. Les taillis, les buissons, chaque arbre irrégulier, chaque arbuste enfin, rend à la fois son tribut d'harmonie. L'alouette semble s'efforcer pour se faire entendre au-dessus de la troupe gazouillante. Philomele écoute, & leur permet de s'égayer ; certaine de rendre les échos de la nuit préférables à ceux du jour.

Le merle siffle dans la haie ; le pinçon répond dans le bosquet ; les linotes ramagent sur le genêt fleuri, & mille autres sous les feuilles nouvelles, mêlent & confondent leurs chants mélodieux. Le geai, le corbeau, la corneille & les autres voix discordantes, & dures à entendre seules, soutiennent & élevent le concert, tandis que le ton gémissant de la colombe tache de le radoucir.

Toute cette musique est la voix de l'amour ; c'est lui qui enseigne le tendre art de plaire à tous les oiseaux du monde. L'espece chantante essaie tous les moyens que l'amour inventif peut dicter ; chacun d'eux en courtisant sa maîtresse, verse son ame toute entiere. D'abord dans une distance respectueuse, ils font la roue dans le circuit de l'air, & tâchent par un million de tours d'attirer l'oeil rusé & moitié détourné de leur enchanteresse, volontairement distraite. Si elle semble s'adoucir & ne pas désapprouver leurs voeux, leurs couleurs deviennent plus vives ; attirés par l'espérance, ils avancent d'un vol léger ; ensuite comme frappés d'une atteinte invisible, ils se retirent en désordre ; ils se rapprochent encore en tournant amoureusement, battent de l'aîle, & chaque plume frissonne de desir.

Les gages de l'hymen sont reçus ; les amans s'envolent au fond des bois où les conduisent leur instinct, le plaisir, leurs besoins, ou le soin de leur sûreté : ils obéissent au grand ordre de la nature, qui a son objet en leur prodiguant ces douces sensations. Quelques-uns se retirent sous le houx pour y faire leurs nids ; d'autres dans le fourré le plus épais. Les uns confient aux ronces & aux épines leur foible postérité ; les fentes des arbres offrent à d'autres un asyle ; leurs nids sont de mousse, & ils se nourrissent d'insectes. Il en est qui s'écartent au fond des vallons déserts, & y forment dans l'herbe sauvage l'humble contexture de leurs nids. La plûpart se plaisent dans la solitude des bois, dans des lieux sombres & retirés, ou sur des bords mousseux, escarpés, rivages d'un ruisseau dont le murmure les flatte, tandis que les soins amoureux les fixent & les retiennent. Il en est enfin qui s'établissent dans les branches du noisettier panché sur le ruisseau plaintif.

La base de l'architecture de leurs maisons, est de branches seches, construites avec un artifice merveilleux & liées de terre. Tout vit, tout s'agite dans l'air, battu de leurs aîles innombrables. L'hirondelle, empressée de bâtir & d'attacher son fragile palais, rase & enleve la fange des étangs : mille autres arrachent le poil & la laine des troupeaux ; quelquefois aussi ils dérobent les brins de paille dans la grange, jusqu'à-ce que leur habitation soit douce, chaude, propre & achevée.

La femelle garde le nid assidûment ; elle n'est tentée d'abandonner sa tendre tâche, ni par la faim aiguë, ni par les délices du printems qui fleurit autour d'elle. Son amant se met sur une branche vis-à-vis d'elle, & l'amuse en chantant sans relâche. Quelquefois il prend un moment sa place, tandis qu'elle court à la hâte chercher son repas frugal. Le tems marqué pour ce pieux travail étant accompli, les petits, nuds encore, mais enfin parvenus aux portes de la vie, brisent leurs liens fragiles, & paroissent une famille foible, demandant avec une clameur constante la nourriture. Quelle passion alors ! quels sentimens ! quels tendres soins s'emparent des nouveaux parens ! Ils volent transportés de joie, & portent le morceau le plus délicieux à leurs petits, le distribuent également, & courent promptement en chercher d'autres. Tel un couple innocent, maltraité de la fortune, mais formé d'un limon généreux, & qui habite une cabane solitaire au milieu des bois, sans autre appui que la providence, épris des soins que méconnoissent les coeurs vulgaires, s'attendrit sur les besoins d'une famille nombreuse, & retranche sur sa propre nourriture de quoi fournir à sa subsistance.

Non-seulement l'amour, ce grand être du printems, rend la troupe aîlée infatigable au travail, mais il lui donne encore le courage de braver le péril, & l'adresse de l'écarter de l'objet de ses soins. Si quelque pas effrayant trouble la tranquillité de la retraite, aussi-tôt l'oiseau rusé vole en silence d'une aîle légere sur un arbrisseau voisin ; il sort ensuite de-là comme allarmé, pour mieux tromper l'écolier qu'il éloigne ainsi de son objet. Par un semblable motif, le pluvier à l'aîle blanche, rode autour de l'oiseleur errant ; il fait raisonner le bruit de ses aîles ; & dirigeant son vol en rasant la plaine, il s'écarte pour l'éloigner de son nid. Le canard & la poule de bruyere vont sur la mousse raboteuse & sur la terre inculte, voltigeant comme leurs petits ; pieuse fraude, qui détourne de leur couvée l'épagneul qui les poursuit.

Muse, ne dédaigne pas de pleurer tes freres des bois, surpris par l'homme tyran ; privés de leur liberté & de l'étendue de l'air, & renfermés dans une étroite prison. Ces jolis esclaves s'attristent & deviennent stupides ; leur plumage est terni, leur beauté fanée, leur vivacité perdue. Ce ne sont plus ces notes gaies & champêtres qu'ils gazouilloient sur le hêtre. O vous, amis de l'amour & des tendres chants, épargnez ces douces lignées, quittez cet art barbare, pour peu que l'innocence, que les doux accords ou que la pitié aient de pouvoir sur vos coeurs !

Gardez-vous sur-tout d'affliger le rossignol en détruisant ses travaux : cet Orphée des bois est trop délicat pour pouvoir supporter les durs liens de la captivité. Quelle douleur pour la tendre mere, quand revenant le bec chargé elle trouve son nid vuide & ses chers enfans en proie à un ravisseur impitoyable ! Elle jette sur le sable sa provision désormais inutile ; son aîle languissante & abattue peut à peine la porter sous l'ombre d'un peuplier voisin pour y pleurer sa perte : là livrée à la plus vive amertume, elle gémit & déplore son malheur pendant la nuit entiere ; elle s'agite sur la branche solitaire ; sa voix toujours expirante, s'épuise en sons lamentables : l'écho des bois soupire à son chant, & répete sa douleur.

Le tems arrive où les petits parés de leurs plumes, impatiens, dédaignent l'assujettissement de leur enfance ; ils essaient le poids de leurs aîles, & demandent la libre possession des airs. La liberté va bien-tôt rompre les liens de la parenté, devenue désormais inutile. La Providence, toujours économe, ne donne à l'instinct que le nécessaire. C'est dans quelque soirée d'une douce & agréable chaleur, où l'on ne respire que le baume des fleurs, au moment où les rayons du soleil tombent, s'affoiblissent, que la jeune famille parcourt de l'oeil l'étendue des cieux, jette ses regards sur le vaste sein de la nature, commune à tous les êtres, & cherche aussi loin que sa vûe peut s'étendre, où elle doit voler, s'arrêter & trouver sa pâture.

Les jeunes éleves se hasardent enfin : ils voltigent autour des branches voisines ; ils s'effraient sur le tendre rameau, sentant l'équilibre de leurs aîles trop foible encore ; ils se refusent en tremblant la vague de l'air, jusqu'à ce que les auteurs de leurs jours les grondent, les exhortent, leur commandent, les guident & les font partir. La vague de l'air s'enfle sous ce nouveau fardeau, & son mouvement enseigne à l'aîle encore novice l'art de flotter sur l'élément ondoyant. Ils descendent sur la terre ; devenus plus hardis, leurs maîtres les menent & les excitent à prolonger leur vol peu-à-peu. Quand toute crainte est bannie & qu'ils se trouvent en pleine jouissance de leur être, alors les parens quittes envers eux & la nature, voient leur race prendre légerement l'essor, & pleins de joie se séparer pour toujours.

Sur le front sourcilleux d'un rocher suspendu sur l'abîme, & semblable à l'effrayant rivage de Kilda, qui ferme les portes du soleil quand cet astre court éclairer le monde indien, le même instinct varié force l'aigle brûlant d'une ardeur paternelle, à enlever dans ses fortes serres ses enfans audacieux : déja dignes de se former un royaume, il les arrache de son aire, siége élevé de cet empire, qu'il tient depuis tant de siecles en paix & sans rivaux, & d'où il s'élance pour faire ses courses & chercher sa proie jusques dans les îles les plus éloignées.

Mais en tournant mes pas vers cette habitation rustique, entourée d'ormes élevés & de vénérables chênes qui invitent le bruyant corbeau à bâtir son nid sur leurs plus hautes branches, je puis d'un air satisfait contempler le gouvernement varié de toute une nation domestique. La poule soigneuse appelle & rassemble autour d'elle toute sa famille caquetante, nourrie & défendue par le superbe coq : celui-ci marche fierement & avec grace ; il chante d'une poitrine vigoureuse, défiant ses ennemis. Sur les bords de l'étang le canard panaché précede ses petits, & les conduit à l'eau en babillant. Plus loin le cygne majestueux navige ; il déploie au vent ses voiles de neige ; son superbe col en arc précede le sillage, & ses piés semblent des rames dorées ; il garde son île environnée d'osier, & protege ses petits. Le coq d'inde menace hautement & rougit, tandis que le paon étend au soleil le fastueux mêlange de ses vives couleurs, & marche dans une majesté brillante. Enfin, pour terminer cette scene champêtre, le gémissant tourtereau vole occupé d'une poursuite amoureuse ; sa plainte, ses yeux & ses pas, tout porte vers le même objet.

Si mon imagination ose ensuite prendre l'essor pour considérer les rois du beau plumage qui se trouvent sur le bord des fleuves des climats brûlans, je les vois de loin portant l'éclat des fleurs les plus vives. La main de la nature, en se jouant, se fit un plaisir d'orner de tout son luxe ces nations panachées, & leur prodigua ses couleurs les plus gaies ; mais si elle les fait briller de tous les rayons du jour, cependant toujours mesurée elle les humilie dans leur chant. N'envions pas les belles robes que l'orgueilleux royaume de Montézuma leur prête, ni ces rayons d'astres volans, dont l'éclat sans bornes réfléchit sur le soleil : nous avons Philomèle ; & dans nos bois pendant le doux silence de la nuit tranquille, ce chantre simplement habillé fredonne les plus doux accens. Il est vrai qu'il cesse son ramage avant que le fier éclat de l'été ait quitté la voûte d'azur, & que la saison couronnée de gerbes de blé soit venue remplir nos mains de ses trésors sans nombre.

Enfin dès que nos allées jonchées de la dépouille des arbres nous présentent cette saison dans son dernier période, & que le soleil d'occident a donné ses jours raccourcis, l'on entend à peine gazouiller d'autres oiseaux pour égayer les travaux du bucheron. Ces aimables habitans des bois qui formoient encore il y a peu de tems des concerts dans l'ombre épaisse, maintenant dispersés & privés de leur ame mélodieuse, se perchent en tremblant sur l'arbre sans feuillage. Languissans, troublés, éperdus, ils ne concertent plus que des sons foibles, discordans & timides. Mais du-moins que la rage d'un oiseleur, ou que le fusil dirigé par un oeil inhumain ne vienne pas détruire la musique de l'année future, & ne fasse pas une proie barbare de ces foibles, innocentes & malheureuses especes emplumées ".

Telle est la peinture enchantée de M. Thompson ; mais comme elle ne doit pas nous engager à supprimer dans cet ouvrage aucun article scientifique de l'Ornithologie, ceux qui en seront curieux pourront lire les mots, ACTION DE COUVER, AILE, GESIER, MUE, NID, OEIL, OEUF, OISEAUX DE PASSAGE, ORNITHOLOGUE, ORNITHOLOGIE, PIES, PLUMES, QUEUE, TRACHEE-ARTERE, VENTRICULE, VOIX, VOL DES OISEAUX, &c(D.J.)

OISEAUX, action de couver des, (Ornithologie) c'est l'action par laquelle les oiseaux travaillent à la multiplication de leur espece. La partie interne & la coque de l'oeuf sont merveilleusement adaptées à cet effet ; une partie de l'oeuf est destinée à la formation du corps de l'oiseau avant qu'il soit éclos, & l'autre partie à le nourrir après qu'il a vû le jour, jusqu'à ce qu'il soit en état de pourvoir à sa subsistance. Chacune de ses parties (le jaune & du moins le blanc intérieur) est séparée par sa propre membrane qui l'enveloppe. A chaque bout de l'oeuf est une petite tumeur, chalaza, espece de plexus fibreux & réticulaire, par le moyen duquel le blanc & le jaune de l'oeuf sont mis ensemble. M. Derham a découvert que non-seulement le chalaza sert à les tenir dans leur place requise, mais encore à tenir la même partie du jaune toujours en dessus, de quel côté que l'oeuf soit tourné. Peut-être que ce côté de dessus est le même que celui où est située la petite cicatrice (le germe de l'oeuf), qui se trouve communément à la partie supérieure de la coque.

Il auroit été fort difficile aux oiseaux par plusieurs raisons, de donner à teter à leurs petits ; il n'eût pas été moins difficile de leur conserver la vie en changeant tout-à-coup de nourriture à leur naissance, & de les faire passer d'un aliment liquide à un solide, avant que leur estomac fût fortifié par degrés, & accoutumé à le digérer, & avant que l'oiseau fût fait à se servir de son bec. C'est pourquoi la nature a eu soin de produire un gros jaune dans chaque oeuf, dont il reste une grande partie après que l'oiseau est éclos, laquelle est enveloppée dans son ventre : ce jaune passe ensuite par un canal formé à cette fin, & est reçu par degrés dans les boyaux, où il sert assez long-tems à le nourrir au lieu de lait.

Le soin que les oiseaux prennent de couver & ensuite d'élever leurs petits, est une chose admirable. Après avoir choisi un lieu secret & tranquille, ils font leur nid chacun selon leur espece, y déposent & y couvent leurs oeufs avec tant d'assiduité, qu'ils se donnent à peine le tems de manger eux-mêmes. Telle est leur ardeur à cet égard, qu'ils continuent de couver encore après qu'on leur a ôté leurs oeufs.

Quoique les oiseaux n'aient pas une connoissance exacte du nombre de ces oeufs, ils ne laissent pas de distinguer un grand nombre d'avec un petit, & de connoître qu'ils approchent d'un certain nombre, puisqu'alors ils cessent de pondre & commencent à couver, quoiqu'ils puissent encore pondre davantage. Qu'on ne touche point, par exemple, aux oeufs des poules, on trouvera qu'elles cesseront de pondre & se mettront à couver aussi-tôt qu'elles en auront quatorze ou quinze ; au contraire qu'on leur ôte tous les jours leurs oeufs, elles continueront de pondre jusqu'à ce qu'elles en aient produit quatre ou cinq fois autant. Peut-être que les oiseaux qui vivent long-tems ont une quantité suffisante d'oeufs dès le commencement, pour leur servir pendant plusieurs années, & pour fournir à un certain nombre de couvées, tandis que les insectes produisent tous leurs oeufs à-la-fois. Il n'est pas nécessaire d'en dire davantage ; je m'imagine qu'on a traité tous les mysteres de l'incubation sous ce mot même. (D.J.)

OISEAUX, gésier des, (Anat. comparée) poche musculeuse, forte & compacte. La structure de cette poche ne laisse aucun lieu de douter qu'elle ne soit destinée à exercer une très-forte action sur les corps qui y sont renfermés : on est bientôt confirmé dans cette opinion, lorsqu'on observe les rugosités & les plis qui sont dans son intérieur, & on en demeure entierement convaincu, si on examine le gésier d'une espece de pigeon sauvage assez commun aux Indes, & sur-tout dans l'île de Nicobar. M. Lemarié, chirurgien major de la compagnie des Indes à Pondichery, a observé dans le gésier de cet animal deux meules, non de pierre, comme les habitans du pays le prétendent, mais d'une corne très-dure & cassante. L'usage de ces meules intérieures n'étoit pas équivoque, & elles ne pouvoient servir qu'a broyer plus puissamment les grains que l'animal avoit avalés.

Ce que les pigeons de l'Inde operent par le moyen de leurs meules, la plûpart de nos oiseaux le font avec une quantité de grains de sable qu'ils avalent, & dont on leur trouve le gésier rempli : il semble au premier coup-d'oeil que l'intérieur du gésier devroit avoir pour le moins autant à craindre de l'action de ces petites pierres, que les matieres qui peuvent y être contenues ; cette difficulté a même paru si considérable à Valisnieri, qu'il aime mieux supposer dans le gésier des oiseaux un dissolvant capable de dissoudre le verre, que de croire qu'il y ait été réduit en poudre impalpable par l'action seule de ce viscere.

Il est certain que les oiseaux avalent de petites pierres rudes & inégales, qu'ils rejettent ensuite après qu'elles sont devenues polies par le broyement. Mais pour éclaircir cette question, Redi a fait le premier plusieurs expériences curieuses avec des boules creuses de verre & de métal. Enfin M. de Réaumur a répété & diversifié les mêmes expériences avec plus d'exactitude encore, comme on peut le voir dans l'hist. de l'acad. des Sciences, année 1752. Cependant c'est assez pour nous de remarquer qu'il semble résulter des expériences de l'académicien de Paris, que la digestion se fait par trituration dans les oiseaux qui ont un gésier, & qu'elle est opérée par un dissolvant dans ceux qui ont, comme la buse, un estomac membraneux. Une seconde conséquence est qu'il est très-vraisemblable que les oiseaux dont l'estomac est en partie membraneux & en partie musculeux, & ceux dans lesquels il est d'une consistance moyenne, mettent en usage l'une & l'autre maniere de digérer ; c'est ce qui pourra être vérifié par les expériences. Il est encore naturel d'inférer des expériences de M. de Réaumur, que les animaux qui ont comme les oiseaux de proie un estomac membraneux, digerent aussi comme eux à l'aide d'un dissolvant. (D.J.)

OISEAUX DE PASSAGE, (Ornithologie) On appelle ainsi tous les oiseaux qui à certaines saisons reglées de l'année se retirent de certains pays, & dans d'autres saisons fixes y retournent encore, en traversant de vastes contrées.

Qui peut raconter combien de transmigrations diverses se font annuellement sur notre hémisphere par différentes especes d'oiseaux ? Combien de nations volantes vont & viennent sans cesse ? combien de nuages aîlés s'élevent au-dessus des nuages de l'air au printems, en été, en automne, & même dans la saison des frimats ?

" Aux lieux où le Rhin perd sa source majestueuse, dans les plaines Belgiques arrachées à l'abîme furieux par une industrie étonnante & par la main invincible de la liberté, les cigognes s'attroupent pendant plusieurs jours ; elles consultent ensemble, & semblent hésiter à entreprendre leur pénible voyage à-travers le firmament liquide ; elles se déterminent enfin à partir, & se choisissent leurs conducteurs. Leurs bandes étant formées & leurs aîles vigoureuses nettoyées, la troupe s'essaie, vole en cercle, & retourne sur elle-même ; elle s'éleve enfin en un vol figuré, & cette haute caravane se déployant dans la vague de l'air, se mêle avec les nuages.

Quand l'automne répand dans nos climats ses derniers rayons qui annoncent les approches de l'hiver, les hirondelles planent dans l'air, volent en rasant les eaux, s'assemblent & se rejoignent, non pas pour aller se cacher dans des creux éboulés sous les eaux, ni pour se pendre par pelotons dans des cavernes à l'abri de la gelée, mais pour se transporter dans des climats plus chauds avec des autres oiseaux de passage, où elles gazouilleront gaiement, jusqu'à ce que le printems les invitant à revenir, nous ramenent cette multitude à aîle legere.

Dans ces plages, où l'Océan septentrional bouillonne en de vastes tourbillons autour des îles éloignées, tristes & solitaires de Thulé, ainsi qu'aux lieux où les flots atlantiques se brisent contre les orageuses Orcades, l'air est obscurci par l'arrivée d'une multitude de nouveaux hôtes qui viennent y aborder : la rive retentit du bruit sauvage que produit l'ensemble de leurs cris. Là des habitans simples & innocens soignent sur la verdure touffuë leurs jeunes troupeaux, entourés & gardés par les mers. L'oiseau qui s'y rend, vêtu d'un habit d'hermine & chaussé de brodequins noirs, n'y craint rien pour sa couvée : son unique soin est de chercher à la faire subsister ; il n'hésite point à s'attacher aux plus âpres rochers de la Calydonie, pour être en état de découvrir sa pâture ; d'autres fois il épie le poisson qui s'approche du rivage, & l'attrape avec autant d'adresse que de célérité. Enfin il ramasse tantôt les flocons de laine blanche, & tantôt les duvets de plumes éparses sur le bord de la mer, trésor & luxe de son nid " !

Mais reprenons le ton simple, qui est absolument nécessaire aux discussions de Physique, car c'en est une bien curieuse que de rechercher les causes qui obligent tant d'oiseaux à passer régulierement en certaines saisons de l'année d'un pays froid dans un plus chaud, & ce qui est plus singulier, d'un pays chaud dans un froid. Il est vrai que c'est pour trouver & la subsistance & la température que demande leur constitution ; c'est donc par cet instinct qu'ils sont dirigés dans leurs transmigrations à se rendre aux mêmes endroits. Les oies sauvages, solandgoose, passent la mer & viennent annuellement dans la même saison à la petite île de Bass dans le détroit d'Edimbourg en Ecosse. Les cailles passent d'Italie en Afrique, & s'arrêtent quelquefois de fatigue sur les vaisseaux qu'elles rencontrent. Le moteur de la nature leur a donné l'instinct puissant dont nous parlons ; mais quelle est la patrie de ces divers oiseaux de passage que nous connoissons ? quel est le lieu où se terminent leurs courses ? Traversent-ils l'Océan ou seulement les golfes les plus étroits ? Vont-ils du midi au nord, ou du nord au midi ? Comme on ne peut résoudre définitivement toutes ces questions, nous nous bornerons à de simples réflexions générales qui pourront peut-être conduire à la solution de quelques-unes en établissant des faits.

La plus grande partie des oiseaux qui passent l'hiver dans nos climats, ont des becs forts, & peuvent subsister de la pâture que le hasard leur fournit dans cette saison. Les oiseaux au contraire qui nous quittent en automne, ont des becs fins, délicats, & vivent d'insectes aîlés qui, disparoissant aux approches de l'hiver, obligent ces oiseaux d'en aller chercher ailleurs. Comme la nature leur a donné communément de grandes & bonnes aîles, ils attrapent leur pâture en volant & en faisant route, ce qui les met en état de continuer long-tems leur course sans se reposer.

Quoique nous ignorions, faute du témoignage des yeux, quelles sont les contrées où se retirent ces oiseaux, il est néanmoins vraisemblable que ces contrées doivent être dans la même latitude méridionale que les endroits d'où ils sont venus, ensorte que dans le retour des saisons ils retrouvent la même température d'air & la même subsistance qui leur conviennent.

Comme les hirondelles nous viennent plus tard & nous quittent avant les rossignols & autres oiseaux de passage, qui trouvent encore à vivre de végétaux ou de vers, lorsque les cousins & les mouches ne volent plus dans l'air, il est apparent que les hirondelles passent au tropique du cancer plutôt qu'à celui du capricorne, mais l'endroit nous est inconnu.

Les oiseaux de passage qui n'ont pas la même célérité & la même constance de vol que d'autres, peuvent cependant arriver à leur commun séjour à-peu-près en même tems. Par exemple, les oiseaux à aîle courte, comme la rouge-gorge, volent moins vîte & moins constamment que les hirondelles ; mais d'un autre côté, ces dernieres n'ont aucun besoin de se hâter, parce que chaque jour de leur voyage leur procure une continuation de vivres qui leur permet de faire de longues stations en route.

Plusieurs oiseaux de passage sont encore instruits par leur instinct à connoître les plus courts trajets, les lieux de relais, & à ne voyager que de nuit, pour éviter les oiseaux de proie : c'est une observation de M. Catesby. Etant un soir sur le tillac d'un bâtiment qui faisoit voile au nord de Cuba, lui & sa compagnie entendirent successivement pendant trois nuits des vols d'oiseaux qu'ils reconnurent à leur cri, & qui passerent par-dessus leurs têtes, prenant le droit chemin du continent méridional d'Amérique, d'où ils se rendirent à la Caroline quand le blé commence à mûrir, & de-là s'en retournent dans les parties méridionales pour s'en engraisser au tems de la récolte.

Il semble que les oiseaux à courte queue soient peu propres à de longs vols ; mais quoique la caille, qui est de ce genre, ne vole pas long-tems dans nos climats, il n'en faut pas conclure qu'elle ne le puisse. Belon en a vû des troupes passer & repasser la mer Méditerranée. Le même instinct qui porte les oiseaux de passage à se retirer dans des contrées éloignées, les dirige aussi à prendre le plus court chemin, & les envoie aux côtes les plus étroites, au lieu de leur faire traverser le vaste Océan.

Entre les oiseaux de passage, il y en a quelques-uns qui nous arrivent en automne, tels sont la bécasse & la bécassine, qui se retirent ensuite aux parties plus septentrionales du continent, où ils séjournent l'été, & y font des petits.

On n'entend pas trop bien les raisons de la transmigration des oiseaux qui nous quittent en hiver pour se rendre en Suede & autres lieux septentrionaux de même latitude ; s'ils trouvent nos pays trop froids, comment peuvent-ils mieux subsister dans ceux du Nord ? mais ils voyagent graduellement en prolongeant leur passage par les contrées tempérées de l'Allemagne & de la Pologne : par ce moyen ils n'arrivent que fort tard aux lieux septentrionaux où ils doivent passer leur été, & où ils font des petits. C'est donc là que ces oiseaux prennent la naissance, & leur voyage chez nous n'étant fait que pour jouir quelque tems d'un climat qui leur fournit une abondante pâture, il n'est pas étonnant qu'ils retournent chez eux lorsqu'ils y doivent retrouver les mêmes faveurs.

Il semble encore que les oiseaux ont des tempéramens qui se font aux différens degrés de chaud & de froid qui leur sont les plus agréables, au moyen de quoi ils peuvent voyager de lieux en lieux ; ils vivent pendant l'hiver du fruit de l'aubépine en Angleterre, & cependant dans les lieux où ils pondent comme en Suede, il n'y a point d'aubépine, ni dans la plûpart des pays qu'ils traversent pour se rendre dans leur patrie.

Outre les oiseaux de passage qui séjournent tout un hiver, ou tout un été en divers pays, il y en a d'autres qui ne se montrent annuellement que dans certains lieux particuliers au tems de la maturité de certains grains de leur goût, & que leur pays natal ne produit pas ; tels sont les grives, les becfigues, dans les pays de vignobles de l'Europe ; l'aîlebleue & l'oiseau-de-blé à la Caroline. Ces oiseaux semblables aux hommes, cherchent leur sensualité jusques dans les pays les plus éloignés ; & quand ils ont découvert quelque nourriture agréable, ils se joignent en essaims nombreux, & font des voyages annuels pour se régaler d'un mets étranger.

Depuis la découverte de l'Amérique, les Européens ont cultivé dans cette partie du monde diverses plantes qui y étoient inconnues, & qui pendant long-tems n'ont été ni goûtées ni recherchées par aucun oiseau de passage, mais qui aujourd'hui sont pour eux une nourriture friande. Il y a une espece charmante de ces oiseaux qui seulement depuis peu d'années se rendent dans la Virginie au tems de la maturité du blé ; elle y revient alors annuellement en grande troupe, & les habitans les nomment par cette raison oiseaux-de-blé, wheat-birds. Philosop. transact. n°. 483. (D.J.)

OISEAUX DE PROIE, (Ornithol.) leurs marques caractéristiques sont d'avoir 1° le bec & les talons crochus, forts, terminés en pointe, propres à la rapine & à dépecer les chairs ; 2° des serres, pour déchirer & pour porter leur proie ; 3° des cuisses robustes, pour la serrer avec violence ; 4° une vûe perçante & subtile pour l'épier de loin.

Les oiseaux de proie sont solitaires, ne s'attroupent point, multiplient peu, & ne produisent guere qu'un petit ou deux, rarement davantage à-la-fois ; comme les repas de ces oiseaux ne sont pas toujours assûrés, la nature leur a donné la faculté de l'abstinence. (D.J.)

OISEAU DE BANANA, cet oiseau est de la grandeur de l'étourneau ; il a le bec long, épais & pointu, la piece supérieure est d'un brun cendré, & l'inférieure bleue ; la tête, le cou, une partie du dos, les aîles & la queue sont entierement noires, à l'exception de quelques taches blanches qui se trouvent sur les petites plumes des aîles ; tout le reste du corps est d'un beau jaune luisant. On trouve cet oiseau à la Jamaïque ; il est carnacier, & il fait la guerre aux autres oiseaux, comme l'étourneau. Hist. nat. des oiseaux, par Derham, t. II. Voyez OISEAU. (I)

OISEAU COURONNE DU MEXIQUE, cet oiseau est de la grosseur de la grive ; il a sur la tête une hupe formée de plumes vertes qu'il dresse à son gré ; le bec est épais, court comme celui du gros bec & de couleur de chair ; l'iris des yeux est de la même couleur, & entouré d'un cercle rouge ; il y a près des coins de la bouche une tache noire qui s'étend au-dessus des yeux, & une bande blanche au-dessus de la tache noire ; la tête, le cou, le dos, la poitrine, la partie supérieure du ventre sont verds : la partie inférieure du ventre & des cuisses est d'un brun obscur : les quatre premieres grandes plumes des aîles sont d'un beau rouge, les autres ont une couleur pourprée ; la queue est de cette même couleur, celle des petites plumes des aîles & des grandes plumes des épaules est pourprée & mêlée de verd : les jambes & les piés ont une couleur bleuâtre. Hist. nat. des oiseaux, par Derham, t. II. Voyez OISEAU. (I)

OISEAU DE PARADIS, manucodiata, avis paradisaea, Pl. II. fig. 4. oiseau qui paroît plus gros qu'il ne l'est en effet, parce que les côtés du corps sont garnis d'une grande quantité de très-longues plumes, dont toutes les barbes sont séparées les unes des autres ; il a environ un pié de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue, & dix pouces jusqu'au bout des ongles. La longueur du bec est d'un pouce & demi depuis la pointe jusqu'aux coins de la bouche, & celle de la queue est de 6 pouces 4 lignes. Quand les aîles sont pliées, elles s'étendent presque aussi loin que la queue ; la tête, la gorge & le cou sont couverts de plumes très-courtes, fort épaisses & roides. Le dessus de la tête & la partie supérieure du cou ont une belle couleur d'or pâle. La racine du bec est entourée d'un noir velouté & changeant qui paroît à certains aspects, d'un verd semblable à celui de la tête des canards. Les plumes de la gorge & des joues ont la même couleur. La partie inférieure du cou est d'un verd doré luisant. Le dos, le croupion, le bas-ventre, les plumes qui recouvrent en-dessus & endessous la racine de la queue, les aîles & la queue sont d'une couleur de maron clair. La poitrine a la même couleur, mais beaucoup plus foncée, & le dessus du ventre est d'une couleur moins claire que celle du bas-ventre, & moins foncée que celle de la poitrine. Les plus longues plumes des côtés du corps ont jusqu'à un pié 6 pouces 8 lignes de longueur, les supérieures sont en partie d'une couleur de maron pourpré & en partie blanchâtre, les autres sont d'un blanc jaunâtre, quelques-unes des plus courtes ont une belle couleur d'or, il sort du croupion au-dessus de l'origine de la queue, deux plumes longues d'environ deux piés neuf pouces, qui n'ont de barbes qu'à leur origine sur la longueur de 4 pouces, & à leur extrêmité sur la longueur de 3 pouces & demi ; ces dernieres barbes ont une couleur noire & changeante, comme celle du dessus de la tête ; les barbes qui sont à la racine, ont une couleur de maron claire ; le tuyau a une couleur noirâtre qui devient de plus en plus foncée, à mesure qu'elle est plus près de l'extrêmité. La tête & les yeux sont petits. Le bec a une couleur verdâtre. Les piés sont gros & ont une couleur brune, ainsi que les ongles qui sont longs. On trouve cet oiseau aux Moluques. Ornithologie de M. Brisson, tome II. Voyez OISEAU.

M. Brisson donne encore la description d'une autre espece d'oiseau de paradis, dont Willughby & plusieurs autres auteurs ont parlé sous le nom de rex avium paradisearum. Cet oiseau est beaucoup plus petit que le précédent, il n'a que 4 pouces 9 lignes de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue, & 5 pouces & demi jusqu'au bout des ongles. Les aîles étant pliées, s'étendent de plus d'un pouce au-delà du bout de la queue. Les deux plumes qui sortent du croupion au-dessus de la racine de la queue n'ont que 6 pouces de longueur, leur extrêmité est tournée en spirale du côté intérieur. Cet oiseau differe encore du précédent par les couleurs, il a la tête, la gorge, le cou, le dos, le croupion, les petites plumes des aîles & celles qui recouvrent l'origine de la queue de couleur de maron pourprée & très-brillante ; cette couleur est foncée à la partie inférieure du cou & claire sur la tête, les plumes de la poitrine, du ventre, des jambes & celles qui sont sous la queue ont une couleur blanchâtre. La poitrine est traversée par un trait large d'environ cinq lignes, & d'un beau verd doré pareil à la couleur du cou du canard. Les grandes plumes des aîles sont rousses, & la queue est brune. Ornithologie de M. Brisson, t. II. Voyez OISEAU. (I)

OISEAU DE ROCHE, charadrios sive hiaticula, oiseau qui est un peu plus gros que l'alouette commune ; le bec a une couleur jaune dorée depuis sa racine jusqu'à la moitié de sa longueur, & le reste est noir ; il a presque un pouce de longueur, sa racine est entourée d'une petite bande noire qui s'étend depuis les coins de la bouche jusqu'aux oreilles en passant sur les yeux & qui traverse le milieu de la tête ; cette bande entoure une autre petite bande qui s'étend depuis l'angle intérieur de l'un des yeux jusqu'au même angle de l'autre oeil. Le derriere de la tête est cendré, & le menton a une couleur blanche. Le cou est entouré de deux sortes de colliers, dont le supérieur est blanc & l'inférieur noir. Le dos & les petites plumes des aîles ont une couleur cendrée. La poitrine & le ventre sont blancs, chaque aîle est noire & traversée par une longue ligne blanche. Les piés ont une couleur jaune-pâle, & les ongles sont noirs. Cet oiseau n'a point de doigt de derriere ; il se trouve en Europe & en Amérique. Raii, Synop. meth. avium. Voyez OISEAU. (I)

OISEAU DE S. MARTIN, voyez JEAN-LE-BLANC.

OISEAU MOQUEUR ; voyez MOQUEUR.

OISEAU MOUCHE, nellisuga, mellivora avis minima, c'est le plus petit de tous les oiseaux, il est de la grosseur du petit bout du doigt ; il a les grandes plumes des aîles & de la queue noires ; tout le reste du corps est d'un brun mêlé d'un rouge vermeil ; le bec est noir, droit, très-mince & un peu long. Les mâles ont sur la tête une petite hupe d'un verd clair mêlé d'une couleur d'or. Selon le P. du Tertre, ce caractere sert à faire distinguer les mâles d'avec les femelles. Dès que le soleil paroît, on voit ces petits oiseaux voltiger autour des fleurs sans se poser, ils insinuent leur bec jusqu'au fond de la fleur, dont ils sucent les parties intérieures avec leur petite langue qui est composée de deux filets, ils ne prennent pas d'autre nourriture. Ces oiseaux font leur nid sur les orangers, les citronniers, les grenadiers, & même dans les cases des habitans avec du coton, de la mousse bien fine, de petits morceaux d'écorce de gommier ; c'est le mâle seul qui apporte tout ce qui doit entrer dans la composition du nid, la femelle le construit ; le milieu du nid est de coton, & l'extérieur est garni de mousse & d'écorce de gommier. Il n'excede pas la grosseur de la moitié d'un oeuf de pigeon. La femelle pond deux oeufs gros comme de petits pois ; le mâle & la femelle les couvent alternativement pendant l'espace de 10 ou 12 jours. Hist. gén. des Antilles, par le P. du Tertre, t. II.

Il y a plusieurs especes d'oiseaux mouches, qui different plus par la couleur que par la grosseur ; on distinguera aisément ces oiseaux de tous les autres par leur petitesse, qui égale celle de nos plus gros bourdons. Voyez OISEAU. (I)

OISEAU POURPRE, Voyez POULE SULTANE.

OISEAU ROYAL, Pl. IX. fig. 2. oiseau auquel on a donné ce nom, parce qu'il a sur le derriere de la tête une hupe composée de plumes très-fines, qui forment une sorte de couronne ; il a environ 3 piés 8 pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'au bout des doigts, & 5 piés & demi d'envergeure ; le cou a 15 pouces de longueur, celle de la queue n'est que de cinq ; il y a 3 pouces de distance depuis la pointe du bec jusqu'à l'oeil. Les plumes du corps sont d'un gris fort brun tirant sur le verd. Toutes les plumes des aîles ont une couleur blanche, excepté les grandes plumes extérieures, dont les unes sont roussâtres & les autres d'un gris brun. Le cou est couvert de plumes très-longues, fort étroites, très-pointues, & si effilées qu'elles ressemblent à des crins, comme dans la demoiselle de Numidie, les plus longues ont jusqu'à 7 pouces. Le dessus de la tête est garni de plumes très-noires, très-fines, très-courtes & très-serrées, qui ressemblent parfaitement à du velours noir. Cette couleur noire s'étend derriere les joues jusques sous le cou, les côtés de la tête sont dégarnis de plumes, & couverts seulement d'une peau blanche légerement teinte de rouge. Les brins ou les petites plumes qui forment la couronne, sont applatis & contournés en forme de vis, les brins ont chacun une houppe de petits filets noirs à leur extrêmité, & sont garnis dans toute leur longueur & sur les côtés, d'autres filets qui sont blancs à la racine, & noirs par le bout ; les plus longs brins ont jusqu'à trois pouces & demi de longueur. L'oiseau royal a, comme la poule, au-dessous de la gorge deux peaux d'une belle couleur rouge, qui semblent former une espece de sac ; la surface de ces peaux est inégale, on y distingue en quelques endroits de petits grains. Le bec est d'un gris brun & fort pointu, il a 2 piés de longueur. L'iris des yeux est blanche. Les jambes sont dégarnies de plumes presque jusqu'au ventre, la partie supérieure est couverte d'écailles héxagones, & l'inférieure d'écailles en table ; celles des doigts ont la même forme que ces dernieres. Il n'y a que trois doigts qui portent sur la terre, celui de derriere est élevé au-dessus des autres comme un ergot. Les ongles sont courts & pointus. Cet oiseau a vécu quelque tems à la ménagerie de Versailles, il avoit été apporté des grandes Indes. Mémoire pour servir à l'hist. nat. des animaux, par M. Perrault, tome III. part. III. p. 201. & suiv. Voyez OISEAU. (I)

OISEAU DU TROPIQUE, voyez PAILLE-EN-CUL.

OISEAU, (Fauconnerie) la Fauconnerie a son langage particulier pour les oiseaux, dont nous allons indiquer les principaux termes.

On appelle en Fauconnerie oiseaux de proie, ou absolument, oiseaux, les gros oiseaux qui vivent de grip, de rapt & de rapine, qu'on dresse & qu'on apprivoise.

Oiseaux niais, ceux qui sont pris au nid.

Oiseau branchier, celui qui n'a encore que la force de voler de branche en branche.

Oiseau sor, celui qui n'a point encore mué. Il ne se dit que des oiseaux de passage, & non du niais & du branchier.

Oiseau hagard, celui qui a été à soi, qui est plus farouche.

Oiseau de bonne ou de mauvaise affaire, celui qui est docile ou farouche.

On appelle parement de l'oiseau la maille qui lui couvre le devant du col ; manteau d'oiseau, le plumage des épaules, du dos & du dessus des aîles ; serres d'oiseau, ce sont leurs griffes ; mains d'oiseau, sont leurs piés ; la couronne de l'oiseau, c'est le duvet qui couronne, qui joint le bec à la tête ; train de l'oiseau, son derriere ou son vol, &c.

On nomme oiseau de poing, celui qui étant réclamé, fond sur le poing sans entremise de leurre, comme l'autour, l'épervier.

Oiseau de leurre, celui qui fond sur le leurre, quand on le lui jette, & de-là sur le poing. On en compte ordinairement dix, le grand faucon, le gerfaut, le sacre, le lanier, l'aigle, le fagarot, l'émérillon, le hobereau, le faucon bâtard & le sacre bâtard.

Oiseau de montée est celui qui s'éleve fort haut, comme le milan, le héron, &c.

Il y a des oiseaux pour la haute & pour la basse volerie, comme oiseau pillard, celui qui pille & qui détrousse un autre ; oiseau chariard, qui dérobe sa perdrix ; oiseau bas & tenu par le bec, c'est-à-dire en faim.

L'oiseau bâtard est un faucon né d'un tiercelet de faucon & du lanier, ou un sacre né du sacre & du lanier.

On appelle oiseaux vilains, poltrons & trépiers, ceux qui ne suivent le gibier que pour la cuisine, qu'on ne peut affairer ni dresser, comme les milans & les corbeaux qui ne combattent que les poulets, lesquels n'ont ni vol ni défense.

Oiseau dépiteux, qui ne veut pas revenir quand il a perdu sa proie.

Oiseau attrempé, celui qui n'est ni gras, ni maigre.

Oiseau âpre à la proie, est celui qui est bien armé de bec & d'ongles ; oiseau fort à délivre, qui n'a point de corsage, qui est presque sans chair, comme le héron.

On nomme oiseau allongé, celui dont les pennes sont bien entieres, qui ont toute la longueur qu'elles doivent avoir ; oiseau trop en corps, celui qui est trop gras.

Les oiseaux de leurres doivent avoir les mahutes hautes, les reins larges, bien croisés, bas assis, court jointés, les mains longues.

On dit aussi, un oiseau de bonne aire, un oiseau de grand travail & de bon guet, un oiseau de bonne compagnie, un oiseau pantois ou asthme, un oiseau égalé, quinteux, écartable, rebuté, un oiseau d'échappe, un oiseau bon chaperonier. On dit encore apoltronir un oiseau, l'abécher, l'abattre, l'abaisser, l'entraver, l'estimer, &c. mais il ne s'agit pas ici d'expliquer tous ces termes. (D.J.)

OISEAU DE POING, (Fauconnerie) c'est un oiseau de proie qui, étant reclamé, revient sur le poing du fauconnier sans leurre. (D.J.)

OISEAU MONSTRUEUX, (Hist. nat.) c'est le nom sous lequel Ximenès, naturaliste espagnol, désigne un oiseau de la nouvelle Espagne ; il est, selon lui, de la grosseur du plus gros coq-d'inde, dont il a la forme. Ses plumes sont blanches & tachetées de noir. Il a le bec d'un épervier, mais plus aigu ; il vit de poisson, & va aussi sur terre. Ce qu'il y a de plus singulier, & qui paroît rendre le récit de Ximenès fabuleux, c'est qu'il a le pié gauche d'une oie ; il lui sert à nager, tandis que du pié droit, qui ressemble aux serres d'un faucon, il tient sa proie, soit en l'air, soit dans l'eau.

OISEAUX AQUATIQUES, (Pêche) voyez la maniere dont elle se fait dans la baie & le bassin d'Arcasson, ressort de l'amirauté de Bordeaux. Elle est d'autant meilleure, que le froid est plus grand. On plante sur le terrein, qui est ordinairement élevé de trois à quatre piés au-dessus des achenaux, de longues perches de quatre à cinq brasses de haut, éloignées de cinq à six de chûte. La nuit les oiseaux marins qui de basse mer viennent paître sur ces mottes de terre, & qui vont de-là boire, s'embarrassent dans les filets & s'y prennent. Plus la nuit est obscure, plus la pêche est abondante. C'est la même chose que la chasse des bécasses à la passée, & que celles des heurons des pêcheurs picards. Il y a autour du bassin vingt à trente de ces sortes de pêcheries, garnies chacune de cent piés de filets.

Les oiseaux de mer se prennent encore comme les allouettes & autres petits oiseaux de terre. Ceux qui font cette pêche choisissent un lieu convenable & voisin des marigots ou flaques d'eau, que la mer laisse quand elle s'est retirée. Ils ont des oiseaux privés qu'ils rangent au bord de la marée, & dans l'eau sur des piquets. Ils élevent à une distance convenable un petit cercle, ou une terrasse de gason, avec une ou deux embrasures, d'où ils puissent voir les oiseaux & tirer le filet, quand les oiseaux se sont abattus. Cette pêche est quelquefois si abondante, qu'on a une douzaine d'oiseaux presque pour rien. Voyez cette pêche dans nos Planches.

On fait une pêche différente des précédentes avec le feu. Elle est très-industrieuse & particuliere aux riverains de la baie S. Michel. Lors de la basse eau & dans une nuit tranquille & fort obscure, ils partent deux dans un profond silence. Celui qui marche le premier porte un grand pot de terre ou de bois, qu'on appelle baratte ou barette. C'est la même machine dont on se sert pour battre le beurre. Elle est défoncée par le bas, le haut en est bouché. On y met environ une livre de poix résine, avec un morceau de torche ou de goudron. Quand on entend le cri des oiseaux, qu'on siffle quelquefois pour les découvrir, le pêcheur qui porte la baratte, y met le feu, & en expose la grande ouverture vers le lieu où il a entendu les oiseaux. Le second pêcheur qui l'accompagne est immédiatement derriere lui, portant sur ses épaules un filet tendu, large de cinq à six piés en quarré, & dont les mailles ont deux pouces. Celui-ci n'agit qu'au signal de son compagnon. Lorsque les oiseaux de mer s'approchent, le porteur de baratte tâche d'en tourner l'ouverture vers son compagnon, afin que les oiseaux ne soient point effrayés de la trop grande lueur. Mais quand il s'en voit comme investi, aussi-tôt il retourne la baratte vers les oiseaux qui voltigent autour, & touche de la main son compagnon qui jette le filet. On prend ainsi beaucoup d'oiseaux. Voyez cette pêche dans nos Planches.

Autre pêche qui se fait a la côte à pié. On forme le long du rivage, dans un endroit convenable, des petites haies avec des branches de genêt ; on laisse à ces haies, de distance en distance, des passages étroits, où l'on place des lacets de crin. Les oiseaux marins qui de basse mer viennent quêter leur pâturage, se présentent à ces ouvertures & se prennent.

On en tue au fusil en se mettant dans des petites chaloupes, ou en rangeant la côte à pié, où l'on trouve toujours ceux de l'espece des piés fendus.

On pêche aussi les oiseaux à la ligne. On a des lignes doubles sur lesquelles on frappe de distance en distance des piles ou menues frulles, d'une longueur proportionnée à la profondeur des fonds. Il faut que l'appât dont les ains des piles sont garnis soit à fleur d'eau. Les lignes sont tendues avec un bateau. Il y a au bout de chaque ligne une grosse pierre pour la faire caler & la tenir sur fond. C'est ainsi qu'on attrape des maquereuses, des canards, & autres oiseaux à piés feuillés. Ces oiseaux ne mordent à l'appât que la nuit. Cette pêche ne se pratique qu'en hiver. Les nuits obscures y sont favorables.

Les pêcheurs de Bugules, lieu dans le ressort de l'amirauté de Morlaix, font pendant l'hiver une pêche ou une chasse abondante de bernaches. Les bernaches sont les véritables demies-oies de mer des pêcheurs normands & picards, que l'on confond en Bretagne avec les macreuses, censées du genre des poissons, & dont, sur ce fondement, les religieux qui font par leurs voeux une abstinence continuelle de viande, usent, sans scrupule, les jours gras, & les séculiers les jours maigres.

On ne prend ces sortes d'oiseaux qu'en hiver, qu'ils viennent en abondance à la côte ; pour lors les riverains vont avec leurs chaloupes entre les roches voisines de leurs côtes, où elles sont presque toutes isolées, quelques-uns se mettent dessus, les autres restent dans la chaloupe ; les bernaches ne se prennent guere que de nuit ; les nuits plus obscures sont les plus favorables. Lorsque les bernaches traversent le canal des islots de l'autre bord, ceux qui sont à terre, ou dans les chaloupes les tirent. Ces oiseaux sont fort estimés sur-tout pendant le carême. Les riverains y font alors un gros profit ; mais le froid de l'hiver est le tems le plus convenable pour en trouver en grand nombre.

OISEAUX petits, (Diete) on mange en automne en beaucoup de pays, & principalement dans presque toutes les provinces de ce royaume, plusieurs especes de petits oiseaux, qui sont très-gras dans cette saison, sur-tout après les pluies. Les principales especes sont le becfigue, qu'on appelle dans quelque province pivoine, & qui ne paroît pas différer de l'oiseau qu'on appelle en Gascogne murier, quoique dans ce pays on donne ce nom à des petits oiseaux de plusieurs especes, dont les principaux sont du genre des fauvettes, la rouge-gorge, le rossignol, qui devient très-gras dans cette saison, &c.

Tous ces oiseaux, qu'on mange ordinairement rôtis, fournissent un aliment très-délicat & très-salutaire ; & qui, quoique très-gras, n'est ni fastidieux, ni pesant à l'estomac, défaut qui se rencontre dans l'ortolan. Voyez ORTOLAN. (b)

OISEAU DU PARADIS, (Astrol.) constellation de l'hémisphere méridional, qui est du nombre de celles qu'on ne sauroit voir dans ces climats. Voyez CONSTELLATIONS. (O)

OISEAU, terme de Maçonnerie, signifie une espece de demi-auget composé de planches légeres, arrondies par une extrêmité, & jointes en équerre par l'autre, dont celle d'en-bas est posée horisontalement sur deux morceaux de bois en forme de bras assez longs ; & celle d'en-haut est attachée à deux autres petits bâtons, qui tombent d'aplomb sur chacun des bras. C'est sur cette petite machine que de jeunes manoeuvres, qu'on nomme goujats, portent sur leurs épaules le mortier aux maçons & limosins, lorsque le service ne se peut faire à la pelle. (D.J.)

OISEAU, (Sculpture) c'est une espece de palette sur laquelle les sculpteurs mettent le mortier avec lequel ils travaillent de stuc.


OISELERv. a. terme de Fauconnerie ; dresser un oiseau.

Oiseler, chez les oiseleurs, veut dire, tendre des filets, préparer des gluaux, ou se servir du miroir & des trébuchets pour prendre des oiseaux.


OISELIERS. m. (Oiselerie) celui qui va chasser & tendre aux menus oiseaux, qui les éleve, & qui en fait trafic. C'est aussi l'oiselier qui fait les cages, les volieres & les cabanes, soit de fil de léton ou de fer pour les renfermer, & les faire couver ; il fait aussi les trébuchets pour les prendre, & les divers filets qui servent à cette chasse.

Les oiseliers composent à Paris une assez nombreuse communauté, & qui n'y est pas des moins anciennes. Leurs statuts & réglemens leur ont été donnés par les officiers des eaux & forêts de Paris ; & ceux dont ils se servent présentement leur furent délivrés au mois de Mai 1647, par le greffier de cette jurisdiction, comme extrait des anciens registres. Savari. (D.J.)


OISEMONT(Géog.) petite ville, ou plutôt bourg de France en Picardie, au diocèse d'Amiens. Ce bourg est une commanderie de l'ordre de malthe, & même le cure est croisé de malthe ; mais Oisemont est encore plus connu des gens de lettres, pour avoir donné la naissance à Samuel des Marets, l'un des plus célebres théologiens réformés du xvij. siecle. Il s'acquit une haute réputation par un grand nombre de livres de controverses contre les Catholiques, les Sociniens, & Grotius lui-même. La variété des sujets qu'il a traités, témoigne que ce n'étoit pas un esprit borné. On peut ajouter qu'il écrivoit facilement, avec beaucoup de feu & d'érudition. Il livra des sanglans combats à Voetius touchant une confrairie de la Vierge, établie à Bois-le-Duc, & que M. Voet prétendoit qu'on pouvoit tolerer. La guerre dura plus que le siege de Troie, & ne finit pas même par la médiation des curateurs de l'académie de Groningue d'un côté, & celle du magistrat d'Utrecht de l'autre. Cette querelle produisit tant d'écrits, que M. Bayle trouvoit que c'étoit une entreprise difficile que d'en donner seulement la liste chronologique. Le système théologique de Maresias, synopsis theologica, fut imprimé plusieurs fois, & regardé comme un code dans quelques académies. Il mourut à Groningue en 1673, à 74 ans. (D.J.)


OISEUou OISIF, adj. (Gram.) Voyez OISIVETE. On dit une vie oiseuse, des paroles oiseuses.

OISEUX DE LA SYNAGOGUE, (Théolog.) officiers publics chez les Hébreux, ainsi appellés parce que leur emploi étoit sédentaire, & que dégagés de toute autre occupation, ils ne vacquoient qu'au service divin & aux exercices de piété.

Les critiques qui ont fait leur principale étude des cérémonies des Juifs & des écrits des rabbins, ont beaucoup & diversement parlé de ces dix oiseux de la synagogue. Lightfoot, in Matth. iv. 23. croit que ces dix personnes étoient nécessaires pour composer une synagogue considérable. Il met à leur tête les trois magistrats qui jugent des affaires civiles ; le quatrieme est le chazan, ou ministre ordinaire de la synagogue. Le terme hébreu chazan signifie inspecteur ; c'est comme l'ange ou l'évêque de l'assemblée. Il ne lit pas la loi, mais, comme chef, il choisit ceux qui la doivent lire.

Outre ces quatre chefs, il y a encore trois parnassins ; ce sont les diacres, qui ont soin de recueillir les aumônes, & de les distribuer aux pauvres. Le huitieme ministre de la synagogue est l'interprete, emploi nécessaire depuis la captivité de Babylone, parce que le peuple n'entendoit plus la langue hébraïque. Pour complete r le nombre des dix oiseux, Lightfoot ajoute encore un docteur de théologie & un interprête ou sous-maître, qui fait des répétitions.

D'autres croyent que les dix oiseux étoient les trois présidens & les sept lecteurs ; d'autres que c'étoient dix personnes gagées pour assister continuellement à la synagogue, parce que, sans ce nombre de dix, il n'y a point d'assemblée légitime pour reciter les formules ordinaires des bénédictions. Vitringa dans son archisynagogus réfute ces sentimens, & soutient que c'étoit dix personnes préposées à une synagogue. Dans les moindres synagogues il y avoit au moins un chef, archisynagogus, accompagné de deux collégues ou assesseurs, qui présidoient aux assemblées. Mais dans les grandes, le chef de la synagogue y ajoutoit sept lecteurs, qui achevoient le nombre de dix ; & comme ils étoient assidus à la synagogue, & qu'on choisissoit ordinairement des gens aisés & désoccupés, on leur donne parmi les juifs le nom d'oiseux ou d'oisifs. Voyez ARCHISYNAGOGUE & SYNAGOGUE. Calmet, dict. de la bible.


OISIFadj. Voyez l'article OISIVETE.


OISILLONS. (Hist. nat. Ornith.) on a donné ce nom aux oies dans leur premier âge, & on les appelle oisons lorsqu'elles sont un peu plus grandes Voyez OIE. (I)


OISIVETÉS. f. (Droit natur. Morale & Polit.) desoeuvrement, fainéantise, ou manque d'occupation utile & honnête ; car le mot oisiveté renferme ces deux idées.

Il y a, dit la Bruyere, des créatures de Dieu, qu'on appelle des hommes, dont toute la vie est occupée, & toute l'attention est réunie à scier du marbre : c'est très-peu de chose. Il y en a beaucoup d'autres qui s'en étonnent ; mais qui sont entierement inutiles, & qui passent les jours à ne rien faire, c'est bien moins que scier du marbre.

Le desoeuvrement dans lequel on languit est une source de désordre. L'esprit humain étant d'une nature agissante, ne peut pas demeurer dans l'inaction ; & s'il n'est occupé de quelque chose de bon, il s'applique inévitablement au mal ; car quoiqu'il y ait des choses indifférentes, elles deviennent mauvaises lorsqu'elles occupent seules l'esprit, s'il est vrai néanmoins qu'il y ait des personnes oisives qui s'occupent davantage de choses indifférentes que de vicieuses.

On ne sauroit que blamer ceux qui emploient tout leur tems à des choses inutiles, s'il est encore vrai que les hommes soient créés pour faire du bien ; mais on voit par expérience que ceux qui ne s'appliquent à aucune occupation honnête, tombent dans le déréglement.

Les hommes qui ne prennent d'autre soin que de manger, sans aucun travail, les biens que la fortune leur a procurés, satisfaits d'eux-mêmes, quand ils ont l'art de regler leur dépense suivant leurs revenus ; de tels hommes, dis-je, sont inutiles à la société, en ne faisant rien pour elle. La nonchalance dans laquelle ils vivent, étrécit leur esprit, les rend méprisables aux autres, & souvent leur devient funeste au premier revers.

La pratique de l'oisiveté est une chose contraire aux devoirs de l'homme & du citoyen, dont l'obligation générale est d'être bon à quelque chose, & en particulier, de se rendre utile à la société dont il est membre. Rien ne peut dispenser personne de ce devoir, parce qu'il est imposé par la nature ; le silence de nos loix civiles à cet égard, n'est pas plus capable de disculper ceux qui n'embrassent aucune profession, que de justifier ceux qui recherchent, ou qui exercent impunément des emplois dont ils ne sont, ni ne veulent se rendre capables.

Il est honteux de se reposer avant que d'avoir travaillé. Le repos est une récompense qu'il faut avoir mérité. On lit sur une cornaline représentant Hercule, cette sentence grecque, la source de la gloire & du bonheur est dans le travail, vérité de tous les tems & de tous les âges. Il faut même se persuader que le travail est une des sources du plaisir, & peut-être la plus certaine. Une vie oisive doit être nécessairement une vie triste. Je demande aux gens riches & désoeuvrés si leur état est heureux. L'ennui qui les consume, me prouve bien le contraire.

L'oisiveté est sur-tout fatale au beau sexe. Juvenal le fait sentir exprès dans des vers qui sont fort beaux.

Praestabat castas humilis fortuna latinas

Quondam, nec vitiis contingi parva solebant

Tecta : labor, somnique breves, & vellere Tusco,

Vexatae duraeque manus.

Un empereur chinois de la famille de Tang, tenoit pour maxime, que s'il y avoit dans ses états une femme qui ne s'occupât point, un homme qui ne labourât point, quelqu'un souffroit le froid, ou la faim dans l'empire. Sur ce principe, dit le P. du Halde, il fit détruire une infinité de monasteres de bonzes.

Les Egyptiens, les Lacédémoniens, les Lucaniens avoient des lois contre l'oisiveté. Là chacun étoit tenu de déclarer au magistrat de quoi il vivoit, & à quoi il s'occupoit, & ceux qui se trouvoient mentir, ou n'avoir aucune profession, étoient chatiés.

Les Athéniens entrerent encore dans de plus grands détails pour prévenir l'oisiveté. Ne devant pas obliger tous les citoyens à s'occuper de choses semblables, à cause de l'inégalité de leurs biens, ils leur firent embrasser des professions conformes à l'état & aux facultés de chacun. Pour cet effet, ils ordonnerent aux plus pauvres de la république de se tourner du côté de l'agriculture & du négoce ; car n'ignorant pas que l'oisiveté est la mere de la pauvreté, & que la pauvreté est la mere des crimes, ils crurent prévenir ces désordres en ôtant la source du mal. Pour les riches, ils leur prescrivirent de s'attacher à l'art de monter à cheval, aux exercices, à la chasse & à la philosophie, étant persuadés que par-là ils porteroient les uns à tâcher d'exceller dans quelqu'une de ces choses, & qu'ils détourneroient les autres d'un grand nombre de déréglemens.

Il seroit à souhaiter qu'il y eût également parmi nous des loix contre l'oisiveté, & qu'il ne fût permis à personne, de quelque rang qu'il fût, de vivre sans avoir quelqu'occupation honnête d'esprit ou de corps.

En effet, tout ce que la morale peut dire contre l'oisiveté sera toujours foible, tant qu'on n'en fera pas une affaire capitale. L'imagination humaine, on ne sauroit trop le répéter, a besoin d'être nourrie ; lorsqu'on ne lui présente pas des objets véritables, elle s'en forme d'une fantaisie dirigée par le plaisir ou l'utilité momentanée. Examinez les scélérats que la justice est obligée de condamner à la mort, ce ne sont pas ordinairement des artisans ou des laboureurs : les travailleurs pensent au travail qui les nourrit ; ce sont des gens oisifs que la débauche ou le jeu, enfans de l'oisiveté, ont porté à tous crimes. C'est à cette premiere oisiveté que l'on doit attribuer la plûpart des troubles, & en partie la chûte de la république de Rome. Publius Nasica fit construire, sans qu'il en fût besoin, les choses nécessaires à une armée navale pour exercer les Romains : on craignoit déja l'oisiveté plus que les ennemis.

Concluons que cette maladie est également funeste aux hommes & aux empires ; & que multiplier dans un état les genres d'occupations, c'est s'assurer du bonheur, des richesses & de la tranquillité des sujets. (D.J.)

OISIVETE, (Médec.) c'est la source de bien des maladies, car outre qu'elle épaissit les humeurs, & relâche les solides, elle énerve le corps & accélere la vieillesse. C'est elle qui produit dans les voluptueux & les gens mous & efféminés toutes les maladies qui dépendent de l'acrimonie ; comme la goutte, la pierre, le scorbut, la mélancholie, la manie, & enfin le désespoir du tems perdu. L'éducation molle & oisive de la jeunesse, dans notre siecle, nous dispose dès l'âge le plus tendre à toutes les maladies qui proviennent de l'oisiveté ; telles que la mollesse, la laxité, la foiblesse dans les fibres, l'acrimonie, l'alkalescence des humeurs : les maladies chroniques, si communes & si variées de nos jours, & si peu connues des anciens, ne sont dûes qu'à cette même éducation, qui de mâle & vigoureuse qu'elle étoit parmi les Romains & les Grecs, est devenue languissante & efféminée parmi nous : aussi voyons-nous peu de gens qui jouissent d'une santé robuste. Le travail est le remede à tous les maux qu'entraîne avec elle l'oisiveté. De-là vient que le célebre Locke ordonne d'exercer beaucoup la jeunesse, & de l'accoutumer dès l'âge le plus tendre au travail ; cette méthode seroit plus utile, & il arriveroit que les gens de lettres s'adonneroient aux différens exercices du corps, ce qui les rendroit plus sains & plus robustes. L'amour du travail des mains & sa continuité donne aux gens de la campagne cette vigueur qui ne se trouve point dans les villes, & qui résiste à toutes les maladies dont nous avons parlé. Les médecins devroient donc insister sur la nécessité de changer l'éducation journaliere ; ils contribueroient en cela à la conservation de la santé.


OISON(Hist. nat. Ornit.) nom que l'on a donné aux jeunes oies. Voyez OIE.


OIUM(Géog. anc.) il y avoit dans l'Attique deux lieux ainsi appellés ; l'un se nommoit Oium ou Oeum deceleium, c'est-à-dire proche de Déceléa & de la tribu Hippotoontide ; l'autre surnommé Oeum ceramicum, étoit un quartier d'Athènes, proche du Céramique, de la tribu Séontide. Ce quartier portoit le nom d'Oeum, comme qui diroit un désert, parce qu'on n'y voyoit pas l'affluence du peuple qui étoit au Céramique, quoique ces deux quartiers se touchassent. (D.J.)


OJAK(Hist. mod.) nom que les Turcs donnent aux régimens de leurs janissaires ; ceux qui les commandent se nomment ojak agalari.


OJO(Hist. nat. Botan.) c'est un grand buis du Japon ; il a ses feuilles ovales, terminées en pointe, & un peu dentelées : ses fleurs sont blanches, à quatre pétales ronds, garnies d'un calice, & de la grosseur d'une graine de coriandre : ses baies sont rondes, couleur de pourpre foncé, renfermant deux, trois, ou quatre semences, qui sont grosses & figurées comme celles du carvi. On distingue une tsuge, qui est un petit buis, dont les feuilles se terminent en pointe par les deux extrêmités.


OKAMNI(Hist. nat. Botan.) c'est un arbrisseau du Japon, dont les rameaux sont droits, minces & en grand nombre. Ses feuilles sont d'un pouce & demi de long, ovales, épaisses, dures, foiblement dentelées, & quelquefois recourbées. Les fleurs qui naissent des aisselles des feuilles deux-à-deux ou trois-à-trois, sont petites, à quatre pétales, & d'un blanc incarnat ; les baies sont rondes, purpurines, pulpeuses, contenant des semences rousses & brillantes.


OKELASS. m. (terme de Relat.) on appelle okelas en Egypte & dans les contrées orientales, de petits bâtimens autour d'une cour, destinés aux marchands de certains pays, pour y placer leurs effets. Il y a au Caire un okelas consacré aux marchands de Nubie pour y mettre leurs marchandises & leurs esclaves noirs ; il y en a un autre pour les esclaves blancs de la Géorgie. Voyez Pocock, description d'Egypte, tome I. p. 37. (D.J.)


OKKISIK(Hist. mod. superstition) c'est le nom sous lequel les Hurons sauvages de l'Amérique septentrionale désignent des génies ou des esprits, soit bienfaisans, soit malfaisans, qui sont attachés à chaque homme. On trouvera les idées que les sauvages en ont à l'article MANITOUS.


OKNIASou OKINAS, (Hist. mod.) on désigne sous ce nom les grands seigneurs ou principaux officiers de la cour du roi de Camboye, dans les Indes orientales. Ce sont eux qui forment le conseil du monarque, & qui jugent les causes des sujets dont ils font rapport à sa majesté. La marque de leur dignité est une boîte d'or qui renferme le bétel que les Indiens mâchent perpétuellement ; ils la portent dans leur main, ou bien ils la font porter par un esclave qui les précede. Les seigneurs d'un rang inférieur s'appellent tonimas ; il ne leur est permis d'avoir qu'une boîte d'argent. Les nampras forment le troisieme ordre de la noblesse.


OKU-JESO(Géog.) c'est-à-dire le Haut-Jeso, grand continent d'Asie à son extrêmité orientale. Les géographes n'ont pas encore déterminé si ce grand pays confine avec la Tartarie ou avec l'Amérique. M. Delisle n'a pas connu cette presqu'île & ce golfe, lorsqu'il a fait sa carte des Indes & de la Chine. C'est Kempfer qu'il faut consulter, & qui vous donnera la division de ce pays en provinces.


OLAMPIS. m. (Hist. des drog. exot.) gomme ou résine qu'on apportoit autrefois d'Amérique ; elle est dure, jaune, tirant sur le blanc, transparente, ressemblant au copal, douce au goût avec un peu d'astriction ; elle passe pour émolliente & résolutive ; mais on ne sait point de quel arbre elle découle, & même on ne la connoît plus dans les boutiques.


OLARSO(Géog. anc.) ancienne ville d'Espagne, selon Pline, liv. IV. ch. xx. Ptolémée, liv. II. ch. vj. la met dans l'Espagne tarragonoise, & parmi les villes maritimes des Vascons : c'est aujourd'hui Oiarso, village à deux lieues de Fontarabie. (D.J.)


OLBA(Géog. anc.) ville de Cilicie, capitale de la Kétide, dans le voisinage de Séleucie, étoit à dix lieues de Lalasis. Ptolémée l'appelle Olbasa, & la met à 64. 30. de Longitude.

La ville d'Olba, que Strabon nomme Olbé, étoit célebre par un temple de Jupiter, qui fut bâti par Ajax fils de Teucer. Les grands-prêtres de ce temple étoient princes du pays ; ils faisoient battre monnoie à leur coin, & exerçoient dans l'étendue de leurs états les droits de souveraineté. On sait que dans la plus haute antiquité, les rois & les princes étoient les premiers ministres de la religion. La même personne portoit le sceptre d'une main, & de l'autre offroit des sacrifices à l'être suprême. Cet usage établi dans les premiers tems chez presque toutes les nations, subsistoit sous la domination romaine dans plusieurs provinces de l'Asie. Les pontifes de Zela & des deux Comanes jouissoient d'une espece de souveraineté dans le Pont & dans la Cappadoce. Le grand-prêtre de Jupiter Abretonien avoit le titre & l'autorité de souverain dans la Mysie. Tous ces princes & pontifes au milieu des provinces romaines, étoient libres, & vivoient suivant leurs propres lois.

L'histoire des princes d'Olba remonte jusqu'au tems de la guerre de Troie ; mais elle est peu connue dans le détail. Strabon, liv. XIV. nous apprend seulement que le sacerdoce & la principauté étoient héréditaires dans une même famille ; que les états de ces princes furent démembrés ; que la famille sacerdotale fut totalement dépouillée, & qu'elle fut ensuite rétablie.

Les médailles nous donnent le nom de trois de ces princes, l'étendue de leurs états, le titre de sacré, IEPA, dont leur capitale étoit décorée, & plusieurs autres faits intéressans, dont aucun écrivain ancien n'a parlé, mais sur lesquels il faut consulter les mém. de l'acad. des Inscript. tom. XXI.

Je remarquerai seulement que l'étendue des états du prince d'Olba pouvoit être de vingt lieues d'orient en occident. Son pays quoique situé dans les montagnes, étoit très-fertile. La race sacerdotale fut maintenue par Auguste dans la possession de la principauté ; elle étoit encore florissante sous le regne de Tibere ; mais nous n'avons aucun monument des siecles suivans qui fasse mention des princes d'Olba ; car quoique sujets de l'empire, ils étoient par la situation de leur pays, presque indépendans de l'empereur.

Il est probable que le culte de Jupiter, & que l'autorité des pontifes subsisterent à Olba jusqu'au regne de Théodose. Au jv. siecle de l'ére vulgaire, la ville d'Olba fut comprise dans la province d'Isaurie, & fut décorée d'un siege épiscopal. Eusebe, évêque d'Olba, étoit un des peres du concile de Constantinople, qui se tint l'an 381, & Théodore d'Olba assista au concile général convoqué l'an 681 contre les Monothélites. Nous ignorons si la ville d'Olba subsiste encore ; mais les écrivains & les voyageurs ne nous instruisent pas davantage sur l'état actuel de plusieurs villes qui ont été célebres dans l'Orient. (D.J.)


OLBASA(Géog. anc.) Ptolémée compte trois villes de ce nom dans l'Asie mineure ; savoir 1°. Olbasa, ville de Pisidie : 2°. Olbasa, ville de la Cappadoce, dans l'Antiochiane : 3°. Olbasa, ville de la Cilicie, dans la Kétide. Strabon la nomme Olbé. C'est Olba dont nous venons de donner l'article.


OLBIE(Géog. anc.) en latin Olbia ; il y a eu plusieurs villes de ce nom. Nous indiquerons les principales ; mais il n'y en avoit aucune dans la Grece.

Il y a 1°. Olbia, ville maritime de l'île de Sardaigne sur la côte orientale. Scipion s'en rendit maître, & la ravagea. On en voit encore les ruines près du cap Comin. 2°. Olbia, ville de la Gaule narbonnoise, selon Pomponius Méla, liv. II. c. v. 3°. Olbia, ville de la Sarmatie en Europe, à l'embouchure du Boristhene. 4°. Olbia, ville de l'Asie mineure en Bithynie sur la Propontide, selon Ptolémée, liv. V. chap. j. 5°. Olbia, ville de l'Asie mineure dans la Lycie.


OLCADES(Géog. anc.) anciens peuples d'Espagne, dont Polybe & Tite-Live ont fait mention, sans nous apprendre quel canton ils occupoient. Cellarius croit qu'ils étoient voisins des Orétains, & au midi.


OLDA(Géog. anc.) riviere de France en Guienne, où elle se jette dans la Garonne ; c'est le Lot.


OLDAK-BACHAS(Hist. mod.) grade militaire dans les troupes des Algériens. Les oldak-bachas sont au nombre de quatre cent ; ce sont des lieutenans d'infanterie, qui pour marque de leur grade portent une bande de cuir qui leur pend de long du dos. Ils passent, suivant leur rang & leur mérite, au grade de capitaine, ou de boluk-bachas, qui sont au nombre de huit cent. Parmi ceux-ci on choisit les membres du conseil, appellés chia-bachas ou colonels, qui sont au nombre de trente ; ces derniers, ainsi que toutes les troupes, sont soumis à l'aga, qui est le général en chef, & la personne la plus constituée en dignité après le dey ; mais il ne jouit de sa place que pendant deux mois, de peur qu'il n'acquiere une trop grande autorité. Lorsque ce tems est expiré, il est remplacé par le plus ancien des chia-bachas. Sur quoi il faut remarquer que le moindre passe-droit exciteroit une révolte parmi les troupes algériennes. Il y a encore d'autres emplois militaires dans ces troupes ; les vékilars sont les pourvoyeurs de l'armée ; les peys sont les quatre plus anciens soldats qui sont les plus proches de la promotion ; les soulaks sont les huit plus anciens qui suivent ; ce sont ces derniers qui composent la garde du dey : ils sont distingués par leurs armes & par une plaque de cuivre qu'ils portent sur leurs bonnets. Les kaïts sont des soldats turcs chargés de percevoir les revenus du dey. Les sagiars sont des soldats turcs qui portent une lance : il y en a toujours cent qui accompagnent l'armée, & à qui l'on confie la garde des eaux.


OLDENBOURG(Géog.) ville forte d'Allemagne en Westphalie, capitale du comté de même nom, avec un château qui sert de citadelle. Cette ville & le comté appartiennent au roi de Danemarck, qui descend de la maison d'Oldembourg. Elle est sur le Hunte dans un pays abondant en chevaux, à 9 lieues N. E. de Brême, 18. S. E. d'Embden, 29. N. E. de Munster. Longit. 25. 42. latit. 53. 12.

Je ne dois pas oublier de nommer deux savans, Lubin & Mencke dont Oldembourg est la patrie.

Lubin (Eilhard) étoit un homme de beaucoup d'érudition. On a de lui des notes sur Anacréon, Juvenal, Perse & d'autres ouvrages qui prouvent son savoir ; mais celui qui fit le plus de bruit est un traité sur la nature & l'origine du mal, intitulé phosphorus de causâ primâ & naturâ mali. Il y soutient qu'il faut admettre deux principes co-éternels ; savoir, Dieu & le néant : opinion monstrueuse qui fut refutée solidement quand l'ouvrage dont nous parlons fut mis au jour. Son auteur mourut en 1621, âgé de 56 ans.

Mencke (Louis-Othon) est le premier auteur du journal de Leipsic, dont il avoit déja publié trente volumes, lorsqu'il finit sa carriere en 1707, âgé de 63 ans. (D.J.)


OLDENDORP(Géog.) petite ville d'Allemagne dans le cercle de la basse-Saxe, au duché de Lunebourg, sur les rivieres de Wenaw & d'Esca. Elle est fameuse par la bataille de 1633. Long. 28. 10. lat. 53. 16.


OLDENLANDIES. f. (Hist. nat. Botan.) oldenlandia, genre de plante à fleur en rose, composée de quatre pétales disposés en rond, & soutenus par un calice qui devient dans la suite un fruit presque rond, sec, divisé en deux capsules, & rempli de petites semences. Plumier, nova plant. amer. gen. Voyez PLANTE. (I)


OLDENSEL(Géog.) en latin Salia vetus, petite ville des Provinces-Unies, dans l'Ovérissel, à 3 lieues d'Oetmarsen, 10 de Deventer. Long. 24. 33. lat. 52. 22.


OLDESLO(Géog.) petite ville fortifiée d'Allemagne, dans la Wagrie. Elle appartient au roi de Danemarck, & est sur la Trave, à 7 lieues O. de Lubeck, 10 N. E. de Hambourg. Longit. 28. 1. latit. 53. 58. (D.J.)


OLEA(Hist. nat.) nom d'une pierre jaune, noire, blanche & verte. Voyez Boece de Boot, de lapid. & gemmis.

OLEA, (Géog. anc.) en grec , mot qui veut dire l'olivier & l'olive. Plutarque parle de deux fontaines de la Béotie auprès de la montagne de Délos, dont l'une s'appelloit ainsi, & l'autre la palme ou le palmier. C'étoit près de ces deux fontaines qu'on disoit qu'Apollon étoit né.


OLÉAGINEUXadj. (Méd.) ce qui tient de la nature de l'huile, ou dont on peut tirer de l'huile. Voyez HUILE.

Dans ce sens les olives, les noix, les amandes, &c. sont des fruits oléagineux, ou des fruits dont on peut exprimer l'huile. Voyez FRUIT.

Les pins, sapins, &c. sont des bois oléagineux, parce qu'on en tire de la résine, de la térébenthine, &c. Voyez RESINE.

Les bois oléagineux sont de tous les bois ceux qui brûlent le mieux, & le plus aisément. Voyez CHAUFFAGE.

Une urine oléagineuse dans les fievres malignes, est un signe de mort. Voyez URINE.


OLÉANDRES. m. (Anat.) éminence située derriere le pli du coude, sur laquelle on s'appuie : c'est l'apophyse postérieure de l'os du coude, qui empêche que cet os ne puisse se fléchir en arriere, & qui forme un angle aigu quand on plie le bras.


OLÉCRANES. m. (Anat.) apophyse postérieure du cubitus, qui est reçue dans la fosse postérieure de l'extrêmité de l'humérus. On sait que l'os du bras, qu'on nomme cubitus, a deux apophyses à son extrêmité supérieure ; l'une antérieure, petite & courte, nommée coronoïde ; l'autre postérieure, plus grosse & plus longue. C'est cette derniere qu'on appelle olécrane. Elle arrête l'avant-bras, lorsqu'il est en droite ligne avec le bras, & empêche l'avant-bras de se plier en arriere. L'olécrane sert encore à affermir l'articulation du cubitus avec l'humérus. C'est pour ces usages différens que l'olécrane ne sait qu'une seule & même piece avec l'os du coude. (D.J.)


OLÉNUS(Géog. anc.) nom, 1°. d'une ville du Péloponnèse en Achaïe, 2°. d'une ville de Grece dans l'Etolie, 3°. d'une ville d'Asie dans la Galatie.


OLERIESS. f. plur. (Antiq. grecq.) fêtes qui se célébroient à l'honneur de Minerve à Olère ville de Crete.


OLERON(Géog.) île de France sur la côte d'Aunis & de Saintonge, à 2 lieues du continent. Elle a 5 lieues de long, 2 de large, & 12 de circuit. Elle est fertile en blé, en vin, & en sel. On y compte environ 8 mille habitans.

Les anciens l'ont connue sous le nom d'Uliarus, comme on le voit dans Pline, liv. IV. c. xix. Sidonius Apollinaris l'appelle Olario. Ses habitans ont long-tems passé pour bons hommes de mer ; & c'est d'eux que viennent les lois de la marine appellées les lois d'Oleron. Ils avoient autrefois un gouverneur particulier, & s'attacherent ensuite aux Rochellois jusqu'à l'an 1625 que Louis XIII. subjugua cette île avec celle de Rhé, & y fit bâtir une forteresse.

OLERON, (Géog.) ville de France en Béarn sur le Gave, avec un évêché suffragant d'Auch. Elle est à 4 lieues de Pau, 185 S. O. de Paris. Long. 16. 58. lat. 43. 10.

Cette ville est dans le territoire des anciens peuples Tarbelliens, & n'a point été connue avant le v. siecle, où on la trouve marquée dans l'itinéraire d'Antonin, sous le nom latin d'Iluro, corrompu dans la suite en Eloro, & depuis en Oloro. On ne voit point aussi qu'il y ait d'évêque en cette ville avant l'évêque Gratus, qui assista l'an 506 au concile d'Agde, & qui est appellé dans les signatures episcopus oloronensis.

Oléron fut ruiné avec la ville de Béarn par les ravages des Normands & des Sarrasins, & son évêché fut long-tems tenu par les évêques de Gascogne, c'est-à-dire, par des prélats qui possédoient seuls tous les évêchés de Gascogne. Mais vers l'an 1058, on nomma à ce siege un évêque particulier nommé Etienne. Ce fut alors que la cathédrale d'Oléron fut rebâtie ; la ville le fut ensuite par Centule vicomte de Béarn ; elle s'adonna au commerce qui y est aujourd'hui fort languissant. L'évêché d'Oléron a 209 paroisses, & s'étend encore dans tout le pays de Soule qui en a 64. Le chapitre de la cathédrale est l'unique qu'il y ait dans ce diocèse ; il est composé d'un archidiacre & de douze chanoines. (D.J.)

OLERON, LOIS D '(Jurispr.) Voyez au mot LOI, l'article LOIS DE LAYRON, & LOIS D'OLERON. (A)


OLESKO(Géog. mod.) petite ville de la Pologne au palatinat de Wolhinie, sur les confins des palatinats de Belz & de Russie, à l'orient de Busk, & au nord de Soloczow, assez près des sources du Bogh qui tombe dans la Vistule, & de celle de la riviere de Ster qui se perd dans le Borysthene, au levant d'été, & à 10 milles géographiques de Léopol. Long. 42. 47. lat. 49.

C'est dans le château d'Olesko que naquit en 1629 Jean Sobiesky roi de Pologne, & l'un des plus grands guerriers du xvij. siecle. Il battit les Turcs en diverses occasions ; gagna sur eux la bataille de Choczin en 1673 ; fut élu roi de Pologne l'année suivante ; fit lever le siege de Vienne en 1683, & mourut à Varsovie. M. l'abbé Coyer nous a donné sa vie, & elle est très-bien écrite.


OLFACTIou OLFACTOIRE, adject. terme d'Anatomie, se dit de la premiere paire de nerfs, qui tirent leur origine de la moëlle allongée. On les appelle ainsi, parce qu'ils sont les instrumens immédiats de l'odorat. Voyez nos Pl. anat. & leur explic. Voyez aussi ODORAT.

Les anciens les appelloient productions papillaires ; nom qui, selon le docteur Drake, leur convient mieux jusqu'à leur arrivée à l'os cribleux, attendu que ce sont plutôt des productions de la moëlle allongée que des nerfs distincts : mais leurs cavités manifestes, & leur communication avec les ventricules prouvent le contraire. Voyez MOELLE ALLONGEE.

Les nerfs olfactifs naissent de la partie inférieure des corps cannelés ; ils se portent en-devant vers l'os ethmoïde, & se distribuent à travers les trous de la lame cribleuse de cet os, à toute la membrane pituitaire, & communiquent chacun par des filets particuliers avec quelques rameaux du nerf ophthalmique & du nerf maxillaire supérieur. Voyez ETHMOÏDE, OPHTHALMIQUE, &c. (L)


OLHADEvoyez NIGROIL.


OLIBANVoyez ENCENS, Hist. nat. des Drogues, & ENCENS, Pharmac. & Mat. médic. (b)


OLICA(Géog.) ville forte de Pologne dans la Wolhinie, avec titre de duché. Long. 44. 23. lat. 50. 55. (D.J.)


OLICANA(Géog. anc.) ville de l'île d'Albion, au pays des Brigantes selon Ptolémée, l. II. c. ij. Baxter croit que c'est aujourd'hui Ilkley sur la petite riviere de Werf ; & Cambden pense que c'est Oteley. (D.J.)


OLIERGUES(Géog.) petite ville de France dans la basse Auvergne, au diocèse de Clermont-sur-la-Dore, à sept lieues de Montbrison, & à 5 au-dessus de Thiers. Long. 21. 18. lat. 45. 40.


OLIGARCHIES. f. OLIGARCHIQUE, adj. (Politique) C'est ainsi qu'on nomme la puissance usurpée d'un petit nombre de citoyens qui se sont emparés du pouvoir, qui suivant la constitution d'un état devoit résider soit dans le peuple, soit dans un conseil ou sénat. Il est bien difficile qu'un peuple soit bien gouverné, lorsque son sort est entre les mains d'un petit nombre d'hommes, dont les intérêts diffèrent, & dont la puissance est fondée sur l'usurpation. Chez les Romains le gouvernement a plusieurs fois dégénéré en oligarchie ; il étoit tel sous les décemvirs, lorsqu'ils parvinrent à se rendre les seuls maîtres de la république. Cet odieux gouvernement se fit encore sentir d'une façon plus cruelle aux Romains sous les triumvirs, qui après avoir tyrannisé leurs concitoyens, avoir abattu leur courage & éteint leur amour pour la liberté, préparerent la voie au gouvernement despotique & arbitraire des empereurs.


OLIMACUM(Géog. anc.) ville ancienne de la haute Pannonie, selon Ptolémée, l. II. c. xv. On croit que c'est aujourd'hui Lymbach en Hongrie aux confins de la Stirie.


OLINA(Géog. anc.) 1°. riviere de la Gaule celtique qui est présentement l'Orne ; 2°. ancienne ville de l'Espagne tarragonoise, qu'on croit être aujourd'hui Molina.


OLINDES. f. terme de Fourbisseur, sorte de lame d'épée, qui est des plus fines & des meilleures, & qui a pour marque une corne.

OLINDE, (Géog.) ville de l'Amérique méridionale au Brésil, dans la capitanie de Fernambouc. Elle étoit située sur un côteau d'un agréable aspect ; & la riviere qui tombe dans le port, s'appelle Bibiribe. Les Hollandois s'en emparerent en 1630, & les Portugais n'ont pas réparé ses ruines. Longit. selon Cassini, 342. 21. 30. lat. 8. 18. Long. suivant Harris, 342. 31. 15. lat. 7. 48. (D.J.)


OLIOULES(Géog.) petite ville de France en Provence, dans la viguerie d'Aix, au diocèse de Toulon. Les PP. de l'Oratoire y ont un college. Long. 23. 30. lat. 43. 10.


OLISUM(Géog. anc.) ville de Grece dans la Thessalie. Plutarque en fait mention dans la vie de Thémistocle, & Pline, l. IV. c. ix.


OLITE(Géog.) ville d'Espagne dans la Navarre, capitale d'une mérindade de même nom. Les rois de Navarre y faisoient autrefois leur résidence. Elle est dans un pays agréable & fertile, sur la route de Pampelune à Saragoce, sur le Cidaço, à 8 lieues N. de Tudele, 8 N. E. de Calahorra.

Ce fut dans cette ville que mourut en 1425. Charles III. roi de Navarre, de la maison d'Evreux, & fils de Charles II. dit le mauvais. Long. 16. 12. lat. 42. 20. (D.J.)


OLIVA(Géog.) monastere dans la Prusse polonoise sur la côte, à un mille de Dantzick. Il est remarquable par le traité de paix qui y fut conclu en 1660 entre l'empereur & les rois de Suede & de Pologne. Long. 36. 32. lat. 54. 26.


OLIVAIREadj. terme d'Anatomie, qui se joint au mot corps : or ce que les Anatomistes appellent corps olivaires, sont deux éminences de la partie inférieure du cerveau, placées de chaque côté des corps pyramidaux vers leur extrémité inférieure. Cette dénomination leur a été donnée à cause de leur figure qui ressemble beaucoup à celle d'une olive. Voyez CERVEAU.


OLIVAISONS. f. (Econ. rustiq.) saison où l'on fait la récolte des olives.


OLIVATREadj. (Gram.) qui est de la couleur verte de l'olive.


OLIVES. f. (Agriculture) fruit de l'olivier ; les olives de Vérone sont vertes, douces, & menues ; celles d'Espagne sont grosses, charnues, & ameres ; celles de Provence tiennent le milieu entre les olives d'Espagne & de Vérone. On ne cueille les olives que quand elles sont bien mûres, ce qui arrive au mois de Novembre ou de Décembre : il faut toujours les cueillir avec la main, si l'on veut conserver les branches de l'olivier. Pour cueillir aisément les olives, on se sert d'échelles, & ceux qui les cueillent, les mettent dans des tabliers qu'ils ont devant eux. Enfin, on se sert de petits crochets pour amener à soi les branches éloignées.

Les olives n'ont pas sur l'arbre ce goût & ce degré de bonté qui leur a fait trouver place sur les tables les plus délicates. Elles ne l'acquierent, qu'après avoir été confites de la maniere suivante, ayant auparavant une amertume insupportable.

Quand les olives sont en état d'être confites, c'est-à-dire, dans les mois de Juin & de Juillet, & bien long-tems avant qu'elles soient propres à en tirer l'huile, on les cueille, & on les met tremper quelques jours dans de l'eau fraîche. Après les en avoir tirées, elles sont remises dans une autre eau préparée avec de la barille ou soude, & des cendres de noyaux d'olives brûlés, ou bien de la chaux ; ensuite on les fait passer encore dans une seconde saumure faite d'eau & de sel, avec laquelle on les met en petits barrils, dans lesquels on les envoie : mais pour leur donner cette pointe agréable qu'elles ont, on jette par dessus une essence composée ordinairement de girofle, de canelle, de coriandre, de fenouil, &c.

La composition de cette essence est une espece de secret parmi ceux qui se mêlent de confire les olives ; & l'on peut dire aussi que c'est en cela que consiste toute l'habileté de ce commerce, le reste étant assez facile à faire.

Quand les olives sont tout-à-fait en maturité, c'est-à-dire, lorsqu'elles commencent à rougir, on en tire par expression une huile excellente, dont il se fait un très-grand négoce. Voyez OLIVE huile d'. Pharm. Commerce. (D.J.)

OLIVE huile d ', (Comm. Pharm. Médec.) cette huile s'exprime des olives par le moyen des presses, ou moulins faits exprès. On les cueille vers les mois de Décembre & de Janvier dans leur plus grande maturité, c'est-à-dire, lorsqu'elles commencent à rougir. Quand on les met au moulin aussi-tôt qu'elles ont été cueillies, on en tire cette huile si douce, & d'une odeur si agréable, qu'on appelle huile vierge, & dont la meilleure vient de Grasse, d'Aramont, d'Aix, de Nice, &c. Mais comme les olives nouvellement cueillies rendent peu d'huile, ceux qui cherchent la quantité & non pas la bonté, les laissent quelque tems rouir sur le pavé, & ensuite les pressent. Cette seconde huile est d'un goût & d'une odeur bien moins agréable : il s'en tire néanmoins de moindre qualité, qui est l'huile commune ; elle se fait en jettant de l'eau bouillante sur le marc, & le repressant plus fortement.

Outre la Provence, le Languedoc, & la côte de la riviere de Gènes, où se recueillent les meilleures huiles d'olive, employées en France pour la salade & les fritures, il s'en fait encore quantité, mais de moindre qualité, dans le royaume de Naples, dans la Morée, dans quelques îles de l'Archipel, en Candie, en quelques lieux de la côte de Barbarie, dans l'île de Majorque, & dans quelques provinces d'Espagne & de Portugal. Les huiles d'olive les plus fines & les plus estimées, sont celles des environs de Grasse & de Nice ; celles d'Aramont, & celles d'Oneille, petit bourg des états du duc de Savoie, sur les côtes de la riviere de Gènes.

Quant à l'usage de l'huile d'olive, il est de la plus grande étendue, soit pour la Médecine, soit pour la Cuisine, soit pour quantité d'ouvrages où les ouvriers & artisans en ont besoin. Elle est émolliente, anodine, résolutive, détersive : elle fait la base de la composition des onguens : on l'emploie beaucoup dans les lavemens, & pour la cure des tumeurs inflammatoires.

Mais prévient-elle les accidens funestes de la morsure de la vipere, lorsqu'on a soin d'en oindre la partie ? C'est une question qui fit beaucoup de bruit en Angleterre & en France en 1736, sur ce que l'académie des Sciences de Paris & le public avoient été informés par plusieurs lettres de Londres, qu'un paysan anglois assuroit avoir trouvé un spécifique contre la morsure des viperes, dans l'application de l'huile d'olive : on disoit même que plusieurs expériences que ce paysan avoit faites sur lui & sur quelques animaux, en présence de personnes éclairées, confirmoient cette propriété de l'huile.

La matiere étoit trop importante, pour que l'académie n'en prît pas connoissance ; elle chargea donc MM. Geoffroy & Hunauld de vérifier si on pouvoit réellement regarder l'huile d'olive comme un remede propre à empêcher les effets terribles du venin de la vipere. Malheureusement leurs expériences répétées sur divers animaux avec beaucoup de soin, d'attention, & d'intelligence, ne justifierent point l'efficace du prétendu spécifique. Voyez leur mémoire à ce sujet, dans le recueil de l'académie des Sciences, année 1737. Il mérite d'autant mieux la curiosité des lecteurs, qu'il est accompagné de réflexions intéressantes, que leurs expériences leur ont donné occasion de faire sur cette matiere. (D.J.)

OLIVE, Pierre d ', (Hist. nat.) nom que quelques naturalistes ont donné à des pierres judaïques unies & lisses, c'est-à-dire, à des mamelons d'oursins pétrifiés, qui ont la forme d'une olive.

OLIVE, (Conchyliol.) autrement rouleau ou cylindre, est une coquille marine univalve, nommée ainsi pour sa figure, dont la bouche est toujours allongée : le sommet est quelquefois détaché du corps par un cercle, ou bien est couronné ; le fût est toujours uni.

Le caractere générique de l'olive, sans avoir égard à sa bouche, est d'avoir les deux extrêmités à-peu-près de même largeur, & celle d'en-bas toujours un peu moindre : sa tête n'est point séparée de son corps par une vive arrête, comme celle du cornet, ou de la volute ; elle suit le corps en s'arrondissant : il y a cependant des olives qui ont une couronne dentelée, & qui ne laissent pas d'avoir leur tête séparée du corps par une espece de vive arrête, ce qui pourroit embarrasser : alors c'est l'extrêmité d'en-bas, qui n'est jamais pointue comme celle du cornet, qui en détermine le caractere générique.

Ce testacée a les deux extrémités presque égales ; mais son corps est renflé dans le milieu, & sa bouche toujours allongée, est un peu relevée par le bas. Ses belles couleurs, ainsi que celles des cornets, ne forment point d'especes, mais seulement des variétés dans l'espece.

Balfour appelle les olives ulcombi, de même que les cornets ; en les distinguant seulement par des épithetes ; d'autres les ont appellés cylindroïdes, à cause de leur figure cylindrique, ou bien cylindrus capite, seu mucrone in altum edito. Les Hollandois nomment ces sortes de coquillages brunettes.

Rondelet a mis les olives dans une classe particuliere, ne sachant où les placer ; Aldrovandus qui l'a suivi en beaucoup de choses, en a fait autant.

Dans les diverses especes d'olives, on compte 1°. l'olive verte & marbrée ; 2°. l'olive de couleur d'agate bariolée par le bas ; 3°. le cylindre nommé porphyre ; 4°. l'olive noire ; 5°. la jaune ; 6°. la solitaire ; 7°. la bariolée & fasciée par le bas ; 8°. l'olive avec des caracteres de lettres ; 9°. la violette venant de Panama ; 10°. la blanche, marquée de lignes fauves ; 11°. celle dont le sommet est couronné ; 12°. la chagrinée, ponctuée de noir avec des taches jaunes ; 13°. la blanche, marbrée de taches brunes ; 14°. l'olive faite en zigzag, brune sur une couleur jaune.

Ce testacée est presque le même que le cornet, nonseulement pour la coquille, mais même pour l'animal qui y est logé. La seule forme extérieure de la coquille qui est renflée dans le milieu, & plus large dans la partie d'en-bas (ce qui la rend presque égale à la supérieure) lui a fait donner le nom d'olive de cylindre ou de rouleau. Cette coquille est souvent plus mince, & son ouverture est aussi plus large que celle du cornet, quoique l'opercule qui doit la couvrir, soit plus petit ; on le trouve à l'ordinaire au bout de la plaque ; la tête est plus détachée que celle du cornet ; mais la clavicule est ordinairement plus petite & plus plate, n'ayant que six spires, souvent dentelées par étages ; sa plaque est presque aussi longue que sa coquille ; quand elle veut marcher, elle sort quelquefois par le côté ; & d'autres fois elle en couvre une partie. La robe de l'olive peut disputer de beauté avec celle du cornet ; bariolée comme elle de taches jaunâtres sur un fond blanc, elle occasionne les compartimens les plus agréables. Hist. natur. éclaircie. (D.J.)

OLIVE, (Diete) voyez OLIVIER, Diete & Mat. médicale.

OLIVES, en Architecture, sont de petits grains oblongs, enfilés en maniere de chapelets, qui se taillent sur différentes moulures, mais particulierement sur les baguettes des astragales.

OLIVE, en terme de Boutonnier, c'est un ouvrage en bois tourné & paré dans le milieu, que l'on couvre diversement pour faire des boutons aux surtous pour la campagne, ou qui servent d'arrêt aux crémaillées de carrosses. On l'appelle olive, à cause de la ressemblance qu'elle a avec le fruit de ce nom.

OLIVES, (Maréchall.) sorte d'embouchure : olives à couplet.


OLIVENÇA(Géog.) forte & importante ville de Portugal dans l'Alentéjo. Les Espagnols la prirent en 1658, & la rendirent aux Portugais par le traité de Lisbonne, en 1668 : elle est dans une plaine, proche la Guadiana, à six lieues S. d'Elvas, 16 E. d'Evora. Long. 11. 12. lat. 38. 28.


OLIVERO(Géog.) riviere de Sicile, dans la côte septentrionale de la vallée de Démona ; elle se jette dans la mer de Sicile, près de Tindaro. (D.J.)


OLIVETTESS. f. (Jouaillerie) fausses perles, ou rasades, de la figure d'une olive, dont on fait commerce avec les negres du Sénégal : elles sont ordinairement blanches.

OLIVETTE, (Danse) sorte de danse de campagne, qu'on fait en courant les uns après les autres. On serpente pour cela autour de trois arbres, ou de trois autres points fixes que l'on marque exprès.


OLIVIERS. m. olea, (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur monopétale, en forme d'entonnoir, & divisée le plus souvent en quatre parties. Il sort du calice un pistil qui est attaché comme un clou à la partie inférieure de la fleur, & qui devient dans la suite un fruit ovoïde, mou, & plein de suc, qui renferme un noyau oblong, dans lequel il y a une amande de la même forme. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

OLIVIER, olea, (Jardinage) arbre toujours verd, de moyenne grandeur, qui vient naturellement dans les contrées maritimes & méridionales de l'Europe : il s'en trouve aussi en Afrique & dans la partie la plus chaude de l'Amérique septentrionale. L'olivier s'éleve peu en France, mais il fait un bel arbre en Espagne & en Italie. Sa tige est courte, noueuse, & de médiocre grosseur : il donne beaucoup de rejettons au pié, & il fait une grande quantité de racines qui s'étendent au loin ; son écorce est lisse, unie, & de couleur de cendre ; ses feuilles sont dures, épaisses, luisantes, d'un verd brun en-dessus, & blanches en-dessous ; mais plus ou moins longues, suivant les especes. Elles sont entieres, sans dentelures, & opposées sur les branches ; l'arbre donne ses fleurs aux mois de Mai & Juin ; elles viennent en grappes, & elles sont d'une couleur herbacée un peu jaunâtre. Le fruit qui les remplace est ovale, charnu, plus ou moins gros, & allongé suivant les especes : dans l'intérieur de l'olive, se trouve un noyau très-dur & de la même forme, qui est divisé en deux loges propres à contenir autant de semences ; mais il ne s'y en trouve jamais qu'une. Ce fruit n'est en maturité que tout à la fin de l'automne. Il faut à l'olivier un climat d'une grande température ; la Provence & le Languedoc sont les seules provinces du royaume où on puisse le cultiver avec succès pour en tirer du profit. Tout ce qu'on peut faire dans les autres provinces, c'est d'en avoir quelques plants dans les jardins pour la curiosité. Si on les met contre un mur en espalier, dans un terrein leger, à une bonne exposition, ils s'y soutiendront pour l'ordinaire, & donneront quelques fruits dans les années favorables. Mais dans les pays où l'olivier vient en plein air, il lui faut une terre noire, ou une terre franche mêlée de gravier, ou une terre à froment ; & en général toutes les bonnes terres lui sont propres, pourvu qu'elles soient meubles, legeres, & chaudes. Celles au contraire qui sont grasses, argilleuses & humides, ne lui sont point convenables ; ce n'est pas que cet arbre ne puisse y réussir ; mais les fruits qu'il y rapporte en grande quantité étant trop nourris & trop crûs, l'huile grasse qui en provient est sujette à s'altérer, malgré toutes les précautions que l'on puisse prendre. Il paroît qu'on commence à être d'accord sur le terrein le plus convenable au progrès des oliviers, & à procurer une huile qui soit en même tems de bonne qualité & de garde ; c'est une terre mêlée de cailloux ; les fruits qui y viennent sont les mieux qualifiés.

On peut multiplier l'olivier de plusieurs façons : de semence, de boutures, de branche couchée, de rejets enracinés pris au pié des vieux arbres, par la greffe & par les racines. Mais de toutes ces méthodes, la plus usitée est de se servir des rejettons que l'on trouve au pié des oliviers les plus sains, les plus vigoureux, & des meilleures especes. On les éclate avec la pioche, & ces sortes de plants réussissent assez bien, quoiqu'ils soient souvent fort mal enracinés. Il faut que les rejettons que l'on veut planter soient d'une écorce unie, vive, luisante, & sans branches, & qu'ils n'ayent qu'un pié & demi de hauteur. La plantation s'en doit faire depuis le commencement de Novembre jusqu'à la fin de Mars : on les mettra en pepiniere dans des trous à trois piés les uns des autres, dont le fond sera garni de fumier de vache ou de brebis délayé dans de l'eau ; & on achevera d'emplir le trou de bonne terre mêlée de fumier bien pourri, bien brisé, & bien gras. On recouvrira le tout de trois doigts d'épaisseur d'une terre meuble, ou même de sable, afin d'empêcher que le terrein ne se durcisse & ne se gerse. Si ces plants sont bien conduits & bien soignés, ils seront en état d'être transplantés à demeure au bout de trois ans. Cette méthode est en effet la plus sûre, la plus facile, & la plus courte.

Pour multiplier l'olivier de semence, on prend des noyaux d'olives bien mûres, que l'on dépouille de la pulpe qui les couvre, & on les seme au mois de Mars dans une terre meuble & legere à une bonne exposition. On les arrose pendant l'été au-moins deux fois par semaine : on les couvre pendant l'hiver de paillassons, sous lesquels ils levent peu-à-peu depuis la fin du mois de Novembre jusqu'en Mars. En deux ans les jeunes plants deviennent assez forts pour être transplantés dans la pepiniere où ils doivent être greffés.

Si l'on veut élever cet arbre de bouture, on prend sur les meilleures especes d'olivier des branches fortes & vigoureuses, de la grosseur au-moins du manche d'une pioche. Le printems est la saison la plus convenable pour cette opération, qu'il faut faire, autant qu'il est possible, au moment que la séve commence à se mettre en mouvement. On coupera ces boutures de huit à neuf pouces de longueur ; on en couvrira chaque extrémité d'un mastic composé de cire & de poix pour les garantir de la trop grande humidité ; ensuite on enduira les boutures de toutes parts de fumier de vache, ou de crotin détrempé dans l'eau pour les disposer à s'unir avec la terre ; puis on les mettra dans les trous qui auront été préparés & que l'on emplira de terre, mêlée de bon fumier, ensorte que le dessus de la bouture se trouve de niveau avec le sol, mais on recouvrira le tout de trois ou quatre doigts de terre légere & sablonneuse ; ce qui entretiendra la fraîcheur, & n'empêchera point les rejets que fera la bouture, de percer à-travers la terre.

Pour faire venir l'olivier de marcotte, on couche au mois d'Avril les branches qui sont à portée de terre. Sur la façon de faire cette opération, voyez le mot MARCOTTER.

A l'égard de la greffe, on s'en sert pour mettre les bonnes especes sur les sauvageons venus de semence. On ne peut les greffer que la seconde année après qu'ils ont été mis en pepiniere. La greffe en flûte est la méthode la plus sûre & la plus expéditive dont on puisse se servir. Elle se fait à la fin d'Avril ou au commencement de Mai. Cependant on peut aussi employer la greffe en écusson : on cueille dès l'hiver les branches dont on veut tirer les écussons, on les conserve en les tenant dans la terre à l'ombre ; & on les fait à la pousse, lorsque les oliviers sont en fleur & en pleine séve. Trois ans après, les plants greffés seront en état d'être transplantés à demeure.

On peut encore multiplier cet arbre, en plantant de médiocres racines, après les avoir arrachées au pié des vieux oliviers : mais cet expédient étant fort long & fort incertain, n'est pas en usage.

Le printems est la saison la plus convenable pour la transplantation des oliviers : il faut, autant qu'il est possible, les enlever avec la motte de terre, & on ne sauroit trop répéter qu'il leur faut dans ce tems-là des engrais & des arrosemens, & que leur succès dépendra principalement du soin que l'on aura eu de les mettre dans une terre meuble, légere & active. On plante ces arbres à vingt-cinq ou trente piés de distance selon la qualité du terrein, & par rangées fort éloignées les unes des autres, afin qu'on puisse cultiver les intervalles en nature de vigne ou de terres à blé. L'olivier peut se passer de culture, mais dans ce cas il ne donne que de petits fruits, en moindre quantité & de peu de qualité. Il faut donc le tenir en culture, &, lorsqu'il devient paresseux ou languissant, on y remédie en remuant à leur pié une surface de terre de cinq ou six pouces d'épaisseur, que l'on amende avec les engrais convenables à la qualité du terrein ; ou bien en y mettant au lieu de fumier des terres brûlées, qui donnent de la vigueur aux arbres sans altérer la qualité du fruit. La taille des oliviers exige peu de talent : elle consiste à retrancher le bois mort, les branches gourmandes, celles qui nuisent, qui se chiffonnent, qui s'élancent trop, &c.

Cet arbre est d'une longue vie, d'une grande fertilité, & d'un accroissement uniforme ; il reprend promptement, il lui faut peu de culture, & il se multiplie fort aisément. Mais il n'est d'aucune ressource pour l'agrément : il a l'apparence d'un saule. Aussi ne le cultive-t-on que pour l'utilité de son fruit : rien de plus connu que le service que l'on tire des olives. On en fait une huile qui sert à la table, à la cuisine, aux savonneries, à la Pharmacie, à brûler, & à quantité d'autres usages. Voyez le mot HUILE. On confit aussi une grande quantité d'olives. Voyez OLIVE.

Le bois d'olivier est dur, noueux, tortu, & peu solide ; néanmoins ce bois étant jaunâtre, ondé, veiné & singulierement varié à l'endroit des nodosités, il est fort beau & très-recherché par les Ebénistes & les Tabletiers, parce qu'il prend un beau poli. Mais comme il y a de l'inégalité dans l'adhérence des couches ligneuses, & qu'il arrive souvent qu'une partie du bois se sépare de l'autre comme si elle avoit été mal collée, c'est ce qui empêche de l'employer aux ouvrages de menuiserie : ce bois est aussi bon à brûler lorsqu'il est verd que quand il est sec.

En semant les olives sous des climats & dans des terreins différens, on a acquis une quantité de variétés, parmi lesquelles on cultive de préférence dans les pays chauds, celles dont les olives sont propres à donner une huile fine, celles qui sont propres à confire, & celles qui rapportent beaucoup de fruit : voici les especes les plus connues.

1. L'olivier sauvage. Ses feuilles sont dures, épaisses, & des plus blanches en-dessous ; il vient naturellement sur les montagnes des pays chauds, & il donne peu de fruit qui est fort petit, desorte que quoique l'huile en soit très-fine, elle ne dédommage pas de la peine d'aller chercher les olives de cette espece.

2. L'olivier à petit fruit long, ou l'olive picholine, c'est l'une des plus estimées pour confire.

3. L'olivier à petit fruit rond, ou l'aglaudan, ou la caïanne, c'est l'olive qui donne l'huile la plus fine.

4. L'olivier à gros fruit long, ou la laurine. Cette olive est relevée de bosses, elle donne de bonne huile & elle est encore meilleure à confire.

5. L'olivier à fruit ressemblant à celui du cornouailler ou le corniau.

6. L'olivier à gros fruit arrondi, ou l'ampoullau.

7. L'olivier précoce à fruit rond, ou le moureau.

Ces trois dernieres especes sont fort reputées pour l'huile fine.

8. L'olivier à très-gros fruit, ou l'olivier d'Espagne. C'est la plus grosse & la plus amere de toutes les olives.

9. L'olivier sauvage d'Espagne. La pointe de son fruit est tronquée.

10. L'olivier de Luques. Son fruit est odorant.

11. L'olivier à feuilles de buis. Ces deux dernieres especes sont les plus robustes, & celles qui peuvent le mieux reussir en plein air, dans la partie septentrionale du royaume.

12. Le grand olivier franc, ou l'amélou. Son fruit est de la forme d'une amande.

13. L'olivier à fruit long d'un verd foncé.

14. L'olivier à fruit blanc.

15. L'olivier à gros fruit très-charnu, ou l'olivier royal.

16. L'olivier à fruit rond très-verd, ou le verdale.

17. L'olivier à fruit en grappes, ou le bouteillau.

18. L'olivier à petit fruit rond, panaché de rouge & de noir, ou le pigau.

19. L'olivier à petit fruit rond & noirâtre, ou le salierne.

Les sept dernieres especes donnent beaucoup de fruit, & ne sont propres la plûpart qu'à faire une huile fort commune.

OLIVIER, (Mat. médic. & Diete) quoique quelques auteurs recommandent les feuilles de cet arbre comme astringentes, & principalement utiles dans les gargarismes, &c. cependant ce n'est que son fruit, que l'olive, qui mérite proprement l'attention des Médecins, comme objet diététique & pharmaceutique.

La chair de l'olive qui a reçu à-peu-près tout son accroissement, mais qui est encore verte, contient une quantité considérable d'huile grasse & une matiere extractive d'un goût acerbe, amer, & mêlé d'un peu d'acidité. Les olives mûres contiennent les deux mêmes substances, qui different seulement en ce que l'huile est plus douce & plus abondante, & que la matiere extractive ne contient plus d'acide nud sensible au goût ; les olives mûres contiennent de plus une matiere colorante, noîratre, déposée dans leur peau.

L'huile grasse & la matiere extractive renfermées pêle-mêle dans la chair des olives, sont immiscibles ou réciproquement insolubles, ensorte que, lorsqu'on en retire l'huile par le moyen de l'expression, (voyez EXPRESSION & HUILE PAR EXPRESSION, sous le mot HUILE,) elle n'entraîne pas un seul atôme de la matiere extractive, elle ne participe en rien de ses qualités, & que réciproquement, lorsqu'on applique aux olives le menstrue propre de la matiere extractive, savoir l'eau, on en retire ce principe exempt de tout mêlange d'huile.

L'huile retirée des olives très-vertes à laquelle les anciens ont donné le nom d'omphacine, contient seulement un peu d'acide nud qu'elle manifeste par un léger goût de verdeur ; mais il n'est pas clair qu'elle emprunte cet acide du suc extractif, quoiqu'il soit aigrelet aussi. Ce principe peut appartenir à sa substance mucilagineuse, qui dans cette supposition passeroit par un état d'immaturité ou d'acidité surabondante avant de parvenir à cet état de combinaison plus parfaite qui constitue la maturité. Quoi qu'il en soit, l'huile omphacine qu'on peut véritablement appeller verte, annonce assez par sa nature les propriétés que lui attribue Dioscoride, d'être astringente, fortifiante, réfrigérante, dessicative.

L'huile des olives presque mûres est aussi douce & moins grasse que celle des olives absolument mûres. Les meilleures huiles de Provence sont retirées des olives dans cet état, & enfin les olives parfaitement mûres donnent peut-être un peu plus d'huile, mais elle est moins fine, c'est-à-dire moins fluide, plus unguineuse que celle que fournissent les olives moins mûres.

L'eau appliquée même à froid aux olives, soit vertes, soit mûres, en enleve parfaitement la matiere extractive qui est, comme nous l'avons déja insinué, l'unique principe de leur goût insupportable avant cette extraction.

Toutes les préparations des olives pour l'usage de nos tables tendent à enlever cet extrait.

Les olives confites ne sont donc autre chose que ces fruits convenablement épuisés de leur matiere extractive, & assaisonnés avec suffisante quantité de sel ressous ou de saumure, & quelques matieres aromatiques, comme le fenouil, le bois de rose, &c.

Cette préparation des olives est très-ancienne, Columelle & Palladius ont décrit plusieurs manieres de les confire. Nos olives confites mangées crues donnent de l'appétit & paroissent fortifier la digestion. L'auteur de cet article, qui est d'un pays où elles sont fort communes, & où les gens de tous les états en mangent beaucoup, soit seules, soit au milieu des repas avec d'autres alimens, n'en a jamais apperçu aucun mauvais effet dans les sujets ordinaires, c'est-à-dire à-peu-près sains. Elles causent quelquefois la soif, comme tous les autres alimens salés, lorsqu'on en mange avec un certain excès ; mais cette soif n'est point accompagnée d'un épaississement incommode de la salive, ni de rapports, ni d'astriction dans le palais & dans la gorge, en un mot c'est une soif simple & sans indigestion qu'on calme aisément en avalant quelques verres d'eau pure, ou d'eau & de vin. Cet accident suffit pourtant pour en interdire l'usage aux personnes qui sont sujettes aux digestions fongueuses, aux ardeurs d'entrailles, à la toux stomachale, en un mot à toutes celles qu'il ne faut point risquer d'échauffer.

Au reste, ce que nous venons de dire de l'usage diététique des olives, ne convient qu'à celles qui sont récentes ou bien conservées ; car même les mieux confites s'alterent en vieillissant, deviennent molles, huileuses, rances ; elles doivent être rejettées quand elles sont dans cet état comme généralement malfaisantes ; cette corruption arrive plus souvent, plus tôt, & parvient à un plus haut degré dans les olives qui sont confites étant mûres. Aussi celles-là sont-elles moins estimées, & sont-elles entierement consumées dans les pays où on les recueille. On mange aussi les olives cuites avec différentes viandes, & sur-tout les viandes noires, qu'elles assaisonnent d'une maniere agréable & salutaire. Elles sont pourtant moins saines dans cet état, surtout lorsqu'on les a fait cuire long-tems, que lorsqu'on les mange crues.

L'huile d'olive ordinaire, c'est-à-dire celle qui retirée des olives mûres ou presque mûres, est dans l'usage diététique l'huile grasse par excellence. Tout le monde sait combien son usage est étendu pour les salades & pour les fritures : on l'emploie outre cela dans les pays où on cultive l'olivier, & où le beurre est communément fort rare, à tous les usages auxquels le beurre est employé dans les pays où il est commun. L'huile d'olive est par conséquent une de ces matieres qui devient par l'habitude si familiere à tous les sujets, qu'il est inutile d'établir des regles de diete sur son usage. Il est observé cependant, même dans les pays à huile, que plusieurs personnes ne sauroient absolument la supporter. Mais il n'y a point de signe auquel on puisse reconnoître d'avance de pareils sujets. La seule regle de régime qu'il faille donc établir sur cet objet, c'est d'interdire l'huile à ceux qui ne peuvent en supporter l'usage. Ses mauvais effets sont des rapports rances & presque corrosifs, une soif ardente, des chaleurs d'entrailles, une petite toux importune, le tenesme, des échauboulures, & autres éruptions cutanées, &c. Les boissons acidules, sucrées, telles que la limonade, les émulsions, le bouillon à la reine, (voyez EMULSION & OEUF), sont le remede immédiat & prochain de ces accidens ; & la seule maniere d'en empêcher le retour, c'est d'en supprimer la cause, de renoncer à l'huile.

L'usage pharmaceutique de l'huile d'olive, tant pour l'intérieur que pour l'extérieur, tant pour les prescriptions magistrales que pour les compositions officinales, n'a absolument rien de particulier. Voyez ce que nous avons dit des vertus médicinales & des usages pharmaceutiques des huiles grasses en général à l'article HUILE.

C'est presque uniquement l'huile d'olive qu'on emploie en Pharmacie pour la composition des huiles par infusion & par décoction. Voyez à l'article HUILE, ce qui concerne les huiles par infusion & par décoction.

Les anciens athletes étoient dans l'usage de se préparer à la lutte en se faisant frotter tout le corps avec de l'huile d'olive. Ils se rouloient ensuite dans le sable, ce qui formoit sur leur corps une croûte ou couche légere, qui étoit ensuite pénétrée par la sueur pendant l'exercice. Cette croûte qu'ils faisoient enlever de dessus leur corps après l'exercice, & à laquelle ils donnoient le nom de strigmentum, étoit un remede que Dioscoride a vanté dans plusieurs maladies (extérieures à la vérité), & qui avoient tant de débit du tems de Pline, que selon cet auteur le produit des strigmenta faisoit un revenu considérable. Nous avons proposé quelques considérations sur l'usage de s'enduire le corps de matieres onctueuses à l'article ONGUENT. Voyez cet article. L'immersion du corps entier, ou des membres inférieurs & d'une partie du tronc, c'est-à-dire le bain & le demi-bain d'huile sont encore des pratiques suivies par quelques médecins, sur-tout dans les coliques néfrétiques & les rétentions d'urine. La théorie la plus vraisemblable de l'action des bains n'est rien moins que favorable à ce singulier remede, dont l'efficacité n'est point établie d'ailleurs par des observations suffisantes. (b)

OLIVIERS, montagne des, (Géog.) montagne ou côteau de la Palestine, à l'orient de Jérusalem, dont elle est séparée seulement par le torrent de Cédron & par la vallée de Josaphat. Josephe la met éloignée de Jérusalem de 5 stades, qui font 625 pas géométriques, ou de la longueur du chemin d'un jour de sabbat, dit saint Luc, Act. I. v. 12. C'est sur cette montagne que Salomon bâtit des temples aux dieux des Ammonites & des Moabites pour plaire à ses concubines, de-là vient que cette montagne est nommée (IV. Reg. xxiij. 13.) la montagne de corruption ou la montagne de scandale, comme porte la vulgate. Du tems du roi Osias, le mont des oliviers fut en partie éboulé par un tremblement de terre.


OLKUS(Géog.) ville de Pologne, dans un pays de montagnes, & à 6 lieues de Cracovie ; cette ville est renommée par les mines d'argent & de plomb, qui sont en abondance aux environs de son territoire : le produit s'en partage entre le roi, le palatin, & l'évêque. Long. 38. 6. lat. 50. 10.


OLLA(Critiq. sacr.) ce mot latin de la vulgate, signifie au propre une marmite, un pot de terre ; mors in olla, un poison mortel est dans le pot, IV. Reg. xl. 40. Il se prend métaphoriquement. Moab, olla spei meae, Ps. l. 20. Moab est le fondement de mon espérance. Il designe encore figurément des ennemis transportés de fureur : ollam succensam ego video. Jérem. j. 13. Je vois une chaudiere bouillante : cette chaudiere désigne Nabuchodonosor. (D.J.)


OLLAIREPIERRE, (Hist. nat. Minéral.) lapis ollaris, lapis lebetum, nom générique donné par les Naturalistes à des pierres douces & savonneuses au toucher, qui ont la propriété de se sculpter ou de se travailler aisément, & de prendre au tour la forme des vaisseaux qu'on veut leur donner. Elles ont cependant une certaine dureté qui augmente lorsqu'on les met dans le feu ; ces pierres varient pour la couleur & la dureté, leur figure est irréguliere & indéterminée, elle ne se divise point par feuillets. Ces pierres resistent à l'action du feu qui ne les change point en chaux ni en verre, c'est pourquoi quelques auteurs les placent au rang de pierres apyres.

Wallerius compte cinq especes de pierres ollaires ; 1°. la serpentine ; 2°. la pierre ollaire compacte qui prend le poli & que les auteurs ont appellé lapis colubrinus, elle est grasse au toucher ; 3°. la pierre ollaire tendre grisâtre ; 4°. la pierre ollaire dure noirâtre, mêlée de particules talqueuses ou de mica ; 5°. la pierre ollaire tendre & friable, noire, que l'on nomme aussi talcum nigrum, ou ollaris pictorius. Voyez la Minéralogie de Wallerius, tome I.

M. Wallerius regarde la pierre ollaire comme de la nature du talc ; mais le célebre M. Pott croit qu'elle est argilleuse, à cause de la propriété qu'elle a de se durcir dans le feu. Il met la stéatite ou pierre de lard au rang des pierres ollaires ainsi que la pierre de côme & celle qu'on appelle lavezzes. Voyez Lithogéognosie, tom. I. & Voyez LAVEZZES, EATITETITE. (-)


OLLURES. f. (Mégisserie) c'est une espece de tablier de gros cuir, appellé aussi tablier de riviere, que les Mégissiers mettent devant eux pour garantir leurs hardes. Voyez les figures du Mégissier.


OLMIUM(Géog. anc.) ville de l'Asie mineure dans la dépendance d'Ephese ; c'est aussi, selon Etienne le géographe, une ville de Grèce dans la Béotie, & qui étoit arrosée par une riviere nommée Olmus. Cette riviere avoit sa source dans le mont Hélicon, & les Muses s'y baignoient, ainsi que dans le Permesse ou dans l'Hippocrène. (D.J.)


OLMUTZ(Géogr.) forte ville de Bohème dans la Moravie, avec un évêché suffragant de Prague. Brinn lui dispute le titre de capitale. Elle est commerçante, peuplée, & située sur la Morave, à 7 milles de Brinn, à 20 lieues de Vienne, à 30 de Cracovie, & dans un pays plat. Les interpretes de Ptolomée croient que c'est l'Eburum de ce géographe ; l'évêque est seigneur spirituel & temporel de la ville ; son siége fut fondé par saint Cyrille, qui vivoit en 889, selon Dubravius. Long. 35. 10. lat. 49. 30. (D.J.)


OLONES. f. (Toilerie) petite olone & locrenau, sortes de toiles propres à faire des voiles de vaisseaux, qui se fabriquent en quantité dans plusieurs endroits de la Bretagne.


OLONITZ(Géog.) ville de l'empire russien, renommée par ses mines de fer & par ses eaux minérales, que Pierre-le-Grand a mises en réputation. Elle est entre le lac Ladoga à l'ouest, & celui d'Onega à l'est. Long. 51. 55. lat. 61. 26.


OLOOSSON(Géog. anc.) ville ancienne de la Thessalie ou de la Perrhébie. Homere, Iliad. B. v. 738, la surnomme la blanche, c'est, dit Strabon, à cause de la blancheur de l'argile dont son terroir est couvert.


OLOPHYXOS(Géog. anc.) ville de Thrace, auprès du mont Athos. Hérodote, l. VII. & Pline, liv. IV. chap. xj. en font mention ; Thucydide, l. IV. en parle aussi, & dit que cette ville & celles du voisinage, étoient habitées par des peuples barbares, qui parloient deux langues, apparemment la grecque & celle de l'Asie.


OLPES(Géog. anc.) Olpa au singulier, ou Olpae au pluriel, car Thucydide employe l'un & l'autre, ville ou forteresse de Grèce dans l'Acarnanie, éloignée de la ville maritime des habitans d'Argos d'environ 25 stades, c'est-à-dire environ trois quarts de lieue.


OLSS(Géog.) forte ville de la basse Silésie, avec titre de principauté, dont les princes sont de la maison de Wirtemberg. Elle est à quatre milles N. E. de Breslaw. Long. 34. 55. lat. 51. 20.


OLTEN(Géog.) petite ville de Suisse, au canton de Soleurre, capitale d'un bailliage. Elle est sur la Dieunere, où l'on pêche des écrevisses naturellement rouges. Long. 25. 10. lat. 47. 20.


OLULIS(Géog. anc.) ancienne ville de l'île de Crète ; c'est aussi une ancienne ville de Sicile dans sa partie occidentale, selon Ptolémée, l. III. c. iv. & ses interpretes veulent que ce soit présentement Soruuto.


OLUROS(Géog. anc.) ville ancienne du Péloponnèse, dans l'Achaïe propre ; c'étoit un château élevé pour la sureté de la ville de Pellene : Oluros Pellenorum castellum, dit Pline, liv. IV. chap. v.


OLYMPE(Géog. anc.) Olympus, ce nom étoit commun à deux ou trois villes, à un promontoire, & à plusieurs montagnes : je commence par les villes.

1°. Olympus étoit une ville d'Asie dans la Pamphylie ; 2°. c'étoit encore une ville d'Asie dans la Lycie, selon Ptolémée, liv. V. chap. iij.

Olympus promontoire étoit dans l'île de Chypre, selon Strabon cité par Ortelius : passons aux montagnes de ce nom.

1°. Olympe montagne de la Macédoine que Ptolémée fait de 40 minutes plus orientale que le mont Ossa ; c'est moins une montagne qu'une chaîne de montagnes entre la Pierie & la Pélasgiotide. Homere dit que c'est la demeure de Jupiter & des dieux, & qu'il n'y a point de nues au-dessus : son nom moderne est Lacha.

Brown qui a été dans ce siecle sur cette montagne, n'y vit point de neige en Septembre, au-lieu qu'il y en a toujours sur le sommet des Alpes aussi-bien que sur le haut des Pyrénées & des monts Krapacks ; cependant cette montagne est apperçue de fort loin, même à la distance d'environ 24 lieues. L'étendue qu'elle a, principalement d'orient en occident, fait que les habitans qui sont au pié de ce mont du côté du nord & du midi, ont une température d'air aussi différente que s'ils vivoient dans des pays fort éloignés. Lucain le remarque dans sa Pharsale, liv. VI. v. 341.

Nec metuens imi borean habitator Olympi

Lucentem totis ignorat noctibus arcton.

C'est après quelque séjour au pié de cette montagne que Paul Emile, consul romain, défit le roi Persée, & se rendit maître de la Macédoine. Lorsque le roi Antiochus assiégea la ville de Larisse, Appius Claudius lui fit lever le siége par le moyen de plusieurs grands feux qu'il alluma sur une partie du mont Olympe. Antiochus, à la vûe de ces feux se retira, dans l'idée que toutes les forces des Romains alloient fondre sur lui.

Ovide & Properce placent le mont Ossa entre le Pélion & l'Olympe ; Horace met le Pélion sur l'Olympe ; Virgile dispose encore ces trois montagnes d'une maniere différente : les Poëtes ne sont point obligés de peindre les lieux en Géographes.

2°. Je doute que le mont Olympe, mis par Ptolémée en Thessalie, soit différent du mont Olympe de la Macédoine.

3°. Le mont Olympe étoit encore une montagne du Péloponnèse, dans l'Elide.

4°. Polybe parle d'un mont Olympe, ou plutôt d'une colline de ce nom, aux confins de l'Arcadie & de la Laconie.

5°. Pline, liv. V. ch. xxxij. met un mont Olympe dans l'île de Lesbos, & un autre dans la Lycie.

6°. Athenée parle d'un mont Olympe dans la Lydie.

7°. Il y a un mont Olympe en Mysie. Méla y met la source du Rhyndacus. Ce mont Olympe de Mysie est décrit par Tournefort dans son voyage du Levant. " C'est, dit-il, une horrible chaîne de montagnes, à l'approche desquelles on ne voit que des chênes, des pins, du thym de Crète, du ciste ladanifere, &c. Après trois heures de marche sur cette montagne, on ne voit que des sapins & de la neige. Les hêtres, les charmes, les trembles, les noisettiers n'y sont pas rares ". C'est près de ce mont Olympe que les Gaulois furent taillés en pieces par Manlius, qui se vangea sur eux des maux que leurs peres avoient faits en Italie.

8°. Le mont Olympe, surnommé Triphylien, est une autre montagne de l'île Panchea dans l'Océan, près de l'Arabie heureuse.

9°. Enfin les Géographes parlent encore d'un mont Olympe dans l'île de Cypre.

M. Huet prétend que l'étymologie du mot Olympe, est la même que des mots Albes, Albion, Alben, &c. si son idée n'est pas vraie, elle est du-moins ingénieuse. (D.J.)

OLYMPE, s. m. (Mythol.) l'Olympe n'est point une montagne dans les écrits des Poëtes, c'est l'empirée, c'est le ciel, c'est le séjour des dieux ; Claudien en a fait la peinture dans ces deux beaux vers.

Celsior exsurgit pluviis, auditque ruentes

Sub pedibus nimbos, & rauca tonitrua calcat.

Aussi quand vous lisez dans Virgile, que Jupiter gouverne l'Olympe, regit Olympum, cela signifie qu'il regne souverainement dans le ciel. Comme il y avoit sur le mont Olympe une forteresse que des brigands, qu'on nomma géants, assiegerent, la fable dit qu'ils avoient escaladé le ciel.

Il y a dans le recueil de l'académie des Inscriptions tom. XXV. un mémoire de M. de Mairan, pour justifier la conjecture, que la fable de Jupiter & des dieux tenant leur conseil sur l'Olympe, tiroit son origine d'une aurore boréale que les Grecs avoient vûe. Je ne puis croire cette théorie mythologique bien fondée, mais elle est rendue avec beaucoup d'esprit & d'ornemens. (D.J.)


OLYMPIADES. f. (Chronolog.) espace de 4 ans révolus, qui servoit aux Grecs à compter leurs années. Lorsqu'Ovide dit quinquennis olympias, c'est une expression badine, par laquelle il a voulu désigner un lustre ou une espace de 5 ans. Ce poëte venoit de traverser la Grece pour se rendre au lieu de son exil, & en conséquence il a voulu réunir plaisamment les deux manieres de compter des Grecs & des Romains. Il auroit pu dire aussi bien lustrum quadrinum, pour signifier une olympiade.

La maniere de supputer le tems par olympiade, tiroit son origine de l'institution des jeux olympiques, qu'on célébroit tous les 4 ans durant 5 jours, vers le solstice d'été, sur les bords du fleuve Alphée auprès d'Olympie ville d'Elide. Ces jeux furent institués par Hercule en l'honneur de Jupiter, l'an 2886 du monde ; & ils furent rétablis par Iphitus roi d'Elide, 372 ans après.

La premiere olympiade commença l'an 3938 de la période Julienne, l'an 3208 de la création, 505 ans après la prise de Troie, 776 avant la naissance de J. C. & 24 ans avant la fondation de Rome. Voici donc comme l'on s'exprime dans la chronologie. Romulus est né la seconde année de la seconde olympiade : le temple de Delphes fut brûlé la premiere année de la cinquante-huitieme olympiade : la bataille de Marathon se donna la troisieme année de la soixante-douzieme olympiade. On ne trouve plus aucune supputation des années par les olympiades, après la quatre cent-quatrieme qui finit à l'an 440 de l'ere vulgaire.

La Grece tira ses époques des olympiades, & on ne compta plus que par olympiade. Les savans ont des obligations infinies à cette époque, qui répandit la clarté dans le chaos de l'histoire ; mais personne n'a témoigné aux olympiades sa reconnoissance avec plus d'affection, que Scaliger. Il leur fait un fort joli compliment pour un homme qui n'en faisoit guere. " Je vous salue, dit-il, divines olympiades, sacrés dépositaires de la vérité ; vous servez à réprimer l'audacieuse témérité des chronologues : c'est par vous que la lumiere s'est répandue dans l'histoire ; sans vous combien de vérités seroient ensévelies dans les ténébres de l'ignorance ? Enfin je vous adresse mes hommages, parce que c'est par votre moyen que nous savons avec certitude, les choses mêmes qui se sont passées dans les tems les plus éloignés ". Salve, veneranda olympias, custos temporum, vindex veritatis historiae, fraenatrix fanaticae chronologorum licentiae, &c. (D.J.)


OLYMPIE(Géog. anc.) ville du Péloponnèse dans l'Elide auprès de l'Alphée. Jupiter y avoit un temple masqué par un bois d'oliviers, dans lequel étoit le stade, ou le lieu destiné à la course.

Olympie fut d'abord célebre par les oracles qu'y rendoit Jupiter olympien. Après qu'ils eurent cessé, le temple devint plus fameux que jamais par le concours des peuples qui s'assembloient pour voir les jeux & le couronnement des vainqueurs. La statue qui représentoit Jupiter étoit l'ouvrage de Phidias ; le dieu étoit assis, mais si grand que sa tête touchoit presque au haut du temple, & qu'il sembloit qu'en se levant il devoit emporter le comble de l'édifice. Etienne le géographe dit qu'Olympie s'appelloit anciennement Pise, Pisa ; & en effet, Strabon ainsi que Polybe, appellent les habitans d'Olympie, Pisei, & la contrée Piseus ager ou terra Pisatis. Pausanias dit que les Eléens détruisirent Pise de fond en comble, & qu'on avoit planté des vignes sur son sol. (D.J.)


OLYMPIENadj. (Gram. Mythol.) Jupiter olympien, ou adoré à Olympe, ou souverain de l'olympe. Les dieux olympiens ou dieux consentes, étoient au nombre de douze, six dieux & six déesses. On les appelloit simplement les douze. Capella ne compte point Jupiter parmi les dieux consentes ou olympiens : il le met hors de rang, au-dessus de tous.


OLYMPIEUM(Géog. anc.) lieu particulier de l'île de Délos, où s'étoit établie une colonie d'athéniens. Cet établissement est prouvé par quelques inscriptions de Gruter.


OLYMPION(Géog. anc.) ville du Péloponnèse près de Corinthe, remarquable par le tombeau d'Eupolis, l'un des plus distingués de l'ancienne comédie grecque, & qu'Horace met dans la compagnie de Cratinus & d'Aristophane.


OLYMPIONIQUES. m. (Gymnastiq.) vainqueur aux jeux olympiques ; ils étoient singulierement honorés dans leur patrie. Les Athéniens surtout faisoient tant de dépense en présens aux olympioniques leurs compatriotes, que Solon crut devoir y mettre des bornes. Sa loi portoit que la ville ne pourroit leur donner que cinq cent drachmes d'argent, ce qui fait seulement monnoie d'Angleterre, dix-sept livres sterlings, trois schellings, neuf sols, en comptant avec le docteur Bernard, les cent dragmes attiques, sur le pié de trois livres sterlings, huit schellings, neuf sols. (D.J.)


OLYMPIQUESJEUX, (Littér. grecq. & rom.) les plus fameux, les plus solemnels, & peut-être les plus anciens jeux de la Grece, étoient les jeux olympiques, qui se célébroient tous les 4 ans à Olympie ville d'Elide dans le Péloponnèse. Quoique je ne me lasse guere à lire tout ce qu'en racontent Diodore de Sicile, Plutarque & sur-tout Pausanias, je sais bien cependant que je n'en dois prendre ici que la fleur.

Comme l'origine des jeux olympiques est ensevelie dans la plus profonde antiquité, l'on trouve diverses opinions sur leur établissement. Diodore de Sicile dit que ce fut Hercule de Crete qui les institua, sans nous apprendre ni en quel tems, ni à quelle occasion. Le sentiment le plus commun parmi les savans est que la premiere célébration s'en fit dans l'Elide, l'an du monde 2635, qui répond à la vingt-neuvieme du regne d'Acrise roi d'Argos, & à la 34e. du regne de Sycion, dix-neuvieme roi de Sycione. Quoi qu'il en soit, depuis leur premiere institution, ils furent alternativement renouvellés & interrompus jusqu'au regne d'Iphitus roi d'Elide, & contemporain de Lycurgue, qui les rétablit avec beaucoup de lustre, l'an 3208. Il ordonna que pendant la durée des jeux toutes les affaires cesseroient, afin que chacun eût la liberté de s'y rendre.

Ils se célébroient vers le solstice d'été, & duroient cinq jours. Comme ils étoient consacrés à Jupiter, & faisoient partie des cérémonies religieuse du paganisme, le premier jour étoit destiné aux sacrifices ; le second au pentathle & à la course à pié ; le troisieme au combat du pancrace & de la lutte simple ; les deux autres aux courses à pié, à celle des chevaux & à celle des chars. Il y eut de tems-en-tems quelques variétés à cet égard qu'on peut lire dans Pausanias.

Les athletes combattirent nus dans ces jeux, depuis la trente-deuxieme olympiade, où il arriva à un nommé Orcippus de perdre la victoire, parce que dans le fort du combat son caleçon s'étant dénoué, l'embarrassa de maniere à lui ôter la liberté des mouvemens. Ce reglement en exigea un autre : c'est qu'il fut défendu aux femmes & aux filles, sous peine de la vie, d'assister à ces jeux, & même de passer l'Alphée pendant tout le tems de leur célébration.

Cette défense fut si exactement observée, qu'il n'arriva jamais qu'à une seule femme de violer cette loi. Cette femme que les uns nomment Callipatire, & les autres Phevenia, étant devenue veuve s'habilla à la façon des maîtres d'exercice, & conduisit elle-même son fils Pisidore à Olympie. Le jeune homme ayant été déclaré vainqueur, la mere transportée de joie, jetta son habit d'homme, sauta pardessus la barriere, & elle fut connue pour ce qu'elle étoit. Cependant on lui pardonna cette infraction de la loi en considération de son pere, de ses freres & de son fils, qui tous avoient été couronnés aux mêmes jeux. Depuis ce tems-là il fut défendu aux maîtres d'exercices de paroître autrement que nus à ces spectacles. La peine imposée par la loi, étoit de précipiter les femmes qui oseroient l'enfreindre, d'un rocher fort escarpé qu'on appelloit le mont Typée, & qui étoit au-delà de l'Alphée.

On obligeoit les athletes à Olympie, de jurer deux choses avant que d'être admis aux jeux ; 1°. qu'ils seroient soumis pendant dix mois consécutifs à tous les exercices, & à toutes les épreuves auxquelles les engageoit l'institution athlétique ; 2°. qu'ils observeroient religieusement toutes les lois prescrites dans chaque sorte de combat, & qu'ils ne feroient rien, ni directement ni indirectement, contre l'ordre & la police établie dans les jeux. On leur faisoit prêter ce serment devant la statue de Jupiter surnommé , à cause de cette cérémonie ; & cette statue qui tenoit un foudre dans chaque main, pour inspirer plus de terreur aux parjures, étoit érigée dans le sénat des Eléens.

Il leur étoit aussi défendu, sous peine d'une amende considérable, d'user de la moindre fraude pour être déclaré vainqueur ; mais ni les lois, ni les peines ne sont pas toujours un frein capable de contenir l'ambition dans de justes bornes. Il y eut des supercheries, & la punition sévere qu'on en tira, n'empêcha pas qu'on ne retombât de tems en tems dans les mêmes fautes.

On trouvoit, dit Pausanias, en allant du temple de la mere des dieux au stade, six statues de Jupiter, qui toutes six étoient de bronze, & toutes faites du produit des amendes imposées aux athletes qui avoient usé de fraude pour remporter le prix, ainsi que le marquoient les inscriptions. Les vers qui étoient sur la premiere statue, avertissoient que le prix des jeux olympiques s'acquéroit, non par argent, mais par la légéreté des piés & par la force du corps. Ceux de la seconde portoient que cette statue avoit été érigée à Jupiter pour faire craindre aux athletes la vengeance du dieu, s'ils osoient violer les lois qui leur étoient prescrites.

Le concours prodigieux du monde qu'attiroit à Olympie la célébration de ces jeux, avoit enrichi cette ville & toute l'Elide : aussi n'y avoit-il rien dans toute la Grece de comparable au temple & à la statue de Jupiter olympien. Autour de ce temple étoit un bois sacré nommé l'Attis, dans lequel avec les chapelles, les autels & les autres monumens consacrés aux dieux, & dont on trouve une description fort détaillée dans l'auteur que j'ai cité tant de fois, étoient les statues toutes de la main des sculpteurs les plus célébres, érigées en l'honneur des vainqueurs.

Les jeux olympiques étoient sans contredit entre tous les jeux de la Grece, ceux qui tenoient le premier rang ; & cela pour trois raisons : ils étoient consacrés à Jupiter le plus grand des dieux ; ils avoient été institués par Hercule le plus grand des héros ; enfin on les célébroit avec plus de pompe & de magnificence que tous les autres, & ils attiroient un plus grand nombre de spectateurs, qu'on y voyoit accourir de tous les endroits de la terre. Aussi les Grecs ne concevoient-ils rien de comparable à la victoire qu'on y remportoit ; ils la regardoient comme le comble de la gloire, & ne croyoient pas qu'il fût permis à un mortel de porter plus loin ses desirs.

Je ne m'étendrai pas sur les récompenses des vainqueurs dans ces jeux, parce qu'il n'y a personne qui ignore que leur prix étoit une couronne d'olivier. Il faut avouer que celui qui a dit le premier que l'opinion gouverne le monde, avoit bien raison. En effet, qui pourroit croire, si tant de monumens ne l'attestoient, que pour une couronne d'olivier, toute une nation se dévouât à des combats si pénibles & si hasardeux ? D'un autre côté, les Grecs par une sage politique, avoient attaché tant d'honneur à cette couronne, qu'il n'est pas étonnant qu'un peuple qui n'avoit de passion que pour la gloire en général, crût ne pouvoir trop payer celle-ci, qui de toutes les especes de gloire étoit la plus flatteuse. Car nous ne voyons point que ni Miltiade, ni Cimon, ni Thémistocle, Epaminondas, ni Philopoemen, ces grands hommes qui ont fait des actions si mémorables, aient été plus distingués parmi leurs concitoyens, qu'un simple athlete qui avoit remporté le prix ou de la lutte, ou de la course du stade, ou de la course de l'hippodrome.

Il étoit en marbre ou en bronze à côté du capitaine & du héros. Ce n'est donc point une exagération que ce que dit Ciceron dans ses tusculanes, que la couronne d'olivier à Olympie, étoit un consulat pour les Grecs ; & dans l'oraison pour Flaccus, que de remporter la victoire aux jeux olympiques, étoit presque aussi glorieux en Grece, que l'honneur du triomphe pour un romain.

Mais Horace parle de ces sortes de victoires dans des termes encore plus forts : il ne craint point de dire qu'elles élevoient les vainqueurs au-dessus de la condition humaine ; ce n'étoient plus des hommes, c'étoient des dieux :

Palmaque nobilis

Terrarum dominos evehit ad deos.

& ailleurs :

Sive quos Elaea domum reducit

Palma coelestes.

Le vainqueur étoit proclamé par un héraut public au son des trompettes ; on le nommoit par son nom, on y ajoutoit celui de son pere, celui de la ville d'où il étoit, quelquefois même celui de sa tribu. Il étoit couronné de la main d'un des Hellanodices ; ensuite on le conduisoit en pompe au prytanée, où un festin public & somptueux l'attendoit. Retournoit-il dans sa ville, ses concitoyens venoient en foule au-devant de lui, & le recevoient avec l'appareil d'une espece de triomphe ; persuadés que la gloire dont il étoit couvert illustroit leur patrie, & rejaillissoit sur chacun d'eux.

Il n'avoit plus à craindre la pauvreté, ni ses tristes humiliations ; on pourvoyoit à sa subsistance, on éternisoit même sa gloire par ces monumens qui semblent braver l'injure des tems. Les plus célébres statuaires briguoient l'honneur de le mettre en marbre ou en bronze avec les marques de sa victoire, dans le bois sacré d'Olympie. A peine trouveroit-on cent statues dans les jardins de Versailles qui sont immenses ! J'ai voulu voir, dit l'abbé Gedoin, combien il y en avoit dans l'Attis sur l'énumération que Pausanias en fait, j'en ai compté, ajoute-t-il, jusqu'à cinq cent ; & las de compter, j'ai abandonné l'entreprise : encore Pausanias déclare-t-il qu'il ne parle que des statues érigées aux dieux & aux athletes les plus célebres.

Quel effet ne devoit pas produire cette quantité prodigieuse de belles statues posées dans un même lieu, toutes du ciseau des meilleurs artistes de leur tems ? A chaque pas que l'on faisoit en comparant une statue avec une autre, on distinguoit les différentes écoles, & l'on apprenoit l'histoire de l'art même. On voyoit, pour ainsi dire, son enfance dans les ouvrages des éleves de Dipoene & de Scyllis ; son progrès dans les ouvrages de Calamis, de Canachus, de Myron ; sa perfection dans ceux de Phidias, d'Alcamene, d'Onatas, de Scopas, de Praxitele, de Polyclete, de Lysippe, de Pythagore de Rhegium ; & enfin sa décadence dans les monumens du tems postérieur : car alors entre l'antique & le moderne, il y avoit un âge moyen, ou l'art avoit été porté à sa perfection. Je ne crois pas qu'il y ait jamais eu pour les curieux un plus beau spectacle ; & c'étoit aussi par ce spectacle que les Grecs entretenoient dans l'ame des particuliers, cette noble émulation qui leur faisoit compter pour rien les peines, les fatigues, les dangers & la mort même, quand il s'agissoit d'acquérir de la gloire.

J'ai parlé en tems & lieu, des Hellanodices qui présidoient aux jeux de la Grece, décidoient des victoires, & adjugeoient les couronnes ; mais je n'imaginois pas qu'un roi juif ait eu jamais part à cette dignité, cependant Josephe m'a tiré d'erreur. Il m'apprend dans ses antiquités, liv. XVI. ch. j. & ix. qu'Hérode surnommé le grand, allant en Italie pour faire sa cour à Auguste, s'arrêta quelque tems en Grece, & se trouva aux jeux olympiques de la cent quatre-vingt-onzieme olympiade, 16 ans avant la naissance de J. C. Comme on ne manqua pas de lui rendre les respects dûs à son rang, & qu'il ne vit sans peine que les jeux consacrés à Jupiter, avoient beaucoup perdu de leur splendeur, parce que les Eléens étoient trop pauvres pour fournir à leur entretien, il leur fit présent d'un fonds considérable pour les remettre sur l'ancien pié. Alors par reconnoissance d'un si grand service, il fut élu président de ces jeux pendant le cours de sa vie. La passion qu'on portoit à leur célébration, les soutenoit encore d'une façon assez brillante sur la fin du iv. siecle. Nous tenons cette anecdote du R. P. de Montfaucon, qui l'a tirée des oeuvres de S. Jean Chrysostome, lequel comme on sait, fleurissoit sous le regne de Théodose & d'Arcadius son fils.

Après que l'athlete s'est préparé pendant 30 jours dans la ville d'Olympie, dit ce pere de l'Eglise, on l'amene au fauxbourg à la vûe de tout le monde, & le héraut crie à haute voix : " Quelqu'un peut-il accuser ce combattant d'être esclave, ou voleur, ou de mauvaises moeurs " ? S'il y avoit même soupçon d'esclavage, il ne pouvoit être admis au combat.

On lit dans les écrits du même orateur, syrien de naissance, que les athletes étoient encore tout nuds, & se tenoient debout exposés aux rayons du soleil. Les spectateurs étoient assis depuis minuit jusqu'au lendemain à midi, pour voir les athletes qui remporteroient la victoire. Pendant toute la nuit le héraut veilloit soigneusement, pour empêcher que quelqu'un des combattans ne se sauvât à la faveur des ténébres, & ne se deshonorât par cette fuite.

A ces combats olympiques les lutteurs, ceux qui se battoient à coups de poing, enfin les pancrasiastes, c'est-à-dire ceux qui disputoient la victoire dans tous les exercices gymniques, le faisoient à différentes reprises ; mais le héraut les proclamoit, & les couronnoit dès le moment qu'ils étoient déclarés vainqueurs.

On élisoit alors quelquefois pour chef des choeurs de musique, de jeunes garçons, apparemment enfans de qualité, qu'on appelloit thallophores, parce qu'ils portoient seuls des rameaux à la main(D.J.)


OLYNTHE(Géog. anc.) ville de Thrace, dans la péninsule de Pallene, entre les golfes de Thessalonique & de Torone ; on sait que Philippe forma le siege d'Olynthe, parce qu'elle avoit fait une ligue avec les Athéniens, pour mettre obstacle à ses conquêtes. Il l'investit ; elle recourut à ses nouveaux alliés. Démosthene parla pour elle, & ses trois olynthiennes roulent sur la nécessité pressante de la tirer du danger où elle se trouvoit ; malheureusement le secours qu'on lui donna ne put la sauver. Deux traîtres olynthiens livrerent leur patrie à Philippe. Ce prince la ruina de fond en comble, & y exerça de grandes cruautés, dont Séneque a fait la matiere d'une de ses déclamations. Hérodote donna à Olynthe l'épithete de Sithonia que désigne le pays où elle étoit située. (D.J.)


OLYRA(Bot.) espece de blé qui croît en Allemagne, & qui est connu des Botanistes sous le nom de zea-amylaea, ou de zeopyrum amylaeum.


OLYSIPPO(Géog. anc.) c'est ainsi que plusieurs auteurs écrivent le nom d'une ville très-ancienne, située à l'embouchure du Tage, & qui est aujourd'hui Lisbonne. Elle est si ancienne, que Solin a cru qu'elle avoit été fondée par Ulysse ; & Strabon même ne juge pas impossible qu'Ulysse ait été en Espagne.

Dans le passage de Solin on lit : Ibi oppidum Olysipone Ulyxi conditum. Solin met ici un ablatif pour un nominatif ; car, selon l'usage de son tems, les noms de ville se mettoient à l'ablatif, & étoient regardés comme indéclinables. Ainsi Vopiscus dans la vie d'Aurelien dit, Copto & Ptolemaïde urbes cepit. Dans Antonin, les noms sont de même à l'ablatif, tandis que chez les Grecs ils sont au génitif.

Le passage de Solin nous apprend encore que le vrai nom de cette ville est Olysippo. De plus, il se trouve écrit ainsi dans les manuscrits de Pline, l. IV. c. xxj.

Enfin les inscriptions déterrées à Lisbonne portent la même orthographe : Felicitas Julia Olisipo. Elle eut titre de municipe, & fut peuplée de citoyens romains ; mais voyez d'autres détails au mot LISBONNE. (D.J.)


OMADRUSS. m. (Mythologie) dieu des anciens adoré à Tenedos & à Scio. C'étoit Bacchus, à qui l'on sacrifioit un homme, que l'on mettoit en pieces. C'est de cette cruelle cérémonie qu'il étoit appellé Omadrus.


OMAGUAS(Géog.) peuple de l'Amérique méridionale, aux deux bords de la riviere des Amazones, au-dessous de sa jonction avec la Moyobambe. Ce peuple est le même que les Homagues, les Omaguacas & les Aguas.


OMAN(Géog.) pays & ville de l'Arabie heureuse. Abulféda la met sur la mer. Sa longitude, selon Jon-Said, est 81 d. 15'. latit. 19 d. 16'. (D.J.)


OMB(Hist. nat.) petite graine fort commune dans l'île de Ceylan ; elle se mange comme du ris, mais elle enivre & cause des maux de coeur lorsqu'elle est trop nouvelle.


OMBELLES. f. (Botanique) lorsque le pape Alexandre III. vint se réfugier à Venise vers l'an 1179, pour y terminer ses différends avec Frédéric Barberousse, il accorda par reconnoissance au doge Sebastien Zani & à ses successeurs de mettre à l'avenir sur leurs armes une espece de parasol, qu'on voit aussi quelquefois sur les armes de la république. Ceux qui connoissent cette espece d'armoirie, ont une idée juste de l'ombelle des botanistes. Donnons-en maintenant la définition.

C'est l'extrêmité de la tige divisée en plusieurs pédicules ou rayons qui sortant du même centre, s'ouvrent de telle maniere qu'ils forment un cône renversé, & sont à-peu-près disposés comme les bâtons d'un parasol, faisant un bouquet, dont la surface est un peu convexe.

Si les pédicules de la tige se trouvent subdivisés en d'autres d'une même forme, sur lesquels les fleurs ou fruits sont disposés, le premier s'appelle rayons, & le second pédicules.

L'ombelle qui n'est formée que de pédicules, se nomme ombelle simple ; celle qui est formée de rayons & de pédicules se nomme ombelle composée. Ainsi les plantes ombelliferes sont celles dont les fleurs naissent en ombelles à l'extrêmité des tiges, & y représentent en quelque maniere un parasol. Telles sont les fleurs d'aneth, de carotte, de cerfeuil, de fenouil, d'angélique, de persil, &c.

On a remarqué que presque toutes les plantes à ombelles ont leurs racines sujettes aux vers qui les détruisent ; si cette observation est vraie, il faudroit en rechercher la cause, & peut-être la découvriroit-on.

Nous avons un traité très-estimé des plantes ombelliferes de l'illustre Morisson, qui a signalé par cet ouvrage ses talens en botanique, comme il signala dans sa jeunesse son courage pour les intérêts du roi Charles I. en les soutenant dans un combat donné sur le bord d'Aberdéen sa patrie ; c'est lui-même à qui Gaston d'Orléans, prince curieux, donna la direction du jardin de Blois ; étant retourné dans son pays après la mort de ce prince, il fut comblé de bienfaits par Charles II. & bientôt après nommé par l'université d'Oxford pour la profession de botanique qu'il exerça le reste de ses jours avec la plus grande distinction. Son livre des plantes en ombelles parut en latin sous ce titre : Plantarum umbelliferarum distributio nova. Oxoniae 1672, in-fol. avec fig.

Quand on examine avec un peu de soin la partie que M. Tournefort prend dans les plantes ombelliferes pour le calice de leur fleur, on est bientôt convaincu qu'elle n'est pas ainsi qu'il le pense, un composé de deux semences nues, mais que c'est un composé de deux capsules monospermes couronnées d'un calice. On ne peut encore s'empêcher de dire 1°. que cet illustre auteur ne devoit pas exclure l'échinophora du nombre des plantes ombelliferes, d'autant que Morisson a fait voir que les ovaires ou capsules séminales des especes de ce genre contenoient chacune deux graines, dont une à la vérité avorte le plus souvent dans nos pays. 2°. M. de Tournefort n'auroit pas dû ici plutôt que dans tant d'autres genres d'ombelliferes, prendre pour un calice commun cette sorte de fraise ou collet à rayons, qui se trouve à la base de chaque ombelle. 3°. Enfin il devoit avertir qu'entre tant de fleurs contenues dans un seul calice il n'y en avoit qu'une de fertile, puisque ce prétendu calice s'étant transformé en fruit, ne renfermoit qu'une semence unique ; mais ces légeres fautes n'ôtent rien du tout à la gloire d'un homme à qui la Botanique doit tant de découvertes intéressantes. (D.J.)

OMBELLE, s. f. terme de Blason, ce mot se dit d'une espece de parasol que le doge de Venise met sur ses armes par une concession d'Alexandre III. quand il se réfugia à Venise, en fuyant la persécution de Frédéric I. Elle est quelquefois sous les armes de la république.


OMBI(Géog. anc.) ancienne ville d'Egypte, capitale du nôme, auquel elle donnoit le nom d'Ombites Nomos. Pline en fait mention, & dit, l. VIII. c. xxiv. que Tentyris & Ombi sont deux villes d'Egypte voisines, que les habitans de la derniere (Ombitae) adorent le crocodile, & que les Tentyrites le pour suivent à la nage, le coupent par morceaux & le mangent. Cette diversité de sentimens a donné lieu à Juvenal de peindre la guerre des Ombites & des Tentyrites à ce sujet.

Immortale odium, & nunquam sanabile vulnus

Ardet adhuc, Ombos & Teutyra : summus utrinque

Inde furor vulgo, quod numina vicinorum

Odit uterque locus, cum solos credat habendos

Esse deos quos ipse colit.

Sat. xv. vers. 31. & seq.

" Leur haine est immortelle, & cette plaie est incurable : ils sont animés de rage l'un contre l'autre, parce que l'un adore un dieu que l'autre déteste, chacun pensant que la divinité qu'il respecte mérite seule d'être adorée ". (D.J.)


OMBIASSESS. m. pl. (Hist. mod. culte) ce sont des prêtres parmi les negres, habitans de l'île de Madagascar, qui font en même-tems le métier de médecins, de sorciers & d'astrologues. Ils vendent au peuple superstitieux des billets écrits en caracteres arabes, qu'il regarde comme des préservatifs contre le tonnerre, la pluie, les vents, les blessures à la guerre, & même contre la mort. D'autres mettent ceux qui les portent à couvert des poisons, des animaux venimeux ; il y en a qui garantissent des maisons & des villes entieres du feu & du pillage. On porte au cou ces sortes de billets cousus en sachets. Au moyen de ces talismans, les ombiasses ont le secret de tirer un profit immense des peuples séduits, qui n'ont d'autre religion que ces superstitions ridicules. Lorsque quelqu'un tombe malade ou en démence, on envoie chercher un ombiasse, qui est chargé d'aller au tombeau du pere du malade qu'il ouvre ; il évoque son ombre, & la prie de rendre le jugement à son fils ; après quoi le prêtre retourne vers le malade, lui met son bonnet sur la tête, lui promet un succès infaillible ; & sans l'attendre, a soin de se faire payer de sa peine. Mais la plus affreuse superstition à laquelle ces imposteurs donnent les mains, c'est l'usage où sont les habitans de Madagascar de sacrifier le premier né de leurs bestiaux à dieu & au diable à-la-fois ; sur quoi il est bon d'observer qu'ils nomment satan le premier dans leurs prieres, & disent, dianbilîs amin-nam-habare, ce qui signifie, le seigneur diable & dieu.


OMBILICS. m. (Anat.) nom que l'on donne à l'endroit du corps où l'on a coupé le cordon ombilical. Voyez CORDON.


OMBILICALadj. qui a rapport à l'ombilic, terme d'Anatomie & de Chirurgie, on dit le cordon ombilical, les arteres ombilicales, la veine ombilicale.

Les hernies ou descentes ombilicales sont des déplacemens de parties contenues dans le bas-ventre, & qui font tumeur à l'ombilic ou nombril. Elles sont connues sous le nom d'exomphale. Voyez EXOMPHALE. (Y)

OMBILICAL, cordon, (Anat.) c'est un paquet de vaisseaux entortillés de l'épaisseur d'un pouce, composé d'une veine & de deux arteres, qu'on appelle ombilicales, & enveloppé d'une membrane épaisse, molle & continue à l'amnios. Son origine est dans le placenta, & son extrêmité se termine à l'ombilic du foetus.

Son usage est, 1°. afin que le foetus puisse se mouvoir librement, sans arracher le placenta de la matrice : 2°. afin que le foetus étant sorti, il ne lui arrive pas quelque hémorrhagie mortelle, quoique les vaisseaux ne soient pas liés : 3°. afin que le placenta puisse être tiré commodément de la matrice après l'accouchement.

La nature varie bien singulierement dans les productions les plus ordinaires. On lit quantité d'exemples du cordon de l'ombilic excessivement long, court ou gros. Sa longueur commune est d'environ deux tiers d'aune de Paris. Mauriceau l'a vû d'une aune & demie, & d'un tiers d'aune. Il l'a vû si monstrueusement gros, qu'il égaloit la grosseur du bras de l'enfant, & sans exomphale ; quelquefois la longueur de ce cordon fait qu'il se noue d'un véritable noeud à la sortie de l'enfant.

Quelques auteurs ont vû plusieurs fois des enfans nouveaux-nés, auxquels une partie de la peau & des muscles du bas-ventre manquent autour du cordon ombilical de la grandeur d'un petit écu ou environ, de maniere que les intestins ne se trouvent couverts en cet endroit que d'une pellicule très-mince ; rarement les enfans en réchappent, si tant est qu'il y ait quelques exemples du contraire ; c'est par ce triste accident qu'on s'est assûré du mouvement péristaltique des intestins, parce qu'on le voit à découvert.

Souvent on a beaucoup de peine à séparer le placenta après la sortie du foetus ; & cela ne manque jamais d'arriver lorsque le cordon ombilical s'insere au centre du placenta. Si l'insertion est latérale, alors l'arriere-faix s'amene aisément, & vient d'ordinaire de lui-même après la sortie du foetus. Belle observation de Ruysch ! (D.J.)

OMBILICALE, artere, (Anatomie) elles sont au nombre de deux dans le foetus : on décrira leur origine & leur cours en parlant des vaisseaux ombilicaux. Je dirai seulement ici que M. du Verney a autrefois démontré en public que les arteres ombilicales conservoient toujours leur canal jusqu'au fond de la vessie, auquel elles fournissoient plusieurs rameaux.

OMBILICALE, veine, (Anatomie) la veine ombilicale sera décrite ci-après à l'article des VAISSEAUX OMBILICAUX.

Le foie est attaché à l'ombilic par un ligament rond, qui, dans le foetus, fait la fonction de veine, & prend le nom de veine ombilicale, dont le conduit se ferme après la naissance, dès qu'on a lié & coupé le cordon à l'enfant nouveau-né. Ce ligament pénetre dans le foie par une fente qui sépare les deux lobes.

Riolan dit qu'il ne sauroit se persuader que lorsque la veine ombilicale & les autres vaisseaux ombilicaux sont entierement privés de leur premier usage, étant tout flétris & desséchés, ils changent leur fonction premiere en celle de ligament ; & qu'ils soient d'une telle importance à la vie de l'homme, que quelqu'un d'eux manquant, la mort s'ensuive nécessairement, ou du moins que cette privation cause de continuelles difficultés de respirer ; car il prétend que la veine ombilicale peut être réparée par le ligament large qui est attaché au cartilage xiphoïde, & tient le foie suffisamment suspendu ; & il rapporte à cet effet qu'il a vû au corps d'une bohémienne qui étoit fort adroite, cette veine rompue, desséchée & retirée dans la scissure du foie ; cette femme néanmoins jouit d'une santé parfaite pendant toute sa vie, sans aucune incommodité de respiration.

Cependant Hildanus rapporte dans ses observations chirurgicales, qu'un particulier mourut dès que la veine ombilicale lui eût été coupée par une blessure qu'il reçut au-dessus du nombril, sans néanmoins que les intestins en fussent offensés.

Quoi qu'il en soit, il faut éviter de couper la veine ombilicale, quand on est obligé de dilater une plaie pénétrante dans le bas-ventre ; car il est quelquefois arrivé à des chirurgiens d'être fort surpris de voir dans un pareil cas le sang sortir abondamment par cette veine. (D.J.)


OMBILICAUXVAISSEAUX, (Anatom.) ils sont au nombre de trois, deux arteres & une veine, & ces trois vaisseaux forment le cordon ombilical. Voyez OMBILICAL, cordon.

Les deux arteres ombilicales dans le foetus sortent ordinairement des deux iliaques ; il y en a une de chaque côté ; elles viennent quelquefois de l'aorte inférieure : ces arteres s'avancent vers l'ombilic à côté de la vessie qui est entre deux ; de-là elles continuent leur chemin en ligne spirale vers le placenta, où s'étant divisées en une infinité de rameaux, elles se terminent & portent le sang du foetus au placenta, & peut-être ensuite à la mere.

La veine est deux fois plus ample que les arteres ; elle vient du placenta par une infinité de rameaux qui se réunissent ensuite pour former un gros canal qui s'avance, par des circonvolutions spirales, entre les arteres du cordon ; ce canal se rend ensuite par l'ombilic au foie du foetus, & va se terminer au sinus de la veine porte, dans lequel il verse le sang & le suc nourricier qu'il a reçu dans le placenta : de-là il part un canal particulier qui est cylindrique, & qu'on appelle canal veineux ; il sort de la paroi opposée presque vis-à-vis de l'embouchure de la veine ombilicale, & va se rendre à la veine cave pour transmettre le sang au coeur. (D.J.)


OMBOU(Botan. exot.) espece de prunier du Brésil, décrit par Pison sous le mot ombu, que lui donnent les habitans. Voyez OMBU, (Botan.)


OMBRAGES. m. OMBRAGER, v. a. (Jardin.) ombrager un lieu, c'est le couvrir de feuillages, y planter un bois pour lui procurer de l'ombrage.

On dit ombrager une plante nouvellement plantée, quand on la couvre pendant quelques jours d'un paillasson, pour lui ôter le soleil qui nuiroit à sa reprise. Si elle est empotée, il est aisé de la porter à l'ombre. (K)

OMBRAGER, SUROMBRAGER, (Broderie) c'est appliquer sur or, de la soie, afin d'éteindre par un ouvrage surappliqué l'éclat du métal.

OMBRAGER, (Luth.) ombrager la lumiere d'un tuyau, c'est en fermer une partie par le moyen de petites plaques de plomb soudées aux côtés ; on appelle ces plaques oreilles. On abaisse plus ou moins les oreilles sur la lumiere.


OMBRAGEUXadj. (Maréchallerie) un cheval ombrageux est celui qui a peur de son ombre & de quelque objet que ce soit, & qui ne veut pas avancer. Il ne faut jamais battre un cheval ombrageux dans sa peur, mais le faire approcher doucement de ce qui lui fait ombrage, jusqu'à ce qu'il ait reconnu ce que c'est, & qu'il soit rassûré.


OMBRES. f. (Optique) est un espace privé de lumiere, ou dans lequel la lumiere est affoiblie par l'interposition de quelque corps opaque. Voyez LUMIERE.

La théorie des ombres est fort importante dans l'Optique & dans l'Astronomie ; elle est le fondement de la Gnomonique & de la théorie des éclipses. Voyez CADRAN, GNOMONIQUE & ECLIPSE.

En voyant l'ombre suivre exactement toutes les situations du soleil, ou plutôt en observant que les mouvemens de l'ombre sont les mêmes que ceux des rayons, qui parviendroient jusqu'à terre s'ils n'étoient interrompus, l'astronome s'instruit de la marche du soleil par la marche de l'ombre ; il fait tomber ou reçoit l'ombre d'une pyramide, d'un stile ou d'une colonne sur des lignes & sur des points, où elle lui montre tout-d'un-coup & sans efforts de sa part, l'heure, l'élévation du soleil sur l'horison, & jusqu'au point précis du signe céleste sous lequel il se trouve actuellement. Au lieu de l'ombre, on peut faire passer par un trou un rayon vif qui vienne de son extrêmité blanchir & désigner parmi des points & des lignes tracés par terre ou ailleurs, l'endroit qui a rapport au progrès du jour ou du mois qui s'écoule. On pratique une petite ouverture ronde ou à la voûte ou à la muraille qui fait ombre du côté du midi, à un pavé ou à un parquet. On étend sur ce pavé une lame de marbre ou de cuivre qui dirige ses extrêmités vers les deux poles : on nomme cette ligne méridienne, parce qu'elle embrasse nécessairement tous les points sur lesquels tombera le rayon du soleil chaque jour de l'année, au moment que cet astre est également distant de son lever & de son coucher. Cette diversité y est exprimée par autant de marques qui distinguent précisément les solstices, les équinoxes & les éloignemens journaliers du soleil, depuis l'équateur jusqu'à l'un & l'autre des tropiques dans lesquels sa course est renfermée. Voyez un plus grand détail sur cet objet aux articles GNOMON & MERIDIENNE.

Comme on ne peut rien voir que par le moyen de la lumiere, l'ombre en elle-même est invisible. Lors donc qu'on dit que l'on voit une ombre, on entend que l'on voit des corps qui sont dans l'ombre, & qui sont éclairés par la lumiere que réfléchissent les corps collatéraux, ou qu'on voit les confins de la lumiere.

Si le corps opaque qui jette une ombre est perpendiculaire à l'horison, & que le lieu sur lequel l'ombre est jettée soit horisontal, cette ombre s'appelle ombre droite : telle est l'ombre des hommes, des arbres, des bâtimens, des montagnes, &c.

Si le corps opaque est placé parallelement à l'horison, l'ombre qu'il jette sur un plan perpendiculaire à l'horison se nomme ombre verse.

Lois de la projection des ombres par les corps opaques. 1°. Tout corps opaque jette une ombre dans la même direction que les rayons de lumiere, c'est-à-dire vers la partie opposée à la lumiere. C'est pourquoi à mesure que le corps lumineux ou le corps opaque changent de place, l'ombre en change également.

2°. Tout corps opaque jette autant d'ombres différentes qu'il y a de corps lumineux pour l'éclairer.

3°. Plus le corps lumineux jette de lumiere, plus l'ombre est épaisse. Ainsi l'épaisseur de l'ombre se mesure par les degrés de lumiere dont cet espace est privé. Ce n'est pas que l'ombre qui est une privation de lumiere, soit plus forte pour un corps que pour un autre, mais c'est que plus les environs de l'ombre sont éclairés, plus on la juge épaisse par comparaison.

4°. Si une sphere lumineuse est égale à une sphere opaque qu'elle éclaire, l'ombre que répand cette derniere sera un cylindre, & par conséquent elle sera toujours de la même grandeur, à quelque distance que le corps lumineux soit placé : desorte qu'en quelque lieu qu'on coupe cette ombre, le plan de la section sera un cercle égal à un grand cercle de la sphere opaque.

5°. Si la sphere lumineuse est plus grande que la sphere opaque, l'ombre formera un cône. Si donc on coupe l'ombre par un plan parallele à la base, le plan de la section sera un cercle, & ce cercle sera d'autant plus petit, qu'il sera plus éloigné de la base.

6°. Si la sphere lumineuse est plus petite que la sphere opaque, l'ombre sera un cône tronqué ; par conséquent elle deviendra toujours de plus grande en plus grande. Donc, si on la coupe par un plan parallele à la base, ce plan sera un cercle d'autant plus petit, qu'il sera plus proche de la base, mais ce cercle sera toujours plus grand qu'un grand cercle de la sphere opaque.

7°. Pour trouver la longueur de l'ombre ou l'axe du cône d'ombre d'une sphere opaque éclairée par une sphere plus grande, les demi-diamêtres des deux étant comme C G & I M, Pl. d'optique fig. 12. & les distances entre leurs centres G M étant données, voici comme il faut s'y prendre.

Tirez la ligne F M parallele à C H, alors vous aurez I M = C G ; & par conséquent F G sera la différence des demi-diamêtres G C & I M. Par conséquent comme F G, qui est la différence des demi-diamêtres, est à G M, qui est la distance des centres, de même C F, qui est le demi-diamêtre de la sphere opaque, est à M H, qui est la distance du sommet du cône d'ombre au centre de la sphere opaque. Si donc la raison de P M à M H est bien petite, desorte que M H & P M ne different pas considérablement, M H pourra être pris pour l'axe du cône d'ombre, sinon la partie P M doit en être soustraite. Pour la trouver, cherchez la valeur de l'arc L K, car en la soustrayant d'un quart de cercle, il restera l'arc I Q, qui est la mesure de l'angle I M P. Cet arc L K se trouvera aisément, car il est la mesure de l'angle L M K, lequel est égal à l'angle M H I ; or cet angle M H I est un des angles du triangle rectangle M H I, dont les côtés M I & M H sont connus : ainsi on trouvera facilement l'angle M H I. Puis donc que dans le triangle M I P, qui est rectangle en P, nous avons, outre l'angle I M Q, le côté I M, le côté M P est aisé à trouver par la Trigonométrie.

Par exemple, si le demi-diamêtre de la terre MI = 1, & qu'on suppose le demi-diamêtre du soleil de 15 minutes (voyez DIAMETRE) on en conclura que l'angle M I P ou K M L n'est que de 16': car à cause de la petitesse du globe M par rapport au globe du soleil G, & de la grande distance G M du soleil, l'angle G M F ou K L M est à-peu-près égal au demi-diamêtre du soleil. D'où il s'ensuit que M P n'est qu'environ la 228e partie de M I ou de I, c'est-à-dire dans la raison du sinus de 15'au sinus total, ou à-peu-près comme 15'à 57 degrés. V. SINUS. Donc comme M H contient aussi environ 228 fois M I, il s'ensuit qu'on peut négliger P M par rapport à M H, & prendre M H ou 228 demi-diamêtres de la terre pour la longueur de l'axe du cône.

On voit par la solution précédente que la distance G M du corps opaque au corps lumineux est toujours en rapport constant avec la longueur M H de l'axe du cône, puisque le rapport de ces deux signes est égal à celui qu'il y a entre la différence F G des demi-diamêtres, & le demi-diamêtre M I du corps opaque. D'où il est aisé de conclure que si la distance G M diminue, il faut diminuer pareillement la longueur de l'ombre ; par conséquent l'ombre diminuera continuellement à mesure que le corps opaque approchera du corps lumineux.

8°. Trouver la longueur de l'ombre que fait un corps opaque T S, fig. 13, la hauteur du corps lumineux, par exemple du soleil au-dessus de l'horison (c'est-à-dire l'angle S U T), & la hauteur du corps étant donnés. Puisque dans le triangle rectangle S T U où T est un angle droit, l'angle U & le côté T S sont donnés, on trouvera par la Trigonométrie la longueur de l'ombre U T. V. TRIANGLE.

Ainsi, supposé que la hauteur du soleil est de 37°. 45'. & la hauteur d'une tour 178 piés, T U sera 241 piés 1/2.

9°. La longueur de l'ombre T U & la hauteur du corps opaque T S étant données, trouver la hauteur du soleil au-dessus de l'horison.

Puisque dans le triangle rectangle S T U, qui est rectangle en T, les côtés T U & T S sont donnés, on trouve l'angle U par la proportion suivante. Comme la longueur de l'ombre T U est à la hauteur du corps opaque T S, de même le sinus total est à la tangente de la hauteur du soleil au-dessus de l'horison. Ainsi, si T S est 30 piés & T U 45, T U S sera 33°. 41'.

10°. Si la hauteur du corps lumineux, par exemple du soleil sur l'horison T U S, est 45°, la longueur de l'ombre T U est égale à la hauteur du corps opaque ; car alors l'angle U étant de 45 degrés, l'angle T S U est aussi de 45 degrés, & par conséquent les côtés T S, T U opposés à ces angles sont égaux.

11°. Les longueurs des ombres T Z & T U du même corps opaque T S, à différentes hauteurs du corps lumineux, sont comme les cotangentes de ces hauteurs, ou, ce qui revient au même, comme les tangentes des angles T S U, complémens des hauteurs S U T.

Ainsi, comme la cotangente d'un angle plus grand est moindre que celle d'un angle plus petit, plus le corps lumineux est haut, c'est-à-dire plus l'angle S U T est grand, plus l'ombre diminue : c'est pour cela que les ombres à midi sont plus longues en hiver qu'en été.

12°. Pour mesurer la hauteur de quelque objet, par exemple, d'une tour A B fig. 14, par le moyen de son ombre projettée sur un plan horisontal ; à l'extrêmité de l'ombre de la tour C enfoncez un bâton, & mesurez la longueur de l'ombre A C : enfoncez un autre bâton en terre dont la hauteur D E soit connue, & mesurez la longueur de son ombre E F ; alors dites, comme E F est à A C, ainsi D E est à A B. Si donc A C est 45 piés, E F 4 & E D 5 piés, A B sera 36 piés.

13°. L'ombre droite est à la hauteur du corps opaque, comme le cosinus de la hauteur du corps lumineux est au sinus de cette même hauteur.

14°. La hauteur du corps lumineux demeurant la même, le corps opaque A C fig. 15, sera à l'ombre verse A D, comme l'ombre droite E B est au corps opaque D B.

Ainsi, 1°. le corps opaque est à l'ombre verse comme le co-sinus de la hauteur du corps lumineux est à son sinus ; par conséquent l'ombre verse A D est au corps opaque A D, comme le sinus de la hauteur du corps lumineux est à son co-sinus. 2°. Si D B = A C, alors D B sera une moyenne proportionnelle entre E B & A D, c'est-à-dire que la longueur du corps opaque sera moyenne proportionnelle entre son ombre droite & son ombre verse. 3°. Quand l'angle C est 45°. le sinus & le co-sinus sont égaux, & par conséquent l'ombre verse est égale à la longueur du corps opaque.

Pour trouver l'ombre d'un corps irrégulier quelconque exposé à un corps lumineux de figure quelconque, il faut imaginer de chaque point du corps lumineux une espece de pyramide ou cône de rayons qui viennent raser le corps, de maniere qu'on ait autant de pyramides qu'il y a de points dans le corps lumineux ; & l'ombre parfaite du corps sera contenue dans l'espace ou portion d'espace qui sera commune à toutes ces pyramides : car il est visible que cet espace ne recevra aucun rayon de lumiere. Toutes les autres portions d'espace qui ne recevront pas de rayons de quelques points, mais qui en recevront de quelques autres, seront dans la penombre, & cette penombre sera plus ou moins dense à différens endroits, selon qu'il tombera en ces endroits des rayons d'un moindre ou d'un plus grand nombre de points du corps lumineux. Voyez PENOMBRE.

La théorie des ombres des corps & de leur penombre est très-utile dans l'Astronomie, pour le calcul des éclipses. Voyez ECLIPSE.

Les ombres droites & les ombres verses sont de quelque utilité dans l'arpentage, en ce que par leur moyen on peut assez commodément mesurer les hauteurs, soit accessibles, soit inaccessibles. On se sert des ombres droites quand l'ombre n'excede point la hauteur, & des ombres verses quand l'ombre est plus grande que la hauteur. Pour cet effet on a imaginé un instrument qu'on appelle ligne des ombres, au moyen duquel on détermine les rapports des ombres droites & des ombres verses de tout objet à sa hauteur.

Au reste, il n'est pas inutile de remarquer que tout ce qu'on démontre, soit dans l'optique, soit dans la perspective sur les ombres des corps, est exact à la vérité du côté mathématique ; mais que si on traite cette matiere physiquement, elle devient alors fort différente. L'explication des effets de la nature dépend presque toujours d'une géométrie si compliquée, qu'il est rare que ces effets s'accordent avec ce que nous en aurions attendu par nos calculs. Il est donc nécessaire dans les matieres physiques, & par conséquent dans le sujet que nous traitons, de joindre l'expérience à la spéculation, soit pour confirmer quelquefois celle-ci, soit pour voir jusqu'où elle s'en écarte, afin de déterminer, s'il est possible, la cause de cette différence.

Ainsi on trouve, par exemple, dans la théorie que l'ombre de la terre doit s'étendre jusqu'à 110 de ses diamêtres ; & comme la lune n'en est éloignée que d'environ 60 diamêtres, il s'ensuivroit de-là que quand elle tomberoit ou toute entiere ou en partie dans l'ombre de la terre, cet astre tout entier ou sa partie éclipsée devroit disparoître entierement, comme quand la lune est nouvelle, puisqu'alors la lune entiere ou sa partie éclipsée ne recevroit aucun des rayons du soleil. Cependant elle ne disparoît jamais ; elle paroît seulement rougeâtre & pâle, même au plus fort de l'éclipse, ce qui prouve qu'elle n'est que dans la pénombre, & qu'ainsi l'ombre de la terre ne s'étend pas jusqu'à 110 de ses diamêtres.

Feu M. Maraldi voulant éclaircir ce phénomene, a fait des expériences en plein soleil avec des cylindres & des globes, pour voir jusqu'où s'étend leur ombre véritable. Voyez mémoires de l'acad. 1721. Il a trouvé que cette ombre, qui devroit s'étendre à environ 110 diamêtres du cylindre ou du globe, ne s'étend, en demeurant toujours également noire, qu'à une distance d'environ 41 diamêtres. Cette distance devient plus grande quand le soleil est moins lumineux. Passé la distance de 41 diamêtres, le milieu dégénere en pénombre, & il ne reste de l'ombre totale que deux traits fort noirs & étroits qui terminent de part & d'autre la pénombre, suivant la longueur. Ces deux traits sont de la noirceur qui appartient à l'ombre véritable ; l'espace qu'occupe la fausse pénombre & ces deux traits, appartiendroit à l'ombre véritable, parce qu'il est de la largeur qui convient à celle-ci. La largeur de la fausse pénombre diminue & s'éclaircit à mesure qu'on s'éloigne, & les deux traits noirs gardent toujours la même largeur. Enfin, à la distance d'environ 110 diamêtres, la fausse pénombre disparoît, les deux traits noirs se confondent en un, après quoi l'ombre véritable disparoît entierement, & on ne voit plus que la pénombre. Il faut remarquer que la vraie pénombre qui doit dans la théorie entourer & renfermer l'ombre véritable, accompagne des deux côtés les deux traits noirs d'ombre.

Quand l'ombre est reçue assez proche du cylindre, & qu'elle n'a pas encore dégénéré en fausse pénombre, on voit autour de la vraie pénombre, des deux côtés & en dehors, deux traits d'une lumiere plus éclatante que celle même qui vient directement du soleil, & ces deux traits s'affoiblissent en s'éloignant.

M. Maraldi, pour expliquer ce phénomene, prétend que les rayons de lumiere qui rasent ou touchent le corps opaque, & qui devroient renfermer l'ombre, ne continuent pas leur chemin en ligne droite après avoir rasé le corps, mais se rompent & se replient vers le corps, de maniere qu'ils entrent dans l'espace où il ne devroit point du tout y avoir de lumiere, si les rayons continuoient leur chemin en ligne droite. Il compare les rayons de lumiere à un fluide qui rencontre un obstacle dans son cours, comme l'eau d'une riviere qui vient frapper la pile d'un pont, & qui tourne en partie autour de la pile, de maniere qu'elle entre dans l'espace où elle ne devroit point entrer si elle suivoit la direction des deux tangentes de la pile. Selon M. Maraldi, les rayons de lumiere tournent de la même façon autour des cylindres & des globes ; d'où il résulte, 1°. que l'ombre réelle ou l'espace entierement privé de lumiere, s'étend beaucoup moins qu'à la distance de 110 diamêtres ; 2°. que les deux bords ou arcs du cylindre autour desquels les rayons tournent, n'en étant nullement éclairés, doivent toujours jetter une ombre véritable ; & voilà les deux traits noirs qui enferment la fausse pénombre, & dont rien ne peut faire varier la largeur. Comme ces bords sont des surfaces physiques qui par leurs inégalités causent des réflexions dans les rayons, ce sont ces rayons réfléchis qui tombant au-dehors de la vraie pénombre, & se joignant à la lumiere directe qui y tombe aussi, forment par-là une lumiere plus éclatante que la lumiere directe. Cette lumiere s'affoiblit en s'éloignant, parce que la même quantité de rayons occupe toujours une plus grande étendue ; car les rayons qui sont tombés paralleles sur le cylindre, vont en s'écartant après la réflexion.

Si on se sert de globes au lieu de cylindres, l'ombre disparoît beaucoup plus tôt, savoir à 15 ou 16 diamêtres ; elle se change alors en une fausse pénombre entourée d'un anneau noir circulaire, puis d'un anneau de vraie pénombre, & ensuite d'un autre anneau de lumiere fort éclatante. La fausse pénombre disparoît à 110 diamêtres, & l'anneau qui l'environne se change en une tache noire obscure ; passé cette distance, on ne voit plus que la pénombre. M. Maraldi croit que la raison pour laquelle l'ombre disparoît beaucoup plutôt avec des globes qu'avec des cylindres, c'est que la figure des globes est plus propre à faire tourner les rayons de lumiere que la figure du cylindre.

L'ombre de la terre ne s'étend donc qu'à 15 ou 16 diamêtres, & ainsi il n'est pas surprenant que la lune ne soit pas totalement obscurcie dans les éclipses. Mais nous avons vu que la fausse pénombre est toujours entourée d'un anneau noir jusqu'à la distance de 110 diamêtres : ainsi, suivant cette expérience, il paroîtroit s'ensuivre que la lune devroit paroître totalement obscurcie au commencement & à la fin de l'éclipse, ce qui est contre les observations. M. Maraldi, pour expliquer ce fait, dit que l'athmosphere de la terre doit avoir son ombre à l'endroit où devroit être l'anneau noir ; & comme cette ombre est fort claire à cause de la grande quantité de rayons que l'athmosphere laisse passer, elle doit, selon lui, éclairer l'anneau obscur, & le rendre à-peu-près aussi lumineux que la fausse pénombre. Mais suivant cette explication, la prétendue clarté de l'anneau noir devroit être d'autant moindre que la distance seroit plus grande ; & cependant les observations & la théorie prouvent que la pénombre est d'autant plus claire que la distance est plus grande. M. Maraldi ne se dissimule pas cette objection ; & pour y répondre, il croit qu'on doit attendre des observations plus décisives sur la différente obscurité de la lune éclipsée. Quoi qu'il en soit, & quelle que doive être l'ombre de la terre, les expériences que nous venons de rapporter n'en sont pas moins certaines & moins curieuses.

Le P. Grimaldi a observé le premier qu'en introduisant la lumiere du soleil par un trou fait à la fenêtre d'une chambre obscure, l'ombre des corps minces cylindriques, comme un cheveu, une aiguille, &c. exposés à cette lumiere, étoit beaucoup plus grande qu'elle ne devroit être, si les rayons qui rasent ce corps & qui doivent en terminer l'ombre, suivoient exactement la ligne droite. M. Newton a observé après lui ce phénomene. Le P. Grimaldi l'attribue à une diffraction des rayons, c'est-à-dire qu'il prétend que les deux rayons extrêmes qui rencontrent le corps & qui en sont les tangentes, ne suivent pas cette direction de tangentes, mais s'en écartent au-dehors, comme s'ils fuyoient les bords qu'ils ont rencontrés. M. Newton a adopté cette explication, & en a fait voir l'accord avec son système général de l'attraction. M. Maraldi, après avoir répété ces mêmes expériences, a cru devoir en donner une autre explication : on en peut voir le détail dans les mémoires de l'académie de 1723. Nous nous contenterons de dire ici que ces expériences & l'explication qu'il en donne ont beaucoup de rapport avec les expériences que nous avons rapportées sur les globes & les cylindres, & avec l'explication que ce même auteur en donne. Voyez DIFFRACTION. Jusqu'ici nous avons supposé que les points qui sont dans l'ombre d'un corps sont absolument privés de lumiere, & cela est vrai mathématiquement, en ne considérant qu'un corps isolé ; mais il n'en est pas ainsi dans la nature : on peut regarder l'ombre, physiquement parlant, comme une lumiere diminuée. Dans ce sens elle n'est pas un néant comme les ténebres : des lois invariables aussi anciennes que le monde, font rejaillir la lumiere d'un corps sur un autre, & de celui-ci successivement sur un troisieme, puis en continuant sur d'autres, comme par autant de cascades ; mais toujours avec de nouvelles dégradations d'une chûte à l'autre. Sans le secours de ces sages lois, tout ce qui n'est pas immédiatement & sans obstacle sous le soleil, seroit dans une nuit totale. Le passage du côté des objets qui est éclairé à celui que le soleil ne voit pas, seroit dans toute la nature comme le passage des dehors de la terre à l'intérieur des caves & des antres. Mais par un effet des ressorts puissans que Dieu fait jouer dans chaque parcelle de cette substance légere, elle pousse tous les corps sur lesquels elle arrive, & en est repoussée, tant par son ressort que par la résistance qu'elle y éprouve. Elle bondit de dessus les corps qu'elle a frappés & rendus brillans par son impression directe : elle est portée de ceux-là sur ceux des environs ; & quoiqu'elle passe ainsi des uns aux autres avec une perte toujours nouvelle, elle nous montre ceux mêmes qui n'étoient point tournés vers le soleil.

L'écarlate semble changer de nature en passant dans l'ombre ; elle change encore en passant dans une ombre plus forte. Tous les corps, même ceux qui ont les couleurs les plus claires, se rembrunissent à mesure qu'ils se détournent des traits du soleil & des premieres réflexions de la lumiere, ce qui met partout des différences ; car en relevant ou détachant un objet par le secours d'un fond ou d'un voisinage plus ou moins brun, elle embellit, elle caractérise & démêle à nos y eux ce que l'éloignement ou l'uniformité de la couleur auroit confondu.

L'étude du mêlange & des diminutions graduelles de la lumiere & des ombres, fait une des plus grandes parties de la Peinture. En vain le peintre sait-il composer un sujet, bien placer ses figures & dessiner le tout correctement, s'il ne sait pas par les affoiblissemens & par les justes degrés du clair & de l'obscur, rapprocher certains objets, en reculer d'autres, & leur donner à tous du contour, des distances, de la fuite, un air de vérité & de vie.

Les Graveurs, pour multiplier les copies des plus riches tableaux, ne mettent point d'autre couleur en oeuvre que le blanc de leur papier, qu'ils convertissent en tant d'objets qu'ils veulent, par les masses & par les degrés d'ombre qu'ils y jettent ; ou bien tout au contraire ils sillonnent de gros traits leur cuivre : ensorte que le papier qu'on appliqueroit sur cette planche noircie, ne présenteroit après l'impression qu'une ombre uniforme ou une noirceur universelle. Ils effacent ensuite sur ce cuivre plus ou moins de ces traits : les points d'ombre affoiblis deviennent autant de points de l'objet ; & plus ces points d'ombre sont applanis & bien effacés, plus les objets deviennent forts & relevés. M. Formey.

OMBRE EN PERSPECTIVE est la représentation de l'ombre d'un corps sur un plan. Elle differe de l'ombre réelle comme la représentation ou la perspective du corps differe du corps même. L'apparence d'un corps opaque & d'un corps lumineux dont les rayons sont divergens (par exemple d'une chandelle, d'une lampe, &c.), étant donnée, trouver l'apparence de l'ombre suivant les lois de la Perspective : en voici la méthode. Du corps lumineux qu'on considere dans ce cas comme un point, & qu'on suppose déjà rapporté sur le plan du tableau, de maniere qu'on sache en quel endroit l'oeil doit le voir, laissez tomber une perpendiculaire sur le plan géométral, c'est-à-dire trouvez dans ce plan la position du point sur lequel tombe une perpendiculaire tirée du milieu du corps lumineux ; & des différens angles ou points élevés de ce corps, tracé scenographiquement, laissez tomber des perpendiculaires sur le plan : joignez ces points sur lesquels tombent les perpendiculaires par des lignes droites, avec le point sur lequel tombe la perpendiculaire qu'on a laissé tomber du corps lumineux ; & continuez ces lignes vers le côté opposé au corps lumineux ; enfin par les angles les plus élevés du corps opaque, & par le centre du corps lumineux tirez des lignes qui coupent les premieres, les points d'intersection sont les termes ou les limites de l'ombre.

Par exemple, supposez qu'on demande de projetter l'apparence de l'ombre d'un prisme A B C D E F, Pl. de Perspective, fig. 8. n °. 2, tracé scénographiquement ; comme les lignes A D, B E & C F sont perpendiculaires au plan géométral, & que L M est pareillement perpendiculaire au même plan (car le corps lumineux est donné si la hauteur L M est donnée), tirez les lignes droites G M & H M par les points M D & E ; par les points élevés A & B, tirez les lignes droites G L & H L, qui coupent les premieres en G & en H. Comme l'ombre de la ligne droite A D se termine en G, & l'ombre de la ligne droite B E en H, & que les ombres de toutes les autres lignes droites conçues dans le prisme donné sont comprises entre les points G H D E ; G D E H sera l'apparence de l'ombre projettée par le prisme.

Cette construction suppose au reste que l'élévation de l'oeil soit la même que celle du corps lumineux. Mais en général, quelle que soit la position de l'oeil, on peut avoir la perspective de l'ombre par les regles ordinaires, en regardant l'ombre comme une figure donnée.

M. l'abbé de Gua a démontré, dans les usages de l'analyse de Descartes, que la projection de l'ombre d'une courbe sur un plan quelconque, étoit une autre courbe du même ordre ; ce qu'il est très-aisé de prouver en considérant que l'équation entre les coordonnées de l'ombre montera toujours au même degré que l'équation entre les co-ordonnées de la courbe. Cette proposition est analogue à celle-ci, que la section d'un cône quelconque par un plan quelconque, est toujours du même degré que la courbe qui est la base du cône. Pour la démonstration de ces deux propositions, il ne faut que deux ou trois triangles semblables, au moyen desquels on verra que les co-ordonnées de la courbe & de l'ombre seront réciproquement exprimées par des équations où ces coordonnées ne monteront qu'au premier degré, d'où il est aisé de voir que les équations de la courbe & de l'ombre seront aussi du même degré. On peut voir le détail de la démonstration dans l'ouvrage cité de M. l'abbé de Gua. (O)

Sur la génération des courbes par les ombres, voyez l'article COURBE.

OMBRE, (Géog.) obscurité causée par un corps opaque opposé à la lumiere ; la Géographie considere principalement l'ombre causée dans la lumiere du soleil, & en tire plusieurs usages que nous allons expliquer sommairement.

Les hommes ont remarqué de bonne-heure que lorsque le soleil éclaire l'hémisphere où ils sont, tous les corps élevés, comme les arbres, les hommes eux-mêmes, jettent une ombre ; mais elle ne va pas toujours du même côté. Elle est infailliblement en ligne droite avec le corps opaque & le soleil ; & comme cet astre parcourt successivement divers points de l'horison, l'ombre le suit fidelement dans son cours, & est tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. Par exemple, si l'on plante perpendiculairement une perche bien droite dans un champ, après en avoir observé l'ombre à midi, on verra que l'ombre de six heures du matin & de six heures du soir, font ensemble une ligne droite qui coupe à angles droits l'ombre du midi au pié de la perche. A quelque heure du jour que ce soit, l'ombre que jette un corps élevé perpendiculairement est toujours en droite ligne avec le corps lumineux.

Le soleil semble sortir de l'horison, il s'éleve jusqu'à midi, après quoi il descend, & se perd dans l'horison qui nous le dérobe peu-à-peu, & enfin il disparoît entierement. Ces différens degrés de hauteur mettent une extrême variété entre les différentes longueurs des ombres. Plus il est bas, plus elles sont longues ; plus il est haut, plus elles sont courtes. Il s'ensuit qu'étant au point de midi dans la plus grande hauteur où il puisse être ce jour-là ; l'ombre la plus courte est celle que donne alors le corps élevé.

Le soleil n'est pas toujours dans la même hauteur à son midi par rapport à nous : durant les équinoxes, il est dans l'équateur : il s'en écarte ensuite pour s'avancer de jour en jour vers l'un ou vers l'autre tropique. Quand il est au tropique du capricorne, ce qui arrive au solstice d'hiver, il est dans son plus grand éloignement par rapport à nous. Il s'éleve beaucoup moins haut que quand il est dans l'équateur, & par conséquent l'ombre du midi, quoique la plus courte de celles de tout ce jour-là est plus longue à proportion, que celles du midi des jours où il est dans l'équateur.

Après être arrivé au tropique d'hiver, il se rapproche de jour en jour de l'équateur, & la longueur de l'ombre à midi décroît à proportion jusqu'à l'équinoxe du printems, alors il avance vers le tropique du cancer, & comme par-là il se rapproche encore plus de nous, l'ombre de midi continue à s'accourcir à proportion, parce qu'alors il s'éleve d'autant plus par rapport à notre pays.

Il est donc aisé de comprendre que les saisons mettent une grande différence entre la longueur des ombres à midi. Celles du solstice d'été sont les plus courtes ; celles du solstice d'hiver sont les plus longues ; celles des équinoxes sont moyennes entre ces deux longueurs. Plus les climats que nous habitons sont éloignés de l'équateur terrestre (car la terre a aussi le sien) plus l'ombre méridienne d'un corps élevé doit être longue, à proportion de l'éloignement. Cela s'ensuit naturellement des principes qui viennent d'être déduits. Prenons un même jour, par exemple, le premier Juin à midi, l'ombre d'une perche de douze piés sera plus longue en Suede qu'à Paris, & à Paris qu'à Alger. Cela est facile à concevoir.

Ceci posé, l'ombre peut servir à connoître combien les lieux sont plus proches ou plus éloignés de l'équateur ; elle peut aussi servir à déterminer la durée des saisons ; aussi voyons-nous que dans la plus haute antiquité, les nations savantes ont élevé des colonnes ou des obélisques, dont l'ombre étant observée par d'habiles gens, servoit à déterminer le cours du soleil & les saisons qui en dépendent.

Ces colonnes, ces obélisques des anciens surmontés d'une boule, n'étoient pas un simple ornement, mais un instrument de mathématique qui servoit à décrire sur le terrein par le moyen de l'ombre, le chemin que le soleil fait ou semble faire dans le ciel. Une preuve décisive de l'ancienneté de ces obélisques ; c'est qu'on en voit sur des médailles grecques antiques, & antérieures à Pythéas de Marseille. Telle est entr'autres celle de Philippe, roi de Macédoine, rapportée par Goltzius, t. III. tab. xxx. n. 5.

L'ombre d'un obélisque à sa pointe, répond au bord supérieur du soleil : pour avoir le point central du soleil, il faut quelque chose qui rectifie cela. En mettant une boule, le centre de l'ombre qu'elle forme, donne ce point sans autre opération, ce qui est une facilité. La différence qui résulte du calcul de l'ombre d'un obélisque, avec, ou sans cette boule, est considérable, puisqu'elle est de tout le demi-diametre du soleil ; & cette différence doit être observée pour la justesse du calcul astronomique.

Ces obélisques ont été appellés gnomon, , mot qui en grec signifie ce qui montre, ce qui marque, ce qui fait connoître, & que l'on a adopté en notre langue. La science de l'ombre a recommencé à être cultivée avec succès en ces derniers siecles, & a produit cette variété prodigieuse de cadrans solaires pour toutes les expositions possibles.

Ce que nous avons dit jusqu'à présent des ombres ne convient généralement qu'aux peuples situés entre l'équateur & le pole septentrional, vers lequel leur ombre est toujours tournée à midi. au-de-là de l'équateur, c'est tout le contraire. L'ombre d'un objet élevé se tourne toujours vers le sud, lorsqu'il est midi. Cela se conclud sans peine du principe général, que l'ombre est toujours opposée en droite ligne au corps lumineux. Puisque les habitans de ce pays-là sont entre la ligne du soleil & le pole méridional, il faut qu'à midi leur ombre soit tournée nécessairement vers ce pole.

Pour distinguer les ombres, on les nomme du nom de la partie du monde vers laquelle elles se jettent ; l'ombre d'une pyramide à six heures du matin est occidentale, à midi septentrionale pour nous, méridionale pour les peuples au-delà de l'équateur, & à six heures du soir elle est orientale ; ceci n'a pas besoin d'être prouvé.

Les Grecs appellent l'ombre ; de-là viennent tous ces mots terminés en scii, & formés de diverses propositions ; comme a, sans ; , de deux côtés ; , tout à l'entour, ou du mot , l'un ou l'autre ; & ces mots que les géographes latins ont emprunté des Grecs, ont servi à distinguer les habitans du globe terrestre par la différence des ombres.

Ainsi on appelle asciens, ascii, du mot , sans ombre, les peuples qui à midi n'ont point d'ombre, ce qui ne convient qu'aux peuples situés entre deux tropiques : car en certains tems de l'année, ils ont à midi le soleil à leur zénith ; ou pour dire la même chose en termes vulgaires, le soleil passe à plomb sur leurs têtes, de façon que leur ombre est alors sous eux. Cela n'arrive pas en même tems à tous les peuples situés entre les deux tropiques, mais successivement & à mesure que le soleil s'approche du tropique vers lequel ils sont ; par exemple, tous les peuples qui sont sous l'équateur n'ont point d'ombre à midi dans le tems des équinoxes. Ils ne commencent à en avoir, que quand il s'éloigne vers l'un ou vers l'autre des tropiques : alors ceux qui sont entre l'équateur & le tropique, dont le soleil s'approche de jour en jour, deviennent asciens, ou sans ombre à midi, à mesure que le soleil passe par leur parallele.

Les amphisciens, amphiscii, sont ceux qui ont deux ombres différentes, c'est-à-dire dont l'ombre est alternativement septentrionale ou méridionale ; cela est commun aux peuples qui habitent la zone torride. Supposons une pyramide ou un obélisque sur la côte d'or en Guinée au bord de la mer, auprès de Saint-George de la Mine ou Elmina, comme l'appellent les Hollandois, ou en tel autre lieu de cette côte ; lorsque le soleil est par les 3d environ 30', cette pyramide ou cet obélisque sera sans ombre ; mais lorsqu'il s'avance vers le tropique du cancer, ou qu'il en revient, jusqu'à ce qu'il soit parvenu à ce parallele que nous avons dit de 3 deg. environ 30 min. l'ombre de la pyramide ou de cet obélisque sera méridionale & tombera dans la mer. Au contraire, lorsque le soleil aura repassé ce parallele, l'ombre de la pyramide ou de l'obélisque sera septentrionale, & tombera dans les terres.

Il faut bien se ressouvenir que nous ne parlons ici que de l'ombre de l'instant du midi vrai. Le lecteur se rappellera aussi ce que nous avons dit de l'ombre de six heures du matin, & de celle de six heures du soir, qui, quoique jettées l'une à l'occident, l'autre à l'orient, font ensemble une ligne droite continuée aux deux côtés de la perche, dont le pié les unit. Il en est de même de l'ombre méridionale ou septentrionale qu'aura successivement la pyramide dont nous parlons ; ces deux ombres feront ensemble une ligne droite.

Les perisciens, periscii, sont ceux dont les ombres tournent autour d'eux. On sait que les peuples qui demeureroient sous un des poles, n'auroient dans toute l'année qu'un jour de six mois, & une nuit d'une égale durée ; or il est aisé de comprendre que ne perdant de vûe le soleil qui ne quitte point leur horison pendant six mois, leur ombre devroit tourner autour d'eux autant de fois qu'il y a de jours de vingt-quatre heures, dans ces six mois de jour perpétuel dont ils jouiroient. Il est ici question de l'ombre perpétuelle, & de toutes les heures, & non pas de l'ombre méridienne qui est toujours tournée du même côté, selon le pole.

Mais si l'on conçoit que le méridien ne se termine pas au pole, & qu'il se continue au-delà en faisant un cercle entier, alors le soleil coupe deux fois le méridien, une fois à midi, & l'autre fois à minuit. Pour nous il disparoît, & lorsqu'il parcourt la partie inférieure de notre méridien, il ne peut nous donner d'ombre puisque sa lumiere nous est cachée ; mais les peuples que nous supposons sous le pole, ne cessent point de le voir pendant six mois, puisqu'il ne quitte point leur horison. Alors l'ombre de midi & l'ombre de minuit, tracées sur une même ligne qui est le méridien, se jettent en deux parties opposées, & font ensemble une ligne droite ; & ces deux ombres sont à douze heures l'une de l'autre. Si le corps élevé qui forme l'ombre, est précisément sous le pole, les deux ombres seront également tournées vers le midi. S'il est à quelque distance, l'ombre à midi sera septentrionale, & à minuit méridionale.

Les hétérosciens, heteroscii, sont les peuples dont l'ombre méridienne est toujours tournée du même côté. Cela convient à ceux qui habitent entre le tropique & le cercle polaire. Ceux qui sont au nord du tropique, ont toujours l'ombre méridienne septentrionale : ceux qui vivent au sud du tropique du capricorne, ont toujours l'ombre méridienne au midi.

Les peuples situés sous l'un ou l'autre des deux tropiques, n'ont point d'ombre quand le soleil est arrivé à leur tropique. Le reste de l'année, ils ont une ombre qui est toujours la même à midi. C'est ce que les Géographes expriment par ces paroles, qu'ils sont asciens & hétérosciens.

Les peuples de la zone torride, situés entre les deux tropiques, n'ont point d'ombre quand le soleil passe par leur parallele ; mais dès qu'il s'en écarte, ils ont une ombre qui est ou septentrionale ou méridionale, selon qu'il avance vers l'un ou vers l'autre tropique ; c'est ce que veulent dire ces mots asciens & amphisciens.

Les peuples des zones tempérées n'ont qu'une ombre, qui est toujours ou septentrionale ou méridionale, comme nous l'avons expliqué ci-dessus. Ainsi ils sont hétérosciens, & ne sauroient être asciens, parce que le soleil n'arrive jamais à leur parallele.

Les peuples des zones froides ont toujours durant six mois, le soleil qui tourne autour d'eux, & fait tourner leur ombre de même. Il coupe deux fois en vingt-quatre heures le méridien ; ainsi ils sont Périsciens, comme nous l'avons dit ci-dessus. (D.J.)

OMBRE, UMBRE, MAIGRE, DAINC, umbra, (Histoire naturelle, Ichthyologie) poisson de mer que l'on a nommé ombre parce qu'il a sur les côtés du corps des bandes transversales d'une couleur jaune, obscure & de différentes teintes ; ces bandes représentent des ombres par leur position ; il y a successivement depuis la tête jusqu'à la queue une bande de couleur foncée, & une autre d'une couleur plus claire. Ce poisson est plus grand que le corps, il a le même nombre de nageoires ; mais elles sont plus courtes & moins noires, principalement celles du ventre & du dos. Il est de couleur noirâtre, & il a un tubercule placé à l'extrêmité de la mâchoire inférieure ; la tête est couverte de petites écailles. Il y a devant les yeux deux enfoncemens un peu grands, & plusieurs petits sur la mâchoire inférieure. Les mâchoires sont entierement dépourvûes de dents. L'ombre a la chair blanche, séche, & d'un goût très-bon, mais elle est difficile à digérer. On sert ce poisson sur les meilleures tables. Rondelet, hist. des poissons I. part. liv. V. chap. jx. Voyez POISSONS.

OMBRE DE RIVIERE, umbra fluviatilis, poisson de riviere auquel on a donné le nom d'ombre, à cause de sa couleur brune ; il croît jusqu'à une coudée ; il a deux nageoires sur le dos deux sur le ventre & une à chaque ouie ; il ressemble à la truite, mais il a la tête plus longue & la bouche plus petite. Les mâchoires sont dépourvûes de dents, & moins pointues que dans la truite : les yeux sont fort ouverts, la queue est large & fourchue. Il y a sur les côtés du corps une ligne de couleur obscure, qui s'étend depuis les ouies jusqu'à la queue. La chair de ce poisson est blanche, séche & de bon goût. Rondelet, hist. des poissons, I. part. chap. iij. Voyez POISSONS.

OMBRE, TERRE D '(Hist. nat. Minéral. & Peint.) umbra, creta umbria. C'est une terre d'un brun plus ou moins foncé ; elle est légere & en poussiere ; elle a la proprieté de s'enflammer dans le feu, & de répandre une odeur fétide. Son nom paroît venir de l'Ombrie, pays d'Italie, d'où il vient sous ce nom une terre d'un brun clair. La terre de Cologne est une terre colorée plus foncée.

La propriété que la terre d'ombre a de s'enflammer & de répandre une odeur désagréable, fait voir qu'elle contient une substance bitumineuse de la nature du charbon de terre.

M. Emanuel Mendez d'Acosta, dans son hist. nat. des fossiles, p. 101. & ss. met la terre d'ombre au rang des ochres ; il parle d'une terre d'ombre trouvée en Angleterre qui produisit un phénomene très-curieux. Une personne ayant pulvérisé cette terre d'ombre & l'ayant mêlée avec de l'huile de lin, pour la broyer & s'en servir à peindre, en fit un tas, après quoi il sortit de sa chambre, & à son retour au bout de trois quart-d'heure, il trouva que ce tas s'étoit enflammé de lui-même, & répandoit une odeur insupportable. La même expérience a été réiterée à Londres avec le même succès. Cette terre d'ombre avoit été tirée d'une mine de plomb de la province de Derbyshire, à environ dix brasses de profondeur au-dessous de la surface de la terre ; on dit qu'il y en a une couche fort épaisse.

Il y auroit lieu de croire, que cette inflammation spontanée est venue de quelques portions d'alun, contenues dans cette terre, qui a fait avec l'huile de lin une espece de pyrophore. (-)

OMBRE, (Littér.) umbra. Les latins appelloient ombres, ceux qu'un convié amenoit de son chef à un festin d'invitation. Plutarque a fait là-dessus un grand chapitre dans le septieme livre de ses propos de table. (D.J.)

OMBRE, (Mythol.) dans le système de la théologie payenne, ce qu'on appelloit ombre, n'étoit ni le corps, ni l'ame, mais quelque chose qui tenoit le milieu entre le corps & l'ame, quelque chose qui avoit la figure & les qualités du corps de l'homme, & qui servoit comme d'enveloppe à l'ame, c'est ce que les Grecs appelloient idolon ou phantasma, & les latins umbra, simulachrum ; ce n'étoit donc ni le corps, ni l'ame qui descendoit dans les enfers, mais uniquement cette ombre. Ulysse voit l'ombre d'Hercule dans les champs élisées, pendant que ce héros est dans les cieux. Il n'étoit pas permis aux ombres de traverser le styx, avant que leurs corps eussent été mis dans un tombeau ; mais elles étoient errantes sur le rivage pendant cent ans, au bout desquels elles passoient enfin à cet autre bord si désiré. (D.J.)

OMBRE, (terme de Blason) ce mot se dit de l'image d'un corps qui est si déliée qu'on voit le champ de l'écu à travers. On nomme aussi ombre de soleil, ses représentations où on ne figure pas un nez, des yeux, une bouche, comme on fait ordinairement. Ménétrier.


OMBRÉadj. en termes de Blason, se dit des figures qui sont ombrées, ou tracées de noir pour qu'on puisse mieux les distinguer. Des Pruets en Bearn, d'azur à une chapelle d'argent sur une terrasse d'or, ombrée de sinople.


OMBRERv. a. (Gramm. Peint. & Dessein) c'est pratiquer des ombres. On dit ombrer un dessein, ombrer une partie d'un tableau.


OMBRI(Géog. anc.) c'est ainsi qu'écrivent les Grecs par un o, & les Latins emploient un u, & disent Umbri au pluriel, & Umber au singulier ; c'étoit une nation celtique qui mérite un peu de détail.

A peine les Illyriens d'une part, & les Iberes de l'autre commençoient à se fortifier en différentes contrées de l'Italie, qu'ils furent troublés dans leurs possessions par de nouveaux hôtes qui vinrent en grand nombre s'en emparer les armes à la main. Ce sont les nations celtiques qui pénétrerent en Italie par les gorges du Tirol & du Trentin. Le nom d'Ombri, sous lequel Pline & d'autres écrivains les ont désignées, étoit dans leur langue une épithete honorable, qui signifioit noble, vaillant, & dont le singulier Ombra est encore usité dans la langue irlandoise : il est traduit dans le dictionnaire anglois, publié par Edmond Luyd, bonus, magnus, nobilis.

Pline donne une très-grande étendue au pays occupé par les Ombri. Selon cet auteur, ils avoient été maîtres de l'Etrurie avant l'arrivée des Pélasges ou Grecs & des Toscans : ils occupoient pour lors tous les pays qui sont des deux côtés du Pô au nord & au sud : Ariminum & Ravenne sont deux de leurs colonies. L'Ombrie du milieu, située entre le Picenum & l'Etrurie, portoit le nom des anciens Celtes, & les habitans de cette contrée les reconnoissoient pour leurs ancêtres. Pline ajoute qu'ils furent chassés par les Toscans, & que ceux-ci le furent à leur tour par les Gaulois qui long-tems après envahirent l'Italie vers l'an 600 avant l'ére chrétienne. D'où il résulte 1°. que les Ombri avoient été maîtres de tout ce qui dans la suite appartint aux Gaulois : 2°. que l'invasion de ces derniers étoit moins une usurpation, que la conquête d'un pays possédé dans l'origine par des peuples de leur nation, que les Toscans en avoient dépouillés. Si nous connoissions mieux l'histoire de ces tems reculés, nous trouverions, dit M. Freret, que les entreprises de ces peuples, traités de barbares par les Grecs & les Romains, étoient presque toujours légitimes, ou du moins revêtues d'une apparence de justice.

La partie de ces Ombri qui s'étoit fixée au nord du Pô, s'y maintint, & garda toujours son ancien nom. Les écrivains romains les nomment Insubres ; mais Polybe les appelle Isombri ; & ce nom purement gaulois signifie les Ombri inférieurs. Ces Insubres occupoient le Milanois & les contrées voisines : leur capitale étoit Mediolanum, nom commun à plusieurs villes de la Gaule & de l'île Britannique.

Celui d'Ombri ou d'Ambri, qui d'abord avoit été le nom général d'une nation très-étendue, comprenoit tous les peuples d'origine celtique qui étoient situés à l'orient & à l'occident des Alpes depuis le Rhin jusqu'à la mer. D'une part les Helvétiens, ou peuples de la Suisse, de l'autre les habitans des côtes de la Méditerranée ou de la Ligurie, portoient également ce nom. Plutarque en rapporte une preuve singuliere. Dans la guerre des Cimbres, les Romains avoient parmi leurs troupes un corps de Liguriens ; d'un autre côté trente mille Helvétiens servoient dans l'armée des Cimbres : ces Liguriens & ces Helvétiens armés les uns contre les autres, se donnoient le même nom d'Ombri ou d'Ambrons, qu'ils répétoient avec de grands cris en allant au combat ; en sorte que le même cri de guerre retentissoit à la fois dans les deux armées.

Cette observation de Plutarque, en marquant les deux termes les plus reculés qui bornoient au nord & au sud la ligne des Ombri, nous montre quelle étoit son étendue. Dans la suite les peuples qui la composoient, s'étant ligués en plusieurs cités ou ligues particulieres, se distinguerent par différens noms, dont le plus connu est celui des Liguriens, Ligues ou Ligures. Les Romains ont donné ce nom de Ligures à bien des peuples qui ne devoient pas le porter ; aux Allobroges, aux Vocontiens, & même à des nations voisines du Trentin & placées dans les Alpes. C'étoit une méprise uniquement fondée sur l'origine commune de ces différens peuples celtiques ; mais qui donnoit une acception trop étendue à un mot dont la signification est restrainte par son étymologie même. En effet, ce nom de Ligures, Lly-gour en celtique, signifie homme de mer ; aussi ne l'avoit-on donné d'abord qu'aux Ombri méridionaux, & voisins de la mer, comme une épithete relative à leur situation. Les peuples celtiques répandus sur les côtes de la Méditerranée, depuis l'embouchure du Rhône jusqu'à celle de l'Arno, étoient les seuls à qui cette nomination convint proprement.

Le tems de l'entrée des nations celtiques ou Ombriennes en Italie, doit être très-ancien ; mais il est impossible de le déterminer avec précision. Tout ce qu'on peut assurer, c'est que d'une part ils y trouverent les colonies illyriennes & iberes, puisqu'au rapport de Pline, ils leur enleverent une partie de la contrée ; & que de l'autre, leurs établissemens étoient formés lorsque les colonies des Pélasges ou des anciens Grecs pénétrerent en Italie. Voyez l'hist. de l'académie des Insc. tom. XVIII. (D.J.)


OMBRICI(Géog. anc.) anciens peuples de l'Illyrie, dont Hérodote & Stobée font mention. Peucer croit que c'est à présent la Croatie.


OMBRIE(Géog.) province de l'état ecclésiastique. L'ancien nom étoit Umbria. Le nom moderne est le duché de Spolete ; mais comme les limites en sont différentes, voyez UMBRIA & SPOLETE.


OMBROMETRES. m. (Phys.) machine qui sert à mesurer la quantité de pluie qui tombe chaque année. On trouvera la description & la figure d'un ombremetre dans les Transact. philos. n°. 473. pag. 12.

Cette machine consiste dans un entonnoir de fer blanc, dont la surface est d'un pouce quarré, applatie, avec un tuyau de verre placé dans le milieu. L'élévation de l'eau dans le tube, dont la capacité est marquée par degrés, montre la quantité de pluie qui tombe en différens tems.


OMBRONE L (Géog.) riviere d'Italie dans la Toscane ; elle prend sa source dans le Siennois, & se rend dans la mer de Toscane, au-dessous de Grossetto. (D.J.)


OMBUS. m. (Hist. nat. & Botan.) arbre du Brésil qui ressemble de loin à un citronnier ou à un limonier. Son tronc est bas ; sa feuille lisse, vert gai, aigre, astringente au goût ; sa fleur blanchâtre ; son fruit blanc, tirant sur le jaune, semblable à une grosse prune, mais d'une chair plus dure : mûri par un tems pluvieux, d'un aigre-doux agréable, autrement austere ; & sa racine profonde, tubéreuse, cendrée au-dehors, blanche comme neige en-dedans, contenant une chair molle comme la calebasse : cette chair mangée se résout en un suc aqueux, rafraîchissant, doux, délicieux, salutaire aux fébricitans, bon pour les voyageurs & pour ceux qui sont échauffés. Rai.


OMELETTES. f. (Cuisine) sorte de ragoût où fricassée d'oeufs mêlés avec d'autres ingrédiens, qui est fort en usage en France & en Espagne.

Ménage fait venir ce mot de l'italien animella, petite ame ; parce que, dit-il, le peuple d'Italie donne ce nom aux morceaux les plus délicats dans l'abattis de la volaille qu'on met dans les fricassées, comme foies, coeurs, gésiers, &c. De-là Ménage forme par ressemblance le mot françois amelette, qui signifie une fricassée d'oeufs. Nicod fait venir ce mot de , ensemble, & de , dissoudre, mêler, mouiller. Et M. de la Mothe le Vayer le fait venir des mots François oeufs, & de mêlés, c'est-à-dire oeufs mêlés.

Il y a différentes especes d'omelettes, comme omelettes farcies, omelettes au sucre, omelettes aux pois verds, omelettes à la turque, &c.

OMELETTE, (terme de Marchands de vin) les cabaretiers & marchands de vin nomment ainsi des oeufs cassés & battus, qu'ils jettent (jaune, blanc & coquilles en semble), par le bondon d'une piece de vin, pour l'éclaircir quand il reste trop long-tems trouble. Cette maniere d'éclaircir le vin n'est propre que pour les vins couverts, & sur lesquels la colle de poisson ne prend pas. Elle est au reste très-innocente, & nullement préjudiciable à la santé. (D.J.)


OMENS. m. (Hist. anc.) signe ou présage de l'avenir tiré des paroles d'une personne. Voyez AUGURE, DIVINATION. Festus fait venir ce mot de oremen quod fit ore, parce que le présage dont il s'agit sort de la bouche de quelqu'un. Voyez PRESAGE.

Omen praerogativum se disoit, chez les Romains, du suffrage de la premiere tribu, ou centurie dans les comices.

Quand on proposoit une loi, ou qu'on devoit faire une élection, on donnoit à certains officiers une urne dans laquelle étoient les noms de chaque tribu, ou centurie, ou curie, selon que les comices devoient se tenir par tribus, par centuries, ou par curies. Quand on tiroit les billets, celle des tribus, ou centuries, ou curies dont le nom venoit le premier, étoit appellée tribu ou centurie prérogative, parce que c'étoit celle qui votoit la premiere. Le succès dépendoit principalement de cette premiere centurie, que les autres suivoient ordinairement. Le candidat nommé par la premiere centurie avoit l'omen praerogativum, c'est-à-dire, le premier & le principal suffrage.


OMENTUM(Anatom.) c'est un grand sac membraneux, mince & très-fin, environné en tous sens de plusieurs bandes graisseuses, qui accompagnent & même enveloppent autant de bandes vasculaires, c'est-à-dire, autant d'arteres & de veines collées ensemble ; ce sac membraneux décrit parfaitement par Malpighi, porte indifféremment le nom d'omentum & d'épiploon ; on le nomme coëffe dans les animaux.

Il est pour la plus grande partie semblable à une espece de bourse applatie, ou à une gibeciere vuide. Il est étendu plus ou moins sur les intestins grêles, depuis l'estomac jusqu'au bas de la région ombilicale ; quelquefois il descend davantage, même jusqu'au bas de l'hypogastre ; & quelquefois il ne passe pas la région épigastrique. Il est pour l'ordinaire plissé d'espace en espace, sur-tout entre les bandes.

L'omentum en général dans toute son étendue, est composé de deux lames extrêmement fines, & néanmoins jointes par un tissu cellulaire ; ce tissu a beaucoup de volume le long des vaisseaux sanguins, qu'il accompagne par-tout en maniere de bandes larges, & proportionnées aux branches & aux ramifications de ces vaisseaux. Ces bandes cellulaires sont remplies de graisse plus ou moins, selon les degrés d'embonpoint de l'homme. De-là vient que son poids, qui est ordinairement de demi livre dans les adultes qui ne sont ni gras ni maigres, varie beaucoup quand il est chargé de graisse.

Il est attaché par sa partie supérieure antérieurement avec le fond du ventricule, le duodenum & la rate ; postérieurement avec l'intestin colon, & avec le pancréas ; mais il est flottant à la partie inférieure.

L'omentum reçoit plusieurs branches d'arteres de la coeliaque & de la mésentérique ; plusieurs veines de la porte, & particulierement du rameau splénique, quoiqu'on appelle ces vaisseaux, du nom de l'épiploon, veines & arteres épiploïques ; & parce qu'il y en a quelques-uns qui sont communs à l'estomac & à l'épiploon, on les appelle gastro-épiploïques.

Cette membrane reçoit peu de nerfs de l'intercostal & de la paire vague ; mais elle a beaucoup de vaisseaux lymphatiques, qui par leur rupture causent une hydropisie particuliere, comprise entre ces deux tuniques, que l'on guérit par la ponction. Tous ces vaisseaux avec quelques petites glandes, s'accompagnent les uns les autres ; & dans les endroits où il n'y a point de vaisseaux, la membrane de l'omentum est très-fine.

La substance celluleuse de Ruysch est entre les deux lames de l'omentum. C'est dans cette substance où rampent les vaisseaux sanguins ; les arteres forment des plexus réticulaires autour des sacs de la graisse ; les veines qui leur répondent en forment de même. Au reste, ces vaisseaux sont innombrables, au point que quand ils sont bien visibles, leurs ramifications font paroître l'omentum comme un réseau, ce qui lui a valu le nom latin de rete.

Si présentement l'on considere la connexion, la situation, la structure, l'insertion, le tissu de l'omentum, qui est aussi fin qu'une toile d'araignée, ou que la plus fine étoffe de soie, & qu'on compare ce que l'illustre Malpighi en a dit, avec ce que les anatomistes ont découvert par leur industrie dans les corps de divers animaux, on saura que les arteres épiploïques qui se distribuent en plexus réticulaires très-fins aux environs des petits sacs adipeux, & qui se terminent par de petites veines pareillement situées au même endroit, séparent par des émonctoires latéraux, au-dedans de ces petits sacs graisseux, l'huile fine & subtile du sang qui s'y amasse, y est retenue, y est atténuée sans cesse, & d'une façon merveilleuse par la chaleur, le mouvement, le frottement de ces parties ; elle s'y alkalise, y acquiert une nature plus volatile, & y devient semblable à la bile ; desorte enfin que cet amas d'huile ainsi changée, peut sortir de ces petites cellules adipeuses, lesquelles sont unies ensemble, & souvent en certains conduits ; enfin elle peut être portée jusqu'au foie, & par conséquent se mêler au sang de la rate, qui doit aussi se rendre à ce viscere.

Comme il y a une infinité de petits vaisseaux distribués dans l'omentum, que leur surface est percée de mille petits trous, & que cette surface est d'un tissu si fin & si délicat, qu'elle ne peut manquer d'être propre à l'exhalaison, à la transudation & à la résorbtion, il paroît vraisemblable que la vapeur subtile qui sort continuellement sous la forme d'une rosée déliée dans le ventre des animaux vivans par les orifices très-petits des vaisseaux exhalans, est repompée par les pores absorbans de l'omentum. On ne peut douter que cette humeur ne soit très-subtile & très-volatile, si l'on en juge par son origine, par sa nature, par l'odeur qui se répand à l'ouverture du bas-ventre, enfin par la dissipation & la réparation continuelle.

Il n'y a point dans l'omentum de l'homme d'autre vaisseau excrétoire connu, que deux veines ; l'épiploïque droite & l'épiploïque gauche ; c'est pourquoi il est probable que tout le sang veineux de l'épiploon, plein de lymphe & d'huile, se verse & se mêle avec le sang qui doit aller au foie. Il s'ensuit que plus un animal sera en mouvement, plus d'huile doit s'exprimer de l'omentum ; aussi l'expérience nous apprend que l'épiploon est fort maigre dans ceux qui font beaucoup d'exercice.

Comme les vaisseaux sont relâchés dans les hydropiques, on voit que les vésicules destinées dans l'épiploon à recevoir la graisse, doivent se remplir de sérosité, la même chose doit arriver dans ceux qui ont été affoiblis & amaigris par des maladies ; enfin on voit pourquoi les visceres qui sont attachés à l'omentum n'ont pas de graisse ; la grande quantité qui s'en dépose dans l'omentum ne permet pas qu'il s'en dépose dans les parties voisines.

L'usage de l'omentum, selon l'opinion la plus générale, est 1°. sur-tout de servir au mouvement des intestins en les humectant ; 2°. de les défendre contre le froid en les échauffant doucement ; 3°. de modérer les frottemens, & empêcher le ventricule & les intestins d'essuyer de trop violentes pressions ; 4°. d'aider à préparer la bile en fournissant la partie grasse ; car tout ce qui reflue de l'omentum entre dans le foie ; 5°. de tempérer les humeurs âcres ; 6°. de nourrir peut-être les parties quand la nourriture leur manque d'ailleurs.

Cette partie est sujette, comme les autres, à des accidens & à des maladies ; c'en est une bien considérable que l'abondance de la graisse. Vésale a vu un omentum qui en partie pour cette raison, pesoit plus de cinq livres.

Mais il est parlé dans l'hist. de l'ac. des Scienc. année 1732, d'un fait encore plus étrange, je veux dire d'un épiploon augmenté au point de peser treize livres neuf onces, & si endurci, qu'il fallut employer la scie pour l'ouvrir. Il étoit ossifié, mais non pas uniformément. Il y paroissoit une infinité de feuillets membraneux très-minces, dont les pelotons avoient été de la graisse dans l'état naturel. L'omentum dont nous parlons étoit celui d'une fille de 73 ans, & l'augmentation s'en étoit faite insensiblement depuis l'âge de 34 ans jusqu'à l'âge de 70. Cette fille naturellement agissante, continua de l'être toujours, & sans beaucoup d'incommodité malgré son épiploon monstrueux, soit parce qu'elle s'accoutuma à son mal qui n'augmentoit que très-lentement, soit parce que cette tumeur, qui étoit roulante, s'accommodoit aux situations que la malade vouloit prendre.

Je n'ajoute qu'une observation chirurgicale ; c'est que dans les plaies qui arrivent dans la capacité du bas-ventre, il arrive assez souvent que l'épiploon sort avec l'intestin, conjointement ou séparément : pour lors l'air corrompt aisément cette partie graisseuse, ce que l'on connoît par sa froideur & par sa couleur blafarde : il faut en ce cas, si l'omentum est seul, le réunir en-dedans le plus promptement qu'il est possible, après en avoir fait artistement la ligature dans la partie saine ; s'il est accompagné de l'intestin, il faut réduire l'intestin d'abord, & ensuite l'omentum, après l'avoir lié : s'il est seul, & qu'il n'ait aucune marque de corruption, il faut le réduire au plus tôt, de peur qu'il ne se corrompe. (D.J.)


OMERSAINT - (Géog.) ville de France en Artois, capitale d'un bailliage, avec des fortifications, un château, & un évêché suffragant de Cambrai. Elle est sur la riviere d'Aa, dans un marais qui la rend très-forte, à 3 lieues d'Aire, 6 de Bergues, 8 de Dunkerque & de Calais, 8 de Béthune, 54 N. O. de Paris. Long. 19d. 54'. 57''. lat. 50d. 44'. 46''.

Cette ville a commencé par le monastere de Sithui, que l'évêque de Térouanne y bâtit vers l'an 648, dont il établit abbé S. Mommolein.

Suger, abbé de S. Denis, & bien plus illustre que S. Mommolein, étoit natif de S. Omer. Si l'église ne l'a pas écrit dans son martyrologe, l'histoire l'a consacré dans ses fastes. Il mourut âgé de 70 ans, après avoir été employé par Louis le Gros à l'administration des plus grandes affaires ; ensuite Louis le Jeune le nomma son premier ministre, & regent du royaume. Suger étoit d'une figure commune, & de médiocre naissance ; mais il est beau d'être né de soi-même. Il gouverna l'état avec zèle, avec sagesse, & avec une admirable probité.

Dausqueius (Claude), chanoine de Tournay, naquit à S. Omer en 1566. Il se fit jésuite je ne sai quand, quitta la société je ne sai quand, & pour quel sujet. Il n'étoit pas un littérateur inepte ; mais son style est obscur & affecté. Il eut une querelle avec des cordeliers, qui soutenoient que S. Paul avoit été saint dès le ventre de sa mere : c'est là-dessus qu'il publia un livre intitulé sancti Pauli sanctitudo in utero, extrà, in solo, & in coelo latet. Paris 1627 in -8°. Son antiqui novig. latii orthographia, estimé par Saumaise & Vossius, fut imprimé à Tournay, Tornaci, en 1632, in-fol. & ensuite à Paris, en 1677. (D.J.)


OMÉTÉPEC(Géog.) riviere de l'Amérique dans la nouvelle Espagne, au gouvernement de Guaxaca. Elle tire sa source des montagnes de Xicayan, & se décharge dans la mer du sud, au port de Técuanapa. (D.J.)


OMETOCHTLI(Hist. mod. superstit.) c'est le nom sous lequel les Méxicains désignoient le dieu du vin.


OMI(Géog.) province & royaume du Japon dans la grande île Niphon. Elle est au sud des trois villes impériales de Méaco, d'Osaca & de Sacaï. Elle est encore célébre par le grand lac d'Oits. (D.J.)


OMINAMISJIautrement SJIRO-BANNA (Hist. nat. Botan.) c'est une plante du Japon qui ressemble à la verveine par ses feuilles. Sa tige ronde & cannelée pousse plusieurs branches qui se terminent par des bouquets de fleurs rouges, semblables à celles du sureau. Sa graine est ovale & de la grosseur de l'anis.


OMLAN(Hist. nat. Bot.) arbre des Indes orientales, qui porte un fruit rouge de la forme d'une amande, & dont la fleur est belle & d'une odeur agréable.


OMMATIAS(Hist. nat.) c'est, suivant Gesner, une pierre de couleur noirâtre, dure comme le caillou, qui est de la figure & de la grandeur de l'oeil d'un veau. (-)


OMMELANDESLES (Géog.) nom qu'on donne au plat-pays qui est aux environs de Groningue, & qui, avec cette ville, forme une des sept Provinces-unies. Il faut donc savoir que la province de Groningue est composée de deux membres ; savoir, de celui de la ville de Groningue, & de celui du pays circonvoisin, qu'on appelle en flamand Ommelanden ; & ces deux membres font une province souveraine. L'Ommelanden est divisé en trois quartiers, nommés hunsingo, fivelingo & wester-quartico, c'est-à-dire, le quartier occidental. Ces trois quartiers, qui sont subdivisés en trois autres sous-quartiers, n'ont point de villes ; mais ils ont des villages au nombre de 128, sans compter ceux qui dépendent de la ville de Groningue. Vers l'an 890 il n'y avoit dans les Ommelandes que cinq gros villages, d'où l'on peut juger combien la population s'est étendue depuis lors dans ce pays-là. (D.J.)


OMMIADES. m. (Hist. des Arabes) nom des princes d'une dynastie arabe, qui depuis l'an 32 de l'hégire, ont possédé le kalifat pendant 91 ans, selon les uns, & davantage selon les autres. Quoiqu'il en soit, ils prirent ce nom d'Ommiah leur chef, dont ils descendoient.


OMMIRABI(Géog.) grande riviere d'Afrique dans la Barbarie au royaume de Maroc. Elle a sa source au mont Atlas, se grossit dans son cours par la riviere des Negres, & forme un golfe à son embouchure, au midi de laquelle Mazagan est situé. Il paroît par la lecture de Ptolémée, que l'Ommirabi doit être la Cura, & non l'Asama des anciens, comme le pense M. Delisle.


OMOLou HOMOLE, (Géog. anc.) en grec , montagne de Thessalie, selon Strabon & Pausanias. Le Scholiaste de Théocrite, in Idyl. 6. fait mention de la fête de Jupiter Homoloïen, & du culte de Cérès Homoloïenne. (D.J.)


OMOMIS. f. (Calend.) onzieme mois de l'année des anciens habitans de la Cappadoce. Comme leur année commençoit en Septembre, l'Omomi répondoit à-peu-près à notre Juillet.


OMOPHAGESS. m. pl. (Hist. anc.) nom que les anciens géographes ont donné à certaines nations qui se nourrissoient de chair crue, comme les Scythes, &c.

Ce mot est formé du grec , crû, & , je mange.


OMOPHAGIES(Antiq. grecq.) fêtes qu'on célebroit dans les îles de Chio & de Ténédos en l'honneur de Bacchus, qui étoit surnommé Omadius. Arnobe, dans sa description de cette fête, dit que les Grecs, animés de la fureur bacchique, s'entortilloient de serpens & mangeoient du chevreuil crud, dont ils avoient la bouche ensanglantée. On voit dans quelques figures des fêtes mithriaques des hommes entortillés de serpens ; mais il est fort douteux que cet usage se pratiquât dans les omophagies. Ces mot ne désigne peut-être autre chose que fêtes où l'on mangeoit ensemble. (D.J.)


OMOPHOSS. m. (Hist. anc.) partie de l'habit des femmes romaines ; c'étoit une espece de mantelet qui couvroit la tête & les épaules.

La bande longue que les évêques & archevêques portoient autour du col, & dont les bouts descendoient par-devant & sur les épaules, s'appelloit aussi omophorium.


OMOPLATES. f. (Anat.) ce mot est grec, il vient de , épaule, & , large. Les omoplates sont des os larges & minces, qui sont situés de chaque côté à la partie postérieure de la poitrine, & qui sont couchés sur les vraies côtes, depuis la seconde jusqu'à la sixieme.

Les omoplates dans leur figure représentent un triangle inégal, large par en-haut, étroit par enbas, ou, pour mieux dire, une pyramide renversée. Leur surface intérieure est cave, & le muscle sous scapulaire s'y trouve logé ; ce qui lui permet de mieux s'appliquer sur les côtes qui sont convexes. Les omoplates sont aussi convexes en-dehors, & plus épaisses en leurs bords antérieurs & postérieurs, qu'au milieu où elles sont minces.

Le bord de l'omoplate, qui est le plus proche des vertèbres, ou sa partie postérieure, se nomme sa base, laquelle se termine par deux angles, l'un appellé supérieur, & l'autre inférieur. Les parties qui viennent de ces angles vers son cou sont nommées les côtes de l'omoplate, que l'on distingue aussi en supérieure & en inférieure ; la supérieure est la plus courte & la plus mince ; l'inférieure est la plus longue & la plus épaisse, & elle regarde vers le devant. Tous les bords de l'omoplate ont des levres extérieures, intérieures & moyennes.

Cet os a trois apophyses : la premiere & la plus longue s'appelle l'épine, à cause de son éminence considérable ; elle traverse la partie postérieure & la plus large de l'omoplate. L'extrêmité de cette épine, qui est large & plate, & qui est articulée avec la clavicule, se nomme acromion, à cause qu'elle ressemble à une ancre ; elle empêche que l'os du bras ne se déplace vers le haut. A chaque côté de cette longue apophyse, il y a deux cavités : l'une au-dessus, qui se nomme sus-épineuse, & l'autre au-dessous, qu'on appelle sous-épineuse. Ces cavités contiennent deux muscles, qui servent au mouvement du bras, & qui empruntent chacun leur nom de leur situation ; l'un est appellé sus-épineux, & l'autre sous-épineux.

Il faut encore observer à l'omoplate deux échancrures ; l'une se trouve entre le cou de l'omoplate & l'acromion ; & l'autre entre la côte supérieure & l'apophyse coracoïde. Elles servent l'une & l'autre au passage des vaisseaux.

La seconde apophyse de l'omoplate s'étend depuis la partie supérieure de son cou, jusqu'à la tête de l'os du bras ; elle s'appelle coracoïde, parce qu'elle ressemble par sa courbure au bec d'un corbeau. Cette apophyse empêche que la dislocation de l'os du bras ne se fasse plus souvent en devant.

La troisieme apophyse de l'omoplate est appellée son cou : elle est plus courte & plus épaisse que les autres ; sa situation est à la partie supérieure & latérale de l'omoplate du côté du bras, & elle finit par une cavité plate, que l'on nomme glénoïde. Cette cavité est recouverte d'un cartilage lisse & poli, ce qui rend le mouvement du bras plus facile. Immédiatement derriere la cavité, cette apophyse est plus étroite, & s'appelle le cou.

Cette cavité plate est entourée d'un cercle cartilagineux, qui la rend plus profonde, & plus en état, par conséquent, de recevoir la tête de l'os du bras ; mais comme la tête qui s'y articule est fort grosse, il est à-propos d'observer que la plus grande partie de la cavité est formée par le ligament qui entoure l'articulation, & qui la retient dans sa cavité.

Il s'ensuit de-là que la dislocation du bras, qui se fait presque toujours vers la partie inférieure de la jointure de l'épaule, peut arriver sans qu'il s'y fasse une grande violence ; mais aussi cette structure favorise beaucoup le mouvement des bras, qui n'auroit pas été si libre en tout sens, si la cavité qui reçoit la tête de l'humerus, avoit été aussi profonde que celle qui est à l'os innominé, destinée à recevoir la tête de l'os de la cuisse. Il faut remarquer que l'os du bras ne se luxe jamais que quand il est écarté de la poitrine.

L'omoplate est seulement articulé avec les clavicules par le moyen de l'acromion, desorte qu'elle semble comme nager sur les côtes, sur lesquelles elle est tenue comme suspendue par le moyen des muscles qui s'y attachent pour la mouvoir. A la surface intérieure de l'omoplate, il y a un trou plus ou moins évident, par où passe une grosse veine.

Cet os a plusieurs usages : il sert 1°. à l'articulation de la clavicule & de l'os du bras : 2°. à rendre le mouvement du bras plus dégagé & plus facile. C'est pour cela, par exemple, que lorsqu'on plie le bras en-devant, l'omoplate éloigne sa base des côtes, en se retirant un peu à côté : quand on étend le bras en arriere, elle se releve vers l'épine, en s'éloignant un peu des côtes : quand on leve le bras en haut, sa base s'éloigne & s'approche vers le côté : quand on abaisse le bras, elle se remet en son état naturel. Enfin, l'omoplate sert d'attache à plusieurs muscles, & de défense aux parties intérieures. (D.J.)


OMPANORATESS. m. (Hist. mod.) est un nom qu'on donne aux prêtres de l'île de Madagascar. Ils sont les maîtres d'école du pays, où ils enseignent l'arabe & l'art d'écrire. Ils ont différens livres, mais qui ne contiennent autre chose que quelques chapitres de l'alcoran, & que quelques récettes de médecine.

Ils sont divisés en différentes classes, qui ont quelque rapport à nos dignités ecclésiastiques : savoir, ombiasses, secrétaires ou médecins ; tibou, soudiacre ; mouladzi, diacre ; faquihi, prêtre ; catibou, évêque ; lamlaemaha, archevêque ; ompitsiculi, prophetes ou devins ; sabaha, calife ou chef de la religion.

Les ompanorates font un grand trafic de talismans & d'autres charmes, qu'ils appellent hitidzi, & qu'ils vendent aux grands du pays. Ils font aussi de petites statues ou images, appellées auli, qu'ils consultent comme des oracles, & auxquelles ils attribuent différentes vertus, comme de rendre riches ceux qui les possédent, de détruire leurs ennemis, &c. Ils ont des écoles publiques où ils enseignent leurs superstitions & leurs sortileges.

Les ompitsiquili font profession de géomancie, & sont souvent consultés sur les maladies & sur le succès des affaires ; ils résolvent toutes les questions qu'on leur propose, par le moyen de quelques figures qu'ils tracent sur une petite table couverte de sable, en observant l'heure, le signe, la planete, & les autres superstitions de cet art, c'est ce que les peuples appellent l'oracle du squille. Les grands ont employé les maléfices de ces imposteurs contre les François, mais inutilement ; & quand on leur a demandé la raison de cette impuissance, ils se sont contentés de répondre qu'ils n'avoient aucun pouvoir sur les François à cause de la différence de religion. C'est ainsi qu'ils abusent des peuples crédules & ignorans. (G)


OMPHACINadj. terme de Pharmacie, dérivé de , qui signifie raisin non-mûr, relativement à son étimologie devroit se dire du verjus, mais il s'entend plutôt dans l'usage ordinaire d'une sorte d'huile acerbe, qu'on prétend être exprimée des olives vertes. Mais Pomet dit que cette prétendue huile est une imposture, & que les olives ne rendent point d'huile du tout qu'elles ne soient parfaitement mûres. Voyez HUILE & OLIVE.


OMPHALE(Mythol.) reine de Lydie. La fable nous dit qu'Hercule, dans ses voyages, étant arrivé chez cette princesse, fut tellement épris de sa beauté, qu'oubliant son courage & sa vertu, il se mit à filer auprès d'elle, pour mériter ses bonnes graces. Tandis que cette princesse portoit la massue & la peau de lion, dit agréablement Lucien, Hercule portoit une robe de pourpre, travailloit à la laine, & trouvoit bon qu'Omphale lui donnât quelquefois de petits coups de sa pantoufle. On connoît, en effet, d'anciens monumens qui nous représentent cette reine & le héros dans l'attitude que leur donne Lucien. (D.J.)


OMPHALMIQUEadj. (Gramm. Anat.) branche de la quatrieme paire de nerfs, celle qui sert au mouvement de l'oeil.


OMPHALOCELES. f. terme de Chirurgie, tumeur qui se fait au nombril par le déplacement des parties contenues dans le bas-ventre. Voyez EXOMPHALE. (Y)


OMPHALODESvoyez HERBES AUX NOMBRILS.

Tournefort en compte quelques especes, mais il suffira de la caractériser, parce que c'est une espece de langue de chien ou de bourache. Son calice est d'une seule piece, partagée en cinq segmens longs & étroits. Sa fleur est monopétale, en rosette, divisée en cinq parties, & composée de cinq quartiers arrondis, avec un creux dans le milieu, qui a donné le nom d'omphalodes à cette plante. Il s'éleve du dedans de la partie inférieure de la fleur un tuyau entouré de cinq étamines. Son fruit est composé de quatre capsules creuses, qui ont la figure d'une corbeille, dans lesquelles sont enfermées des semences applaties, attachées à un placenta, fait en pyramide à quatre faces. (D.J.)


OMPHALOMANTIE(Art divin.) espece de divination qui se faisoit par le moyen du cordon ombilical ; ce nom est formé de deux mots grecs, , nombril, umbilic, & , divination, prédiction. Gaspar A Reyes raconte que tout l'art des omphalomantes consistoit à examiner le cordon ombilical de l'enfant qui venoit de naître, & que ces devineresses jugeoient par le nombre de noeuds qui s'y trouvoient du nombre d'enfans que la femme nouvelle accouchée feroit ensuite ; il est fort inutile d'avertir qu'autant ce signe est arbitraire & fautif, autant les prédictions étoient incertaines, hasardées & fausses ; il n'y a rien de si peu constant & de si varié que ces noeuds, & pour pouvoir en tirer un prognostic tant soit peu vraisemblable, il faudroit que leur nombre diminuât régulierement à chaque accouchement, ce qui est contraire à l'expérience de tous les jours : mais qu'est-il besoin de réfuter des prétentions aussi ridicules & dénuées de probabilité ? Contentons-nous de remarquer ici que l'envie de connoître les choses futures est une passion si puissante, si naturelle & si généralement répandue, qu'il n'y a aucun ressort qu'on n'ait fait jouer pour la satisfaire ; qu'il n'y a rien de si bizarre & de si absurde que l'intérêt ou l'enthousiasme n'ait suggéré, & qui n'ait trouvé des motifs de crédibilité dans la superstition, l'aveuglement, la crainte ou l'espérance des hommes : de-là les devinations, les signes, les objets si multipliés dans tous les tems, & sur-tout dans les siecles d'obscurité & d'ignorance ; de-là cette multitude de devins & de crédules, de trompeurs & de trompés.


OMPHALOMÉSENTÉRIQUESVAISSEAUX, (Anat.) il y a deux vaisseaux omphalomésentériques dans tous les foetus, qui ont une quatrieme membrane : ces vaisseaux consistent en une veine & une artere.

L'artere qu'on voit paroître vers le centre du mésentere du foetus a son origine dans la mésentérique supérieure, & passant au-travers de la glande nommée pancreas d'Asellius, va droit au nombril sans jetter aucun rameau, & sort par-là hors du ventre pour s'engager sous le cordon.

La veine a son origine dans la quatrieme membrane ; elle est formée d'un nombre infini de petites branches qui se réunissent en un seul tronc, lequel accompagnant l'artere, vient avec elle se rendre dans le cordon, & sans jetter de rameaux, va passer sous le duodenum pour s'implanter dans le tronc de la veine porte.

Ces deux conduits se trouvent donc enfermés dans le cordon avec les autres vaisseaux ombilicaux ; & ils ne s'en séparent qu'à la distance d'environ trois pouces du nombril, pour aller se distribuer dans la quatrieme membrane par un nombre infini de rameaux.

L'artere qui passe par-tout au-travers du pancreas d'Asellius, n'a aucune communication avec cette glande, ainsi qu'il est aisé de s'en assûrer par le souffle & par l'injection. (D.J.)


OMPHALOPHYSIQUES. m. pl. (Hist. ecclés.) premiere dénomination des bogomiles. Voy. BOGOMILES.


OMPHALOPTERou OMPHALOPTIQUE, adj. se dit en Optique d'un verre convexe des deux côtés, qu'on appelle plus communément verre convexe tout court, ou lentille. Voyez CONVEXE & LENTILLE.


OMPHALOS(Littér. géogr.) mot grec qui signifie le nombril, en latin umbilicus. Comme la situation de l'ombilic dans un homme régulierement bien fait est au milieu du corps, à distance égale du sommet de la tête & de la plante des piés, ce mot a été employé en Géographie, pour signifier un lieu situé au centre d'une île, d'une contrée, d'une ville, &c. Pausanias parle de l'omphalos du Péloponnèse ; & Tatien nous dit que Denis fut enseveli in omphalo.


OMPHAX(Oryctolog.) nom que les anciens ont donné à une pierre précieuse transparente, d'un verd foncé, mêlangée de jaune. Pline & autres naturalistes l'estiment une espece d'aigue marine, & l'appellent beryllus oleaginus ; mais les écrivains modernes ne la mettent point au rang des bérylles, & en font une espece distincte de pierres précieuses. (D.J.)


OMPITSIQUILIS. m. terme de relation, nom d'une partie des ombiasses ou prêtres de Madagascar ; ils se mêlent en particulier de géomancie, & en conséquence on les consulte dans les maladies, & dans les affaires qu'on veut entreprendre. (D.J.)


OMPIZES(Hist. nat.) c'est le nom sous lequel les habitans de l'île de Madagascar désignent des hommes sauvages, qui vivent sans cesse dans les bois avec leurs femmes & leurs enfans, sans avoir aucun commerce avec les autres habitans de l'île. Ils vont tout nuds, ayant cependant soin de couvrir avec des feuillages les parties secrettes ; ils laissent croître leurs cheveux & leur barbe. Ils vivent de la chasse, de la pêche, de chiens & de sauterelles, de miel sauvage, de fruits & de racines. On croit qu'ils étoient autrefois anthropophages, & qu'ils mangeoient leurs ennemis. Il y avoit dans cette île d'autres hommes sauvages, qui paroissent être d'une espece différente des autres ; ils étoient, dit-on, d'une laideur affreuse, ayant de petits yeux, le front large, des dents colorées, des nés écrasés, des levres épaisses, une peau rougeâtre, de gros ventres, des jambes menues. Cette espece a été entierement détruite par les nouveaux habitans de Madagascar.


OMRAHS(Hist. mod.) c'est ainsi que l'on nomme à la cour du grand-mogol les seigneurs ou officiers qui remplissent les premieres places de l'état, & qui sont chargés du commandement des armées. La voie des armes est la seule qui conduise aux grands emplois dans le gouvernement de l'Indostan ; quoique les grandes places de l'empire ne soient remplies que par des militaires, des preuves récentes constatent que les troupes du grand-mogol ne sont rien moins qu'aguerries ; on peut en juger par la facilité avec laquelle Thamas Kouli-Kan a fait la conquête de cet empire en 1740.

La paye ordinaire d'un omrah est de 50000 roupies, on le nomme azari ; mais il y en a dont les appointemens sont beaucoup plus forts, & montent jusqu'à 2 ou 3 millions de roupies par an ; ils reçoivent outre cela beaucoup de présens que sont obligés de leur faire tous ceux qui ont quelque chose à leur demander. Quelques-uns de ces omrahs ont une suite & un cortege si nombreux, que souvent ils se rendent formidables à leur souverain. La paye des soldats dépend des omrahs qui les ont levés, & qui souvent les fraudent de ce qui leur est dû. Les omrahs les plus distingués de l'empire du mogol sont le premier ministre appellé hermado daulet, les deux secrétaires d'état, les vicerois de Kaboul, de Bengale & d'Ujen. Il y a encore un omrah, dont la place est très-odieuse, mais très-lucrative, sa fonction est de faire entrer dans les coffres du grand-mogol les biens de ceux qui meurent à son service.


OMULI(Hist. nat.) nom que l'on donne en Russie & en Siberie à un poisson qui, suivant M. Gmelin, est le coregonus d'Artedi ; il ressemble au poisson que l'on appelle en France morue fraîche, ou plutôt à un merlan. Ce poisson se trouve fort abondamment dans le lac de Baikal en Sibérie, d'où, vers le milieu d'Août, il sort en une quantité prodigieuse pour remonter les rivieres qui se jettent dans ce lac, ce qu'il continue à faire jusqu'à-ce que la gelée en glaçant les rivieres l'oblige de rebrousser chemin. Leur grandeur ordinaire est d'un pié ; cependant on prétend que ceux du Jenisei sont plus grands, & l'on assûre qu'ils y ont jusqu'à deux piés de long. Il en vient aussi de la mer Glaciale, qui remontent pareillement contre le courant des fleuves. Les habitans en pêchent pour les saler. Voyez Gmelin, Voyage de Sibérie. (-)


ON(Géogr. sacrée) ville de la Palestine au pays de Samarie, selon S. Jerôme. Aquila & Symmaque rendent ce mot par l'épithete inutile, & Théodotien par le terme iniquité. Le P. Bonfrérius remarque judicieusement que le mot on séparément n'est point dans l'écriture le nom d'une ville particuliere de la Palestine ; mais que quand il est joint au mot maison, alors il devient un nom vraiment géographique, soit au propre, soit au figuré.


ONAGRAvoyez HERBE AUX ANES.

Tournefort compte neuf especes de ce genre de plante ; nous décrirons seulement l'espece d'Amérique à larges feuilles & à fleur jaune, onagra americana, latifolia, flore luteo.

Elle pousse une tige rameuse, grosse comme le doigt, & remplie de moëlle. Ses feuilles sont longues, larges, rangées alternativement, sinueuses & dentelées dans les bords. Ses fleurs sont à quatre pétales disposés en rose, grandes, jaunes, odorantes, mais de très-peu de durée. Son fruit de forme cylindrique contient quatre loges remplies de semences anguleuses & menues. Cette plante, ainsi que les autres especes d'onagra, n'a point de vertus médicinales. (D.J.)


ONAGREonager, s. m. (Art milit.) c'est ainsi que plusieurs auteurs appellent la catapulte. Voyez CATAPULTE. César lui donne tantôt le premier nom, & tantôt le second. Les Grecs de la moyenne antiquité en usent de même. Procope, dans sa Description du siege de Rome par les Goths, dit que les assiégés mirent des instrumens propres à jetter des pierres, lesquels on appelle onagres, parce que cette machine, continue-t-il, lance des pierres comme l'âne sauvage, qui, pressé par les chiens, les fait rejaillir, les poussant au-loin de son pié de derriere. (Q)


ONCASS. m. (Hist. nat. Zoolog.) nom que l'on donne dans l'île de Bornéo à une espece de singe toute particuliere. Ils ont une raye noire, qui commence au sommet de la tête, & qui descendant sous le menton, forme un collier à ces animaux. On tire de leurs intestins un bézoard, dont on fait le plus grand cas. On est dans l'idée que ce bézoard ne se forme que quand l'animal est blessé ; c'est pourquoi les chasseurs tâchent de ne les frapper que légerement de leurs dards, afin qu'ils ne meurent point trop promptement. Voyez l'Histoire moderne, t. V.


ONCE(Hist. nat.) les Portugais ont appellé onca, once, le tigre connu sous le nom de tigre d'Amérique & le tigre noir.

Les parties de cet animal dont on se sert, sont la graisse & les griffes ; sa graisse est résolutive, & on l'applique aux articulations, lorsqu'il y a luxation & distention ; on monte sa griffe en or & en argent, & on la porte comme une amulete contre l'épilepsie & les convulsions. Dale d'après Schroder.

ONCE, s. f. (Commerce) petit poids qui fait la huitieme partie du marc, ou la seizieme partie d'une livre de Paris. Dans d'autres endroits, la livre n'a que douze onces, & dans d'autres elle a plus de seize onces.

Ce mot vient du latin uncia, qui en général chez les Romains étoit la douzieme partie d'une chose qu'on prenoit pour un tout, & qu'on appelloit as. Dans les mesures géométriques, par exemple, uncia signifioit la douzieme partie d'un pié, c'est-à-dire un pouce. Voyez AS & POUCE.

L'once du poids de marc ou l'once de Paris se divise en huit gros ou drachmes, le gros en trois deniers ou scrupules, le denier ou scrupule en vingtquatre grains, le poids de chaque grain est celui d'environ un grain de froment. L'once entiere est composée de 576 grains, une demi- once est de quatre gros, & le quart-d'once de deux gros. Voyez GROS, DRACHME, DENIER, SCRUPULE, GRAIN.

Parmi les monnoyeurs & les orfevres, l'once se divise en 20 estelins, l'estelin en 2 mailles, la maille en 2 felins, le felin en 7 grains & un 5e de grain. Voyez ESTELIN, MAILLE, FELIN.

L'once qui fait partie de la livre composée seulement de 12 onces, se divise en 20 deniers, l'anglois porte peny veights, & chaque denier en 24 grains.

Toutes les marchandises précieuses, comme l'or, l'argent, la soie, se vendent à l'once. On appelle perles à l'once celles qui sont si petites, qu'elles ne peuvent être comptées aisément, ni vendues autrement qu'au poids, & qu'on nomme communément semence de perles. On appelle cotons d'once certains cotons filés qu'on apporte de Damas, & qui sont d'une espece & d'une qualité supérieure aux autres cotons. Voy. COTONS. Diction. de comm. & Diction. de Chambers.

ONCE, (Monnoie) c'est une monnoie imaginaire ou de compte, dont on se sert en Sicile, particulierement à Messine & à Palerme, pour évaluer les changes, & pour tenir les écritures & livres de commerce. L'once vaut 30 tarins ou 60 carlins, ou 600 grains. Le tarin vaut 20 grains, & le grain 6 picolis.

ONCE DE TERRE, est une phrase que l'on trouve souvent dans les anciennes chartes des rois d'Angleterre : mais il est difficile de déterminer la quantité de terre signifiée par ce terme. Tout ce que nous en savons de positif, c'est que l'on entendoit par-là une grande quantité ou étendue de terrein, comme pourroient faire douze modii ; & quelques-uns conjecturent que chaque modius pouvoit faire cent piés en quarré.


ONCHESTE(Géogr. anc.) , ville de Grece dans la Béotie, que Strabon dit être une des villes qui bordoient le Copaïs ; ce n'étoit d'abord qu'un bois consacré à Neptune, ce qui fit qu'on nomma du même nom divers bois de la Grece consacrés à ce dieu. (D.J.)


ONCHISMUS(Géogr. anc.) dans Ptolémée & dans Strabon. étoit un port qu'on trouvoit après ceux de Buthrote & de Cassiope. Un passage de Ciceron tiré du liv. VII. des lettres à Atticus, nous le confirme. Voici ce qu'il dit : Brundusium venimus VII. kal. Decemb. usi tuâ felicitate navigandi ; ita bellè nobis flavit ab Epiro lenissimus Anchesmites : " Nous sommes arrivés à Brindes le 7 des kal. de Décembre, c'est-à-dire le 25 de Novembre, notre navigation a été aussi heureuse que la vôtre, à la faveur du vent anchesmites, qui s'est levé du côté de l'Epire, & qui nous a poussé agréablement ". Ainsi ce port qui s'est appellé dans la suite Onchesmus ou Onchismus se nommoit autrefois Anchesmus ou Anchismus, lorsque le mot n'étoit point encore si corrompu ; c'est pourquoi le vent qui souffloit de ce côté-là se nommoit Anchesmites. Nous avons donc dans cette remarque & le port que désigne Denys d'Halicarnasse, autrefois nommé port d'Anchise, & ce que veut dire Ciceron par le vent Anchesmite. Le port Onchesmus étoit un port de l'Epire entre Panorme & Cassiope ; & le vent Onchesmite ou Anchesmite étoit le vent propre à passer de ce port en Italie. (D.J.)


ONCIALS. m. & adj. (Antiq.) épithete que les antiquaires donnent à certaines lettres ou caracteres d'une figure fort large dont on se servoit autrefois non-seulement pour les inscriptions & les épitaphes, mais encore pour les manuscrits, puisque dans les fameuses bibliotheques on en trouve d'écrits en lettres onciales.

Ce mot est formé du latin uncia qui signifie la douzieme partie d'une chose, & qui en mesure géométrique, revient à la douzieme partie d'un pié, c'est-à-dire à un pouce, ensorte qu'on croit que le corps ou le tronc des lettres onciales avoit la largeur d'un pouce.

Dans le voyage que M. l'abbé Sevin fit à Constantinople en 1729, par ordre du roi, le prince de Valachie, fils du fameux Mauro Cordato, lui fit présent d'un manuscrit en lettres onciales, qui contient des paralleles tirés de divers traités des peres, & qu'on croit avoir servi de modele à celui que Saint Jean Damascene nous a donné dans le même goût. Ce manuscrit est à la bibliotheque du roi.


ONCLES. m. (Jurispr.) est une qualité relative à celle de neveu & niece, & qui annonce le degré de parenté qui est entr'eux : ils sont au troisieme degré selon le droit civil, & au second selon le droit canon ; ainsi l'oncle ne peut épouser sa niece sans une dispense obtenue en cour de Rome. Sur la maniere dont les oncles succedent avec les neveux, Voyez ci-devant NEVEU. (A)


ONCTIONS. f. (Théolog.) en matiere de religion, signifie un caractere particulier, un caractere qui tire certaines personnes du rang ordinaire des choses ; & les consacre d'une maniere particuliere, soit par rapport au sacré, soit par rapport au profane.

1°. Par rapport au sacré, on voit dans l'Ecriture que Jacob allant en Mésopotamie, oignit d'huile la pierre sur laquelle il avoit reposé, & où Dieu lui avoit fait avoir une vision, Genes. xxviij. Cette onction étoit une espece de consécration de cette pierre, pour devenir un autel dédié au Seigneur. C'est encore, dans le même sens, qu'aujourd'hui les évêques font des onctions sur les murs des églises qu'ils dédient, & sur les pierres destinées à mettre sur l'autel pour la célébration de la messe.

Dans les contrées orientales, où l'huile & les aromates étoient communs, on avoit coutume autrefois de distinguer du commun les personnes destinées à des fonctions sacrées ou à des usages extraordinaires, par des onctions, c'est-à-dire en les frottant d'onguens composés d'huile & d'aromates, ce qui marquoit l'effusion des dons nécessaires à ces personnes pour s'acquiter dignement des fonctions de leur charge, comme aussi l'attente où l'on étoit que ces personnes répondroient à la haute idée que l'on avoit conçue de leur mérite. De ce nombre on peut compter dans l'ordre de la religion, les prêtres & les prophetes. Voyez l'art. OECON. POL.

L'onction que reçut Aaron avec ses fils, influa sur toute sa race, qui par-là devint consacrée à Dieu & dévouée à son culte. On peut voir les cérémonies de cette consécration dans le Lévitique, c. viij.

Plusieurs croient qu'Aaron reçut l'onction sur la tête ; que pour ses fils, on ne leur oignit que les mains ; & que quant aux lévites, on ne leur donna aucune onction. Les rabbins ajoutent que tant que l'huile composée par Moïse dura, on oignit les souverains pontifes, mais qu'ensuite on se contenta d'installer le grand-prêtre, en le revêtant pendant sept jours de suite de ses habits sacrés. Les grands-prêtres reçus de la premiere maniere s'appelloient sacrificateurs oints, & celui qui avoit été simplement installé par la cérémonie des habits, initié par les habits.

Il est parlé aussi dans l'Ecriture de l'onction des prophetes, mais on n'a aucune connoissance de la maniere dont elle se faisoit ; on doute même qu'on leur ait réellement donné l'onction. Ainsi Elie est envoyé pour oindre Elisée prophete en sa place : Eliseum unges prophetam pro te, III. c. XIX. Mais dans l'exécution, il ne fait autre chose à Elisée que de lui mettre son manteau sur les épaules, d'où il s'ensuit qu'à cet égard le mot d'onction ne signifie ici qu'une simple vocation ou destination à la prophétie. Dans l'Eglise romaine on consacre, par des onctions, le pouce & l'index de chaque main des ordinants qui sont promus à la prêtrise.

Outre cela, dans la loi nouvelle, les catholiques reconnoissent trois sacremens où l'onction a lieu : savoir, le baptême où l'onction se fait sur le sommet de la tête, sur la poitrine & entre les deux épaules du baptisé ; la confirmation où elle se fait sur le front ; & l'extrême- onction qu'on donne aux agonisans sur cinq parties du corps, qu'on regarde comme les organes des cinq sens par lesquels ils ont péché ou pu pécher. Voyez BAPTEME, CONFIRMATION, EXTREME-ONCTION.

2°. Par rapport au profane ; c'est-à-dire, en tant qu'elle n'a pas un rapport direct à la religion ni au ministere des autels, l'onction a eu lieu par rapport aux rois. Nous en voyons distinctement la pratique dans l'histoire sainte. Samuel donne l'onction à Saül : Tulit Samuel lenticulam olei, & effudit super caput ejus. I. Reg. c. xj. 1. Le même prophete donne l'onction royale au jeune David : Tulit Samuel cornu olei, & unxit eum in medio fratrum ejus. I. Reg. c. xvj. Salomon fut oint par le grand-prêtre Sadoc & par le prophete Nathan. III. Reg. c. j.

Mais dans la loi nouvelle, les auteurs regardent l'onction des rois comme introduite long-tems après l'établissement du Christianisme : la raison en est palpable ; les têtes couronnées ne furent pas les premieres qui plierent sous le joug de la religion de Jesus-Christ. Onuphre dit qu'aucun des empereurs romains n'a été oint ou sacré avant Justinien ou Justin. Les empereurs d'Allemagne ont emprunté cette cérémonie de ceux d'Orient. Et selon quelques-uns, Pepin est le premier des rois de France qui ait eu l'onction.

Quoi qu'il en soit, on nomme & les ministres des autels & les princes les oints du Seigneur, christos ; mais avec cette différence que les premiers ne le sont qu'en vertu de cette onction, & que les autres le sont par leur naissance ou par leur droit de souveraineté, auquel dans le fond la cérémonie du sacre n'ajoûte rien ; puisqu'un musulman par principe de conscience, n'est pas moins obligé d'obéir au grand-seigneur qui n'est pas sacré, qu'un allemand à l'empereur qui l'est.

Ajoûtons que les orientaux employoient fréquemment les onctions, comme un préservatif contre les maladies ; & qu'à leur exemple & à la même intention les Grecs s'oignent de l'huile de la lampe. Voyez EXTREME-ONCTION.


ONCTUEUXadj. ONCTUOSITé, subst. fém. (Gram.) L'onctueux est ce qui paroît au toucher contenir des parties grasses & huileuses qui rendent le corps propre à oindre. Il y a des terres onctueuses.


ONDES. f. en terme de Physique, est l'assemblage d'une cavité & d'une élévation sur la surface de l'eau ou de tout autre fluide. Voyez FLUIDE & ONDULATION.

On peut concevoir la formation des ondes de la maniere suivante.

La surface de l'eau tranquille étant naturellement plane & parallele à l'horison ; si, de quelque maniere que ce soit, elle vient à se creuser vers le milieu, comme en A (Pl. de l'Hydrodynam. fig. 30.) sa cavité sera aussi-tôt environnée d'une élévation B B. Et le fluide qui compose cette élévation descendant par sa gravité, & allant au-dessous du niveau en vertu de sa vîtesse acquise, il se formera une nouvelle cavité ; mais cette nouvelle cavité ne se peut faire qu'en élevant l'eau des deux côtés, ce qui remplira la premiere cavité, & formera une nouvelle élévation vers C ; & par la dépression de cette derniere élévation, l'eau en formera une nouvelle du même côté. Il y aura ainsi un mouvement successif dans la surface de l'eau, & la cavité qui pousse en avant l'élévation, sera mûe de A vers C. Cette cavité jointe à l'élévation voisine forme ce qu'on appelle une onde, & l'espace occupé par l'onde sur la surface de l'eau, mesuré suivant la direction de l'onde, est appellé la largeur de l'onde.

Comme les lois de ce mouvement ont été déterminées par M. Newton, nous allons en donner la substance.

1°. Lorsque la cavité A, par exemple, est environnée de tous les côtés par une élévation, & que le mouvement dont nous venons de parler s'étend en tout sens, le mouvement des ondes est circulaire.

2°. Supposons à présent que A B (fig. 31.) soit un obstacle contre lequel vient heurter l'onde qui commence en C, & proposons-nous d'examiner le changement que l'eau souffre dans un point quelconque E, lorsqu'elle est arrivée en ce point. Dans tous les lieux où l'onde passe librement, elle s'éleve, forme ensuite une cavité qui se remplit aussi-tôt après ; & pendant que la surface du fluide éprouve ce changement, ses parties vont & viennent dans un petit espace. La direction du mouvement est le long des rayons C I, C D, &c. & la vîtesse peut être représentée par la ligne C E. Que ce mouvement soit décomposé en deux autres suivans G E & D E dont les vîtesses soient respectivement représentées par ces lignes ; par le mouvement suivant D E les particules n'agiront pas contre l'obstacle ; mais après le choc elles continueront leur mouvement dans cette direction avec la même vîtesse, & ce mouvement sera représenté par E F, en supposant E F & E D égales entr'elles : mais le mouvement suivant G E étant directement opposé, l'obstacle est détruit entierement. Car quoique les particules qui frappent cet obstacle soient élastiques, elles ne sont pas en cette occasion sujettes aux lois de la percussion des corps à ressort parfait, à cause que les ondes qui se meuvent continuellement en avant & en arriere, n'ont qu'un mouvement progressif, si lent, que le choc des particules contre l'obstacle ne peut changer leur figure. Voyez PERCUSSION.

Mais il y a une réflexion des particules qui vient d'une autre cause. L'eau ne pouvant pas aller en avant à cause de l'obstacle, & étant poussée par celle qui la suit, prend le chemin où elle éprouve le moins de résistance, c'est-à-dire, qu'elle monte ; & cette élévation qui est plus grande en quelques endroits qu'en d'autres, est produite par le mouvement qui se fait suivant la direction G E ; parce que c'est par ce seul mouvement que les particules frappent contre l'obstacle.

L'eau par sa descente acquiert la même vîtesse que celle avec laquelle elle s'étoit élevée, & ses particules sont repoussées par l'obstacle avec la même force dans la direction E G que celle avec laquelle elles le frappent. De ce mouvement & de celui qui se fait suivant E F dont nous venons de parler, il naît un mouvement suivant E H dont la vîtesse est exprimée par la ligne E H qui est égale à la ligne E C. Ainsi par la réflexion la vîtesse de l'onde n'est pas changée, mais seulement sa direction ; son mouvement se faisant alors suivant E H, de la même maniere que, si en pénétrant l'obstacle, elle eût continué son mouvement le long de E H. Si du point C on tire la perpendiculaire C D à l'obstacle, & qu'on la prolonge, ensorte que D c soit égal à c D, la ligne E H continuée passera par c : & comme cette démonstration convient également à tous les points de l'obstacle, il s'ensuit que l'onde réfléchie a la même figure de ce côté de l'obstacle qu'elle auroit eue par-delà la ligne A B, si elle n'avoit point frappé l'obstacle. Si cet obstacle est incliné à l'horison, l'eau y montera & en descendra en y souffrant un frottement, parce que la réflexion de l'onde sera troublée & même souvent entierement détruite, & c'est là la raison par laquelle il arrive souvent que les bancs des rivieres ne réfléchissent pas les ondes.

S'il y a un trou comme H dans l'obstacle B L, la partie de l'onde qui y passera continuera son mouvement en ligne droite & s'étendra vers Q Q ; & il se formera en ce point une nouvelle onde qui se mouvra dans un demi-cercle dont le centre sera celui du trou. Car la partie supérieure de l'onde qui a passé la premiere par le trou, coule & descend dans le moment vers les côtés, & forme en descendant une cavité qui devient entourée d'une élévation de chaque côté du trou, & qui se meut de la même maniere que nous l'avons expliqué à l'occasion de la premiere onde.

Pareillement, une onde à laquelle on oppose un obstacle comme A O, continue de se mouvoir entre O & N ; mais elle s'étend vers O dans une partie de cercle dont le centre n'est pas loin de O ; & de-là nous pouvons aisément conclure quel doit être le mouvement d'une onde derriere un obstacle quelconque N. Les ondes sont souvent produites par le mouvement d'un corps qui fait des vibrations, & s'étendent encore circulairement, quoique le corps fasse ses vibrations en ligne droite : car l'eau qui s'éleve par l'agitation, forme en descendant une cavité qui se trouve entourée d'élévations de tous les côtés.

Différentes ondes ne se dérangent pas les unes les autres, même lorsque leurs mouvemens suivent différentes directions, c'est ce que l'expérience nous fait connoître tous les jours.

Pour déterminer la vîtesse des ondes, il est à propos d'examiner un autre mouvement de même genre. Imaginons un fluide renfermé dans un tube cylindrique recourbé E H (fig. 32.), ensorte que la quantité de fluide contenue dans la branche E F soit plus haute que dans l'autre branche de la partie l E divisée en deux parties égales en i. Il est clair que la liqueur contenue dans la branche E F descendra par sa gravité, en remontant en même tems de la même quantité dans la branche E H, & que lorsque la surface du fluide sera arrivée en i à la même hauteur dans les deux branches ; le fluide, au lieu de rester en équilibre, continuera de se mouvoir par la vîtesse acquise en descendant, & montera dans le tube G H, tandis qu'il descendra dans la branche E F d'une quantité i l égale à E i, à la petite différence près produite par le frottement contre les parois du tube. Dans cette nouvelle position, le fluide qui est dans le tube G H étant le plus haut, descendra par sa gravité, ensorte que le fluide monte & descend ainsi tour-à-tour jusqu'à-ce qu'il ait perdu tout son mouvement par le frottement.

La quantité de matiere à mouvoir est tout le fluide contenu dans le tube, la force motrice est le poids de la colonne l E dont la hauteur est toujours double de la distance E i ; laquelle distance augmente & diminue par conséquent en même raison que la force motrice. Mais la distance E i est l'espace que parcourt le fluide en arrivant de la situation E H à la situation du repos ; & cet espace est par conséquent comme la force qui agit continuellement sur le fluide. Or si on se rappelle que c'est un principe semblable sur lequel est fondé l'isochronisme de la cycloïde ; on verra de la même maniere que quelle que soit l'inégalité des vibrations du fluide, ces vibrations sont de même durée, & que le tems de ces vibrations est le même que celui des oscillations d'un pendule, dont la longueur seroit la moitié de celle qu'occupe le fluide dans le tube, c'est-à-dire la moitié des lignes E F, F G, G H. Voyez PENDULE.

Pour déterminer par ces principes la vîtesse des ondes, considérons différentes ondes qui se suivent immédiatement, comme A, B, C, D, E, F, (fig. 33.) Toutes se mouvant de A vers F ; l'onde A a parcouru toute sa largeur, lorsque la cavité A est arrivée en C ; ce qui ne sauroit avoir lieu sans que l'eau qui est en C ne monte à la hauteur du sommet de l'onde, & qu'elle ne descende ensuite à la profondeur C. Et comme tout ce mouvement ne donne aucune agitation sensible à l'eau qui est au-dessous de la ligne h i, on peut le regarder comme étant de même espece que celui que nous venons d'examiner, & prendre par conséquent, pour le tems que l'eau met à monter & à descendre, c'est-à-dire, pour le tems qu'une onde met à parcourir sa largeur, celui de deux oscillations d'un pendule égal en longueur à la moitié de B C, ou le tems d'une oscillation du pendule qui seroit égal à B, C, D, c'est-à-dire, quadruple du premier.

Ainsi la vîtesse de l'onde dépend de la longueur de la ligne B, C, D, laquelle est d'autant plus grande que l'onde s'étend plus loin & descend plus bas. Dans les ondes fort larges, qui ne s'élevent pas bien haut, les lignes B, C, D different peu de la largeur de l'onde ; & par conséquent le tems que chaque onde met à parcourir sa largeur, est celui qu'un pendule égal à cette largeur mettroit à faire une oscillation. Voyez OSCILLATION.

Dans les mouvemens des pendules, & par conséquent dans ceux des ondes, les espaces parcourus sont en raison du tems & de la vîtesse ; d'où il s'ensuit que les vîtesses des ondes sont comme les racines quarrées de leurs largeurs : car comme les tems dans lesquelles elles parcourent leurs largeurs, sont dans la raison de ces racines quarrées, il faut aussi que les vîtesses soient dans la même raison, afin que le produit des tems par les vîtesses, soit comme la largeur des ondes, ou les espaces parcourus. Chambers.

M. Newton, comme nous l'avons dejà dit, est le premier qui ait donné les lois du mouvement des ondes. On les trouve à la sin du II. livre de ses princip. à peu près telles que nous venons de les exposer. Ce philosophe conclut du théorème précedent, que des ondes qui seroient de 3 piés 1/18 de large, & qui seroient par conséquent de la longueur du pendule à secondes, parcouroient en une seconde un espace égal à leur largeur ; & qu'ainsi dans l'espace d'une minute, ces ondes feroient environ 183 piés, & 11000 piés environ dans une heure. Au reste, j'ajoûte que ce théorème n'a lieu que dans l'hypothese que les particules du fluide montent & descendent verticalement dans leurs vibrations ; mais comme elles montent & descendent suivant des lignes courbes, M. Newton avertit que la vîtesse des ondes n'est déterminée qu'à peu-près par sa théorie.

Le même auteur nous donne aussi les lois de la propagation des ondes dans un fluide élastique ; & il en déduit la vîtesse du son à peu près telle que l'expérience la donne. Voyez SON, voyez aussi ONDULATION. (O)

ONDES, (Conchyl.) on appelle ondes les lignes qui vont en serpentant sur la robe d'une coquille. (D.J.)

ONDES, terme de manufacture ; se dit aussi des différens desseins qui se représentent dans quelques tapisseries que l'on travaille à l'aiguille sur des canevas. On dit les ondes du point de Hongrie, du point de la Chine, du point d'Angleterre ; on les nomme de la sorte, parce qu'ils se continuent en montant & baissant le long de l'ouvrage, à la maniere que les ondes d'une eau courante se suivent les unes les autres. Il y a aussi des bergames à ondes.

ONDE, partie du métier à bas. Voyez l'article METIER A BAS.

ONDE, en terme de Boutonnier ; c'est l'effet que produisent deux fils jettés l'un après l'autre dans le même sens sur un bouton fait aux pointes, voyez POINTES. Les ondes augmentant de 2 tours en 2 tours, forment en montant à la tête du bouton autant de petits échelons, dont l'arrangement en sens contraire, est apparemment la raison qui leur a fait donner ce nom. Combien de choses prennent-elles le nom d'autres avec lesquelles elles ont moins de ressemblance que celles-ci n'en ont entr'elles ?

ONDE, terme de Calandre ; c'est à l'imitation des ondes qui paroissent sur la superficie de l'eau légérement agitée, que les ouvriers ont donné à divers de leurs ouvrages ou étoffes, des figures qu'ils nomment des ondes.

Dans plusieurs étoffes de soie ou de laine, comme dans les moires, les tabis, les camelots, même dans quelques toiles ou treillis, les ondes se font par le moyen de la calandre, dont les rouleaux gravés appuyant inégalement sur l'étoffe qu'on passe entre deux, s'y impriment plus ou moins, suivant qu'ils la pressent avec plus ou moins d'effort. Savary. (D.J.)

ONDE, ou calotte d'une cloche, terme de Fondeur. C'est une partie de matiere qui sert à augmenter l'épaisseur du cerveau, afin de donner plus de solidité aux anses. L'onde ou calotte est de même épaisseur que le cerveau, c'est-à-dire d'un corps ou d'un tiers de bord ; mais elle n'a pas le même diamêtre, il s'en faut un bord & demi de chaque côté. Voyez l'article FONTE DES CLOCHES.

ONDES, (Hautelisserie) petites étoffes de soie, de laine & de fil dont les façons sont ondées, qui se font par les Hautelisseurs de la sayetterie d'Amiens. Elles doivent avoir vingt aunes un quart à vingt aunes & demie de longueur, sur un pié & demi & un pouce de roi de largeur.


ONDÉterme de manufacture ; ce qui est fait en ondes : de la moire ondée, du tabis ondé, du camelot ondé, du treillis ondé.

ONDE, en termes de Blason ; se dit tant de la bordure que des pieces qui sont dans l'écusson lorsque leurs côtés ont des dents arrondies qui imitent les ondes. Brancion en Bourgogne, d'azur à trois fasces ondées d'or.


ONDÉES. f. (Phys.) se dit d'une pluie passagere & qui dure peu de tems, sur-tout si cette pluie est un peu forte. Voyez PLUIE.


ONDEVES LES(Géog.) ce sont des noirs, esclaves d'origine, dans l'île de Madagascar. (D.J.)


ONDINS. m. (Gramm.) habitant des ondes, un des génies des Cabalistes.


ONDOYANTadj. ONDOYER, (Gram.) qui se meut en ondes. Les contours des corps sont ondoyans, la flamme ondoye. Montagne dit, c'est un sujet merveilleusement vain, divers & ondoyant que l'homme : les cheveux ondoyent, la mer ondoye. Il se dit aussi des rivieres.

ONDOYER, (Théolog.) jetter de l'eau sur la tête d'un enfant, au nom des trois personnes de la Trinité, en attendant la cérémonie du baptême.


ONDULATIONS. f. en Physique ; est une sorte de mouvement oscillatoire ou de vibration, que l'on observe dans un liquide, & qui le fait alternativement hausser & baisser comme les vagues de la mer. C'est ce que M. Newton & plusieurs autres après lui, ont appellé onde. Voyez ONDE.

Si le liquide est uni & en repos, le mouvement d'ondulation se multiplie par des cercles concentriques, comme on peut le remarquer en jettant une pierre ou quelqu'autre corps, sur la surface d'une eau tranquille, ou même en touchant légérement avec le doigt ou autrement la surface de l'eau.

La cause de ces ondulations circulaires, c'est qu'en touchant la surface du liquide, on produit une dépression à l'endroit du contact. Par cette dépression les parties subjacentes sont poussées successivement hors de leur place, & les parties voisines sont poussées en-haut, ensuite de quoi elles retombent ; & de cette maniere les différentes parties du liquide s'élevent & s'abaissent alternativement en cercle.

Lorsqu'on jette une pierre dans l'eau avec violence, ces sortes d'ondulations ou de vibrations réciproques sont très-visibles : car alors le liquide s'élevant plus haut autour de l'endroit de l'immersion, à cause de l'impulsion violente qu'il a soufferte, & retombant ensuite, met en mouvement les parties voisines, qui par ce moyen s'élevent de même autour de l'endroit où est tombée la pierre, comme autour d'un centre, & forment le premier cercle ondulatoire, lequel retombant ensuite, donne une impulsion au fluide voisin, mais plus éloignée du centre. Ce fluide s'éleve pareillement en cercle, & ainsi successivement il se produit des cercles toujours plus grands. Voyez un plus grand détail à l'article ONDE.

ONDULATION, se dit aussi d'un certain mouvement par lequel les parties de l'air sont agitées de la même maniere que les vagues de la mer. C'est ce qu'on croit qui arrive, quand on frappe une corde d'un instrument de Musique. Voyez CORDE.

On croit aussi que le mouvement ondulatoire de l'air est la cause du son. Voyez SON.

Quelques auteurs aiment mieux appeller ce mouvement du nom de vibration, que de celui d'ondulation. Voyez VIBRATION.

M. Huyghens, dans son traité de la lumiere, imprimé en 1690, & qui est le dernier ouvrage que ce grand géometre ait donné au public, imagine que la lumiere se propage par des especes d'ondulations semblables à celles qui se forment sur la surface de l'eau : une des plus grandes difficultés qu'on puisse faire contre ce systeme, est tirée de la nature des ondulations même, qui se répandent en tout sens, au lieu que la lumiere se propage suivant des lignes droites. Voyez LUMIERE. Chambers. (O)

ONDULATION, terme de Chirurgie, se dit du mouvement d'un fluide épanché dans une cavité. Quelques auteurs confondent l'ondulation & la fluctuation, & regardent ces termes comme synonymes. Il paroîtroit plus d'exactitude à distinguer leur signification, & appeller fluctuation le mouvement qu'on imprime à une colomne du fluide épanché, voyez FLUCTUATION ; & entendre par ondulation, le sentiment que le malade a du mouvement de la liqueur qui flotte dans une cavité. Ainsi le sentiment d'ondulation est un signe de l'hydropisie de poitrine, quoiqu'elle ne se puisse manifester par la fluctuation. (Y)


ONDZATZI LES(Géog.) on distingue par ce mot dans l'île de Madagascar, quelques-uns de ses habitans idolâtres qui ont la peau rouge, les cheveux longs & plats ; & qui ont en horreur de verser le sang d'aucun animal, pour s'en nourrir. (D.J.)


ONÉGA LAC D '(Géogr.) grand lac de l'empire russien, entre la Carélie moscovite au nord, le pays de Cargapol à l'orient, & la Carélie suédoise au couchant septentrional. Il s'étend du nord au sud depuis les 60d. 46'de latitude, jusqu'au 63d. Sa côte occidentale est en quelques endroits par les 53d. de long. & l'orientale avance jusqu'à 64d. de long. Ce lac a en outre des îles assez grandes dans sa partie septentrionale.

ONEGA, RIVIERE, CAP & PAYS D '. (Géog.) riviere de l'empire russien ; elle a sa source dans la province de Cargapol, & va se perdre dans la mer Blanche, après un cours d'environ 45 milles de 15 au degré. A l'orient de son embouchure la côte forme une pointe qu'on nomme le cap d'Onéga.

On appelle pays d'Onéga, celui où elle entre au sortir de la province de Cargapol. On ne connoît point dans ce pays d'autre riviere que l'Onéga, point de villes, point de bourgs, mais seulement beaucoup de forêts : c'est un pur desert. (D.J.)


ONÉGOUAS(Hist. mod.) c'est le titre qu'on donne à la cour du roi de Benin en Afrique, aux trois personnes les plus distinguées du royaume, & qui sont toujours auprès de la personne du monarque. Ce mot signifie grands seigneurs, c'est à eux que l'on s'adresse dans toutes les demandes, & ils sont chargés des réponses du souverain, ensorte qu'on peut dire que ce sont eux qui regnent réellement, d'autant plus qu'ils sont presque les seuls qui approchent le roi ; lorsque ce prince sent sa fin approcher, il déclare en secret à l'un des onégouas, celui de ses enfans qu'il veut avoir pour successeur, ce qui le rend pour ainsi dire maître absolu de la couronne. Les seigneurs d'un ordre inférieur sont nommés par les Portugais ares de roe ou princes des rues ; ils sont chargés des détails du gouvernement, & de l'inspection des artisans, des marchands, &c. C'est un collier de corail qui est la marque de leur dignité, & jamais ils ne peuvent le quitter sous peine de mort ; ils sont sujets à la même peine si on venoit à leur voler leur collier.


ONEILLE(Géog.) les Italiens disent Onéglia ; ville d'Italie enclavée dans l'état de Gênes, avec titre de principauté & un port sur la Méditerranée. Elle appartient au roi de Sardaigne, aussi-bien que la principauté qui consiste en 3 vallées, le val d'Oneille, le val de Maro & le val de Prela. Elle abonde en oliviers. Les François bombarderent cette ville en 1692. Comme elle n'est pas fortifiée, elle a été souvent prise & reprise dans les guerres d'Italie. Elle est près de la riviere Impériale, à 12 lieues S. E. de Coni, 13 N. E. de Nice, 25. S. E. de Turin, 20 S. O. de Gênes. Long. 25. 36. lat. 43. 55.

Oneille est la patrie d'André Doria, l'un des plus grands capitaines du xvj. siecle, & d'une ancienne famille génoise, féconde en hommes très-célebres. Il eut tour-à-tour le commandement des forces navales de Gênes, de Naples, de François I. de Charles-Quint, &c. & la victoire marcha toujours sur ses pas. Il porta la terreur dans les mers d'Afrique & de Grece, battit les Turcs de tous côtés, & prit sur eux Patras & Coron ; mais ce qui releve sa gloire encore davantage, c'est d'avoir refusé la domination de Gênes, & d'avoir mieux aimé d'en être le libérateur, le législateur & le protecteur, que d'en être le souverain. Il mourut à Gênes, le front ceint de tous les lauriers du héros, le 25 Novembre 1560, à l'âge de 94 ans. (D.J.)


ONEIROCRITIou ONIROCRITIE, s. f. (Théol. payenne) art d'interprêter les songes. C'est un mot grec composé de , songe, & , jugement. Cet art faisoit une partie trop importante de l'ancien paganisme, pour n'en pas développer l'origine. Artémidore, qui vivoit vers le commencement du ij. siecle, a donné un traité des songes, & s'est servi d'auteurs beaucoup plus anciens pour composer son ouvrage. Il divise les songes en spéculatifs & en allégoriques.

La premiere espece est celle qui représente une image simple & directe de l'événement prédit. La seconde espece n'en représente qu'une image symbolique ; c'est-à-dire, indirecte. Cette derniere espece est celle qui compose l'ample classe des songes confondus, & qui a seule besoin d'interprete. Aussi Macrobe a-t-il défini un songe, la vue d'une chose représentée allégoriquement, qui a besoin d'interprétation.

L'ancienne onéirocritie consistoit dans des interprétations recherchées & mystérieuses. On disoit, par exemple, qu'un dragon signifioit la royauté, qu'un serpent indiquoit maladie, qu'une vipere signifioit de l'argent, que des grenouilles marquoient des imposteurs, le chat l'adultere, &c.

Or, les premiers interpretes des songes n'étoient point des fourbes & des imposteurs. Il leur est seulement arrivé, de même qu'aux premiers astrologues judiciaires, d'être plus superstitieux que les autres hommes de leur tems, & de donner les premiers dans l'illusion. Mais quand nous supposerions qu'ils ont été aussi fourbes que leurs successeurs, au moins leur a-t-il fallu d'abord des matériaux propres à mettre en oeuvre ; & ces matériaux n'ont jamais pu être de nature à remuer d'une maniere aussi bizarre l'imagination de chaque particulier. Ceux qui les consultoient auront voulu trouver une analogie connue, qui servît de fondement à leur déchiffrement ; & eux-mêmes auront eu également recours à une autorité avouée, afin de soutenir leur science. Mais quelle autre analogie, & quelle autre autorité pouvoient-ils avoir que les hiéroglyphes symboliques, qui étoient alors devenus une chose sacrée & mystérieuse ?

La science symbolique dans laquelle les prêtres égyptiens, qui ont été les premiers interpretes de songes, étoient devenus très - habiles, servoit de fondement à leurs interprétations. Ce fondement devoit donner beaucoup de crédit à l'art, & satisfaire également celui qui consultoit & celui qui étoit consulté : car, dans ce tems-là, tous les égyptiens regardoient leurs dieux comme auteurs de la science hiéroglyphique. Rien alors de plus naturel que de supposer que ces mêmes dieux, qu'ils croyoient aussi auteurs des songes, employoient pour les songes le même langage que pour les hiéroglyphiques. Je suis persuadé que c'est là la véritable origine de l'onéirocritie, ou interprétation des songes, appellés allégoriques, c'est-à-dire, des songes en général ; car l'extravagance d'une imagination qui n'est point retenue, rend naturels tous les songes de cette espece.

Il est vrai que l'onéirocritie une fois en honneur, chaque siecle introduisit, pour la décorer, de nouvelles superstitions, qui la surchargerent à la fin si fort, que l'ancien fondement sur lequel elle étoit appuyée, ne fût plus du tout connu. Voilà qui suffit sur l'origine de l'onéirocritie.

L'Ecriture-sainte nous apprend que cet art étoit déja pratiqué dès le tems de Joseph. Pharaon eut deux songes, Genese 41. Dans l'un il vit sept vaches ; dans l'autre, sept épis de blé. Ces fantômes étoient les symboles de l'Egypte. Les épis marquoient sa grande fertilité ; les vaches désignoient Isis sa patrone tutelaire.

Les onéirocritiques ont emprunté des symboles hiéroglyphiques leur art de déchiffrer, & cela n'a pu arriver qu'après que les hiéroglyphes furent devenus sacrés, c'est-à-dire, le véhicule mystérieux de la théologie des Egyptiens. Or les hiéroglyphes étoient déja devenus sacrés du tems de Joseph, comme on le voit par l'usage qui subsistoit alors, d'interpréter les songes relativement à ces symboles. Toutes ces vérités sont démontrées dans Warburthon. (D.J.)


ONERAIREadj. (Jurispr.) se dit de quelqu'un qui supporte une charge : ce terme ne s'emploie ordinairement qu'en parlant des tuteurs comptables, lorsqu'on veut les distinguer de ceux qui ne le sont pas, & qu'on appelle par cette raison, tuteurs honoraires. Voyez TUTEURS. (A)


ONÉREUX(Jurispr.) signifie ce qui est à charge. Une succession est onéreuse lorsqu'il y a plus de dettes que de biens : titre onéreux est celui qui transmet quelque chose non pas gratuitement, mais à prix d'argent ou en paiement, ou bien sous la condition d'acquiter certaines charges qui égalent la valeur de la chose. Voyez DONATION, RENONCIATION, SUCCESSION, TITRE ONEREUX. (A).


ONGLES. m. (Botan.) on appelle ongle ou onglet, en Botanique, une espece de tache, différente en couleur du reste des pétales de certaines fleurs. On observe cette sorte de tache à la naissance des feuilles de rose, de la fleur des pavots, & de plusieurs autres. (D.J.)

ONGLE, (Anat.) les ongles sont ces corps, pour la plûpart transparens, qui se trouvent aux extrêmités des doigts tant des mains que des piés ; ils sont convexes en-dehors, concaves en-dedans, d'une figure ovale, & d'une consistance assez ferme. Ils semblent être en général de la même substance que les cornes.

Malpighi, Boerhaave, Heister & plusieurs autres célebres auteurs, prétendent avec beaucoup de vraisemblance, que les ongles sont formés par les mamelons de la peau ; ces mamelons couchés longitudinalement à l'extrêmité des doigts, s'allongent parallelement, s'unissent ensemble, & s'endurcissent avec des vaisseaux cutanés qui se soudent ; & l'épiderme se joignant à ces mamelons vers la racine de l'ongle, leur sert comme de gaine. De tout cela résulte un amas de fibres déliées, & fortement collées ensemble qui viennent de toute la partie de la peau qu'elles touchent, & qui forment plusieurs couches appliquées étroitement les unes sur les autres. Ces couches n'ont pas la même longueur, & sont arrangées par degré de telle façon, que les extérieures sont les plus longues, & les intérieures les plus courtes. Enfin elles se séparent aisément par la macération : mais pour mieux développer encore la formation & la structure des ongles, nous allons emprunter les lumieres de M. Winslow.

La substance des ongles, dit-il, est comme cornée & composée de plusieurs plans ou couches longitudinales soudées ensemble. Ces couches aboutissent à l'extrêmité de chaque doigt. Elles sont presque d'une égale épaisseur ; mais elles sont différentes en longueur. Le plus externe de ces plans est le plus long, & les plans intérieurs diminuent par degré jusqu'au plan le plus interne, qui est le plus court de tous ; desorte que l'ongle augmente par degré en épaisseur depuis son union avec l'épiderme, où il est le plus mince, jusqu'au bout du doigt, où il est le plus épais. Les extrêmités graduées, ou racines de toutes les fibres, dont ces plans sont composés, sont creuses, pour recevoir autant de mamelons très-menus & fort obliques qui y sont enchâssés. Ces mamelons sont une continuation de la vraie peau, qui étant parvenue jusqu'à la racine de l'ongle, forme un repli semi-lunaire, dans lequel la racine de l'ongle se niche.

Après ce repli semi-lunaire, la peau se continue sous toute la surface interne de l'ongle, & les mamelons s'y insinuent comme on vient de le dire. Le repli de la peau est accompagné de l'épiderme jusqu'à la racine de l'ongle extérieurement, & il est très-adhérent à cette racine.

On distingue communément dans l'ongle trois parties ; savoir, la racine, le corps, & l'extrêmité. La racine est blanche & en forme de croissant. Elle est cachée entierement, ou pour la plus grande partie, sous le repli semi-lunaire dont nous venons de parler. Le croissant de l'ongle & le repli de la peau sont à contre-sens l'un de l'autre. Le corps de l'ongle est latéralement vouté : il est transparent, & de la couleur de la peau mamelonnée. L'extrémité ou le bout de l'ongle n'est attaché à rien, & croît toujours à mesure que l'on le coupe.

Les Anatomistes qui attribuent l'origine des ongles aux mamelons de la peau, expliquent par ce moyen plusieurs phénomenes au sujet des ongles. Ainsi, comme les mamelons sont encore tendres à la racine de l'ongle, de-là vient qu'il est si sensible à cet endroit ; & comme plus l'extrêmité des mamelons s'éloigne de la racine, plus cette extrêmité se durcit, cela fait qu'on peut couper le bout des ongles sans causer un sentiment de douleur.

Comme ces mamelons & ces vaisseaux soudés qui forment l'ongle viennent de la peau par étages, tant à la racine qu'à la partie inférieure, c'est pour cela que les ongles sont plus épais, plus durs, & plus forts en s'avançant vers l'extrêmité ; à cause que naissans de toute la partie de la peau qu'ils touchent, les mamelons augmentent en nombre de plus en plus, & vont se réunir au bout des ongles. C'est aussi par le moyen de ces mamelons que les ongles sont fortement attachées à la peau qui est audessous. Cependant, on peut aisément les en séparer dans les cadavres par le moyen de l'eau chaude.

Quant à la nourriture & à l'accroissement des ongles, on l'explique en disant que, comme les autres mamelons de la peau ou des vaisseaux qui leur portent la nourriture, les mamelons des ongles en ont aussi de semblables à leur commencement. De ces mamelons, qui sont les racines, ils sort des fibres qui s'allongent, se collent ensemble & se durcissent ; & de cette maniere les ongles se nourrissent & croissent couche sur couche en naissant de toute la partie de la peau qu'ils touchent, comme il a été expliqué ci-dessus.

Les ongles, pendant la vie, croissent toujours ; c'est pourquoi on les rogne à mesure qu'ils surpassent les extrêmités des doigts. Les Romains se les faisoient couper par des mains artistes ; les nègres de Guinée les laissent croître comme un ornement, & comme ayant été faits par la nature pour prendre la poudre d'or.

C'est une erreur populaire en Europe, d'imaginer que les ongles croissent après la mort. Il est facile de se convaincre de la fausseté de cette opinion, pour peu qu'on entende l'économie animale : mais ce qui a donné lieu à cette erreur, c'est qu'après la mort les extrémités des doigts se dessechent & se retirent, ce qui fait paroître les ongles plus longs que durant la vie ; sans compter que les malades laissent ordinairement croître leurs ongles sans les couper, & qu'ainsi ils les ont souvent fort longs quand ils viennent à mourir après une maladie qui a duré quelque tems.

Quelquefois on apperçoit une tache à la racine de l'ongle, & l'on remarque qu'elle s'en éloigne à mesure que l'ongle croît, & qu'on la coupe : cela arrive ainsi, parce que la couche qui contient la tache étant poussée vers l'extrémité par le suc nourricier qu'elle reçoit, la tache doit l'être pareillement. La même chose arriveroit si la tache se rencontroit ailleurs qu'à la racine.

Quand un ongle est tombé, à l'occasion de quelqu'accident, on observe que le nouvel ongle se forme de toute la superficie de la peau, à cause que les petites fibres qui viennent des mamelons, & qui se collent ensemble, s'accroissent toutes en même tems.

La grande douleur que l'on ressent quand il y a quelque corps solide enfoncé entre l'ongle & la peau, ou quand on arrache les ongles avec violence ; cette douleur, dis-je, arrive à cause que leur racine est tendre & adhérente aux mamelons de la peau, qui sont proprement les organes du toucher & du sentiment ; desorte que la séparation des ongles ne peut pas se faire sans blesser ces mamelons, & par conséquent, sans occasionner de très-vives douleurs.

Au reste, comme on l'observe, quand les mamelons sont anéantis quelque part, la peau perd son propre sentiment en cet endroit ; on peut aussi conjecturer que lorsqu'ils sont anéantis à l'endroit des ongles, de nouveaux ongles ont de la peine à se produire.

Les usages des ongles sont principalement les suivans : 1°. ils servent de défense aux bouts des doigts & des orteils, qui, sans leur secours, se blesseroient aisément contre les corps durs. 2°. Ils les affermissent, & empêchent qu'en pressant ou en maniant des choses dures, les bouts des doigts & des orteils ne se renversent contre la convexité de la main ou du pié ; car dans les doigts, c'est du côté de la paume de la main, & dans les orteils, c'est du côté de la plante du pié que se font les plus fréquentes & les plus fortes impressions quand on manie quelque chose, ou quand on marche : c'est pourquoi l'on peut dire, que non-seulement les ongles tiennent lieu de boucliers, mais qu'ils servent sur-tout comme d'arc-boutans. 3°. Ils donnent aux doigts de la main la facilité de prendre & de pincer les corps qui échapperoient aisément par leur petitesse. Les autres usages sont assez connus. Nous parlerons dans la suite des ongles des animaux. Mais nous invitons le lecteur à lire les remarques particulieres de M. du Verney sur ceux de l'homme dans le journal des savans du 23 Mai 1689.

Il arrive quelquefois que l'ongle du gros orteil croît dans la chair par sa partie latérale, ce qui cause de fort grandes douleurs, & la chair croît sur l'ongle. C'est en vain que l'on tâche de consumer cette chair par des cathérétiques, si préalablement on ne coupe l'ongle avec beaucoup de dextérité ; après quoi l'on tire avec une pincette le morceau d'ongle, & on l'enleve le plus doucement qu'il est possible ; ce qui pourtant ne peut se faire sans causer une vive douleur.

Pour prévenir la récidive, quelques-uns conseillent, le mal étant guéri, de ratisser l'ongle par le milieu avec un morceau de verre, une fois tous les mois, jusqu'à ce que l'ongle soit tellement émincé, qu'il céde sous le doigt. Quoiqu'on ne fasse pas ordinairement grand cas de cette blessure, il y a cependant des auteurs qui rapportent qu'elle n'a pas laissé, arrivant sur-tout à des sujets d'une mauvaise constitution, d'occasionner des fâcheux accidens, & même la mort à quelques personnes.

La nature exerce ses jeux sur les ongles, comme sur les autres parties du corps humain. Rouhault a envoyé en 1719 à l'ac. des Sciences une relation & un dessein des ongles monstrueux d'une pauvre femme de Piémont. On jugera de leur grandeur par celle du plus grand de tous, qui étoit l'ongle du gros doigt du pié gauche. Il avoit depuis sa racine jusqu'à son extrêmité quatre pouces & demi. On y voyoit que les lames qui composent l'ongle sont placées les unes sur les autres, comme les tuiles d'un toit, avec cette différence, qu'au lieu que les tuiles de dessous avancent plus que celles de dessus, les lames supérieures avançoient plus que les inférieures. Ce grand ongle, & quelques - autres, avoient des inégalités dans leur épaisseur, & quelquefois des recourbemens, qui devoient venir ou de la pression du soulier, ou de celle de quelques doigts du pié sur d'autres. Ce qui donna occasion à ces ongles de faire du bruit, & d'attirer la curiosité de M. de Rouhault ; c'est que cette femme s'étant crue possédée, & s'étant fait exorciser, elle s'imagina, & publia que le diable s'étoit retiré dans les ongles de ses piés, & les avoit fait croître si excessivement en moins de rien.

On lit dans la même histoire de l'acad. des Scienc. année 1727, l'observation d'un enfant qui avoit les cinq doigts de chaque main parfaitement joints en un seul corps, faisant le même volume & la même figure que des doigts séparés à l'ordinaire qui se tiendroient joints, & ces doigts unis étoient couverts d'un seul ongle, dont la grandeur étoit, à-peu-près, celle des cinq.

Il est tems de dire un mot des ongles des bêtes, qui sont quelquefois coniques, quelquefois caves, & qui servent aux uns de souliers, d'armes aux autres ; mais rien n'est plus curieux que l'artifice qui se trouve dans les pattes des lions, des ours, des tigres, & des chats, où les ongles longs & pointus se cachent si proprement dans leurs pattes, qu'ils n'en touchent point la terre, & qu'ils marchent sans les user & les émousser, ne les faisant sortir que quand ils s'en veulent servir pour frapper & pour déchirer.

La structure & la méchanique de ces ongles est, en quelque façon, pareille à celle qui fait le mouvement des écailles des moules : car de même quelles ont un ligament, qui, ayant naturellement ressort, les fait ouvrir, quand le muscle qui est en-dedans ne tire point ; les pattes des lions ont aussi un ligament à chaque doigt, qui, étant tendu comme un ressort, tire le dernier auquel l'ongle est attaché, & le fait plier en-dessus, ensorte que l'ongle est caché dans les entre-deux du bout des doigts, & ne sort de dehors pour agriffer, que lorsqu'un muscle, qui sert d'antagoniste au ligament, tire cet os, & le fait retourner en-dessous avec l'ongle ; il faut néanmoins supposer que les muscles extenseurs des doigts, servent aussi à tenir cet ongle redressé, & que ce ligament est pour fortifier son action.

Les anciens, qui n'ont point remarqué cette structure, ont dit que les lions avoient des étuis, dans lesquels ils serroient leurs ongles pour les conserver ; il est bien vrai qu'à chaque bout des orteils des lions, il y a une peau dans laquelle les ongles sont en quelque façon cachés, lorsque le ligament à ressort les retire ; mais ce n'est point cet étui qui les conserve ; car les chats, qui n'ont point ces étuis, & qui ont tout le reste de la structure des pattes du lion, conservent fort bien leurs ongles, sur lesquels ils ne marchent point, si ce n'est quand ils en ont besoin pour s'empêcher de glisser. De plus, ces étuis couvrent tout l'ongle excepté la pointe, qui est la seule partie qui a besoin d'être conservée. (D.J.)

ONGLE, (Chimie) espece de matiere osseuse fort analogue à la corne. Voyez SUBSTANCES ANIMALES.

ONGLE, terme de Chirurgie, employé pour exprimer deux maladies des yeux fort différentes ; l'une connue sous le nom latin unguis, dont nous allons parler dans cet article ; & l'autre que nous décrirons au mot ONYX.

L'ongle est une maladie de l'oeil, qui consiste en une excroissance plate qui s'étend sur la conjonctive ; elle commence ordinairement au grand angle, & va par degrés jusqu'à la cornée transparente qu'elle couvre enfin tout-à-fait. Les Grecs l'ont nommée pterygium, qui signifie petite aîle ; & les Latins pannus ou panniculus, & unguis, parce que cette excroissance est à-peu-près de la grandeur & de la figure d'un ongle de la main.

Les anciens ont reconnu trois especes d'ongles : un membraneux, parce qu'il ressemble à une membrane charnue ; le second adipeux, parce qu'il est plus blanchâtre que le précédent, & qu'il semble être de la graisse congelée. Ils ont nommé le troisieme variqueux, parce qu'il paroît tissu de beaucoup d'arteres, & de veines assez grosses ; c'est celui qu'on appelle proprement pannus. Il est le plus fâcheux de tous, parce qu'il est susceptible d'inflammation, de douleur, & d'ulcération.

Le prognostic de l'ongle n'est point équivoque : si l'on ne le guérit pas, il prive celui qui en est attaqué de l'usage de la vue. Il faut donc nécessairement employer les secours qui conviennent pour le détruire.

La cure de l'ongle est différente, suivant son état : s'il est médiocre & récent, on peut, selon Maître-Jan, l'atténuer & le dessécher par les collyres secs, avec le vitriol blanc, le sucre candi, l'os de seche, l'iris de Florence, la poudre de tutie, &c. On y ajoute du verre ou du crystal subtilement pulvérisé : chaque particule de cette substance conserve des angles tranchans qu'on apperçoit au microscope, & qui servent à excorier la superficie de l'ongle. Ces scarifications imperceptibles procurent l'écoulement de l'humidité qui abreuve cette membrane contre nature, & elles y attirent une legere suppuration. L'auteur assure s'en être servi plusieurs fois sans aucun inconvénient, & avec beaucoup de succès.

Si par ces remedes ou autres semblables, on n'a pu parvenir à dessécher & détruire l'ongle, il faut faire l'opération.

On prépare d'abord une aiguille un peu longue & ronde ; on la détrempe en la faisant rougir à la flamme d'une chandelle, & on la courbe suivant qu'on le juge à propos ; on en émousse ensuite la pointe sur une pierre à aiguiser, afin qu'elle ne pique point, & qu'elle se glisse plus aisément entre l'ongle & la conjonctive, sans blesser cette membrane.

Pour faire l'opération, on enfile cette aiguille d'un fil de soie retors : l'opérateur assis fait asséoir le malade par terre, & lui fait renverser & appuyer sa tête sur ses genoux ; ou le chirurgien peut rester debout & faire asseoir le malade dans un fauteuil dont le dossier puisse se renverser. Un aide tient une paupiere ouverte, & le chirurgien l'autre ; celui-ci passe son aiguille par-dessous l'ongle, vers son milieu, ensorte qu'il le comprenne entierement. Voyez Planche XXII. figure 4 (a). Lorsque le fil est passé, & que l'aiguille est ôtée, le chirurgien prend avec le pouce & le doigt index de chaque main, & le plus près de l'oeil qu'il peut, une extrêmité du fil, qui doit être simple, & le fait glisser comme en sciant par-dessous l'ongle, vers sa racine du côté du grand angle ; il le ramene ensuite de la même maniere vers la cornée transparente. Si l'ongle est trop adhérent, & que le fil ne puisse pas passer, on tient les deux extrêmités du fil d'une main, & en soulevant un peu l'ongle par son milieu, on le détache en le disséquant avec une lancette armée, c'est-à-dire affermie sur sa chasse par le moyen d'une bande lette de linge qui ne laisse que la pointe découverte : on détache toutes les adhérences, ayant soin de ne point intéresser le globe de l'oeil.

Lorsque l'ongle est bien séparé, on le lie avec le fil vers son milieu, Planche XXII. fig. 4. (b) & avec la lancette ou de petits ciseaux bien tranchans, on coupe l'ongle par ses extrêmités. Il faut bien prendre garde d'entamer la caroncule lacrymale en détruisant l'attache de l'ongle, parce qu'il pourroit en résulter un larmoyement involontaire.

Après l'opération, on lave l'oeil, on y souffle de la poudre de tutie & de sucre candi ; on met dessus une compresse trempée dans un collyre rafraîchissant. On panse ensuite l'oeil avec les remedes proposés pour les ulceres superficiels de l'oeil, & on les continue jusqu'à la fin de la cure. Voyez l'article ARGEMA.

Maître-Jan ayant extirpé un ongle de la maniere susdite, fut obligé pour arrêter le sang, de se servir d'une poudre faite avec parties égales de gomme arabique & de bol, & une sixieme partie de colcothar. Le même auteur ayant eu occasion de faire l'opération d'un ongle dont les vaisseaux étoient gros, le lia près du grand angle, & se contenta de couper l'autre extrêmité. La ligature tomba cinq ou six jours après, & par ce moyen il ne fut point incommodé de l'écoulement du sang. J'ai fait plusieurs fois cette opération avec succès. (Y)

ONGLE entré dans la chair, c'est une maladie qui occasionne des douleurs très-vives, & qui fait venir une excroissance fongueuse dans le coin de l'ongle. C'est ordinairement celui du gros orteil à qui cela arrive, parce que les chaussures trop étroites enfoncent la chair sur la partie tranchante de l'ongle. Quand le mal commence, on peut en prévenir les suites en se faisant chausser plus au large, & en raclant avec un verre la surface de l'ongle. Quand le mal a fait des progrès, il faut détruire la chair fongueuse avec la poudre d'alun calciné, & couper avec de petites tenailles incisives la portion de l'ongle qui entre dans la chair, pour en faire ensuite l'extraction. Voici comment Fabrice d'Aquapendente traitoit cette maladie : il écartoit avec une petite spatule la chair de l'ongle, & il dilatoit cet endroit avec de la charpie seche, fourrée entre la chair & l'ongle. Cela fait, il coupoit l'ongle en long près de l'endroit où il est adhérent à la chair, & il l'arrachoit sans violence ; il procédoit ainsi plusieurs jours de suite, dilatant, coupant, & arrachant, jusqu'à ce que toute la partie de l'ongle qui entroit dans la chair fût enlevée. On a vu quelquefois les plus violens accidens être les symptomes de ce mal ; tels que fievre considérable, mouvemens convulsifs, & le délire : les saignées, les calmans, & même les narcotiques, deviennent nécessaires ; mais on calme bien plus promptement & plus efficacement, en ôtant la cause de la douleur par une opération très-douloureuse à la vérité, mais qui n'est que momentanée, & qui assure une guérison prochaine, & la cessation subite des vives douleurs. Le pansement exige à peine l'application d'une compresse trempée dans l'eau vulnéraire, à-moins qu'il n'y ait des chairs à détruire ; mais elles s'affaissent bientôt d'elles-mêmes, & cedent à l'application des remedes spiritueux & dessiccatifs. (Y)

ONGLE, (Littérature) les Romains tenoient leurs ongles fort propres, & avoient grand soin de les couper. Horace, dans la lettre septieme du premier livre de ses épîtres, fait mention d'un Vulteius, crieur public de son métier, lequel après avoir été rasé chez un barbier, coupoit tranquillement ses ongles :

Conspexit, ut aiunt,

Adrasum quemdam, vacuâ tonsoris in umbrâ

Cutello proprios purgantem leniter ungues.

Et dans la premiere épître du même livre : " vous me grondez, parce que je n'ai pas les ongles bien faits ".

Et prave sectum stomacharis ob unguem.

Le même dit dans son ode sixieme du premier livre, qu'il chante les combats des vierges qui coupent leurs ongles, pour ne pas blesser leurs amans, en les repoussant :

Nos praelia virginum

Sectis in juvenes unguibus acrium

Cantamus.

ONGLE du pié du cheval, (Maréchallerie) est la même chose que la corne du pié.

Ongles du poing de la bride, c'est la différente situation des ongles de la main gauche du cavalier, qui donne au cheval la facilité de faire les changemens de main, & de former son partir & son arrêt ; parce que le mouvement de la bride suit la position des ongles. Pour laisser échapper un cheval de la main, il faut tourner les ongles en-bas. Pour le changer à droite, il faut les tourner en-haut, portant la main à droite. Pour les changer à gauche, il faut les tourner en-bas & à gauche ; & pour l'arrêter, il faut les tourner en-haut & lever la main.


ONGLÉadj. terme de Blason, qui signifie les ongles ou serres des bêtes ou des oiseaux, lorsque ces ongles sont d'un émail différent de celui du corps de l'animal. Beaumont en Bretagne, d'argent à trois piés de biches de gueules, onglées d'or.


ONGLÉES. f. (Maréchallerie) les Maréchaux appellent ainsi une peau membraneuse qui se forme au petit coin de l'oeil. Presque tous les chevaux ont cette peau ; mais elle ne devient incommode, que lorsqu'elle croît & avance si fort sur l'oeil, qu'elle en cache presque la moitié. Lorsqu'elle est dans cet état, on la coupe avec précaution de la maniere suivante. Commencez par abattre le cheval ou par l'arrêter au travail. Prenez ensuite un sol marqué, approchez-le du bord de cette peau ; le cheval en détournant l'oeil amenera de lui-même cette peau sur le sol. Ayez une aiguille courbe enfilée avec du fil à votre main ; piquez cette peau sur le sol marqué ; faites ressortir l'aiguille au-dessus ou au-dessous à-travers de cette peau ; défilez-la, & prenant les deux bouts du fil, tirez l'onglée à vous, & la coupez toute entiere avec des ciseaux ou un bistouri ; retirez le sol & bassinez l'endroit avec de la crême.


ONGLETS. m. (Géom.) nom que les Géomêtres donnent à une tranche de cylindre terminée par la base, la surface courbe du cylindre, & son plan oblique qui rencontre la base avant d'avoir coupé la surface entiere du cylindre.

La surface courbe de l'onglet est quarrable, & on peut aussi trouver un parallélepipede qui lui soit égal en solidité. On trouvera plusieurs théorèmes sur les onglets de toute espece dans le troisieme volume du cours de Mathématique de M. l'abbé Didier, à Paris chez Jombert.

Cet auteur a recueilli ce que ses prédécesseurs avoient trouvé de plus curieux sur cette matiere. Si on appelle x les abscisses de la base de l'onglet, & y les ordonnés de cette base, les hauteurs correspondantes z des parties de l'onglet, seront n/m y, n étant à m comme la tangente de l'angle du plan oblique est au sinus total. Or comme y = , en nommant a le rayon, & que l'élément d s de l'arc de cercle est ; il est visible que l'élément z d s de la surface de l'onglet est = n/m x a d x ; & que l'élément de l'onglet lui-même est = x (2 a x - x x) : d'où il est aisé de déduire, par le calcul intégral le plus simple, la surface & la solidité de l'onglet. (O)

ONGLET, assemblage à, (Charpenterie) c'est une maniere de joindre & d'assembler les pieces de bois pour un bâtiment, comme lorsque les pieces ne sont pas coupées quarrément, mais diagonalement ou en triangle. Voyez les articles MENUISERIE & CHARPENTE, & les Pl. de ces arts.

ONGLET, terme de Fleuriste, c'est la partie blanche des feuilles de la rose, & de quelques autres fleurs, qui tient au calice, & qu'on retranche quand on les prépare pour des médicamens.

ONGLET, (Gravure) c'est une espece de burin dont se servent les graveurs en relief & en creux, il ne differe des onglettes qu'en ce qu'il est plus étroit par le côté de la pointe. Voyez ONGLETTE.

ONGLET, s. m. terme d'Imprimeur, ce sont deux pages qu'on imprime de nouveau, parce qu'il s'étoit glissé des fautes dans deux autres pages qu'on avoit imprimées auparavant : on appelle cela faire un onglet.

ONGLET, terme de Menuiserie, est la coupe que l'on donne aux cadres & aux moulures dans les assemblages.

ONGLET, terme d'Orfevre & Graveur, sorte de poinçon taillé en ongle ; il differe du burin qui est taillé en losange. (D.J.)

ONGLET, (Relieure) les Relieurs appellent onglet une bande de papier qu'ils cousent dans un livre pour y coller quelque chose. Ils appellent encore de ce nom le rebord des figures qui a servi à les coudre, ou le papier qu'ils collent à des feuilles pour y substituer des marges au besoin.


ONGLETTESS. f. (Gravure) les graveurs en relief & en creux sur les métaux, ainsi que les graveurs en cachets, & les Serruriers, se servent d'onglettes, ce sont des especes de petits burins plats ; il y en a qu'on appelle demi-rondes, d'autres plattes, & d'autres tranchantes & à couteau. Voyez les figures dans nos Planches de la Gravure ; la premiere représente une onglette tranchante ou à couteau, montée sur son manche & à poignée de bois garnie d'une virole de cuivre ; la seconde une onglette double, c'est-à-dire qui a deux pointes ; elle est représentée sans poignée : on se sert de cet outil comme du burin. Voyez BURIN & l'article GRAVEUR AU BURIN.


ONGUENTS. m. (Pharmacie) remede extérieur, qui ne differe du liniment que par la consistance, & qui même en differe à peine par cette qualité. Voyez LINIMENT.

On trouve dans toutes les Pharmacopées un si grand nombre d'onguens officinaux, que le médecin peut se dispenser dans tous les cas d'en prescrire de magistraux. Si l'indication ou le défaut d'onguens officinaux l'y obligeoient pourtant, il pourroit en faire composer facilement d'après cette unique notion de leur essence pharmaceutique ; savoir que pour former un onguent il suffit de mêler ou de faire fondre ensemble différentes matieres huileuses, grasses, balsamiques, résineuses, d'une telle consistance ou avec une telle compensation de consistance, que le mêlange étant froid ait à-peu-près la consistance du saindoux.

Les proportions des ingrédiens qui different naturellement en consistance sont déterminées d'après l'observation pour les onguens officinaux, & consignées dans les Pharmacopées. Quant aux onguens magistraux, si l'on mêle ensemble deux drogues, dont l'une ait trop de consistance & l'autre trop peu, comme l'huile & le blanc-de-baleine, par exemple ; la cire & un baume naturel, liquide, &c. on doit se diriger par le tâtonnement, ajoutant de l'un ou de l'autre des ingrédiens, selon que l'exige la consistance qu'on a obtenue par une premiere épreuve, réitérant ces épreuves, &c.

Les onguens sont principalement destinés au traitement des maladies extérieures, telles que les douleurs des membres, les dartres, la galle, les tumeurs, les plaies, les ulceres, &c. On les emploie aussi quelquefois pour combattre des maladies internes ; l'application des onguens sur le côté dans la pleurésie, sur la région épigastrique, sur les hypochondres, sur la région des reins, sur la région ombilicale, hypogastrique, &c. dans la pleurésie, le vomissement, & d'autres maladies d'estomac, diverses maladies du foie, de la rate & des reins ; certaines coliques intestinales, des maladies de la vessie, de la matrice, &c. cette application, disje, est comptée parmi les secours que la Médecine fournit pour la guérison de ces maladies. Voyez ces articles THERAPEUTIQUE & TOPIQUE.

On applique les onguens sur les plaies & les ulceres, &c. étendus sur des plumaceaux. Voyez PLUMACEAUX. Quand ils sont employés à cet usage particulier, ils sont plus connus dans l'usage ordinaire de la Chirurgie sous le nom de digestifs. Voyez DIGESTIF. On les applique dans tous les autres cas, en en répandant une couche légere sur la partie affectée, les faisant pénétrer autant qu'il est possible par le moyen d'une légere friction, & recouvrant ensuite la partie de linges chauds. C'est évidemment de cette maniere d'appliquer l'onguent que cette préparation tire son nom : il est appellé unguentum, du mot ungere, oindre.

L'usage de se frotter les jointures, & même les membres & tout le corps avec des huiles & des baumes ou onguens, qui étoit fort en vogue parmi les anciens dans l'état de santé, soit dans la vûe de se parfumer, ou dans celle de donner de la souplesse ou de la vigueur à leur corps ; cet usage, dis-je, est absolument aboli parmi nous, & même la théorie regnante de la transpiration cutanée & sur la vertu obstipante des matieres huileuses, prononce hardiment que cette application est non-seulement inutile, mais même très-dangereuse. Il est constant cependant que des peuples entiers l'ont autrefois pratiquée, au-moins sans mauvais effet. Nous savons aussi que les Islandois & les Groenlandois, & quelques peuples du nord de l'Amérique, sont couverts constamment de peaux d'animaux bien enduites d'huile de poisson ; c'est-à-dire qu'ils sont habituellement dans un bain d'huile, & l'on ne voit point cependant que dans ces climats, où il y a d'ailleurs une cause toujours subsistante de transpiration retenue, la prétendue obstipation des pores de la peau par l'huile, occasionne des maladies particulieres.

Il paroît cependant que l'usage de se graisser le corps est assez inutile, & il est très-certainement fort sale & fort puant, fort décrié même quand ces onctions se font avec des parfums.

Ces considérations peuvent nous conduire, non pas à une vraie théorie de l'action des onguens dans les cas des maladies, mais au-moins à nous faire raisonnablement soupçonner que l'explication de leur vertu fondamentale & générique par l'obstipation des pores de la peau, est aussi précaire & aussi gratuite que la plûpart des théories médicinales.

Quant aux vertus particulieres des divers onguens qui sont tous dessicatifs, ou émolliens, ou maturatifs, ou mondificatifs, ou résolutifs, ou fortifians, &c. Voyez DESSICATIF, ÉMOLLIENT, MATURATIF, &c. & les articles particuliers qui traitent des divers onguens.

Il sera parlé de ces divers onguens, soit dans l'article des matieres qui leur donnent leur nom, par exemple au mot guimauve, de l'onguent d'althea ; au mot peuplier, de l'onguent populeum, &c. soit dans des articles exprès qu'on trouvera à la suite de celui-ci, ou sous leurs noms propres, martiatum, egiptiac, &c. pour les onguens les plus usités qui ne tirent pas leur nom de l'un de leurs ingrédiens. (b)

ONGUENT BLANC de Rhasès, communément appellé blanc-rhasis, & par corruption blanc-raisin ; prenez cire blanche, trois onces ; huile d'olive, douze onces : faites-les fondre ensemble dans un vaisseau de fayance ; ajoutez ensuite céruse préparée & lavée trois onces ; retirez le vaisseau du feu, & agitez sans cesse avec un pilon de bois, jusqu'à ce que le mêlange soit refroidi, & qu'il ait pris la consistance d'onguent : le blanc-rhasis est le reméde par excellence des écorchures.

ONGUENT EPISPASTIQUE, (Pharmacie) prenez onguent populeum, une once ; onguent basilicon & cantharides récentes en poudre, de chacun demi-once : mêlez, faites un onguent selon l'art.

Autre onguent epispastique sans cantharides : prenez semence de moutarde en poudre, demi-once ; pyrethre, staphisaigre, poivre long, le tout en poudre, de chacun un gros ; euphorbe en poudre, quinze grains ; onguent basilicon, deux onces ; térébenthine suffisante quantité : mêlez, faites un onguent selon l'art. Voyez les usages de l'un & l'autre onguent à l'art. VESICATOIRE.

ONGUENT GRIS, est en Pharmacie le même que l'onguent mercuriel : il est bon contre les poux. On peut employer à sa place l'onguent indiqué & décrit dans la maladie pédiculaire. Voyez PEDICULAIRE.

ONGUENT DE LA MERE, (Pharm. & Mat. méd. exot.) cet onguent appellé quelquefois aussi onguent brun, unguentum fuscum, est ainsi décrit dans la Pharmacopée de Paris : prenez de sain-doux, de beurre frais, de cire jaune, de suif de mouton & de litharge préparée, de chacun demi-livre ; d'huile d'olive une livre : cuisez en brassant à la maniere des emplâtres jusqu'à ce que votre matiere prenne une couleur brune très-foncée : cette préparation a plutôt la consistance d'emplâtre que celle d'onguent, comme nous l'avons déjà remarqué au mot emplâtre. Voyez cet article.

L'onguent de la mere est d'un usage fort commun à Paris : il tient lieu dans la pratique journaliere des pansemens de presque tous les emplâtres simplement émolliens, adoucissans & maturatifs. Voyez EMPLATRE, Chirurgie.

ONGUENT DE LA COMTESSE, (Pharmac. & Mat. médic. exot.) prenez noix de galle cueillies avant leur maturité, une once ; noix de cyprès, semences d'épine-vinette & de plantain, écorce de grenade, de chacun deux gros ; sumac & alun de roche, de chacun demi-once : mêlez, faites une poudre. D'autre part prenez cire jaune, trois onces ; huile d'olive, demi-livre ; mastic, deux gros : faites fondre ces matieres ensemble, & mêlez-y exactement votre poudre pour faire un onguent selon l'art.

Cet onguent est composé de plusieurs stiptiques très-puissans, parmi lesquels on ne devroit point trouver les semences d'épine-vinette & de plantain, & le mastic, dont la vertu astringente est supposée très-gratuitement, & qui du-moins n'a nulle proportion avec celle des autres ingrédiens.

Il n'est pas étonnant que l'invention de cet onguent soit dûe, ou au-moins attribuée à une femme, puisque c'est un remede de toilette.

Quoique ce remede soit principalement connu par l'abus qui en a été fait, les Médecins sont cependant obligés d'en conseiller quelquefois l'usage, pour remédier, par exemple, au relâchement du vagin, qui suit souvent des accouchemens laborieux. Le mangonium virginitatis qu'on exécute facilement au moyen de ce remede ou de remedes analogues, doit être regardé, ce semble, comme une action licite, & même comme un acte très-méritoire, comme une tromperie obligeante, lorsqu'il s'agit d'assurer les douceurs d'un commerce légitime.

Au reste, comme l'huile & la cire qui constituent l'excipient de cet onguent n'ajoutent rien à son efficacité, qu'ils la diminuent au contraire : & que d'ailleurs lorsqu'il a été appliqué les liqueurs aqueuses ne l'enlevent point, ne lavent point la partie qui en est enduite, il est plus utile & plus commode de substituer à cet excipient huileux une quantité convenable de conserve de roses, dont la vertu est analogue à celle des poudres, & qui est facilement emportée par les lotions aqueuses. (b)

ONGUENT HEMORRHOIDAL, (Pharmacie) cet onguent est décrit de la maniere suivante dans la pharmacopée de Paris sous le nom d'unguentum hemorrhoïdale extemporaneum, c'est-à-dire pour être préparé sur le champ.

Prenez onguent populeum & nutritum de chacun trois onces, trois jaunes d'oeufs, safran en poudre une drachme & demie, opium une drachme ; mêlez, faites un onguent.

Cet onguent paroît très-propre à calmer les douleurs atroces qui accompagnent souvent les paroxysmes d'hémorrhoïde. (b)

ONGUENT MERCURIEL CITRIN pour la galle, voyez MERCURE, Mat. méd.

ONGUENS FROIDS, les quatre, (Pharmacie) on trouve classés sous ce titre dans les anciennes pharmacies l'onguent album rhasis, le cérat de Galien, l'onguent rosat & l'onguent populeum. Voyez ONGUENT RHASIS, CERAT DE GALIEN, PEUPLIER & ROSE, Pharmacie.

On a aussi rangé quelques onguens sous la dénomination commune d'onguens chauds ; mais ils sont beaucoup moins usités que les précédens.

ONGUENT SYMPATHIQUE, sorte d'onguent qu'on suppose guérir les blessures sans l'appliquer sur la plaie, mais seulement à l'arme qui a blessé. Voyez POUDRE SYMPATHIQUE & TRANSPLANTATION. Voyez UNGUENTUM ARMARIUM.


ONIENSES(Géog. anc.) anciens peuples dont le nom se trouve sur une médaille de Posthumus ; le revers de cette médaille a la figure d'Hercule, avec ces mots, Hercules Deus Oniensis. Ortelius croit qu'il s'agit d'un peuple de la Belgique. Il y a du-moins deux endroits qui portent le nom d'Onia ; l'un sur la Sambre, l'autre dans le voisinage de Douai.


ONII-MONTEou ONEU-MONTES, (Géog. anc.) en grec , montagnes de Grece près de l'isthme de Corinthe. Elles s'étendoient, dit Strabon, depuis les rochers Scironides sur le chemin de l'Attique, jusqu'à la Boeotie & au mont Cithéron. Leur nom signifie les montagnes des ânes. Plutarque, dans la vie de Cléomene, parle de ces montagnes. Thucydide, Polyen & Xénophon en parlent aussi, mais au singulier .


ONIROCRITIQUEL ', s. f. (Théol. païenne) c'est la même chose que l'onéirocritie, composé pareillement de , songe, & , je posséde. Voyez ONEIROCRITIE. J'ajouterai seulement que quand cet art prétendu ne fut plus entre les mains des prêtres, & que les seuls diseurs de bonnes-avantures s'en mêlerent, on ne craignit plus de s'en moquer ouvertement. On sait les beaux vers d'Ennius, dont voici la traduction : " Je ne fais nul compte, dit-il, des augures Marses, ni des devins des coins des rues, ni des astrologues du cirque, ni des prognostiques d'Isis, ni des interpretes des songes ; car ils n'ont ni l'art ni la science de deviner ; mais ce sont des diseurs de bonne-avanture ou superstitieux, ou impudens, ou fainéans, ou fous, ou des gens qui se laissant maîtriser par la pauvreté, supposent des prophéties pour attirer du gain ; aveugles, ils veulent montrer le chemin aux autres, & nous demandent un drachme en nous promettant des trésors ; qu'ils prennent cette drachme sur ces trésors, & qu'ils nous rendent le reste ". (D.J.)


ONIUM(Géog. sacrée) Onium dans la vulgate, & dans le grec, est le nom qu'on donna au temple qu'Onias IV. fit bâtir en Egypte, sur le modele de celui de Jérusalem, 150 ans avant l'ere vulgaire. D. Calmet vous en instruira fort au-long, & Josephe, l. VII. de bello jud. c. xxx, vous en donnera la description. Lupus, préfet d'Egypte sous le regne de Vespasien, ferma ce temple vers l'an 73 de l'ere commune, environ 223 ans après sa fondation. Paulin, successeur de Lupus, en enleva tous les ornemens & les richesses, & en fit murer les portes. Tel fut la fin du temple d'Onium.


ONIVAU(Histoire nat. Botan.) arbre de l'île de Madagascar, qui produit une espece d'amande très-bonne à manger, & dont on tire de l'huile.


ONKOTOMIES. f. terme de Chirurgie, est l'opération de l'ouverture d'une tumeur ou d'un abscès. Ce mot est formé du grec tumeur, & , je coupe. Voyez ABSCES & INCISION. (Y)


ONOBA(Géog. anc.) ville d'Espagne dans la Bétique chez les Turdules. Pline, l. III. c. j, la met dans les terres. Ptolémée en établit la long. à 6d. 10'. & la latit. à 36d. 20'.

Il ne faut pas confondre cette ville avec Onoba Oestuaria ; cette derniere étoit dans la Bétique au pays des Turdetains, au bord de la mer & au couchant de l'embouchure orientale du fleuve Baetis ou Guadalquivir ; c'est présentement Gibraléon.


ONOBRYCHIS(Botan.) on peut caractériser ce genre de plante en deux mots : ses gousses sont coupées en crête de coq, & renferment une semence qui a la figure d'un petit rein. Ses fleurs sont légumineuses, disposées en épis longs & épais. Tournefort en compte six especes ; nous décrirons la principale sous son nom françois, qui est SAINFOIN. (D.J.)


ONOCENTAURES. m. (Gramm.) monstre fabuleux, moitié homme, moitié âne.


ONOCROTALEvoyez PELICAN.


ONOLOSAou OBOLE, poids des anciens, pesant un demi-scrupule.


ONOMANCIEou ONOMAMANCIE, ou ONOMATOMANCIE, s. f. (Divin.) divination par les noms ou l'art de présager par les lettres d'un nom d'une personne, le bien ou le mal qui lui doit arriver.

Le mot onomancie pris à la rigueur devroit plutôt signifier divination par les ânes que par les noms, puisqu' en grec signifie âne. Aussi la plûpart des auteurs disent-ils onomatomancie & onomatomancie, pour exprimer celle dont il s'agit ici, & qui vient d', nom, & de , divination.

L'onomancie étoit fort en usage chez les anciens. Les Pythagoriciens prétendoient que les esprits, les actions & les succès des hommes étoient conformes à leur destin, à leur génie, & à leur nom. Platon lui-même semble incliner vers cette opinion, & Ausone l'a exprimée dans ces vers :

Qualem creavit moribus,

Jussit vocari nomine

Mundi supremus arbiter.

Le même auteur plaisante l'ivrogne Meroé sur ce que son nom sembloit signifier qu'il bûvoit beaucoup de vin pur, merum, merum. On remarquoit aussi qu'Hippolite avoit été déchiré & mis en pieces par ses chevaux, comme son nom le portoit. Ce fut par la même raison que S. Hippolite martyr dut à son nom le genre du supplice que lui fit souffrir un juge payen, selon Prudence.

Ille supinatâ residens, cervice, quis inquit,

Dicitur ? affirmant dicier Hypolitum ;

Ergo sit Hippolitus, quatitat turbetque jugales

Intereatque feris dilaniatus equis.

De même on disoit d'Agamemnon que, suivant son nom, il devoit rester long-tems devant Troie, & de Priam qu'il devoit être racheté d'esclavage dans son enfance. C'est encore ainsi, dit-on, qu'Auguste la veille de la bataille d'Actium ayant rencontré un homme qui conduisoit un âne, & ayant appris que cet animal se nommoit nicon, c'est-à-dire victorieux, & le conducteur Eutyches, qui signifie heureux, fortuné, tira de cette rencontre un bon présage de la victoire qu'il remporta le lendemain, & en mémoire de laquelle il fonda une ville sous le nom de Nicopolis. Enfin on peut rapporter à cette idée ces vers de Claudius Rutilius :

Nominibus certis credam decurrere mores ?

Moribus aut potius nomina certa dari ?

C'est une observation fréquente dans l'histoire, que les grands empires ont été détruits sous des princes qui portoient le même nom que ceux qui les avoient fondés. Ainsi la monarchie des Perses commença par Cyrus fils de Cambyse, & finit par Cyrus fils de Darius. Darius fils d'Hystaspes la rétablit, & sous Darius fils d'Arsamis elle passa au pouvoir des Macédoniens. Le royaume de ceux-ci avoit été considérablement augmenté par Philippe fils d'Amyntas ; un autre Philippe fils d'Antigone le perdit entierement. Auguste a été le premier empereur de Rome, & l'on compte Augustule pour le dernier. Constantin établit l'empire à Constantinople, & un autre Constantin le vit détruire par l'invasion des Turcs. On a encore observé que certains noms sont constamment malheureux pour les princes, comme Caïus parmi les Romains, Jean en France, en Angleterre & en Ecosse, & Henri en France.

Une des regles de l'onomancie parmi les Pythagoriciens, étoit qu'un nombre pair de voyelles dans le nom d'une personne signifioit quelqu'imperfection au côté gauche, & qu'un nombre impair de voyelles signifioit quelqu'imperfection au côté droit. Ils avoient encore pour regle que de deux personnes, celle-là étoit la plus heureuse dans le nom de laquelle les lettres numérales ajoutées ensemble formoient la plus grande somme ; ainsi, disoient-ils, Achille avoit vaincu Hector, parce que les lettres numérales comprises dans le nom d'Achille formoient une somme plus grande que celle du nom d'Hector.

C'étoit sans doute sur un principe semblable que dans les festins ou les parties de plaisir les jeunes Romains bûvoient à la santé de leurs maîtresses autant de coups qu'il y avoit de lettres dans le nom de ces belles. C'est pourquoi on lit dans Martial :

Noevia sex cyathis, septem justina bibatur.

Enfin on peut rapporter à l'onomancie tous les présages qu'on prétendoit tirer pour l'avenir des noms, soit considérés dans leur ordre naturel, soit décomposés & réduits en anagramme ; ce qu'Ausone appelle,

Nomen componere, quod sit

Fortunae, morum, vel necis indicium.

Coelius Rhodiginus nous a donné la description d'une espece d'onomancie fort singuliere. Il dit que Théodat, roi des Goths, voulant savoir quel seroit le succès de la guerre qu'il projettoit contre les Romains, un juif expert dans l'onomancie lui ordonna de faire enfermer un certain nombre de cochons dans de petites étables, & de donner à quelques-uns de ces animaux des noms romains, à d'autres des noms de goths, avec des marques pour les distinguer les uns des autres, & enfin de les garder jusqu'à un certain jour ; lequel étant arrivé, on ouvrit les étables, & l'on trouva morts les cochons qu'on avoit désignés par des noms de goths, tandis que ceux à qui l'on avoit donné des noms romains étoient pleins de vie, ce qui fit prédire au juif que les Goths seroient défaits.


ONOMATES. f. (Hist. anc.) fête établie à Sicyone en l'honneur d'Hercule, lorsqu'au lieu de simples honneurs dûs au héros qu'on lui rendoit auparavant, il fut ordonné par Phestus qu'on lui sacrifieroit comme à un dieu, & qu'on lui en donneroit le nom.


ONOMATOPÉES. f. (Gramm. art étymologiq.), ce mot est grec, , comme pour dire , nominis creatio, création, formation ou génération du mot. " Cette figure n'est point un trope, dit M. du Marsais, puisque le mot se prend dans le sens propre ; mais j'ai cru qu'il n'étoit pas inutile de le remarquer ici ", dans son livre des tropes, part. II. art. xix. Il me semble au contraire qu'il étoit très-inutile au-moins de remarquer, en parlant des tropes, une chose que l'on avoue n'être pas un trope ; & ce savant grammairien devoit d'autant moins se permettre cette licence, qu'il regardoit cet ouvrage comme partie d'un traité complet de Grammaire, où il auroit trouvé la vraie place de l'onomatopée. J'ajoute que je ne la regarde pas même comme une figure ; c'est simplement le nom de l'une des causes de la génération matérielle des mots expressifs des objets sensibles, & cette cause est l'imitation plus ou moins exacte de ce qui constitue la nature des êtres nommés.

C'est une vérité de fait assez connue, que par sa nature l'homme est porté à l'imitation ; & ce n'est même qu'en vertu de cette heureuse disposition que la tradition des usages nationaux des langues se conserve & passe de générations en générations. Si l'on a donc à imposer un nom à un objet nouvellement découvert, & que cet objet agisse sur le sens de l'ouïe d'une maniere qui puisse le distinguer des autres ; comme l'ouïe a un rapport immédiat avec l'organe de la voix, l'homme sans réflexion, sans comparaison explicite donne naturellement à cet objet sensible un nom dont les élémens concourent de façon qu'ils répetent à-peu-près le bruit que fait l'objet lui-même. Voilà ce que c'est que l'onomatopée ; & c'est, comme on le voit avec raison, que Wachter, dans son Glossaire germanique, praef. ad Germ. §. VII. l'appelle vox repercussa naturae, l'écho de la nature.

Cette source de mots est naturelle ; & la preuve en est que les enfans se portent généralement & d'eux-mêmes à désigner les choses bruyantes par l'imitation du bruit qu'elles font : ajoutez que la plûpart de ces choses ont des noms radicalement semblables dans les langues les plus éloignées les unes des autres, soit par les tems, soit par les lieux ou par le génie caractéristique.

C'est sur-tout dans le genre animal que l'on en rencontre le plus. Ainsi les Grecs appellent le cri naturel des brebis , les Latins balare, les Allemands bleken, les François bêler, & l'on retrouve par-tout l'articulation qui caractérise ce cri qui est bê. Pareillement on a imaginé les mots analogues & semblables , ululare, heulen, hurler ; , crocire, croasser ; , mugire, mugir ou meugler, &c.

Le coucou est un oiseau connu qui prononce exactement ce nom même ; & les Grecs l'appelloient , les Latins cuculus, qu'ils prononçoient coucoulous ; les Allemands le nomment guguk, en prononçant gougouk ; c'est la nature par-tout.

Upupa ou bubo en latin, en grec, buho en espagnol, puhacz en polonois, owle en anglois, uhu en allemand, hibou en françois, sont autant de mots tirés évidemment du cri lugubre de cet oiseau nocturne qui, comme le dit Pline, lib. X. cap. xij, est moins un chant qu'un gémissement, nec cantu aliquo vocalis, sed gemitu.

L'onomatopée ne s'est pas renfermée seulement dans le regne animal. Tintement, tinnitus, tintinnabulum sont des mots dont le radical commun tin imite exactement le son clair, aigu & durable, que l'on entend diminuer progressivement quand on a frappé quelque vase de métal.

Le glouglou d'une bouteille, le cliquetis des armes, les éclats du tonnerre sont autant de mots imitatifs des différens bruits qu'ils expriment.

Le trictrac est ainsi nommé du bruit que font alternativement les joueurs avec les dez, ou de celui qu'ils font en abattant deux dames, comme ils le peuvent à chaque coup de dez ; autrefois on disoit tictac.

L'imitation qui sert de guide à l'onomatopée se fait encore remarquer d'une autre maniere dans la génération de plusieurs mots ; c'est en proportionnant, pour ainsi dire, les élémens du mot à la nature de l'idée que l'on veut exprimer. Pour faire entendre ma pensée, rappellons-nous ici la division simple & naturelle des élémens de la voix en sons & articulations, ou, si l'on veut, en voyelles & consonnes.

Le son ou la voyelle n'exige, pour se faire entendre, que la simple ouverture de la bouche ; qu'elle soit disposée d'une maniere ou d'une autre, cette disposition n'apporte aucun obstacle à l'émission du son, elle diversifie seulement le canal, afin de diversifier l'impression que l'air sonore doit faire sur l'organe de l'ouïe ; le moule change, mais le passage demeure libre, & la matiere du son coule sans embarras, sans obstacle. Or voilà vraisemblablement l'origine du nom danois aa, qui signifie fleuve ; ce nom générique est devenu ensuite le nom propre de trois rivieres dans les Pays-bas, de trois en Suisse, & de cinq en Westphalie : les voyelles coulent sans obstacle comme les fleuves.

Le tems coule de même ; & de là, par une raison pareille, l'adverbe grec , semper, toujours, perpétuellement ; l'allemand ie en est synonyme, & présente une image semblable.

L'interjection latine eia, semblable à la grecque , paroît tenir à la même source, sus, allez sans vous arrêter, coulez comme un fleuve, &c.

Les articulations ou les consonnes sont labiales, linguales ou gutturales : les linguales sont dentales, sifflantes, liquides ou mouillées, voyez LETTRES ; & le mouvement de la langue est plus sensible ou vers sa pointe, ou vers son milieu qui s'éleve, ou vers la racine dans la région de la gorge. Ce ne peut-être que dans ce méchanisme & d'après la combinaison des effets qu'il peut produire, que l'on peut trouver l'explication de l'analogie que l'on remarque dans les langues entre plusieurs noms des choses que l'on peut classifier sous quelque aspect commun.

" Par exemple, dit M. le président des Brosses, pourquoi la fermeté & la fixité sont-elles le plus souvent désignées par le caractere st ? Pourquoi le caractere st est-il lui-même l'interjection dont on se sert pour faire rester quelqu'un dans un état d'immobilité " ?

, colonne ; , solide, immobile ; , stérile, qui demeure constamment sans fruit ; , j'affermis, je soutiens ; voilà des exemples grecs : en voici de latins, stare, stips, stupere, stupidus, stamen, stagnum (eau dormante), stellae (étoiles fixes), strenuus, &c. en françois, stable, état, (autrefois estat de status), estime, consistance, juste (injure stans), &c.

" Pourquoi le creux & l'excavation sont-ils marqués par sc ? , fouir, , esquif, scutum, scaturire, scabies, scyphus, sculpere, scrobs, scrutari ; écuelle (anciennement escuelle), scarifier, scabreux, sculpture ".

Ecrire (autrefois escrire) vient de scribere ; & l'on sait qu'anciennement on écrivoit avec une sorte de poinçon qui gravoit les lettres sur la cire, dont les tablettes étoient enduites, & les Grecs, par la même analogie, appelloient cet instrument .

" Leibnitz a si bien fait attention à ces singularités, qu'il les remarque comme des faits constans : il en donne plusieurs exemples dans sa langue. Mais quelle en pourroit être la cause ? Celle que j'entrevois me paroîtra peut-être satisfaisante ; savoir que les dents étant la plus immobile des parties organiques de la voix, la plus ferme des lettres dentales, le t a été machinalement employé pour désigner la fixité ; comme pour désigner le creux & la cavité, on emploie le k ou le c qui s'opere vers la gorge le plus creux & le plus cave des organes de la voix. Quant à la lettre s, qui se joint volontiers aux autres articulations, elle est ici, ainsi qu'elle est souvent ailleurs comme un augmentatif plus marqué, tendant à rendre la peinture plus forte ".

D'où lui vient cette propriété ? c'est que la nature de cette articulation consistant à intercepter le son sans arrêter entierement l'air, elle opere une sorte de sifflement qui peut être continué & prendre une certaine durée. Ainsi, dans le cas où elle est suivie de t, il semble que le mouvement explosif du sifflement soit arrêté subitement par la nouvelle articulation, ce qui peint en effet la fixité ; & dans le cas où il s'agit de s c, le mouvement de sibilation paroît désigner l'action qui tend à creuser & à pénétrer profondément, comme on le sent par l'articulation r, qui tient à la racine de la langue.

" N, la plus liquide de toutes les lettres, est la lettre caractéristique de ce qui agit sur le liquide : no, , navis, navigium, , nubes, nuage, &c.

De même fl, composé de l'articulation labiale & sifflante f & de la liquide l, est affecté au fluide, soit ignée, soit aquatique, soit aërien, dont il peint assez bien le mouvement ; flamma, fluo, flatus, fluctus, &c. , flamme ; , veine où coule le sang ; , fleuve brûlant d'enfer, &c. ou à ce qui peut tenir du liquide par sa mobilité ; fly en anglois, mouche & voler, flight, fuir, &c.

Leibnitz remarque que si l's y est jointe, sw est dissipare, dilatare ; sl, est dilabi vel labi cùm recessu : il en cite plusieurs exemples dans sa langue, auxquels on peut joindre en anglois slide, slink, slip, &c.

On peint la rudesse des choses extérieures par l'articulation r, la plus rude de toutes ; il n'en faut point d'autre preuve que les mots de cette espece : rude, âpre, âcre, roc, rompre, racler, irriter, &c.

Si la rudesse est jointe à la cavité, on joint les deux caractéristiques, scabrosus. Si la rudesse est jointe à l'échappement, on a joint de même deux caractéristiques propres : frangere, briser, breche, phur ou phour, c'est-à-dire frangere. On voit par ces exemples que l'articulation labiale, qui peint toujours la mobilité, la peint rude par frangere, & douce par fluere....

La même inflexion r détermine le nom des choses qui vont d'un mouvement vîte, accompagné d'une certaine force ; rapide, ravir, rouler, racler, rainure, raie, rota, rheda, ruere, &c. Aussi sert-elle souvent aux noms des rivieres dont le cours est violent ; Rhin, Rhône, Heridanus, Garonne, Rha (le Volga), Araxes, &c.

Valor ejus, dit Heuselius en parlant de cette lettre, erit egressus rapidus & vehemens, tremulans & strepidans ; hinc etiam affert affectum vehementem rapidumque. C'est la seule observation raisonnable qu'il y ait dans le systême absurde que cet auteur s'est formé sur les propriétés chimériques qu'il attribue à chaque lettre.... ".

Toutes ces remarques, & mille autres que l'on pourroit faire & justifier par des exemples sans nombre, nous montrent bien que la nature agit primitivement sur le langage humain, indépendamment de tout ce que la réflexion, la convention ou le caprice y peuvent ensuite ajouter ; & nous pouvons établir comme un principe, qu'il y a de certains mouvemens des organes appropriés à désigner une certaine classe de choses de même espece ou de même qualité. Déterminés par différentes circonstances, les hommes envisagent les choses sous divers aspects : c'est le principe de la différence de leurs idiomes ; fenestra exprimoit chez les Latins le passage de la lumiere ; ventana en Espagne désigne le passage des vents ; janella en langue portugaise, marque une petite porte ; croisée en françois, indique une ouverture coupée par une croix. Partout c'est la même chose, envisagée ici par son principal usage, là par ses inconvéniens, ailleurs par une relation accidentelle, chez nous par sa forme. Mais la chose une fois vûe, l'homme, sans convention, sans s'en appercevoir, forme machinalement ses mots les plus semblables qu'il peut aux objets signifiés. C'est à-peu-près la conclusion de M. le président des Brosses, qui continue ainsi :

" Publius Nigidius, ancien grammairien latin (il étoit contemporain de Ciceron), poussoit peut-être ce systême trop loin lorsqu'il vouloit l'appliquer, par exemple, aux pronoms personnels, & qu'il remarquoit que dans les mots ego & nos le mouvement organique se fait avec un retour intérieur sur soi-même, au lieu que dans les mots tu & vos l'inflexion se porte au-dehors vers la personne à qui on s'adresse ; mais il est du-moins certain qu'il rencontre juste dans la réflexion générale qui suit : Nomina verbaque non positu fortuito, sed quâdam vi & ratione naturae facta esse P. Nigidius in grammaticis commentariis docet, rem sanè in philosophiae dissertationibus celebrem. Quaeri enim solitum apud Philosophos sint , naturâ nomina sint an impositione. In eam rem multa argumenta dicit, cur videri possint verba esse naturalia magis quàm arbitraria.... Nam sicuti cùm adnuimus & abnuimus, motus quidem ille vel capitis vel oculorum à naturâ rei quam significat non abhorret ; ita in vocibus quasi gestus quidam oris & spiritûs naturalis est. Eadem ratio est in graecis quoque vocibus quam esse in nostris animadvertimus. A. Gell. lib. X. cap. jv.

Qu'on ne s'étonne donc pas de trouver des termes de figure & de signification semblables dans les langues de peuples fort différens les uns des autres, qui ne paroissent avoir jamais eu de communication ensemble ". Toutes les nations sont inspirées par le même maître, & d'ailleurs tous les idiomes descendent d'une même langue primitive, voyez LANGUE. C'est assez pour établir des radicaux communs à toutes les langues postérieures, mais ce n'est pas assez pour en conclure une liaison immédiate. Ces radicaux prouvent que les mêmes objets ont été vûs sous les mêmes aspects, & nommés par des hommes semblablement organisés ; mais la même maniere de construire est ce qui prouve l'affinité la plus immédiate, sur-tout quand elle se trouve réunie avec la similitude des mots radicaux.

(B. E. R. M.)


ONONGS. m. (terme de Calend.) On écrit aussi Onung, Onungi & Onuzangi ; nom du dixieme mois de l'année des peuples de la Turcomanie & des Tartares qui habitent près de ce pays. Ce mois répond à notre mois de Septembre, parce que ces peuples commencent leur année en Décembre.


ONONYCHITES. m. (Théolog.) terme qui signifie à la lettre ce qui a les piés d'un âne. Ce mot est formé du grec , âne, & d', sabot, ongle.

Ononychite étoit le nom injurieux que les payens donnerent dans le premier siecle au Dieu des Chrétiens, si l'on en croit Tertullien dans son apologétique, parce que ceux-ci adoroient & reconnoissoient le même Dieu que les Juifs.

Mais sur quel fondement les payens prétendoient-ils que les Juifs adoroient un âne, ou un dieu qui eût des piés d'âne ? c'est ce que nous allons examiner dans cet article.

Les payens, qui n'ont jamais eu qu'une idée fort imparfaite, ou même très-fausse de la religion des Juifs, leur ont imputé sans preuve cette extravagante idolâtrie. Appion le grammairien dit que les Juifs adoroient une tête d'âne, & il avance que lorsqu' Antiochus Epiphanes pilla le temple de Jérusalem, il y trouva une tête d'âne qui étoit d'or, & d'un assez grand prix, & qui étoit adorée par les Juifs. Josephe l'historien, qui rapporte cette calomnie, liv. II. contr. Appion ch. iij. la réfute en montrant que les Juifs n'ont jamais adoré aucun des animaux.

Diodore de Sicile raconte (eclog. ex l. XXXIV. pag. 901 & 902) qu'Antiochus étant entré dans l'intérieur du temple, y trouva une statue de pierre représentant un homme avec une grande barbe, & monté sur un âne, & qu'il jugea que cette figure représentoit Moïse. Mais que conclure du récit d'un historien si mal informé ?

Tacite (histor. liv. V.) dit que Moïse & son peuple ayant été chassés de l'Egypte, parce qu'ils étoient infectés de lepre, se retirerent dans le desert d'Arabie, où ils étoient près de périr de soif, lorsqu'ils virent une troupe d'ânes sauvages qui entroient dans un bois fort touffu, ce qui fit soupçonner à Moïse qu'ils alloient chercher à s'y désaltérer. Il les y suivit, & trouva en effet de fort belles sources d'eau, qui lui servirent à lui & à sa troupe à étancher leur soif. Tacite ajoute qu'en reconnoissance les Juifs consacrerent une figure de cet animal dans leur sanctuaire, & qu'ils l'adoroient.

D'autres prétendent qu'on les accusa de cette idolâtrie parce qu'ils n'immoloient point d'ânes ; & quelques-uns enfin en ont donné pour raison que l'urne d'or à deux anses, dans laquelle on conservoit la manne dans le tabernacle, avoit la figure de la tête d'un âne ; mais ces deux dernieres raisons sont aussi frivoles que les deux premieres sont mal-fondées. La narration de Tacite, quoique dénuée de preuves, paroît être la source de ce préjugé des étrangers contre les Juifs ; & les payens qui confondoient souvent avec ceux-ci les premiers chrétiens, ne balancerent pas à leur attribuer ce culte extravagant, pour les rendre ou odieux ou ridicules. Voyez Reland, dissert. in numismat. Samarit. & Tacite, loc. cit.


ONOR(Géog.) ville & forteresse d'Asie, dans la presqu'île en-deçà du Gange, sur la côte de Malabar, à 18 lieues de Goa. Long. 90. 30'. latit. 14. 45.


ONOSICLEDES. m. (Gramm.) monstre fabuleux à cuisse d'âne. Un diacre de Milan appellé Géronce, fut suspendu de ses fonctions par saint Ambroise, pour s'être vanté d'en avoir vû un.


ONOSMAS. m. (Botan. anc.) plante décrite par Dioscoride avec des feuilles semblables à celles de l'orcanette, mais sans tige, sans fleurs & sans semence. L'erreur de cet ancien botaniste vient de ce qu'il n'a observé cette plante que la premiere année, où en effet elle ne pousse que des feuilles, de même que la cynoglosse, la buglose, & autres plantes de cette espece ; mais par les autres détails de Dioscoride, il paroît effectivement que c'est une espece d'orcanette, que le docteur Shérard a remarqué dans l'île de Jersey. (D.J.)


ONTOLOGIES. f. (Logiq. & Métaphys.) c'est la science de l'être considéré entant qu'être. Elle fournit des principes à toutes les autres parties de la Philosophie, & même à toutes les Sciences.

Les scholastiques souverainement passionnés pour leur jargon, n'avoient garde de laisser en friche le terroir le plus propre à la production des termes nouveaux & obscurs : aussi élevoient-ils jusqu'aux nues leur philosophia prima. Dès que la doctrine de Descartes eut pris le dessus, l'ontologie scholastique tomba dans le mépris, & devint l'objet de la risée publique. Le nouveau philosophe posant pour principe fondamental qu'on ne devoit admettre aucun terme auquel ne répondît une notion claire ou qui ne fût résoluble par sa définition en idées simples & claires, cet arrêt, émané du bon sens, proscrivit tous les termes ontologiques alors usités. Effectivement les définitions destinées à les expliquer, étoient pour l'ordinaire plus obscures que les termes mêmes ; & les regles ou canons des scholastiques étoient si équivoques, qu'on ne pouvoit en tirer aucun usage. On n'envisagea donc plus l'ontologie que comme un dictionnaire philosophique barbare, dans lequel on expliquoit des termes dont nous pouvions fort bien nous passer ; & ce qui acheva de la décrier, c'est que Descartes détruisit sans édifier, & qu'il décida même que les termes ontologiques n'avoient pas besoin de définition, & que ceux qui signifioient quelque chose étoient suffisamment intelligibles par eux mêmes. Sans doute la difficulté de donner des définitions précises des idées simples & primitives, fut ce qui engagea Descartes à couper ainsi le noeud.

L'ontologie, qui n'étoit autrefois qu'une science de mots, prit une toute autre face entre les mains des philosophes modernes, ou, pour mieux dire, de M. Wolf ; car le cours de cette science qu'il a publié, est le premier & jusqu'à-présent l'unique où elle soit proposée d'une maniere vraiment philosophique. Ce grand homme méditant sur les moyens de faire un système de philosophie certain & utile au genre humain, se mit à rechercher la raison de l'évidence des démonstrations d'Euclide ; & il découvrit bien-tôt qu'elle dépendoit des notions ontologiques. Car les premiers principes qu'Euclide emploie sont ou des définitions nominales qui n'ont par elles-mêmes aucune évidence, ou des axiomes dont la plûpart sont des propositions ontologiques.

De cette découverte M. Volf conclut que toute la certitude des Mathématiques procede de l'ontologie ; passant ensuite aux théoremes de la Philosophie, & s'efforçant de démontrer la convenance des attributs avec leurs sujets, conformément à leurs légitimes déterminations, pour remonter par des démonstrations réitérées jusqu'aux principes indémontrables, il s'apperçut pareillement que toutes les especes de vérités étoient dans le même cas que les Mathématiques, c'est-à-dire qu'elles tenoient aux notions ontologiques. Il résulte manifestement de-là que la Philosophie, & encore moins ce qu'on appelle les facultés supérieures, ne peuvent être traitées d'une maniere certaine & utile, qu'après avoir assujetti l'ontologie aux regles de la méthode scientifique. C'est l'important service que M. Volf s'est proposé de rendre aux Sciences, & qu'il leur a rendu réellement dans l'ouvrage publié en 1729 sous ce titre : Philosophia prima sive ontologia, methodo scientificâ pertractata, quâ omnis cognitionis humanae principia continentur ; réimprimé plus correct en 1736 in -4°, à Francfort & Léipsick. Il donne les notions distinctes, tant de l'être en général, que des attributs qui lui conviennent, soit qu'on le considére simplement comme être, soit que l'on envisage les êtres sous certaines relations. Ces notions servent ensuite à former des propositions déterminées, les seules qui soient utiles au raisonnement & à construire les démonstrations, dans lesquelles on ne doit jamais faire entrer que des principes antérieurement prouvés. On ne doit pas s'étonner de trouver dans un pareil ouvrage les définitions des choses que les idées confuses nous représentent assez clairement pour les distinguer les unes des autres, & les preuves des vérités sur lesquelles on n'a pas coutume d'en exiger. Le but de l'auteur demandoit ces détails : il ne lui suffisoit pas de donner une énumération des attributs absolus & respectifs de l'être, il falloit encore rendre raison de leur convenance à l'être, & convaincre à priori, qu'on est en droit de les lui attribuer toutes les fois que les déterminations supposées par l'attribut se rencontrent. Tant que les propositions ne sont éclaircies que par les exemples que l'expérience fournit, on n'en sauroit inférer leur universalité, qui ne devient évidente que par la connoissance des déterminations du sujet. Quiconque sait quelle est la force de la méthode scientifique, pour entrainer notre consentement, ne se plaindra jamais du soin scrupuleux qu'un auteur apporte à démontrer tout ce qu'il avance.

On peut définir l'ontologie naturelle par l'assemblage des notions confuses acquises par l'usage ordinaire des facultés de notre ame, & qui répondent aux termes abstraits dont nous nous servons pour exprimer nos jugemens généraux sur l'être. Telle est en effet la nature de notre ame, qu'elle ne sauroit détacher de l'idée d'un être tout ce qu'elle apperçoit dans cet être, & qu'elle apperçoit les choses universelles dans les singulieres, en se souvenant d'avoir observé dans d'autres êtres ce qu'elle remarque dans ceux qui sont l'objet actuel de son attention. C'est ainsi, par exemple, que se forment en nous les idées confuses de plus grand, de moindre & d'égal, par la comparaison des grandeurs ou hauteurs des objets corporels. Il s'agit de ramener ces concepts vagues à des idées distinctes, & de déterminer les propositions qui en doivent résulter : c'est ce que fait l'ontologie artificielle, & elle est par conséquent l'explication distincte de l'ontologie naturelle.


ONUAVAS. f. (Mytholog.) divinité des anciens Gaulois, que l'on imagine être la Vénus céleste ; mais l'on ne voit pas d'où peut naître cette idée, & l'on comprend encore moins les symboles de la représentation d'Onuava. Sa figure portoit une tête de femme avec deux aîles éployées au-dessus, & deux écailles pour oreilles ; cette tête de femme étoit environnée de deux serpens, dont les queues alloient se perdre dans les deux aîles. (D.J.)


ONUGNATOS(Géog. anc.) promontoire du Péloponnèse sur la côte méridionale, au coin de la Laconie, selon Ptolémée, liv. III. ch. xvj. Ses interpretes imaginent que c'est présentement le cap Xili. Le mot grec onugnatos veut dire la mâchoire d'un âne.


ONYCHITES(Hist. nat.) ou unguis lapideus ; nom donné par Mercati à des pierres qui par leur forme ont quelque ressemblance à des ongles humains, mais qui, selon lui, paroissent de la nature de l'ivoire, & qui sont toutes percées d'un petit trou à un endroit. Il y a apparence que ce sont des fragmens de palais de poissons, qui ont été usés par le roulement & le mouvement des eaux, & ensevelis en terre.

On a aussi fort improprement donné le nom d'onychite à un enduit qui s'attache aux fourneaux où l'on traite de certains métaux. Voyez CADMIE. (-)


ONYCOMANCIES. f. espece de divination qui se faisoit par le moyen des ongles, comme le porte ce nom tiré d', ongle, & , divination. Elle se pratiquoit en frottant avec de la suie les ongles d'un jeune garçon, qui présentoit au soleil ses ongles ainsi barbouillés, & l'on s'imaginoit voir dessus des figures qui faisoient connoître ce qu'on souhaitoit de savoir. On s'y servoit encore d'huile ou de cire pour frotter les ongles, sur lesquels on prétendoit lire l'avenir.

C'est de-là que quelques chiromanciens modernes ont appliqué le mot d'onycomancie à la partie de leur art qui consiste à deviner le caractere & la bonne ou mauvaise fortune d'une personne par l'inspection de ses ongles.


ONYX(Hist. nat. Mineral.) onyx, onychium, onychipuncta ; pierre précieuse ou agate qui a très-peu de transparence, dont la couleur ressemble à celle d'un ongle ou de la corne, mais qui est remplie de raies d'une couleur différente de celle du fond de la pierre ; ces raies sont ou noires, ou brunes, ou blanches, ou bleuâtres : elles sont presque paralleles les unes aux autres ; elles forment ou des cercles concentriques, ou des lignes qui traversent la pierre irrégulierement.

On a donné différens noms à l'onyx, suivant les différens accidens qu'on y a remarqué ; c'est ainsi que l'on a appellé sardonyx une onyx dans laquelle on trouvoit des raies ou des veines rouges comme la cornaline, ou jaunes comme la sardoine. On a nommé du nom d'agathonyx celle qui étoit mêlée avec des portions d'agate ordinaire, ou d'une autre couleur que la sienne. On a appellé jasponyx une onyx entremêlée avec du jaspe. On a appellé camée, camchuia ou memphites, une onyx composée d'une couche de couleur d'ongle, & d'une autre couche noire ou brune qui se distinguoit de la premiere. On voit par-là que les anciens lithographes ont fait tout ce qu'ils ont pû pour embrouiller les choses, en multipliant les noms sans nécessité.

C'est sur des onyx que les anciens faisoient ces belles gravures en relief que nous appellons camées ; les couches ou zones de différentes couleurs qui sont dans ces pierres, les mettoient en état de graver en relief une figure d'une couleur qui paroissoit comme collée sur un fond d'une autre couleur.

Les onyx se trouvent, ainsi que les agates, par masses détachées, ou comme de certains cailloux qui lorsqu'on les ouvre montrent dans leur intérieur des cercles concentriques ; il se trouve aussi dans les agates des parties qui sont onyx ; elles ne different du reste de l'agate que par le nom arbitraire que leur couleur accidentelle leur a fait donner.

L'onyx se trouve dans les Indes, dans l'île de Ceylan, dans le Levant ; L'Europe n'en manque point non plus, & il en vient de Bohème, d'Hongrie, d'Allemagne, &c. (-)

ONYX, (Littérat.) Les anciens ont donné le nom d'onyx à deux sortes de pierres. La premiere, appellée autrement alabastrites, venoit des carrieres de la Carmanie, aujourd'hui le Kerman, province de Perse ; on en tiroit aussi des montagnes d'Arabie, & l'on ne s'en servoit d'abord, que pour mettre des essences & former des tasses ; c'est pourquoi Horace invitant Virgile à souper, lui dit :

Nardi parvus onyx eliciet cadum.

" Vous aurez du vin de Cades, en apportant une petite phiole d'essence ". L'usage d'employer cette pierre d'onyx pour renfermer les essences fit passer ce nom dans la suite à d'autres sortes de phioles & de boîtes. La seconde sorte d'onyx étoit la pierre précieuse polie & décrite à l'article précedent.

Appien dit que tous les vases de Mithridate étoient d'onyx, & qu'après la défaite de ce roi du Pont, les Romains en trouverent dans une de ses villes un riche assemblage, au nombre de deux mille enrichis d'or, qui marcherent à la suite de Pompée, entrant victorieux dans Rome, & augmenterent l'éclat de son triomphe. Mais, quoi qu'en dise Appien, il n'est pas possible que tous les vases de Mithridate fussent d'une seule & même espece, & l'on ne peut l'imaginer par rapport au véritable onyx, qui n'offre que très-rarement, & encore dans de petits morceaux, de ces accidens heureux, dont un artiste peut tirer parti pour faire un ouvrage singulier. Il est donc vraisemblable, que cet historien voulant nous donner une idée générale des vases qui faisoient la richesse de Mithridate, s'est cru permis de nommer indirectement tous ces vases, des vases d'onyx, parce que de même que les vases de cette derniere espece, ils étoient tous diversifiés de couleur. (D.J.)

ONYX-AGATE, (Gravure en pierres fines.) On a vû dans l'article minéralogique de l'onyx, qu'on a donné le nom d'agathonyx à cette pierre précieuse qui étoit mêlée avec des portions d'agate ordinaire, ou d'une autre couleur que la sienne ; il faut ici considérer avec M. Mariette, les agates-onyx par rapport à la gravure.

Ces pierres cachent sous une épaisseur blanche & assez mince, une masse noire, grise ou rougeâtre, qui paroît sous cette espece de peau, comme la chair au-travers de l'ongle, & que le graveur découvre pour peu qu'il enfonce son outil. De cette maniere la gravure en creux prend de la couleur, elle se détache en brun sur un champ blanc ; & elle se trouve encore environnée d'un cercle brun qui lui sert comme d'une bordure ; car il faut supposer que l'agate aura été abattue en talus, & qu'il ne reste plus de blanc sur ses bords ; c'est ce qu'on ne manque gueres d'observer. Cependant quelqu'avantageusement que se présente une telle gravure, une agate-onyx réussit beaucoup mieux dans la gravure de relief, & c'est-là sa véritable destination.

Il doit se trouver dans une belle agate-onyx, entre quelques lits de différentes couleurs, un lit blanc également répandu dans toute l'étendue de la pierre ; mais pour produire un effet heureux, & dont on puisse tirer parti ; la couleur de chaque lit doit trancher net, & ne se point confondre avec la couleur voisine. Quand il en arrive autrement, & qu'une couleur en boit une autre, ainsi qu'on s'exprime en termes de l'art, c'est la plus grande imperfection qu'on puisse reprocher à une agate-onyx. Ses différens lits sont presque toujours disposés par couches, qui, suivant toute la ligne horisontale, se succédent les unes aux autres ; quelquefois, ce qui est plus rare, & ce qui est aussi plus agréable, le lit blanc circule dans la pierre & y décrit un cercle ou une ovale : mais lorsqu'avec cette précision & cette régularité de forme, les quatre couleurs, le noir, le blanc, le bleu, & le roussâtre, parfaitement distinctes & d'une égale épaisseur, se trouvent réunies dans la même pierre, & qu'elles marchent de compagnie sans aucune interruption, de la même maniere que les couleurs de l'arc-en-ciel, & forment plusieurs ronds inscrits l'un dans l'autre, on peut dire que c'est une pierre sans prix. Les Romains connoissoient tout ce qu'elle valoit. C'étoit Publius-Cornelius Scipion surnommé l'Africain, qui le premier, selon Pline, l. XXXVII. c. vj. avoit mis chez eux cette pierre en honneur. Les plus régulieres & les mieux colorées viennent de l'Inde. M. Crozat en possédoit une admirable.

L'agate-onyx porte le nom de camée, lorsque la pierre est travaillée & que l'artiste y a gravé quelques figures. Quand une raie blanche traverse la pierre, ce qui vient de ce que l'agate-onyx, au lieu d'avoir été sciée horisontalement, l'a été verticalement ; par rapport à cette ligne, cette agate prend le nom d'agate-barrée. On ne comprend pas pourquoi les anciens ont souvent gravé sur cette derniere espece d'agate, car elle n'est surement point faite pour plaire à l'oeil ; & ce qui est de plus important, les figures gravées s'y distinguent mal & paroissent même, s'il faut le dire, en quelque façon rompues & estropiées. Les agate-onyx sont taillées en talus ou en glacis sur le bord, on les appelle agate à biseau ; c'est une façon qu'on leur donne afin qu'elles se présentent avec plus de grace. Si c'est le rouge qui fait le fond de l'agate-onyx, c'est alors une cornaline-onyx : & c'est une sardoine-onyx, lorsque le champ en est jaunâtre ou fauve. Mariette. (D.J.)

ONYX, terme de Chirurgie, maladie de l'oeil, connue en françois sous le nom d'ongle ; c'est un amas de pus dans la chambre antérieure, entre l'iris & la cornée transparente ; c'est la suite d'un hypopyon qui s'est ouvert de lui-même au-dedans de l'oeil. Cette collection purulente fait une tache semblable au croissant qui est à la racine des ongles, ce qui lui a fait donner le nom d'ongle, onyx signifiant la même chose en grec. Voyez HYPOPYON. (Y)


ONZE1. (Arithm.) c'est dans notre système de numération le premier nombre de la seconde décade, ou celui qui suit immédiatement la racine dix de notre échelle arithmétique ; il s'exprime par deux unités. Il est nombre premier, & le sixieme de cet ordre.

2. Puisque neuf (voyez son article) tire certaines propriétés de sa proximité en-deçà de la racine de notre échelle arithmétique ; il étoit naturel de penser que onze en a d'analogues, qu'il doit tirer de sa proximité en-delà de la même racine : mais, comme elles ne sont pas si exposées en vûe, elles avoient jusqu'ici échappé aux observateurs. Ce sont, pour le nombre & pour le fonds, précisément les mêmes que celles de neuf, si ce n'est qu'elles se manifestent en sens contraire, comme cela devoit être. Dans le développement qu'on en va faire, on aura soin de rapprocher chacune de celle qui lui correspond pour le nombre neuf, afin de faire mieux connoître ce qu'elles ont de commun & en quoi elles différent.

Au reste, tout ce que nous dirons de onze doit s'entendre de tout autre , c'est-à-dire (r représentant la racine d'une échelle arithmétique quelconque), de tout nombre qui occupe respectivement le même rang dans son échelle particuliere, que notre 11 occupe dans la sienne. Je dis notre 11, parce que 11 est l'expression numérique de commune à toutes les échelles.

3. Premiere propriété. La division par 11 de tout multiple de 11 peut se réduire à une simple soustraction : en voici la pratique.

Soit 4708 (multiple de 11) proposé à diviser par 11.

Puis dites : qui de 0, ou (en empruntant) qui de 10 paie 8, reste 2 ; écrivez 2 à la gauche du 8.

Enfin dites : non, qui de 7, mais (à cause de l'emprunt) qui de 6 paie 2, reste 4 ; écrivez 4 à la gauche du 2... & tout est fait : car 4 - 4 = 0 montre que l'opération est consommée. Desorte que négligeant le 0 final, le reste 428 est le quotient cherché.

Pour la preuve ; additionnez ensemble les chiffres du nombre inférieur, les prenant deux à deux, chacun successivement avec celui qui le précéde vers la gauche, jusqu'au dernier qui s'emploie tout seul, n'en ayant point au - delà avec qui s'apparier : la somme doit vous rendre le nombre supérieur, s'il ne s'est point glissé d'erreur dans l'opération.

4. La raison de cette pratique deviendra sensible, si l'on fait attention que tout multiple de 11 peut être conçu, comme le résultat d'une addition. En effet, 428 X 11 = 428 X = 4280 + 428. Ce que l'on peut disposer ainsi

Nommant s le nombre supérieur, m celui du milieu, j l'inférieur ; il suit de la disposition des chiffres que le dernier de m est le même que le pénultieme de s, le pénultieme de m le même que l'antépénultieme de s, &c.

Maintenant le nombre j étant proposé à diviser par 11, il est clair (construction) que le quotient cherché est le nombre m. Mais (encore par construction) j = s + m ; d'où m = j - s : & voilà la soustraction qu'il est question de faire ; mais comment y procéder, puisque s, élément nécessaire, n'est point connu ?

Au moins en connoît-on le dernier chiffre, qui est toujours 0 : on peut donc commencer la soustraction. Cette premiere opération donnera le dernier chiffre m, = (suprà) au pénultieme de s ; celui-ci fera trouver le pénultieme de m, = à l'antépénultieme de s ; & ainsi de l'un en l'autre, le chiffre dernier trouvé de m étant celui dont on a besoin dans s pour continuer l'opération.

L'addition qui sert ici de preuve à la regle est, si l'on veut y faire attention, précisément la même qui a formé le multiple : il n'est donc pas étonnant qu'elle le rende. C'est au fonds s qu'on ajoute à m : or s + m = j. Il est vrai que s & m sont mêlés ensemble & fondus dans le même nombre ; mais l'opération même les démêle.

5. La division par 11 de tout multiple de 11, aussi-bien que la division par 9 de tout multiple de 9, peut donc se réduire à une simple soustraction : mais elle se fait pour l'un & pour l'autre en sens contraires.

Là le premier 0 (qui est comme la clé de l'opération) se place au-dessus du multiple : ici il se place au-dessous.

6. Avant que d'énoncer la seconde propriété, j'avertis que la dénomination de chiffres pairs & de chiffres impairs y est relative au rang que chacun occupe dans une suite d'autres chiffres, sans nul égard à sa valeur propre. Ainsi (supposant qu'on compte de gauche à droite) dans 2176, 2 & 7 sont les chiffres impairs, 1 & 6 les chiffres pairs.

7. Seconde propriété. En tout multiple de 11, si l'on fait séparément la somme des chiffres pairs & celle des impairs, ou ces deux sommes sont égales, ou leur différence est un multiple de 11... comme réciproquement tout nombre, tel que la somme des chiffres pairs y soit égale à celle des impairs, ou que leur différence soit un multiple de 11, exprime lui-même un multiple de 11 ; c'est ce qu'on voit d'abord en 572 = 11 x 52.... où = 7 &c.

en 4708 = 11 x 428.... où - = 15 - 4 = 11

De même si l'on écrit au hasard une suite de chiffres en nombre quelconque, pourvû seulement que la somme des chiffres pairs y soit égale à celle des impairs, ou que leur différence soit un multiple de 11, comme 77, 90904, &c. on est assuré que le nombre résultant se divise exactement par 11.

8. Pour démontrer la proposition directe, il suffit de substituer dans la figure du n°. 4, au lieu des chiffres qui s'y trouvent, les indéterminées a, b, c, qui les représentent d'une maniere générale : on aura (L'astérisque tient ici la place du 0, qu'on n'a point voulu mêler avec des lettres, crainte d'équivoque.)

On voit que la somme des termes pairs est exactement la même que celle des impairs ; & que ce sera la même chose, en quelque nombre qu'on veuille supposer les lettres de la quantité à multiplier : c'est une suite nécessaire de la formation du multiple.

Un seul point pourroit causer quelque scrupule ; les deux termes extrêmes, sont simples, ou ne contiennent qu'une seule lettre. Cette circonstance, il est vrai, ne peut tirer à conséquence, quand l'un des deux appartient à la somme des pairs, & l'autre à celle des impairs, comme dans l'exemple présent ; on voit bien qu'il en doit résulter le même nombre de lettres de part & d'autre. Mais quand tous les deux se trouvent du même côté (comme il arrive toutes les fois que les termes du multiple sont en nombre impair), il semble que ce côté doit pécher par défaut.... au contraire, c'est précisément ce qui conserve l'égalité. Car, les termes du multiple étant en nombre impair, il y a nécessairement un côté qui a un terme de plus que l'autre ; & comme c'est toujours le côté des impairs (auquel d'ailleurs appartiennent les deux extrèmes), il se trouve que deux termes simples figurent vis-à-vis d'un double ; c'est ce qu'on voit en cet autre exemple :

9. Il paroît résulter de cette démonstration, que les deux sommes devroient toujours être égales : ce qui n'est pas pourtant. Mais on doit faire attention que, quand la somme de deux chiffres (représentés ici par deux lettres) excéde 9, on renvoie une unité au chiffre de la gauche, ne retenant pour celui sur lequel on opere que l'excès de cette somme au-dessus de 10. Celui-ci y perd donc 10, tandis que son voisin y gagne 1 : la différence doit donc être ou 11.

Comme en faisant la somme des différentes colonnes, il peut arriver que le renvoi d'une unité au chiffre de la gauche ait lieu plusieurs fois ; s'il se fait constamment au profit des chiffres de même nom, soit pairs, soit impairs, il est visible que la différence des deux sommes ne sera plus simplement 11, mais un multiple de 11, déterminé par le nombre même des renvois.

Si les renvois se font partie au profit des chiffres pairs, partie au profit des impairs, ou ils sont en nombre égal de part & d'autre, & alors, tout se trouvant composé, l'égalité rigoureuse se maintient entre les deux sommes : ou ils ne le sont pas, & alors le multiple de 11 qui constitue la différence est déterminé par la différence des deux nombres qui expriment celui des renvois faits au profit des chiffres de différent nom.

10. Au reste, sur l'inspection seule du nombre proposé à multiplier par 11, il est aisé de déterminer combien il y aura de renvois dans l'addition qui sert à cet effet ; & par une suite de juger quel rapport auront entr'elles dans le multiple même la somme des chiffres pairs & celle des impairs ; si elles seront égales, ou (dans le cas d'inégalité) de quel multiple de 11 elles différeront. Pour cela, appariant successivement chacun des chiffres du nombre proposé avec celui qui le précéde vers la gauche, autant de fois que la somme de deux chiffres pris de cette maniere excédera 9, autant il y aura de renvois (s'entend que, quand il y a renvoi d'une somme précédente, il faut augmenter d'une unité la somme subséquente). On verra donc au premier coup d'oeil que pour 435, il n'y aura point de renvoi, & conséquemment que dans le multiple les deux sommes seront égales ; que pour 8264, il y en aura deux, qui étant l'un & l'autre au profit des chiffres de même nom (ce qu'on reconnoît encore par la disposition des chiffres) donneront pour la différence des deux sommes dans le multiple 11 x 2 ou 22, &c.

11. Pour démontrer la proposition inverse (voyez le n°. 7.) qu'un nombre quelconque, conditionné comme il y est dit, soit représenté généralement par , & qu'on y applique la méthode de soustraction exposée, n°. 3 : il se résoudra en deux quantités, & , dont l'une est décuple de l'autre. Il en étoit donc la somme : mais la somme de deux semblables quantités est un multiple de 11.

Ce raisonnement paroît encore ne conclure que pour le cas d'égalité entre les deux sommes... mais si la différence est 11 ou l'un de ses multiples, en appliquant la soustraction, il y aura des emprunts à faire sur les termes excédens au profit des défaillans, plus ou moins, selon le multiple. Chaque emprunt fera perdre une unité à l'excédent, & augmentera de 10 le défaillant ; ce qui fera évanouir la différence & ramenera les choses au cas d'égalité.... Ce défaut apparent dans la démonstration ne provient donc que de sa généralité même, & de ce qu'elle est antérieure au choix de toute méthode particuliere de calculer.

12. En tout multiple soit de 9, soit de 11, si l'on fait séparément la somme des chiffres pairs & celle des impairs ; c'est (pour 9) la somme totale de ces deux sommes qui est un multiple de 9 : & (pour 11) c'est leur différence, quand elles différent, qui est un multiple de 11.

13. Troisieme propriété. Si l'on renverse l'ordre des chiffres qui expriment un nombre quelconque, la différence & la somme du nombre direct & du nombre renversé, sont des multiples de 11 ; la différence, quand les chiffres du nombre proposé sont en nombre impair ; la somme, quand ils sont en nombre pair. Par exemple,

826 - 628 = 198 : or 198/11 = 18

82 + 28 = 110 : or 110/11 = 10

sans reste, parce que le nombre des chiffres de 826 est impair ; 82 est pair.

La démonstration dépend des deux propositions suivantes.

14. Lemme I. La différence & la somme de deux puissances quelconques de la même racine sont des multiples de cette racine augmentée de l'unité ; la différence, quand celle des exposans des deux puissances est un nombre pair : la somme, quand la différence des exposans des deux puissances est un nombre impair. Pour la preuve, voyez l'article EXPOSANT.

Lemme II. (Par chiffres correspondans il faut entendre deux chiffres pris en un nombre quelconque à égale distance du milieu chacun de son côté ; comme sont d'abord les extrêmes, puis les deux les plus voisins de ceux-ci, &c.)

15. En tout nombre, la différence des exposans des deux puissances de 10 (ou plus généralement de r), qui y déterminent la valeur relative de deux chiffres correspondans quelconques, est d'un nom différent de celui du nombre total des chiffres ; c'est-à-dire paire quand celui-ci est impair, & réciproquement.

En effet, que a. rm & b. rn représentent la valeur relative des deux chiffres extrêmes a & b d'un nombre quelconque, dont le nombre total des chiffres (voyez ÉCHELLE ARITHMETIQUE), sera par conséquent ; il est évident que m - n = m - o = m est d'un nom différent de . Il n'est pas moins clair que, pour tous autres deux chiffres correspondans tirés par ordre du même nombre, sera dans le même ordre m - 2, m - 4, m - 6, &c. suivant une progression arithmétique dont 2 est la différence : chaque terme y sera donc de même nom que le premier m, & par une suite d'un nom différent de .

16. Cela posé, quand on renverse l'ordre des chiffres qui expriment un nombre quelconque, on ne fait qu'échanger la valeur relative des chiffres correspondans ; ensorte que a. rm & b. rn deviennent a. rn & b. rm. Maintenant si l'on ôte cette seconde quantité de la premiere, ou si on les ajoute ensemble, on aura (toute déduction faite, & supposant a > b & m > n), la différence = a - b x & la somme = a + b x ; mais s'il s'agit de la différence, le 2d facteur rm - rn (& par une suite le produit même) est (lemme I.) une multiple de r + 1 ou de 11, quand est pair ; & est pair (lemme II.) quand les chiffres du nombre proposé sont en nombre impair.

Pareillement, s'il s'agit de la somme, le 2d facteur rm + r est (lemme I.) multiple de r + 1 ou de 11, quand est impair ; & est impair (lemme II.), quand les chiffres du nombre pris pour exemple sont en nombre pair.

La troisieme propriété se trouve donc prouvée dans ses deux parties. Car ce qui vient d'être dit de deux chiffres correspondans, s'applique de soi-même à la somme de tant de chiffres pareils, pris ainsi deux-à-deux qu'on voudra. Elle aura la même propriété qu'affectent tous & chacun des élémens dont elle est formée.

17. Reste une difficulté. Tout le raisonnement qu'on vient de voir, porte sur la correspondance des chiffres : mais quand le nombre en est impair, celui du milieu se trouve isolé & sans correspondant.... D'abord cette difficulté ne peut regarder la somme, dont la propriété n'a lieu que quand les chiffres du nombre proposé sont en nombre pair. Elle s'évanouira même pour la différence, si l'on fait attention que le chiffre du milieu, occupant dans le nombre renversé le même rang qu'il occupoit dans le nombre direct, la soustraction le fait disparoitre, & qu'ainsi il n'y a aucun compte à en tenir.

18. Dans le renversement des chiffres, la différence & la somme du nombre direct & du nombre renversé sont des multiples de 9 & de 11 ; la différence seule pour 9, mais dans tous les cas : la différence aussi bien que la somme pour 11, mais chacune respectivement dans un seul cas ; celle-là quand les chiffres du nombre pris pour exemple sont en nombre impair ; celle-ci quand ils sont en nombre pair.

19. Il est clair que tout sous-multiple de ou de 11, participera aux mêmes propriétés qu'on vient de démontrer pour > même. C'est ce qu'on ne peut faire voir dans notre échelle, parce que notre 11, comme nombre premier, n'a point de sousmultiple : mais on le pourroit faire pour 2 & pour 4, sous-multiples de 8 (l'11 de l'échelle septenaire) ; pour, &c.

Conclusion. 20. Le nombre 9 n'est donc plus seul en possession des propriétés qui l'ont rendu si célebre ; & s'il se trouve que 11 en jouit aussi pleinement que lui, quoique d'une maniere différente, on peut donc,

1°. Juger au premier coup d'oeil si un nombre proposé est multiple de 11.

2°. S'il l'est, & qu'il s'agisse d'en venir à la division actuelle, on la peut faire au moyen d'une très-simple soustraction.

3°. S'il ne l'est pas, au moins peut-on, sans en venir à l'opération, voir de combien il en differe, & connoître le reste qu'on obtiendroit par la division ; ce qui souvent est tout ce qu'on a intérêt de savoir.... En effet, après avoir fait la somme des chiffres pairs & celle des impairs, & en avoir ôté 11 autant de fois qu'il se peut ; nommant R la différence des deux restes, celui que laissera la division sera R même, si l'excès appartient à l'ordre de chiffres dont le dernier fait partie, & 11 - R dans l'autre cas : ainsi 2819 laissera 3, & 28190 laissera 11 - 3 ou 8. Cet article est de M. RALLIER DES OURMES. Voyez NEUF.


ONZIEME(Arithmétiq.) c'est une partie du tout divisé en onze portions égales. En maniere de nombres rompus ou fractions de quelque tout que ce soit, un onzieme se marque ainsi 1/11. On dit aussi deux onziemes, trois onziemes, quatre onziemes, &c. jusqu'à dix onziemes, au-delà desquels c'est le tout. Pour les marquer, on se sert des chiffres suivans, 2/11, 3/11, 4/11, 5/11, &c. Dix onziemes se chiffrent ainsi, 10/11.

ONZIEME, s. f. en Musique, est la replique ou l'octave de la quarte. Cet intervalle s'appelle onzieme, parce qu'il faut former onze sons pour passer diatoniquement d'un de ses termes à l'autre.

M. Rameau a voulu donner le nom d'onzieme à l'accord qu'on appelle quarte ordinairement : mais cette nouvelle dénomination n'ayant pas été suivie, je me conformerai à l'usage. Voyez QUARTE, SUPPOSITION, ACCORD. (S)


ONZONS. m. (Gramm.) terme de Calend. nom d'un mois dont les Perses se servent dans leurs calculs astronomiques. Il est de trente jours.


OOKEY-HOLE(Hist. nat.) nom d'une grotte fameuse en Angleterre, dans la province de Sommerset, au pié des montagnes de Mendip. A l'entrée de cette grotte on apperçoit une source très-considérable qui sort d'entre les rochers ; la montagne qui la couvre est fort haute & très-escarpée. La grotte est tantôt unie, tantôt raboteuse, tantôt on monte & tantôt on descend ; dans de certains endroits elle est fort élevée, & dans d'autres on est obligé de se baisser pour pouvoir passer. On y voit des pierres & des stalactites de différentes formes singulieres & accidentelles. Il sort de cette caverne une riviere qui dans l'intérieur de la grotte est remplie d'anguilles, qui ont dû y être engendrées, vû qu'elles n'ont pu y venir d'ailleurs, parce que l'entrée de la caverne est très-roide. Voyez les Transact. philosop. année 1679. n °. 1. (-)


OOLITES. f. ou PIERRE OVAIRE, (Hist. nat.) nom donné par les naturalistes à une pierre composée d'un amas de petits corps sphériques, ou de globules semblables à des oeufs de poissons ou à des graines. Les naturalistes, qui semblent n'avoir jamais manqué l'occasion de multiplier les dénominations, ont donné différens noms à ces sortes de pierres, d'après la grosseur des globules qui composent l'oolite. Ils ont appellé pisolites, celles dont les globules sont de la grosseur d'un pois : celles qui sont plus petites, & semblables à des graines, ont été appellées méconites, peut-être à cause de leur ressemblance avec la graine de pavot : celles qui étoient applaties ont été nommées phacites, à cause qu'elles ressembloient à des lentilles : celles qui n'étoient que de la grosseur d'un grain de millet, ont été appellées cenchrites : enfin celles qui ressembloient à des petits grains de sable, ont été appellées hammites, ou ammonites.

Quoi qu'il en soit de toutes ces dénominations arbitraires, ces globules sont ou blancs, ou jaunes, ou rougeâtres, ou bruns, ou noirs. Le gluten, ou suc lapidifique qui les tient liés ou collés les uns aux autres n'est point toujours le même, ce qui fait que la masse totale qui résulte de leur assemblage a plus ou moins de dureté & de consistance. Les petits globules qui composent ces pierres, vus au microscope, paroissent formés de plusieurs petites lames ou couches concentriques. On ignore précisément quelle est leur origine : quelques auteurs les regardent comme des véritables oeufs de poissons & d'écrevisses de mer pétrifiés ; Wallerius croit qu'ils ont été formés par des gouttes d'eau, qui en tombant sur une terre en poussiere, lui a fait prendre la forme de globules. Il y a lieu de croire en général que ce sont de petits corps marins qui ont été portés dans le sein de la terre comme une infinité d'autres. Voyez FOSSILLES.

Il y a de petites étites ou pierres d'aigle en globules, dont quelques coquilles sont remplies, surtout les cornes d'ammon qui se trouvent en Normandie près de Bayeux ; on pourroit aussi les appeller des oolites à cause de leur figure.

On trouve une grande quantité de ces oolites en Suede, dans la province d'Angermanie, dans les carrieres de Weferling, dans la principauté d'Halberstadt, sur la montagne appellée Nussberg près de Brunswick, près de Bâle en Suisse, dans le comté de Neufchâtel, &c. (-)


OOMANCIES. f. (Divin.) forte de divination par laquelle on croyoit connoître l'avenir par des signes ou des figures qui paroissoient dans les oeufs. Ce mot est formé du grec , oeuf, & de , divination. Suidas attribue à Orphée l'origine de l'oomantie, avec laquelle il ne faut pas confondre la pratique des prêtres d'Isis, qui se purifioient avec des oeufs. Voyez EXPIATION & HIAQUES.


OOSCOPIES. f. (Divinat.) , espece de divination en usage chez les anciens, & dont le présage se tiroit par des oeufs. Voyez Potter Archaeol. graec. liv. II. ch. xiv. pag. 319.


OOSTBOURG(Géog.) petite ville des Pays-bas, dans la Flandre hollandoise, capitale d'un bailliage de même nom, à une lieue de l'Ecluse. Le prince Maurice s'en rendit maître en 1604, & en fit raser les fortifications. Long. 20. 59. lat. 51. 20.


OOSTERGO(Géog.) partie orientale de la Frise. Elle contient onze préfectures & deux villes, savoir Leuwarden & Dockum.

Le grand nombre de mots terminés en gawe, gouwe, ga, go, gey, goy, nous fait voir que les anciens ont donné ces terminaisons à des plaines où il y avoit de l'herbe abondamment pour les pâturages. L'Oostergo fut premierement envahi par Godefroy le Bossu ; ensuite cette proie passa à Thierri V. comte de Hollande. Frédéric I. partagea le canton entre le comte & l'évêque ; mais sans entrer dans le détail, il suffit de remarquer que l'Oostergo a été nommé Pagus, quand c'étoit un simple pays dont les peuples avoient la liberté ; Comitatus, lorsqu'il y avoit des comtes particuliers, & Decanatus, Doyenné, par rapport au gouvernement de l'évêque d'Utrecht.


OOSTERWYK(Géog.) ce n'est qu'un bourg des Pays-bas dans le Brabant hollandois ; mais c'est un bourg considérable, dont la jurisdiction est fort étendue, & qui jouit du même droit que les grandes villes. Il est situé au confluent de deux petites rivieres, à 2 lieues de Bois-le-Duc. Longit. 22. 46. lat. 51. 45. (D.J.)


OPACITÉS. f. (Physiq.) terme dont les Philosophes se servent pour exprimer la qualité qui rend un corps opaque, c'est-à-dire impénétrable aux rayons de lumiere. Voyez LUMIERE.

Le mot opacité est opposé à DIAPHANEITE. Voyez ce mot.

Qui peut causer l'opacité des corps ? cette question est embarrassante. On a de la peine à comprendre comment un corps aussi dur que le diamant, est tout ouvert à la lumiere. Mais on comprend bien moins comment un bois aussi poreux qu'est le liege, n'est pas mille fois plus transparent que le crystal. On n'est pas moins embarrassé à rendre raison pourquoi l'eau & l'huile, qui sont transparentes l'une & l'autre prises à part, perdent leur transparence quand on les bat ensemble : pourquoi le vin de Champagne, qui est brillant comme le diamant, perd son éclat quand les bulles d'air s'y dilatent, & s'y amassent en mousse : pourquoi le papier est opaque quand il n'a dans ses pores que de l'air, qui est naturellement si transparent ; & pourquoi le même papier devient transparent quand on en bouche les pores avec de l'eau ou avec de l'huile. Presque tous les hommes, & bien des philosophes, comme le peuple, sont dans le préjugé qu'un corps opaque est ténébreux, parce qu'il n'admet point la lumiere dans ses pores, & que cette lumiere paroîtroit si elle y passoit de part en part : c'est une erreur. Si l'on excepte les premiers élémens dont les corps sont composés, il n'y a peut-être point de corps dans la nature qui ne soit accessible & pénétrable à la lumiere. Elle traverse l'eau & les autres liqueurs simples : elle pénetre les petites lames d'or, d'argent & de cuivre désunies, & devenues assez minces pour être en équilibre avec les liquides corrosifs où on les met en dissolution. Les corps qui nous paroissent les plus simples, comme le sable & le sel, sont transparens. Les corps même quelque peu composés, admettent aisément la lumiere, à proportion de l'uniformité & du repos de leurs parties. Le verre, le crystal, & sur-tout le diamant, ne sont guere composés que de beaux sables & de quelques sels plus ou moins fins ; aussi n'apportent-ils pas beaucoup d'obstacles au passage de la lumiere. Il n'en est pas de même d'une éponge, d'une ardoise, d'un morceau de marbre. Tous ces corps, que nous appellons opaques, placés entre le soleil & nos yeux, reçoivent à la vérité la lumiere comme des cribles ; mais ils la déroutent, ils l'émoussent, & l'empêchent d'arriver sensiblement jusqu'à l'oeil. C'est ce qui va être expliqué dans la suite de cet article.

L'opacité d'un corps vient, selon les Cartésiens, de ce que les pores de ce corps ne sont pas droits, ou directement situés les uns au bout des autres, ou plutôt de ce qu'ils ne sont pas perméables partout.

Mais cette opinion n'est pas exempte de difficultés. En effet, quoiqu'on doive accorder que pour qu'un corps soit transparent, il faut que ses pores soient droits, ou au moins perméables dans toute sa longueur ; cependant comment peut-il se faire que non-seulement les verres & les diamans, mais encore l'eau, dont les parties sont si faciles à mettre en mouvement, ayent toujours tous leurs pores droits & perméables en tout sens, tandis que le papier & les feuilles d'or sont impénétrables à la lumiere, & par conséquent, selon les Cartésiens, doivent manquer de pores droits ? Il faut donc chercher une autre cause de l'opacité.

Tous les corps ont beaucoup plus de pores & de vuides qu'il n'est nécessaire pour qu'une infinité de rayons puissent les traverser en ligne droite, sans rencontrer aucune de leurs parties solides. En effet, l'eau est dix-neuf fois plus legere, c'est-à-dire, plus rare que l'or ; & cependant l'or lui-même est si rare que les émanations magnétiques le traversent sans aucune difficulté ; & que le mercure pénetre aisément ses pores, que l'eau même les pénetre par compression : donc il s'ensuit que l'or a plus de pores que de parties solides ; & à plus forte raison l'eau. Voyez PORES.

Ainsi la cause de l'opacité d'un corps ne paroît point venir de ce qu'il manque d'un nombre suffisant de pores droits ; mais elle vient, selon les philosophes newtoniens, ou de la densité inégale des parties, ou de la grandeur des pores, qui sont ou vuides ou remplis d'une matiere différente de celle du corps ; ce qui fait que les rayons de lumiere sont arrêtés dans leur passage par une quantité innombrable de réflexions & de réfractions, jusqu'à ce que tombant enfin sur quelque partie solide, ils s'éteignent & s'absorbent. Voyez REFRACTION.

C'est pour cela, selon ces philosophes, que le liege, le papier, le bois, &c. sont opaques, & que les verres & les diamans sont transparens : car dans les confins ou endroits où se joignent les parties semblables en densité, comme sont celles de l'eau, du verre, des diamans, il n'y a ni réflexion, ni réfraction, à cause de l'action égale en tout sens ; mais quand les parties sont inégales en densité, non-seulement entr'elles, mais encore par rapport à l'air, ou au vuide qui est dans leurs pores, l'attraction n'étant pas la même en tout sens, les rayons doivent souffrir dans ces pores des réflexions & des réfractions considérables : ainsi ils ne peuvent traverser les corps étant continuellement détournés de leur chemin, & obligés à la fin de s'éteindre.

Si donc un corps n'est composé, comme l'eau ou le diamant, que de parties toujours uniformes, la portion de lumiere qui est admise, roule uniformément dans l'épaisseur de ce corps. Mêmes parties par-tout : même arrangement de pores. Ce pli sera le même jusqu'à l'autre extrêmité, d'où la lumiere pourra sortir sensiblement. Mais si le corps où la lumiere entre, est composé de parties fort dissemblables, comme de lames de sable, de limon, d'huile, de feu, de sel & d'air, les ballons & les lames de ces élémens étant de différente densité & de différentes situations, la lumiere s'y réfléchit & s'y plie fort diversement. Elle se détourne de la perpendiculaire en entrant dans une parcelle d'air : elle s'approche vers la perpendiculaire en entrant dans une lame de sel. Les différentes obliquités des surfaces où elle entre de moment en moment, sont une nouvelle source de tortuosité & d'affoiblissement. Il suffit même qu'un corps soit percé d'une grande quantité de trous en tout sens, pour cesser d'être transparent. Les pierres perdent leur transparence à un grand feu qui les crible, parce que la lumiere y souffre trop de réflexions & de détours sur tant de nouvelles surfaces toutes différemment inclinées, d'où il arrive qu'elle ne peut passer uniformément au travers, & parvenir à l'oeil du spectateur.

La multiplicité des lames élémentaires qui composent les corps, est la seconde cause de l'opacité, par la diversité des plis qu'elle fait naître dans la lumiere. Toutes ces lames prises séparément sont transparentes : mais mêlangées, elles courbent si différemment la lumiere, qu'elles en éteignent la direction & le sentiment. C'est ce qui arrive à l'huile & à l'eau battues ensemble. C'est ce qu'on voit dans le vin de Champagne : lorsqu'on le tire de la cave, & que l'air froid ou comprimé qu'il renferme vient à sentir la chaleur & la communication de l'air extérieur, il se dilate, & soutient la liqueur sur ses ballons élargis, ensorte que la lumiere se pliant sans cesse, & tout différemment dans les lames de vin & dans les bulles d'air, elle ne peut plus se faire appercevoir au-travers de la liqueur. C'est tout ensemble la diversité des inclinaisons des surfaces, & la diversité des réfractions qui causent l'opacité dans le papier sec & dans le verre pilé. Il résulte de tous ces exemples, qu'il n'y a point de corps qui ne soit naturellement transparent, & il ne cesse de le paroître qu'au moment que la lumiere s'y déroute & s'y altere, ou dans l'irrégularité des pores, dans la variété des parties, & sur-tout des fluides qui la plient tout différemment. Cet article est de M. FORMEY, qui l'a tiré en partie du Spectacle de la nature, tome IV.

L'interruption & la discontinuité des parties est donc, selon M. Newton, la cause de l'opacité : c'est pour cela, selon lui, qu'un corps commence à devenir transparent, lorsqu'on remplit ses pores d'une matiere ou pareille à celle de ses parties, ou au moins d'une densité égale. Ainsi le papier devient un peu transparent lorsqu'il est imbibé d'eau ou d'huile, la pierre appellée oculus mundi, lorsqu'elle est trempée dans l'eau, &c. Il en est de même de plusieurs autres corps lorsqu'on les trempe dans des fluides qui peuvent pénétrer intimement leurs plus petits pores.

Au contraire les corps les plus transparens peuvent être rendus opaques en vuidant leurs pores, ou en divisant ou séparant les parties qui les composent. Ainsi le papier & l'oculus mundi deviennent opaques en les laissant sécher ; la corne, en la grattant ; le verre, en le pulvérisant, ou en y laissant des pailles ; l'eau-même, quand on y excite des bouteilles ou de l'écume.

A la vérité, pour rendre les corps opaques & colorés, il faut que les interstices de leurs parties ne soient pas moindres que d'une certaine grandeur donnée ; car les corps les plus opaques deviennent transparens, lorsque leurs parties sont considérablement diminuées, comme il arrive aux métaux dissous par les acides. Voyez COULEURS & Chambers.


OPALES. f. (Hist. nat. Min.) opalus, lapis elementarius, Paederos Plinii, astroïtes ; pierre précieuse ou agate, d'une couleur laiteuse, qui change de couleur, & présente des couleurs très-vives, très-variées, & assez semblables à celles de la nacre de perle, suivant qu'on change sa position ; elle est dure, fait feu lorsqu'on la frappe avec l'acier ; la lime n'a point de prise sur elle.

Wallerius distingue quatre especes d'opales ; savoir, 1°. l'opale laiteuse qui, suivant les différens aspects sous lesquels on la regarde, présente des couleurs bleues, rouges, jaunes, vertes, tandis que le fond de la pierre est de la couleur du lait affoibli par beaucoup d'eau. 2°. L'opale noirâtre dans laquelle on croit remarquer comme des paillettes de talc jaune. 3°. L'opale jaunâtre, elle ne joue point si bien que les précédentes. 4°. L'oeil de chat, Voyez cet article. M. Bruckmann ajoute 5°. l'opale bleuâtre, qui est, dit-on, très-rare, & qui présente les différentes couleurs de l'arc-en-ciel, c'est pourquoi il croit que c'est la pierre d'iris des anciens.

Quelques auteurs regardent le girasol, comme une espece d'opale ; mais il y a quelques différences. Voyez GIRASOL.

L'opale se trouve quelquefois jointe avec de l'agate, & M. Bruckmann dit avoir vu un morceau d'agate trouvé dans le duché de Deux-ponts, dans lequel on voyoit des bandes ou couches d'onyx, de calcédoine & d'opale.

Cette pierre précieuse se trouve dans les Indes orientales, en Egypte, en Arabie, en Hongrie, en Bohème, & en Allemagne : on la trouve ordinairement par morceaux détachés, enveloppée dans des pierres d'une autre nature ; elle est depuis la grandeur de la tête d'une épingle, jusqu'à celle d'une noix, ce qui est pourtant très-rare. On les monte ordinairement en bague, après les avoir fait arrondir ou tailler en facettes, & avoir mis une feuille dessous. Une opale sans défaut est une chose très-rare ; les Indiens estiment cette pierre autant que le diamant.

L'art sait contrefaire les opales, & peu de gens ignorent que feu M. de Lironcourt, à son retour d'Egypte, où il avoit résidé en qualité de consul de France, a rapporté d'Alexandrie une opale d'une grandeur étonnante, qui, après avoir trompé les jouailliers du Levant, qui sont pourtant très-clairvoyans, s'est trouvée à la fin n'être qu'un morceau de verre, imitant parfaitement l'opale. (-)

OPALE, à la monnoie ; allusion que les fondeurs font du monnoyage à la pierre précieuse qui porte ce nom. Lorsque l'or est en fusion, ou plutôt en bain, qu'il rend toutes sortes de couleurs, ainsi que l'opale, les ouvriers disent, l'or est en opale, il faut le retirer.


OPALERv. act. & neut. en terme de Raffineur de sucre, n'est autre chose que l'action de remuer avec le couteau dans les formes le sucre, quelque tems après qu'on l'y a versé, quand il a acquis un certain degré de chaleur que l'expérience seule indique. On opale pour mêler & confondre le grain avec le syrop dont il ne cherche qu'à se séparer.


OPALEou OPALIES, opalia, s. f. plur. (Hist. anc.) fête que l'on célebroit à Rome en l'honneur de la déesse Ops.

Varron dit que cette fête se célebroit trois jours après l'expiration des saturnales. Selon Macrobe, on la célebroit le 19 Décembre, qui étoit un des jours des saturnales : il ajoute, que l'on célebroit ces deux fêtes dans le même mois, à cause que Saturne & Ops étoient époux, & que c'étoit à eux qu'on devoit l'art de semer le blé & de cultiver les fruits : c'est pourquoi l'on ne célebroit les opalies qu'après la moisson, & l'entiere recolte des fruits. Le même auteur remarque que l'on faisoit des prieres à cette déesse en s'asseyant sur les terres, pour montrer qu'elle étoit la terre, & la mere de toutes choses ; & qu'on faisoit des festins aux esclaves qu'on avoit occupés pendant l'année aux travaux de la campagne.


OPAQUECORPS, adj. (Phys.) les corps opaques sont ceux qui ne laissent point passer la lumiere. Plusieurs philosophes croient que l'opacité des corps vient de ce que leurs pores sont dans une position oblique & courbe, ensorte que la lumiere n'y peut pas passer librement à-travers, comme elle fait à-travers les corps transparens ; d'où il arrive que tenant les corps opaques contre le jour, on ne peut pas y voir à-travers. Ce qui semble confirmer cette idée, c'est que les corps minces sont presque tous plus ou moins transparens, parce qu'alors leurs pores ayant peu de longueur, peuvent être regardés comme droits, par la même raison qu'on peut regarder comme des lignes droites la portion très petite d'une courbe.

D'autres croient que la transparence des corps vient de l'analogie ou affinité qu'il y a entre les parties de ces corps & les parties de la lumiere, analogie qui les rend propres à nous la transmettre. Voyez OPACITE.


OPATOW(Géog.) petite ville de Pologne au Palatinat de Sendomir, & à quatre milles de la ville de ce nom. Long. 49. 50. lat. 50. 25. (D.J.)


OPÉRAS. m. (Belles lett.) espece de poëme dramatique fait pour être mis en musique, & chanté sur le théâtre avec la symphonie, & toutes sortes de décorations en machines & en habits. La Bruyere dit que l'opéra doit tenir l'esprit, les oreilles & les yeux dans une espece d'enchantement : & Saint-Evremont appelle l'opéra un chimérique assemblage de poésie & de musique, dans lequel le poëte & le musicien se donnent mutuellement la torture. L'anglois porte cramp. Voyez POEME LYRIQUE.

Nous avons reçu l'opéra des Vénitiens, parmi lesquels il fait le principal amusement du carnaval. Voyez COMEDIE.

Tandis que le théâtre tragique & comique se formoit en France & en Angleterre, l'opéra prit naissance à Venise. L'abbé Perrin, introducteur des ambassadeurs auprès de Gaston, duc d'Orléans, fut le premier qui tenta ce spectacle à Paris, & il obtint à cet effet un privilege du roi en 1669. L'opéra ne fut pas long-tems à passer de France en Angleterre.

L'auteur du spectateur (Adisson) observe que la musique françoise convient beaucoup mieux à l'accent & à la prononciation françoise que la musique angloise ne convient à l'accent & à la prononciation angloise, & qu'elle est même plus convenable à l'humeur gaie de la nation françoise. Voyez RECITATIF.

Il est certain que le spectacle que nous nommons opéra, n'a jamais été connu des anciens, & qu'il n'est, à proprement parler, ni comédie, ni tragédie. Quoique Quinault & Lully, & depuis plusieurs autres poëtes & musiciens en aient donné de fort beaux ; on n'en peut citer qu'un très-petit nombre dans lesquels se trouvent tout-à-la-fois réunis le merveilleux des machines, la magnificence des décorations, l'harmonie de la musique, le sublime de la poésie, la conduite du théâtre, la régularité de l'action, & l'intérêt soutenu pendant cinq actes. Il est rare que quelqu'une de ces parties ne se démente. D'ailleurs les ballets sont composés d'entrées dont les sujets sont différens, n'ont souvent qu'un rapport arbitraire & très-éloigné, & dont on peut dire avec Despreaux,

Que chaque acte en la piece est une piece entiere.

Cette irrégularité si palpable fait penser que le nom de poëme dramatique ne convient pas à l'opéra, & qu'on s'exprimeroit beaucoup plus exactement en l'appellant un spectacle : car il semble qu'on s'y attache plus à enchanter les yeux & les oreilles, qu'à contenter l'esprit.

Il y a à Rome une espece d'opéra spirituel, qu'on donne fréquemment pendant le carême. Il consiste en dialogue, duo, trio, ritournelles, choeurs, &c. Le sujet en est toujours pris ou de l'Ecriture, ou de la vie de quelque saint : en un mot, de quelque matiere édifiante. Les Italiens l'appellent oratorio ; les paroles sont souvent en latin, & quelquefois en Italien.

Je desire qu'on me permette d'ajouter quelques réflexions sur ce spectacle lyrique. Un opéra est, quant à la partie dramatique, la réprésentation d'une action merveilleuse. C'est le divin de l'épopée mis en spectacle. Comme les acteurs sont des dieux ou des héros demi-dieux, ils doivent s'annoncer aux mortels par des opérations, par un langage, par une inflexion de voix qui surpasse les lois du vraisemblable ordinaire. Leurs opérations ressemblent à des prodiges. C'est le ciel qui s'ouvre, le chaos qui se dissipe, les élemens qui se succedent, une nuée lumineuse qui apporte un être céleste ; c'est un palais enchanté qui disparoît au moindre signe, & se transforme en désert, &c.

Mais comme on a jugé à propos de joindre à ces merveilles le chant & la musique, & que la matiere naturelle du chant musical est le sentiment, les artistes ont été obligés de traiter l'action pour arriver aux passions, sans lesquelles il n'y a point de musique, plutôt que les passions pour arriver à l'action ; & en conséquence il a fallu que le langage des acteurs fût entierement lyrique, qu'il exprimât l'extase, l'enthousiasme, l'ivresse du sentiment, afin que la musique pût y produire tous ses effets.

Puisque le plaisir de l'oreille devient le plaisir du coeur, de-là est née l'observation qu'on aura faite, que les vers mis en chant affectent davantage que les paroles seules. Cette observation a donné lieu à mettre ces recits en musique ; enfin l'on est venu successivement à chanter une piece dramatique toute entiere, & à la décorer d'une grande pompe ; voilà l'origine & l'exécution de nos opéra, spectacle magique,

Où dans un doux enchantement

Le citoyen chagrin oublie

Et la guerre, & le parlement,

Et les impôts, & la patrie,

Et dans l'ivresse du moment

Croit voir le bonheur de sa vie.

Dans ce genre d'ouvrages le poëte doit suivre, comme ailleurs, les loix d'imitation, en choisissant ce qu'il y a de plus beau & de plus touchant dans la nature. Son talent doit encore consister dans une heureuse versification qui intéresse le coeur & l'esprit.

On veut dans les décorations une variété de scenes & de machines ; tandis qu'on exige du musicien une musique savante & propre au poëme. Ce que son art ajoute à l'art du poëte, supplée au manque de vraisemblance qu'on trouve dans des acteurs qui traitent leurs passions, leurs querelles, & leurs intérêts en chantant, puisqu'il est vrai que la peine & le plaisir, la joie & la tristesse s'annoncent toujours ici par des chants & des danses ; mais la musique a tant d'empire sur nous, que ses expressions commandent à l'esprit, & lui font la loi.

L'intelligence des sons est tellement universelle, qu'elle nous affecte de différentes passions, qu'ils représentent aussi fortement, que s'ils étoient exprimés dans notre langue maternelle. Le langage humain varie suivant les diverses nations. La nature plus puissante, & plus attentive aux besoins & aux plaisirs de ses créatures, leur a donné des moyens généraux de les peindre, & ces moyens généraux sont imités merveilleusement par des chants.

S'il est vrai que des sons aigus expriment mieux le besoin de secours dans une crainte violente, ou dans une douleur vive, que des paroles entendues dans une partie du monde, & qui n'ont aucune signification dans l'autre ; il n'est pas moins certain que de tendres gémissemens frappent nos coeurs d'une comparaison bien plus efficace, que des mots, dont l'arrangement bizarre fait souvent un effet contraire. Les sons vifs & légers de la musique ne portent-ils pas inévitablement dans notre ame un plaisir gai, que le récit d'une histoire divertissante n'y fait jamais naître qu'imparfaitement ?

Mais, dira-t-on, il est fort étrange qu'un homme vienne nous assurer en vers qu'il est accablé de malheurs, & que bientôt après il se tue lui-même en chantant. Je pourrois répondre, que l'jdée qu'on se fait du chant & l'habitude où l'on est dès le bas âge de le regarder comme l'enfant unique du plaisir, & de la joie, cause en partie cette prévention. Elle se dissiperoit si l'on considéroit le chant dans son essence réelle, c'est-à-dire, si l'on réflechissoit que le chant n'est précisement qu'un arrangement de tons différens ; alors il ne paroîtroit pas plus extraordinaire que les tons d'un héros fussent mesurés à l'opéra, que d'entendre à la comédie un prince parler en vers à son conseil sur des matieres importantes.

Supposons pour un moment que le roi de France envoyât les acteurs & les actrices de l'opéra peupler une colonie déserte, & qu'il leur ordonnât de ne se demander les choses les plus nécessaires, & de ne converser ensemble que comme ils se parlent sur le théâtre ; les enfans qui naîtroient au bout de quelque-tems dans cette île bégayeroient des airs, & toutes les inflexions de leur voix seroient mesurées. Les fils des danseurs marcheroient toujours en cadence, pour se rendre en quelque lieu que ce fût ; & si cette postérité chantante & dansante venoit jamais dans la patrie de ses peres, ses oreilles seroient choquées de la dissonnance qui regne dans les tons de notre conversation, & ses yeux seroient blessés de notre façon de marcher.

L'opéra est si brillant par sa magnificence, & si surprenant par ses machines, qui font voler un homme aux cieux, ou le font descendre aux enfers, & qui dans un instant placent un palais superbe où étoit un désert affreux, que si les peuples sauvages voisins de l'île où dans ma supposition j'ai rélégué l'opéra, venoient à ce spectacle, loin de le trouver ridicule, je ne doute guere qu'ils n'admirassent le génie des acteurs, & qu'ils ne les regardassent comme des intelligences célestes.

Dans nos pays éclairés sur les ressorts qui meuvent toutes les divinités de l'opéra, les sens même sont si flattés par le chant des récits, par l'harmonie qui les accompagne, par les choeurs, par la symphonie, par le spectacle entier, que l'ame qui se laisse facilement séduire à leur plaisir, veut bien être enchantée par une fiction, dont l'illusion est, pour ainsi dire, palpable.

Il s'en faut pourtant beaucoup que les décorations, la musique, le choix des pieces, leur conduite, & les acteurs qui les jouent soient sans défauts. Ajoutez que les salles où l'on représente ces sortes de pieces merveilleuses, sont si petites, si négligées, si mal placées, qu'il paroît que le gouvernement protege moins ce spectacle, qu'il ne le tolere.

Quant à la versification de nos opéras, elle est si prosaïque, si monotone, si dénuée du style de la poësie, qu'on n'en peut entreprendre l'éloge. Quinault lui-même, souvent très-heureux dans les pensées, ne l'est pas toujours dans l'expression. Ses plus belles images sont foibles, comparées à celles de nos illustres poëtes dramatiques. Je ne choisis point ses moindres vers, lorsque je prends ceux-ci pour exemple.

C'est peut-être trop tard vouloir plaire à vos yeux,

Je ne suis plus au tems de l'aimable jeunesse,

Mais je suis roi, belle princesse,

Et roi victorieux.

Faites grace à mon âge en faveur de ma gloire.

Mithridate plein de la même idée, la rend dans Racine par ces images toutes poëtiques.

Jusqu'ici la fortune, & la victoire même,

Cachoient mes cheveux blancs sous trente diadêmes ;

Mais ce tems-là n'est plus ; je regnois, & je fuis.

Mes ans se sont accrus, mes honneurs sont détruits ;

Et mon front dépouillé d'un si noble avantage,

Du tems qui l'a flétri, laisse voir tout l'outrage.

Ne voit-on pas tomber tant de couronnes de la tête de Mithridate vaincu, ses cheveux blancs, ses rides paroître, & ce roi à qui sa disgrace fait songer à sa vieillesse, honteux de parler d'amour ? (D.J.)

OPERA DES BAMBOCHES, (Spectacle françois) l'opéra des bamboches, de l'invention de la Grille, fut établi à Paris vers l'an 1674, & attira tout le monde durant deux hivers. Ce spectacle étoit un opéra ordinaire, avec la différence que la partie de l'action s'exécutoit par une grande marionette, qui faisoit sur le théâtre les gestes convenables aux récits que chantoit un musicien, dont la voix sortoit par une ouverture ménagée dans le plancher de la scene : ces sortes de spectacles ridicules réussiront toujours dans ce pays.

OPERA COMIQUE, (Spectacle françois) ce spectacle est ouvert à Paris durant les foires de S. Laurent & de S. Germain. On peut fixer l'époque de l'opéra comique en 1678, & c'est, en effet, cette année que la troupe d'Alard & de Maurice vint représenter un divertissement comique, en trois intermedes, intitulé les forces de l'amour & de la magie. C'étoit un composé bizarre de plaisanteries grossieres, de mauvais dialogues, de sauts périlleux, de machines & de danses.

Ce ne fut qu'en 1715 que les comédiens forains ayant traité avec les syndics & directeurs de l'acad. royale de musique, donnerent à leur spectacle le titre d'opéra comique. Les pieces ordinaires de cet opéra, étoient des sujets amusans mis en vaudevilles, mêlés de prose, & accompagnés de danses & de ballets. On y représentoit aussi les parodies des pieces qu'on jouoit sur les théâtres de la comédie françoise, & de l'académie de musique. M. le Sage est un des auteurs qui a fourni un plus grand nombre de jolies pieces à l'opéra comique ; & l'on peut dire en un sens, qu'il fut le fondateur de ce spectacle, par le concours de monde qu'il y attiroit.

Les comédiens françois voyant avec déplaisir que le public abandonnoit souvent leur théâtre, pour courir à celui de la foire, firent entendre leurs plaintes, & valoir leur privilege. Ils obtinrent que les comédiens forains ne pourroient faire des représentations ordinaires. Ceux-ci ayant donc été réduits à ne pouvoir parler, eurent recours à l'usage des cartons sur lesquels on écrivoit en prose, ce que le jeu des acteurs ne pouvoit rendre. A cet expédient on en substitua un meilleur, ce fut d'écrire des couplets sur des airs connus, que l'orchestre jouoit, que des gens gagés, répandus parmi les spectateurs, chantoient, & que le public accompagnoit souvent en chorus : cette idée donnoit au spectacle une gaieté qui en fit long-tems le mérite. Enfin l'opéra comique, à la sollicitation des comédiens françois, fut tout-à-fait supprimé.

Les comédiens italiens qui, depuis leur retour à Paris en 1716, faisoient une recette médiocre, imaginerent, en 1721, de quitter pour quelque tems leur théâtre de l'hôtel de Bourgogne, & d'en ouvrir un nouveau à la foire : ils y jouerent trois années consécutives pendant la foire seulement ; mais comme la fortune ne les favorisa point dans ce nouvel établissement, ils l'abandonnerent.

On vit encore reparoître l'opéra comique en 1724, mais en 1745, ce spectacle fut entierement aboli. L'on ne jouoit plus à la foire que des scenes muettes & des pantomimes.

Enfin le sieur Monet a obtenu la permission de rétablir ce spectacle à la foire S. Germain de l'année 1752. Il ne consiste que dans le choix d'un sujet qui produise des scenes bouffonnes, des réprésentations assez peu épurées, & des vaudevilles dont le petit peuple fait ses délices.

OPERA ITALIEN, (Spectacle moderne) ce spectacle fut inventé au commencement du xvij. siecle à Florence, contrée alors favorisée de la fortune comme de la nature, & à laquelle on doit la réproduction de plusieurs arts anéantis pendant des siecles, & la création de quelques-uns. Les Turcs les avoient chassés de la Grece, les Médicis les firent revivre dans leurs états. Ce fut en 1646 que le cardinal Mazarin fit représenter en France pour la premiere fois des opéras italiens exécutés par des voix qu'il fit venir d'Italie.

Mais nos premiers faiseurs d'opéra ne connurent l'art & le génie de ce genre de poëme dramatique qu'après que le goût des François eut été élevé par les tragédies de Corneille & de Racine. Aussi nous ne saurions plus lire aujourd'hui sans dédain l'opéra de Gilbert & la Pomone de l'abbé Perrin. Ces pieces écrites depuis 90 ans nous paroissent des poëmes gothiques, composés cinq ou six générations avant nous. Enfin M. Quinault, qui travailla pour notre théâtre lyrique, après les auteurs que j'ai cités, excella dans ce genre ; & Lully, créateur d'un chant propre à notre langue, rendit par sa musique aux poëmes de Quinault l'immortalité qu'elle en recevoit. (D.J.)

OPERA, est aussi un mot consacré en musique pour distinguer les différens ouvrages d'un même auteur. On dit l'opera octava de Corelli, l'opera terza de Vivaldi, &c. On traduit ce mot en françois par oeuvre. Voyez OEUVRE. L'un & l'autre sont principalement en usage pour la symphonie. (S)

OPERA, terme de jeu ; c'est le repic & le capot au piquet. Celui qui essuie ce coup est opéra. Les quatres coups pic, repic, blanche & capot, repic & capot, dans le même coup, s'appelle grand opéra.


OPÉRATEURS. m. (Chirurgie) celui qui opere de la main sur le corps de l'homme, pour lui conserver ou lui rétablir la santé. L'opération étant le caractere distinctif de la partie de l'art de guérir, connu sous le nom de chirurgie, l'on n'a souvent cherché dans le chirurgien que la qualité d'opérateur. Nous avons démontré au mot CHIRURGIE, l'erreur de ceux qui en auroient une si fausse idée. On peut cependant considerer par abstraction, le chirurgien comme opérateur, & déterminer quelles qualités il doit avoir pour exercer avec habileté les opérations, & comment il peut acquerir ces qualités.

Suivant Celse, qui a fait de la Chirurgie le plus bel éloge, les fonctions de cet art ne seroient dévolues qu'à de jeunes gens. Il faut, dit-il expressément, que le chirurgien soit jeune, ou du moins peu avancé en âge, ce qui ne doit sans doute s'entendre que des éleves : car Hippocrate qui a cultivé la Chirurgie avec tant de soins & de succès, & tous ceux qui dans l'antiquité l'ont enrichie de leurs découvertes, n'étoient sûrement pas dans la premiere jeunesse, lorsqu'ils s'immortalisoient en contribuant par leurs travaux aux progrès d'une science & d'un art qui exige tant d'expérience & d'études. Le chirurgien, continue Celse, doit avoir la main ferme, adroite & jamais tremblante ; qu'il se serve de la gauche comme de la droite ; qu'il ait la vûe claire, perçante ; qu'il soit courageux, & ne s'abandonne point à la compassion, animo intrepidus, immisericors. Les interpretes ont souvent mal rendu ce dernier terme, en le traduisant par ceux d'impitoyable & d'insensible. Un chirurgien ne peut assez adoucir, par la sensibilité qu'il marque au malade, les douleurs qu'il est obligé de lui faire sentir. Celse, cet auteur si élégant, & qui a écrit avec tant de précision, semble avoir prévu le mauvais sens qu'on pouvoit prêter à son expression ; car il l'a commentée par deux ou trois phrases dont le résultat est de dire que le chirurgien doit opérer sans s'émouvoir, & comme si les plaintes du malade ne faisoient aucune impression sur lui, ce que ne rendent point les termes d'insensible ou d'impitoyable.

Pour envisager la Chirurgie du côté des opérations, nous distinguerons deux sortes d'opérations : 1°. les opérations reglées qu'on peut apprendre sur les cadavres ; & secondement celles que nous appellons cas de Chirurgie, qui sont toutes des opérations singulieres ; telles sont toutes celles dont le hasard fournit les occasions, qu'on n'apprend point par le même exercice, & qu'on n'est en état de pratiquer que par les lumieres de l'esprit acquises par l'étude. Les premieres, c'est-à-dire les opérations qu'on peut essayer sur les cadavres, sont en très-petit nombre ; telles sont le trépan, l'amputation des membres, la lithotomie, l'empyeme, & quelques autres. Le tems qu'il faut pour acquérir la facilité d'exercer ces opérations sur les corps morts, est fort borné. Un chirurgien qui a appris l'Anatomie, & qui sait diriger un scalpel pour dégraisser un muscle, chose qui est très-facile, a beaucoup plus d'adresse qu'il n'en faut pour faire une amputation ou toute autre opération. N'y a-t-il pas des paysans, des manoeuvres grossiers, qui font avec la plus grande dextérité sur des animaux, des opérations qui passent pour les plus délicates, & qui le sont en effet ? Celles qu'on estime les plus difficiles, ne sont qu'une dissection grossiere & fort aisée, en ne les regardant que du côté du manuel, & de la dextérité qu'on requiert pour les pratiquer. Ce n'est pas par l'exercice continuel qu'on devient bon opérateur ; les mains sont toujours suffisamment disposées pour exécuter ce que l'intelligence prescrit. Il seroit ridicule de penser qu'un habile chirurgien qui, par exemple, n'auroit pas fait l'opération du trépan depuis 4 ans, fût moins en état de la faire, qu'un médiocre qui l'auroit pratiquée depuis 3 mois. On sait que les grandes opérations ne sont pas journalieres hors des hôpitaux ; & dans les hôpitaux mêmes, on n'est pas surpris d'être plusieurs années sans trouver l'occasion d'en pratiquer la plus grande partie. De plus, quand les opérations seroient plus fréquentes dans les hôpitaux, on sait qu'il n'y a qu'un très-petit nombre de spectateurs qui puissent voir l'opérateur, souvent en l'incommodant beaucoup, & toujours en s'incommodant eux-mêmes, & s'empêchant mutuellement de rien voir distinctement.

D'ailleurs que peut-on apprendre en voyant opérer ? Si l'on y fait sérieusement réflexion, on réduira à peu de chose cet exercice des yeux. N'est-il pas hors de doute qu'aussitôt que l'instrument entre dans les chairs, il se dérobe à la vûe, & qu'il n'y a plus que celui qui le conduit qui sache précisément ce qu'il fait. Le spectateur qui ne seroit pas instruit par la théorie de tout ce qu'il y a à faire pour exécuter l'opération ; qui n'en connoîtroit pas les différens tems ; qui ne sauroit pas de quelle importance il est de ménager certaines parties ; qui n'auroit aucune notion sur les raisons qu'il y a d'en couper d'autres, que leur usage sembleroit devoir faire respecter, un tel spectateur est là comme un automate ; & celui qui est instruit des préceptes qui regardent la méthode d'opérer, peut seulement imaginer à-peu-près ce que fait l'opérateur dans les différens instans de l'opération. Voilà à quoi se réduit toute l'instruction que peut lui procurer la fonction de spectateur. Et comment reduiroit-il en acte, & imiteroit-il ce qu'il a vu, puisqu'il ne peut par cet exercice des yeux, acquérir les connoissances nécessaires ?

La Chirurgie, considerée même comme l'art d'opérer, ne peut être un art d'imitation, & où il ne s'agisse que d'avoir de l'adresse pour bien faire. On n'apprend essentiellement la méthode d'opérer que par la lecture refléchie des auteurs qui ont le mieux traité cette matiere. Il faut sans contredit, voir pratiquer les maîtres de l'art ; mais on ne les voit utilement, que lorsque l'esprit est muni des connoissances requises : les yeux ne voient rien, c'est l'esprit qui voit par les yeux. Il faut de même que ce soit l'esprit qui donne de l'adresse & de l'intelligence aux mains d'un chirurgien. Il y a quelques opérations dont on doit faire l'essai sur les cadavres ; mais l'exercice réiteré de ces essais ne supplée point à l'étude des principes : c'est ce qui fait que des gens naturellement très-adroits, font très-mal les opérations de Chirurgie ; & que d'autres gens qui ne se piqueroient pas de plus d'adresse que d'autres dans les choses ordinaires de la vie, font avec une habileté merveilleuse les opérations de la Chirurgie. Il n'y a que l'intelligence & le savoir qui puissent conduire le chirurgien dans la plûpart des opérations. Voyez ce que nous avons dit à ce sujet au mot CHIRURGIE.

Lanfranc de Milan, qui professoit la Chirurgie à Paris, sous le regne de Philippe-le-Bel, en 1295, parle des qualités naturelles, morales & scientifiques d'un chirurgien. Il n'en exige pas peu, & il les considere toutes relativement aux opérations ; il est court sur les qualités corporelles, il ne demande que la fermeté de la main & sa bonne conformation, avec des doigts grêles & longs. Mais du côté des connoissances de l'esprit, il requiert pour base de la Chirurgie, toute la théorie de la Médecine, prise dans sa plus grande étendue. En parlant de la nécessité de distinguer les tempéramens & les diverses complexions, il suppose deux hommes de même âge, qui au même lieu & à la même heure, reçoivent un coup d'épée au-travers du bras ; l'un est d'un tempérament chaud, & l'autre d'une complexion froide. Suivant l'opinion vulgaire, dit Lanfranc, la Chirurgie doit donner les mêmes secours à ces deux hommes. Mais la science des complexions apprendra à les traiter diversement ; elle nous enseigne ce que l'on doit en craindre dans la cure de l'un & de l'autre. L'un sera sujet à la fievre, au gonflement de la partie, à l'inflammation & aux abscès. Il faudra donc avoir égard à ce qui s'est passé ; on s'informera s'il a perdu beaucoup de sang par sa plaie, afin de le faire saigner, s'il est besoin, à proportion de son âge & de ses forces ; on le mettra à un régime très-leger : & l'autre ne sera pas saigné ; on regardera son sang comme le trésor de sa vie ; on lui permettra des alimens pour le nourrir, & peut-être du vin pour soutenir ses forces. Ce n'est pas seulement le tempérament général du corps qu'il faut observer dans le traitement des maladies chirurgicales, la complexion particuliere des parties fournit au chirurgien des indications différentes. Le remede qui a à un très-haut degré la faculté astringente ou dessicative sur des chairs fermes & élastiques, ne produira pas ces effets au degré le plus foible sur des chairs molles & relâchées. Le même médicament qui resiste puissamment à la pourriture dans un cas, l'excite dans d'autres ; c'est donc par les connoissances physiques & expérimentales, par le raisonnement & le bon usage des observations, qu'on parviendra à bien diriger ses opérations : il y a nombre d'inductions à tirer du tems, du lieu, des saisons & des causes extérieures. Quoiqu'en général il faille réunir les plaies, sont-ce les mêmes opérations qui procureront la réunion d'une plaie par instrument tranchant, ou par un coup de pierre, ou par la morsure d'un animal ? N'y a-t-il pas une autre conduite à tenir si l'animal est enragé ou s'il ne l'est pas ? Lanfranc cite ces exemples ; & de tous les détails dans lesquels il est entré, sur les différens points de doctrine nécessaires au médecin, il conclut que le chirurgien n'en doit pas être moins instruit ; sans préjudice des connoissances qui lui sont particulieres : c'est le témoignage d'un médecin, il n'est pas suspect. (Y)


OPÉRATIONS. f. en Logique, se dit des actes de l'esprit. On en compte quatre : savoir, l'appréhension ou perception, le jugement, le raisonnement & la méthode, voyez-les chacun à son article. Toutes les opérations de notre ame s'engendrent d'une premiere : voici l'ordre de leur génération. Nous commençons par éprouver des perceptions dont nous avons conscience. Nous formons-nous ensuite une conscience plus vive de quelques perceptions ; cette conscience devient attention. Dès-lors les idées se lient, nous reconnoissons en conséquence les perceptions que nous avons eues, & nous nous reconnoissons pour le même être qui les a eues : ce qui constitue la réminiscence. L'ame réveille-t-elle ses perceptions ; c'est imagination. Les conserve-t-elle ; c'est contemplation. En rappelle-t-elle seulement les signes ; c'est mémoire. Dispose-t-elle de son attention ; c'est réflexion ; & c'est d'elle enfin que naissent toutes les autres. C'est proprement la réflexion qui distingue, compare, compose, décompose & analyse ; puisque ce ne sont là que différentes manieres de conduire son attention. De-là se forment, par une suite naturelle, le jugement, le raisonnement, la conception.

OPERATION, en Théologie, se dit des actions du Verbe & de l'Homme dans J. C. L'Eglise catholique enseigne qu'il y a deux opérations en J. C. l'une divine & l'autre humaine, & non pas une opération théandrique, comme s'exprimoient les Monothélites & les Monophysites. Voyez THEANDRIQUE.

OPERATION, terme de Chirurgie, action méthodique de la main du chirurgien sur les parties du corps de l'homme, pour lui conserver ou lui rétablir la santé.

Les opérations de chirurgie s'exécutent généralement en réunissant les parties divisées ; en divisant ce qui est uni ; en faisant l'extraction des corps étrangers ; en extirpant ce qui est superflu, défectueux & nuisible ; & en ajoutant ce qui manque par défaut de la nature ou par accident. Ces quatre genres d'opérations sont connus sous les noms de synthese, de diérese, d'exérese & de prothese. Voyez ces mots chacun à son article. Souvent plusieurs de ces opérations se trouvent réunies dans une seule ; tel est un abscès qu'on ouvre, dont on tire le pus, & où il faut ensuite procurer la réunion des parties.

Les opérations se font suivant certaines regles générales. Les auteurs scholastiques prescrivent essentiellement quatre choses. Il faut observer 1°. quelle est l'opération qu'on doit faire ; 2°. pourquoi on la fait ; 3°. si elle est nécessaire & possible ; 4°. enfin quelle est la maniere de la faire.

On saura, dit-on, quelle est l'opération qu'on doit faire, par les connoissances anatomiques de la partie malade ; par les lumieres qu'on aura acquises en lisant les auteurs qui ont traité des opérations, & pour avoir vu pratiquer ces mêmes opérations par les maîtres de l'art, voyez OPERATEUR. La nature de la maladie, ses causes, ses symptomes & ses indications, doivent fournir les raisons pourquoi on la fait : on jugera si elle est nécessaire & possible, en examinant la maladie, les forces du malade, son tempérament, les accidens qui compliquent sa maladie. Enfin la maniere de la faire est une quatrieme condition qu'on remplit par l'attention à suivre les regles que l'art prescrit pour chaque opération.

Quand on a eu égard à ces choses, & qu'on est déterminé à entreprendre une opération, il faut considerer ce qui doit se faire avant, pendant & après. Avant l'opération, toutes les choses nécessaires pour la bien exécuter seront disposées, voyez APPAREIL. Pendant qu'on la fait, on sera exact à mettre en pratique les différens préceptes qui concernent chaque opération ; & après qu'on l'a faite, on appliquera méthodiquement l'appareil : le malade sera mis en situation, & l'on apportera tous les soins convenables pour le conduire à une parfaite guérison.

Toutes les opérations de chirurgie ne sont pas des secours urgens, il y en a qui toutes nécessaires qu'elles sont, peuvent être différées, & remises à une saison plus favorable, comme le printems & l'automne : l'hiver & l'été ne jouissent pas des mêmes avantages pour obtenir une heureuse guérison. L'opération de la taille, de la cataracte & autres ; l'extirpation d'une loupe dont les progrès sont lents, &c. peuvent se remettre. Mais lorsqu'il y a des accidens qui peuvent mettre la vie du malade en danger, on n'a plus d'égards aux saisons : on est quelquefois obligé de faire l'opération de la taille pendant l'hiver, au plus fort du froid ; comme on la fait aussi dans les chaleurs les plus excessives, lorsque les accidens pressent. Mais alors on doit avoir l'attention d'empêcher, par des précautions convenables, que les malades ne ressentent les effets de ces différentes dispositions de l'air.

Quoique l'opération soit le principal caractere de la Chirurgie, on n'est point chirurgien pour avoir acquis quelque facilité dans l'art d'opérer ; ou plutôt quelque adresse qu'on ait, on ne possede jamais l'art d'opérer sans une infinité de connoissances que l'ignorance a voulu faire croire étrangeres à cet égard ; & qui sont néanmoins les lumieres sans lesquelles les opérations ne se seront que par une routine, plus souvent meurtriere qu'utile. L'opération ne convient point dans toutes les maladies chirurgicales, c'est un moyen extrême qu'il ne faut mettre en usage que lorsqu'il n'est pas possible de guérir la maladie par des voies moins douloureuses. Lors même que les opérations ont lieu, elles ne sont qu'un point du traitement, & pendant toute sa durée, il faut que par une conduite intelligente & méthodique, on dispose le malade à l'opération ; qu'on prévienne ou qu'on détruise les accidens qui pourroient en empêcher le succès ; & enfin que par le concours de tous les moyens sagement administrés, on guérisse après l'opération, laquelle indépendamment de la cause fâcheuse, & souvent mortelle qui la prescrit, est souvent par elle-même une maladie très-dangereuse. Voudroit on faire consister la capacité & le mérite d'un chirurgien à savoir mutiler avec hardiesse ? Le succès des grandes opérations est à la vérité le triomphe des Chirurgiens ; mais ce triomphe même peut être la honte de la Chirurgie. L'opération est la premiere & l'unique ressource d'un prétendu chirurgien, qui n'est qu'opérateur. Toute sa gloire & son profit se trouvent dans les opérations qu'il fait ; il cherche à les multiplier ; il trouve qu'il n'en fait jamais assez ; au contraire un vrai chirurgien, un homme savant & expérimenté cherche à ne compter ses succès que par les opérations qu'il a sçu prévenir, & par les membres qu'il a pu conserver. (Y)

OPERATION CESARIENNE, opération de Chirurgie, par laquelle on incise le ventre & la matrice d'une femme pour en tirer l'enfant. Nous avons parlé de cette opération au mot CESARIENNE ; nous allons ajouter ce qui manque dans l'article où nous renvoyons, à la doctrine nécessaire pour être instruit de tout ce qui regarde une matiere aussi importante.

Le second tome de l'Encyclopédie où se trouve notre premier article, a paru en 1751, & nous y avons fait mention d'un mémoire publié en 1743 dans le premier tome des Mémoires de l'académie royale de Chirurgie, sur l'opération césarienne, dans lequel on prouve son utilité & sa possibilité ; cette académie n'a mis au jour le second volume de ses Mémoires qu'en 1753 : il contient une dissertation fort étendue sur les cas qui exigent l'opération césarienne ; car on ne peut se dissimuler que parmi les faits de pratique qui ont fourni les preuves de sa possibilité, il n'y en eût quelques-uns qui montroient qu'on s'étoit déterminé trop légerement & sans motif suffisant à entreprendre une opération aussi dangereuse sur la femme vivante. C'est donc rendre un important service à l'humanité que de discuter les cas où cette opération doit être pratiquée, je n'en ferai que l'énumération ; on aura recours à la dissertation pour les détails. Ces cas sont, 1°. la mauvaise conformation des os du bassin de la mere, par l'applatissement des os pubis, le rapprochement des tubérosités des os ischion, enfin quand le passage est trop étroit pour laisser sortir l'enfant. S'il étoit mort & qu'on pût l'avoir par parties avec le crochet, il ne faudroit pas exposer la mere aux risques de l'opération césarienne ; il n'est question d'opérer sur la femme vivante que pour sauver la vie à la mere & à l'enfant. 2°. L'étroitesse du vagin par des tumeurs ou callosités. Il faut avant que d'en venir à l'opération être bien assuré que l'obstacle est absolument insurmontable ; les observations de M. de la Motte montrent qu'on a incisé avec succès les parties molles qui resistoient au passage, & que les accouchemens se sont faits ensuite sans difficulté de cette part. 3°. Dans les efforts inefficaces de la femme en travail, la matrice se déchire quelquefois vers le ventre : ce déchirement & le passage de l'enfant dans le ventre exigent l'opération césarienne. 4°. Les conceptions ventrales dans certains cas assez rares : communément l'opération seroit plus dangereuse que profitable, par la difficulté de détacher l'enfant des adhérences qu'il a contractées aux différentes parties. 5°. L'opération césarienne est indiquée dans quelques cas de la hernie de la matrice par une éventration. Il est certain qu'on peut abuser de l'opération césarienne ; en général le grand principe est de ne la pratiquer que dans les cas où il est nécessaire de terminer l'accouchement, & où il y a impossibilité physique de le pouvoir faire par les voies ordinaires : cette regle bien méditée fera juger de tous les cas.

En parlant du manuel de l'opération à l'article CESARIENNE, au second tome de ce Dictionnaire, nous avons dit qu'il falloit inciser avec précaution lorsqu'on coupe le péritoine, de crainte de blesser les intestins ; on évitera cet inconvénient très-dangereux si l'on fait l'opération suivant la méthode que je vais prescrire. La femme étant en situation, on fera l'incision dans le lit désigné, & l'on ne coupera d'abord que la peau & la graisse, ensuite on pénétrera dans le bas-ventre en incisant seulement dans le tiers inférieur de la premiere division, par ce moyen on ne rencontrera que la matrice, dont le fond soutient les intestins, l'on incise la matrice, & l'on étend son incision entre deux doigts de bas en haut, en achevant de couper ce qui reste des parties contenantes à diviser dans la longueur de la premiere incision, de dedans en dehors ; par ce moyen la matrice est toujours soutenue, les intestins ne se présentent point dans la plaie, & ne sont point exposés à être blessés : cette méthode rend l'opération plus prompte, plus sure, & moins embarrassante. (Y)

OPERATIONS CHIMIQUES ; elles sont définies dans l'article CHIMIE, pag. 417. col. 1. en ces termes : " nous appellons opérations tous les moyens particuliers employés à faire subir aux sujets de l'art les deux grands changemens énoncés dans la définition de la Chimie, même page, même colonne, c'est-à-dire à effectuer des séparations & des unions.

Ces opérations, est-il dit tout-de-suite, ou sont fondamentales, & essentiellement chimiques, ou elles sont simplement préparatoires & méchaniques. "

Les opérations proprement & essentiellement chimiques sont celles qui s'exécutent par les instrumens proprement & essentiellement chimiques, savoir la chaleur & les menstrues, & qui operent l'union ou la séparation des sujets proprement & essentiellement chimiques, savoir des corpuscules des parties primitives, & chimiquement constitutives des corps ; & les opérations simplement préparatoires & méchaniques sont celles qui s'exécutent à l'aide de divers instrumens méchaniques & qui n'agissant que sur l'aggrégation des corps, unissent ou séparent des molécules. Voyez FEU, MENSTRUES, UNION, SEPARATION, MIXTE, PRINCIPES, l'article CHIMIE, & la suite de cet article.

M. Cramer observe dans la premiere partie de sa Docimastique, qu'il est difficile de construire un systême régulier & philosophique des opérations chimiques. Tous les auteurs d'institutions chimiques, sans en excepter Juncker, qui est d'ailleurs très-méthodique ; tous ces auteurs, dis-je, ou conviennent expressément de cette difficulté, ou l'annoncent en ce qu'ils y ont évidemment succombé.

La division la plus naturelle, la plus simple & la plus réelle, est celle qu'on en fait en opérations divisantes ou diacritiques, & en opérations unissantes ou syncritiques ; car tous les effets, toutes les actions, toutes les passions chimiques se ramenent à ces deux évenemens généraux, séparer & unir, diacrise & syncrise.

Mais ce qui a arrêté ou embarrassé les chimistes qui ont considéré le plus attentivement & le plus philosophiquement les divers changemens introduits dans les corps par les diverses opérations chimiques ; c'est cette considération très-fondée & très-grave en soi, qui est rapportée à l'article CHIMIE, pag. 417. col. 2. savoir, " qu'il est très-peu d'opérations chimiques qui appartiennent exactement à la diacrise ou à la syncrise : la plûpart au contraire sont mixtes, c'est-à-dire qu'elles produisent des séparations & des unions, qui sont entr'elles dans un rapport de cause & d'effet ".

Mais cette considération n'empêche point qu'on ne puisse diviser très-exactement & très-utilement, & par conséquent qu'on ne doive diviser les opérations chimiques en unissantes & en séparantes ; car premierement on ne peut douter qu'il ne soit essentiel à un art philosophique d'avoir un systême régulier & scientifique d'instrumens ou de moyens d'action. Voyez l'article ART. 2°. Il est tout aussi évident que ces moyens doivent être co-ordonnés par leur identité d'effets. 3°. Il est clair que quelques opérations chimiques ne produisent que des séparations ; ou des unions pures & simples ; & que dans la plûpart de celles qui produisent les deux effets, il en est un si évidemment principal relativement à l'intention de l'ouvrier, que l'autre n'est absolument que secondaire ou purement instrumental. Or c'est uniquement à l'intention de l'artiste qu'on doit avoir égard en évaluant l'effet direct & externe d'une opération ; la considération des effets intermédiaires & cachés appartient à la théorie de cette opération, mais est vraiement étrangere à la connoissance de cette opération considérée comme instrument de l'art, comme moyen d'action ; car il est tout aussi indifférent au chimiste qui se propose de séparer l'acide nitreux de l'alkali fixe, par le moyen de l'acide vitriolique, que ce dernier acide agisse en s'unissant à l'alkali fixe, & que par conséquent la séparation d'un principe soit dûe dans ce cas à l'union qu'a contracté l'instrument employé, cet événement est aussi indifférent, dis-je, à l'effet principal & direct de l'opération, ou ce qui est la même chose, à l'objet unique de l'artiste, qu'il est indifférent à l'ouvrier qui a dessein de soulever une masse, à l'aide d'un levier, que cette machine reste après l'opération collée ou non à son point d'appui ; ce n'est pas que l'artiste ne soit obligé de connoître ces événemens cachés & intermédiaires, & que lorsqu'il emploie, du-moins dans des vûes philosophiques, des agens qui sont également enclins, prompts à subir des unions & à opérer des séparations, il ne doive prévoir & modifier les circonstances dans lesquelles ces agens se trouveront pendant le cours des opérations : mais on voit bien que cette connoissance qui constitue la théorie fondamentale & pratique de l'art, est d'un tout autre ordre que cette notion unique & positive, que ce point de vûe simple & distinct, d'après lequel on doit dresser la table ou le systême des opérations.

D'après cette vûe nous divisons d'abord très-généralement les opérations chimiques, tant essentielles que préparatoires, en unissantes, en divisantes ou séparantes, & en mixtes ou plutôt complexes.

Secondement, nous renvoyons à la fin de cet article la considération des opérations complexes & des opérations préparatoires, & nous subdivisons les opérations chimiques, tant unissantes que divisantes, en celles qui attaquent la seule aggrégation des corps & en celles qui portent jusques sur leurs mixtions. Cette subdivision nous fournit quatre chefs, savoir les opérations aggrégatives, les opérations disgrégatives, les opérations combinantes ou mixtives, & les opérations résolvantes.

Opérations aggrégatives. Ce sont celles qui rapprochent les particules des corps simplement raréfiés, ou qui ramassent en une seule masse des particules dispersées : on doit rapporter à cette classe,

1°. Le refroidissement des vapeurs, par lequel on les réduit en état de liqueur, qui fait une partie essentielle de la distillation. Voyez la suite de cet article, & l'article DISTILLATION.

2°. La fusion par laquelle les régules, soit simples, soit composés, rapprochent les particules des corps simplement raréfiés (car l'union que contractent les différentes matieres métalliques dans les régules composés, & dans les alliages, doit être rapportée à l'aggrégation), où la limaille des métaux, ou même des masses considérables & distinctes, sont réduites par le secours d'un feu violent en une seule masse liquide qui devient consistante par le refroidissement ; & la liquation qui n'en differe que par une distinction purement arbitraire, & qui désigne le même changement opéré sur des sujets qui confluent à un moindre degré de feu, comme le soufre, certains sels aqueux, &c.

3°. La sublimation qui produit exactement le même effet sur des sujets volatils dont les parties sont directes, réduites en poudre plus ou moins grossiere, c'est-à-dire qui réunit ces parties en une seule masse solide, comme dans la préparation de la panacée mercurielle, &c.

Ces deux dernieres opérations, la fusion & la sublimation, operent des unions pures & simples.

4°. L'inspissation, appellée aussi coagulation, par laquelle des particules homogenes dispersées & soutenues dans un liquide, au moyen de leur miscibilité avec ce liquide, sont réunies & ramassées en une seule masse solide par la dissipation de ce liquide ; c'est ainsi que sont réunis les extraits des végétaux dissous dans leurs sucs ou dans leurs décoctions, les résines dissoutes dans ce qu'on appelle leurs teintures, &c.

Dans ce cas la réunion n'est opérée qu'au moyen d'une séparation, savoir celle du corps solide retenu & du liquide dissipé ; mais il n'en est pas moins vrai que l'inspissation est une opération aggrégative par rapport à son objet.

5°. La crystallisation qui a la plus intime analogie avec l'opération précédente, ou pour mieux dire qui n'est au fond qu'une seule & même opération avec la précédente, dont elle ne differe que par la circonstance accidentelle de présenter son produit sous la forme de petits amas distincts & figurés régulierement, chose principalement propre aux sels concrescibles, tandis que l'inspissation ne fournit qu'une seule masse informe.

Sixiemement, la concentration qui est encore véritablement identique avec l'inspissation, & par laquelle, en enlevant une certaine portion d'eau d'un liquide composé aqueux, la portion restante devient plus saturée du principe qui spécifie ce liquide, meracior evadit. L'enlevement de cette aquosité superflue s'opere par l'évaporation, ou par la gelée ; c'est par le premier moyen qu'on concentre, par exemple, l'acide vitriolique ; par le second, qu'on concentre le vin & le vinaigre. Il est évident ici que la contraction de l'aggrégation, c'est-à-dire une union, est l'objet principal, & que la séparation du liquide qui s'opposoit à cette union, est l'action subsidiaire.

Opérations disgrégatives. Outre les moyens méchaniques que les Chimistes emploient pour rompre l'aggrégation, & qui ne la rompent que grossierement, comme nous l'avons déja observé, & comme nous l'exposerons encore en parlant des opérations que nous avons appellées méchaniques, préparatoires, & improprement chimiques. Outre ces moyens, disje, ils operent la disgrégation des corps par l'emploi des agens chimiques ; & cette disgrégation est alors radicale, parfaite, atomique. Les opérations exécutées avec ces agens, & qui produisent cet effet, sont les opérations disgrégatives vraiment chimiques. Telles sont,

1°. La dissolution menstruelle suivie de la précipitation que plusieurs chimistes appellent pulvérisation philosophique. L'application du menstrue rompt l'aggrégation per minima : mais les parties disgrégées restent unies au menstrue ; la précipitation les en dégage ensuite. Dans cette opération l'objet principal est la division ; l'union qui y est survenue est subsidiaire & accidentelle.

2°. La vaporisation, soit à l'air libre, ou proprement dite, soit dans les vaisseaux fermés, ou distillation des matieres volatiles, soit simples, soit indestructibles, par le feu qu'on employe à cette opération. Cette opération differe de l'évaporation employée dans l'inspissation, la crystallisation, la concentration, la dessication, &c. en ce que la réduction de son sujet en vapeur est l'objet principal ; au lieu que dans l'évaporation, la réduction en vapeur est subsidiaire.

3°. La sublimation de certains corps denses qu'on convertit en fleurs par ce moyen, & cela sans toucher à leur mixtion ; les fleurs de soufre qu'on obtient par une opération de cette espece, ne sont, par exemple, que du soufre disgrégé.

4°. On doit encore rapporter aux opérations disgrégatives l'éliquation, opération par laquelle on retire par le moyen d'un certain degré de feu, d'une masse métallique composée, une des substances métalliques qui se liquéfie à ce feu, tandis que l'autre ou les autres substances métalliques restent solides à cette même chaleur.

5°. On doit y rapporter encore par la même raison ; savoir, parce que les diverses substances métalliques alliées, ne peuvent être regardées que comme unies par une espece d'aggrégation : on doit y rapporter, dis-je, sous ce point de vue toutes les especes de départs & de purifications des métaux parfaits, mais toujours quant à l'objet direct & principal ; car il intervient dans toutes ces opérations des mixtions & des résolutions.

6°. Enfin, la rectification qui est la séparation de deux liquides inégalement volatils dans un appareil distillatoire (voyez DISTILLATION), ne peut être regardée que comme une opération disgrégative. Voyez MIXTION, Chimie.

Opérations mixtives. Toute opération qui dispose prochainement les sujets chimiques à la combinaison ou mixtion, ou qui place des substances miscibles affines dans la sphere de leur miscibilité, est appellée à juste titre opération mixtive ou combinante. On doit compter parmi celles-ci,

1°. La solution, dissolution, ou solution humide, qui est l'application convenable d'une substance liquide à une autre substance, soit liquide, soit consistante, avec laquelle elle est miscible, & subit en conséquence la mixtion ou union chimique.

La digestion, l'insolation, la macération, sont des especes de solution humide ; elles ne different entr'elles que par les divers degrés de chaleur qu'on y emploie, & par le plus ou le moins de promptitude dans l'action.

La circulation ne differe non plus des autres especes de solutions lentes, que par la circonstance accidentelle d'être exécutée dans des vaisseaux tellement disposés, que des vapeurs qui se détachent de la liqueur employée, sont reportées dans le sein de cette liqueur.

L'amalgamation ou dissolution des substances métalliques par le mercure, est encore une espece de solution humide.

2°. La vaporation qui est l'application d'un menstrue réduit sous forme de vapeur, à un corps solide, auquel il s'unit chimiquement, comme cela arrive dans la préparation du verdet, de la céruse, &c. L'opération est la même si l'on fait rencontrer deux vapeurs miscibles ; comme on peut concevoir que cela arrive dans la préparation vulgaire du beurre d'antimoine, & dans celle du sublimé corrosif, ou comme cela arriveroit manifestement si on préparoit ce dernier sel métallique, en adaptant à un récipient commun deux vaisseaux, dont l'un exhaleroit du mercure, & l'autre de l'acide marin.

3°. La solution par voie seche ou par fusion ; c'est par ce moyen qu'on unit le soufre à diverses substances métalliques, à l'alkali fixe ; & cette opération ne differe de la solution humide, que comme la liquidité ignée differe de la liquidité aqueuse. Voyez LIQUIDITE, Chimie.

4°. La vitrification qui a lieu lorsque différentes matieres salines, pierreuses, terreuses & métalliques, ou deux d'entr'elles seulement ayant été fluidifiées ensemble par un feu très-violent, sont changées par le réfroidissement en un corps sensiblement homogene, fragile, fixe, résistant à un grand nombre de menstrues très-efficaces ; en un mot, en ce corps généralement connu sous le nom de verre ; que la vitrification même d'une substance sensiblement unique, comme celle de la chaux d'antimoine sans addition, opere très-vraisemblablement une nouvelle mixtion.

5°. Enfin, la réduction qui est le rétablissement dans son ancienne forme, d'une chaux ou terre métallique, par l'addition, la combinaison du principe phlogistique.

Remarquez que dans toutes les opérations mixtives, l'aggrégation des sujets est nécessairement lâchée, ou même absolument vaincue : mais cet évenement est purement instrumental.

Opérations résolvantes. Ce sont celles qui attaquent la mixtion des sujets chimiques, qui les décomposent chimiquement, qui désunissent des principes chimiques. Celles-ci doivent se subdiviser en celles qui s'exécutent par la seule force du feu, & en celles qui s'exécutent par les menstrues qui supposent toujours la coopération du feu. Voyez FEU, Chimie, MENSTRUES, & l'article CHIMIE, page 417. colonne deux.

Du premier genre sont premierement l'abstraction qui s'exécute en appliquant un certain degré de feu à des sujets dont la base est un liquide capable d'être volatilisé par ce feu, & qui tient en dissolution une substance ou plusieurs substances plus fixes auxquelles il adhere, cependant si légerement, que l'action dissociante du feu employé, surmonte cette adhérence. La cuite des syrops aromatiques, &c. dans les vaisseaux fermés, la distillation de l'esprit-de-vin précedemment employé à l'extraction d'une résine, &c. sont des abstractions. Remarquez que l'objet principal devant déterminer la spécification de l'opération, ce n'est qu'entant que l'artiste a en vue d'obtenir le liquide volatil séparé dans cette opération, qu'elle appartient à la classe des opérations résolvantes : ainsi il est essentiel à l'abstraction d'être exécutée dans les vaisseaux fermés. Si on l'exécutoit à l'air libre, ce ne seroit plus l'abstraction ; ce seroit la concentration, une opération aggrégative. Remarquez encore que l'abstraction n'est proprement & strictement résolvante, que lorsqu'elle sépare la portion du liquide volatil vraiment & chimiquement unie avec le principe fixe, par exemple, dans le dernier des exemples proposés, que lorsqu'elle sépare & enleve les dernieres portions d'esprit-de-vin tellement & si immédiatement uni à la résine, qu'après cette séparation, la résine reste absolument pure & nue. Voyez ETUDE, Chimie. Et comme il arriveroit encore dans le premier si on outroit la cuite du syrop, & qu'on la poussât jusqu'au candi. Car tant qu'elle ne sépare que la portion surabondante du menstrue (voyez SURABONDANT, Chimie) comme cela arrive dans la cuite exacte du syrop, ce n'est plus qu'une espece de disgrégation que cette opération procure. Voyez LIQUIDITE, Chimie, MENSTRUE, XTIONTION. Remarquez 3°. que l'abstraction est une diacrise pure.

2°. L'édulcoration philosophique qui est une espece d'abstraction prise dans le sens le plus rigoureux, & qui rompt par la simple action dissociante du feu, l'union vraiment mixtive des acides & des substances métalliques, dans la distillation des sels métalliques exécutée sans intermede vrai. Voyez INTERMEDE, Chimie, STILLATIONTION. Il est bien clair que cette opération produit aussi une séparation pure & simple.

3°. Enfin, toutes les especes d'incendie, les sublimations de fleurs métalliques, qui sont toujours des chaux, calcinations, inflammations, détonations, &c. dans lesquelles le phlogistique en contractant le mouvement d'ignition, s'échappe de ses anciens liens, se sépare de certains principes avec lesquels il étoit uni chimiquement.

Les opérations résolvantes exécutées par les menstrues, comprennent toutes les especes de précipitation qui est la plus étendue de toutes les opérations chimiques, & qui est déguisée sous un grand nombre de diverses formes, & de différens noms, qui comprend l'extraction, la distillation avec intermede vrai, la précipitation commune ou humide, la précipitation par fusion ou préparation des régules, la cémentation.

Tel est le tableau des opérations chimiques proprement dites, qu'on peut appeller simples, en ce qu'elles peuvent être dénommées par un but, un objet premier & essentiel bien distinct.

Opérations mixtes ou complexes. Celles dans lesquelles on ne peut distinguer un objet unique & dominant, une fin simple, & que nous avons appellé pour cela mixtes ou complexes, sont,

1°. La distillation des sujets très-composés, soit naturels, soit artificiels ; car les divers produits de ces opérations sont dûs à une suite très-compliquée, & jusqu'à présent indéfinie d'unions & de dégagemens.

2°. Toutes les diverses especes de fermentations des produits desquelles on peut assûrer exactement la même chose.

Opérations préparatoires & méchaniques. Celles-ci sont toutes disgrégatives, & ne séparent les sujets chimiques qu'en molécules grossieres, comme nous l'avons déja exposé ; il en existe même un certain ordre qui ne sépare que des matieres simplement confuses.

Celles de la premiere espece, les disgrégatives sont la limation, la raspation, la trituration, & ses especes, savoir, la porphyrisation, le broyement par des moulins, par la machine de Langelot, la pulvérisation vulgaire, la pulvérisation à l'eau par le pilon, par les moussoirs de la garaye, &c. la granulation, la lamination, le hacher, couper par tranches, &c. Celles-ci sont si connues aussi bien que les suivantes, qu'on a jugé inutile de les définir.

Celles de la seconde espece, les opérations qui séparent des matieres, qui ne sont que confuses, sont la filtration, la despumation, la cribellation, ou passage au tamis, le lavage, & la dessication.

On trouvera dans ce Dictionnaire des articles particuliers, non-seulement pour chacune des opérations mentionnées dans cet article général, mais encore pour tous leurs instrumens propres. Voyez ces articles. (b)


OPERCULES. m. (Conchyl.) en latin operculum, nom donné par les conchyliologistes au couvercle dont le poisson se sert pour défendre l'entrée de la bouche de la coquille.


OPÉRERv. act. & neut. (Gram.) c'est exécuter une opération. On dit, ce chirurgien a la main légere, il opere à merveille. Laissez opérer la nature. La grace opere. Ma sollicitation a opéré. Il a opéré de grandes choses en bien peu de tems, & avec de bien petits moyens.


OPERTANCÉadj. (Gram.) nom que l'on donnoit chez les Romains à quelques dieux. Pline fait mention des sacrifices adressés aux Opertancés. Capelle parle de ces dieux ; mais il n'en nomme aucun.


OPESS. m. pl. (Archit.) Les Architectes donnent ce nom aux trous qu'ils laissent dans les murs, à l'endroit où les chevrons sont posés.


OPHICARDELON(Hist. nat.) Pline donne ce nom à une pierre qu'il dit être noire & renfermée entre deux lignes blanches. Voyez Plinii Hist. nat. lib. XXXVII. c. 10.


OPHICTIS PETRA(Hist. nat. anc.) c'est le nom particulier d'une sorte de marbre dont les veines approchent de la figure des serpens ; ce qui l'a fait appeller ainsi. Saumaise sur Solin, dit très-bien, ce sont des avances de rocher d'où l'on tire le marbre ophite. Ortelius a pris mal-à-propos ophictis petra pour le nom d'un lieu.


OPHIODONTIUMOPHIODONTES, ou OPHIOGLOSSUM, (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs aux glossopetres ou langues de serpens pétrifiées. Voyez GLOSSOPETRES.


OPHIOGENESLES, (Géog. anc.) race particuliere d'hommes dans l'Asie mineure, qui passoient pour avoir la propriété d'être craints des serpens, d'en soulager les piqûres, & d'en chasser le venin des corps.


OPHIOGLOSSE(Botan.) Tournefort compte huit especes d'ophioglosse ou langue de serpent, que je crois n'être que des variétés du même genre de plante ; car elle en souffre dans sa grandeur, dans sa feuille, & dans son épi qui est tantôt simple, tantôt double, & tantôt triple.

L'ophioglosse ordinaire, ophioglossum vulgatum, a la racine garnie de plusieurs fibres qui sont ramassées comme en un faisceau. Elle pousse une queue haute de quatre à cinq doigts, laquelle soutient une feuille semblable en quelque façon à une petite feuille de poirée, mais plus grasse, charnue, lisse, droite, tantôt étroite & oblongue, tantôt large & arrondie, d'un goût douçâtre mêlé de quelque viscosité virulente.

Il sort du sein de cette feuille, à l'endroit par où elle tient au pédicule, un fruit de la figure d'une petite langue applatie qui se termine insensiblement en une pointe, dentelée des deux côtés, comme une lime, & divisée dans sa longueur en plusieurs petites cellules. Ces cellules renferment, au lieu de semence, une fine farine ou poussiere menue, qu'elles laissent échapper lorsqu'elles viennent à s'ouvrir dans leur maturité. C'est l'extrêmité de l'épi faite en langue de serpent, qui a procuré à cette plante le nom qu'elle porte.

Elle croît dans les prés, dans les marais, dans des lieux gras & humides. Transplantée dans les jardins à l'ombre, elle y dure & repousse tous les ans en Avril ou Mai, se fane entierement à la fin de Juin, & disparoît alors. Cependant la racine s'enfonce profondément en terre, de façon qu'il est difficile de l'en arracher.

Tous les auteurs estiment cette plante vulnéraire appliquée extérieurement. On la fait infuser au soleil dans de l'huile d'olive, & on passe ensuite le tout par un linge avec une forte expression ; cette huile peut suppléer à celle de mille-pertuis. (D.J.)


OPHIOLATRIES. f. culte des serpens. Les Babyloniens, les Egyptiens autrefois, & aujourd'hui quelques peuples d'Afrique sont ophiolâtres.


OPHIOMANCIES. f. divination par les serpens. Ce mot est formé du grec , serpent, & de , divination. L'ophiomancie étoit fort en usage chez les anciens ; elle consistoit à tirer des présages bons ou mauvais des divers mouvemens qu'on voyoit faire aux serpens. On en trouve plusieurs exemples dans les Poëtes. Ainsi dans Virgile, Aenéïd. liv. V. Enée voit sortir du tombeau d'Anchise un serpent énorme, dont le corps fait mille replis tortueux ; ce serpent tourne autour du tombeau & des autels, se glisse entre les vases & les coupes, goûte de toutes les viandes offertes, & se retire ensuite au fond du sépulchre sans faire aucun mal aux assistans. Le héros en tire un heureux présage pour le succès de ses desseins.

Rien n'étoit si simple que l'origine de cette divination. " Le serpent, dit M. Pluche, symbole de vie & de santé, si ordinaire dans les figures sacrées, faisant si souvent partie de la coëffure d'Isis, toujours attaché au bâton de Mercure & d'Esculape, inséparable du coffre qui contenoit les mysteres, & éternellement ramené dans le cérémonial, passa pour un des grands moyens de connoître la volonté des dieux.

On avoit tant de foi, ajoute-t-il, aux serpens & à leurs prophéties, qu'on en nourrissoit exprès pour cet emploi ; & en les rendant familiers, on étoit à portée des prophetes & des prédictions. Une foule d'expériences faites depuis quelques années par nos apoticaires & par la plûpart de nos botanistes, auxquels l'occasion s'en présente fréquemment dans leurs herborisations, nous ont appris que les couleuvres sont sans dents, sans piquûre & sans venin. La hardiesse avec laquelle les devins & les prêtres des idoles manioient ces animaux, étoit fondée sur l'épreuve de leur impuissance à mal faire ; mais cette sécurité en imposoit aux peuples, & un ministre qui manioit impunément la couleuvre, devoit sans doute avoir des intelligences avec les dieux. Hist. du ciel, tome premier, page 447 "

Les Marses, peuples d'Italie, se vantoient de posséder le secret d'endormir & de manier les serpens les plus dangereux. Les anciens racontent la même chose des Psylles, peuples d'Afrique ; & l'on pourroit même regarder comme une espece d'ophiomancie la coutume qu'avoient ceux-ci d'exposer aux cérastes leurs enfans lorsqu'ils étoient nés, pour connoître s'ils étoient légitimes ou adultérins. Car dit Lucain, traduit par Brébeuf :

L'enfant par les serpens constamment respecté,

D'un pur attouchement prouve la pureté ;

Et lorsque sa naissance est un présent du crime,

De ces monstres cruels il devient la victime.

On trouve sur cette matiere une dissertation très-curieuse de M. l'abbé Souchay, dans les mémoires de l'académie des Belles-Lettres, tome VII. p. 273.


OPHIOMORPHITE(Hist. nat.) nom donné improprement par quelques auteurs à la corne d'ammon, à cause de ses spirales, qui la font ressembler à un serpent entortillé. Voyez CORNE D'AMMON.


OPHIOPHAGESS. m. (Hist. anc.) mangeurs de serpens. Mot formé du grec , serpent, & de , manger. Pline donne ce nom à quelques peuples d'Ethiopie qui se nourrissoient de serpens. Apparemment que ces reptiles n'étoient pas venimeux, ou qu'on en retranchoit les parties qui auroient pu causer du danger, comme on fait aujourd'hui du serpent à sonnettes, dont la chair prise en bouillons est très bonne à purifier le sang, pourvu qu'on lui ait coupé la tête, qui est remplie d'un poison très-subtil.


OPHIR(Géog. sacrée) pays où la flotte d'Hiram roi de Tyr, & de Salomon roi de la Palestine, alloit une fois tous les trois ans, & d'où elle rapportoit quantité d'or. L'Asie, l'Afrique & l'Amérique ont passé pour avoir l'honneur de posséder cette contrée, si fameuse par ses richesses, grace aux imaginations des interpretes de l'Ecriture, qui ne sachant où placer ce pays, l'ont cherché par-tout où la moindre lueur de ressemblance les a promenés. Je me garderai bien de discuter leurs différentes opinions sur ce pays, & les raisons qu'ils donnent chacun en particulier pour appuyer leur conjecture, ce seroit le sujet d'un gros volume.

La classe des interpretes qui ont cherché Ophir en Amérique doit être mise à part, comme de gens qui ont enfanté une opinion dénuée de toute vraisemblance.

Celle des savans qui ont cherché Ophir en Asie, n'a rien qui choque les idées de la navigation. C'est le sentiment de Ribera, Maffé, Grotius, Bochart, Reland, Prideaux, dom Calmet, & de quantité d'autres, mais ils ne s'accordent pas ensemble sur le lieu. Ceux-ci veulent que ce soit Ormus, ceux-là le Pegu, d'autres Malaca, & d'autres Sumatra. Grotius conjecture que c'est Saphar, que Ptolomée nomme Saphera. Bochart place Ophir dans l'Arabie, au pays des Sabéens, & lui substitue pour supplément un autre Ophir dans la Tapobrane, qui est l'île de Ceylan. M. Reland met le pays d'Ophir dans la presqu'île de l'Inde, en deçà du Gange ; dom Calmet met Ophir dans l'Arménie.

Parmi les auteurs qui ont cherché Ophir en Afrique, quelques-uns l'ont placé à Carthage ; d'autres, comme Cornélius à Lapide, trouvent ce pays à Angola. M. Huet donne principalement le nom d'Ophir à la contrée de Sophala ; il en apporte plusieurs raisons étayées de beaucoup de savoir.

Il est certain que l'opinion qui met Ophir sur la côte orientale de l'Ethiopie, entre le pays de Sophala inclusivement & le détroit de la mer Rouge, paroît une des plus vraisemblables. Il est du-moins certain par les passages de l'Ecriture, III. Reg. c. jx. v. 26. 27. 28. c. x. v. 11. II. liv. des Paralipom. c. viij. v. 17 & 18. & c. jx. v. 10 ; il paroît, dis-je, par tous ces passages qu'il faut qu'Ophir soit maritime, que la course soit aisée, desorte qu'on la puisse faire tous les ans ; que ce soit un pays fertile en or ; & qu'enfin une flotte puisse y arriver sans avoir besoin de la boussole. Tout cela quadre assez bien à la côte de Sophala, dont après tant de siecles les richesses ne sont pas encore épuisées. Une mousson y menoit la flotte, l'autre semestre lui donnoit le vent propre pour revenir à la mer Rouge. Point de golfe ni de cap dangereux qui interrompent la course d'une flotte qui rase la côte. Ce sentiment est au reste celui des Navigateurs & des Géographes ; savoir d'Ortelius, de Lopès dans sa navigation des Indes, de Barros dans ses décades, & autres. (D.J.)


OPHIRIS(Botan.) ou ophrys, en anglois tuyblade, en françois double-feuille ; genre de plante dont voici les caracteres selon Linnaeus. La fleur n'a point de calice particulier, & est composée de six pétales oblongs. La couronne de la fleur est plus longue que les pétales, fendue en deux, & pend en bas. Les étamines sont deux filets très-courts ; les bossettes sont droites & couvertes par le bord interne de la couronne de la fleur. Le germe du pistil est oblong & tortillé ; le stile est adhérant à la partie interne de la couronne de la fleur. Le fruit est une capsule ovale, contenant une quantité de graines aussi fines que de la poussiere.

Hill compte quatre especes d'ophiris, dont il suffira de décrire la plus commune, the common tuyblade. Sa racine est fibreuse & traçante ; elle pousse une seule tige dont les feuilles sont opposées l'une à l'autre. Ses fleurs sont composées chacune de six pétales oblongs ; quand la fleur est passée, le calice devient un fruit qui contient des semences aussi menues que de la sciure de bois. Cette plante croît dans les lieux ombrageux, & fleurit en Juin. Elle n'est pas d'usage ordinaire en Médecine. (D.J.)


OPHITESS. m. (Hist. culte) est le nom d'une secte d'anciens hérétiques sortis des Gnostiques. Leur nom dérive d', serpent, parce qu'ils adoroient le serpent qui avoit séduit Eve. Ils croyoient que ce serpent avoit la science universelle, & ils le regardoient comme le pere & l'auteur de toutes les sciences. Sur ce fondement ils bâtirent une infinité de chimeres, dont on peut voir les principales dans saint Epiphane. Voyez GNOSTIQUES. Ils disoient que ce serpent étoit le Christ, qui étoit fort différent de Jesus né de la vierge Marie ; que le Christ descendit dans Jesus, & que ce fut Jesus & non pas le Christ qui fut mis à mort. En conséquence ils obligerent ceux de leur secte à renoncer à Jesus & à suivre le Christ.

Les Séthiens ou Séthiniens dont il est fait mention dans Théodoret, étoient les mêmes que les Ophites, ou du-moins leur doctrine ne différoit pas beaucoup de celle de ces derniers.

Les Peres ajoutent que les chefs ou prêtres des Ophites en imposoient aux peuples par cette espece de prodige. Lorsqu'ils célébroient leurs mysteres, un serpent qu'ils avoient apprivoisé sortoit de son trou à un certain cri qu'ils faisoient, & y rentroit après s'être roulé sur les choses qu'ils offroient en sacrifice. Ces imposteurs en concluoient que le Christ les avoit sanctifiées par sa présence, & les distribuoient aux assistans comme des dons sacrés & divins. S. Iren. liv. I. ch. xxxiv. Tertull. de praescript. c. xlvij. Baronius, ad ann. Christ. cxlv.

OPHITE, s. f. (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs à la pierre connue sous le nom de serpentine, dont la couleur a assez de ressemblance avec celle de la peau de quelques serpens. Voyez SERPENTINE.

Les anciens naturalistes ont donné le nom d'ophites à des marbres gris tachetés de noir ; ils en distinguoient trois especes, le noir, le blanc & le cendré ou gris. Ils ont aussi appellé ophite une espece de porphyre que Pline a nommé ophites nigricans durus & memphites, lib. XXXVI. cap. vij. dont une espece se nommoit tephrias, ou ophites cinereus. Voyez Em. Mendès d'Acosta, Hist. nat. of. fossils. (-)


OPHIUCUSS. m. se dit dans l'Astronomie d'une constellation de l'hémisphere boréal, appellée aussi & plus communément serpentaire. Voyez SERPENTAIRE.


OPHIUSA(Géog. anc.) nom commun à plusieurs îles ; 1°. à une île de la Propontide, selon Pline, l. IV. 2°. à une île de la Méditerranée, dans le voisinage d'Iviça : c'est aujourd'hui Moncolibré ; 3°. à l'île de Cypre, ou du-moins à un canton particulier de cette île. Ophiusa arva, dit Ovide, en parlant de cet endroit ; 4°. Ophiusa est un ancien nom d'une ville de la Scythie en Europe ; 5°. de Cythnus ; 6°. de la Libye ; 7°. de Thénos, l'une des Cyclades, aujourd'hui l'île de Tine. (D.J.)


OPHRYNIUM(Géog. anc.) lieu d'Asie dans la Troade, près de Dardanum. Strabon en parle liv. XIII. page 598. C'étoit-là qu'étoit le bois d'Hector, & ensuite le lac Ptelée.


OPHTHALMIES. f. (Chirurgie) terme de Médecine, maladie des yeux. C'est proprement une inflammation à la tunique appellée conjonctive, accompagnée de rougeur, de chaleur & de douleur. Voyez OEIL, SCLEROPHTHALMIE & XEROPHTHALMIE.

Ce mot est formé du grec , oeil. Celse nomme l'ophthalmie lippitudo, parce que dans cette maladie il s'attache de la chassie aux yeux, que les Latins appellent lippa.

Il y a une ophthalmie humide & une seche : la premiere est celle où il y a écoulement de larmes, la seconde est celle où il n'en sort point du tout.

Il arrive quelquefois dans l'ophthalmie que les paupieres sont tellement renversées, que l'oeil demeure ouvert sans pouvoir se fermer : on l'appelle chemosis, . D'autres fois les paupieres tiennent tellement ensemble, que l'oeil ne peut s'ouvrir, & on appelle celle-ci phimosis, , comme qui diroit clôture d'une chose qui doit être naturellement ouverte.

La cause immédiate de l'ophthalmie est le sang qui coule en trop grande quantité dans les vaisseaux de la conjonctive, y reste en stagnation, & conséquemment les distend. Pour les causes éloignées, elles sont les mêmes que celles des autres inflammations.

Il arrive souvent en été qu'il y a des ophthalmies épidémiques.

De la neige appliquée sur l'oeil malade, passe pour un bon remede dans l'ophthalmie. Les éphémérides des curieux de la nature parlent d'une ophthalmie guérie en appliquant sur l'oeil de la fiente de vache toute chaude entre deux linges. La langue de renard, la graisse & le fiel de vipere, sont prônés par les empiriques comme d'excellens préservatifs contre l'ophthalmie.

La méthode que suivent les modernes dans la cure de l'ophthalmie, consiste particulierement à purger le malade plusieurs fois ; si les purgations réitérées n'emportent point le mal, ils ont recours aux vésicatoires, aux cauteres & aux sétons, &c. Pitcarn cependant préfere la saignée, & trouve qu'il n'y a pas de maladie où il soit plus à-propos de saigner copieusement.

Pitcarn & quelques autres, distinguent deux sortes d'ophthalmies, l'une externe & l'autre interne ; la premiere affecte la conjonctive, & c'est celle dont nous avons parlé jusqu'à-présent ; & la seconde affecte la rétine. Les symptomes ou indications de la derniere sont quand on croit voir voltiger devant ses yeux des mouches ou de la poussiere, lorsqu'il n'y a en effet ni l'un ni l'autre.

Lorsque cette ophthalmie est invétérée, elle dégénere en goutte sereine ou amaurose. Voyez GOUTTE SEREINE, INFLAMMATION, &c.

Je ne joindrai que quelques observations générales à cet article, & pour le reste je renvoie à Maître-Jan.

1°. Si la tunique de l'oeil, naturellement très-sensible, vient à être irritée par des corps étrangers qui sont tombés dessus, ou par l'application de matieres âcres, comme la chaux, le tabac, les fourmis, les cantharides, la fumée, le frottement, la contusion, la piquûre, il est à-propos de nettoyer l'oeil à l'aide d'un collyre émollient, ensuite de recourir à quelque fomentation de même nature ; mais cette légere inflammation de l'oeil, nommée taraxis par les Grecs, qui est produite par une cause extérieure de peu de conséquence, comme de la fumée, d'un vent froid, son effet est de courte durée, & ne requiert point des remedes de l'art.

2°. Lorsqu'il coule des paupieres une matiere âcre qui irrite le bulbe, ce qu'on connoît aisément par l'inspection des yeux & les ordures qui s'y amassent, il faut employer les remedes propres à corriger l'âcreté de l'humeur & à l'adoucir.

3°. Quand ce sont des larmes âcres & abondantes, produites par une humeur catarreuse ou bilieuse qui continuent de causer de l'irritation au bulbe de l'oeil & aux paupieres, il faut employer les purgatifs, les sétons, les vésicatoires, pour évacuer cette humeur, la détourner sur le col ou sur les bras. Dans les personnes bilieuses on employera les astringens froids ; mais dans les maladies catarreuses froides, l'application des astringens chauds sur les yeux se trouve indiquée.

4°. Lorsqu'après la cessation d'une hémorrhagie le sang, en se portant trop à la tête dans une maladie aiguë, & à la suite de l'abus des échauffans & des spiritueux, donne lieu à une ophthalmie, il faut sur-le-champ ouvrir la veine, & lâcher le ventre par les antiphlogistiques ; il convient aussi de les employer intérieurement, & de les appliquer comme topiques sur les yeux, le front & les tempes.

5°. S'il se fait une métastase sur les yeux, on doit d'abord tenter sa dérivation sur d'autres parties ; ensuite, selon la nature de la métastase, catarreuse, bilieuse, érésipélateuse, ichoreuse, scorbutique, vénérienne, pustuleuse ; selon les différentes saisons de l'année, & selon les pays qui la favorisent ; enfin selon la qualité d'un ulcere supprimé & la constipation du ventre, il faut varier l'usage des remedes, tant internes qu'externes, & donner ceux qui sont opposés à la nature du mal.

6°. Si le bulbe de l'oeil lui-même est attaqué d'inflammation ou d'érésipele, il est nécessaire de saigner & de lâcher le ventre, jusqu'à ce que le mal local soit diminué. Il convient encore de donner intérieurement & d'appliquer sur les yeux les remedes propres à calmer cette inflammation ou cette érésipele. (D.J.)


OPHTHALMIQUEadj. (Gramm.) qui concerne les yeux. On dit une plante, un remede, un nerf ophthalmique. La cinquieme paire des nerfs se divise en trois branches, dont la premiere est appellée ophthalmique : celle-ci se divise en deux autres branches, après avoir donné plusieurs petits filets qui entourent le nerf optique, & qui se distribuent à la choroïde. La plus grosse de ces deux dernieres se sous-divise encore en deux, dont l'une sort par un trou que l'on appelle orbitaire externe, & l'autre par le trou sourcilier, se perdant ensuite dans les muscles du front & dans l'orbiculaire des paupieres, à la glande lacrymale & au sac nasal. La derniere branche passe par le trou orbitaire interne, & va se perdre sur les membranes des lames osseuses du nez.


OPHTHALMIUSOPHTHALMIUS


OPHTHALMOGRAPHIES. f. en Anatomie, c'est la partie qui traite des yeux. Ce mot vient du grec , oeil, & de , décrire.

Nous avons différens traités qui portent ce titre : Briggs ophthalmographia, à Leyde 1686, in-12.

Kennedy ophthalmographia, à Londres 1713, in-8 °.

Plempii ophthalmographia, à Louvain 1659, in-fol.


OPHTHALMOSCOPIES. f. (Divinat.) branche de la physionomie ou l'art de connoître, de conjecturer quel est le tempérament & le caractere d'une personne par l'inspection de ses yeux & de ses regards. Ce mot est formé du grec , oeil, & , je considere. Voyez PHYSIONOMIE.


OPHTHALMOXISTRES. m. instrument de Chirurgie, petite brosse qu'on fait avec douze ou quinze barbes d'épi de seigle, pour scarifier les vaisseaux variqueux des paupieres ou de la conjonctive. Cet instrument est de l'invention de M. Woolhouse, fameux oculiste.

La scarification des paupieres est un secours très-ancien, mais la petite brosse est un moyen nouveau & fort commode. Je m'en suis servi plusieurs fois avec succès ; on lave l'oeil avec de l'eau tiede, pour favoriser le dégorgement ; ensuite avec de l'eau froide, ou de l'eau de plantin & de rose, pour arrêter le sang.

Les ophthalmies invétérées qui sont devenues habituelles, dépendent de la dilatation variqueuse des vaisseaux, qu'on ne peut utilement dégorger que par des ouvertures. La petite brosse les multiplie sans aucun inconvénient. Platner, qui a décrit cet instrument dans une dissertation particuliere de scarificatione oculorum, l'appelle blepharoxistum, nom donné par Paul d'Egine & par Albucasis à une espece de petite rape destinée à irriter les paupieres galeuses, du mot grec , qui signifie paupiere, , je ratisse, je racle. Ophthalmoxistre veut dire instrument avec lequel on racle l'oeil. (Y)


OPIATES. m. (Pharmacie) ce nom qui vient originairement sans doute de ce que le remede dont il s'agit contenoit de l'opium, est donné aujourd'hui indistinctement à un électuaire magistral quelconque, soit qu'on y fasse entrer de l'opium qu'on ne prescrit que très-rarement sous cette forme, soit qu'on n'y en fasse point entrer. Le mot d'opiate dans sa signification reçue & vulgaire signifie donc la même chose que électuaire magistral, & même est le nom le plus usité, & presque le seul usité de l'électuaire magistral. Cela n'empêche pas qu'on ne trouve quelques électuaires officinaux qui portent le nom d'opiate, par exemple l'opiate de Salomon. Voyez l'article suivant.

Toutes les considérations que nous avons proposées sur l'électuaire officinal à l'article ÉLECTUAIRE conviennent parfaitement à l'électuaire magistral ou opiate. Voyez cet article. L'opiate s'ordonne communément pour plusieurs doses que l'apoticaire livre en autant de paquets, ou qu'il donne en masse lorsque les doses sont déterminées vaguement par un certain volume, qu'il est dit par exemple que le malade en prendra chaque fois gros comme une noix, comme une noisette, &c.

La consistance de l'opiate ne permet pas de le former en bols. Les malades les plus courageux le prennent au bout d'un couteau ou de la queue d'une cuillere, ou bien délayée dans quelque liqueur appropriée. Il faut pour ceux qui ont du dégoût pour les remedes, l'envelopper le mieux qu'il est possible dans du pain-à-chanter. (b)

OPIAT, opiatum, (Pharmacie) épithete que porte assez communément le laudanum dans les ouvrages latins de Médecine. Les auteurs françois ne traduisent point cette épithete, & ils appellent simplement laudanum les préparations d'opium, appellées en latin laudanum opiatum. Quelques-uns entendent par laudanum opiatum le laudanum solide, & ils croient que ce mot opiatum signifie la même chose que opiaticum, c'est-à-dire ayant la consistance électuaire ou d'opiate. Mais ce n'est pas là ce que les Pharmacologistes ont entendu par l'expression dont il s'agit. Voyez LAUDANUM. (b)

OPIATE mésentérique, (Pharmacie) composition officinale, dont une préparation mercurielle est le principal ingrédient. Voyez l'article MERCURE, (Mat. méd. & Pharm.)

OPIATE DE SALOMON, (Pharm. & Mat. méd.) l'opiate de Salomon est un électuaire officinal, dont l'auteur est incertain ; c'est, comme le mithridate, un amas de drogues aromatiques, principalement de celles qui sont regardées comme éminemment alexipharmaques, antipestilentielles, cordiales, stomachiques, emmenagogues, vermifuges, &c.

Le mithridate est un des ingrédiens de cette inutile & fastueuse composition, qui contient d'ailleurs & par duplicata plusieurs ingrédiens du mithridate. Mais le mithridate contenant d'autre part les trochisques cyphi qui sont composés d'une partie des ingrédiens du mithridate, & de ceux-là même qui lui sont communs avec l'opiate de Salomon, il se trouve que la même drogue entre trois fois dans la même composition. Or elle est décrite avec la circonstance de cette répétition puérile dans la derniere édition de la Pharmacopée de Paris. N'est-il pas permis de demander à quoi est bon le renouvellement fréquent de ces sortes d'ouvrages, lorsqu'ils laissent subsister de pareilles inepties ? (b)


OPICIENSLES, (Géog. anc.) en latin Opici, ancien peuple d'Italie, le même que les Osques qui habitoient la côte de la Campanie, & quelque chose du Latium.


OPICONSIVESS. f. (Antiq. rom.) fête qu'on faisoit à Rome en l'honneur d'Ops, surnommée Consiva, du mot consero, consevi, je seme, parce que cette déesse présidoit aux biens de la terre. Les opiconsives se célébroient au mois d'Août.


OPIGENE(Mythol.) celle qui porte du secours : les dames romaines honoroient Junon sous ce titre, parce qu'elles croyoient en être assistées dans leurs couches : l'origine du nom vient des noms latins, opem gerere, secourir.


OPIMESDEPOUILLES, (Antiq. rom.) on nommoit ainsi les armes consacrées à Jupiter Férétrien, & remportées par le chef ou tout autre officier de l'armée romaine sur le général ennemi, après l'avoir tué de sa propre main en bataille rangée.

Les armes, les drapeaux, les étendarts, les boucliers remportés sur les ennemis dans les combats étoient de brillantes marques de la victoire. L'on ne se contentoit pas de les mettre dans les temples, on les exposoit à la vûe du public, on les suspendoit dans le lieu le plus fréquenté de la maison, & il n'étoit pas permis de les arracher, même quand on vendoit la maison, ni de les suspendre une seconde fois, si elles venoient à tomber.

Il ne faut pas confondre ces sortes de trophées militaires avec les dépouilles d'argenterie, de meubles & d'autres effets du pillage des villes ; ces dernieres étoient un gain, un profit, & non pas un honneur. Fabius Maximus fut loué par tous les gens de bien après la prise de Tarente, d'avoir laissé aux Tarentins les tableaux & les statues des dieux ; c'est à ce sujet qu'il dit ce mot qui n'a jamais été oublié : " Laissons aux Tarentins leurs dieux irrités ". En effet, suivant la réflexion du sage Polybe, les ornemens étrangers dont on dépouille les villes, ne font qu'attirer la haine & l'envie sur ceux qui les ont pris, & la compassion pour ceux qui les ont perdus. D'ailleurs c'est nous tromper grossierement, continue-t-il, que de nous persuader que les dépouilles des villes ruinées & les calamités des autres fassent la gloire & l'ornement de notre pays.

Mais la gloire de tuer dans le combat le chef des ennemis, & de lui enlever ensuite ses propres armes, étoit regardée comme une action également honorable & utile, parce qu'elle étoit la plus propre à assûrer le succès de la victoire. Aussi lisons-nous dans Homere qu'Enée défendit de toutes ses forces Pandarus attaqué par Diomede, & qu'il auroit lui-même succombé à la fureur de ce redoutable ennemi, si Vénus veillant sans cesse pour le salut de son fils, ne l'eût pris entre ses bras, & ne l'eût couvert d'une partie de sa robe divine.

Festus cite une loi de Numa Pompilius qui distingue trois sortes de dépouilles opimes. Il ordonne que les premieres soient consacrées à Jupiter Férétrien, les secondes à Mars, & les troisiemes à Quirinus. Il veut que ceux qui les ont remportées ayent le premier 300 as, le second 200, & le troisieme 100 ; mais les seules dépouilles qu'on nommoit par excellence du nom d'opimes, étoient les premieres qui se gagnoient en bataille rangée par le général ou tout soldat romain, qui tuoit de sa propre main le général des ennemis.

Le mot opimes signifie richesse, puissance, excellence. Dans Ciceron ager opimus, & dans Virgile arva opima, sont des terres fertiles & d'un grand rapport ; ainsi opima spolia désignoient des dépouilles par excellence. Ecoutons ce qu'en dit Plutarque dans la vie de Marcellus.

" Le sénat, dit-il, lui décerna l'honneur du triomphe après avoir défait les Gaulois, & tué de sa main leur roi Viridomare : son triomphe fut un des plus merveilleux par la magnificence de tout l'appareil ; mais le spectacle le plus agréable & le plus nouveau fut Marcellus lui-même portant à Jupiter l'armure du roi barbare ; car ayant fait tailler le tronc d'un chêne, & l'ayant accommodé en forme de trophée, il le revêtit de ces armes en les arrangeant proprement & avec ordre.

Quand la pompe se fut mise en marche, il monta sur un char à quatre chevaux ; & prenant ce chêne ainsi ajusté, il traversa toute la ville, les épaules chargées de ce trophée, qui avoit la figure d'un homme armé, & qui faisoit le plus superbe ornement de son triomphe. Toute l'armée le suivoit avec des armes magnifiques, en chantant des chansons composées pour cette cérémonie, & des chants de victoire à la louange de Jupiter & de leur général ".

Dès qu'il fut arrivé dans cet ordre au temple de Jupiter Férétrien, il planta ce trophée & le consacra. Voilà le troisieme & le dernier capitaine qui ait eu cet honneur chez les Romains. Le premier qui remporta ces sortes de dépouilles opimes fut Romulus après avoir tué Acron, roi des Céninéens, & son triomphe a été l'origine & le modele de tous les autres triomphes. Le second qui remporta les dépouilles opimes fut Cornélius Cossus, qui défit & tua Tolumnius, roi des Toscans ; & le troisieme fut Marcellus, après avoir tué Viridomare, roi des Gaulois.

Le même historien prétend dans la vie de Romulus, qu'il n'y a que les généraux d'armée romaine qui ont tué de leur main le général des ennemis, qui ayent eu la permission de consacrer à Jupiter les dépouilles opimes ; mais il se trompe ; ce n'étoit point une condition nécessaire que celui qui prenoit ces dépouilles, & qui tuoit de sa main le général ennemi, commandât lui-même en chef ; non-seulement un officier subalterne, mais un simple soldat pouvoit gagner les dépouilles opimes, & en faire l'offrande à Jupiter Férétrien. Varron l'assûre, la loi de Numa le dit, & finalement ce fait est confirmé par l'exemple de Cornélius Cossus, qui tua Tolumnius, roi des Toscans, & gagna les dépouilles opimes n'étant que tribun des soldats, car le général étoit Aemilius. C'est à la vérité Tite-Live qui a jetté Plutarque dans l'erreur en nommant Cossus consul d'après une inscription, qui ne signifioit autre chose sinon que Cossus étoit ensuite parvenu à la dignité du consulat. Tite-Live se conduisit ainsi moins par erreur que par flatterie pour Auguste, dont le but étoit d'étouffer la tradition immémoriale, que les particuliers pouvoient prétendre au grand honneur du triomphe par les dépouilles opimes. (D.J.)


OPIMIENVIN, (Littér.) sous le consulat de L. Opimius & de Quintus Fabius Maximus l'an 121 avant Jesus-Christ, les différentes saisons au rapport de Pline, liv. XIV. chap. iv. furent si favorables aux biens de la terre, que l'on n'avoit jamais vû les fruits si beaux & si bons, sur-tout les vins qui furent si exquis & si forts, qu'on en garda pendant plus d'un siecle. C'est là le fameux vin que les poëtes ont immortalisé sous le titre de vin opimien, qui lui fut donné du nom du premier de ces consuls. (D.J.)


OPINANTOPINER, voyez OPINION.


OPINATEURSopinatores, s. m. (Hist. anc.) c'étoient dans la milice romaine ce que nous appellons des vivriers. Ils fournissoient l'armée de pain, de vin & de fourrage, ou du-moins ils veilloient à ce que cette subsistance n'y manquât pas ; on les appelloit procuratores, probatores, aestimatores : ils avoient aussi le soin d'examiner la qualité & la quantité des vivres.


OPINEROPINER

Ciceron se moque fort de cette maniere d'opiner qui produisoit les décrets d'Athènes : tels sont, dit-il, ces beaux décrets athéniens, qu'ils faisoient sonner si haut ; décrets qui n'étoient point formés sur des opinions & des avis des juges, ni affermis sur des sermens ; décrets enfin qui n'avoient pour base que les mains étendues, & les clameurs redoublées d'une populace tumultueuse : ils étendent les mains, & voilà un décret éclos : porrigunt manus, & psephisma natum est. Cic. oratio pro Flacco.

Il est vrai cependant qu'il falloit au moins 6000 citoyens pour former le décret psephisma, dont Ciceron se moque. On l'intituloit du nom ou de l'orateur, ou du sénateur dont l'opinion avoit prévalu ; on mettoit avant tout la date dans laquelle entroit premierement le nom de l'archonte ; ensuite le jour du mois, & finalement le nom de la tribu qui étoit en tour de présider. Voici la formule de ces sortes de décrets par où l'on pourra juger de toutes les autres. " Sous l'archonte Multiphile, le trentieme jour du mois Hécatomboeon, la tribu de Pandion étant en exercice, on a décerné, &c. ". (D.J.)


OPINIATREadj. OPINIATRETé, OBSTINATION, s. f. (Synonym. Gramm.) ces deux mots présentent à l'esprit un fort & déraisonnable attachement à ce qu'on a une fois conçu ou résolu d'exécuter.

L'opiniatreté est un entêtement aveugle pour un sujet injuste ou de peu d'importance : elle part communément d'un caractere rétif, d'un esprit sot ou méchant, ou méchant & sot tout ensemble, qui croiroit sa gloire ternie s'il revenoit sur ses pas, lorsqu'on l'avertit qu'il s'égare. Ce défaut est l'effet d'une fermeté mal entendue, qui confirme un homme opiniâtre dans ses volontés, & qui lui faisant trouver de la honte à avouer son tort, l'empêche de se retracter.

L'obstination consiste aussi dans un trop grand attachement à son sens sans aucune raison solide. Cependant ce défaut semble provenir plus particulierement d'une espece de mutinerie affectée qui rend un homme intraitable, & fait qu'il ne veut jamais céder. L'effet particulier de l'opiniatreté & de l'obstination tend directement à ne point se rendre aux idées des autres malgré toutes lumieres contraires : avec cette différence que l'opiniatreté refuse ordinairement d'écouter la raison par une opposition qui lui est comme naturelle & de tempérament, au lieu que l'obstiné ne s'en défend souvent que par une volonté de pur caprice & de propos délibéré. (D.J.)


OPINIONopinio, s. f. (Logique) est un mot qui signifie une créance fondée sur un motif probable, ou un jugement de l'esprit douteux & incertain. L'opinion est mieux définie, le consentement que l'esprit donne aux propositions qui ne lui paroissent pas vraies au premier coup-d'oeil, ou qui ne se déduisent pas par une conséquence nécessaire de celles qui portent en elles l'empreinte de la vérité.

On définit l'opinion dans l'école assensus intellectûs cum formidine de opposito, c'est-à-dire un consentement que l'entendement donne à une chose avec une espece de crainte que le contraire ne soit vrai.

Selon les Logiciens, la démonstration produit la science ou la connoissance certaine, & les argumens probables produisent l'opinion. Toutes les fois que le consentement de l'esprit à une vérité qu'on lui propose est accompagné de doute, on l'appelle opinion. Platon fait de l'opinion un milieu entre la connoissance & l'ignorance ; il dit qu'elle est plus claire & plus expresse que l'ignorance, mais plus obscure & moins satisfaisante que la science.

On soutient communément dans l'école que l'opinion n'est pas incompatible avec la science sur un même sujet : quoique l'opinion suppose du doute, & que la science exclue toute incertitude, parce que l'entendement, dit-on, peut consentir à une vérité par différens motifs & de diverses manieres. Cependant, si l'on examine de près la question, on comprendra qu'il est absolument impossible qu'on puisse en même tems douter & être certain de la même chose ; que la différence des motifs, ou certains ou probables, ne sauroit produire cet effet dans l'esprit, parce que les raisons probables qui forment l'opinion sont une lumiere foible qui ne peut jamais obscurcir l'évidence des raisons certaines qui forment la science ; ce qu'il faudroit pourtant qu'elle fît pour introduire dans l'esprit cette obscurité dont elle doit être accompagnée, & produire dans le consentement le doute nécessaire & essentiel à l'opinion. D'ailleurs la science étant certaine & évidente par elle-même, elle bannit par sa seule présence toute oscillation, & par conséquent l'opinion même dont elle prend la place, & saisit l'esprit entier de l'éclat de sa lumiere. Tout ce qu'elle lui permet alors, c'est de distinguer au milieu de cette grande lumiere la foiblesse de celle de l'opinion ; & de voir que si les raisons évidentes qui entraînent son consentement & le rendent certain, lui avoient manqué, les raisons probables & conjecturales n'auroient obtenu de lui qu'un assentiment foible & perplexe : desorte que ceux qui se proposent de prouver la compatibilité de la science & de l'opinion par la différence de ces motifs, ne font autre chose que confondre la confiance qu'on a de l'incertitude du consentement, ce qui est très-différent. Car il n'est point de raison, quelque bonne qu'elle soit, qui empêche de sentir l'incertitude d'une autre raison sur le même sujet ; & il n'en est aucune, quelqu'incertaine qu'elle soit, qui puisse affoiblir la certitude d'une autre raison ; certitude qui empêche toujours le consentement d'être incertain, quoique l'esprit entrevoye d'autres motifs qui ne sont précisément que des conjectures ; certitude qui ne change pas à la vérité la nature des raisons incertaines, mais qui chasse l'obscurité que laisse leur peu de lumiere.

Il en est donc de la science & de l'opinion à-peu-près comme de l'éclat du soleil & de la lumiere d'un flambeau, ou plûtot d'une lampe : le soleil découvre distinctement les objets ; la lampe ne les montre qu'obscurément. Si l'on allume celle-ci en plein midi, on s'appercevra bien qu'elle ne peut jetter sur les objets qu'une lumiere foible, & ne les dévoile à nos yeux qu'imparfaitement & avec quelque nuance obscure, mais elle ne les fera point alors appercevoir effectivement de cette maniere. Sa foiblesse, quoique connue, n'ôtera point aux objets le brillant qu'ils tiennent du grand jour ; & quelqu'usage qu'on fasse alors de la lampe allumée, nos yeux ne verront que d'une façon, c'est-à-dire comme on voit en plein midi, & jamais comme on voit la nuit, à la lumiere d'une lampe. De même la science est une lumiere pleine & entiere qui découvre les choses clairement, & répand sur elles la certitude & l'évidence ; l'opinion n'est qu'une lumiere foible & imparfaite qui ne découvre les choses que par conjecture, & les laisse toujours dans l'incertitude & le doute ; l'une est le plus, l'autre est le moins. Enfin c'est le beaucoup & le moins d'une même chose, qu'il est impossible de trouver en même tems dans un même sujet à l'égard de la même matiere. Il n'y a qu'à l'école des chimeres où de pareilles thèses puissent être proposées & soutenues.

Quant à la parité qu'on institue en disant que la science subsiste bien avec la foi, quoique celle-ci soit obscure, & que celle-là soit évidente, il faut avouer que si cette parité étoit juste & entiere, la foi ne pourroit pas subsister avec la science non plus qu'avec l'opinion. Mais je crois y voir une fort grande différence : car afin que l'opinion & la science se trouvent dans un même sujet, il faut qu'il y ait en même tems de la certitude & de l'incertitude, puisque sans certitude il n'y auroit point de science, & sans incertitude point d'opinion. Au lieu qu'il n'est pas nécessaire pour que la foi soit jointe à la science, que l'obscurité se trouve en même tems dans le consentement que l'esprit donne à une vérité connue par ces deux voies ; parce que la foi peut subsister sans répandre l'obscurité dans un entendement qui est éclairé d'ailleurs, & l'opinion ne le peut pas sans y mettre de l'incertitude. Mais, dira-t-on, s'il n'y a point d'obscurité, il n'y aura point de foi, puisque la foi est des choses obscures, selon la définition de l'apôtre saint Paul : Fides est argumentum non apparentium. Je réponds à cela que l'obscurité essentielle à la foi reste toujours, parce que cette obscurité n'est pas celle de l'entendement, mais seulement celle des motifs de la révélation. Ainsi pour faire un acte de foi, il n'est pas nécessaire de ne voir qu'obscurément les vérités auxquelles on donne son consentement ; il suffit de donner ce consentement par un motif obscur, quoiqu'on ait encore un motif clair & évident, ce qui est très-possible. Car on peut croire une chose par différens motifs ; mais les différens motifs ne peuvent rien mettre de contradictoire dans l'esprit & dans le consentement, sans se détruire l'un ou l'autre. Voilà précisément ce qui arrive à l'égard de la science & de l'opinion. L'une y met nécessairement de l'évidence & de la certitude, & l'autre essentiellement de l'incertitude & de l'obscurité. Mais la foi souffre dans l'esprit toute l'évidence que la science y apporte, & sans y répandre la moindre obscurité, elle la laisse toute entiere dans son motif. Ainsi l'évidence d'une raison naturelle à l'égard d'une vérité chrétienne & révélée empêche bien que l'esprit ne demeure dans l'obscurité où la révélation le laisseroit ; mais elle n'empêche pas que la révélation ne soit obscure, ni qu'il ne puisse croire cette vérité précisément par le motif de la révélation, parce que, comme je l'ai dit, un motif n'empêche pas l'effet de l'autre, lorsqu'ils s'accordent & tendent à une même fin, telle que se trouve être ici celle de la science & de la foi ; car l'une & l'autre demandent également un consentement ferme & certain. Quant à l'évidence & à l'obscurité, le consentement en étant par lui-même incapable, elles subsistent dans différens sujets ; la premiere, dans l'esprit entraîné par la force des preuves, qui contiennent la philosophie & le philosophe, dont le consentement est un acte de raison ; la seconde, dans la volonté soumise à l'autorité de la révélation qui fait la religion & le chrétien, dont le consentement est un acte de foi.

OPINIONS, (Jurisprud.) sont les avis de chaque juge qui servent à former le jugement.

La maniere de recueillir & de compter les opinions n'a pas toujours été la même.

Chez les Grecs on opinoit par le moyen de tablettes que l'on mettoit dans une boîte : on en donnoit trois à chacun ; une marquée d'un A qui signifioit absolvatur ; une marquée N. L. qui signifioit non liquet, & la troisieme d'un C. pour dire condemnetur.

Les aréopagistes voulurent que leurs opinions fussent ainsi données en secret & par bulletins, de peur que les jeunes, au lieu de dire leur avis par eux-mêmes, se contentassent de suivre celui des anciens.

T. Arius ayant appellé César avec d'autres pour juger son propre fils, pria que chacun opinât par écrit, de crainte que tout le monde ne fût de l'avis de César.

Ce fut dans cette vue, qu'au procès de Métellus, Tibere se mit à dire son avis tout haut : mais Pison lui en fit sentir l'inconvénient.

On opinoit donc ordinairement par écrit à Rome & sur des tablettes, comme chez les Grecs ; & comme chaque décurie avoit ses tablettes différentes, on savoit qui avoit été la plus severe.

Dans les assemblées du peuple nul ne disoit son avis qu'il ne lui fût demandé par celui qui présidoit. Le droit d'opiner le premier s'appelloit praerogativa, quasi prius erogare sententiam : ce terme a depuis été appliqué à toute sorte de prééminences.

Cet honneur d'opiner avant tous les autres, appartenoit à la tribu appellée veturea, qui fut aussi surnommée de-là tribus praerogativa.

On tiroit au sort laquelle des centuries opineroit la premiere, & son suffrage étoit fort recherché.

Au senat, l'on opinoit au commencement suivant l'ancienneté de l'âge, comme on faisoit à Athènes, à Lacédémone & à Syracuse. Dans la suite on demanda l'avis à chacun, selon le rang qu'il tenoit dans le sénat ; jusqu'à ce que César se donna la liberté de demander l'avis à quatre personnes hors de leur rang ; Auguste ne suivit plus de regle, demandant l'avis de chacun, dans tel ordre qu'il lui plaisoit, afin que les suffrages fussent plus libres.

Caligula voulut qu'entre les consulaires on suivît le rang d'ancienneté, ce qui fut confirmé par les empereurs Théodose & Arcade.

En France, dans les causes d'audience, les juges opinent dans l'ordre où ils sont assis : quand il y a beaucoup de juges, on fait plusieurs bureaux ou conseils : celui qui préside recueille les opinions ; & lorsqu'il y a divers avis, il retourne aux opinions pour les concilier : chacun est obligé de se ranger à l'un des deux avis qui prévalent par le nombre de voix.

Dans les affaires de rapport, les juges opinent sans aucun rang, comme ils se trouvent assis auprès du rapporteur.

Il n'y a jamais de partage d'opinions en matiere criminelle ; quand le nombre de voix est égal, l'avis le plus doux doit être préféré : cet usage est fort ancien, puisqu'il se trouve déja consigné dans les capitulaires, liv. V. n. 160.

Une voix de plus ne suffit pas pour départager, en matiere criminelle ; il en faut au moins deux.

Au conseil privé du roi il n'y a point de partage, M. le chancelier ayant la voix préponderante.

A la grand-chambre du parlement, une voix de plus départage à l'audience ; au rapport il en faut deux.

Au grand-conseil, il en faut toujours deux pour départager, soit à l'audience, soit au rapport.

Dans tous les sieges qui jugent, à la charge de l'appel, une voix de plus départage au civil ; en matiere criminelle il en faut deux. Voyez PARTAGE.

Au reste, les opinions qui se donnent, soit à l'audience ou au rapport, doivent également être secrettes : il est défendu par les ordonnances aux juges, greffiers & huissiers de les revéler : c'est pour prévenir cet inconvénient que l'on opinoit à Rome sur des tablettes ; & qu'encore à présent dans les chancelleries de Valladolid & de Grenade, les opinions se donnent par écrit sur un registre.

Les opinions du pere & du fils, de l'oncle & du neveu, du beau-pere & du gendre, & des deux beau-freres ne sont comptées que pour une. édit de Janvier 1681. Voyez le Dictionnaire des arrêts, au mot Opinions. (A)


OPINIONISTESS. m. plur. (Hist. ecclés.) On donna ce nom à certains hérétiques qui s'éleverent du tems du pape Paul II. parce qu'étant infatués de plusieurs opinions ridicules, ils les soutenoient avec opiniâtreté. Leur principale erreur consistoit à se vanter d'une pauvreté affectée : ce qui leur faisoit dire qu'il n'y avoit point de véritable vicaire de J. C. en terre, que celui qui pratiquoit cette vertu. Sponde, A. C. 1467, num. 12.


OPIS(Géogr. anc.) ancienne ville d'Asie sur le Tigre, au rapport de Xénophon & d'Hérodote. Strabon ne la traite que de village ; mais c'est une suite de la décadence où elle étoit tombée dans l'intervalle qui est entre les tems où ils ont vécu. (D.J.)


OPISTHODOMOSS. m. (Antiq. grecq.) , nom du lieu du trésor public d'Athènes, où il y avoit toujours un dépôt de mille talens, réservés avec tant de rigueur pour les plus extrêmes dangers de l'état ou de la ville, que, s'il ne s'agissoit de la garantir du pillage ou de l'embrasement, il y avoit peine de mort pour celui qui proposeroit d'y toucher.

Le nom d'opisthodomos fut donné à la trésorerie d'Athènes, parce qu'elle étoit bâtie sur les derrieres du temple de Minerve. Tous les noms des débiteurs de la république étoient couchés sur le registre du trésor dont nous parlons. Ses dieux tutélaires étoient Jupiter sauveur, & Plutus le dieu des richesses, qui étoit représenté avec des aîles. On l'avoit placé attenant la statue de Jupiter, ce qui étoit contre l'usage ordinaire. Potter, Archaeol. graec. lib. I. cap. viij. tom. I. pag. 31. (D.J.)


OPISTHOTONOSS. m. (Médec.) On a conservé en françois & en latin ce mot grec, qui suivant son étymologie, signifie une espece de convulsion qui porte & plie toutes les parties du corps en arriere. Il est formé de qui veut dire en arriere, & , ton, tension, spasme. Dans ce cas, la tête se renverse, s'approche des vertebres du dos, par la contraction spasmodique des extenseurs de la tête : savoir, du splenius, du complexus, des grand & petit droits postérieurs & du petit oblique des deux côtés agissans ensemble ; l'action des muscles d'un seul côté tireroit la tête de ce même côté : quelquefois il n'y a dans l'opisthotonos que cette extension forcée de la tête ; d'autres fois la convulsion est plus générale, & occupe les transversaux épineux, les inter-épineux du cou, le long dorsal, le demi-épineux & le sacro-lombaire. Alors l'effet est plus grand ; le cou & le dos sont courbés en arriere, & y font une espece d'arc : dans cet état, l'action de presque tous les visceres du bas ventre est gênée, interrompue ou beaucoup dérangée ; la respiration souffre beaucoup, & se fait très-difficilement ; la déglutition est totalement empêchée : cet état si violent est souvent accompagné de vives douleurs : il est bien évident qu'il est trop opposé à l'état naturel du corps pour pouvoir subsister long-tems ; il est plus ou moins dangereux suivant le degré, l'intensité & la durée de la convulsion. Le péril varie aussi suivant les causes qui l'ont produite : elles sont les mêmes que celles des autres especes de convulsions. Voyez -en le détail aux articles CONVULSION, SPASME. Un paroxysme épileptique peut être déterminé de cette façon. Voyez EPILEPSIE. Alors le danger est moins pressant. L'opisthotonos peut aussi être l'effet de quelque poison pris intérieurement, d'une blessure, sur-tout faite avec des fleches ou autres armes empoisonnées ; & alors il est plus dangereux : il est mortel lorsqu'il survient à des malades foibles, épuisés par une longue maladie ou par des évacuations trop abondantes. Voyez CONVULSION ; voyez aussi à cet article le traitement qu'il convient d'employer. En général, les anti-spasmodiques, anti-hystériques, les préparations de pavot doivent être données sur le champ. Les saignées peuvent convenir dans quelques cas particuliers & rares : elles seroient indifférentes ou nuisibles dans le cas de poison, & absolument pernicieuses, lorsque l'on a sujet d'accuser la foiblesse & l'épuisement ; des frictions, des embrocations, des especes de douches avec de l'huile bien chaude fournissent un remede dont Galien a constaté l'efficacité par l'heureuse expérience qu'il en a faite sur lui-même dans un cas semblable ; enfin le cautere actuel appliqué à la plante des piés, ne doit pas être oublié, quand les autres remedes ont été sans effet : souvent il emporte des maladies qui avoient résisté au fer & aux médicamens. Suivant ce précepte du grand Hippocrate qu'on a taxé de fausseté, parce qu'on n'a pas su en faire l'application. Quae medicamenta non sanant, ea ferrum sanat ; quae ferrum non sanat, ea ignis sanat ; quae verò ignis non sanat, ea censere oportet insanabilia. sectione VIII. aphor. vj. Il seroit très-aisé de donner une théorie satisfaisante de l'action de ce remede dans la maladie dont il s'agit, mais non est hîc locus. Voyez CAUTERE, FEU. Il suffit de remarquer qu'on emploie à la Chine, dans les Indes & au Japon, la Moxe, qu'on applique aux piés un anneau rouge ; qu'on fait des piquures avec des aiguilles, acupuncturae ; & que ces remedes plus ou moins analogues au cautere actuel, y font des effets surprenans dans les maladies convulsives.


OPISTOGRAPHES. m. (Hist. du bas Empire) en grec , en latin opistographum ; c'étoit un gros livre dans lequel on écrivoit sur le champ les différentes choses qui auroient besoin d'être revûes & corrigées par la suite. Ce mot est composé de , c'est-à-dire, sur le feuillet du revers, & , j'écris, parce qu'on écrivoit sur le revers de chaque page ce qui avoit été omis de l'autre part.


OPITERGINIMONTES. (Géog. anc.) Pline nomme ainsi les montagnes où la Livenza, Liquentia, a sa source. Ce sont les monts situés entre Ceneda, Belluno & les bourgs d'Ariano & Polcenigo. (D.J.)


OPITERGIUM(Géog. anc.) ancienne ville d'Italie au pays du peuple Veneti, entre Ceneda & la mer Adriatique. Les habitans sont nommés Opitergini par Lucain, Pline & Florus. Le nom moderne est Oderzo. Ce fut apparemment après sa destruction par les Quades & les Marcomans, qu'Héraclius l'a rebâti, & qu'elle fut appellée Héraclée.


OPIUMS. m. (Hist. nat. des drog.) C'est un suc concret, résineux & gommeux, pesant, compact, pliant, inflammable, d'un roux noir, d'une odeur narcotique, d'un goût acre & amer. Il nous vient en gâteaux arrondis, applatis, de la grosseur d'un pouce, qui pesent une demi-livre ou une livre, & sont enveloppés dans des feuilles de pavots. On l'apporte de la Natolie, de l'Egypte & des Indes.

Les Arabes & les Droguistes recommandent l'opium de Thèbes ou celui que l'on recueilloit en Egypte auprès de Thèbes, mais on ne fait plus à présent cette distinction. De quelqu'endroit que vienne l'opium, on estime celui qui est naturel, un peu mou, qui obéit sous les doigts, qui est inflammable, d'une couleur brune ou noirâtre, d'une odeur forte, puante, & assoupissante. On rejette celui qui est sec, friable, brûlé, mêlé de terre, de sable ou d'autres ordures.

Les anciens distinguoient deux sortes de suc de pavot ; l'un étoit une larme qui découloit de l'incision que l'on faisoit à la tête des pavots : elle s'appelloit , & chez les médecins par antonomase. L'autre s'appelloit ou ; c'étoit le suc épaissi que l'on retiroit de toute la plante. Ils disoient que le méconium étoit bien moins actif que l'opium.

Présentement on ne nous en fournit que d'une sorte sous le nom d'opium : savoir, un suc qui découle de l'incision des têtes de pavots blancs ; on n'en trouve aucune autre espece parmi les Turcs & à Constantinople, que celui que l'on apporte en gâteaux. Cependant, chez les Perses on distingue les larmes qui découlent des têtes auxquelles on fait des incisions, & ils recueillent avec grand soin celles qui coulent les premieres, qu'ils estiment beaucoup comme ayant plus de vertu.

La plante dont on retire le suc, s'appelle papaver hortense, semine albo, sativum Dioscorid. album, Plinio, C. B. p. 170. Sa racine est environ de la grosseur du doigt, remplie comme le reste de la plante d'un lait amer. Sa tige a deux coudées ; elle est branchue, ordinairement lisse, quelquefois un peu velue. Sur cette tige naissent des feuilles semblables à celles de la laitue, oblongues, découpées, crêpues, de couleur de verd de mer. Ses fleurs sont en rose, plus souvent à quatre pétales blancs, placés en rond, & qui tombent bientôt. Le calice est composé de deux feuillets ; il en sort un pistil ou une petite tête, entourée d'un grand nombre d'étamines. Cette tête se change en une coque, de la figure d'un oeuf, qui n'a qu'une seule loge, garnie d'un chapiteau : elle est ridée, étoilée, munie intérieurement de plusieurs lames minces qui tiennent à ses parois ; à ces lames adherent, comme à des placenta, grand nombre de graines très-petites, arrondies, blanches, d'un goût doux & huileux.

Dans plusieurs provinces de l'Asie mineure, on seme les champs de pavots blancs, comme nous semons le froment ; aussi-tôt que les têtes paroissent, on y fait une legere incision, & il en découle quelques gouttes de liqueur laiteuse, qu'on laisse figer, & que l'on recueille ensuite. M. Tournefort rapporte que la plus grande quantité d'opium se tire par la contusion & l'expression de ces mêmes têtes : mais Belon n'en dit rien, non plus que Kempfer qui a fait une dissertation sur l'opium persique. Ces deux derniers auteurs distinguent trois sortes d'opium, mais tirés seulement par incision.

Dans la Perse on recueille l'opium au commencement de l'été. On fait des plaies en sautoir à la superficie des têtes qui sont prêtes d'être mûres. Le couteau qui sert à cette opération a cinq pointes ; & d'un seul coup il fait cinq ouvertures longues & paralleles. Le lendemain on ramasse avec des spatules le suc qui découle de ces petites plaies, & on le renferme dans un petit vase attaché à la ceinture.

Ensuite on fait l'opération de l'autre côté des têtes, pour en tirer le suc de la même maniere. La larme que l'on recueille la premiere, s'appelle gobaar ; elle passe pour la meilleure ; sa couleur est blanchâtre ou d'un jaune pâle ; mais elle devient brune, lorsqu'elle est exposée long-tems au soleil, ou qu'elle est trop séchée. La seconde larme que l'on recueille, n'a pas tant d'efficace, & elle n'est pas si chere. Sa couleur est le plus souvent obscure, ou d'un roux noirâtre. Il y en a qui font une troisieme opération, par laquelle on retire une larme très-noire & de peu de vertu.

Après que l'on a recueilli l'opium, on en fait une préparation, en l'humectant avec un peu d'eau ou de miel, en le remuant continuellement & fortement avec une espece de spatule dans une assiette de bois plate, jusqu'à ce qu'il ait acquis la consistance, la viscosité, & l'éclat de la poix bien préparée ; ensuite on le remanie dans la main ; & enfin on en fait de petits cylindres ronds que l'on met en vente : Lorsque les marchands n'en veulent que de petits morceaux, on les coupe avec des ciseaux.

L'opium ainsi préparé s'appelle chez les Perses theriaack-malideh, c'est-à-dire, thériaque préparée par le broyement, ou bien theriaack affinum, c'est-à-dire, thériaque opiée, pour la distinguer de la thériaque d'Andromaque, qu'ils nomment theriaack-farnuk ; car ces peuples regardent l'opium comme le remede vanté par les Poëtes, qui donne la tranquillité, la joie & la sérénité.

Cette maniere de préparer l'opium, est le travail perpétuel des revendeurs qui sont dans les carrefours, & qui exercent fortement leurs bras à ce travail. Ce n'est pas là cependant la seule façon de préparer ce suc : très-souvent on broie l'opium, non pas avec de l'eau, mais avec une si grande quantité de miel, que non-seulement il l'empêche de se sécher, mais encore il tempere son amertume.

La préparation la plus remarquable est celle qui se fait, en mêlant exactement avec l'opium, la noix muscade, le cardamome, la canelle, & le macis réduits en poudre très-fine. On croit que cette préparation est très-utile pour le coeur & le cerveau : elle s'appelle pholonia, c'est le philonium de Perse ; d'autres n'emploient point les aromates dont nous venons de parler ; mais ils mettent beaucoup de safran & d'ambre dans la masse de l'opium. Plusieurs font la préparation chez eux à leur fantaisie.

Outre ces préparations dont on ne fait usage qu'en pilules, Kaempfer fait mention d'une certaine liqueur célebre chez les Perses, que l'on appelle cocomar, dont on boit abondamment par intervalles.

Les uns préparent cette liqueur avec les feuilles de pavots qu'ils font bouillir peu de tems dans l'eau simple. D'autres la font avec les têtes pilées & macérées dans l'eau ; ou bien ils en mettent sur un tamis, versent dessus sept à huit fois la même eau ; en y mêlant quelque chose qui y donne de l'agrément selon le goût de chacun.

Kaempfer ajoute une troisieme sorte d'opium ; qu'il qualifie d'électuaire, qui réjouit & qui cause une agréable ivresse. Les parfumeurs & les médecins préparent différemment cet électuaire, dont la base est l'opium ; on le destine par les différentes drogues que l'on y mêle, à fortifier & à récréer les esprits : c'est pourquoi on en trouve différentes descriptions, dont la plus célebre est celle qu'a trouvée Hasjem-Begi. L'on dit qu'elle excite une joie surprenante dans l'esprit de celui qui en avale, & qu'elle charme le cerveau par des idées, & des plaisirs enchantés. (D.J.)

OPIUM CYRENAÏQUE, (Mat. médic.) nom donné par quelques écrivains du moyen âge à l'assa foetida, parce que de leur tems on tiroit principalement cette drogue de Cyrene, ou comme dit Avicenne, du Kirvan, ce qui est le même pays.


OPLITODROMES. m. (Ant. grecq.) Les Grecs nommoient oplitodromes, , ceux qui combattoient aux jeux olympiques & autres jeux de la Grece : c'est un mot composé de , arme, & de , course. Potter, Archaeol. graec. liv. II. ch. xxj. tom. I. pag. 442.


OPOBALSAMUMS. m. (Hist. des drog.) , résine liquide, précieuse, blanchâtre ou légerement jaunâtre, d'une odeur pénétrante qui approche de celle du citron, d'un goût âcre & aromatique : on estime celui qui a toutes ces qualités, & non celui qui est ténace, vieux & falsifié.

La plante qui fournit cette liqueur résineuse est nommée par Bélon dans ses observations, balsamum lentisci folio, aegyptiacum, & par Prosper Alpin, 48. balsamum ; car l'arbre & la résine portent le même nom. Cet arbrisseau s'éleve à la hauteur du troëne & du cytise, & est toujours verd, garni de peu de feuilles, semblables à celles de la rue, ou plutôt à celles du lentisque : elles sont attachées à la même queue, au nombre de trois, de cinq ou de sept, y ayant une feuille impaire qui la termine. Ses branches sont odorantes, resineuses & pliantes : leur substance ligneuse est blanche, sans odeur, couverte de deux écorces minces ou membraneuses ; l'extérieure est rougeâtre en dehors, l'intérieure verdâtre, odorante & d'une saveur aromatique. Ses fleurs sont purpurines, semblables à celles de l'acacia, & fort odorantes. Ses semences sont jaunes, odorantes, âcres, ameres, & donnent une liqueur jaune, semblable au miel : elles sont renfermées dans des follicules noires, rougeâtres.

Théophraste, Dioscoride, Pline, Josephe & autres, croient que la patrie de l'opobalsamum est la Judée, ou l'Egypte ; mais il est constant que ni la Judée, ni l'Egypte ne sont les pays où ce baume vient de lui-même : on ne trouve aucun arbre qui porte ce baume dans la Judée ; & du tems de Bélon on n'en trouvoit pas non plus. Strabon a eu raison de dire qu'on le trouvoit dans l'Arabie heureuse, qui est effectivement la seule patrie de ce baume.

Prosper Alpin nous apprend qu'il est blanc lorsqu'on vient de le tirer, ayant une odeur excellente & très-pénétrante, qui approche de celle de la térébenthine, mais plus suave & plus vive ; d'un goût amer, âcre & astringent. Ce baume est d'abord trouble & épais comme l'huile d'olive nouvellement exprimée ; il devient ensuite très-subtil, très-limpide, très-léger, & prend une couleur verdâtre, ensuite une couleur d'or ; enfin lorsqu'il est vieux, il devient comme du miel : alors il s'épaissit comme la térébenthine, il coule très-difficilement, & il perd beaucoup de son odeur.

Quand ce baume est récent, si l'on en verse goutte-à-goutte dans de l'eau, il ne va pas au fond à cause de sa grande légereté ; mais étant versé de haut, il s'y plonge un peu, & remonte continuellement, il s'étend sur toute la surface de l'eau, & se mêle avec elle, desorte qu'il est très-difficile de l'en séparer : peu de tems après il s'y fige & se coagule, & on le retire tout entier avec un stilet : il est alors laiteux, ou blanc comme le lait. Voilà les véritables caracteres du baume naturel & récent.

Les anciens ne recueilloient uniquement que le baume qui découloit de l'écorce de l'arbre, auquel ils faisoient une incision, & ils en retiroient une très-petite quantité. Aujourd'hui il y a deux especes de ce baume, selon Augustin Lippi. La premiere peut être appellée le véritable baume, & c'est celui qui coule de lui-même, ou par l'incision que l'on fait à l'écorce ; mais on en retire une si petite quantité, qu'à peine suffit-elle pour les habitans, & pour les grands du pays, & il est très-rare que l'on en porte ailleurs. L'autre espece est le baume de la Mecque & de Constantinople, qui est encore précieux, & qui parvient rarement jusqu'à nous, si ce n'est par le moyen des grands qui en font des présens. Voici comment on le retire. On remplit une chaudiere de feuilles & de rameaux du baumier, & l'on verse de l'eau par-dessus jusqu'à-ce qu'elle les surpasse. Lorsqu'elle commence à bouillir, il nage au-dessus une huile limpide que l'on recueille avec soin, & que l'on reserve pour l'usage des dames ; car elles s'en servent pour se polir le visage & pour en oindre leurs cheveux. Tandis que l'ébullition continue, il s'éleve à la superficie de l'eau une huile un peu plus épaisse & moins odorante, que l'on envoie comme moins précieuse, par des caravanes, au Caire & aux autres pays ; c'est le plus commun en Europe.

Comme les vertus de l'opobalsamum dépendent de son huile subtile & volatile, il est certain que celui qui est récent a plus de vertu que celui qui est vieux. On l'emploie dans l'asthme & dans la phthisie avec quelques succès, pour rétablir le ton des poumons, adoucir l'acrimonie de la lymphe qui se répand dans leurs cavités, & en inciser les humeurs visqueuses. On abuse souvent de ce remede, en le prescrivant dans les ulcères des reins & de la vessie, car comme ces ulcères sont d'ordinaire érésipélateux, tous les balsamiques & les résineux y nuisent beaucoup, en augmentant l'inflammation, & en arrêtant l'excrétion du pus.

Ce baume est encore célebre pour guérir les plaies, étant appliqué extérieurement. Il est vrai qu'il convient très-bien aux plaies simples, ou à celles qui consistent dans une simple solution de continuité, soit pour couvrir la plaie, & pour empêcher le contact de l'air, soit pour procurer plus tôt la réunion des levres ; car alors ces plaies qui se guériroient facilement par elles-mêmes, se cicatrisent bien plus promptement : mais s'il y a quelque contusion, ou quelque froissement des fibres charnues, ou autres qui entraînent toujours la suppuration, ce seroit en vain que l'on employeroit les balsamiques pour en faire la réunion ; car ces parties qui se pourrissent, & dont on empêche la séparation, étant retenues trop longtems, irritent & enflamment par leur acrimonie la partie malade : c'est ce qui fait que la guérison de telle plaie est plus longue, & souvent très-difficile.

Les dames de Constantinople, & celles d'Asie & d'Egypte, font usage de l'opobalsamum pour se rendre la peau douce & polie. Voici la maniere dont en usent les Egyptiennes. Elles se tiennent dans un bain jusqu'à-ce qu'elles ayent bien chaud ; alors elles se frottent la peau du visage & de la gorge avec ce baume à différentes fois, & sans l'épargner ; ensuite elles demeurent une heure & davantage dans ce bain chaud, jusqu'à-ce que la peau soit imbibée de ce baume & bien seche ; alors elles en sortent : elles demeurent ainsi pendant trois jours le visage & la gorge imbibées de baume ; le troisieme jour elles se remettent au bain, & se frottent encore comme on vient de le dire, avec le même baume. Elles recommencent l'opération plusieurs fois, ce qui dure au moins trente jours, pendant lesquels elles ne s'essuient point la peau. Enfin lorsque le baume est bien sec, elles se frottent d'un peu d'huile d'amandes ameres, & ensuite elles se lavent pendant plusieurs jours dans l'eau de feves distillée.

Les dames qui se servent de ce baume parmi nous, en qualité de cosmétique, en font par art le lait virginal, qui est avec raison fort estimé pour l'embellissement de la peau. Il ne se fait aucune précipitation dans ce lait, & le baume ne se sépare point. Voyez-en la composition au mot LAIT virginal.

L'opobalsamum est, comme on sait, nommé dans les ordonnances des Médecins, sous le nom de baume blanc de Constantinople, baume de Judée, d'Egypte, du grand Caire & de la Mecque. Chez les Apothicaires, on le nomme aussi baume de Galaad, balsamum galaldense ou gileadense, parce qu'on s'est imaginé que le baume de Galaad de l'Ecriture étoit la même chose que celui qui nous vient aujourd'hui de la Mecque directement par la mer Rouge, ou autrement.

Mais le mot hébreu que nous avons rendu baume, est zori, qui, suivant la remarque des rabbins, signifie toutes sortes de gommes résineuses. Dans Jérémie, viij. 22. & xlvj. 2. il en est parlé comme d'une drogue que les Médecins employoient ; & dans la Génese, xxxvij. 25. & xliij. comme d'une des choses les plus précieuses que produit le pays de Canaan ; & dans l'un & dans l'autre endroit il est marqué qu'il venoit de Galaad. Si le zori du texte signifie du baume, tel que celui de la Mecque, il faut qu'il y en ait eu en Galaad long-tems avant qu'on eût planté l'arbre dans les jardins de Jérico, & avant que la reine de Saba eût apporté à Salomon la plante dont parle Josephe : car c'étoit une des marchandises que les Ismaélites portoient de Galaad en Egypte, quand Joseph leur fut vendu par ses freres ; Jacob en envoya en présent à Joseph en Egypte, comme une chose qui croissoit dans le pays de Canaan, quand il dépêcha ses autres fils pour acheter du blé dans ce pays-là. Pour moi je croirois que ce zori de Galaad, que nous rendons baume dans nos traductions modernes, n'étoit pas la même chose que le baume de la Mecque, & que ce n'étoit qu'une espece d'excellente térébenthine, dont on se servoit alors pour les blessures & pour quelqu'autres maux.

Le mot opobalsamum veut dire suc ou gomme de baume ; car proprement balsamum signifie l'arbre, & opobalsamum, le suc qui est distillé ; en grec signifie le suc, la gomme, ou la liqueur qui distille de quelqu'arbre que ce soit, ou même de plusieurs autres choses.

L'opobalsamum entre dans la thériaque & le mithridate, de nom sans doute plus qu'en réalité, comme on en peut juger par la quantité de ces deux compositions qui se fait chaque année dans toute l'Europe, & en même-tems par la rareté du vrai baume d'Arabie, dont le prix sur les lieux vaut environ une pistole l'once. (D.J.)


OPOCARPASUMou OPOCALPASUM, s. m. (Hist. des drog. anc.) suc végétal qui ressembloit à la meilleure myrrhe liquide, que l'on mêloit souvent avec elle par l'amour du gain, & dont on ne pouvoit facilement la distinguer. Ce suc causoit l'assoupissement & une espece d'étranglement subit. Galien rapporte qu'il a vu plusieurs personnes mourir pour avoir pris de la myrrhe dans laquelle il y avoit de l'opocarpasum, sans qu'ils le sussent. Aucun des anciens n'a pu nous apprendre de quelle plante, de quel arbre, ou de quelle herbe étoit tiré le suc que l'on appelloit opocarpasum ; & aucun auteur moderne ne le sait encore aujourd'hui.


OPODELTOCHS. m. (Pharmacie) emplâtre opodeltoch ; cet emplâtre est composé de quelques ingrédiens précieux, d'un baume naturel, d'un grand nombre de résines & de gomme-résine, de toutes les matieres minérales regardées comme éminemment astringentes & dessicatives, telles que le safran de mars, les chaux de zinc, la litharge, le colcotar, &c. & enfin du suc de toutes les plantes qu'on a regardées comme éminemment détersives, vulnéraires, cicatrisantes, telles que l'aloës, le suc de grande consoude, de sanicle, de tabac, & même de feuilles de chêne, substance assurément fort peu succulente.

On peut voir, au mot EMPLATRE, combien est frivole l'espoir de l'inventeur, qui a prétendu faire de cet emplâtre un remede souverainement résolutif, mondificatif, dessicatif, vulnéraire, cicatrisant, &c. & combien sur-tout le suc des plantes en est un ingrédient puérile. L'emplâtre opodeldoch n'est donc qu'une composition qui, comme la plûpart des autres emplâtres très-composés, doit son origine à la charlatanerie & à l'ignorance. Voyez EMPLATRE. (b)


OPOPANAXS. m. (Hist. nat. des drog. exot.) l'opopanax en grec, de même qu'en françois, se dit en latin opopanacum ; c'est un suc gommeux, résineux, qui nous vient en grumeaux environ de la grosseur d'un pois, tantôt plus grands, tantôt plus petits ; roussâtres en dehors, d'un jaune blanchâtre en-dedans ; fort amers, âcres, de mauvaise odeur, d'un goût qui excite un peu la nausée, gras & cependant friables.

On l'apporte quelquefois en masses très-sales, d'un roux noirâtre, mêlées d'esquilles, de la tige, ou d'autres ordures.

On doit choisir les larmes brillantes, grasses, friables, de couleur de safran en dehors, blanches ou jaunâtres en-dedans, d'un goût amer, d'une odeur forte. On rejette celles qui sont noires & sordides.

On apporte l'opopanax d'Orient ; mais nous ne savons point du tout de quelle plante il vient. Il a été connu des Grecs. On le tire, selon Galien, du panax heracleus, dont on coupe les racines & les tiges ; mais il n'y a rien de certain dans les auteurs sur le panax heracleus ; c'est une plante qui nous est inconnue.

L'opopanax s'enflamme comme les résines : il se dissout dans l'eau comme les substances gommeuses ; mais il rend l'eau laiteuse à cause de sa grande quantité d'huile. Il paroît donc composé de tartre & de sel ammoniacal étroitement unis ensemble.

Pris intérieurement, il incise les humeurs visqueuses, & purge sans fatiguer, depuis demi-drachme jusqu'à une drachme ; il sert extérieurement à amollir les tumeurs, à les discuter, à les résoudre. Il est employé dans presque toutes les vieilles compositions galéniques. (D.J.)


OPORICÉS. m. (Mat. méd. des anciens) ; c'est un remede fort vanté, que Pline, livre XXIV. ch. xiv. nous dit être composé de quelques fruits d'automne. Il y entroit cinq coings, autant de grenades, du sumach de Syrie & du safran. On faisoit bouillir le tout dans un conge de vin blanc jusqu'à consistance de miel. Ce remede étoit employé pour les dyssenteries & les débilités d'estomac. Le mot oporicé est dérivé du grec , qui veut dire automne, ou le fruit de cette saison.


OPOSS. m. (Méd. anc.) ce nom grec indique chez les anciens Médecins, le suc des plantes, soit qu'il découlât naturellement, ou par incision ; mais Hippocrate emploie ce mot pour désigner le suc du silphium qu'on nommoit le suc par excellence, comme nous appellons aujourd'hui l'écorce du quinquina, simplement l'écorce.


OPOSSUMOPOSSUM


OPPA(Géog.) riviere de la haute Silésie. Elle a sa source dans les montagnes de Gesenk, qui séparent la Silésie & la Moravie, & se perd dans l'Oder.


OPPELEN(Géog.) ville forte de Silésie, capitale d'un duché considérable de même nom. Elle est sur l'Oder dans une belle plaine, à 8 lieues N. de Troppau, 14 S. E. de Breslau, 54 N. E. de Prague. Long. 35. 32. lat. 50. 54.

Le duché d'Oppelen est arrosé de plusieurs rivieres, outre l'Oder qui le partage. Il contient avec la capitale une vingtaine de bourgades, que Zeyler appelle villes.


OPPENHEIM(Géog.) ville d'Allemagne dans le bas palatinat du Rhin, capitale d'un bailliage de même nom. Les François la saccagerent en 1689. Elle est sur une montagne dans un pays fertile, près du Rhin, à 3 lieues S. E. de Mayence, 4 N. O. de Worms. Long. 25. 55. lat. 49. 48.

Quelques historiens attribuent la fondation d'Oppenheim à Drusus, d'autres aux empereurs Valentinien ou Gratien. Ce qu'il y a de sûr, c'est que du tems de Charlemagne, ce n'étoit qu'un village. Quant au bailliage d'Oppenheim, il n'a que deux places ; la capitale qui porte son nom & Ingelheim.


OPPERLEER(Comm. d'Hollande) on nomme ainsi en Hollande des peaux d'animaux apprêtées d'un côté, & chargées de l'autre de leur poil ou laine. Elles servent ordinairement à faire des couvertures, d'où elles ont pris leur nom. Ricard.


OPPIDO(Géog.) petite ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la Calabre ultérieure, avec un évêché suffragant de Régio. Elle est au pié de l'Apennin, à 10 lieues N. E. de Régio, 7 S. E. de Nicotera. Long. 34. 14. lat. 38. 18.


OPPIDUM(Littér. géog.) ce mot latin veut dire ordinairement une petite ville, & souvent ce que nous appellons un bourg ; mais les anciens, sur-tout les Poëtes, employoient indifféremment les mots urbes & oppida. D'un autre côté, les auteurs en prose, les Orateurs eux-mêmes ont employé ces deux mots indistinctement ; ce qui montre qu'ils les ont regardés comme synonymes. Cicéron dit que le mot oppidum venoit du secours que les hommes s'étoient promis mutuellement en demeurant les uns auprès des autres. Oppida, quod opem darent. Les habitans étoient nommés oppidani. (D.J.)


OPPILATIONS. f. (Médec.) ce mot est tiré du latin oppilatio, & signifie littéralement obstruction : il repond aux mots grecs & : aussi Rhodius remarque qu'on s'en servoit sur-tout pour désigner obstruction forte & serrée. On trouve souvent ce terme dans les anciens auteurs & traducteurs latins. Son usage est beaucoup moins fréquent depuis plus d'un siecle ; & à présent on ne l'emploie même plus dans cette signification. Dans le style familier il est assez usité, comme synonyme de pâles-couleurs, & principalement lorsque la maladie est légere, ou ne fait que commencer ; voyez PALES-COULEURS. On dit communément, l'oppilation est une maladie très-ordinaire aux jeunes filles, & funeste à leur beauté : de-là sont venues ces façons de parler usitées, une fille commence à s'oppiller, quand on la voit triste & rêveuse, que la couleur de son visage s'altere, & fait place à une couleur jaunâtre, qu'elle mange avec passion & en cachette des choses absurdes, nuisibles. Les cendres, le mortier sont des objets ordinaires de l'oppilation. Aucun remede ne désoppile plus sûrement, plus tôt & plus agréablement que le mariage. Voyez PALES-COULEURS, PICA, MARIAGE.


OPPORTUNOPPORTUNE, adj. (Gramm.) ils se disent du tems, du lieu & de toutes les circonstances qui rendent le succès d'une chose facile. L'occasion est opportune, ne la manquez pas. L'opportunité supplée souvent au défaut d'adresse. Ces mots sont peu d'usage.


OPPOSANTadj. (Gramm. & Jurisprud.) celui qui a intérêt à ce qu'une chose ne se fasse pas, & qui y forme obstacle. On dit, ces créanciers sont opposans à l'exécution d'une sentence qui les lese.


OPPOSERv. act. & neut. (Gram.) former un obstacle : on dit, la nature n'a opposé à l'homme aucune barriere que son ambition sacrilege, son avarice insatiable, son infatigable curiosité n'ait franchie : on oppose des digues à la violence des eaux & des passions : on oppose la patience à la force : l'intérêt des autres s'oppose toujours à nos desseins : le blanc n'est pas plus opposé au noir que son caractere & le mien : les poles d'une sphere sont diamétralement opposés : qu'opposez -vous à cette preuve ? qu'oppose -t-elle à ses persécuteurs ? des plaintes, des cris, des larmes, contre lesquelles ils se sont endurcis dès long-tems : si la fortune s'oppose à vos desseins, opposez à la fortune du courage & de la résignation : opposez -vous à la vente de ces effets.

OPPOSER : on dit d'un escrimeur, qu'il tire avec opposition quand il allonge une estocade en se garantissant de l'épée de l'ennemi ; c'est-à-dire que la pointe de son épée attaque le corps de l'ennemi, tandis que le talon défend le sien.

Pour tirer avec opposition, il faut en détachant une estocade quelconque placer le bras droit & la main comme pour la parer : on tire avec opposition quand on détache l'estocade comme je l'ai enseigné. Voyez ESTOCADE DE QUARTE, DE TIERCE, &c.

On peut dire que l'opposition est une parade, puisqu'on ne peut opposer sans faire un mouvement semblable à celui de parer. Quand on fait assaut, il faut être dans une continuelle opposition, & diriger la pointe de son épée sur l'estomac de l'ennemi, tandis que du talon de l'épée on met la sienne hors l'alignement du corps.

Cette opposition est une espece d'attaque, parce que l'ennemi qui veut comme vous diriger la pointe de son épée sur votre corps, ne souffre pas qu'elle en soit détournée, c'est pourquoi ce mouvement le détermine ou à dégager ou à forcer votre épée.


OPPOSÉSadj. (Géom.) ce terme s'emploie en divers cas : il y a des angles opposés par leur sommet. Supposons qu'une ligne droite A B, en coupe une autre C D, (Pl. Géom. fig. 86.) au point E, les angles x, o, opposés par le sommet sont égaux, ainsi que les angles y, E. Voyez ANGLE. Ces angles s'appellent aussi opposés au sommet, ou opposés par la pointe : la dénomination d'opposés au sommet est la plus commune.

Si une ligne S T, (Pl. Géom. fig. 46.) rencontre deux autres lignes, A P, B R, les angles u, x, ainsi que les angles z, y, formés par la rencontre de ces lignes, sont appellés angles opposés ; & en particulier l'angle u est nommé l'angle externe opposé de l'angle x, & z l'angle interne opposé de l'angle y : ces angles s'appellent aussi plus communément alternes. Voyez ALTERNE.

Des cônes opposés sont deux cônes semblables, opposés par le sommet, c'est-à-dire qui ont un même sommet commun, ainsi qu'un même axe. Voyez CONE.

On appelle aussi sections opposées deux hyperboles produites par un même plan, qui coupe deux cônes opposés. Voyez HYPERBOLE, CONE & CONIQUE.

Si un cône est coupé par un plan qui passe par son sommet, & ensuite par un second plan parallele au premier, & que l'on prolonge ce dernier plan, ensorte qu'il coupe le cône opposé, on formera par ce moyen des sections opposées. Voyez SECTION. Chambers. (E)

OPPOSE, adj. en terme de Blason, se dit de deux pieces peintes sur l'écu, lorsque la pointe de l'une regarde le chef, & celle de l'autre le bas du même écu.


OPPOSITIONS. f. se dit en Astronomie, de l'aspect ou de la situation de deux étoiles ou planetes, lorsqu'elles sont diamétralement opposées l'une à l'autre, c'est-à-dire éloignées de 180 degrés, ou de l'étendue d'un demi-cercle. Voyez CONJONCTION & SYRIGIE.

Quand la lune est diamétralement opposée au soleil, desorte qu'elle nous montre son disque entier éclairé, elle est alors en opposition avec le soleil, ce qu'on exprime communément en disant qu'elle est dans son plein, elle brille pour-lors tout le long de la nuit. Voyez LUNE & PHASE.

Les éclipses de lune n'arrivent jamais que quand cette planete est en opposition avec le soleil, & qu'elle se trouve outre cela proche des noeuds de l'écliptique. Voyez ÉCLIPTIQUE.

Mars dans le tems de son opposition avec le soleil est plus proche de la terre que du soleil ; cela vient, 1°. de ce que les orbites de mars & de la terre ont le soleil pour centre ou pour foyer commun ; 2°. de ce que dans le tems où mars est en opposition avec le soleil, la terre est entre cette planete & le soleil ; 3°. de ce que le rayon de l'orbite de mars est moins que double de la distance de la terre au soleil. Voyez MARS. Chambers. (O)

OPPOSITION, s. f. terme de Rhétorique, c'est une figure de rhétorique, par laquelle l'on joint deux choses qui en apparence sont incompatibles, comme quand Horace parle d'une folle sagesse, & qu'Anacréon dit que l'amour est une aimable folie. Cette figure qui semble nier ce qu'elle établit, & se contredire dans ses termes, est cependant très-élégante ; elle réveille plus que toute autre l'attention & l'admiration des lecteurs, & donne de la grace au discours, quand elle n'est point recherchée & qu'elle est placée à propos. Voulez-vous un exemple d'une opposition brillante moins marquée dans les mots que dans la pensée, je n'en puis guere citer de plus heureuse que celle de ces beaux vers de la Henriade, chant IX.

Les amours enfantins désarmoient ce héros,

L'un tenoit sa cuirasse encor de sang trempée,

L'autre avoit détaché sa rédoutable épée,

Et rioit, en tenant dans ses débiles mains

Ce fer l'appui du trône, & l'effroi des humains.

Il falloit dire, peut-être l'effroi des ennemis. (D.J.)

OPPOSITION, (Jurisprud.) signifie en général un empêchement que l'on met à quelque chose : il y a des oppositions de plusieurs sortes, savoir,

OPPOSITION A FIN D'ANNULLER, est une opposition au decret qui tend à faire annuller la saisie-réelle & les criées ; elle est ordinairement formée par la partie saisie, & se fait par rapport à la forme ou par rapport à la matiere.

L'opposition à fin d'annuller se fait par rapport à la forme lorsque la saisie-réelle ou les criées n'ont pas été valablement faites, c'est-à-dire que l'on n'y a pas observé les formalités établies par les ordonnances, coutumes & usages des lieux.

Elle se fait par rapport à la matiere quand la saisie-réelle & les criées ont été faites pour choses non dûes par celui sur qui elles ont été faites.

La partie saisie n'est pas la seule qui puisse s'opposer à fin d'annuller, un tiers peut aussi le faire lorsqu'il est propriétaire des héritages saisis réellement ; mais s'il y a quelque immeuble ou portion qui ne lui appartienne pas, il ne peut s'opposer qu'à sin de distraire. Voyez OPPOSITION A FIN DE DISTRAIRE.

Au-lieu de s'opposer à fin d'annuller, on prend souvent le parti d'interjetter appel de la saisie & de tout ce qui a suivi, & l'on peut également par cette voie parvenir à faire annuller la saisie-réelle & les criées si elles sont mal faites. Voyez le Traité de la vente des immeubles par decret. (A)

OPPOSITION A FIN DE CONSERVER, est celle qui est formée à un decret par un créancier de la partie saisie afin d'être colloqué pour son dû ; on l'appelle à fin de conserver, parce qu'elle tend à ce que l'opposant soit conservé dans tous ses droits, privileges & hypotheques, & à ce qu'il soit payé, sur le prix de l'adjudication, de tout ce qui lui est dû en principal, intérêts & frais, par privilege s'il en a un, ou par hypotheque s'il en a une.

Cette opposition est reçue par-tout jusqu'à l'adjudication, le saisissant est tenu d'en former une pour être colloqué. Voyez OPPOSITION EN SOUSORDRE.

Il y a une sorte d'opposition à fin de conserver, qui est une opposition au sceau pour être payé sur le prix d'un office. Voyez ci-après OPPOSITION AU SCEAU.

OPPOSITION AUX CRIEES, est la même chose qu'opposition au decret. Voyez aussi OPPOSITION A FIN D'ANNULLER, A FIN DE CHARGE, A FIN DE CONSERVER, & A FIN DE DISTRAIRE.

OPPOSITION AU DECRET VOLONTAIRE ou FORCE, est celle que l'on fait pour la conservation de quelque droit que l'on prétend avoir sur le prix saisi : il y en a de cinq sortes, savoir l'opposition à fin d'annuller, l'opposition à fin de charge, l'opposition à fin de conserver, l'opposition à fin de distraire, & l'opposition en sous-ordre. Voyez l'article qui concerne chacune de ces différentes sortes d'opposition.

L'opposition à un decret équivaut à une demande, de maniere que les intérêts courent du jour de l'opposition ; elle ne tombe point en peremption lorsqu'il y a établissement de commissaire & des baux faits en conséquence. Voyez CRIEE, DECRET, SAISIE-REELLE, SUBHASTATION.

OPPOSITION A LA DELIVRANCE, est lorsqu'un créancier, ou quelqu'autre prétendant droit à la chose, s'oppose à ce qu'aucune somme de deniers soit payée à quelqu'un, ou à ce qu'on leur fasse la délivrance d'un legs ou autre effet.

OPPOSITION A FIN D'HYPOTHEQUE, c'est ainsi que l'on appelle au parlement de Bordeaux ce que nous appellons communément opposition à fin de conserver. Voyez le recueil de Questions de M. Bretonnier au mot DECRET.

OPPOSITION A UN JUGEMENT. Voyez OPPOSITION A UN ARRET, POSITION A UNE SENTENCEENCE.

OPPOSITION A UN ARRET, a lieu dans plusieurs cas : on est recevable en tout tems à s'opposer à un arrêt par défaut faute de comparoir en refondant les frais de contumace, parce qu'il n'y avoit pas de procureur pour le défaillant ; il en est de même d'un arrêt sur requête, mais il faut s'opposer dans la huitaine de la signification aux arrêts par défaut faute de défendre ou faute de plaider : la tierce opposition à un arrêt se forme par ceux qui n'y ont pas été parties. Voyez ci-après OPPOSITION TIERCE.

Quand l'opposant est non-recevable dans son opposition, on le déclare tel ; ou s'il est seulement mal fondé, on le déboute de son opposition.

OPPOSITION A FIN DE CHARGE, est un empêchement formé à un decret volontaire ou forcé par celui qui prétend avoir quelque droit réel sur l'immeuble saisi, tel qu'un droit de servitude, une rente fonciere ou autre droit réel & inhérent à la chose ; il conclut à ce que l'immeuble saisi réellement ne soit vendu qu'à la charge du droit réel qu'il prétend avoir dessus, de maniere que l'adjudicataire en soit tenu, ainsi que l'étoit celui sur qui la saisie-réelle a été faite. Cette opposition doit être formée avant le congé d'adjuger ; cependant au châtelet & dans quelques-autres jurisdictions elle est reçue jusqu'à l'adjudication.

OPPOSITION AUX LETTRES DE RATIFICATION, est un empêchement que l'on forme entre les mains du greffier conservateur des hypotheques, pour empêcher qu'il ne soit expédié en la grande chancellerie des lettres appellées de ratification, dont l'effet est de purger les hypotheques sur les revenus du roi ou sur le clergé : ces oppositions n'ont d'effet que pendant une année.

Elles ne font point courir les intérêts de la créance comme l'opposition à un decret, parce que le conservateur des hypotheques n'a point de jurisdiction. Voyez l'Edit du mois de Mars 1673, le Traité de la vente des immeubles par decret, de M. d'Hericourt, ch. ix. & le mot LETTRES DE RATIFICATION. (A)

OPPOSITION MENDIEE, est lorsqu'une partie saisie fait former par un tiers, & avec qui il est d'intelligence, un empêchement à la vente de ses meubles ou de ses fonds pour éluder la vente. (A)

OPPOSITION A UN MARIAGE, est un empêchement que quelqu'un forme à la publication des bans, & à la célébration d'un mariage projetté entre deux autres personnes. Cette opposition empêche le curé de passer outre, jusqu'à-ce qu'on lui en apporte main-levée.

Les curés ou vicaires sont obligés d'avoir des registres pour y transcrire ces sortes d'oppositions, & les désistemens & main-levées qui en seront donnés par les parties, ou ordonnés par justice.

Ils doivent aussi faire signer les oppositions par ceux qui les font, & les mains-levées par ceux qui les donnent ; & s'ils ne les connoissent pas, ils doivent se faire certifier par quatre personnes dignes de foi, que ceux qui donnent la main levée sont ceux dont il est parlé dans l'acte.

L'official ne peut connoître que des oppositions où il s'agit de foedere matrimonii, comme quand l'opposant prétend que l'un des deux qui veulent contracter mariage ensemble est marié avec une autre personne, ou qu'il y a eu des fiançailles célebrées.

Mais les oppositions que l'on appelle treves, qui sont celles formées par les peres, meres, tuteurs, curateurs & autres, qui n'ont pour objet que des intérêts temporels, doivent être portées devant le juge séculier. Voyez l'arrêt du 20 Février 1733. (A)

OPPOSITION A L'ORDRE, est la même chose qu'opposition au decret, & singulierement que l'opposition à fin de conserver. Ce terme convient sur-tout dans les pays où on commence l'ordre avant de faire l'adjudication. Voyez le recueil de questions de M. Bretonnier, au mot decret.

OPPOSITION A UNE SAISIE, est un empêchement qu'un tiers forme à la vente d'une chose mobiliaire ou immobiliaire, soit qu'il prétende droit à la chose, ou seulement d'être payé sur le prix.

Toute opposition doit contenir élection de domicile ; & si c'est à un decret, elle doit être formée au greffe.

C'est une maxime que tout opposant est saisissant, c'est-à-dire que l'opposition équivaut à une saisie, l'opposition à une saisie réelle équivaut aussi à une demande par rapport aux intérêts. Voyez OPPOSITION AU DECRET.

OPPOSITION AU SCEAU est un empêchement qu'un créancier forme entre les mains de M. le garde des sceaux, en parlant au garde des rôles des offices de France, à ce qu'aucunes provisions ne soient scellées au préjudice de ses droits sur la procuration ad resignandum de son débiteur, pour faire passer en la personne d'un autre l'office dont il est revêtu.

L'usage de ces sortes d'oppositions commença du tems du garde des sceaux du Vair.

Ces oppositions ont non-seulement l'effet d'empêcher de sceller des provisions au préjudice des créanciers ; elles procurent aussi l'avantage aux créanciers opposans d'être préférés sur le prix de l'office à ceux qui n'ont pas formé opposition, quand même ils auroient un privilége spécial sur la charge.

Un mineur même n'est pas relevé du défaut d'opposition au sceau, sauf son recours contre son tuteur.

Il y a deux sortes d'opposition au sceau ; savoir, l'opposition au titre, & celle qu'on appelle à fin de conserver.

L'opposition au titre est celle qui se fait par ceux qui prétendent avoir droit à un office royal, pour empêcher qu'aucunes provisions n'en soient scellées à leur préjudice.

Elle ne peut être faite que par le vendeur ou par ses ayans cause, pour raison du prix de l'office qui leur est dû en tout ou en partie : il faut aussi ajouter ceux envers qui le titulaire est obligé pour fait de sa charge.

Celui qui a prêté les deniers pour l'acquisition, ne peut s'opposer qu'à fin de conserver, & non au titre.

L'opposition au titre doit être signée d'un avocat au conseil, chez lequel l'opposant élit domicile.

Elle ne dure que six mois ; desorte que si au bout de ce tems elle n'est pas renouvellée, elle ne sert de rien.

Quand l'opposition au titre est faite par des personnes qui n'avoient pas de qualité pour la faire, on en prononce la main-levée, avec dommages & intérêts.

L'opposition à fin de conserver est celle qui se forme par le créancier d'un titulaire, à l'effet de conserver ses droits, privileges & hypothèques sur le prix de l'office, au cas que le débiteur vienne à s'en démettre au profit d'une autre personne.

Cette opposition n'a pas besoin d'être signée d'un avocat au conseil ; elle n'empêche pas qu'on ne scelle des provisions ; elle opere seulement que les provisions ne sont scellées qu'à la charge de l'opposition ; son effet ne dure qu'un an.

Les huissiers au conseil & ceux de la grande chancellerie ont seuls le droit de signifier toutes les oppositions au sceau entre les mains des gardes des rôles, des conservateurs des hypotheques, & des gardes du trésor royal, & de signifier toutes les mains-levées pour raison de ces oppositions.

Ils sont pareillement seuls en droit de former les oppositions qui surviennent au titre ou au sceau des provisions des offices dépendans des ordres du roi, lesquelles oppositions doivent être formées entre les mains du chancelier garde des sceaux de ces ordres.

Aucune opposition au sceau ou au titre ne fait courir les intérêts, parce que ce n'est qu'un acte conservatoire. On forme de semblables oppositions pour les offices royaux établis dans l'étendue de l'apanage d'un prince entre les mains du chancelier de l'apanage, en parlant à son garde des rôles. Voyez l'édit du mois de Février 1683, la déclaration du 17 Juin 1703, les arrêts du conseil des 14 Mai 1740, & 2 Octobre 1742.

OPPOSITION AU SCELLE est un acte par lequel celui qui réclame quelqu'effet qui est sous le scellé, ou qui se prétend créancier, proteste que le scellé ne soit levé qu'à la charge de son opposition. Voyez SCELLE.

OPPOSITION A UNE SENTENCE est un acte par lequel on empêche l'exécution d'une sentence surprise sur requête ou par défaut. Voyez ce qui a été dit ci-dessus de l'opposition à un arrêt, & SENTENCE.

OPPOSITION EN SOUS-ORDRE est un acte par lequel le créancier d'un opposant à une saisie réelle s'oppose à ce que la somme par laquelle son débiteur sera colloqué dans l'instance d'ordre lui soit délivrée, & conclud à ce que sur ladite somme il soit payé de son dû.

L'opposition en sous-ordre doit être formée au greffe avant que le decret soit levé & scellé, autrement si elle n'est formée qu'entre les mains du receveur des consignations, elle n'est considérée que comme une saisie & arrêt.

Les opposans en sous-ordre sont colloqués pour la créance de leur débiteur, suivant l'ordre de son hypothèque & sur sa collocation, chacun d'eux est colloqué en sous-ordre, suivant la date de son hypothèque particuliere. Voyez M. d'Hericourt, tit. de la vente des immeubles par decret, & SOUS-ORDRE. (A)

OPPOSITION EN SURTAUX est un acte par lequel un particulier taillable qui prétend que sa cotte de taille est trop forte, eu égard à ses biens, commerce & industrie, se plaint de sa taxe, & demande une diminution, déclarant qu'il est opposant à la taxe faite de sa personne à une telle somme, & en même tems il donne assignation aux habitans à comparoir en l'élection, pour voir dire que sa cotte demeurera réduite à une telle somme. Voyez le code des tailles, & le mémorial alphabétique des tailles au mot OPPOSANT, & ci-après SURTAUX, TAILLE.

OPPOSITION TIERCE se dit de l'opposition qu'un tiers forme à un mariage, quoiqu'il ne prétende pas avoir d'engagement avec aucune des deux personnes qui veulent se marier ensemble ; telle est l'opposition des pere & mere, & autres parens, des tuteurs & curateurs, &c. Voyez MARIAGE & OPPOSITION AU MARIAGE.

OPPOSITION TIERCE est celle qui est formée contre un jugement par un tiers qui n'y a pas été partie contradictoire ni par défaut.

Cette opposition se peut former en tout tems, même contre les sentences, après le tems d'interjetter appel, parce que les sentences ne passent en force de chose jugée qu'à l'égard de ceux qui y ont été parties.

Elle se forme devant le juge qui a rendu le jugement : si l'opposition se trouve bien fondée, le jugement est retracté à l'égard du tiers-opposant seulement ; si l'opposant se trouve mal fondé, le tiers-opposant est condamné aux dépens & en l'amende portée par l'ordonnance, tit. 27. art. 10 ; savoir, 150 liv. si la tierce opposition est contre un arrêt, & 75 liv. si c'est contre une sentence.

OPPOSITION AU TITRE, c'est-à-dire au titre d'un office. Voyez ce qui est dit ci-dessus à l'article OPPOSITION AU SCEAU.

OPPOSITION A LA VENTE est l'empêchement qu'un tiers fait à la vente de biens saisis : par ce terme d'opposition à la vente, on entend principalement celle qui se fait en cas de saisie & exécution de meubles ; elle peut être faite par tous ceux qui prétendent avoir quelque droit soit de propriété, soit de privilege ou hypothèque sur les meubles. Voyez SAISIE & EXECUTION.

L'opposition à la vente d'un immeuble s'appelle communément opposition au decret. Voyez CRIEES, DECRET, SAISIE REELLE, OPPOSITION AU DECRET. (A)


OPPRESSEURS. m. OPPRIMER, v. act. (Gram.) terme relatif au mauvais usage de la puissance. On opprime, on mérite le nom d'oppresseur, on fait gémir sous l'oppression, lorsque le poids de notre autorité passe sur nos sujets d'une maniere qui les écrase, & qui leur rend l'existence odieuse. On rend l'existence odieuse en envahissant la liberté, en épuisant la fortune, en gênant les opinions, &c. Un peuple peut être opprimé par son souverain, un peuple par un autre peuple. Flechier dit qu'il y a peu de sureté pour les oppresseurs de la liberté des peuples ; mais c'est seulement dans les premiers instans de l'oppression. A la longue, on perd tout sentiment ; on s'abrutit, & l'on en vient jusqu'à adorer la tyrannie, & à diviniser ses actions les plus atroces. Alors il n'y a plus de ressource pour une nation, que dans une grande révolution qui la régénere. Il lui faut une crise.

Oppression a un sens relatif à l'économie animale. On se sent oppressé, lorsque le poids des alimens surcharge l'estomac. Il y a oppression de poitrine, lorsque la respiration est embarrassée, & qu'il semble qu'on ait un poids considérable à vaincre à chaque inspiration.


OPPRESSIONS. f. (Morale & politiq.) par un malheur attaché à la condition humaine, les sujets sont quelquefois soumis à des souverains, qui abusant du pouvoir qui leur a été confié, leur font éprouver des rigueurs que la violence seule autorise. L'oppression est toujours le fruit d'une mauvaise administration. Lorsque le souverain est injuste, ou lorsque ses représentans se prévalent de son autorité, ils regardent les peuples comme des animaux vils, qui ne sont faits que pour ramper, & pour satisfaire aux dépens de leur sang, de leur travail & de leurs trésors, leurs projets ambitieux, ou leurs caprices ridicules. En vain l'innocence gémit, en vain elle implore la protection des lois, la force triomphe & insulte à ses pleurs. Domitien disoit omnia sibi in homines licere ; maxime digne d'un monstre, & qui pourtant n'a été que trop suivie par quelques souverains.

OPPRESSION, s. f. (Médec.) symptome commun à diverses maladies ; c'est un sentiment d'étouffement & de suffocation dans l'hystérisme, & autres maux de nerfs : on ressent de l'oppression dans la poitrine, quand la respiration est lésée par quelque cause que ce soit ; on éprouve de l'oppression dans l'estomac, quand ce viscere exerce une digestion pénible. L'oppression qui vient d'une cause externe, se détruit en ôtant cette cause.


OPPROBRES. m. (Gram.) c'est le mépris de la société dans laquelle on est. Ce terme me semble du moins avoir rapport à une certaine collection d'hommes. Ceux qui ont une conduite opposée aux devoirs de leur état en sont l'opprobre ; on est l'opprobre de l'église, de la nation, de la littérature, de la magistrature, de l'état militaire. Pour complete r l'acception d'opprobre, à cette idée il faut encore en ajouter une autre, c'est l'extrême degré de la honte & du mépris, encouru apparemment par quelqu'action bien vile. Il se dit aussi d'une injure grieve. Les Juifs firent souffrir à J. C. mille opprobres.


OPSS. f. (Mythol.) c'est la même déesse que Rhéa, femme de Saturne, & les anciens adoroient sous ce nom la terre, à cause de sa fécondité. On représentoit Ops comme une matrone vénérable, qui tendoit la main droite, c'est-à-dire, offroit son secours à tout le monde, & de la gauche elle distribuoit du pain aux malheureux. Ceux qui lui sacrifioient étoient assis pendant le sacrifice pour marquer la stabilité de la déesse. Elle avoit un temple à Rome, que lui voua T. Tatius, rois des Sabins ; c'étoit dans ce temple qu'étoit le trésor. César y mit jusqu'à sept cent millions de sesterces, ce qui faisoit plus de soixante-dix-millions de notre monnoie. Antoine distribua cet argent à ses amis & à ses créatures. Jugez par-là combien il enrichit de gens tout d'un coup. Nous n'avons point d'idée de pareilles profusions. (D.J.)


OPSONOMES. m. (Hist. anc.) nom qu'on donnoit dans l'antiquité à une sorte de magistrats d'Athènes, qui étoient au nombre de deux ou trois, & qu'on prenoit dans le sénat ou dans le concile douteux.

Leur charge consistoit à avoir l'inspection du marché au poisson, & à prendre soin que tout s'y fît dans l'ordre & conformément aux lois.


OPTATIFadj. (Gram.) une proposition optative est celle qui énonce un souhait, un desir vif. Cet adjectif se prend substantivement dans la grammaire grecque, pour désigner un mode qui est propre aux verbes de cette langue.

L'optatif est un mode personnel & oblique, qui renferme en soi l'idée accessoire d'un souhait.

Il est personnel, parce qu'il admet toutes les terminaisons relatives aux personnes, au moyen desquelles il se met en concordance avec le sujet.

Il est oblique, parce qu'il ne peut servir qu'à constituer une proposition incidente, subordonnée à un antécédent qui n'est qu'une partie de la proposition principale. Par-là même, c'est un mode mixte comme le subjonctif ; parce que cette idée accessoire de subordination & de dépendance, qui est commune à l'une & à l'autre, quoique compatible avec l'idée essentielle du verbe, n'y est pourtant pas puisée, mais lui est totalement étrangere. Au reste, l'optatif est doublement mixte, puisqu'il ajoute à la signification totale du subjonctif, l'idée accessoire d'un souhait, qui n'est pas moins étrangere à la nature du verbe. Voyez MODE & OBLIQUE.

Cette remarque me paroît bien plus propre à fixer l'optatif après le subjonctif dans l'ordre des modes, que la raison alléguée par la méthode grecque de P. R. liv. VIII. ch. x. d'après la doctrine d'Apollone d'Alexandrie, lib. III. cap. xxxix. L'optatif en général admet les mêmes différences de tems que le subjonctif.

Quelques auteurs de rudimens pour la langue latine, avoient cru autrefois qu'à l'imitation de la langue grecque, il falloit y admettre un optatif, & l'on y trouvoit doctement écrit ; optativo modo, tempore praesenti & imperfecto utinam amarem, plut à Dieu que j'aimasse ! &c. Mais puisque, comme le dit la grammaire générale, part. II. ch. xvj. & comme le démontre la saine raison, " Ce n'est pas seulement la maniere différente de signifier qui peut être fort multipliée, mais les différentes inflexions qui doivent faire les modes " ; il est évident qu'il n'est pas moins absurde de vouloir trouver dans les verbes latins, un optatif semblable à celui des verbes grecs, qu'il ne l'est de vouloir que nos noms aient six cas comme les noms latins, ou que dans , au-dessus de tous les Théologiens, , quoiqu'au génitif, est à l'accusatif, parce qu'en latin on diroit, suprà ou ante omnes theologos. " C'est, dit M. du Marsais (art. DATIF), abuser de l'analogie, & n'en pas connoître le véritable usage, que d'en tirer de pareilles inductions ". (B. E. R. M.)


OPTERv. n. (Gramm.) il est synonyme à choisir. Il faut opter entre la haine ou l'amour des peuples. Voyez l'article OPTION.


OPTERESou OPTERIES, s. f. (Hist. anc.) c'étoit chez les anciens le présent qu'on faisoit à un enfant la premiere fois qu'on le voyoit. Ce mot vient de grec , je vois, Opterie se disoit aussi des présens qu'un nouveau marié faisoit à son épouse, quand on le conduisoit chez elle & qu'on le lui présentoit. Voyez Bartholin, de puer. veter.


OPTICIENS. m. (Gram.) celui qui fait les instrumens de l'Optique, ou qui donne des leçons de cette science.


OPTIMATESS. m. pl. (Hist. anc.) terme dont on se servoit autrefois pour désigner une des portions du peuple romain, qui étoit opposée à populares. Voyez POPULAIRE.

Selon la distinction des optimates & des populares, donnée par Cicéron, les optimates étoient les meilleurs citoyens, & ceux qui ne cherchoient dans leurs actions que l'approbation de la plus saine partie ; & les populares au contraire, sans se soucier de cette espece de gloire, ne cherchoient pas tant ce qui étoit juste & bon en soi, que ce qui étoit agréable au peuple, & qui pouvoit leur être utile à eux-mêmes.

D'autres disent que les optimates étoient les plus ardens défenseurs de la dignité des premiers magistrats, & les plus zélés pour la grandeur de l'état ; qui ne s'embarrassoient point que les membres inférieurs de l'état souffrissent, pourvû que cela servît à augmenter l'autorité des chefs ; & que les populares au contraire, étoient ceux qui recherchoient la faveur du bas peuple, & qui l'excitoient à demander les plus grands privileges pour contrebalancer la puissance des grands.


OPTIMISMES. m. (Phil.) on appelle ainsi l'opinion des philosophes qui prétendent que ce monde-ci est le meilleur que Dieu pût créer, le meilleur des mondes possibles. Le pere Malebranche, & sur-tout M. Léibnitz, ont fort contribué à accréditer cette opinion, voyez MALEBRANCHISME & LEIBNITZIANISME. C'est principalement dans la théodicée que le dernier de ces philosophes a expliqué & développé son système. On peut en voir une idée dans son éloge par M. de Fontenelle, mémoires de l'académie, année 1716. Il prétend par exemple, que le crime de Tarquin qui viola Lucrece, étoit accessoire à la beauté & à la perfection de ce monde moral, parce que ce crime a produit la liberté de Rome, & par conséquent toutes les vertus de la république romaine. Mais pourquoi les vertus de la république romaine avoient-elles besoin d'être précédées & produites par un crime ? Voilà ce qu'on ne nous dit pas, & ce qu'on seroit bien embarrassé de nous dire. Et puis, comment accorder cet optimisme avec la liberté de Dieu, autre question non moins embarrassante ? Comment tant d'hommes s'égorgent-ils dans le meilleur des mondes possibles ? Et si c'est-là le meilleur des mondes possibles, pourquoi Dieu l'a-t-il créé ? La réponse à toutes ces questions est en deux mots : o altitudo ! &c. Il faut avouer que toute cette métaphysique de l'optimisme est bien creuse. (O)


OPTIMUSMAXIMUS, (Littérat.) c'est le nom le plus ordinaire que les anciens romains donnoient à Jupiter, comme étant celui qui caractérisoit le mieux la divinité dans ses deux principaux attributs, la souveraine bonté & la souveraine puissance. (D.J.)


OPTIONS. f. (Jurisprud.) signifie quelquefois la faculté que l'on a de choisir une chose entre plusieurs. Quelquefois aussi l'on entend par le terme d'option, le choix même qui a été fait en conséquence de cette faculté : celui qui a une fois consommé son option ne peut pas varier.

Le droit d'option qui appartenoit au défunt, n'étant pas consommé, est transmissible aux héritiers directs ou collatéraux. Voyez Bacquet, des droits de justice, ch. xv. n. 77. Duplessis, traité du douaire, & traité de la continuation de communauté. (A)

OPTION, s. f. (Art milit. des Rom.) optio, officier d'infanterie, aide du centurion : on l'appelloit autrement uragus ; il marchoit à la queue des bandes, & son poste répondoit à celui de nos sergens. On l'appelloit option, du mot opto, je choisis, parce qu'il dépendoit du centurion de choisir qui il vouloit pour cet emploi ; cependant dans les commencemens de la république, l'option étoit nommé par le tribun ou le chef de la légion. (D.J.)


OPTIQUEen Anatomie, est la dénomination qu'on donne à deux nerfs de la seconde conjugaison, qui prennent leur origine des cuisses de la moëlle allongée, & qui vont aux yeux. Voyez Planche anat. & leur explic. Voyez aussi au mot NERF.

Ces nerfs s'approchent peu-à-peu, à mesure qu'ils s'éloignent de leur origine, & s'unissent enfin à la base du cerveau, proche de l'entonnoir. Ils se séparent ensuite, mais sans se croiser, & il en va un à chaque oeil. Voyez OEIL.

Ils sont revêtus de deux tuniques qui viennent de la dure & de la pie-mere, & forment par leurs expansions les deux membranes des yeux, qu'on appelle la choroïde & la sclérotique. Voyez CHOROÏDE & SCLEROTIQUE.

La rétine qui est une troisieme membrane, & l'organe immédiat de la vûe, n'est que l'expansion de la partie fibreuse ou intérieure de ces nerfs. Voyez RETINE.

La construction des nerfs optiques est tout-à-fait différente de celle des autres nerfs, qui tous paroissent composés de fibres dures ; car ceux-ci avant d'entrer dans l'orbite de l'oeil, ne sont qu'une tunique ou un canal formé par la pie-mere, qui enferme une production de la moëlle du cerveau, & que l'on en fait aisément sortir. A leur entrée dans les yeux ils reçoivent une autre tunique de la dure-mere ; & ces deux tuniques sont attachées ensemble par des filets prodigieusement menus. Celle qui est formée par la pie-mere se prolonge jusqu'à la choroïde, & celle qui l'est par la dure-mere, jusqu'à l'uvée.

Depuis leur entrée dans l'orbite de l'oeil jusqu'à la prunelle, la moëlle enfermée dans ces deux tuniques se sépare en une grande quantité de petites cellules qui répondent l'une à l'autre. Voyez VISION.

Le lecteur ne sera point surpris si nous ajoutons ici differens points qui peuvent servir à expliquer divers phénomenes de la vision. Il saura donc qu'on a beaucoup disputé sur l'union de ces nerfs. Galien dit qu'ils se joignent & ne se croisent pas, comme Gabriel de Zerbis & autres l'ont pensé depuis. Vésale a confirmé la chose par une expérience. Dans une maladie il trouva le nerf droit plus grêle, devant & derriere leur union ; le gauche au contraire, étoit dans son état naturel ; Valverda dit avoir souvent fait la même remarque. Riolan, Santorini, Cheselden, Loeselius viennent à l'appui du même fait ; Vésale a encore l'exemple d'un homme dont les nerfs n'étoient pas unis, & qui n'avoit rien de dérangé dans la vision. Charles Etienne, Columbus, Cassérius, Hovius, Briggs & Boerhaave sont tous du même avis.

Galien dit que cette union est cause que nous ne voyons qu'un objet, quoique nous ayons deux yeux. Ensuite le grand Newton a proposé dans ses petites questions, la même opinion qu'avoit notre auteur ; savoir que la moitié droite des deux yeux venoit de la couche droite du cerveau, & que les moitiés gauches de l'un & l'autre oeil, venoient de la couche gauche. Voilà en passant, la raison pour laquelle les maux de l'oeil droit passent si facilement dans l'oeil gauche. Lorsqu'on coupe le nerf optique droit, les deux yeux perdent la vûe, suivant l'observation de Magatus. Dans les paralysies chroniques, les deux yeux sont presque inutiles, au jugement de S. Yves ; & Méibom a vu une paralysie à l'oeil droit naître de la blessure du gauche. Selon Stenon les nerfs ne sont point unis dans leur épaisseur, si ce n'est dans le lamia. Willis, Briggs, &c. sont dans la même opinion. Monro, Bartholin & autres, prétendent aussi que cette union ne se trouve point dans le caméleon ; mais MM. de l'académie de Paris, ont démontré après Valisnieri, que ces nerfs s'unissoient dans cet animal comme dans tous les autres, à l'entrée du nerf optique. Dans l'oeil il y a une papille évidente, applatie : au milieu du fond de cette papille sort une artériole, très-facile à voir dans le boeuf, décrite dans le lion, par MM. de l'académie de Paris, par Perrault, Ridley, Morgagni, &c : il y en a quelquefois plusieurs ensemble. De Haller, comment. Boerh.

OPTIQUE, s. f. (Ordre encyclop. Entendement, Raison. philosoph. ou science, Science de la nat. Mathém. Mathématiques mixtes, Optique), est proprement la science de la vision directe, c'est-à-dire, de la vision des objets par des rayons qui viennent directement & immédiatement de ces objets à nos yeux sans être ni rompus, ni réfléchis par quelque corps. Voyez DIVISION. Ce mot vient du grec , je vois.

Optique, se dit aussi dans un sens plus étendu de la science de la vision en général. Voyez VISION, &c.

L'Optique prise en ce dernier sens, renferme la Catoptrique & la Dioptrique, & même la Perspective. Barrow nous a donné un ouvrage intitulé lectiones opticae, leçons optiques, dans lesquelles il ne traite que de la Catoptrique & de la Dioptrique. Voyez CATOPTRIQUE, DIOPTRIQUE, RSPECTIVETIVE.

On appelle aussi quelquefois Optique, la partie de la Physique qui traite des propriétés de la lumiere & des couleurs, sans aucun rapport à la vision ; c'est cette science que M. Newton a traitée dans son admirable optique, où il examine les différens phénomenes des rayons de différentes couleurs, & où il donne sur ce sujet une infinité d'expériences curieuses. On trouve dans le recueil des opuscules du même auteur, imprimé à Lausanne, en 3 vol. in -4°. un autre ouvrage intitulé lectiones opticae, dans lequel il traite non-seulement des propriétés générales de la lumiere & des couleurs, mais encore des lois générales de la Dioptrique. Voyez LUMIERE & COULEUR.

L'Optique prise dans le sens le plus particulier & le plus ordinaire qu'on donne à ce mot, est une partie des mathématiques mixtes, où l'on explique de quelle maniere la vision se fait, où l'on traite de la vûe en général, où l'on donne les raisons des différentes modifications ou altérations des rayons dans leur passage au-travers de l'oeil, & où l'on enseigne pourquoi les objets paroissent quelquefois plus grands, quelquefois plus petits, quelquefois plus distincts, quelquefois plus confus, quelquefois plus proches, quelquefois plus éloignés, &c. Voyez VISION, OEIL, APPARENT, &c.

L'Optique est une branche considérable de la Philosophie naturelle, tant parce qu'elle explique les lois de la nature, suivant lesquelles la vision se fait, que parce qu'elle rend raison d'une infinité de phénomenes physiques qui seroient inexplicables sans son secours. En effet, n'est-ce pas par les principes de l'Optique qu'on explique une infinité d'illusions & d'erreurs de la vûe, une grande quantité de phénomenes curieux, comme l'arc-en-ciel, les parhélies, l'augmentation des objets par le microscope & les lunettes ? Sans cette science, que pourroit-on dire de satisfaisant sur les mouvemens apparens des planetes, & en particulier sur leurs stations & rétrogradations, sur leurs éclipses, &c. ?

On voit par conséquent que l'Optique fait une partie considérable de l'Astronomie, & de la Physique.

Mais cette partie si importante des mathématiques, est d'une difficulté qui égale au-moins son utilité. Cette difficulté vient de ce que les lois générales de la vision tiennent à une métaphysique fort élevée, dont il ne nous est permis d'appercevoir que quelques rayons. Aussi n'y a-t-il peut-être point de science sur laquelle les Philosophes soient tombés dans un plus grand nombre d'erreurs ; il s'en faut même beaucoup encore aujourd'hui, que les principes généraux de l'Optique & ses lois fondamentales, soient démontrées avec cette rigueur & cette clarté qu'on remarque dans les autres parties des Mathématiques. On ne viendra à bout de perfectionner cette science, que par un grand nombre d'expériences, & par les combinaisons qu'on fera de ces expériences entr'elles, pour tâcher de découvrir d'une maniere sûre & invariable les lois de la vision, & les causes des différens jugemens, ou plutôt des différentes erreurs de la vûe. Pour se convaincre de ce que nous venons d'avancer, comme aussi pour se mettre au fait des progrès de l'Optique, & du chemin qui lui reste encore à faire, il suffira de parcourir les principaux ouvrages qui en traitent.

Il est assez probable, selon M. de Montucla, dans son hist. des Mathématiques, que la propagation de la lumiere en ligne droite, & l'égalité des angles d'incidence & de réflexion (voyez LUMIERE), fut connue des Platoniciens ; car bientôt après, on voit ces vérités admises pour principes. On attribue à Euclide deux livres d'Optique, que nous avons sous son nom, & dont le premier traite de l'Optique proprement dite, le second de la Catoptrique, la Dioptrique étant alors inconnue ; mais cet ouvrage est si plein d'erreurs, que M. Montucla doute avec raison s'il est de cet habile mathématicien, quoiqu'il soit certain qu'il avoit écrit sur l'Optique : d'ailleurs M. Montucla prouve invinciblement que cet ouvrage a du-moins été fort altéré dans les siecles suivans, & qu'ainsi il n'est pas au-moins tel qu'Euclide l'avoit fait.

Ptolémée, l'auteur de l'Almageste (voyez ALMAGESTE & ASTRONOMIE), nous avoit laissé une optique fort étendue qui n'existe plus. Dans cette optique, comme nous l'apprenons par Alhasen, & par le moine Bacon qui la citent, Ptolémée donnoit une assez bonne théorie pour son tems de la réfraction astronomique, & une assez bonne explication du phénomene de la lune vue à l'horison, explication à-peu-près conforme à celle que le pere Malebranche en a donné depuis. Voyez VISION & APPARENTE. On y trouvoit aussi la solution de ce beau problème de Catoptrique, qui consiste à trouver le point de réflexion sur un miroir sphérique, l'oeil & l'objet étant donnés. Du reste, à en juger par l'optique d'Alhasen, qui paroît n'être qu'une copie de celle de Ptolémée, il y a lieu de croire que celle-ci contenoit beaucoup de mauvaise physique. Cet Alhasen étoit un auteur arabe, qui vivoit, à ce qu'on croit, vers le xij. siecle ; son optique, quoique très-imparfaite, même quant à la partie mathématique, est fort estimable pour son tems : Vitellion qui l'a suivi, n'a guere fait que le copier en le mettant dans un meilleur ordre.

Maurolicus de Messine, en 1575, commença à dévoiler l'usage du crystallin dans son livre de lumine & umbrâ, & il résolut très-bien le premier la question proposée par Aristote, pourquoi l'image du soleil reçue à-travers un trou quelconque, est semblable à ce trou à une petite distance, & circulaire, lorsqu'elle s'éloigne beaucoup du trou ?

Porta dans son livre de la Magie naturelle, donna les principes de la chambre obscure (voyez CHAMBRE OBSCURE) ; & cette découverte conduisit Kepler à la découverte de la maniere dont se fait la vision ; ce grand homme apperçut & démontra que l'oeil étoit une chambre obscure, & expliqua en détail la maniere dont les objets venoient s'y peindre. (Voyez VISION & OEIL ARTIFICIEL.) C'est ce que Kepler a détaillé dans son Astronomiae pars optica, seu paralypomena in Vitellionem ; ouvrage qui contient beaucoup d'autres remarques d'Optique très-intéressantes. Antoine de Dominis, dans un ouvrage assez mauvais d'ailleurs, donna les premieres idées de l'explication de l'arc-en-ciel (voyez ARC-EN-CIEL), Descartes la perfectionna, & Newton y mit la derniere main. Jacques Gregori, dans son optica promota, proposa plusieurs vûes nouvelles & utiles pour la perfection des instrumens optiques, & sur les phénomenes de la vision, par les miroirs ou par les verres. Barrow, dans ses lectiones opticae, ajouta de nouvelles vérités à celles qui avoient déja été découvertes. Voyez DIOPTRIQUE, MIROIR, & CATOPTRIQUE ; mais le plus considérable & le plus complet de tous les ouvrages qui ont été faits sur l'Optique, est l'ouvrage anglois de M. Smith, intitulé opticks, système complet d'Optique, en deux volumes in -4°. L'auteur y traite avec beaucoup d'étendue tout ce qui appartient à la vision, soit par des rayons directs, soit par des rayons réfléchis, soit par des rayons rompus. A l'égard des inventions des lunettes, des télescopes, &c. Voyez ces mots à leurs articles.

De l'Optique naît la Perspective, dont toutes les regles sont fondées sur celles de l'Optique ; la plûpart des auteurs, entr'autres le pere Jacquier, font de la Perspective une partie de l'Optique : quelques-uns, comme Jean, évêque de Cantorbery, dans sa perspectiva communis, réunissent l'Optique, la Catoptrique, & la Dioptrique, sous le nom général de perspective. Voyez PERSPECTIVE.

L'Optique en général, soit qu'elle ne considere que la vision par des rayons directs, soit qu'elle considere la vision par des rayons réfléchis ou rompus, a principalement deux questions à résoudre ; celle de la distance apparente de l'objet ou du lieu auquel on le voit, sur quoi voyez DISTANCE & APPARENT, & celle de la grandeur apparente du même objet, sur quoi voyez l'article APPARENCE & l'article VISION. A l'égard des lois de la vision par des rayons réfléchis ou rompus, voyez aux articles APPARENT, MIROIR, CATOPTRIQUE, & DIOPTRIQUE, ce que l'on sait jusqu'à présent sur ce sujet, & qui laisse encore beaucoup à desirer, ainsi que les lois connues ou admises jusqu'à présent sur la vision directe. Voyez aussi la suite de cet article sur les inégalités optiques.

OPTIQUE, pris adjectivement, se dit de ce qui a rapport à la vision. Voyez VISION, &c.

Angle optique, Voyez ANGLE.

Cône optique, est un faisceau de rayons, qu'on imagine partir d'un point quelconque d'un objet, & venir tomber sur la prunelle pour entrer dans l'oeil. Voyez plus bas PINCEAU OPTIQUE.

Axe optique, est un rayon qui passe par le centre de l'oeil, & qui fait le milieu de la pyramide ou du cône optique. Voyez AXE.

Chambre optique, voyez CHAMBRE OBSCURE.

Verres optiques, sont des verres convexes ou concaves, qui peuvent réunir ou écarter les rayons, & par le moyen desquels la vûe est rendue meilleure, ou conservée si elle est foible, &c. Voyez VERRE, LENTILLE, LUNETTE, MENISQUE, &c.

Inégalité optique, se dit en Astronomie, d'une irrégularité apparente dans le mouvement des planetes ; on l'appelle apparente, parce qu'elle n'est point dans le mouvement de ces corps, mais qu'elle ne vient que de la situation de l'oeil du spectateur, qui fait qu'un mouvement qui seroit uniforme, ne paroît pas tel ; cette illusion a lieu, lorsqu'un corps se meut uniformément dans un cercle, dont l'oeil n'occupe pas le centre. Car alors le mouvement de ce corps ne paroît pas uniforme, au lieu que si l'oeil étoit au centre du mouvement, il le verroit toujours uniforme.

On peut faire voir par l'exemple suivant, en quoi consiste l'inégalité optique. Supposons qu'un corps se meuve dans la circonférence du cercle A B D E F G Q P (Planche optique, fig. 40.), & qu'il parcoure les arcs égaux A B, B D, D E, E F, en tems égaux ; supposons ensuite que l'oeil soit dans le plan du même cercle, mais qu'il soit hors du cercle, par exemple en O, & qu'il voie de-là le mouvement du corps dans le cercle A B Q P : lorsque le corps vient de A en B, son mouvement apparent est mesuré par l'angle A O B, ou par l'arc H L, qu'il semble décrire ; mais dans un tems égal, qu'il met ensuite à parcourir l'arc B D, son mouvement apparent est mesuré par l'angle B O D, ou par l'arc L M, qui est moindre que le premier arc H L : quand le corps sera arrivé en D, il sera vu au point M de la ligne N L M. Or il emploie le même tems à parcourir D E, qu'à parcourir A B ou B D, & quand il est arrivé en E, il est vu encore en M, c'est-à-dire, qu'il paroît à-peu-près stationnaire pendant le tems qu'il parcourt D E. Quand il vient ensuite en F, l'oeil le voit en L, & quand il est en G, il paroît en H, desorte qu'il semble avoir retourné sur ses pas, ou être devenu rétrograde ; enfin, depuis Q jusqu'en P, il paroît de nouveau à-peu-près stationnaire. Voyez STATION & RETROGRADATION.

On voit par cette explication, que l'inégalité dont nous parlons, dépend de la situation de l'oeil qui n'est point au centre du mouvement de la planete : car si l'oeil au lieu d'être en O, est transporté au point C (fig. 40. n °. 2.), & qu'il y demeure pendant tout le tems d'une révolution de la planete, il est évident que puisque la planete parcourt selon notre supposition des arcs de cercle égaux dans des tems égaux, le spectateur n'appercevra du point C, que des mouvemens parfaitement égaux entr'eux.

Si l'on prenoit dans le cercle tout autre point que le centre, & que l'observateur fût, par exemple, (fig. 40. n °. 3.) situé au point O, entre le centre & la circonférence : alors quoique la même planete parcourût des arcs égaux dans des tems égaux, son mouvement paroîtroit néanmoins fort inégal, vu du point O : car lorsque la planete sera dans sa plus grande distance du point A, son mouvement paroîtra fort lent ; au contraire il paroîtra très-rapide lorsqu'elle se sera approchée du point C, le plus près qu'il est possible ; ce qui est évident, puisque l'angle C O D est beaucoup plus grand que l'angle A O B, quoique les arcs A B, C D, soient égaux entr'eux. Cependant il faut bien remarquer, que dans cette supposition de l'oeil placé entre le centre & la circonférence, jamais la planete ne sauroit paroître stationnaire ni rétrograde ; d'où il s'ensuit, que s'il arrivoit que l'observateur vînt à découvrir la planete tantôt directe, tantôt stationnaire, & tantôt rétrograde, il faudroit conclure qu'il auroit lui-même un mouvement particulier, & que son oeil ne seroit plus situé dans un point fixe ou immobile, comme on l'a supposé jusqu'ici. Instit. astron. p. 14.

Il est visible par la figure 40. n°. 2. que si l'oeil est placé en O, & que le corps se meuve uniformément autour du centre C, son mouvement paroîtra s'accélérer continuellement de A en M ; car les arcs A B, B N, N D, &c. étant supposés égaux, les angles A O B, B O N, N O D, &c. vont toujours en croissant, & le mouvement à de très-grandes distances est proportionnel à ces angles. Voyez APPARENT.

On appelle cette inégalité inégalité optique, pour la distinguer de l'inégalité réelle ; car dans l'explication que nous venons de donner de l'inégalité optique, nous avons supposé que le mouvement de la planete ou du corps dans la courbe A E G P étoit uniforme, & que cette courbe étoit un cercle, au lieu qu'en effet cette courbe est une ellipse dont la planete ne parcourt point des arcs égaux en tems égaux. Ainsi le mouvement des planetes est tel qu'il n'est pas uniforme en lui-même, & que quand il le seroit, il ne nous le paroîtroit pas. C'est pourquoi on distingue dans ce mouvement deux inégalités, l'une optique, l'autre réelle. Voyez ABSOLU & EQUATION.

Si un corps se meut autour d'un point quelconque, desorte qu'il décrive autour de ce point des aires proportionnelles aux tems, sa vîtesse angulaire apparente à chaque instant, sera en raison inverse du quarré de la distance ; car puisque l'instant étant constant, l'aire est constante, l'arc circulaire décrit du centre & du rayon vecteur est en raison inverse de la distance. Or pour avoir l'angle, il faut diviser cet arc par le rayon ; donc la vîtesse angulaire, ou l'angle décrit pendant un instant constant, est en raison inverse du quarré de la distance au centre. Or dans les planetes cette vîtesse angulaire est la vîtesse apparente, parce que les planetes étant fort éloignées, paroissent toujours à l'oeil se mouvoir circulairement. Voyez APPARENT.

On appelle en général illusions optiques, toutes les erreurs où notre vûe nous fait tomber sur la distance apparente des corps, sur leur figure, leur grandeur, leur couleur, la quantité & la direction de leur mouvement. Voyez APPARENT, &c.

Pinceau optique, ou pinceau de rayon, c'est l'assemblage des rayons, par le moyen desquels on voit un point ou une partie d'un objet. Voyez PINCEAU.

Quelques écrivains d'Optique regardent ces prétendus pinceaux comme une chimere. Cependant on ne sauroit douter de l'existence de ces pinceaux, si on fait réflexion que chaque point d'un objet pouvant être vû de tous côtés, envoye nécessairement des rayons de toutes parts & dans toutes sortes de directions, & que par conséquent plusieurs de ces rayons tombent à-la-fois sur la prunelle qui a une certaine largeur, & que ces rayons traversent ensuite le globe de l'oeil où ils sont rompus & rapprochés par les différentes liqueurs dont le globe de l'oeil est composé, de maniere qu'ils se réunissent au fond de l'oeil. Cette réunion est nécessaire pour la vision distincte ; & le fond de l'oeil est une espece de foyer où doivent se rassembler les rayons que chaque point de l'objet envoie. Voyez la fig. 39 d'Optique, où B est le point visible ; G S, le crystallin, & C, le foyer des rayons envoyés sur le crystallin. Voyez aussi VISION.

Lieu optique d'une étoile, c'est le point du ciel où il paroît à nos yeux qu'elle est. Voyez LIEU.

Ce lieu est ou vrai ou apparent ; vrai, quand l'oeil est supposé au centre de la terre ou de la planete de laquelle on suppose qu'il voit ; & apparent, quand l'oeil est hors du centre de la terre ou de la planete. Voyez APPARENT & PLANETE. La différence du lieu vrai au lieu apparent, forme ce que nous appellons parallaxe. Voyez PARALLAXE.

Pyramide optique se dit dans la perspective d'une pyramide A B C O (Pl. perspect. fig. 1.) dont la base est l'objet visible A B C, & dont le sommet est dans l'oeil O. Cette pyramide est formée par les rayons qui viennent à l'oeil des différens points de la circonférence de l'objet.

On peut aussi entendre facilement par cette définition ce que c'est que le triangle optique. C'est un triangle comme A C O, dont la base est une des lignes droites A C de la surface de l'objet, & dont les côtés sont les rayons O A, O C.

Rayons optiques se dit principalement de ceux qui terminent une pyramide ou un triangle optique, comme O A, O C, O B, &c. Chambers. (O)


OPULENCES. f. OPULENT, adj. (Gram.) termes qui désignent la grande richesse, ou celui qui la possede. Nous ne dirons ici qu'un mot, bien capable d'inspirer du mépris pour l'opulence, & de consoler ceux qui vivent indigens ; c'est qu'il est rare qu'elle n'augmente pas la méchanceté naturelle, & qu'elle fasse le bonheur.


OPUNTE(Géog. anc.) en latin Opus, au génitif Opuntis, ancienne ville de Grece dans la Locride : c'étoit la capitale des Locres Opuntiens. Strabon fait cette ville métropole des Locres Epicnemidiens ; c'est qu'avec le tems, les Locres Opuntiens furent distingués des Epicnemidiens. Opunte étoit à demi-lieue de la mer, sur un golfe nommé par les anciens Opuntius sinus. Ce golfe est proprement le détroit qui sépare l'Eubée de ce pays, & qui s'élargit dans cet endroit. Tous les anciens ont parlé d'Opunte, Homere, Pindare, Strabon, Mela, Tite-Live, &c. C'étoit la patrie de Patrocle au rapport d'Ovide après Homere, qui en étoit encore mieux instruit. (D.J.)


OPUNTIA(Botaniq.) genre de plante, dont voici les caracteres. Sa fleur a plusieurs pétales étendus en rose ; du milieu de ces pétales part un grand nombre d'étamines, situées sur la sommité de l'ovaire. L'ovaire dégénere ensuite en un fruit charnu, qui a un nombril & une pulpe molle, dans laquelle sont contenues plusieurs semences ordinairement anguleuses.

Tournefort compte neuf especes d'opuntia, & Miller onze, entre lesquelles il y en a dix étrangeres, & natives des Indes occidentales. Nous appellons en France cette plante figuier d'Inde ou raquette. Voyez RAQUETTE.

L'arbre sur lequel se nourrit la cochenille est l'espece d'opuntia, que le chevalier Hans-Sloane appelle opuntia maxima, folio oblongo, rotundo, majore, spinulis obtusis, mollibus, obrito flore, striis rubris, variegato. Hist. Jamaï. ij. 152. On en a parlé au mot NOPAL, qui est le nom des Américains. (D.J.)


OPUNTIOIDES(Botan.) plante marine, espece de lichen, dure, fragile & ressemblante à l'opontia ou figuier d'Inde.


OPUS(Géog.) île de la Dalmatie entre le golfe de Venise & deux branches que forme le Narenta à son embouchure. L'air en est fort mal-sain à cause du marais, cependant sa situation est importante, tant parce qu'elle conserve aux Venitiens la possession de la Frumana, que parce qu'elle ouvre un chemin pour la conquête de l'Hertzégorine. (D.J.)


OPUSCULES. m. (Littér.) petit ouvrage, on dit les opuscules de la Mothe-le-Vayer, les opuscules de Bayle.


ORS. m. aurum, sol, (Hist. nat. Minéralogie & Chimie) c'est un métal d'un jaune plus ou moins vif ; sa pesanteur surpasse non-seulement celle de tous les autres métaux, mais encore de tous les autres corps de la nature ; elle est à celle de l'eau environ dans la proportion de 19 à 1. L'or est fixe & inaltérable dans le feu, à l'air & dans l'eau ; c'est de tous les métaux celui qui a le plus de ductilité & de malléabilité ; quand il est pur, il est mou, flexible & point sonore ; les parties qui le composent ont beaucoup de ténacité ; lorsqu'on vient à rompre de l'or, on voit que ces parties sont d'une figure prismatique & semblables à des fils. Il entre en fusion un peu plus aisément que le cuivre, mais ce n'est qu'après avoir rougi ; lorsqu'il est en fusion, sa surface paroît d'une couleur verte, semblable à celle de l'aigue marine ; dans cette opération, quelque long & quelque violent que soit le feu que l'on emploie, il ne perd rien de son poids.

De toutes ces propriétés, les Chimistes concluent que l'or est le plus parfait des métaux ; il est composé des trois terres ou principes que Beccher regarde comme la base des métaux, savoir le principe mercuriel, le principe inflammable & la terre vitrescible, combinés si intimement & dans une si juste proportion, qu'il est impossible de les séparer les unes des autres. Voyez METAUX. C'est pour cela que les anciens Chimistes l'ont appellé sol ou soleil, & ils l'ont représenté sous l'emblème d'un cercle. C'est aussi à ce métal que les hommes sont convenus d'attacher le plus haut prix, ils le regardent comme le signe représentatif le plus commode des richesses.

Jusqu'à présent on n'a point encore trouvé l'or minéralisé, c'est-à-dire dans l'état de mine, ou combiné avec le soufre ou l'arsenic ; il se montre toujours dans l'état métallique qui lui est propre, & il est d'un jaune plus ou moins vif en raison de sa pureté, c'est ce qu'on appelle de l'or vierge ou de l'or natif. Ce métal se trouve dans cet état joint avec un grand nombre de pierres & de terres ; il y est sous une infinité de formes différentes qui n'affectent jamais de figure réguliere & déterminée. En effet, il est tantôt en masses plus ou moins considérables, tantôt en grains, tantôt en feuillets, tantôt en filets & en petits rameaux ; tantôt il est répandu dans les pierres, les terres & les sables en particules imperceptibles.

La pierre dans laquelle on trouve l'or le plus communément, c'est le quartz blanc & gris, & on peut le regarder comme la matrice ou la miniere la plus ordinaire de ce métal. Wallerius & quelques autres minéralogistes ont prétendu qu'il se trouvoit aussi dans le marbre & dans de la pierre à chaux, mais cette idée n'est point conforme à l'expérience : il y a lieu de croire que les mines d'or de cette espece ont été faites à plaisir & dans la vûe de tromper des connoisseurs superficiels. C'est donc dans le caillou ou dans des pierres de la nature du caillou que l'or se trouve le plus ordinairement ; on en rencontre aussi dans la pierre cornée qui est une espece de jaspe : cependant on trouve de l'or quelquefois dans des minieres beaucoup moins dures, & même dans de la terre, comme nous aurons occasion de le dire. C'est mal-à-propos que l'on donne le nom de mines d'or à ces sortes de pierres, puisque l'or, comme nous l'avons déja remarqué, s'y trouve sous la forme & sous la couleur qui lui sont propres, & sans être minéralisé. Il y a cependant en Hongrie une mine que l'on nomme mine d'or couleur de foie dans laquelle quelques auteurs prétendent que l'or est comme minéralisé, on la dit fort rare, & Henckel paroît douter du fait, peut-être que l'or qui s'y trouve y est répandu en particules si déliées que l'oeil ne peut point les appercevoir.

Quoique l'on n'ait point encore trouvé d'or dans l'état de mine, on n'est point en droit de nier absolument qu'il soit impossible que ce métal se minéralise ; en effet, suivant la remarque de M. de Justi, quoique le soufre ne puisse point se combiner avec l'or, l'arsenic ne laisse pas de pénétrer ce métal, & le foie de soufre, qui est une combinaison de soufre & de sel alkali fixe, agit très-puissamment sur l'or : d'où il conclud que, comme nous ignorons toutes les voies que la nature peut employer dans ses opérations, il ne faut point se hâter d'établir des regles trop générales. Tout ce qu'on peut dire, c'est que jusqu'à présent on n'a point trouvé de mine d'or proprement dite.

On trouve des particules d'or mêlées accidentellement avec des mines d'autres métaux ; c'est ainsi qu'en Hongrie on rencontre du cinnabre qui contient quelquefois une quantité d'or assez considérable, qui non-seulement s'y montre en petites paillettes ou en filets, mais encore qui y est mêlé, de façon que l'oeil ne peut point l'appercevoir. Il y a aussi en Hongrie une espece de pyrite, que l'on appelle gelft ou gilft, dont quelques-unes donnent à l'essai, suivant M. de Justi, une ou deux onces d'or au quintal ; il ajoute que la même chose se voit dans des pyrites qui se trouvent dans la mine d'Adelfors en Suede, ce qui contredit le sentiment du célebre Henckel, qui prétend dans le xij. chapitre de sa Pyritologie, que les pyrites ne contiennent jamais une certaine quantité d'or, & que celui qu'on en tire, y a été produit dans l'opération que l'on a faite pour le tirer. Outre cela, on trouve encore de l'or, dans quelques mines d'argent, de cuivre, de plomb, & sur-tout dans des mines de fer qui semble avoir une affinité particuliere avec ce métal précieux.

L'or se trouve le plus communément dans plusieurs especes de terres & de sables ; il y est répandu en masses qui pesent quelquefois plusieurs marcs, mais le plus souvent il est en paillettes & en molécules de différentes formes & grandeurs ; quelquefois ces particules ressemblent à des lentilles, & ont été arrondies par le mouvement des eaux qui les ont apporté dans les endroits où on les trouve ; quelquefois elles sont recouvertes de différentes terres & de substances qui masquent leur couleur d'or, & le rendent méconnoissable. Il y a des auteurs qui prétendent qu'il est très-rare de trouver du sable qui ne contienne point quelque portion d'or ; c'est sur cette idée qu'est fondé le travail que le fameux Beccher proposa aux Hollandois, & qu'il commença même à mettre en exécution ; il consistoit à faire fondre le sable de la mer avec de l'argent, pour unir à ce métal l'or contenu dans ce sable que l'on pouvoit ensuite séparer par le départ. Voyez Beccheri minera arenaria perpetua. Cependant il paroît que ce procédé doit difficilement fournir assez d'or pour payer les frais du travail.

Il est certain qu'un grand nombre de rivieres charrient des paillettes d'or avec leur sable ; c'est une vérité dont on ne peut point douter. Cependant quelques-unes de ces rivieres en charrient une plus grande quantité que les autres ; c'est ainsi que chez les anciens le Pactole étoit fameux pour la quantité d'or qu'il rouloit avec ses eaux ; le Tage a aussi été renommé par cet endroit. Le Rhin, le Danube, le Rhône &c. en fournissent une assez grande quantité. Dans l'Afrique, dans les Indes orientales & dans l'Amérique, plusieurs rivieres roulent une très-grande quantité d'or avec leur sable, & celui qui contient de l'or, est communément mêlé de particules ferrugineuses, attirables par l'aimant.

Plusieurs auteurs ont prétendu que les pays les plus chauds étoient les plus propres à la production de l'or, mais il ne paroît point que la chaleur du soleil contribue plus à la génération de ce métal qu'à celle des autres : en effet, on trouve des mines d'or fort abondantes en Hongrie & en Transylvanie, on en trouve aussi, quoiqu'en petite quantité, dans la Suède, dans la Norwege, en Sibérie, & dans les pays froids & septentrionaux ; plusieurs rivieres de France & d'Allemagne en roulent avec leurs sables, & l'or qui s'y trouve doit avoir été détaché des montagnes & des filons des environs, d'où l'on voit que l'or se trouve dans des pays froids ; néanmoins il faut avouer que le métal ne s'y rencontre point en aussi grande abondance que dans les climats les plus chauds. En effet, on trouve des mines d'or très-abondantes dans les Indes orientales ; c'est ce pays qui, suivant toute apparence, étoit l'Ophir d'où Salomon tiroit ce métal précieux, & comme nous l'avons remarqué à l'article MINE, on y donne encore dans les Indes le nom d'ophir à toute mine d'or. L'Afrique est remplie de mines d'or ; c'est sur-tout du Sénégal, du royaume de Galam & de la côte de Guinée appellée aussi Côte d'or, qu'on en tire la plus grande quantité ; les habitans ne se donnent point la peine d'aller chercher l'or dans les montagnes, & de le détacher des filons qui le contiennent, ils se contentent de laver la terre & le sable des rivieres qui en sont remplis ; & c'est de-là qu'ils tirent la poudre d'or qu'ils donnent aux nations européennes en échange d'autres marchandises, dont ils font plus de cas que de ce métal qui fait l'objet de notre cupidité.

Les relations des voyageurs nous apprennent que dans certains cantons du Sénégal & du royaume de Galam tout le terrein est rempli d'or, & qu'il n'y a simplement qu'à gratter la terre pour trouver ce métal. Les endroits les plus riches de cette contrée sont les mines de Bamboue & de Tambaoura, près de la riviere de Gambie, ainsi que celles de Nattacon, de Nambia & de Smahila, qui sont à environ 30 lieues du fort de S. Joseph de Galam.

Personne n'ignore la prodigieuse quantité d'or que les Espagnols ont tiré depuis plus de deux siecles du Nouveau-Monde ; c'est sur-tout l'envie de se mettre en possession de l'or des Américains, qui leur a inspiré tant d'ardeur pour faire la conquête de cette riche contrée, & depuis ils n'ont cessé d'y puiser des richesses incroyables. C'est le Pérou, le Potosi & le Chily qui en fournissent la plus grande quantité. L'or s'y trouve, soit par filons, soit par masses détachées & en particules de différentes formes mêlées dans les couches de la terre, & souvent à sa surface. Les Espagnols nomment Lavaderos les terres qui contiennent de l'or, & dont on tire ce métal par le lavage ; souvent ces terres ne paroissent point au premier coup-d'oeil en contenir ; pour s'en assûrer, on fait des excavations dans ces terres, & l'on y fait entrer les eaux de quelque ruisseau ; pendant qu'il coule, on remue la terre, afin que le courant d'eau la délaye & l'entraîne plus facilement ; lorsqu'on est arrivé à la couche de terre qui contient de l'or, on détourne les eaux, & l'on se met à creuser à bras d'hommes, on transporte la terre chargée d'or dans un lieu destiné à en faire le lavage, on se sert pour cela d'un bassin qui a la forme d'un soufflet de forge ; on fait couler l'eau d'un ruisseau rapidement par ce bassin, afin qu'il délaye la terre & en détache l'or qui y est mêlé ; on remue sans cesse avec un crochet de fer ; on sépare les pierres les plus grossieres, & l'or par sa pesanteur tombe au fond du bassin parmi un sable noir & fin, qui est vraisemblablement ferrugineux. M. Frézier, auteur d'un voyage de la mer du Sud, d'où ces faits sont tirés, présume avec raison qu'en procédant avec si peu de précautions il doit se perdre beaucoup de particules métalliques qui sont emportées par l'eau ; il remarque que l'on préviendroit cette perte, si on faisoit ce lavage sur des plans inclinés garnis de peaux de moutons, ou d'une étoffe de laine velue & grossiere, qui serviroit à accrocher les petites particules d'or. Voyez l'article LAVAGE. De cette maniere on découvre quelquefois dans ces terres des masses d'or, que les Espagnols nomment pépitas, qui souvent pesent plusieurs marcs ; on prétend qu'il s'est trouvé dans le voisinage de Lima deux de ces masses ou pépites, dont l'une pesoit 64 marcs & l'autre 45, voyez PEPITAS ; mais communément il est en poudre, en paillettes, & en petits grains arrondis & lenticulaires. Pour séparer l'or du sable ferrugineux, avec lequel il est encore mêlé, après ce premier lavage, on le met dans une sébille ou grand plat de bois, au milieu duquel est un enfoncement de trois ou quatre lignes, on remue ce plat avec la main en le tournant dans une cuve pleine d'eau, on lui donne des secousses au moyen d'un tour de poignet ; de cette maniere ce qui étoit resté de terre & de sable, étant plus léger s'en va par-dessus les bords du plat ; tandis que l'or, comme beaucoup plus pesant, reste dans le fond où on le voit paroître sous sa couleur naturelle & en particules de différentes figures, qui n'ont pas besoin d'un travail ultérieur. Cette maniere de tirer l'or de la terre est moins couteuse & moins laborieuse que lorsqu'on travaille un filon, & que l'on détache l'or de la pierre dure qui lui sert de miniere ou d'enveloppe. La terre qui est chargée d'or est ordinairement rougeâtre, & forme une couche mince à la surface ; à 5 ou 6 piés de profondeur, elle est mêlée d'un sable grossier, & c'est là que commence le lit ou la couche qui contient de l'or ; au-dessous de cette couche est un banc pierreux bleuâtre, comme d'une roche pourrie, ce banc est parsemé d'une grande quantité de petites particules luisantes que l'on prendroit pour des paillettes d'or, mais qui ne sont réellement que des particules pyriteuses. En allant au-dessous de ce banc de pierre, on ne trouve plus d'or. Voyez le voyage de la mer du Sud de M. Frézier. L'on voit par ce récit que ces mines d'or ont été formées par les torrens & par les inondations qui ont arraché l'or des filons, où il étoit contenu, pour le répandre dans les couches de la terre. Voyez l'article MINE. L'on doit attribuer la même origine à l'or qui se trouve répandu dans le sable des rivieres, dont nous avons parlé plus haut. Cependant Beccher a cru que cet or du sable des rivieres y avoit été formé ; sentiment qui ne paroît point du tout vraisemblable. L'or qui se trouve dans les couches de la terre, ainsi qu'à sa surface, comme au Sénégal & dans le royaume de Galam en Afrique, paroît y avoir été apporté par les rivieres considérables qui arrosent ces contrées.

A l'égard de l'or qui se trouve dans des filons suivis, & enveloppé dans le quart, il en coûte beaucoup plus de peines & de dépenses pour l'obtenir : d'abord il faut pour cela creuser & fouiller dans les montagnes, ensuite il faut détacher avec beaucoup de travail la miniere de l'or, qui est quelquefois extrêmement dure ; après quoi on est obligé de l'écraser & de la réduire en poudre. On se sert pour cela au Chily & dans les autres parties de l'Amérique espagnole, de moulins que l'on nomme trapiches. M. Frézier dit qu'ils ressemblent à ceux dont on se sert en France pour écraser les pommes lorsqu'on en veut faire du cidre ; ils sont composés d'une auge ou d'une grande pierre ronde de cinq ou six piés de diametre, creusée d'un canal circulaire profond de dix-huit pouces. Cette pierre est percée dans le milieu pour y placer l'axe prolongé d'une roue horisontale posée audessous, & bordée de demi-godets, contre lesquels l'eau vient frapper pour la faire tourner : par ce moyen on fait rouler dans le canal circulaire une meule posée de champ, qui répond à l'axe de la grande roue ; cette meule s'appelle en espagnol volteadora ou la tournante ; son diametre ordinaire est de trois piés quatre pouces, & son épaisseur est de dix à quinze pouces. Elle est traversée dans son centre par un axe assemblé dans le grand arbre, qui la faisant tourner verticalement, écrase la pierre qu'on a tirée de la mine ou du minerai, qui est ou blanc, ou rougeâtre, ou noirâtre, & qui ne montre que peu ou point d'or à l'oeil. Lorsque ces pierres sont un peu écrasées, on verse par-dessus une certaine quantité de mercure qui s'unit à l'or qui étoit répandu dans la roche. Pendant ce tems on fait tomber dans l'auge circulaire un filet d'eau, conduit avec rapidité par un petit canal pour délayer la terre qu'il entraîne dehors par un trou fait exprès. L'or uni au mercure tombe au fond de l'auge par sa pesanteur, & y demeure retenu. On moud par jour un demi-caxon, c'est-à-dire 25 quintaux de minerai ; & quand on a cessé de moudre, on ramasse cette pâte d'or & de mercure, ou cet amalgame que l'on trouve au fond de l'endroit le plus creux de l'auge ; on la met dans une toile pour en exprimer le mercure autant qu'on peut ; on l'expose ensuite au feu pour dégager ce qui reste de mercure uni avec l'or, & l'on appelle l'or qu'on a obtenu de cette façon or en pigne, voyez PIGNE. Pour achever de dégager entierement cet or du mercure dont il est imprégné, on le distille dans de grandes rétortes ; & quand le mercure en a été entierement séparé, on le fait fondre dans des creusets, & on le met en lingots ou en lames. Ce n'est qu'alors qu'on peut connoître son poids & son véritable titre ; ce titre varie, & tout l'or qui se trouve n'est point également pur, ce qui vient du plus ou du moins d'argent ou de cuivre auquel il est uni. Voyez le voyage de la mer du Sud, par M. Frézier. Voyez nos Pl. de Métal. & leur explic.

A l'égard des mines d'Hongrie, les principales sont à Chemnitz & à Kremnitz ; on y détache l'or du filon, & l'exploitation se fait de même que celle de toutes les autres mines, c'est-à-dire, on y descend par des puits, on y forme des galeries, &c. Voyez l'article MINE. La roche ou miniere dans laquelle l'or est enveloppé, est ou blanche, ou noire, ou rougeâtre : on l'écrase sous des pilons, on en fait le lavage ; & comme cette mine contient des matieres étrangeres, on la mêle avec de la chaux vive & avec des scories, & on la fait fondre dans un fourneau. On passe la masse qui a résulté de cette fonte encore par un feu de charbon pour la purifier.

Quant à l'or qui se trouve dans les rivieres, on l'obtient en lavant le sable de leur lit ; on choisit pour cela les endroits où la riviere fait des coudes, où ces eaux vont frapper avec violence, & où il s'est amassé du gros sable ou gravier. Ceux qui s'occupent de ce travail se nomment orpailleurs ; ils commencent par passer ce sable à la claie, afin de séparer les pierres les plus grossieres : on met ensuite le sable qui a passé, dans des grands baquets remplis d'eau ; on jette ce sable avec l'eau sur des morceaux de drap grossier ou sur des peaux de mouton tendues sur une claie inclinée : par-là l'or, qui est ordinairement en particules très-fines, s'attache avec le sable le plus fin aux poils du drap ou de la peau de mouton, que l'on lave de nouveau pour en séparer l'or & le sable. Pour achever ensuite la séparation de l'or d'avec le sable auquel il est joint, on en fait le lavage à la sebille, c'est-à-dire dans une écuelle de bois dont le fond est garni de rainures ; on l'agite en tournoyant ; le sable qui est plus leger, s'en va par dessus les bords de la sebille, tandis que l'or reste au fond. L'or que l'on obtient de cette maniere est quelquefois très-pur, quelquefois il est mêlé avec de l'argent ou du cuivre.

Après avoir examiné la maniere dont l'or se trouve dans sa mine, & la maniere dont on l'en tire, nous allons examiner ses propriétés physiques & ses différens effets dans les opérations de la Chimie.

Nous avons dit dans la définition de l'or, que sa couleur étoit jaune, mais elle est quelquefois très-pâle, ce qui annonce qu'il est mêlé de beaucoup d'argent. Il y a même des auteurs qui ont prétendu qu'il y avoit de l'or blanc, & il y a apparence qu'on a voulu désigner par-là de l'argent chargé d'une très-petite portion d'or. Au reste on a aussi donné le nom d'or blanc à la substance que les Espagnols ont appellée platina del pinto. Voyez PLATINE.

Quelques chimistes ont prétendu blanchir l'or au moyen d'un esprit de nitre qu'ils appellent philosophique ou bézoardique, dans lequel il y a de l'antimoine ; mais M. Rouelle observe avec raison que ce dissolvant n'est autre chose qu'une eau régale qui a conservé une portion de l'antimoine qu'elle avoit dissout, & qui a contribué à blanchir cet or. Ce qui le prouve, c'est qu'en refondant cet or il reprend sa couleur jaune.

L'or est le corps le plus pesant qui soit dans la nature ; un pié cube d'or pese 21220 onces poids de Paris. De toutes les substances minérales, c'est la platine qui en approche le plus pour le poids. Voyez PLATINE.

Quant à la ductilité de l'or, elle est plus grande que celle d'aucun autre métal ; pour s'en convaincre, on n'a qu'à considérer le travail des Tireurs & des Batteurs d'or, qui réduisent ce métal en fils & en feuilles d'une finesse incroyable.

L'action du feu le plus violent ne produit aucune altération sur l'or. Kunckel a tenu ce métal en fusion pendant deux mois au fourneau de verrerie, sans avoir remarqué au bout de ce tems aucune diminution dans son poids. M. Homberg prétend que l'or exposé au miroir ardent s'est vitrifié, a perdu une portion de son poids, & a repris ensuite sa forme primitive, lorsqu'on eut remis cette chaux en fusion avec une matiere grasse.

L'or a beaucoup de disposition à s'unir avec le mercure ; c'est sur cette propriété qu'est fondé le travail par lequel on sépare ce métal des terres, des pierres, du sable avec lesquels il se trouve mêlé, comme on a fait voir dans le cours de cet article. C'est aussi sur ce principe qu'est fondé l'art de la dorure ou d'appliquer l'or sur les autres métaux. Voyez DORURE.

Le vrai dissolvant de l'or est l'eau régale, c'est-à-dire l'acide nitreux combiné avec l'acide du sel marin ou avec le sel ammoniac. On croit communément qu'aucun de ces acides n'agit séparément sur l'or ; cependant M. Brandt, célebre chimiste suédois, a fait voir dans le tome X. des mémoires de Stockholm, que l'eau-forte ne laisse pas d'agir sur l'or, & d'en dissoudre une partie. Voyez REGALE, eau. L'or dissout dans l'eau régale, lui donne une couleur jaune ; s'il en tombe sur les mains, elle y fait des taches de couleur pourpre.

Si on précipite l'or qui a été dissout dans de l'eau régale faite avec le sel ammoniac par le moyen d'un alkali fixe, le précipité que l'on obtient s'appelle or fulminant, parce que si on l'expose à la chaleur, cet or précipité fait une explosion très-violente, & plus forte même que celle de la poudre à canon.

L'or qui a été dissout dans l'eau régale peut aussi être précipité par le moyen du cuivre ou du vitriol cuivreux, ainsi que par le mercure & le sublimé corrosif.

Quand on précipite l'or qui a été dissout par l'eau régale au moyen de l'étain, l'or se précipite d'une couleur pourpre ; c'est ce que l'on appelle le précipité de Cassius. Ce précipité est propre à entrer dans les émaux, & il est excellent pour peindre sur la porcelaine. Voyez POURPRE MINERALE.

L'or peut encore se dissoudre dans d'autres dissolvans que l'eau régale, mais il faut pour cela que son aggrégation ait été rompue, & alors ce métal comme M. Marggrave l'a prouvé, peut se dissoudre même dans les acides tirés des végétaux.

La combinaison de l'alkali fixe & du soufre, que l'on nomme foie de soufre, dissout l'or au point de le rendre miscible avec l'eau commune. Stahl pense que c'est par ce moyen que Moïse détruisit le veau d'or des Israëlites.

L'or a la propriété de s'unir avec d'autres métaux, tels que l'argent & le cuivre. On fait souvent ces alliages pour lui donner plus de dureté, vû qu'il est mou lorsqu'il est pur ; quand il est allié avec de l'argent, on l'en sépare par le moyen de l'acide nitreux, qui agit sur l'argent & le dissout sans toucher à l'or, mais il faut pour cela qu'il y ait dans la masse totale trois parties d'argent contre une partie d'or. Voyez DEPART & QUARTATION. Lorsque l'or est allié avec d'autres métaux, on l'en dégage ou on le purifie à l'aide de l'antimoine ; pour cet effet on met dans un creuset une partie d'or contre quatre parties d'antimoine crud ; on fait entrer le tout en fusion, & on le tient long-tems dans cet état. On vuidera ensuite la matiere fondue dans un cône de fer chauffé & enduit de graisse ; lorsque le tout sera refroidi, on séparera le régule ou culot des scories ; on mettra ce régule dans un creuset pour calciner l'antimoine, qui se dissipera en fumée ; on aidera la dissipation de l'antimoine en soufflant sur le mêlange fondu ; lorsqu'il n'en partira plus de fumée, ce sera un signe que l'antimoine est totalement dissipé. Par ce moyen on aura de l'or parfaitement pur, parce que le soufre qui étoit dans l'antimoine crud s'unit avec les autres métaux & les réduit en scories, & l'or se combine avec le régule de l'antimoine, qui ayant beaucoup de disposition à se calciner & à se dissiper en fumée, se dégage ensuite de l'or par la calcination. Il faut observer que dans cette opération l'or souffre toujours quelque déchet, parce que l'antimoine en se dissipant en entraîne une petite portion. C'est-là la maniere la plus sûre de purifier l'or.

Ce métal se purifie encore par la coupelle ; cette opération est fondée sur ce que le plomb qui vitrifie les métaux imparfaits n'agit point sur l'or, & le débarrasse des substances étrangeres avec lesquelles il étoit mêlé. Voyez COUPELLE. Enfin, l'or se purifie encore par la cémentation ; dans cette opération on réduit l'or en lames, on le stratifie dans un creuset avec un mêlange composé de sel ammoniac, de sel marin, & de briques pilées ; on tient le tout pendant long-tems à un degré de chaleur qui le fasse rougir : par ce moyen on le dégage des métaux imparfaits. Voyez CEMENTATION.

L'or qui a été dissout dans l'eau régale, peut être précipité par le moyen d'une huile essentielle ; on n'aura pour cela qu'à la verser sur la dissolution, & l'y laisser en digestion : par-là l'huile essentielle prendra la couleur d'or, & on pourra l'étendre & la faire digérer avec de l'esprit-de-vin ; c'est-là ce qu'on appelle de l'or potable. On peut se servir pour le faire de l'huile essentielle de romarin ; mais l'éther ou la liqueur éthérée de Frobénius, a sur-tout la propriété de se charger de l'or qui a été dissout dans l'eau régale. M. Ruelle regarde ce procédé comme un excellent moyen de purifier l'or, parce que tous les métaux qui peuvent être unis avec lui restent dissous dans l'eau régale, & l'éther se charge de l'or très-pur.

La dissolution de l'or dans l'eau régale, faite avec le sel ammoniac, fournit un moyen de volatiliser ce métal. Pour y parvenir, suivant M. Rouelle, on distille cette dissolution dans une cornue, jusqu'à ce que la liqueur qui reste soit devenue d'une consistance épaisse comme une pulpe ; on remet ce qui a passé dans le récipient sur ce qui est resté dans la cornue ; on réitere six ou sept fois ces distillations & ces cohobations ; alors en poussant le feu, l'or monte sous la forme de crystaux d'une couleur orangée ou un peu rouge, qui s'attachent aux parois des vaisseaux, ensuite il passe sous la forme d'une liqueur rouge. C'est cette liqueur que quelques alchimistes ont nommé le lion rouge ; ils en faisoient leur or potable en le dissolvant dans de l'esprit-de-vin ou dans une huile essentielle, & ils lui attribuoient un grand nombre de vertus merveilleuses.

M. Wallerius ayant fait dissoudre de l'or dans de l'eau régale, versa sur cette dissolution de l'éther qui ne tarda point à se charger de particules d'or qui avoient été dissoutes ; il boucha la bouteille avec soin, & trouva au bout de quelques mois qu'il s'étoit formé dans la bouteille des crystaux semblables à ceux du nitre, qui étoient d'un beau jaune d'or. Voyez les mémoires de l'académie de Stockholm, t. XI. année 1749.

La calcination de l'or a toujours été regardée comme un problème très-difficile de la Chimie, & plusieurs personnes doutent très-fort de sa possibilité, vu que l'action du feu ne peut point détruire ce métal ; on a été même jusqu'à dire qu'il étoit plus facile de faire de l'or que de le décomposer. Cependant Isaac le hollandois & le célebre Kunckel ont prétendu qu'on pouvoit réduire l'or en une chaux absolue & irréductible, en le tenant pendant trois ou quatre mois exposé au feu de réverbere, sans cependant le faire entrer en fusion ; mais il falloit pour cela avoir rompu son aggrégation. Isaac le hollandois regarde cette chaux comme le vrai sel des métaux, & prétend que l'or y est changé en une substance saline, propre à transmuer les autres métaux ; il assure y être parvenu en dissolvant cette chaux dans l'acide du vinaigre distillé. Kunckel a travaillé d'après les idées d'Isaac le hollandois, & ses expériences semblent appuyer le sentiment de cet alchimiste. En effet, après être parvenu à produire ce sel, il prétend l'avoir fait crystalliser, & ses crystaux étoient, selon lui, en fils semblables à ceux de l'amiante ; il assure de plus que ce sel est propre à transmuer le plomb en argent.

Langelot & d'autres alchimistes ont prétendu qu'en triturant l'or en grenaille dans un mortier fait exprès, avec quelques substances dont il tait la composition, cet or préparé mis en distillation dans une cornue, passe sous la forme d'une liqueur rouge qu'il n'est pas possible de réduire en or.

On a aussi tenté de décomposer l'or en le mettant en cémentation avec le lapis pyrmieson, qui est un composé d'arsenic, d'antimoine & de soufre fondus ensemble. Borrichius prétend être parvenu à mettre l'or sous la forme d'une poudre grise qui ne peut plus se réduire par la fusion. Son procédé consistoit à triturer pendant long-tems l'amalgame de l'or avec le mercure dans de l'eau. Les Osiander, autres alchimistes, ont pareillement prétendu avoir mis l'or dans l'état d'une chaux irréductible, en triturant & en digérant alternativement pendant long-tems un amalgame composé de six parties de mercure contre une partie d'or.

Quoi qu'il en soit de toutes ces prétentions alchimiques, il paroît que la calcination & la décomposition de l'or demeurera toujours une opération sinon impossible, du-moins extraordinairement difficile : on peut en dire autant de la chrysopée ou de l'art de faire de l'or, dont l'avidité des hommes s'est occupée depuis tant de siecles. Voyez HERMETIQUE, Philosophie, PIERRE PHILOSOPHALE, TRANSMUTATION, &c.

Un grand nombre d'auteurs ont attribué à l'or les plus grandes vertus médicinales ; par malheur elles nous sont entierement inconnues. Suivant M. Rouelle les dissolutions d'or étendues dans l'esprit-de-vin sont apéritives ; la dissolution de ce métal dans l'eau régale est corrosive & émétique ; l'or fulminant pris à la dose de douze grains, est un purgatif. Voilà, suivant cet habile chimiste, tout ce que nous connoissons sur les vertus de l'or. Il y a lieu de croire que le remede connu en France sous le nom des gouttes du général de la Motte, est une huile essentielle qui s'est chargée d'or dissout dans de l'eau régale.

On évalue la pureté de l'or, d'après des degrés fictifs que l'on nomme karats. Lorsque l'or est parfaitement pur, on dit qu'il est à 24 karats ; s'il se trouve contenir un vingt-quatrieme d'alliage, on dit qu'il est à 23 karats, & ainsi de suite. L'or dans sa pureté parfaite est mou, & ne peut point être employé dans de certains ouvrages ; c'est pourquoi on lui joint un alliage de cuivre ou d'argent pour lui donner plus de dureté & de consistance. Suivant les ordonnances, en France il n'est permis aux ouvriers en bijouterie que d'employer de l'or à 20 karats dans les petits morceaux ; pour les grands morceaux ou pour la vaisselle, l'or doit être de 22 karats. Les Orfévres se servent de la pierre de touche pour s'assurer du degré de pureté ou du titre de l'or, c'est-à-dire pour découvrir s'il est allié ou non. Pour cet effet ils frottent l'or sur la pierre de touche, sur laquelle est ordinairement un trait fait avec de l'or très-pur pour servir d'échantillon & de comparaison ; ensuite on met de l'eau-forte sur la trace qui a été faite avec l'or que l'on veut éprouver : cette eau-forte dissout tous les métaux auxquels l'or peut être allié, sans toucher à ce dernier. Mais cette épreuve peut être trompeuse, & ne fait point connoître les métaux étrangers qui peuvent avoir été fortement dorés ou enveloppés dans de l'or. Pour s'en assurer, il faut briser le lingot & l'essayer à la coupelle ou par l'antimoine.

Depuis quelques années le luxe qui rend les artistes inventifs, leur a fait imaginer des moyens pour donner à l'or différentes nuances par les alliages ; on applique des fleurs & des ornemens faits avec ces ors diversement colorés, ce qui produit une variété agréable à l'oeil, mais aux dépens de la valeur intrinséque du métal qui est sacrifié à la beauté de l'ouvrage. Il y a de l'or verd qui se fait en alliant beaucoup d'argent avec l'or. L'or rouge se fait en l'alliant avec beaucoup de cuivre ; l'or blanc se fait en l'alliant avec beaucoup de fer : ce dernier est aigre & cassant, & difficile à travailler ; il seroit plus court d'employer simplement de l'argent. En changeant les proportions de l'alliage, on peut de cette façon avoir de l'or de différentes nuances. (-)

OR, (Mat. méd.) autrefois les Grecs ne connoissoient pas l'usage de l'or dans la Médecine. Les Arabes sont les premiers qui en ont recommandé la vertu. Ils l'ont mêlé dans leurs compositions réduit en feuilles. Ils croient que l'or fortifie le coeur, ranime les esprits & réjouit l'ame ; c'est pourquoi ils assurent qu'il est utile pour la mélancholie, les tremblemens & la palpitation du coeur. Les Chimistes ajoutent de plus que l'or contient un soufre fixe le plus puissant ; lequel étant incorruptible, si on le prend intérieurement, & s'il est mêlé avec le sang, il le préserve de toute corruption, & il rétablit & ranime la nature humaine, de la même maniere que le soleil, qui est la source intarissable de ce soufre, fait revivre toute la nature. Geoffroy, Mat. méd.

Les Alchimistes ont retourné cet éloge de mille & mille façons, & ils l'ont principalement accordé à leur or philosophique, & plus encore à la quintessence, à la semence, à l'ame de l'or, à la teinture solaire radicale qu'ils ont regardée comme la vraie Médecine universelle.

A toutes ces vaines promesses, à toutes ces spéculations frivoles, les Théoriciens modernes ont substitué des idées plus sages, du moins plus scientifiques sur les qualités médicamenteuses de l'or. Ils ont prétendu que le plus inaltérable & le plus pesant de tous les corps étant porté avec les humeurs animales dans les voies de la circulation, étoit éminemment capable de résoudre les concrétions les plus rébelles, & de déboucher les couloirs les plus engorgés. Ils sont partisans encore d'une autre notion très-positive, savoir de la facilité avec laquelle l'or s'unit au mercure, pour avancer que ce métal étoit un bon remede pour ceux qui avoient trop pris de mercure ; car ces deux métaux, dit Nicolas Lemeri, s'unissent ensemble facilement, & par cette liaison ou amalgame, le mercure est fixé, & son mouvement interrompu. Mais autant les connoissances chimiques sur lesquelles s'appuient ces théories, sont réelles & incontestables, autant les conséquences qu'on en déduit en faveur des qualités médicinales de l'or, sont précaires & chimériques : aussi les Médecins raisonnables ne croient-ils plus aujourd'hui aux admirables vertus de l'or, quand même ils pensent qu'on peut le porter dans les voies de la circulation, réduit en un état de très-grande division. Ainsi les feuilles d'or ne leur paroissent servir qu'à l'élégance dans la confection alkermès, la confection hyacinthe, la poudre de perles, la poudre réjouissante, la poudre pannonique, &c. L'extinction de l'or rougi au feu dans des liqueurs aqueuses que Fr. Burrhus employoit, au rapport de Borrichius & de Juncker, contre les palpitations du coeur, & quelques autres maladies, leur paroît une pure charlatanerie.

Le vitriol de sel, c'est-à-dire le sel retiré de la dissolution de l'or par l'eau régale, auquel plusieurs auteurs ont attribué une qualité purgative, vermifuge, roborante, analogue à celle du vitriol de mars, est un remede peu éprouvé, à peine connu.

L'or fulminant a été recommandé aussi dans l'usage intérieur, comme un excellent diaphorétique, spécialement propre pour la petite vérole ; mais Konig, professeur de Médecine à Basle, Daniel Ludovici & Boerhaave assurent que l'or fulminant est plutôt un purgatif dangereux. Au reste, le vitriol solaire & l'or fulminant n'agissent point par les qualités propres à l'or : leur vertu dépend essentiellement des matieres salines auxquelles il est joint dans ce sel neutre qui contient de l'acide par surabondance, & dans ce précipité qui participe de toutes les substances acides & alkalines qui ont été employées à sa préparation. Voyez SELS NEUTRES METALLIQUES, sous le mot SEL & PRECIPITE.

Le seul reméde tiré de l'or qui soit aujourd'hui en usage, est une liqueur huileuse chargée d'or par une espece de précipitation, & qui est connue sous le nom d'or potable ou teinture d'or, dont on trouve la préparation dans toutes les pharmacopées & les chimies médicinales modernes. La voici d'après une addition au cours de Chimie de Lemeri, par M. Baron.

Teinture d 'or ou or potable de Mademoiselle Grimaldi. Prenez un demi-gros d'or le plus pur, faites-en la dissolution dans deux onces d'eau régale ; versez sur cette dissolution, dont la couleur sera d'un beau jaune, une once d'huile essentielle de romarin ; mêlez bien ensemble les deux liqueurs ; laissez le tout en repos, bientôt après vous verrez l'huile, teinte d'une belle couleur jaune, surnager l'eau régale qui aura perdu toute sa couleur ; séparez l'une d'avec l'autre vos deux liqueurs, au moyen d'un entonnoir, par l'extrêmité duquel vous laisserez écouler toute l'eau régale, & que vous boucherez avec le doigt, aussitôt que l'huile sera prête à passer ; recevez cette huile dans un matras, & la mêlez avec cinq fois son poids d'esprit-de-vin rectifié ; bouchez votre matras avec de la vessie mouillée ; mettez le mêlange en digestion sur le bain de sable pendant un mois : au bout de ce tems il aura pris une couleur pourpre & une saveur gracieuse, mais un peu amere & astringente. Elle peut être employée en Médecine dans tous les cas où il s'agit d'augmenter l'action du coeur & des vaisseaux, comme dans les apoplexies sereuses, les paralysies, &c. en un mot, dans tous les cas où il s'agit d'animer & de fortifier. La dose en est depuis trois jusqu'à dix ou douze gouttes dans une liqueur appropriée, comme du vin, ou une potion cordiale. Baron.

Il seroit encore mieux de la réduire pour l'usage sous forme d'éleo-saccharum, voyez ELEO-SACCHARUM.

On peut assurer que les vertus réelles de la teinture d'or appartiennent entierement à l'huile essentielle de romarin, & que c'est très-vraisemblablement à pure perte qu'on renchérit cette huile en la chargeant d'or. Voyez HUILE ESSENTIELLE sous le mot HUILE & ROMARIN.

On voit bien qu'on peut employer à la préparation de l'or potable toute autre huile essentielle analogue à celle du romarin, telles que toutes celles des plantes labiées ; celle de plusieurs substances exotiques, comme canelle, gérofle, sassafras, &c.

Les gouttes jaunes du général de la Mothe, que sa veuve remariée à un gentilhomme italien, appellé Calsabigi, vend encore aujourd'hui à Paris, ne sont autre chose qu'une teinture semblable, à la préparation de laquelle on a employé l'éther de Frobenius, qui est la plus subtile & vraisemblablement la plus précieuse de toutes les huiles essentielles pour l'usage médicinal. M. Pot a découvert par l'examen chimique, & publié la composition de ces gouttes ; & il ne faut qu'avoir vu & flairé l'éther pour le reconnoître dans ces gouttes, & par l'inspection la plus superficielle. Nous pouvons assurer de cette teinture, comme nous avons avancé de celle de Mademoiselle Grimaldi, que l'or qu'elle contient n'ajoute rien aux qualités médicamenteuses propres de l'éther. Voyez ÉTHER de Frobenius.

On emploie dans les boutiques des Apothicaires des feuilles d'or aussi-bien que des feuilles d'argent à recouvrir des pilules, soit dans la vue de les orner, de leur procurer de l'élégance, soit principalement pour masquer le mauvais goût de quelques-unes, en les défendant du contact de la salive qui pourroit en extraire des matieres âcres, ameres, &c. comme cela arriveroit si on prenoit des pilules savonneuses, aloëtiques, &c. sans cet enduit. C'est à cet usage que doit son origine l'expression proverbiale dorer la pilule, dont tout le monde connoît le sens figuré.

Au reste, les pilules se dorent par une manoeuvre très-simple exposée au mot pilule, voyez PILULE, Pharmacie. (b)

OR, TERRE D '(Hist. nat.) on a donné ce nom assez mal-à-propos à plusieurs especes de terres qui ne contiennent point de l'or. C'est ainsi que quelques naturalistes allemands ont appellé une terre martiale & pyriteuse qui se trouve dans le pays de Hesse, terra solaris hassiaca : voyez SOLAIRE, terre.

Les Italiens appellent terra vergine d'oro une terre calcaire, très-blanche & très-fine, qui est tantôt en poudre, tantôt en pierre, & qui se trouve dans le voisinage de Modene, & que l'on a appellée terre d'or, à cause des grandes vertus qu'on lui attribue dans la fievre, la dissenterie, l'hypocondriaque & contre les poisons. (-)

OR, (Arts & Métiers) c'est le plus précieux des métaux, qui réduit en feuilles & appliqué sur plusieurs couches de couleur, sert à décorer ou enrichir les dedans & les dehors des bâtimens. On appelle or mat, l'or qui étant mis en oeuvre, n'est pas poli ; or bruni, celui qui est poli avec la dent-de-loup, pour détacher les ornemens de leur fond ; or sculpté, celui dont le blanc a été gravé de rinceaux & d'ornemens de sculpture ; or réparé, celui qu'on est obligé de repasser avec du vermeil au pinceau, dans les creux de sculpture, ou pour cacher les défauts de l'or, ou encore pour lui donner un plus bel oeil ; or bretelé, celui dont le blanc a été haché de petites bretelures ; or de mosaïque, celui qui dans un panneau est partagé par petits carreaux ou losanges, ombrés en partie de brun, pour paroître de relief ; & or rougeâtre ou verdâtre, celui qui est glacé de rouge ou de verd, pour distinguer les bas-reliefs & ornemens de leur fond.

Il y a encore de l'or à l'huile, qui est de l'or en feuilles appliqué sur de l'or couleur, aux ouvrages de dehors pour mieux résister aux injures du tems, & qui demeure mat ; de l'or moulu, dont on dore au feu le bronze, & de l'or en coquille, qui est une poudre d'or détrempée avec de la gomme, & dont on ne fait usage que pour les desseins. Voyez les principes d'Architecture, de Sculpture, &c. par M. Felibien, liv. I. ch. xxij. (D.J.)

OR FIN, se dit de l'or qui est au titre de 24 karats ; mais comme il est difficile &, pour ainsi dire, impossible de rencontrer de l'or au titre de 24 karats, soit parce que dans les dissolutions les plus parfaites, ou les affinages les mieux exécutés, la chaux d'or, ou le régule restent toujours chargés de quelque légere partie d'argent, soit qu'avec les précautions les plus exactes, il est difficile d'empêcher que le morceau destiné à l'essai ne contracte quelque légere impureté, il suffit que le cornet rapporte 23 k 31/32 de karat pour être réputé fin ; car alors le poids qui s'en manque étant la 128e partie du grain de poids de marc, eu égard au poids d'essai dont on se sert en France, il est sensible qu'une si légere diminution est presqu'inévitable, ne peut nuire à la finesse du titre, & ne fait que constater combien on doit apporter de soin aux affinages, & combien il est difficile de dégager entierement les métaux des parties hétérogenes qu'ils renferment dans leur sein.

Il en est de même de l'argent fin, qui doit être au titre de douze deniers, & que l'on trouve rarement à ce titre, parce que dans les affinages les plus complets, & les dissolutions les mieux faites & les plus soigneusement décantées, il est impossible que l'argent ne retienne quelques parties de plomb ou de cuivre ; celui qui se trouve au titre de 11 deniers 23 grains, est réputé fin ; quelquefois on en a trouvé à 11 deniers 23 grains 1/2, mais cela est très-rare. Nous remarquons ici en passant, que les essais d'argent demandent beaucoup plus de soin & d'attention que les essais d'or, que leur sûreté dépend d'un nombre de conditions accumulées, & que leur certitude physique est bien moins constante que celle des essais d'or : car comme cette opération se fait au fourneau de reverbere, il est important de veiller à ce que le feu ait par-tout une égale activité ; autrement le feu étant plus vif dans une partie du fourneau que dans l'autre, le plomb entre plus tôt en action dans une coupelle que dans l'autre, & la torréfaction étant plus vive, il peut ronger & emporter avec lui quelque parcelle d'argent, tandis que les autres boutons d'essais sur lesquels le plomb n'aura eu qu'une action lente par défaut d'activité du feu, pourront retenir dans leur sein des parcelles de plomb ; ce qui avantage les uns & fait perdre aux autres : il faut en outre bien prendre garde qu'il ne se fasse des cheminées, & les boucher à l'instant qu'on s'en apperçoit ; autrement l'air frappant sur le bouton, peut le faire pétiller, & écarter quelques grains. Il faut d'ailleurs garder son plomb à raison du titre de l'argent qu'on veut essayer, autrement on pourroit faire de grandes erreurs. Voyez ESSAI.

OR AU TITRE, se dit de l'or qui est au titre de 20 karats, qui est celui prescrit par les ordonnances pour les bijoux d'or.

OR BAS, se dit de l'or qui est au titre de 10, 12, jusqu'à 19 karats ; au-dessous du titre de 10 karats, ce n'est plus proprement qu'un billon d'or.

OR BRUNI, c'est de l'or que l'on a lissé & poli avec un instrument de fer qu'on appelle brunissoir, si c'est de l'or ouvré, ou de la dorure sur métal ; & avec une dent-de-loup, si c'est de la dorure sur détrempe.

OR EN CHAUX, se dit de l'or réduit en poudre par quelques dissolutions quelconques ; l'or en chaux est réputé le plus fin, & c'est celui dont se servent les doreurs ; mais il est toujours prudent d'en faire l'essai avant de l'employer, & de ne pas s'en rapporter à la foi des affineurs ou départeurs, attendu qu'ils peuvent aisément vous tromper : il leur est facile, en versant quelques gouttes de vitriol dans leurs dissolutions, d'y précipiter un peu d'argent, sans altérer la couleur de leurs chaux, & moyennant cela, sans qu'on s'en apperçoive à l'inspection.

OR AIGRE, se dit de tout or qui éprouve des fractures ou gersures dans son emploi, sous l'effort du marteau ou celui du laminage : si on n'employoit que de l'or fin, il est certain qu'il seroit plus ductile ; mais comme les ouvrages deviendroient beaucoup plus lourds, & n'auroient pas tant de solidité, ni une aussi belle couleur, il faut l'allier (car nous remarquerons en passant, que plus les métaux sont durs, plus ils sont disposés à recevoir un beau poli). Avant qu'on travaillât l'or d'une couleur aussi rouge que celle qu'on lui donne aujourd'hui, l'or n'étoit pas si sujet à contracter des aigreurs, parce qu'alors on l'allioit avec de l'argent en totalité ou en partie ; mais depuis qu'on l'a voulu avoir d'un rouge extraordinaire, il a fallu l'allier avec le cuivre seul : or, comme l'or ne s'allie pas si facilement avec le cuivre qu'avec l'argent, il faut employer le cuivre de rosette le plus doux qu'il soit possible, & en même-tems le plus rouge ; néanmoins quelque doux que soit le cuivre, l'or a de la peine à le recevoir dans son sein, & il suffit de voir dans le creuset les combats que ce mêlange occasionne, pour juger de la répugnance qu'a l'or de s'allier avec le cuivre. Lors donc que l'aloi occasionne de l'aigreur, on s'en apperçoit aisément dans le bain ; on voit le bain s'agiter à sa superficie, tantôt jetter des fleurs, tantôt former des éclairs ; il n'est point alors de moyen fixe à indiquer pour l'adoucir : il est des aigreurs qui cedent à la projection du salpêtre seul ; il en est d'autres qui veulent le salpêtre & le borax ; une autre espece demande le crystal minéral ; en général le borax est ce qui réussit le mieux, mais il a l'inconvénient de pâlir l'or. Quand l'aigreur procede de quelque mêlange de plomb, d'étain, de calamine ou cuivre jaune, on s'en apperçoit aisément, parce qu'alors il s'éleve sur la surface des petites bulles de la forme à-peu-près d'une lentille ; le moyen d'adoucir cette espece d'aigreur, est le mêlange de salpêtre & de soufre. Au surplus, c'est à un artiste intelligent à tâter son métal, & à voir par l'espece d'aigreur apparente, quels sels y conviennent le mieux ; mais il ne doit point verser son or, qu'il ne soit assuré de sa ductilité, par la tranquillité du bain ; ce qui se remarque aisément, sur-tout quand les sels fondus couvrent exactement la surface, & qu'aucun éclair ni bouillonnement ne les sépare ; alors l'or est certainement doux. Il faut encore observer qu'on ne doit point toucher l'or en fusion avec du fer, autrement on court risque de l'aigrir, ce qui lui est contraire avec l'argent, que l'attouchement du fer adoucit. L'argent n'étant pas si sujet à contracter des aigreurs, pour peu que l'on lui en apperçoive, le salpêtre, quelques croûtes de pain & le savon suffisent pour en venir à bout.

OR EN BAIN, se dit de l'or qui est en pleine fusion dans le creuset.

OR POREUX, se dit de tout or qui renferme des cavités & des impuretés dans son sein, qui se découvrent à l'emploi ; cet inconvénient résulte du défaut de propreté dans la fonte, ou dans la forge de l'or, en versant l'or & l'argent dans la lingotiere. Ces métaux sur la fin de l'opération contractent un peu de froid, ce qui forme sur le dessus des lingots une espece de peau : en outre les sels qui ont été mis en fusion avec les métaux, & qui ont ramassé toutes les impuretés, coulent avec les métaux, se rassemblent sur la surface & y forment des cavités. Il seroit toûjours prudent d'enlever cette premiere peau avec le gros grattoir ; voyez éPAILLER. Il faut ensuite avoir soin que l'enclume sur laquelle on forge soit propre, qu'elle ne contracte point de rouille non-plus que les marteaux dont on se sert ; éviter la chûte de quelque ordure sur la piece pendant qu'on la forge, & avoir soin, en forgeant & rechauffant, de prendre garde que quelque partie du métal ne se reploie sur lui-même, autrement il se doubleroit, & souvent on ne s'en appercevroit qu'à la fin de l'ouvrage qu'on seroit étonné de voir enlever la moitié de l'épaisseur de sa piece. Le moyen le plus sûr de remédier à ces inconvéniens est d'épailler souvent ; & si on s'apperçoit que les métaux soient trop poreux, il est plus prudent de les refondre que de s'obstiner à les travailler, car quelque peine que l'on se donnât, il ne prendroit jamais un beau poli.

OR CHARGE D'EMERIL. Il arrive souvent que l'or est chargé de petites parties d'émeril, qui est une matiere dure & pierreuse, dont aucune dissolution n'a pû le purger : c'est un inconvénient d'autant plus dangereux, qu'il se loge toûjours dans les entrailles du métal, & que quand il est en petits grains surtout, il ne se découvre qu'à la fin & lors, pour ainsi dire, qu'il n'y a plus de remede, l'ouvrage étant presqu'à sa perfection. Quand on le sait, pour l'en purger totalement, on trouve dans les mémoires de l'académie des Sciences de 1727 le procédé suivant.

Parties égales d'or & de bismuth : fondez-les ensemble dans un creuset, & versez dans un cône à régule ce qui pourra sortir coulant : pesez ensuite ce mêlange fondu pour juger de la quantité qui sera restée dans le creuset : ajoutez-y la même quantité de bismuth : faites fondre le mêlange, versez comme la premiere fois, & répétez encore toute l'opération jusqu'à ce que toute la matiere soit sortie du creuset bien coulante. On mettra cet or ainsi soulé de bismuth dans une grande coupelle épaisse, bien soutenue dans une autre faite de terre de creuset où elle aura été formée & bien battue : on coupelle ce mêlange sans y mettre autre chose ; mais quand il sera figé on trouvera encore l'or impur & couvert d'une peau livide. On mettra alors sur chaque marc d'or deux à trois onces de plomb, & l'on continuera de coupeller jusqu'à ce que tout le plomb soit évaporé ou imbibé dans la coupelle : après cette seconde opération, l'or n'est pas encore aussi beau qu'il doit l'être, quoiqu'il soit déja moins livide & moins aigre : pour achever de le purifier ; il faut le mettre dans un creuset large qu'on placera dans une forge, desorte que le vent du soufflet darde la flamme sur le métal ; on le tiendra quelque tems en fusion, & l'on cessera de souffler quand l'or commencera à s'éclaircir. On y jettera ensuite à plusieurs reprises un peu de sublimé corrosif, & sur la fin un peu de borax.

On connoît que l'opération est entierement finie, lorsque le métal devient tranquille, qu'il ne fume plus, & que sa surface est brillante ; alors on peut le jetter en lingot, &, en le travaillant, on le trouvera fort doux. Si ce mauvais or tenoit de l'argent, il faut le traiter davantage selon cette vûe, parce que l'argent ne s'en sépare pas par la coupelle de plomb.

Après que l'or aura été coupellé la premiere fois avec le bismuth, on mettra deux parties d'argent sur une partie d'or, & on le coupellera selon l'art avec le plomb : il ne sera pas nécessaire alors de jetter tant de sublimé corrosif dans le creuset ; l'or étant retiré de la coupelle, on départira l'argent à l'ordinaire par l'eau-forte.

Mais comme ces procédés sont au-dessus de la portée des artistes ordinaires, & qu'ils n'ont ni le tems ni la commodité de les exécuter, il est un moyen qui demande peu de frais & d'attention pour éviter au-moins qu'il ne se rencontre d'émeril dans les grandes parties de leurs ouvrages. Ce moyen que je crois déja avoir indiqué, est de fondre leur or dans un creuset rond de forme conique très-pointue, auquel en le faisant faire on fait réserver un pié rond & plat par-dessous, pour lui donner de l'assiette dans la casse, & à-peu-près dans la forme ci-contre,...

Il est constant que l'émeril se précipite toûjours au fond ; ainsi lorsque l'or est fondu, il faut le laisser refroidir dans le creuset, casser le creuset, & couper le culot d'or, l'émeril se trouve rassemblé dans ce culot. On se sert de ces culots pour des ouvrages de peu de conséquence dont il n'y a qu'un côté qui doive être poli, ou on les fond avec les garnisons, c'est-à-dire, les moulures ou les quarrés. Comme l'émeril se loge presque toûjours dans l'intérieur du métal, & que ces sortes de pieces restent toûjours épaisses, l'émeril se trouve renfermé dans ces épaisseurs ; & si par hasard il s'en découvre quelques grains, ils ne peuvent choquer l'oeil ; & y en eût-il dix grains sur un morceau de quarré, ils ne seront pas si sensibles qu'un seul au milieu d'une plaque qui y cause une difformité affreuse, en ce qu'il dérange toute l'économie & le brillant du poli.

OR D'ESSAI, est l'or qui a passé par l'essai, qui après cela est très-fin, & dont le titre est fort approchant des 24 karats.

OR DE COULEUR, terme qui exprime les différentes couleurs que l'on a trouvé le moyen de donner à l'or par l'alliage d'autres métaux avec lui. On emploie ces ors colorés, ou pour mieux dire nuancés, particulierement dans les bijoux d'or, pour y représenter avec plus de vérité les sujets que l'on veut exécuter, & approcher autant qu'il est possible de l'imitation de la nature. Veut-on représenter une maison, on emploie l'or blanc ; un arbre, l'or verd ; une draperie, l'or bleu, l'or jaune ; les chairs se font volontiers avec de l'or rouge. On ne connoît que cinq ors de couleur, qui sont l'or blanc, l'or jaune, l'or rouge, l'or verd, l'or gris ou bleuâtre.

L'or jaune, est l'or fin dans toute sa pureté.

L'or rouge, est un or au titre de 16 karats, allié par trois parties d'or fin sur une de cuivre rosette.

L'or verd, est aussi au titre de 16 karats, fait avec trois parties d'or fin & une partie d'argent fin.

L'or verd, est celui dont un habile artiste peut tirer le plus de parti pour les nuances, parce que c'est celui où elles sont le plus sensibles. Le verd dont nous venons de donner la proportion, fournira un beau verd de pré. Mettez (en considérant la totalité comme 24) 18 parties d'or fin sur 6 d'argent fin, on aura un verd feuille morte ; en mettant au contraire 10 parties d'argent fin sur 14 d'or fin, on aura un verd d'eau : c'est à l'artiste à consulter ses nuances & ses sujets pour régler ses alliages.

L'or gris ou bleu, ou pour bien dire ni gris ni bleu, mais bleuâtre, se fait par le mêlange de l'arsenic ou de la limaille d'acier : la fumée de l'arsenic étant très-dangereuse, on s'en sert peu ; & comme il arrive souvent que la limaille d'acier se brûle trop vîte, on a éprouvé que ce qui réussissoit le mieux étoit du gros fil de fer doux, dont on prend un quart du poids que l'on veut nuancer, & que l'on jette dans le creuset. Lorsque l'or est en bain, il s'en saisit alors ordinairement assez vîte ; on retire le tout du feu aussi-tôt qu'on s'apperçoit que l'incorporation est faite ; autrement l'or, en bouillant long-tems, le rejetteroit de son sein par scories ; cette couleur peu décidée est cependant la plus difficile à faire.

L'or blanc est assez improprement appellé or, n'étant autre chose que de l'argent, à-moins que pour éteindre sa vivacité on ne le mêlange un peu, ce qui arrive rarement.

OR, marc d ', (Poids) Le marc d'or, en latin bes auri, fait un poids de huit onces pesant d'or. Il se divise en vingt-quatre karats, le karat en huit deniers, & le denier en vingt-quatre grains ; ensorte qu'un marc d'or est composé de 4608 grains. Le marc d'or vaut par l'édit du mois de Mai 1743, la somme de 950 liv. 10 s. 11 den. s'il est pur ; & 900 monnoyé en louis d'or du titre de 22 karats, du poids de 7 d. 16 grains 8/25 à la taille de 25 au marc, au remede de poids de 12 grains, & d'un quart de karat de fin par marc, & valant 36 livres.

OR NOVELLAN. On appelle ainsi dans le royaume de Pégu l'or qui est au plus haut titre, comme qui diroit en France à 24 karats.

OR EN PATE, c'est une pâte d'or qui peut servir à un artiste intelligent pour réparer des accidens arrivés à une piece finie, & que l'on ne pourroit reporter au feu. Un amateur des arts nous a communiqué le secret de cette pâte par la voie du Mercure de France, au mois de Février 1745. Ce secret qui n'est pas encore à son degré de perfection, peut y être porté par la suite ; il est néanmoins très-utile tel qu'il est, & mérite d'être conservé dans un ouvrage comme celui-ci. Le voici tel qu'il nous a été donné.

On prend quatre parties d'or en chaux bien pur, précipité du départ : on l'amoncelle sur une petite table d'agate, & on fait dans le milieu un petit enfoncement avec le doigt, dans lequel on verse deux parties de mercure revivifié du cinabre qu'on a eu soin de peser exactement. Aussi-tôt qu'on a mis le mercure dans cet enfoncement, l'on y jette de l'esprit d'ail qui fermente sur le champ avec le mercure & l'or ; sans perdre de tems on mêle & broie bien le tout avec une petite molette d'agate, jusqu'à ce que le mêlange soit seché & mis en poudre. Je n'ai pas pesé la quantité d'esprit d'ail, parce que M. de Paresky m'a assuré que tout l'inconvénient qu'il y avoit à en trop mettre étoit qu'il falloit broyer plus longtems ; j'en avois trop mis effectivement, j'ai laissé évaporer une partie de la liqueur ensorte que ma poudre n'a été parfaitement seche que le lendemain.

Pour employer cette poudre sur l'or ou sur l'argent, il faut que la piece soit très-nette & l'argent le plus fin : immédiatement avant que d'y appliquer l'or préparé, on la frotte avec du jus de citron ; on délaye ensuite un peu de la poudre qui est grise comme de la cendre avec du jus de citron, & on l'emploie sur la piece d'or ou d'argent avec une facilité infinie, & aussi épaisse que l'on veut, puisqu'il n'y a qu'à mettre plusieurs couches l'une sur l'autre, ou laisser épaissir un peu le mêlange avant de l'appliquer : on peut aussi travailler cette pâte appliquée, lorsqu'elle est seche, avec des ébauchoirs.

Lorsque la poudre est appliquée comme on vient de le dire, & qu'on a couvert le dessein précédemment tracé, on fait chauffer la piece sur le feu de charbon pour faire évaporer le mercure : plus on la chauffe, moins il reste de mercure, & par conséquent plus l'or est haut en couleur. Cependant il reste toûjours assez pâle, & ce seroit une chose utile de trouver un moyen pour lui donner de la couleur ; car on feroit avec cette pâte des ornemens d'une très-grande beauté & avec une facilité infinie, tant sur l'or que sur l'argent.

Lorsque l'or est devenu jaune sur le feu, on le frotte avec le doigt & un peu de sable broyé ; il prend du brillant, alors on peut le ciseler & le réparer à l'ordinaire, si ce n'est qu'il est plus mol & plus spongieux : ainsi, pour le travailler, il vaut mieux l'enfoncer au ciselet, que l'enlever avec le burin. Il est rare qu'il se détache ; si cependant cela arrivoit, il seroit aussi facile d'y en remettre qu'il l'a été la premiere fois.

Il faut avertir que l'esprit d'ail est d'une puanteur insupportable : il faut prendre garde d'en jetter par terre, car quelques gouttes qui étoient tombées ont infecté la maison pendant deux jours.

Cet esprit se fait en chargeant une cornue de gousses d'ail pilées ; on lute bien la cornue avec son récipient, & on distille au bain de sable ; on se sert indistinctement de toute la liqueur claire qui a passé dans le récipient, en la séparant seulement de l'huile fétide. Je ne sai si le suc d'ail ne feroit pas aussi bien.

Lorsqu'on a délayé avec du jus de citron plus de poudre qu'il n'en faut, ou qu'on n'en peut employer sur le champ, elle ne peut plus servir une autre fois après avoir été séchée, il faut la jetter dans l'eau où elle se précipite. On lave dans la même eau les pinceaux, la petite table d'agate, & la molette dont on s'est servi ; l'or se précipite, & on peut le refondre pour en faire de nouvelle chaux.

Cette chaux peut se faire par le départ ordinaire de l'or & de l'argent, ou en précipitant l'or dans une dissolution très-affoiblie par le moyen de la mine de cuivre rouge bien nette, ou en affoiblissant une dissolution d'or par 25 ou 30 parties de vin de Champagne ou de vin du Rhin, & exposant le vaisseau au soleil : cette derniere opération donne une chaux très-fine & d'une belle couleur.

OR EN COQUILLE, se dit des feuilles d'or broyées & amalgamées dans une coquille avec un mordant. Les Peintres s'en servent pour des ouvrages pointillés ; & les Orfevres quelquefois pour boucher des trous imperceptibles qui auroient pû se faire dans un bijou ciselé. On ne peut s'en servir que pour des parties d'or mat, sa couleur jaune y étant analogue, & ne pouvant s'accorder avec celle de l'or bruni ou poli.

OR MAT, se dit des parties d'or sur les bijoux, qui ont été amaties & pointillées au ciselet ou au matoir, qui sont restées sur leur couleur jaune, ou auxquelles on l'a restituée par la couleur au verdet, ou au tire-poil. Voyez COULEUR, CISELET, MATOIR, MATIR ou AMATIR.

OR BATTU, ou or en feuilles, se dit de l'or réduit en feuilles minces & préparées pour la dorure ; cette préparation est du ressort du Batteur d'or. V. BATTEUR D'OR.

OR EN LAMES, se dit de l'or écaché entre deux roues du moulin à laminer, pour être employé dans les galons. Comme on ne fait point de galons d'or à cause de leur cherté & de la trop grande pesanteur, ce terme ne peut guere s'entendre que de l'argent doré auquel l'usage a improprement consacré le nom d'or : on dit or en lame, or trait, or filé, galon d'or, quoiqu'il ne s'agisse que de galon d'argent doré, & des parties qui le composent.

OR TRAIT, se dit de l'argent doré réduit en fil extrêmement menu & délié, que l'on emploie pour faire des boutons & quelques parties de broderies.

OR FILE, se dit de l'argent doré réduit en lames minces & étroites, filé ensuite au moulinet sur de la soie, du fil ou du crin, pour les galons & la broderie.

OR FAUX, se dit des lames, paillettes, filés, galons, &c. & autres pieces de cuivre doré & imitant l'or.

OR MOULU, se dit de l'or qui a été amalgamé avec du mercure, pour appliquer sur des pieces d'argent ou de cuivre que l'on veut dorer solidement : cet amalgame se fait dans un creuset garni de craie que l'on fait recuire, & dans lequel on met huit parties de mercure & une d'or. Quand le creuset est rougi, on y met le mercure & l'or que l'on remue avec un bâton ; l'amalgame fait, on retire le creuset du feu, on le lave plusieurs fois, & on le passe dans un chamois pour faire sortir le vif argent qui ne seroit pas amalgamé, on l'emploie ensuite pour dorer. Voyez DORURE.

On estime ici la dorure d'Allemagne, parce qu'elle est plus brillante & se fait à moins de frais ; mais on ne réfléchit pas que l'argent d'Allemagne étant de bas titre & allié sur cuivre jaune, est déja par sa couleur analogue à celle de l'or, qu'en conséquence il n'est pas étonnant qu'il faille moins d'or, & qu'il prenne une couleur plus brillante. Les Allemands emploient, pour donner à leur dorure une couleur haute, des cires composées, dont voici deux recettes que j'ai vû employer en Allemagne : ils appellent cette composition glivax.

Une once de crayon rouge, deux onces de cire jaune, trois quarts d'once de verd de gris, trois quarts d'once de vitriol blanc, quatre gros de borax.

Autre. Deux onces de cire jaune ou rouge, une once de sanguine, une demi-once de vitriol blanc, un gros de verd de gris, un gros de borax.

Ils forment de tous ces ingrédiens une pâte dont ils enduisent la piece dorée, ils la portent ainsi enduite au feu, & l'y laissent jusqu'à ce que cette pâte ou cire soit brûlée ; alors ils la gratebossent & brunissent dans de l'urine, & leur dorure la plus superficielle devient brillante.

Je crois devoir joindre aussi à cet article deux recettes qui nous sont parvenues par la voie du Journal économique, mois de Novembre 1751, pour conserver la dorure des pieces d'orfévrerie dorées que l'on seroit obligé de reporter au feu pour resouder, & qui ont été éprouvées avec succès.

On sait que lorsqu'une piece d'argent dorée est reportée au feu & obligée d'y rougir, la dorure rentre en-dedans & l'argent reste d'un blanc sale, desorte qu'il faut de toute nécessité la redorer : les recettes suivantes conservent la dorure, & on n'est obligé que de remettre les pieces en couleur.

La premiere, est d'enduire la piece d'ochre, & de la laisser secher dessus avant de la porter au feu.

La seconde, est de prendre autant de jus d'ail que de blanc d'oeuf, & d'en faire une pâte avec du blanc d'Espagne dont on enduit la piece ; quand la pâte est seche on porte au feu & on soude sans risque. Cette pâte sert aussi à mettre en couleur une piece d'or où il y a des chatons ou appliques d'argent ; on barbouille l'argent de cette pâte, & la couleur n'a par ce moyen aucune action dessus.

OR EN POUDRE, se dit d'un or mis en dissolution & réduit en poudre, dont on se sert pour des dorures superficielles, telles que le dedans des tabatieres d'argent, & tous les dessous des chatons des ouvrages de joaillerie.

Pour faire cette poudre, on prend un gros d'or en chaux, que l'on précipite dans une dissolution composée de deux onces d'eau forte, un gros de sel ammoniac, deux gros de salpêtre fin, & un gros de couperose : on y joint aussi douze ou quinze grains de cuivre rosette par gros d'or pour lui donner une couleur rouge. Cette dissolution se fait dans un matras au bain de sable ; quand elle est faite, on la verse goutte à goutte sur de vieux chiffons de linge, que l'on prend en proportion de la quantité de liqueur ; quand ces chiffons sont bien imbibés & que la dissolution est tarie, on les laisse secher, puis on les pose sur un plat de faïance, & on y met le feu avec une allumette dont on a ôté le soufre, on les laisse se consumer petit-à-petit & se réduire en cendre ; c'est de cette cendre dont on se sert pour la dorure en poudre, & qu'on nomme or en poudre. Pour l'employer, il faut que les pieces soient au degré de poli qu'on nomme adouci ; alors on prend un bouchon de liege bien sain que l'on mouille avec de l'eau très-propre, on trempe ce bouchon mouillé dans la boîte à poudre d'or, & on étend cette poudre sur les pieces en frottant avec le bouchon ; il ne faut pas employer trop d'eau parce que la poudre se met en lavage & se perd : on reconnoît à l'inspection si la couche est assez épaisse, alors on cesse de frotter avec le bouchon & on brunit. Dans les grands ouvrages on se sert des brunissoirs de sanguine, & dans les petits ouvrages d'un petit brunissoir d'acier poli, & ce bruni se fait avec de l'eau de savon.

OR, purification de l ', (Monnoyage) on trouve quelquefois de l'or qui a divers caracteres d'impureté ou d'imperfection. Il ne se met jamais en fusion claire ; sa surface est livide ; si on le verse dans une lingotiere, il en demeure dans le creuset une partie qui n'est pas assez coulante ; enfin il est aigre, cassant, & ne se peut presque pas travailler. On croit communément qu'il tient quelque portion d'émeril, qui est une matiere pierreuse, dure, & très-hétérogene à l'or. En effet, on rencontre assez souvent de l'émeril dans les mines d'or ; mais sans examiner s'il s'en est mêlé véritablement dans l'or, on trouvera dans les mémoires de l'acad. des Sciences un moyen de purifier l'or, & de le rendre aussi doux qu'il doit l'être naturellement : ce moyen est assez intéressant pour l'indiquer ici.

L'on sait que tout le métal, excepté l'argent mêlé avec l'or, s'en sépareroit par la coupelle, & que l'argent ne s'en sépare que par le départ. Ici il faut d'autres moyens.

Il faut prendre de l'or qu'on suppose mêlé d'émeril, & de bismuth parties égales, les fondre ensemble dans un creuset, & verser dans un culot ce qui pourra sortir coulant ; peser ensuite ce mêlange fondu pour juger de la quantité restée dans le creuset, la mêler avec une égale quantité de bismuth, refondre & reverser comme la premiere fois ; on répétera l'opération jusqu'à ce qu'enfin toute la matiere soit sortie du creuset bien coulante.

Cet or ainsi soulé de bismuth, on le mettra dans une grande & épaisse coupelle, bien soutenue d'une autre faite de terre à creuset dans laquelle elle aura été formée & bien battue. On coupellera le mêlange sans y rien mettre autre chose, & quand il sera figé, on trouvera l'or encore impur, & couvert d'une peau livide. On mettra alors sur chaque marc d'or deux ou trois onces de plomb soit évaporé, soit imbibé dans la coupelle. Après cette seconde opération, l'or n'est point encore aussi beau qu'il le doit être, quoiqu'il soit cependant moins livide & moins aigre.

Pour achever de le purifier, il faut le mettre dans un creuset large, que l'on placera dans une forge, desorte que le vent du soufflet darde la flamme sur le métal, on le tiendra quelque tems en fusion ; & on cessera de souffler, quand l'or commencera à s'éclaircir ; on y jettera ensuite à plusieurs reprises un peu de sublimé corrosif, & sur la fin un peu de borax. On reconnoît que l'opération est entierement finie, lorsque le métal devient tranquille, qu'il ne fume plus, & que la surface est brillante. On le peut alors jetter en lingot ; & quand on le travaillera, on le trouvera fort doux.

Si ce mauvais or tenoit aussi de l'argent, il faudroit le traiter davantage selon cette vue, parce que l'argent mêlé avec l'or, est le seul métal qui ne s'en sépare pas par la coupelle. Après que l'or aura été coupellé la premiere fois avec le bismuth, on mettroit deux parties d'argent sur une d'or, afin que l'argent en plus grande quantité tirât mieux l'argent que l'or. On le coupelleroit avec le plomb, comme il a été dit, & il ne seroit pas nécessaire de mettre tant de sublimé corrosif. On feroit enfin le départ de l'argent à l'ordinaire. (D.J.)

OR-SOL, on se sert quelquefois de ce terme pour évaluer & calculer les monnoies de France dans les remises qu'on en fait pour les pays étrangers, ce qui triple la somme que l'on remet. Ainsi, quand on dit qu'on a 450 liv. 15 s. 6 d. d'or-sol à remettre à Amsterdam à 86 deniers de gros par écu, on sousentend qu'on a 1352 liv. 6 s. 6 d. tournois, la livre d'or valant 3 liv. simplement, le sol d'or, 3 sols, & le denier d'or trois deniers.

OR A DORER LES LIVRES, c'est une poudre d'or que les Batteurs d'or réduisent en feuilles très-minces (voyez BATTEUR D'OR) & qu'ils distribuent dans un livret de 13 feuilles, qui font 26 feuillets de papier blanc sur lesquels ils mettent une couche legere de rouge, pour que l'or s'en détache aisément ; on met dans ce livret 25 feuilles d'or, ce qui fait qu'on le nomme un quarteron d'or. Voyez les Planches.

OR, (Ecriture) il y a deux moyens pour écrire en lettres d'or. Voici le premier qui est simple.

Prenez 20 feuilles d'or & quatre gouttes de miel, & les mêlez ensemble, puis mettez-les dans un cornet de terre ou de verre, & quand vous voudrez vous en servir, détrempez le tout avec de l'eau gommée.

Le second, qui demande plus d'apprêt, est précisément un mordant pour l'or & l'argent en relief sur le papier ou le parchemin.

Prenez gomme arabique de la plus blanche & de la plus nette que vous pourrez trouver, & mise en poudre très-fine, une once.

Du sucre candi bien choisi, une once aussi réduit en poudre très-fine.

Faites fondre votre sucre dans un poisson de bonne eau-de-vie ou d'esprit de vin, joignez-y ensuite votre gomme bien pulvérisée, & l'y laisserez jusqu'à ce qu'elle soit bien fondue. Vous remuerez de tems en tems la bouteille, ensuite vous y mettrez gros comme une fêve de bon miel de Narbonne ; si vous le trouvez trop coulant, vous y ajouterez gros comme un pois de gomme gutte.

Si ce mordant est destiné pour l'or, vous y mettrez du carmin autant qu'il en faut pour faire un rouge un peu foncé. Si c'est pour l'argent, vous y ajouterez de beau bleu de Prusse, tout ce qu'il y a de meilleur, & ce qu'il en faut.

Ce mordant s'emploie avec une plume ou un pinceau pour tous ouvrages en lettres, desseins, &c. & lorsqu'il est à un certain degré de sécheresse, il faut poser votre or ou argent, qui doit être coupé de la grandeur nécessaire ; s'il arrivoit qu'il fût un peu trop sec, en happant ce mordant avec l'haleine il remordroit.

S'il s'épaissit, il faut y mettre un peu d'eau-de-vie, & un peu de miel pour le faire couler ; & s'il ne mordoit point assez, il faudroit y ajouter un peu de gomme gutte.

Il ne faut employer que de l'or & de l'argent fin que l'on coupe avec un couteau à l'or sur un coussin de cuir. Deux jours après on ôtera la superficie de l'or ou de l'argent en passant dessus un coton légerement. Au bout de trente jours, l'on peut avec une bonne dent de loup donner en brunissant le beau brillant à l'ouvrage.

OR, terme de Blason, couleur jaune qui représente le premier métal ou le premier des émaux. Voyez COULEUR & METAL.

Sans or ou sans argent il ne peut y avoir de bonnes armoiries, c'est-à-dire, des armes suivant les regles du blason. Voyez ARMES & ARGENT.

Dans les côtes d'armes des nobles l'or s'appelle topaze, & dans celles des princes souverains sol. Les graveurs représentent l'or par une infinité de petits points, comme on le peut voir dans nos Planches du Blason.

L'or est le symbole de la sagesse, de la tempérance, de la foi, de la constance, & de la force, &c.

OR DE TOULOUSE, (Littérat.) aurum Tolosanum, c'étoit, au rapport d'Aulu-Gelle, un proverbe chez les Romains pour signifier un bien qui entraînoit la perte de celui qui le possédoit.

L'origine du proverbe est la prise de Toulouse dans les Gaules par Quintus Cépion. Il y enleva du temple d'Apollon cent mille marcs d'or, & cent dix mille marcs d'argent qui provenoient du pillage de l'ancien temple de Delphes par les Tectosages. Le sénat de Rome manda à Cépion d'envoyer tout cet argent à Marseille, ville amie & alliée du peuple Romain ; les conducteurs furent assassinés sur la route, & l'argent volé. On fit des grandes recherches, & Cépion fut accusé d'avoir lui-même fait assassiner ses gens, & s'être emparé du trésor. Ayant été banni de sa patrie avec toute sa famille, il mourut de misere dans son exil : cependant Ciceron assure qu'on fit un crime à Cépion de ce qui n'étoit que l'effet du caprice de la fortune, & que son désastre n'eut d'autre principe que la haine du peuple qu'on avoit séduit. Il fut jugé dans la derniere rigueur, parce qu'il eut pour juges les chevaliers qui le haïssoient mortellement. Leur haine venoit de ce que Cépion dans son consulat, avoit partagé la connoissance des causes entre le sénat & cet ordre de gens qui en étoit seul en possession depuis la loi de Caius Gracchus, & qui en jouit jusqu'au tems de la loi Plautia. Quoi qu'il en soit, l'or de Toulouse passa en proverbe pour marquer quelque chose de funeste. Les Romains, pour le dire en passant, eurent encore dans la suite un autre proverbe qui revenoit au même sens que celui de l'or de Toulouse. Ils disoient d'un homme qui finissoit sa vie d'une façon misérable, qu'il avoit le cheval de Séjan, parce que tous ceux à qui ce cheval avoit appartenu, étoient morts d'une maniere tragique. (D.J.)

OR, âge d '(Mytholog.) âge heureux où regnoit l'innocence & la justice, où jamais le souffle empoisonné des soucis rongeans ne corrompit l'air pur qu'on respiroit ! Dans cet âge, le sang humain n'étoit point formé de chair immonde. L'homme étranger aux arts cruels de la vie, aux rapines, au carnage, aux excès, aux maladies, étoit le maître, & non le bourreau des autres êtres de l'univers.

Le crépuscule éveilloit alors la race heureuse de ces hommes bienfaisans : il ne rougissoit point comme aujourd'hui, de répandre ses rayons sacrés sur des gens livrés à l'empire du sommeil, du luxe & de la débauche. Leur assoupissement léger s'évanouissoit encore plus légerement : renaissans entiers comme le soleil, ils se levoient pour admirer la beauté de la nature. Occupés de chants, de danses, & de doux plaisirs, leurs heures s'écouloient avec rapidité dans des entretiens pleins de douceur & de joie : tandis que dans le vallon semé de roses, l'amour faisoit entendre ses soupirs enfantins, libres de toute inquiétude, ils ne connoissoient que les tendres peines, qui rendent le bonheur encore plus grand. Ces fortunés enfans du ciel n'avoient d'autres lois que la raison & l'équité : aussi la nature bienfaisante les traitoit-elle en mere tendre & satisfaite.

Aucuns voiles n'obscurcissoient le firmament : des zéphirs éternels parfumoient l'air des présens de Flore : le soleil n'avoit que des rayons favorables : les influences du ciel répandues en douce rosée, devenoient la graisse de la terre. Les troupeaux mêlés ensemble bondissoient en sureté dans les gras pâturages, & l'agneau égaré dormoit tranquillement au milieu des loups. Le lion étincelant n'allarmoit pas les foibles animaux qui paissoient dans les vallons ; considérant d'abord dans sa retraite sombre le concert de la nature, son terrible coeur en fut adouci, & se vit forcé d'y joindre le tribut de sa triste joie : tant l'harmonie tenoit toutes choses dans une union parfaite : la flûte soupiroit doucement ; la mélodie des voix suspendoit toute agitation. L'écho des montagnes répétoit ces sons harmonieux, le murmure des vents & celui des eaux s'unissoient à tous ces accords.

Les orages n'osoient souffler, ni les ouragans paroître : les eaux argentines couloient tranquillement. Les matieres sulphureuses ne s'élevoient pas dans les airs pour y former les terribles météores : l'humidité mal-saine, & les brouillards, encore plus dangereux, ne corrompoient pas les sources de la vie. Tels étoient les premiers jours du monde en son enfance : alors, pour m'exprimer dans le langage des dieux,

La terre féconde & parée

Marioit l'automne au printems ;

L'ardent Phaebus, le froid Borée

Respectoient l'honneur de nos champs.

Par-tout les dons brillans de Flore

Sous les pas s'empressoient d'éclorre

Au gré des zéphirs amoureux ;

Les moissons inondant nos plaines

N'étoient ni le fruit de nos peines,

Ni le prix tardif de nos voeux.

Alors l'homme ne cherchoit pas sa félicité dans le superflu ; & la faim des richesses n'allumoit pas en lui des desirs insatiables.

Mais bien-tôt ces tems rapides & innocens ont fait place au siecle de fer : disciples de la nature, vous connoissez cependant encore cet âge brillant que les poëtes ont imaginé. Le ciel, il est vrai, ne vous a pas placé dans les vallées délicieuses de la Thessalie, d'où l'âge d'or tira son origine ; mais du moins la vertu vous fait trouver la santé dans la tempérance, le plaisir dans le travail, & le bonheur dans la modération. (D.J.)


ORACH(Géog.) petite ville de la Turquie européenne dans la Bosnie, sur les confins de l'Hertzégovine. Long. 35. 30. lat. 42. 10. (D.J.)


ORACLES. m. (Théolog. payenne) Sénéque définit les oracles la volonté des dieux annoncée par la bouche des hommes. Quoique cette définition soit fort différente de celle que je donnerois, il est toujours constant que la plus auguste & la plus réligieuse espece de prédiction dans l'antiquité payenne étoit les oracles. Le desir si vif & si inutile de connoître l'avenir leur donna naissance, l'imposture les accrédita, & le fanatisme y mit le sceau.

On ne se contenta pas de faire rendre des oracles à tous les dieux, ce privilege passa jusqu'aux héros, tant on avoit besoin de mettre à profit l'insatiable curiosité des hommes. Outre les oracles de Delphes & de Claros que rendoit Apollon, & ceux de Dodone & d'Ammon en l'honneur de Jupiter, Mars eut un oracle dans la Thrace, Mercure à Patras, Vénus à Paphos & à Aphaca, Minerve à Mycènes, Diane dans la Colchide, Pan en Arcadie, Esculape à Epidaure & à Rome, Hercule à Athènes & à Gadès, Sérapis à Alexandrie, Trophonius dans la Béotie, &c.

Ils ne se rendoient pas tous de la même maniere. Ici c'étoit la prêtresse ou le prêtre qui répondoit pour le dieu que l'on consultoit ; là c'étoit le dieu qui parloit lui-même. Dans un autre endroit on obtenoit la réponse du dieu par des songes. Ailleurs, l'oracle se rendoit sur des billets cachetés, ou par les sorts, comme à Préneste. Enfin, il falloit quelquefois, pour se rendre digne de l'oracle, beaucoup de jeûnes, de sacrifices, de lustrations, des mysteres, &c.

Mon dessein n'est pas de traiter ici directement l'histoire des oracles, on pourra consulter leurs articles particuliers ; mais je me propose principalement de combattre l'opinion qui les attribue aux démons, & l'effet cessé à la venue de J. C. L'Ecriture-sainte ne nous apprend en aucune maniere que les oracles aient été rendus par les démons, & dès-lors c'est un de ces sujets que la sagesse divine a jugé assez indifférens pour l'abandonner à nos petites recherches. Celles de M. de Fontenelle, sans être originales, sont si judicieusement écrites, que je les ai choisies pour en donner le précis dans ce mémoire. Son étendue quelle qu'elle soit, ennuyera d'autant moins, qu'il s'agit ici d'un sujet susceptible de bien des réflexions philosophiques.

Les anciens chrétiens ont pensé que les oracles étoient rendus par les démons, à cause de quelques histoires surprenantes d'oracles qu'on croyoit ne pouvoir attribuer qu'à des génies. Telle étoit l'histoire du pilote Thamus au sujet du grand Pan, rapportée dans Plutarque ; telle étoit encore celle du roi Thulis, celle de l'enfant hébreu à qui tous les dieux obéissent ; & quelques autres qu'Eusebe a tirées des écrits même de Porphyre. Sur de pareilles histoires, on s'est persuadé que les démons se mêloient des oracles.

Les démons étant une fois constans par le Christianisme, il a été assez naturel de leur donner le plus d'emploi qu'on pouvoit, & de ne les pas épargner pour les oracles, & les autres miracles payens qui sembloient en avoir besoin. Par-là on se dispensoit d'entrer dans la discussion des faits, qui eût été longue & difficile ; & tout ce qu'ils avoient de surprenant & d'extraordinaire, on l'attribuoit à ces démons, que l'on avoit en main. Il sembloit qu'en leur rapportant ces événemens, on confirmât leur existence, & la religion même qui nous la revele.

Cependant les histoires surprenantes qu'on débitoit sur les oracles doivent être fort suspectes. Celle de Thamus, à laquelle Eusebe donne sa croyance, & que Plutarque seul rapporte, est suivie dans le même historien d'un autre conte si ridicule, qu'il suffiroit pour la décréditer entierement ; mais de plus, elle ne peut recevoir un sens raisonnable. Si ce grand Pan étoit un démon, les démons ne pouvoient-ils se faire savoir sa mort les uns aux autres sans y employer Thamus ? Si ce grand Pan étoit J. C. comment personne ne fut-il désabusé dans le paganisme, & comment personne ne vint-il à penser que le grand Pan fût J. C. mort en Judée, si c'étoit Dieu lui-même qui forçoit les démons à annoncer cette mort aux payens ?

L'histoire de Thulis, dont l'oracle, dit-on, est positif sur la Trinité, n'est rapporté que par Suidas, auteur qui ramasse beaucoup de choses, mais qui ne les choisit guere. Son oracle de Sérapis péche de la même maniere que les livres des sibylles par le trop de clarté sur nos mysteres ; de plus ce Thulis, roi d'Egypte, n'étoit pas assurément un des Ptolomées. Enfin, que deviendra tout l'oracle, s'il faut que Sérapis soit un dieu qui n'ait été amené en Egypte que par un Ptolomée qui le fit venir de Pont, comme beaucoup de savans le prétendent sur des apparences très-fortes. Du moins il est certain qu'Hérodote, qui aime tant à discourir sur l'ancienne Egypte, ne parle point de Sérapis, & que Tacite conte tout au long comment & pourquoi un des Ptolémées fit venir de Pont le dieu Sérapis, qui n'étoit alors connu que là.

L'oracle rendu à Auguste sur l'enfant hébreu, n'est point du tout recevable. Cedrenus le cite d'Eusebe, & aujourd'hui il ne s'y trouve plus. Il ne seroit pas impossible que Cédrenus citât à faux ou citât quelque ouvrage faussement attribué à Eusebe. Mais quand Eusebe, dans quelque ouvrage qui ne seroit pas venu jusqu'à nous, auroit effectivement parlé de l'oracle d'Auguste, Eusebe lui-même se trompoit quelquefois, & on en a des preuves constantes. Les premiers défenseurs du Christianisme, Justin, Tertullien, Théophile, Tatien auroient-ils gardé le silence sur un oracle si favorable à la religion ? étoient-ils assez peu zélés pour négliger cet avantage ? Mais ceux même qui nous donnent cet oracle, le gâtent, en y ajoutant qu'Auguste, de retour à Rome, fit élever dans le capitole un autel avec cette inscription : C'est ici l'autel du fils unique de Dieu. Où avoit-il pris cette idée d'un fils unique de Dieu, dont l'oracle ne parle point ?

Enfin, ce qu'il y a de plus remarquable, c'est qu'Auguste, depuis le voyage qu'il fit en Grece, dix-neuf ans avant la naissance de J. C. n'y retourna jamais ; & même lorsqu'il en revint, il n'étoit guere dans la disposition d'élever des autels à d'autres dieux qu'à lui ; car il souffrit non-seulement que les villes d'Asie lui en élevassent, & lui célébrassent des jeux sacrés, mais même qu'à Rome on consacrât un autel à la fortune, qui étoit de retour, fortunae reduci, c'est-à-dire, à lui-même, & que l'on mît le jour d'un retour si heureux entre les jours de fêtes.

Les oracles qu'Eusebe rapporte de Porphyre attaché au paganisme, ne sont pas plus embarrassans que les autres. Il nous les donne dépouillés de tout ce qui les accompagnoit dans les écrits de Porphyre. Que savons-nous si ce payen ne les refutoit pas ? Selon l'intérêt de sa cause il le devoit faire, & s'il ne l'a pas fait, assurément il avoit quelque intention cachée, comme de les présenter aux chrétiens à dessein de se moquer de leur crédulité, s'ils les recevoient pour vrais, & s'ils appuyoient leur religion sur de pareils fondemens.

L'opinion autrefois commune sur les oracles opérés par les démons, décharge le paganisme d'une bonne partie de l'extravagance, & même de l'abomination que les saints peres y ont toujours trouvée. Les Payens devoient dire, pour se justifier, que ce n'étoit pas merveille qu'ils eussent obéï à des génies qui animoient des statues, & faisoient tous les jours cent choses extraordinaires ; & les Chrétiens, pour leur ôter toute excuse, ne devoient jamais leur accorder ce point. Si toute la religion payenne n'avoit été qu'une imposture des prêtres, le Christianisme profitoit de l'excès du ridicule où elle tomboit.

Aussi y a-t-il bien de l'apparence que les disputes des Chrétiens & des Payens étoient en cet état, lorsque Porphyre avouoit si volontiers que les oracles étoient rendus par de mauvais démons. Ces mauvais démons lui étoient d'un double usage. Il s'en servoit à rendre inutiles, & même désavantageux à la religion chrétienne les oracles dont les Chrétiens prétendoient se parer ; mais de plus, il rejettoit sur ces gens cruels & artificieux toute la folie, & toute la barbarie d'une infinité de sacrifices, que l'on reprochoit sans cesse aux Payens. C'est donc prendre les vrais intérêts du Christianisme, que de soutenir que les démons n'ont point été les auteurs des oracles.

Si au milieu de la Grece même, ou tout retentissoit d'oracles, nous avions soutenu que ce n'étoit que des impostures, nous n'aurions étonné personne par la hardiesse de ce paradoxe, & nous n'aurions point eu besoin de prendre des mesures pour le débiter secrettement. La Philosophie s'étoit partagée sur le fait des oracles ; les Platoniciens & les Stoïciens tenoient leur parti, mais les Cyniques, les Péripatéticiens, les Epicuriens s'en moquoient hautement. Ce qu'il y avoit de miraculeux dans les oracles, ne l'étoit pas tant que la moitié des savans de la Grece ne fussent encore en liberté de n'en rien croire, & cela malgré le préjugé commun à tous les Grecs, qui mérite d'être compté pour quelque chose. Eusebe nous dit que six cent personnes d'entre les payens avoient écrit contre les oracles, & nomme entr'autres un certain Oenomaüs, dont il nous a conservé quelques fragmens, dans lesquels on voit cet Oenomaüs argumenter sur chaque oracle, contre le dieu qui l'a rendu, & le prendre lui même à partie.

Ce ne sont pas les Philosophes seuls qui dans le paganisme, ont fait souvent assez peu de cas des oracles ; beaucoup de gens parmi les grands & le peuple même, consultoient les oracles pour n'avoir plus à les consulter : & s'ils ne s'accommodoient point à leurs desseins, ils ne se gênoient pas beaucoup pour leur obéir. Aussi voit-on des capitaines ne se pas faire scrupule de passer par-dessus des oracles, & de suivre leurs projets. Ce qu'il y a de plus remarquable, c'est que cela s'est pratiqué dans les premiers siecles de la république romaine, dans ces tems d'une heureuse grossiereté, où l'on étoit si scrupuleusement attaché à la religion, & où comme dit Tite-Live, on ne connoissoit point encore cette philosophie qui apprend à mépriser les dieux.

Les anciens chrétiens n'ont pas tous cru que les oracles fussent rendus par les démons. Plusieurs d'entr'eux ont souvent reproché aux payens qu'ils étoient joués par leurs prêtres. Voici comme en parle Clément d'Alexandrie ; & les écrivains polis trouveront même que c'est d'un ton bien dur. " Vante-nous, dit-il, si tu veux, ces oracles pleins de folie & d'impertinence, ceux de Claros, d'Apollon Pythien, de Didyme, d'Amphilochus ; tu peux y ajouter les augures, & les interprêtes des songes & des prodiges. Fais-nous paroître aussi devant l'Apollon Pythien, ces gens qui devinoient par la farine ou par l'orge, & ceux qui ont été si estimés parce qu'ils parloient du ventre. Que les secrets des temples des Egyptiens, & que la Nécromancie des Etrusques demeurent dans les ténebres ; toutes ces choses ne sont certainement que des impostures extravagantes, & de pures tromperies pareilles à celles des jeux de dez. Les chevres qu'on a dressées à la divination, les corbeaux qu'on a dressés à rendre des oracles, ne sont pour ainsi dire, que les associés de ces charlatans qui fourbent tous les hommes ".

Eusebe étale à son tour d'excellentes raisons pour prouver que les oracles ont pu n'être que des impostures ; & si néanmoins il vient à les attribuer au démon, c'est par l'effet d'un préjugé pitoyable, ou pour s'accommoder au tems, & par un respect forcé pour l'opinion commune. Les payens n'avoient garde de consentir que leurs oracles ne fussent qu'un artifice de leurs prêtres. On crut donc, par une mauvaise maniere de raisonner, gagner quelque chose dans la dispute, en leur accordant que quand même il y auroit eu du surnaturel dans leurs oracles, cet ouvrage n'étoit pas celui de la divinité, mais des démons.

Si les démons rendoient les oracles, les démons ne manquoient pas de complaisance pour les princes qui étoient une fois devenus redoutables. La Pythie philippise, disoit plaisamment Démosthene, lorsqu'il se plaignoit que les oracles de Delphes étoient toujours conformes aux intérêts de Philippe. On sait aussi que l'enfer avoit bien des égards pour Alexandre & pour Auguste. Quelques historiens disent nettement qu'Alexandre voulut être fils de Jupiter ammon, & pour l'intérêt de sa vanité, & pour l'honneur de sa mere qui étoit soupçonnée d'avoir eu quelques amans moins considérables que Jupiter. Ainsi avant que d'aller au temple, il fit avertir le dieu de sa volonté, & le dieu le fit de fort bonne grace.

Auguste éperdument amoureux de Livie, l'enleva à son mari toute grosse qu'elle étoit, & ne se donna pas le loisir d'attendre qu'elle fût accouchée pour l'épouser. Comme l'action étoit un peu extraordinaire, on en consulta l'oracle ; l'oracle qui savoit faire sa cour, ne se contenta pas d'approuver Auguste, il assura que jamais un mariage ne réussissoit mieux, que quand on épousoit une femme déjà grosse.

Les oracles qu'on établissoit quelquefois de nouveau, font autant de tort aux démons que les oracles corrompus. Après la mort d'Ephestion, Alexandre voulut encore absolument pour se consoler, qu'Ephestion fût dieu ; tous les courtisans y consentirent sans peine. Aussi-tôt voilà des temples que l'on bâtit à Ephestion en plusieurs villes, des fêtes qu'on institue en son honneur, des sacrifices qu'on lui fait, des guérisons miraculeuses qu'on lui attribue ; & afin qu'il n'y manquât rien, des oracles qu'on lui fait rendre. Lucien dit qu'Alexandre étonné d'abord de voir la divinité d'Ephestion réussir si bien, la crut enfin vraie lui-même, & se sçut bon gré de n'être pas seulement dieu, mais d'avoir encore le pouvoir de faire des dieux.

Adrien fit les mêmes folies pour son mignon Antinoüs. Il bâtit en mémoire de lui la ville d'Antinopolis, lui donna des temples & des prophêtes, dit S. Jérôme. Or il n'y avoit des prophêtes que dans les temples à oracles. Nous avons encore une inscription grecque qui porte : A Antinoüs, le compagnon des dieux d'Egypte, M. Ulpius Apollinius son prophête.

Après cela, on ne sera pas surpris qu'Auguste ait aussi rendu des oracles, ainsi que nous l'apprenons de Prudence. Assurément Auguste valoit bien Antinoüs & Ephestion, qui selon toutes les apparences, ne dûrent leur divinité qu'à leur beauté.

Mais qui doute du prodigieux succès qu'auroient aujourd'hui quelques rois qui se mettroient en tête de fonder des oracles dans leurs états, & de les accréditer ? Il faudroit avoir mal étudié l'esprit humain, pour ne pas connoître la force que le merveilleux a sur lui. La croyance aux miracles de certaines reliques, dont plusieurs villes se disputent la possession, vaut bien la confiance que le peuple payen avoit aux oracles. Etablissez ici l'existence d'une relique, il s'en établira cent dans l'étendue de la chrétienté. Si les dieux prédisoient à Delphes, pourquoi n'auroient-ils pas prédit à Athénes ? Les peuples avides de l'utilité qu'ils esperoient des oracles, ne demandoient qu'à les voir multipliés en tous lieux.

Ajoutez à ces réflexions que dans le tems de la premiere institution des oracles, l'ignorance étoit beaucoup plus grande qu'elle ne fut dans la suite. La Philosophie n'étoit pas encore née, & les superstitions les plus extravagantes n'avoient aucune contradiction à essuyer de sa part. Il est vrai que ce qu'on appelle le peuple, n'est jamais fort éclairé ; cependant la grossiereté dont il est toujours, reçoit encore quelques différences selon les siecles ; du moins il y en a où tout le monde est peuple, & ceux-là sont sans comparaison les plus favorables à l'établissement des erreurs.

On pourroit prouver invinciblement que les oracles n'étoient rendus que par des prêtres, en dévoilant leurs artifices, & le détail n'en seroit pas ennuyeux ; mais il faut pour abréger nous restraindre à des généralités sur cet article.

Remarquez d'abord que les pays montagneux, & par conséquent pleins d'antres & de cavernes, se trouvoient les plus abondans en oracles. Telle étoit la Béotie qui anciennement, dit Plutarque, en avoit une très-grande quantité. On sait d'un autre côté, que les Béotiens passoient pour être les plus sottes gens du monde ; c'étoit là un bon pays pour les oracles, des sots & des cavernes.

Je n'imagine pas cependant que le premier établissement des oracles, ait été une imposture méditée ; mais le peuple tomba dans quelque superstition qui donna lieu à des gens un peu plus raffinés d'en profiter : car les sottises du peuple sont telles, assez souvent, qu'elles n'ont pu être prévues, & quelquefois ceux qui le trompoient, ne songeoient à rien moins, & ont été invités par lui-même à le tromper. Ainsi ma pensée est qu'on n'a point mis d'abord des oracles dans la Béotie, parce qu'elle est montagneuse, mais que l'oracle de Delphes ayant une fois pris naissance dans la Béotie, les autres, que l'on fit à son imitation dans le même pays, furent mis dans des cavernes, parce que les prêtres en avoient reconnu la commodité.

Cet usage ensuite se répandit presque par-tout. Le prétexte des exhalaisons divines rendoit les cavernes nécessaires ; & il semble de plus que les cavernes inspirent d'elles-mêmes je ne sais quelle horreur, qui n'est pas inutile à la superstition. Peut-être la situation de Delphes a-t-elle bien servi à la faire regarder comme une ville sainte. Elle étoit à moitié chemin de la montagne du Parnasse, bâtie sur un peu de terre plaine, & environnée de précipices, qui la fortifioient sans le secours de l'art. La partie de la montagne qui étoit au-dessus, avoit à-peu-près la figure d'un théâtre, & les cris des hommes, & le son des trompettes se multiplioient dans les rochers.

La commodité des prêtres & la majesté des oracles, demandoient donc également des cavernes ; aussi ne voyez-vous pas un si grand nombre de temples prophétiques en plat pays : mais s'il y en avoit quelques-uns, on savoit bien remédier à ce défaut de leur situation. Au lieu de cavernes naturelles, on en faisoit d'artificielles ; c'est-à-dire de ces sanctuaires qui étoient des especes d'antres, où résidoit particulierement la divinité, & où d'autres que les prêtres n'entroient jamais.

Dans ces sanctuaires ténébreux étoient cachées toutes les machines des prêtres, & ils y entroient par des conduits souterrains. Rufin nous décrit le temple de Sérapis tout plein de chemins couverts ; & pour rapporter un témoignage encore plus fort que le sien, l'Ecriture sainte ne nous apprend-elle pas comment Daniel découvrit l'imposture des prêtres de Belus, qui savoient bien rentrer secrettement dans son temple, pour prendre les viandes qu'on y avoit offertes ? Il s'agit là d'un des miracles du paganisme qui étoit cru le plus universellement, de ces victimes que les dieux prenoient la peine de venir manger eux-mêmes. L'Ecriture attribue-t-elle ce prodige aux démons ? Point du tout, mais à des prêtres imposteurs ; & c'est-là la seule fois où l'Ecriture s'étend un peu sur un prodige du paganisme : & en ne nous avertissant point que tous les autres n'étoient pas de la même nature, elle nous donne à entendre fort clairement qu'ils en étoient. Combien après tout, devoit-il être plus aisé de persuader aux peuples que les dieux descendoient dans des temples pour leur parler, leur donner des instructions utiles, que de leur persuader qu'ils venoient manger des membres de chevres & de moutons ? Et si les prêtres mangeoient en la place des dieux, à plus forte raison pouvoient-ils parler aussi en leur place.

Les prêtres pour mieux jouer leur jeu, établirent encore de certains jours malheureux, où il n'étoit point permis de consulter l'oracle. Par ce moyen, ils pouvoient renvoyer les consultans lorsqu'ils avoient des raisons de ne pas répondre ; ou bien pendant ce tems de silence, ils prenoient leurs mesures, & faisoient leurs préparatifs.

A l'occasion de ces prétendus jours malheureux, il fut rendu à Alexandre un des plus jolis oracles qui ait jamais été. Il étoit allé à Delphes pour consulter le dieu ; & la prêtresse qui prétendoit qu'il n'étoit point alors permis de l'interroger, ne vouloit point entrer dans le temple. Alexandre qui étoit impérieux, la prit par le bras pour l'y mener de force ; & elle s'écria : Ah, mon fils, on ne peut te résister ! Je n'en veux pas davantage, dit Alexandre, cet oracle me suffit.

Les prêtres avoient encore un secret pour gagner du tems, quand il leur plaisoit. Avant que de consulter l'oracle il falloit sacrifier ; & si les entrailles des victimes n'étoient point heureuses, le dieu n'étoit point en état de répondre : Et qui jugeoit des entrailles des victimes ? Les prêtres. Le plus souvent même, ainsi qu'il paroît par beaucoup d'exemples, ils étoient seuls à les examiner ; & tel qu'on obligeoit à recommencer le sacrifice, avoit pourtant immolé un animal dont le coeur & le foie étoient les plus beaux du monde.

Les prêtres firent mieux encore, ils établirent certains mysteres qui engageoient à un secret inviolable ceux qui y étoient initiés : il n'y avoit personne à Delphes qui ne se trouvât dans ce cas. Cette ville n'avoit point d'autre revenu que celui de son temple, & ne vivoit que d'oracles ; or les prêtres s'assuroient de tous les habitans, en se les attachant par le double lien de l'intérêt & de la superstition. On eût été bien reçu à parler contre les oracles d'Apollon dans une telle ville !

Ceux qu'on initioit aux mysteres, donnoient des assurances de leur discrétion. Ils étoient obligés à faire aux prêtres une confession de tout ce qu'il y avoit de plus caché dans leur vie ; & c'étoit après cela à ces pauvres initiés à prier les prêtres de leur garder le secret.

Ce fut sur cette confession qu'un lacédémonien, qui s'alloit faire initier aux mysteres de Samothrace, dit brusquement aux prêtres qui l'interrogeoient : " Si j'ai fait des crimes, les dieux le savent bien ". Un autre répondit à-peu-près de la même façon. " Est-ce à toi, ou au dieu qu'il faut confesser ses crimes ? C'est au dieu, dit le prêtre : Et bien retire-toi donc, reprit le lacédémonien, je les confesserai au dieu ". Ces deux lacédémoniens, qui à-coup-sûr, ne furent pas reçus, pensoient précisément sur la confession des crimes qu'exigeoient les prêtres, ce que les Anglois pensent sur la confession des péchés dans le Christianisme.

Mais sans s'étendre davantage sur les artifices des oracles, il vient naturellement dans l'esprit une question difficile à résoudre ; savoir, pourquoi les démons ne prédisoient l'avenir que dans des trous, dans des cavernes & dans des lieux obscurs ? Et pourquoi ils ne s'avisoient jamais d'animer une statue, ou de faire parler une prêtresse dans un carrefour, exposé de toutes parts aux yeux de tout le monde ?

On pourroit imaginer que les oracles qui se rendoient sur des billets cachetés, & plus encore ceux qui se rendoient en songe, avoient besoin de démons ; mais il nous seroit aisé de faire voir qu'ils n'avoient rien de plus miraculeux que les autres.

Les prêtres n'étoient pas scrupuleux jusqu'au point de n'oser décacheter les billets qu'on leur apportoit ; il falloit qu'on les laissât sur l'autel, après quoi on fermoit le temple, où les prêtres savoient rentrer sans qu'on s'en apperçût ; ou bien il falloit mettre ces billets entre les mains des prêtres, afin qu'ils dormissent dessus, & reçussent en songe la réponse. Or dans l'un & l'autre cas, ils avoient le loisir & la liberté de les ouvrir. Ils savoient pour cela plusieurs secrets, dont quelques-uns furent mis en pratique par le faux prophête de Lucien. On peut les voir dans cet auteur même, si l'on est curieux d'apprendre comment on s'y prenoit pour décacheter les billets sans qu'il y parût. C'est à-peu-près la même méthode qui est aujourd'hui en usage dans les bureaux des postes.

Les prêtres qui n'osoient se hasarder à décacheter les billets, tâchoient de savoir adroitement ce qui amenoit les gens à l'oracle. D'ordinaire c'étoit des personnes considérables, méditant quelque dessein, ou animés de quelque passion assez connue. Les prêtres avoient tant de commerce avec eux à l'occasion des sacrifices, avant que l'oracle parlât, qu'il n'étoit pas trop difficile de tirer de leur bouche, ou du moins de conjecturer quel étoit le sujet de leur voyage. On leur faisoit recommencer sacrifices sur sacrifices, jusqu'à-ce qu'on se fût éclairci. On les mettoit entre les mains de certains menus officiers du temple, qui sous prétexte de leur en montrer les antiquités, les statues, les peintures, les offrandes, avoient l'art de les faire parler sur leurs affaires. Ces antiquaires, pareils à ceux qui vivent aujourd'hui de ce métier en Italie, se trouvoient dans tous les temples un peu considérables. Ils savoient par coeur tous les miracles qui s'y étoient faits ; ils vous faisoient bien valoir la puissance & les merveilles du dieu ; ils vous contoient fort au long l'histoire de chaque présent qu'on lui avoit consacré. Sur cela Lucien dit assez plaisamment, que tous ces gens-là ne vivoient & ne subsistoient que de fables ; & que dans la Grece on eût été bien fâché d'apprendre des vérités dont il n'eut rien couté. Si ceux qui venoient consulter l'oracle ne parloient point, leurs domestiques se taisoient-ils ?

Il faut savoir que dans une ville à oracle, il n'y avoit presque que des officiers de l'oracle. Les uns étoient prophetes & prêtres ; les autres poëtes, qui habilloient en vers les oracles rendus en prose ; les autres simples interpretes ; les autres petits sacrificateurs, qui immoloient les victimes, & en examinoient les entrailles ; les autres vendeurs de parfums & d'encens, ou de bêtes pour les sacrifices ; les autres antiquaires ; les autres enfin n'étoient que des hôtelliers, que le grand abord des étrangers enrichissoit. Tous ces gens-là étoient dans les intérêts de l'oracle & du dieu ; & si par le moyen des domestiques des étrangers ils découvroient quelque chose qui fût bon à savoir, vous ne devez pas douter que les prêtres n'en fussent avertis.

Le nombre est fort grand des oracles qui se rendoient par songes ; cette maniere n'étoit pas plus difficile que les autres dans la pratique ; mais comme le plus fameux de tous ces oracles étoit celui de Trophonius dans la Béotie, voyez ORACLE DE TROPHONIUS.

Nous observerons seulement ici qu'entre les oracles qui se rendoient par les songes, il y en avoit auxquels il falloit se préparer par des jeûnes, comme celui d'Amphiaraüs dans l'Attique ; si vos songes ne pouvoient pas recevoir quelqu'interprétation apparente, on vous faisoit dormir dans le temple sur nouveaux frais ; on ne manquoit jamais de vous remplir l'esprit d'idées propres à vous faire avoir des songes, où il entrât des dieux & des choses extraordinaires. Enfin, on vous faisoit dormir le plus souvent sur des peaux de victimes, qui pouvoient avoir été frottées de quelque drogue propre à étourdir le cerveau.

Quand c'étoit les prêtres, qui en dormant sur les billets cachetés, avoient eux-mêmes les songes prophétiques, il est clair que la chose est encore plus aisée à expliquer. Dès qu'on étoit assez stupide pour se contenter de leurs songes, & pour y ajouter foi, il n'étoit pas besoin qu'ils laissassent aux autres la liberté d'en avoir. Ils pouvoient se réserver ce droit à eux seuls, sans que personne y trouvât à redire.

Un des plus grands secrets des oracles, & une des choses qui marque clairement que les hommes les rendoient, c'est l'ambiguité des réponses, & l'art qu'on avoit de les accommoder à tous les événemens qu'on pouvoit prévoir. Vous en trouverez un exemple dans Arrian, liv. VII. sur la maladie d'Alexandre à Babylone. Macrobe en cite un autre sur Trajan, quand il forma le dessein d'aller attaquer les Parthes. On porta pour réponse à cet empereur une vigne mise en morceaux. Trajan mourut à cette guerre ; & ses os reportés à Rome (sur quoi l'on fit tomber l'explication de l'oracle) étoient assurément la seule chose, à quoi l'oracle n'avoit point pensé. Ceux qui recevoient ces oracles ambigus, prenoient volontiers la peine d'y ajuster l'événement, & se chargeoient eux-mêmes de le justifier. Souvent ce qui n'avoit eu qu'un sens dans l'intention de celui qui avoit rendu l'oracle, se trouvoit en avoir deux après l'événement ; & le fourbe pouvoit se reposer sur ceux qu'il dupoit, du soin de sauver son honneur.

Il n'est plus question de deviner les finesses des prêtres, par les moyens qui pourroient eux-mêmes paroître trop fins. Un tems a été qu'on les a découvertes de toutes parts aux yeux de toute la terre ; ce fut quand la religion chrétienne triompha hautement du paganisme sous les empereurs chrétiens.

Théodoret dit que Théophile évêque d'Alexandrie fit voir à ceux de cette ville les statues creuses, où les prêtres entroient par des chemins cachés pour y rendre les oracles. Lorsque par l'ordre de Constantin on abattit le temple d'Esculape à Egès en Cilicie ; on en chassa, dit Eusebe dans la vie de cet empereur, non pas un dieu ni un démon, mais le fourbe qui avoit si long-tems imposé à la crédulité des peuples. A cela il ajoûte en général que dans les simulacres des dieux abattus, on n'y trouvoit rien moins que des dieux ou des démons, non pas même quelques malheureux spectres obscurs & ténébreux, mais seulement du foin, de la paille, ou des os de morts.

La plus grande difficulté qui regarde les oracles, est surmontée depuis que nous avons reconnu que les démons n'ont point dû y avoir de part. Les oracles étant ainsi devenus indifférens à la religion chrétienne, on ne s'intéressera plus à les faire finir précisément à la venue de Jesus-Christ. D'ailleurs nous avons plusieurs preuves qui font voir que les oracles ont duré plus de 400 ans après Jesus-Christ, & qu'ils ne sont devenus tout-à-fait muets qu'avec l'entiere destruction du paganisme.

Suétone, dans la vie de Néron, dit que l'oracle de Delphes l'avertit qu'il se donnât de garde des 73 ans ; que Néron crut qu'il ne devoit mourir qu'à cet âge-là, & ne songea point au vieux Galba qui étant âgé de 73 ans lui ôta l'empire. Cela le persuada si bien de son bonheur, qu'ayant perdu par un naufrage des choses d'un très-grand prix, il se vanta que les poissons les lui rapporteroient.

Philostrate, dans la vie d'Apollonius de Thyane, qui a vu Domitien, nous apprend qu'Apollonius visita tous les oracles de la Grece, & celui de Dodone, & celui de Delphes, & celui d'Amphiaraüs.

Plutarque qui vivoit sous Trajan, nous dit que l'oracle de Delphes étoit encore sur pié, quoique réduit à une seule prêtresse, après en avoir eu deux ou trois.

Sous Adrien, Dion Chrysostome raconte qu'il consulta l'oracle de Delphes ; & il en rapporta une réponse qui lui parut assez embarrassée, & qui l'est effectivement.

Sous les Antonins, Lucien assure qu'un prêtre de Thyane alla demander à ce faux prophete Alexandre, si les oracles qui se rendoient alors à Didyme, à Claros & à Delphes, étoient véritablement des réponses d'Apollon, ou des impostures. Alexandre eut des égards pour ces oracles qui étoient de la nature du sien, & répondit au prêtre, qu'il n'étoit pas permis de savoir cela. Mais quand cet habile prêtre demanda ce qu'il seroit après sa mort, on lui répondit hardiment : " Tu seras chameau, puis cheval, puis philosophe, puis prophete aussi grand qu'Alexandre. "

Après les Antonins, trois empereurs se disputerent l'empire ; Severus Septimus, Pescennius Niger, Clodius Albinus. On consulta Delphes, dit Spartien, pour savoir lequel des trois la république devoit souhaiter ? Et l'oracle répondit en un vers : " Le noir est le meilleur ; l'africain est bon ; le blanc est le pire ". Par le noir, on entendoit Pescennius Niger ; par l'africain, Severe qui étoit d'Afrique ; & par le blanc, Clodius Albinus.

Dion qui ne finit son histoire qu'à la huitieme année d'Alexandre Severe, c'est-à-dire, l'an 230 de Jesus-Christ, rapporte que de son tems Amphilochus rendoit encore des oracles en songe. Il nous apprend aussi qu'il y avoit dans la ville d'Apollonie un oracle, où l'avenir se déclaroit par la maniere dont le feu prenoit à l'encens qu'on jettoit sur un autel. Il n'étoit permis de faire à cet oracle des questions ni de mort ni de mariage. Ces restrictions bizarres étoient quelquefois fondées sur l'histoire particuliere du dieu qui avoit eu sujet pendant sa vie, de prendre de certaines choses en aversion ; ou, si vous l'aimez mieux, sur les mauvais succès qu'avoient eu les réponses de l'oracle en certaines matieres.

Sous Aurélien, vers l'an de Jesus-Christ 272, les Palmiréniens révoltés consulterent un oracle d'Apollon sarpédonien en Cilicie ; ils consulterent encore celui de Vénus aphacite.

Licinius, au rapport de Sozomene, ayant dessein de recommencer la guerre contre Constantin, consulta l'oracle d'Apollon de Didyme, & en eut pour réponse deux vers d'Homere, dont le sens est : " Malheureux vieillard, ce n'est point à toi à combattre contre les jeunes gens ; tu n'as point de force, & ton âge t'accable. "

Un dieu assez inconnu, nommé Besa, selon Ammian Marcellin, rendoit encore des oracles sur des billets à Abide, dans l'extrêmité de la Thébaïde, sous l'empire de Constantius ; car on envoya à cet empereur des billets qui avoient été laissés dans le temple de Besa, sur lesquels il commença à faire des informations très-rigoureuses, mit en prison, exila, ou fit tourmenter un assez grand nombre de personnes ; c'est que par ces billets on consultoit ce dieu sur la destinée de l'empire, ou sur la durée que devoit avoir le regne de Constantius, ou même sur le succès de quelque dessein que l'on formoit contre lui.

Enfin, Macrobe qui vivoit sous Arcadius & Honorius fils de Théodose, parle du Dieu d'Héliopolis de Syrie & de son oracle, & des fortunes d'Antium, en des termes qui marquent positivement que tout cela subsistoit encore de son tems.

Remarquez qu'il n'importe que toutes ces histoires soient vraies, ni que ces oracles aient effectivement rendu les réponses qu'on leur attribue. Il suffit qu'on n'a pu attribuer de fausses réponses qu'à des oracles que l'on savoit qui subsistoient encore effectivement ; & les histoires que tant d'auteurs en ont débitées, prouvent assez qu'ils n'avoient pas cessé.

En général, les oracles n'ont cessé qu'avec le paganisme ; & le paganisme ne cessa pas à la venue de Jesus-Christ. Constantin abattit peu de temples ; encore n'osa-t-il les abattre qu'en prenant le prétexte des crimes qui s'y commettoient. C'est ainsi qu'il fit renverser celui de Vénus aphacite, & celui d'Esculape qui étoit à Egès en Cilicie, tous deux, temples à oracles : mais il défendit que l'on sacrifiât aux dieux, & commença à rendre par cet édit les temples inutiles.

On sait qu'il restoit encore beaucoup d'oracles, lorsque Julien se vit empereur ; & que de ceux qui étoient ruinés, il s'appliqua à en rétablir quelques-uns. Il fit plus ; il voulut être prophete de l'oracle de Didyme. C'étoit le moyen de remettre en honneur la prophétie qui tomboit en discrédit. Il étoit souverain pontife, puisqu'il étoit empereur ; mais les empereurs n'avoient pas coutume de faire grand usage de cette dignité sacerdotale. Pour lui, il prit la chose bien plus sérieusement ; & nous voyons dans une de ses lettres qui sont venues jusqu'à nous, qu'en qualité de souverain pontife, il défend à un prêtre payen de faire pendant trois mois aucune fonction de prêtre.

Jovien, son successeur, commençoit à se porter avec zele à la destruction du paganisme ; mais en sept mois qu'il régna, il ne put pas faire de grands progrès. Théodose, pour y parvenir, ordonna de fermer tous les temples des Payens. Enfin l'exercice de cette religion fut défendu sous peine de la vie, par une constitution des empereurs Valentinien & Marcien, l'an 451 de Jesus-Christ.

Le paganisme enveloppa nécessairement les oracles dans sa ruine, lorsqu'il fut aboli par le Christianisme. D'ailleurs il est certain que le Christianisme, avant même qu'il fût encore la religion dominante, fit extrêmement tort aux oracles, parce que les chrétiens s'étudierent à en desabuser les peuples, & à en découvrir l'imposture. Mais indépendamment du christianisme, les oracles ne laissoient pas de décheoir beaucoup par d'autres causes, & à la fin ils eussent entierement tombé.

On commença à s'appercevoir qu'ils dégénérerent, dès qu'ils ne se rendirent plus en vers. Plutarque a fait un traité exprès pour rechercher la cause de ce changement ; & à la maniere des Grecs, il dit sur ce sujet tout ce qu'on peut dire de vrai & de faux. Entr'autres raisons vraisemblables, il prétend que les vers prophétiques se décrierent par l'usage qu'en faisoient de certains charlatans, que le menu peuple consultoit le plus souvent dans les carrefours. Les prêtres des temples ne voulurent avoir rien de commun avec eux ; parce qu'ils étoient des charlatans plus nobles & plus sérieux, ce qui fait une grande différence dans ce métier-là. Mais ce qui contribua le plus à ruiner les oracles, fut la soumission des Grecs sous la domination des Romains, qui, calmant toutes les divisions qui agitoient auparavant la Grece ; l'esclavage produisant la paix, ne fournit plus de matiere aux oracles.

Si les Romains nuisirent beaucoup aux oracles par la paix qu'ils établirent dans la Grece, ils leur nuisirent encore plus par le peu d'estime qu'ils en faisoient. Ce n'étoit point là leur folie ; ils ne s'attachoient qu'à leurs livres sibyllins & à leurs divinations étrusques, c'est-à-dire aux aruspices & aux augures. Les maximes & les sentimens d'un peuple qui domine, passent aisément dans les autres peuples, & il n'est pas surprenant que les oracles étant une invention grecque aient suivi la destinée de la Grece, qu'ils aient été florissans avec elle, & qu'ils aient perdu avec elle leur premier éclat.

La fourberie des oracles étoit trop grossiere, pour n'être pas enfin découverte par mille différentes avantures, & même par quelques avantures scandaleuses qui dessillerent les yeux de bien du monde. Il arriva que les dieux devenoient quelquefois amoureux des belles femmes qui venoient consulter leurs oracles. Alors on envoyoit ces belles femmes passer des nuits dans les temples de la divinité ; parées de la main même de leurs maris, & chargées de présens pour payer le dieu de ses peines. A la vérité, on fermoit bien les temples à la vûe de tout le monde, mais on ne garantissoit point aux maris les chemins souterreins.

Nous avons peine à concevoir que de pareilles choses aient pû être faites seulement une fois. Cependant Hérodote nous assure qu'au huitieme & dernier étage de cette superbe tour du temple de Bélus à Babylone, étoit un lit magnifique où couchoit toutes les nuits une femme choisie par le dieu. Il s'en faisoit autant à Thèbes en Egypte ; & quand la prêtresse de l'oracle de Patare en Lycie devoit prophétiser, il falloit auparavant qu'elle couchât seule dans le temple où Apollon venoit l'inspirer.

Tout cela s'étoit pratiqué dans les plus épaisses ténebres du paganisme, & dans un tems où les cérémonies payennes n'étoient pas sujettes à être contredites ; mais à la vûe des chrétiens, le Saturne d'Alexandrie ne laissoit pas de faire venir les nuits dans son temple, telle femme qu'il lui plaisoit de nommer par la bouche de Tyrannus son prêtre. Beaucoup de femmes avoient reçu cet honneur avec grand respect, & on ne se plaignoit point de Saturne, quoiqu'il soit le plus âgé & le moins galant des dieux. Il s'en trouva une à la fin, qui ayant couché dans le temple, fit réflexion qu'il ne s'y étoit rien passé que de fort humain, & dont Tyrannus n'eut été assez capable ; elle en avertit son mari qui fit faire le procès à Tyrannus. Le malheureux avoua tout, & dieu sait quel scandale dans Alexandrie.

Le crime des prêtres, leur insolence, divers événemens qui avoient fait paroître au jour leurs fourberies, l'obscurité, l'incertitude, & la fausseté de leurs réponses auroient donc enfin décrédité les oracles, & en auroient causé la ruine entiere, quand même le paganisme n'auroit pas dû finir ; mais il s'est joint à cela des causes étrangeres. D'abord de grandes sectes de philosophes grecs qui se sont mocqués des oracles ; ensuite les Romains qui n'en faisoient point d'usage ; enfin les Chrétiens qui les détestoient & qui les ont abolis avec le paganisme.

Tout ce qui étoit dispersé sur les oracles dans les auteurs anciens, méritoit d'être recueilli en un corps ; c'est ce qu'a exécuté avec beaucoup de gloire M. Van-Dale (Antoine), habile critique du dernier siecle par son ouvrage plein d'érudition, de oraculis Ethnicorum, Amstael. 1700. in-4 °. Il y prouve également qu'on ne doit attribuer les oracles qu'aux tromperies des prêtres, & qu'ils n'ont cessé qu'avec le paganisme. Il a épuisé tout ce qu'on peut dire sur cette matiere.

M. de Fontenelle, l'homme le plus propre à ôter d'un livre écrit pour les savans, toute la sécheresse qui le rend de peu d'usage, & y répandre des ornemens dont tout le monde profite, en a formé son traité des oracles, qui est sans contredit un de ses meilleurs ouvrages.

Le pere Balthus, jésuite, se proposa vingt ans après de le refuter. L'historien de l'académie des Sciences crut qu'il étoit sage de ne pas répondre : il trouva dans M. du Marsais un défenseur éclairé qui le justifioit sans réplique contre les imputations du P. jésuite, mais il eut lui-même une défense expresse de faire paroître son livre ; cependant M. Dalembert s'est donné la peine d'en faire l'analyse, d'après des fragmens qui lui en ont été remis. Cette analyse intéressante est à la tête du tome VII. de l'Encyclopedie dans l'éloge de M. du Marsais.

Pour laisser de mon côté peu de chose à desirer sur cette matiere, je vais joindre ici des articles séparés de quelques-uns des principaux oracles du paganisme. Il y en avoit tant qu'un savant littérateur qui en a fait la liste dans les anciens, en indique plus de trois cent, dont le plus grand nombre étoit dans la Grece : mais il ne les a pas sans doute tous nommés ; car il y avoit peu de temples où il n'y eût quelques oracles ou quelque espece de divination.

Il y en avoit de toutes sortes de dates, depuis celui de Dodone qu'on croit le plus ancien, jusqu'à celui d'Antinoüs, qu'on peut regarder comme le dernier. Quelquefois même le crédit de quelques-uns des anciens se perdoit, ou par la découverte des impostures de leurs ministres, ou par les guerres, ou par d'autres accidens qu'on ignore. A la perte de ceux-là en succédoient de nouveaux qu'on avoit soin d'établir, & ceux-ci de même faisoient place à d'autres ; mais le tems de la décadence de plusieurs de ces oracles & de l'institution des nouveaux, ne nous est point connu. (D.J.)

ORACLE D'AMMON, (Théolog. payenne) L'oracle de Jupiter Ammon en Libye, étoit aussi ancien que celui de Dodone. Il devint très-célebre, & on venoit le consulter de toutes parts, malgré les incommodités d'un si long voyage, & les sables brûlans de la Libye qu'il falloit traverser. On ne sait trop que penser de la fidélité des prêtres qui le servoient. Quelquefois ils étoient incorruptibles, comme il paroît par l'accusation qu'ils vinrent former à Sparte, contre Lysander qui avoit voulu les corrompre dans la grande affaire qu'il méditoit pour changer l'ordre de la succession royale ; quelquefois ils n'étoient pas si difficiles, comme il paroît par l'histoire d'Alexandre, lequel pour mettre à couvert la réputation de sa mere, ou par pure vanité, vouloit passer pour fils de Jupiter, puisque le prêtre de ce dieu alla au-devant de lui, & le salua comme fils du maître des dieux.

Nous apprenons de Quinte-Curce & d'autres auteurs anciens, que la statue de Jupiter Ammon avoit la tête d'un bélier avec ses cornes ; & de Diodore de Sicile, la maniere dont ce dieu rendoit ses oracles, lorsque quelqu'un venoit le consulter. Quatre-vingt prêtres de ce dieu portoient sur leurs épaules dans un navire doré sa statue, qui étoit couverte de pierres précieuses ; & alloient ainsi sans tenir de route certaine, où ils croyoient que le dieu les poussoit. Une troupe de dames & de filles accompagnoient cette procession, chantant des hymnes en l'honneur de Jupiter. Quinte-Curce qui dit la même chose, ajoute que le navire ou la niche sur laquelle on portoit la statue de ce dieu, étoit ornée d'un grand nombre de pateres d'argent qui pendoient des deux côtés. C'étoit apparemment sur quelque signe ou sur quelque mouvement de la statue, que les prêtres annonçoient les décisions de leur Ammon : car comme le remarque Strabon, sur l'autorité de Callisthène, les réponses de ce dieu n'étoient point des paroles, comme à Delphes & chez les Branchides, mais un signe ; & il cite à cette occasion, les vers d'Homere où le poëte dit : " Jupiter donna de ses sourcils un signe de consentement. "

Jupiter fut le même qu'Ammon des Egyptiens ; & comme Ammon étoit en possession de l'oracle pour lequel les Egyptiens avoient le plus de vénération ; on consacra à Jupiter le seul oracle qu'il y eût alors parmi les Pélasges.

Thomas Gale, dans ses notes sur Jamblique, a prouvé qu'Ammon, Amoun, Amon, Amos, Amosus, Amasis, Amosis, Thémous, Thamus, ne sont qu'un même nom. (D.J.)

ORACLE DE CLAROS, (Théolog. payenne) oracle célebre d'Apollon, établi à Claros, au pays des Colophoniens en Ionie, près de la ville de Colophon. Cet oracle avoit cela de particulier, que le prêtre répondoit verbalement à ceux qui venoient le consulter, sans qu'il employât de songes & sans recevoir des billets cachetés comme ailleurs ; mais sans doute qu'il avoit d'autres moyens d'être bien instruit des affaires & des réponses qu'il devoit rendre. Voici ce que Tacite, liv. II. des annales, rapporte de cet oracle, qui tomba bien-tôt après en décadence, car Pline qui parle du temple d'Apollon Clarien, ne fait aucune mention de son oracle. " Germanicus, dit Tacite, alla consulter Apollon de Claros. Ce n'est point une femme qui y rend les oracles comme à Delphes, mais un homme qu'on choisit dans de certaines familles, & qui est presque toujours de Milet. Il suffit de lui dire le nombre & les noms de ceux qui viennent le consulter ; ensuite il se retire dans une grotte, & ayant pris de l'eau d'une source qui y est, il vous répond en vers à ce que vous avez dans l'esprit, quoique le plus souvent il soit très-ignorant. " (D.J.)

ORACLE DE CLITUMNE, (Théolog. payenne) Pline le jeune décrit ainsi l'oracle de Clitumne, dieu d'un fleuve d'Ombrie. " Le temple est ancien & fort respecté : Clitumne est là habillé à la romaine. Les sorts marquent la présence & le pouvoir de la divinité. Il y a à l'entour plusieurs petites chapelles, dont quelques-unes ont des fontaines & des sources ; car Clitumne est comme le pere de plusieurs autres petits fleuves qui viennent se joindre à lui. Il y a un pont qui fait la séparation de la partie sacrée de ses eaux d'avec la profane : au-dessus de ce pont on ne peut qu'aller en bateau ; au-dessous il est permis de se baigner ". On ne connoît point d'autre fleuve que celui-là qui rendît des oracles ; ce n'étoit guere leur coutume. (D.J.)

ORACLE DE DELPHES. Voyez DELPHES, ORACLE DE.

ORACLE DE DODONE, (Théolog. payenne) au rapport d'Hérodote, l'oracle de Dodone le plus ancien de la Grece, & celui de Jupiter Ammon dans la Libye, ont la même origine, & doivent tous les deux leur établissement aux Egyptiens, comme toutes les autres antiquités de la Grece. Voici l'enveloppe sous laquelle on a caché ce trait d'histoire.

Deux colombes, disoit-on, s'étant envolées de Thèbes en Egypte, il y en eut une qui alla dans la Libye, & l'autre ayant volé jusqu'à la forêt de Dodone dans la Chaonie, province de l'Epire, s'y arrêta ; & apprit aux habitans du pays, que l'intention de Jupiter étoit, qu'il y eût un oracle en ce lieu là. Ce prodige étonna ceux qui en furent les témoins, & l'oracle étant établi, il y eut bien-tôt un grand nombre de consultans. Servius ajoute que c'étoit Jupiter qui avoit donné à sa fille Thébé ces deux colombes, & qu'elles avoient le don de la parole. Hérodote qui a bien jugé que cette fiction renfermoit l'événement qui donna lieu à l'établissement de cet oracle, en a recherché le fondement historique.

Deux prêtresses de Thèbes, dit cet auteur, furent autrefois enlevées par des marchands Phéniciens : celle qui fut vendue en Grece, établit sa demeure dans la forêt de Dodone, où l'on alloit alors cueillir le gland qui servoit de nourriture aux anciens Grecs, & elle fit construire une petite chapelle au pié d'un chêne en l'honneur de Jupiter, dont elle avoit été prêtresse à Thèbes ; & ce fut-là que s'établit cet ancien oracle, si fameux dans la suite. Ce même auteur ajoute, qu'on nomma cette femme la colombe, parce qu'on n'entendoit pas son langage ; mais comme on vint à le comprendre quelque tems après, on publia que la colombe avoit parlé.

Souvent pour expliquer les anciennes fables, les Grecs qui n'entendoient pas la langue des peuples de l'Orient, d'où elle leur étoient venues, en ont débité de nouvelles. Le savant Bochart a cru trouver l'origine de celle dont il s'agit, dans l'équivoque de deux mots, phéniciens ou arabes, dont l'un signifie colombe & l'autre prêtresse. Les Grecs toujours portés au merveilleux, au lieu de dire qu'une prêtresse de Jupiter avoit déclaré la volonté de ce dieu, dirent que c'étoit une colombe qui avoit parlé.

Quelque vraisemblable que soit la conjecture de ce savant homme, M. l'abbé Sallier en a proposé une qui paroît l'être davantage ; il prétend que cette fable est fondée sur la double signification du mot , lequel signifie des colombes dans l'Attique & dans plusieurs autres provinces de la Grece, pendant que dans la dialecte de l'Epire, il vouloit dire de vieilles femmes. Servius, qui avoit bien compris le sens de cette fable, ne s'est trompé en l'expliquant, que parce qu'il a changé le nom appellatif de Peleias en un nom propre. " Il y avoit, dit-il, dans la forêt de Dodone, une fontaine qui couloit avec un doux murmure au pié d'un chêne : une vieille femme nommée Pélias, interprétoit ce bruit, & annonçoit sur ce murmure, l'avenir à ceux qui venoient la consulter.

Si l'oracle de Dodone se manifesta d'abord par le murmure d'une fontaine, il paroît qu'avec le tems on y chercha plus de façons ; mais comme personne ne pénétroit dans le sanctuaire de l'oracle, on ne s'accorde point sur la maniere dont celui-ci se rendit dans la suite. Aristote, au rapport de Suidas, dit qu'à Dodone il y a deux colonnes, sur l'une desquelles est un bassin d'airain, & sur l'autre, la statue d'un enfant qui tient un fouet, dont les cordes étant aussi d'airain, font du bruit contre le bassin, lorsqu'elles y sont poussées par le vent.

Démon, selon le même Suidas, prétend que l'oracle de Jupiter Dodonéen est tout environné de bassins, qui aussi-tôt que l'un est poussé contre l'autre, se communiquent ce mouvement en rond, & font un bruit qui dure assez de tems. D'autres disent que c'étoit un chêne raisonnant, qui secouoit ses branches & ses feuilles, lorsqu'il étoit consulté, & qui déclaroit ses volontés par des prêtresses. Il paroît bien de ce détail qu'il n'y avoit que le bruit de constant, parce qu'on l'entendoit de dehors ; mais comme on ne voyoit point le dedans du lieu où se rendoit l'oracle, on ne savoit que par conjectures, ou par un rapport infidele, ce qui causoit le bruit.

On nommoit Dodonides les prêtresses du temple de Dodone ; on ignore si elles rendoient leurs oracles en vers, comme le témoigne le recueil qui en a été fait, ou par les sorts, comme semble le croire Ciceron dans ses livres de la divination.

Strabon nous a conservé une réponse de cet oracle, qui fut bien funeste à la prêtresse de Dodone qui l'avoit rendue. Pendant la guerre des Thraces contre les Béotiens, ces derniers allerent consulter l'oracle de Dodone, & la prêtresse leur répondit qu'ils auroient un heureux succès, s'ils en agissoient en impies. Les envoyés des Béotiens, persuadés que la prêtresse vouloit les tromper, pour favoriser les Pélasges dont elle descendoit, & qui étoient alliés des Thraces, prirent cette femme & la firent brûler vive, disant que de quelque maniere qu'on tournât cette action, elle ne pouvoit qu'être trouvée juste. En effet, si la prêtresse avoit eu dessein de les tromper, elle étoit punie de sa fourberie : si elle avoit parlé sincérement, ils n'avoient fait qu'exécuter l'oracle à la lettre. On ne se paya pas de cette raison, on se saisit des envoyés ; mais comme on n'osoit pas les punir sans les avoir jugés auparavant, on les conduisit devant les deux prêtresses qui restoient ; car il devoit y en avoir trois alors à cet oracle, selon le récit de Strabon. Les députés ayant reclamé contre cette conduite, on leur accorda deux hommes pour juger avec les prêtresses. Celles-ci ne manquerent pas de condamner les envoyés, mais les deux juges leur furent plus favorables ; ainsi les voix étant partagées, ils furent absous.

Tite-Live, lib. VIII. c. xxjv. cite la réponse ambiguë de l'oracle de Dodone, qui fit périr Aléxandre, roi d'Epire. Ce prince méditant de faire une descente en Italie, se berça des plus grandes espérances de succès, lorsque sur sa consultation, l'oracle lui recommanda seulement d'éviter la ville de Pandosie & le fleuve Achéron. Il crut que Jupiter lui ordonnoit de quitter ses terres, & qu'il lui promettoit des conquêtes sans bornes, dès qu'il passeroit sur des rivages étrangers ; ce fut apparemment dans cette occasion qu'il fit frapper une médaille, où l'on voit d'un côté la tête de Jupiter Dodonéen, au revers un foudre surmonté d'une étoile, & au-dessous une espece de lance avec ces mots : . Cependant trois ans après ralliant ses troupes auprès du fleuve Acheron, il fut percé d'un javelot par un transfuge, & tomba dans la riviere, dont le courant l'emporta chez les ennemis qui traiterent son corps avec la derniere barbarie.

Nous savons aussi quelle fut la fin de l'oracle de Dodone. Dorimaque, au rapport de Polybe, brûla les portiques du temple, renversa de fond en comble le lieu sacré de l'oracle, & ruina ou plutôt pilla toutes les offrandes. L'oracle de Dodone étoit de l'institution des Pélasges, & nous pouvons placer la véritable époque de son commencement, environ 1400 ans avant J. C. (D.J.)

ORACLE D'ESCULAPE, (Théol. payenne) outre l'oracle célebre d'Esculape à Epidaure en Argie, sur le golfe Saronique, ce dieu rendoit encore ses oracles dans son temple de l'île du Tibre. On a trouvé à Rome un morceau d'une table de marbre, où sont en grec les histoires de trois miracles d'Esculape : en voici le plus considérable traduit mot-à-mot sur l'inscription. " En ce même tems il rendit un oracle à un aveugle nommé Caïus ; il lui dit qu'il allât au saint autel, qu'il s'y mit à genoux, & y adorât ; qu'ensuite il allât du côté droit au côté gauche, qu'il mît les cinq doigts sur l'autel, & enfin qu'il portât sa main sur ses yeux. Après tout cela l'aveugle vit, le peuple en fut témoin, & marqua la joie qu'il avoit de voir arriver de si grandes merveilles sous notre empereur Antonin ". Les deux autres guérisons sont moins surprenantes ; ce n'étoit qu'une pleurésie, & une perte de sang, desespérées l'une & l'autre à la vérité ; mais le dieu avoit ordonné à ses malades des pommes de pin avec du miel, & du vin avec de certaines cendres, qui sont des choses que les incrédules peuvent prendre pour de vrais remedes.

Ces inscriptions, pour être grecques, n'en ont pas moins été faites à Rome : la forme des lettres & l'orthographe ne paroissent pas être de la main d'un sculpteur grec. De plus, quoiqu'il soit vrai que les Romains faisoient leurs inscriptions en latin, ils ne laissoient pas d'en faire quelques-unes en grec, principalement lorsqu'il y avoit pour cela quelque raison particuliere. Or il est assez vraisemblable qu'on ne se servit que de la langue grecque dans le temple d'Esculape, parce que c'étoit un dieu grec, & qu'on avoit fait venir de Grece pendant cette grande peste, dont tout le monde sait l'histoire.

ORACLE D'HELIOPOLIS, (Théol. payenne) c'étoit un oracle d'Apollon dans cette ville d'Egypte ; ce dieu, au rapport de Macrobe, Saturn. lib. I. c. xxiij. rendoit ses réponses de même que Jupiter Ammon. " On porte, dit cet auteur, la statue de ce dieu, de la même maniere qu'on porte celle des dieux dans la pompe des jeux du cirque. Les prêtres accompagnés des principaux du pays, qui assistent à cette cérémonie la tête rasée, & après une longue continence, n'avancent pas selon qu'ils pourroient le vouloir, mais selon le mouvement que le dieu qu'ils portent leur donne, par des mouvemens semblables à ceux des sorts ou des fortunes d'Antium ".

ORACLE DE MERCURE, à Pharès, (Théologie payenne) un des oracles les plus singuliers étoit celui de Mercure à Pharès, ville d'Achaïe, duquel parle Pausanias dans ses Achaïques, liv. VII. chap. xxij. Après beaucoup de cérémonies, dont le détail n'est pas ici nécessaire, on parloit au dieu à l'oreille, & on lui demandoit ce qu'on avoit envie de savoir : ensuite on se bouchoit les oreilles avec les mains, on sortoit du temple, & les premieres paroles qu'on entendoit au sortir de là, c'étoit la réponse de Mercure. (D.J.)

ORACLE DE MOPSUS, (Théol. payenne) on connoît par la fable ce fils d'Apollon & de Manto, fille de Tirésias, & qui devint aussi fameux devin que son grand-pere : aussi fut-il après sa mort honoré comme un demi-dieu, & eut un oracle célebre à Malle, ville de Cilicie ; cet oracle se rendoit sur des billets cachetés, que les prêtres des dieux savoient décacheter sans qu'il y parut : assurément ils ouvrirent celui que le gouverneur de Cilicie, dont parle Plutarque, avoit envoyé en consultation à leur oracle.

Ce gouverneur ne savoit que croire du dieu, il étoit obsédé d'épicuriens qui lui avoient jetté beaucoup de doute dans l'esprit ; il se résolut, comme dit agréablement Plutarque, d'envoyer un espion chez les dieux pour apprendre ce qui en étoit. Il lui donna un billet bien cacheté pour le porter à l'oracle de Mopsus. Cet envoyé dormit dans le temple, & vit en songe un homme fort bien fait qui lui dit noir. Il porta cette réponse au gouverneur. Elle parut très-ridicule à tous les épicuriens de sa cour, mais il en fut frappé d'étonnement & d'admiration, & en leur ouvrant son billet il leur montra ces mots qu'il y avoit écrit : " t'immolerai-je un boeuf blanc ou noir " ? Après ce miracle il fut toute sa vie fort dévot au dieu de Mopsus.

ORACLE DE SERAPIS, (Théol. payenne) ce dieu des Egyptiens avoit deux oracles célebres, l'un à Canope, qui étoit le plus fameux de toute l'Egypte & l'autre à Babylone.

Selon Strabon, il n'y avoit rien de plus gai dans toute la religion payenne que les pelerinages qui se faisoient en l'honneur de Sérapis. " Vers le tems de certaines fêtes, dit-il, on ne sauroit croire la multitude de gens qui descendent sur un canal d'Alexandrie à Canope où est ce temple ; jour & nuit ce ne sont que bateaux pleins d'hommes & de femmes, qui chantent & qui dansent avec toute la liberté imaginable ". A Canope il y a sur le canal une infinité d'hôtelleries qui servent à retirer ces voyageurs, & à favoriser leurs divertissemens : ce temple de Sérapis fut détruit par l'ordre de l'empereur Théodose.

Le sophiste Eunapius, payen, paroit avoir grand regret à la démolition qui fût faite de ce temple, & nous en décrit la fin malheureuse avec assez de bile. Il dit que des gens qui n'avoient jamais entendu parler de la guerre, se trouverent pourtant fort vaillans contre les pierres de ce temple, & principalement contre les riches offrandes dont il étoit plein ; que dans ces lieux saints on y plaça des moines, gens infames & inutiles, qui pourvû qu'ils eussent un habit noir & malpropre, prenoient une autorité tyrannique sur l'esprit des peuples, & que ces moines, au-lieu des dieux que l'on voyoit par les lumieres de la raison, donnoient à adorer des têtes de brigands punis pour leurs crimes, qu'on avoit salées pour les conserver. C'est ainsi que cet impie traite les moines & les religieux ; il falloit que la licence fût encore bien grande du tems qu'on écrivoit de pareilles choses sur la religion des empereurs.

Rufin ne manque pas de nous rapporter qu'on trouva le temple de Sérapis tout plein de chemins couverts, & des machines disposées pour les fourberies des prêtres. Il nous apprend entr'autres choses, qu'il y avoit à l'orient du temple une petite fenêtre par où entroit à certains jours un rayon du soleil qui alloit donner sur la bouche de Sérapis. Dans le même tems on apportoit un simulacre du soleil qui étoit de fer, & qui étant attiré par de l'aimant caché dans la voûte, s'élevoit vers Sérapis. Alors on disoit que le soleil saluoit ce dieu ; mais quand le simulacre de fer retomboit, & que le rayon se retiroit de dessus la bouche de Sérapis, le soleil lui avoit assez fait sa cour, & il alloit à ses affaires.

L'oracle de Sérapis à Babylone, rendoit ses réponses en songe. Lorsqu' Alexandre tomba malade tout-d'un-coup à Babylone, quelques-uns des principaux de sa cour allerent passer une nuit dans le temple de Sérapis, pour demander à ce dieu s'il ne seroit point à propos de lui faire apporter le roi afin qu'il le guérît. Le dieu répondit qu'il valoit mieux pour Alexandre qu'il demeurât où il étoit. Sérapis avoit raison ; car s'il se le fût fait apporter, & qu'Alexandre fût mort en chemin, ou même dans le temple, que n'eût-on pas dit ? Mais si le roi recouvroit sa santé à Babylone, quelle gloire pour l'oracle ? S'il mouroit, c'est qu'il lui étoit avantageux de mourir après des conquêtes qu'il ne pouvoit augmenter ni conserver. Il s'en fallut tenir à cette derniere interprétation, qui ne manqua pas d'être tournée à l'avantage de Sérapis, sitôt qu'Alexandre fut mort. (D.J.)

ORACLE DE TROPHONIUS, (Théologie payenne) Trophonius, héros selon les uns, brigand selon les autres, étoit frere d'Agamedès, & tous deux fils d'Erginus, roi des Orchoméniens. Leurs talens pour l'architecture les fit rechercher de plusieurs princes, par l'ordre desquels ils bâtirent des temples & des palais. Dans celui qu'ils construisirent pour Hyricus ils ajusterent une pierre de maniere qu'elle pouvoit s'enlever la nuit, & ils entroient par-là pour aller voler les trésors qui y étoient renfermés. Le prince qui voyoit diminuer son or, sans que les serrures ni les cachets fussent rompus, dressa des pieges autour de ses coffres, & Agamedès s'y trouvant arrêté, Trophonius lui coupa la tête de peur qu'il ne le découvrit dans les tourmens qu'on lui auroit fait souffrir si on l'avoit pris en vie. Comme Trophonius disparut dans le moment, on publia que la terre l'avoit englouti dans le même endroit, & la superstition alla sur une réponse de la Pythie de Delphes, jusqu'à mettre ce scélérat au rang des demi-dieux, & à lui élever un temple où il recevoit des sacrifices & prononçoit des oracles en Béotie, qui devinrent les plus pénibles & les plus célebres de tous ceux qui se rendirent en songe. Pausanias qui avoit été lui-même le consulter, & qui avoit passé par toutes ces cérémonies, nous en a laissé une description fort ample, dont je crois qu'on sera bien aise de trouver ici un abrégé exact.

Avant que de descendre dans l'antre de Trophonius, il falloit passer un certain nombre de jours dans une espece de petite chapelle qu'on appelle de la bonne fortune & du bon génie. Pendant ce tems on recevoit des expiations de toutes les sortes ; on s'abstenoit d'eaux chaudes ; on se lavoit souvent dans le fleuve Hircinas ; on sacrifioit à Trophonius & à toute sa famille, à Apollon, à Jupiter surnommé Roi, à Saturne, à Junon, à une Cérès Europe qui avoit été nourrice de Trophonius, & on ne vivoit que des chairs sacrifiées. Les prêtres apparemment ne vivoient aussi d'autre chose. Il falloit consulter les entrailles de toutes ces victimes, pour voir si Trophonius trouvoit bon que l'on descendît dans son antre ; mais quand elles auroient été toutes les plus heureuses du monde, ce n'étoit encore rien, les entrailles qui décidoient étoient celles d'un certain bélier qu'on immoloit en dernier lieu. Si elles étoient favorables, on vous menoit la nuit au fleuve Hircinas. Là deux jeunes enfans de douze ou treize ans vous frottoient tout le corps d'huile : ensuite on vous conduisoit jusqu'à la source du fleuve, & on vous y faisoit boire de deux sortes d'eaux, celles de Léthé qui effaçoient de votre esprit toutes les pensées profanes qui vous avoient occupé auparavant, & celles de Mnémosine, qui avoient la vertu de vous faire retenir tout ce que vous deviez voir dans l'antre sacré. Après tous ces préparatifs on vous faisoit voir la statue de Trophonius, à qui vous faisiez vos prieres ; on vous équipoit d'une tunique de lin ; on vous mettoit de certaines bandelettes sacrées, & enfin vous alliez à l'oracle.

L'oracle étoit sur une montagne dans une enceinte faite de pierre blanche, sur laquelle s'élevoient des obélisques d'airain. Dans cette enceinte étoit une caverne de la figure d'un four, taillée de main d'homme. Là s'ouvroit un trou où l'on descendoit par de petites échelles. Quand on y étoit descendu on trouvoit une autre petite caverne dont l'entrée étoit assez étroite. On se couchoit à terre ; on prenoit dans chaque main de certaines compositions de miel ; on passoit les piés dans l'ouverture de la petite caverne, & pour-lors on se sentoit emporté au-dedans avec beaucoup de vîtesse.

C'étoit là que l'avenir se déclaroit, mais non pas à tous d'une même maniere. Les uns voyoient, les autres entendoient, vous sortiez de l'antre couché par terre comme vous y étiez entré, & les piés les premiers. Aussi-tôt on vous menoit dans la chaise de Mnémosine où l'on vous demandoit ce que vous aviez vû ou entendu. De-là on vous ramenoit dans cette chapelle du bon génie, encore tout étourdi & tout hors de vous, vous repreniez vos sens peu-à-peu, & vous commenciez à pouvoir rire ; car jusques-là, la grandeur des mysteres, & la divinité dont vous étiez rempli, vous en avoient empêché : pour moi il me semble qu'on n'eut pas dû attendre si tard à rire.

Pausanias nous dit qu'il n'y a jamais eu qu'un homme qui soit entré dans l'antre de Trophonius & qui n'en soit pas sorti. C'étoit un certain espion que Démétrius y envoya pour voir s'il n'y avoit pas dans ce lieu saint quelque chose qui fût bon à piller : on trouva loin de-là le corps de ce malheureux, qui n'avoit point été jetté dehors par l'ouverture sacrée de l'antre.

Voici les réflexions sensées dont M. de Fontenelle accompagne ce récit. " Quel loisir, dit-il, n'avoient pas les prêtres pendant tous ces différens sacrifices qu'ils faisoient faire, d'examiner si on étoit propre à être envoyé dans l'antre ? car assurément Trophonius choisissoit ses gens, & ne recevoit pas tout le monde. Combien toutes ces ablutions, & ces expiations, & ces voyages nocturnes, & ces passages dans des cavernes obscures, remplissoient-elles l'esprit de superstition, de frayeur & de crainte ? combien de machines pouvoient jouer dans ces ténebres ? L'histoire de l'espion de Démétrius nous apprend qu'il n'y avoit pas de sureté dans l'antre, pour ceux qui n'y apportoient pas de bonnes intentions ; de plus qu'outre l'ouverture sacrée qui étoit connue de tout le monde, l'antre en avoit une secrette qui n'étoit connue que des prêtres. Quand on s'y sentoit entraîné par les piés, on étoit sans doute tiré par des cordes, on n'avoit garde de s'en appercevoir en y portant les mains, puisqu'elles étoient embarrassées de ces compositions de miel qu'il ne falloit pas lâcher. Ces cavernes pouvoient être pleines de parfums & d'odeurs qui troubloient le cerveau ; ces eaux de Léthé & de Mnémosine pouvoient être aussi préparées pour le même effet. Je ne dis rien des spectacles & des bruits dont on pouvoit être épouvanté, & quand on sortoit de-là tout hors de soi, on disoit ce qu'on avoit vû ou entendu, à des gens qui profitant de ce désordre, le recueilloient comme il leur plaisoit, y changeoient ce qu'ils vouloient, ou enfin en étoient toujours les interpretes ".

ORACLE DE VENUS APHACITE, (Théologie payenne) Aphaca étoit un lieu de Phénicie, entre Héliopolis & Biblos : la forme de l'oracle qu'on y rendoit étoit assez singuliere ; voici comme parle Zozime, liv. I.

" Auprès du temple de Vénus est un lac semblable à une citerne. A de certaines assemblées que l'on y fait dans des tems réglés, on voit aux environs dans l'air des globes de feu, & ce prodige a été encore observé de nos jours. Ceux qui vont porter à la déesse des présens en or & en argent, en étoffes de lin, de soie & d'autres matieres précieuses les mettent sur le lac ; quand ils sont agréables à la déesse, ils vont au fond, au-lieu que quand ils lui déplaisent, ils surnagent malgré la pesanteur naturelle des métaux ". L'année qui précéda la ruine des Palmiréniens, leurs présens à Vénus Aphacite allerent au fond, mais l'année suivante tout surnagea. Eusebe parle de ce temple comme d'un lieu consacré à l'impudicité. Constantin le fit abattre, & par conséquent l'oracle cessa. Socrate, liv. I. chap. xviij. en faisant mention de ce fait, dit que le temple étoit sur le mont Liban. Lucien dit qu'il avoit été bâti par Cynire. (D.J.)

ORACLES DES HEBREUX, (Critique sacrée) ils avoient 1° le propitiatoire, qu'on appelloit dabir, l'oracle de vive voix, la parole articulée ; cet oracle se rendoit par l'Eternel à ses prophetes ; 2° un second oracle des Juifs étoit les songes prophetiques ; 3° les visions surnaturelles ; 4° l'oracle d'Urim & de Thummim. Ces manieres de consulter le Seigneur furent assez fréquentes depuis Josué jusqu'à l'érection du temple, où pour-lors on consulta plus souvent les prophetes mêmes. Après les prophetes, les Juifs prétendent que Dieu leur donna ce qu'ils appellent bathkol, ou signe distinctif, lequel manifestoit sa volonté. Ce signe étoit une voix intérieure, ou une voix extérieure qui se faisoit entendre dans l'assemblée, comme celle qu'on entendit sur le Thabor, lors de la trans figuration du Sauveur.

Oracle se prend aussi pour le sanctuaire ou pour le lieu où étoit l'arche d'alliance. Ce mot désigne encore dans l'Ecriture les oracles des faux-dieux. Ezéchiel, xxj. 23. dit que le roi de Babylone s'avançant vers la Judée, & se trouvant sur un chemin fourchu, consulta ses théréphins, pour savoir s'il marcheroit contre Jérusalem, & que les Juifs s'en moquoient, le regardant comme un homme qui consulte inutilement l'oracle. Mais le plus fameux de tous les faux- oracles de la Palestine étoit celui de Béelzébuth, dieu d'Accaron, que les Juifs alloient eux-mêmes consulter assez souvent. (D.J.)


ORAGES. m. (Gramm.) violente agitation de l'air, accompagnée de pluie & quelquefois de grêle, d'éclairs & de tonnerre.

Les grands vaisseaux ne craignent ni les vents, ni l'orage, mais seulement la terre & le feu.

Il se prend au figuré, le vaisseau de l'église est sans cesse battu de l'orage. Il n'y a point de maisons qui ne soient troublées par quelques orages.

ORAGE, (Phys.) personne ne doute qu'il n'y ait une matiere extrêmement agitée qui pénetre les corps même les plus durs, ébranle leurs petites parties, les sépare les unes des autres, les entraîne avec elle, & les répand çà & là dans le fluide qui les environne : aussi les voyons-nous tous, tant solides que liquides, se dissiper insensiblement, diminuer de volume, & enfin par le laps du tems s'évanouir & disparoître à nos yeux.

Il y a donc dans l'air des parties de tous les mixtes que nous voyons sur la terre, & de ceux même que nous ne voyons pas, & qu'elle renferme dans son sein.

Nous savons d'ailleurs que parmi ces mixtes il y en a dont le mêlange est toujours suivi d'un mouvement de fermentation. Il doit donc y avoir dans l'air des fermentations, dont les effets doivent varier selon la différente nature des principes qui les produisent, selon la différente combinaison de ces mêmes principes, & même selon la différente disposition du fluide dans lequel ils nagent.

Et voilà d'abord une idée générale de la cause qui produit les orages & les phénomenes qui les accompagnent ; mais entrons dans quelque détail, & voyons comment la fermentation opere tous ces prodiges.

Formation des orages. L'expérience nous apprend qu'il n'y a point de fermentation qui ne produise un mouvement expansif dans la matiere qui fermente : ainsi dès que les vapeurs & les exhalaisons qui forment un nuage, commencent à être agitées par la fermentation, il faut que ce nuage se dilate & qu'il occupe un plus grand espace, il faut donc aussi qu'il s'éleve : car puisque son volume augmente, sa masse demeurant la même, il devient plus léger qu'un pareil volume d'air, ce qui suffit pour le faire monter suivant les lois invariables de l'Hydrostatique. Or il est aisé de comprendre que ce mouvement de bas-en-haut doit attirer les nuages qui se trouvent à une certaine distance du lieu abandonné par celui qui s'éleve ; car à mesure qu'il passe d'une couche d'air à une autre plus élevée, & par conséquent moins dense que la premiere, l'espace qu'il laisse après lui doit être occupé principalement par l'air collatéral, puisque c'est le seul qui ait la densité requise pour faire équilibre à cette hauteur. Donc la couche d'air qui répond à cette même hauteur, doit prendre une pente vers cet endroit, & en même tems y pousser les nuages voisins, lesquels se joignant au premier fermenteront avec lui, & en attireront d'autres de la même maniere qu'ils ont été attirés eux-mêmes.

Et je n'avance rien ici dont il ne soit aisé de se convaincre ; car d'où viennent ces mouvemens contraires & opposés qu'on remarque toujours dans les nuages qui environnent un orage pendant qu'il se forme, & dont le vulgaire croit rendre raison en disant que les vents se battent ? N'est-il pas évident que l'exaltation de la matiere qui fermente attire les uns, tandis que son mouvement expansif du centre à la circonférence écarte les autres ?

Mais développons ceci encore mieux, s'il est possible.

Dès que la matiere qui forme un nuage commence à fermenter, il est certain que son expansion & le mouvement de chaleur qui se répand de tous côtés doivent écarter l'air environnant, ensemble les nuages voisins dont cet air se trouve chargé. Mais l'effet de cette chaleur & de cette force expansive, diminuera sans doute dans cette couche d'air à mesure que la matiere s'en éloignera en passant dans une autre plus élevée, donc ce même air d'abord écarté à droite & à gauche doit bientôt retomber par son propre poids & par la force de son ressort vers l'espace abandonné par la matiere qui s'éleve, & ramener ainsi vers l'orage les mêmes nuages qu'on avoit vû s'en écarter un peu auparavant. C'est ainsi que l'air écarté par l'action du soleil revient à l'endroit même d'où il a été chassé aussi-tôt que le soleil a passé outre : encore dans le cas proposé, y a-t-il, comme l'on voit, une cause particuliere qui doit hâter le retour de l'air, puisque le nuage qui s'éleve laisse après lui un espace propre à la recevoir, au lieu que le soleil n'en laisse point.

Pour rendre encore plus sensible ce que je viens de dire, & ne laisser aucun doute sur la cause qui produit ce jeu singulier dans les nuages qui se trouvent à portée d'un orage qui se forme, je suppose qu'on mette dans un vase différentes liqueurs moins pesantes les unes que les autres, par exemple, du mercure, de l'eau & de l'huile, & pour rapprocher cette supposition du cas proposé autant qu'il est possible, j'imagine ce vase extrêmement étendu & ces différentes liqueurs aussi élastiques que l'air. Si on jette dans ce vase un solide d'un certain volume & d'une pesanteur spécifique égale à celle de l'eau, il est évident qu'il doit s'arrêter dans l'eau entre l'huile & le mercure, & qu'il doit s'y tenir en équilibre tandis qu'il ne surviendra aucun changement dans sa masse, ni dans son volume : mais si l'on suppose qu'il se fasse dans ce solide une fermentation qui le dilate, il arrivera en premier lieu que son expansion jointe au mouvement de chaleur qui l'accompagne écartera l'eau environnante, & la poussera de tous côtés vers les parois du vase, ensorte que si cette eau se trouve chargée de quelques corpuscules, on les verra s'éloigner peu-à-peu en s'approchant des bords : il arrivera en second lieu que ce solide, en se dilatant, s'élevera hors de l'eau & passera dans l'huile, qu'il doit également pousser vers les parois du vase, de même que les corps étrangers dont l'huile se trouvera chargée. Enfin il arrivera qu'à mesure que ce solide passera de l'eau dans l'huile, l'eau qui d'abord avoit été poussée vers les bords, doit tomber par son propre poids vers l'espace que le solide laisse dans l'eau en montant dans l'huile, & ramener ainsi au-dessous du solide les mêmes corpuscules qu'on avoit vu un peu auparavant s'écarter vers les bords ; ensorte que dans le même tems on verra ceux-ci s'approcher du solide, & ceux qui nagent dans l'huile s'en éloigner, jusqu'à ce qu'enfin le solide passant de l'huile dans l'air, ils seront ramenés à leur tour vers l'espace que le solide laissera dans l'huile en montant dans l'air. Ceci est palpable, & il est aisé d'en faire l'application aux différens nuages qui se trouvent dans les différentes couches d'air qu'un orage qui se forme doit traverser en s'élevant.

Mais ce n'est pas assez d'avoir démontré que les nuages voisins doivent être attirés par ce mouvement de bas-en-haut de la matiere qui fermente, il faut encore prouver que les vapeurs & les exhalaisons qui ne forment point de nuage, & qui sont si répandues dans l'air qu'elles ne tombent point sous les sens, doivent aussi se porter vers cet endroit & suivre la matiere qui s'éleve. Or rien de plus aisé à faire que cette preuve.

Car premierement, tout mouvement de chaleur excité dans l'air, procure l'élévation des corpuscules qu'il soutient. Or la chaleur de la fermentation se répand sans doute dans cette couche d'air, qui est immédiatement au-dessous de la matiere qui fermente. Donc les vapeurs & les exhalaisons qui s'y trouvent doivent monter plus haut, & se joindre à celles qui fermentent.

En second lieu, cette premiere couche d'air ne peut se débarrasser de tous les corps étrangers dont elle étoit chargée, & que la fermentation lui enleve, qu'en même tems elle n'attire une partie de ceux qui se trouvent répandus dans la couche inférieure, lesquels à mesure qu'ils y arriveront seront élevés plus haut comme les premiers, & iront tout comme eux grossir le corps de l'orage, & par-là même contribuer au progrès, tant de la fermentation que de cette espece de vertu attractive, qui en est une suite.

Desorte que, selon ces principes, il peut arriver ce que l'on voit souvent, que quand bien même il n'y aura point ou presque point de nuages qui aillent se joindre à celui qui commence à fermenter, il ne laisse pas que de s'étendre & de grossir considérablement au moyen de cette espece d'empire qu'il exerce sur les vapeurs & les exhalaisons répandues autour de lui, en les attirant de toutes parts, & en les allant chercher jusque vers la surface de la terre & dans la terre même ; car on comprend que de proche en proche l'attraction peut aller jusque-là, sur-tout quand il regne un grand calme dans l'air, que la terre est humide & que le soleil dardant ses rayons sur cet endroit de la terre qui se trouve directement sous l'orage, en détache des parties déja ébranlées par l'humidité, & facilite leur élévation en les atténuant : aussi observe-t-on constamment que les orages deviennent plus considérables & même plus dangereux toutes les fois que le soleil paroît pendant qu'ils se forment, comme aussi qu'ils sont souvent précédés d'une rosée abondante qui tombe pendant la nuit, ou d'un brouillard ou petite pluie qui tombe le matin.

Au reste, j'ai dit ci-dessus que les nuages poussés vers le lieu abandonné par ceux que la fermentation éleve, doivent s'élever aussi & se joindre à eux. J'ajouterai maintenant que cela doit arriver, quelle que soit leur densité ou leur pesanteur spécifique. Car, parmi tous ces corpuscules & toutes ces parties de différens mixtes dont je viens d'expliquer l'élévation, il y en a sans doute que l'on peut regarder comme des véritables fermens ; or ces fermens ne pouvant s'élever jusqu'aux nuages supérieurs qui les attirent sans rencontrer ceux qui s'assemblent au-dessous, les pénétreront, les feront fermenter, les dilateront & les feront monter jusqu'à-ce qu'ils se joignent aux premiers.

Voilà une explication bien simple de la maniere dont les orages se forment : celle que l'on va donner du vent impétueux qui se fait sentir ordinairement lorsqu'ils commencent à fondre, ne le sera pas moins.

Vent. Pendant que la fermentation éleve & soutient la matiere qui fermente, il est évident que ceux qui se trouvent sous l'orage ne doivent sentir aucun vent, à moins que quelque cause particuliere & indépendante de l'orage ne leur en procure, puisqu'alors tout le mouvement qui regne dans l'air se dirige vers le lieu abandonné par la matiere qui s'éleve. Mais voyons ce qui doit arriver lorsque la fermentation parvenue au période commence enfin à diminuer.

D'abord si nous supposons qu'elle diminue également & dans la même proportion dans toutes les parties de l'orage, il arrivera en premier lieu que le corps de l'orage diminuera de volume, & que cette diminution sera parfaitement égale dans toutes ses parties : il arrivera en second lieu que la résistance que le corps de l'orage opposoit à l'air environnant, diminuera également de tous côtés, de façon que le ressort de cet air environnant doit se déployer également sur toutes ses parties. Il y aura donc deux causes qui concourront pour pousser l'orage perpendiculairement vers la terre, & pour le tenir toujours parallele à lui-même pendant sa chûte ; l'air intermédiaire doit donc être pressé de-haut en-bas avec une force exactement proportionnée à la vîtesse avec laquelle l'orage descend, c'est-à-dire à la diminution plus ou moins prompte de la fermentation qui le soutient. Mais quel sera l'effet de cette pression ? & que doit devenir cette grande colonne d'air ainsi poussée contre la surface de la terre qu'elle ne peut pénétrer ? La réponse est aisée. Elle doit s'échapper de tous côtés en se répandant du centre à la circonférence de l'orage ; ensorte qu'on doit se représenter cette ligne qui tombe du centre de gravité de l'orage perpendiculairement sur la surface de la terre, comme environnée dans toute sa longueur de petits filets de vent coulant horisontalement jusque par-delà les extrêmités de l'orage, & se repliant ensuite vers l'espace que l'orage laisse après lui. Il n'y aura donc point de vent au pié de cette ligne (non plus que dans toute sa longueur) ; & celui qui soufflera tout proche ne sera presque rien, & ne pourra devenir sensible qu'à une certaine distance, comme vers les extrêmités, & tout autour de cet endroit de la terre sur lequel l'orage descend.

Mais il est moralement impossible que la fermentation diminue en même tems & dans la même proportion dans toutes les parties de l'orage, ainsi qu'on vient de le supposer ; il faudroit pour cela que les fermens eussent été distribués par-tout également, qu'ils eussent par-tout la même force & la même activité, & que la matiere qui fermente fût par-tout également disposée & susceptible du même degré de fermentation dans le même tems. Ainsi ce cas-là doit presque être regardé comme un cas chimérique.

Supposons donc ce qui doit presque toujours arriver, que la fermentation s'affoiblisse sensiblement dans une partie de l'orage, tandis qu'elle se soutient ou qu'elle diminue beaucoup moins dans les autres : alors il est évident non-seulement que le corps de l'orage doit faire un mouvement vers cet endroit devenu plus foible, mais encore que toute l'action de l'air environnant, qui jusque-là a été tellement dirigée vers le centre de l'orage, qu'elle l'a tenu immobile en le pressant également de tous côtés, doit maintenant suivre ce centre qui s'échappe, & se déployer de ce côté avec d'autant plus de force, que la résistance de la partie de l'orage qui s'affoiblit, diminue avec plus de promptitude.

Et ce qui doit donner lieu à cet air de se jetter du même côté avec encore plus de force, & d'accélérer d'autant plus le mouvement progressif de l'orage, c'est que la fermentation ne peut s'affoiblir dans une de ses parties sans que cet affoiblissement se communique en quelque façon à tout le corps de l'orage ; je m'explique. La partie qui s'affoiblit ne peut descendre sans entraîner tout l'orage, qui doit descendre aussi en s'inclinant sur elle. Donc la fermentation doit aussi s'affoiblir dans le corps de l'orage ; la conséquence est évidente, car il ne peut descendre sans prendre la place d'un volume d'air plus pesant ; il doit donc devenir lui-même plus pesant. Donc son volume doit diminuer ; ce qui ne peut se faire sans que la fermentation diminue aussi dans la même proportion : desorte que ces deux choses, savoir la diminution de la fermentation & la descente de la matiere qui fermente, seront la cause & l'effet l'une de l'autre en différens endroits de l'orage.

Cependant comme l'orage n'est forcé de descendre qu'en s'inclinant sur la partie foible, la diminution de la fermentation occasionnée par cette descente, ne doit pas être égale dans toutes ses parties, mais plus ou moins considérable dans chacune, selon qu'elle se trouve plus ou moins proche de la partie foible qui entraîne tout. On voit même que le progrès que cet affoiblissement fera dans cette partie, doit se communiquer aux autres de la même maniere & avec la même gradation. Voyez ci-après pag. suiv. phénom. 3.

Il y aura donc cette différence du premier cas à celui-ci, que dans le premier le corps de l'orage doit descendre directement vers le centre de la terre, au lieu que dans le second il doit plonger obliquement entraîné par la partie foible qui est la premiere à descendre, & forcé d'obéir au mouvement que lui imprime l'action de l'air, qui le suit & le pousse devant lui, ainsi qu'on vient d'expliquer.

Ce n'est donc plus directement vers la terre que sa chûte doit pousser l'air intermédiaire, comme dans le cas précédent, mais obliquement & suivant la direction de sa ligne de route. Or la surface de la terre ne sauroit empêcher l'effet de cette pression, qui dans ce cas doit être suivie d'un vent plus ou moins impétueux, selon que le mouvement progressif de l'orage est plus ou moins hâté par l'affoiblissement de la fermentation, & par la facilité que cet affoiblissement trouve à se communiquer d'une extrêmité de l'orage à l'autre.

Ouragans. C'est la direction oblique de ce vent, ainsi excité par la translation précipitée du corps de l'orage, qui est cause de ces tourbillons que l'on voit quelquefois arracher des arbres, renverser des maisons, &c. car cette direction étant composée de l'horisontale & de la perpendiculaire, la surface de la terre est entierement opposée à l'une ; & les montagnes, les édifices, les forêts, &c. s'opposent à l'autre, & même en différens sens & de différentes façons, selon leur différente position & la différente inclinaison de leurs surfaces, par rapport au mouvement direct du vent que l'orage pousse devant lui. Ainsi, par exemple, différens ruisseaux de vent réfléchis en arriere & du haut en bas par différentes montagnes, différens édifices, &c. différemment situés & différemment inclinés, peuvent concourir en un même point comme en un foyer. Là ils seront croisés par d'autres ruisseaux réfléchis en avant & de bas en haut par la surface de la terre, & les uns & les autres seront encore traversés par des troisiemes qui n'ayant point rencontré d'obstacle, ont suivi jusques-là leur premiere détermination.

On voit assez que le concours, l'opposition, la différente inclinaison de tous ces ruisseaux, les uns à l'égard des autres, peut produire dans l'air qui les compose, un mouvement spiral ou circulaire extrêmement violent, & que si quelque obstacle, par exemple, un arbre se trouve dans l'enceinte de ce tourbillon, il en deviendra bientôt le centre, & qu'il sera arraché avec d'autant plus de facilité que ses branches & son feuillage donneront plus de prise au vent qui roule tout autour avec une rapidité inconcevable.

Grêle. Ce phénomene, tout étrange qu'il est, l'est cependant moins que celui qu'à juste titre on peut appeller le fléau de nos contrées ; on voit bien que c'est de la grêle qu'il est ici question. En effet, il n'est pas mal-aisé de comprendre que plusieurs courans d'air, qui se choquant les uns aux autres, s'empêchent mutuellement de continuer leur mouvement en ligne droite, & par-là même s'obligent à tourner circulairement autour d'un centre commun ; peuvent envelopper un arbre & le déraciner. Mais comment concevoir que des vapeurs & des exhalaisons suspendues sur nos têtes, & échauffées à un tel point, que le lieu d'où elles sortent nous paroît bien souvent tout en feu, puissent se convertir subitement en pieces de glace plus compactes & plus solides que celle que nous voyons se former durant l'hiver le plus rude ? On dira sans doute que ce qui glace & durcit ainsi les parties liquides qui se détachent d'un orage, & le convertit en grêle, c'est la froideur de l'air qu'elles ont à traverser pour parvenir jusqu'à la surface de la terre.

Mais premierement, à quelque hauteur qu'un orage puisse s'élever, peut-on raisonnablement supposer que l'air qui se trouve au-dessous, soit assez froid pour glacer & durcir dans un instant une matiere qui, indépendamment de son mouvement de liquidité, a deux autres mouvemens également propres à empêcher cet effet ; savoir, un mouvement de chaleur que la fermentation doit lui avoir laissé ; & un mouvement de translation qui la précipite vers la terre ?

En second lieu, nous savons que la moyenne région de l'air, qui est la région des vents & des orages, ne s'étend pas tout-à-fait jusqu'au sommet des plus hautes montagnes. Or je demande si ceux qui y sont montés, ont senti cet air froid capable de produire un effet aussi surprenant. Si cela étoit, ils y seroient morts sans doute, & ils ne seroient jamais revenus nous apprendre que des caracteres tracés sur la poussiere se sont conservés pendant plusieurs années, sans souffrir la plus petite altération.

Ces raisons & quelques autres que j'obmets pour abréger, m'ont toujours empêché d'adopter le systême ordinaire sur la formation de la grêle ; & j'ai toujours cru que cette matiere qui se détache des orages lorsqu'ils fondent, & qui se glace & se durcit en tombant, portoit du sein même de l'orage, où elle a fermenté, le principe qui produit cet effet pendant sa chûte.

Pour expliquer ce que c'est que ce principe, je commence par observer premierement, que la grêle étant une espece de glace, il est très-vraisemblable qu'elle se forme à-peu-près comme la glace ordinaire ; & secondement, que de l'aveu de la plupart des physiciens, la glace se forme au moyen de parties de nitre répandues dans l'air, que quelques-uns appellent esprits frigorifiques, lesquelles, selon les uns, s'insinuent comme de petits coins dans les intervalles que les parties du liquide laissent entre elles, & par-là empêchent que la matiere extrêmement agitée, qui est la cause de la liquidité, ne puisse y passer avec assez de liberté pour produire son effet ordinaire ; & selon d'autres, fichent leur pointe dans différentes parties du même liquide, & en forment des molécules si grossieres, que la cause de la liquidité ne pouvant plus les agiter, elles tombent les unes sur les autres, & forment ainsi un corps dur. La maniere dont on fait la glace artificielle est une assez bonne preuve de la solidité de l'une ou de l'autre de ces deux opinions.

D'où je pourrois conclure sans autre preuve, car ici les vraisemblances doivent tenir lieu de démonstrations, que ce sont ces mêmes parties de nitre, ces mêmes esprits frigorifiques, ou du-moins des parties de matiere analogues à celles-là, qui faisant parties de ce mêlange de vapeurs & d'exhalaisons qui se détachent d'un orage lorsqu'il fond, les glacent en tombant, & les convertissent en grêle.

Mais pour appuyer cette conjecture & la tourner en preuve, j'expliquerai en peu de mots comment cela doit arriver, conformément au systême proposé.

Lorsque la fermentation diminue, le volume de la matiere qui fermente diminue aussi dans la même proportion, c'est-à-dire, que ses petites parties se rapprochent les unes des autres, à mesure qu'elles perdent de leur mouvement ; mais les moins subtiles & les plus grossieres, du nombre desquelles seront les parties de nitre & autres semblables, lorsqu'à cause de leur roideur & de leur inflexibilité, elles auront résisté (a) plus que les autres à l'action de la fermentation, doivent faire plus que se rapprocher : leur propre poids & le retour de l'air environnant attiré tout-à-la-fois par la descente & par la réduction du volume de la matiere qui forme l'orage, doivent les faire tomber les unes sur les autres, & les rassembler ainsi par pelotons d'autant plus grands que la fermentation tombe avec plus de promptitude. Ces pelotons renfermeront nécessairement quelques parties de cet air extrêmement dilaté, dans lequel ils se forment, & le tout ensemble descendra vers la terre.

Or je dis que ces pelotons ainsi composés, doivent se glacer en tombant indépendamment de la froideur de l'air qu'ils ont à traverser : car le ressort de l'air intérieur, de cet air raréfié qu'ils portent du sein même de l'orage où ils se sont formés, va toujours s'affoiblissant depuis qu'il n'est plus soutenu par la chaleur de la fermentation, & se réduit presque à rien ; par conséquent il n'oppose presque point de résistance à l'action de l'air extérieur, qui les environnant de toutes parts dans leur trajet, presse leurs petites parties les unes contre les autres, & les tient ainsi dans un repos respectif, (a) que l'on peut comparer au repos d'une eau dormante. Donc ces parties de nitre, ces esprits frigorifiques, qui entrent dans la composition de ces petits grumeaux de matiere liquide, doivent y produire le même effet que celui qu'ils produisent dans l'eau dormante durant le froid de l'hiver, ou encore mieux le même effet que celui qu'ils produisent dans l'eau quand on fait de la glace artificielle. En un mot, forcés d'obéir à la pression de l'air extérieur, ils doivent s'arranger dans le liquide de la maniere la plus propre à réduire sa masse au plus petit volume qu'il est possible. Ils doivent donc boucher ses pores, ou si l'on veut, ficher leurs pointes dans ses petites parties, & par-là arrêter l'action de cette matiere extrêmement agitée, qui est la cause de leur liquidité.

Il faut pourtant convenir qu'il doit y avoir deux différences notables entre la glace ainsi formée, & la glace d'hiver ; mais ces différences viennent à l'appui de mon hypothèse, bien loin de la combattre ; car il suit des principes ci-dessus établis, que cette matiere qui se glace ainsi en tombant, doit se glacer en très-peu de tems, & plus promptement que l'eau ne se glace en plein air durant l'hiver le plus rude, puisqu'ici l'air intérieur ne fait point d'obstacle à l'affaissement des parties, au lieu que le ressort de l'air qui est dans l'eau en souleve les parties & les empêche de se rapprocher ; tellement qu'elle ne se convertit en glace, qu'en écartant cet air & en le contraignant de s'assembler en petits grumeaux ou petites bulles, que l'on voit éparses çà & là dans l'intérieur de la glace ; aussi ne doutai-je pas qu'on ne fît de la glace artificielle avec de l'eau purgée d'air plus facilement & plus promptement qu'avec de l'eau commune.

La seconde différence qu'il doit y avoir entre la glace & la grêle, c'est que la grêle doit être plus solide & plus compacte que la glace, puisqu'il y a beaucoup moins d'air dans l'une que dans l'autre. C'est pour la même raison que la glace qui se fait dans la machine pneumatique après qu'on en a pompé l'air grossier, est plus compacte & contient plus de matiere propre sous le même volume, que celle qui se fait en plein air.

Tonnerre, foudre, éclairs. Après avoir expliqué comment un léger mouvement de fermentation

(a) Voyez ci-après l'explication du phénom. 7. pag. suiv.

(a) C'est ce repos des parties, les unes à l'égard des autres, qui est cause que l'eau douce dont on fait provision dans les vaisseaux destinés pour les voyages de long cours, se glace avec la même facilité que sur la terre ferme, malgré le mouvement de translation qui lui est commun avec le vaisseau.

excité dans un nuage peut-être suivi d'un orage affreux accompagné de vent & de grêle, je pourrois me dispenser de prouver que le tonnerre, la foudre, & les éclairs peuvent dériver du même principe, ou plutôt je pourrois en donner cette preuve aussi simple que solide, que ce que la plûpart des physiciens ont dit de mieux sur ces trois phénomenes, s'adapte parfaitement au systême proposé : car on conçoit aisément que la fermentation, cet agent universel, cette ame du monde, comme l'appelle un ancien philosophe, après avoir assemblé toutes ces parties de différens mixtes répandues dans l'atmosphère, peut beaucoup mieux que toute autre cause, produire dans ce mêlange toutes ces combinaisons, altérations, secrétions, expansions, inflammations, &c. par lesquelles on explique le bruit du tonnerre, la lumiere de l'éclair, & la nature des exhalaisons qui forment la foudre.

Cependant, comme on ne peut guere défendre ce systême sans renoncer à l'explication que M. Descartes nous a donné du bruit du tonnerre, que ce philosophe attribue, comme tout le monde sait, à la compression de l'air occasionnée par la chûte des nuages les uns sur les autres, (explication d'ailleurs surabondante, puisque cette compression peut très-bien s'expliquer par l'expansion de la matiere qui s'enflamme dans le corps de l'orage), je crois devoir lui en substituer une autre, que l'on trouvera peut-être aussi vraisemblable, & d'autant plus simple, qu'elle est tirée du fond même du systême. Voici ce que c'est.

Lorsque la fermentation commence à faire quelque progrès, la matiere qui fermente doit se débarrasser des parties d'air les plus branchues & les plus rameuses, qui à cause de leur figure, sont les moins propres au mouvement. Ces parties écartées de tous côtés & en tous sens, se rencontreront, s'embarrasseront mutuellement, & formeront ainsi par intervalles les amas d'air grossier qui seront soutenus & pressés de tous côtés par la matiere environnante, dont l'action tend toujours à repousser tout ce qui est incapable d'un mouvement pareil au sien.

On voit même qu'à mesure que la fermentation fera de nouveaux progrès, ces amas doivent grossir, se multiplier, se joindre les uns aux autres ; & tous ces différens mouvemens seront la principale cause de cette espece de bouillonnement ou de bruit sourd qu'on entend presque toujours dans le corps de l'orage.

Or il est évident que la chaleur de la fermentation qui va toujours croissant, dilatera cet air ainsi enfermé à un tel point, qu'à la fin il doit rompre les barrieres qui le contiennent, percer ou soulever cette masse de matiere qui fermente, & en s'échappant tout-au-travers exciter un bruit (a) proportionné à la résistance qu'il surmonte, & au degré de chaleur qui a bandé son ressort. C'est ainsi que nous voyons la chaleur du feu dilater & faire éclater l'air qui se trouve enfermé dans du bois sec & vermoulu.

Et voilà comment il peut arriver que le tonnerre se fasse entendre sans qu'il paroisse aucun éclair qui nous l'annonce. Cependant si cet air en s'échappant, ainsi qu'on vient de dire, rencontre quelques exhalaisons disposées à s'enflammer, il les enflammera infailliblement, & alors l'éclair sera le précurseur du tonnerre ; car la lumiere se répandant plus vîte que le son, elle doit frapper l'oeil avant que le son frappe l'oreille.

Mais parce qu'on pourroit trouver quelque difficulté à concevoir comment ces matieres inflammables peuvent se rassembler pour être ainsi allumées par cette explosion de l'air, j'aime mieux dire, & ceci est très-intelligible, que les exhalaisons les moins propres (a) à la fermentation, étant écartées de tous côtés par l'action de celles qui se trouvent capables d'une fermentation plus prompte & plus vive, (b) se joignent à quelques-uns de ces amas d'air grossier qui a été mis à l'écart tout comme elles, & que là s'échauffant & fermentant separément des vapeurs répandues dans le corps de l 'orage, elles s'enflamment, soulevent la matiere environnante, & ouvrent ainsi une voie à cet air déja dilaté qu'elles dilatent encore davantage, lequel en s'échappant les entraîne avec lui, & les lance avec impétuosité hors du corps de l 'orage.

Ou si l'on veut, ce sera cet air dilaté par la chaleur de la fermentation, qui se trouvant assez fort sans le secours de cette inflammation, sera le premier à se faire jour, percera ou soulevera la matiere environnante, & en s'échappant enflammera ces exhalaisons, les emportera avec lui, & les lancera tout comme auparavant.

Il y a, comme l'on voit, cette différence d'un cas à l'autre, que dans le dernier c'est le tonnerre qui allume l'éclair, au lieu que dans le premier c'est l'éclair qui procure cette explosion de l'air dans laquelle consiste le tonnerre. Mais dans les deux cas l'effet doit être le même, & il est toujours vrai de dire que si les exhalaisons lancées hors du corps de l'orage, sont dirigées vers la terre, & qu'elles sont d'une telle nature, qu'elles ne se consument que dans un certain tems ou qu'elles ne puissent point s'allumer tout-à-la-fois, mais successivement & les unes après les autres ; elles pourront parvenir jusqu'à nous avant d'être entierement consumées ; & alors l'éclair se convertira en foudre, dont les effets quelque variés qu'ils soient, sont une suite du principe ci-dessus. Car on comprend que selon que ces amas d'exhalaisons seront composés de parties nitreuses, sulphureuses, bitumineuses, vitrioliques, métalliques, &c. selon que toutes ces parties seront plus ou moins atténuées, & en un mot, selon la différente nature du tout qui résultera de la différente combinaison de leurs quantités & qualités respectives, la foudre doit produire des effets différens.

Ainsi, par exemple, l'exhalaison abonde-t-elle en nitre, & ses parties sont-elles attenuées à un certain point ? Elle passera tout-au-travers d'un corps poreux sans l'endommager ; mais si elle rencontre un corps dur, alors resserrée dans ses pores, elle déployera toute son action sur ses parties solides, & les séparera les unes des autres. C'est ainsi que l'eau-forte qui ne dissout point le fer, dissout des métaux beaucoup plus durs & plus solides que le fer.

Au contraire l'exhalaison est-elle sur-tout composée d'un soufre volatil sans nitre ou sans presque point de nitre ? Elle n'aura pas assez de force pour consumer ou pour dissoudre les corps un peu durs, mais elle consumera ou dissoudra ceux dont les parties résistent moins à leur séparation.

S'il est vrai que la foudre tombe quelquefois en forme de pierre ou de corps dur & solide, cela peut

(a) Voyez ci-après l'explication des différentes modifications du tonnerre, phénom. 8. pag. suiv.

(a) Les moins propres, &c. non pas à la fermentation en général, mais à celle qui se fait dans le corps de l'orage. Il n'y a qu'à se rappeller ce qu'on a dit au commencement de cet article ; savoir, que les effets des différentes fermentations doivent varier selon la différente nature & la différente combinaison des principes qui les produisent. La fermentation qui se fait dans le corps de l'orage, peut donc être d'une telle nature que les matieres inflammables demeureront dans la masse, & alors il n'y aura ni foudre ni éclair ; mais aussi elle peut être telle que ces mêmes matieres seront mises à l'écart & rassemblées dans les cavités pleines d'air grossier, ainsi qu'on s'explique ici ; & alors elles s'enflammeront avec d'autant plus de facilité qu'elles se trouveront séparées des vapeurs.

(b) Plus prompte & plus vive, &c. ou seulement différente de celle à laquelle les premieres seroient propres.

venir de ce que l'exhalaison s'éteint avant d'être entierement consumée (ce qui peut arriver de plusieurs façons que chacun peut aisément imaginer) ; car cela posé, les parties qui resistent après l'extinction, doivent s'approcher les unes des autres, à mesure qu'elles se réfroidissent à cause de la pression de l'air environnant, & du peu de résistance de l'air intérieur (voyez ce qu'on a dit sur la grêle), ou même parce que les petits intervalles qu'elles laissent entr'elles sont remplis d'une matiere encore plus subtile que l'air le plus subtil, laquelle n'ayant plus cette action que lui donnoit le feu avant de s'éteindre, doit aisément céder à la pression de l'air extérieur. Or il n'en faut pas davantage, pour que des exhalaisons séparées des vapeurs, puissent former un corps dur & solide. C'est ainsi que le plomb rendu liquide par l'action du feu, se durcit en se réfroidissant : encore pour rendre la comparaison plus juste, peut-on supposer que la matiere qui reste & qui a été épargnée par le feu, est sur-tout composée des parties métalliques ?

Je ne m'étendrai pas davantage sur ce détail des effets de la foudre, qui me meneroient trop loin ; & je passe à l'explication de quelques phénomenes que je crois nécessaires pour mieux développer le fond du systême.

1°. Les orages se forment le plus souvent sur le soir, & sont ordinairement annoncés par un vent du levant, connu sous le nom du vent dautan.

Parce qu'alors le soleil couchant, donnant à l'air un mouvement vers l'orient, opposé à celui que lui imprime le vent du levant, les nuages s'assemblent & demeurent immobiles au point de concours de ces deux vents, ensorte que les fermens qu'ils portent avec eux, ou ceux qui ont été élevés jusques-là par la chaleur du jour, peuvent agir sur eux, sans que leur action soit traversée par aucun mouvement ni des nuages eux-mêmes, ni de l'air qui les soutient.

2°. Il arrive souvent que plusieurs orages se forment au même endroit dans un même jour, quelquefois même le lendemain & les jours suivans ; comme aussi qu'ils se jettent tous du même côté, & suivent exactement la même voie.

C'est une suite du dérangement que la descente du premier orage a laissé dans l'air ; car à mesure qu'il est descendu, il a été remplacé principalement par l'air qu'il avoit au-dessus de lui, lequel ne se trouvant plus soutenu, a dû le suivre & tomber avec lui. Or, dès que le calme commence à se rétablir, cet air ou d'autre encore qui est venu d'ailleurs, & a succédé au premier, n'ayant pas la densité requise pour se maintenir en cet endroit, doit insensiblement se remettre à sa place ; & par ce mouvement tirer à lui l'air environnant ensemble les nuages qui s'y trouvent, lesquels ainsi assemblés & immobiles pourront former un second orage, si la chaleur favorise l'action des fermens qu'ils portent avec eux, ou facilite l'élévation de ceux qui se trouvent répandus au-dessous.

Par la même raison tout l'espace que le premier orage a parcouru en descendant obliquement vers la terre, se trouve rempli d'un air qui n'étant pas à sa place, doit en sortir dès que le calme commence à favoriser son retour : donc les orages qui se forment au même endroit que le premier, trouvant moins de résistance de ce côté, doivent suivre la même voie.

En effet, dès que le second orage élevé par la fermentation arrive au point d'où le premier est parti, la matiere qui le compose doit se répandre dans la voie qu'il a suivie, à cause du peu de résistance qu'elle y trouve, ainsi qu'on vient de le dire ; & ce mouvement ne peut se faire, comme l'on voit, sans que la fermentation en souffre : donc, caeteris paribus, la fermentation s'affoiblira dans cette partie de l'orage plutôt que dans toute autre. Or, j'ai dit ailleurs que la position de la partie de l'orage, qui est la premiere à s'affoiblir, détermine le point de l'horison vers lequel le corps de l'orage doit être poussé.

3°. On voit quelquefois des orages se diviser en deux parties, dont l'une paroît demeurer immobile, tandis que l'autre s'écarte de la premiere.

Cela vient de ce que la fermentation s'affoiblit dans une partie de l'orage, tandis qu'elle fait du progrès dans la partie voisine : car, cela posé, celle-ci doit s'élever en même-tems que l'autre plongera obliquement en se séparant de la premiere ; & c'est une exception à ce qu'on a dit ailleurs, pp. précédentes, qu'une partie de l'orage qui descend doit entraîner la partie voisine : ce qui ne doit arriver, comme l'on voit, qu'autant que cette derniere est entraînée d'un côté avec plus de force qu'elle n'est élevée de l'autre par l'action de la fermentation.

4°. Les deux parties d'un orage qui se divise prennent quelquefois differentes routes, & vont fondre en même tems l'un d'un côté, & l'autre de l'autre.

Parce que la fermentation s'affoiblit considérablement & en même tems aux deux extrêmités opposées de l'orage ; car dans ce cas, chacune des extrêmités doit entraîner la partie voisine ; ce qui ne peut se faire sans que l'orage se divise en deux parties, dont l'une plongera d'un côté, & l'autre de l'autre. On voit même que l'égalité ou l'inégalité de ces deux parties doit dépendre de l'égalité ou de l'inégalité de cet affoiblissement qui survient de deux côtés en même tems.

5°. A mesure qu'un orage fond en s'avançant vers nous, il paroît s'étendre de tous côtés, & couvrir une plus grande partie de notre horison.

Premierement, parce que l'angle sous lequel nous le voyons, devient toujours plus grand, à mesure qu'il approche de notre zénith, & même à mesure qu'il descend vers la terre.

En second lieu, parce que la base de l'orage doit en effet s'étendre de tous côtés dès qu'il commence à fondre ; car la couche supérieure de la matiere qui le compose, se trouvant moins soutenue par l'action de la fermentation, doit se répandre vers les extrêmités de la couche inférieure, & augmenter ainsi l'étendue de cette partie de sa surface qui est tournée vers nous.

Ce qui n'empêche pas que le volume de la matiere qui fermente ne diminue à mesure que la fermentation tombe, comme on l'a dit ailleurs ; car il suffit pour cela que la solidité du corps de l'orage, ou le produit de sa base par sa hauteur, perde plus par la diminution de la hauteur ou profondeur, qu'elle ne gagne par l'agrandissement de la base.

6°. Il arrive souvent qu'un orage qui a été poussé pendant quelque tems vers un certain point de l'horison, change tout-à-coup de direction, & se jette d'un autre côté.

Cela doit arriver en premier lieu, lorsque la fermentation qui n'a encore diminué que très-peu dans une partie latérale de l'orage, vient à cesser tout-à-coup, ou à diminuer sensiblement dans cette même partie ; car par la même raison que le corps de l'orage s'est jetté sur sa partie antérieure lorsque la fermentation s'est affoiblie en cet endroit, il doit maintenant se jetter sur sa partie latérale, & changer ainsi la direction de son mouvement progressif, & celle de l'air qui le suit & le pousse devant lui.

La même chose doit arriver en second lieu, lorsque quelque obstacle considérable, par exemple, une montagne, se trouve dans le plan perpendiculaire de sa ligne de route ; car l'air pressé par la descente de l'orage contre la partie antérieure de la montagne qu'il ne peut pénétrer, doit se retourner contre l'orage même, l'empêcher d'avancer, & l'obliger de couler du côté où sa ligne de route fait le plus grand angle avec la montagne.

7°. Tous les orages ne donnent pas de la grêle.

Parce que pour la formation de la grêle deux conditions sont requises : il faut premierement que les parties qui se détachent d'un orage lorsqu'il fond, soient mêlées d'une quantité suffisante de nitre, ou autres parties de matieres propres à produire le même effet que le nitre : il faut en second lieu que l'air enfermé dans les petits intervalles que ces parties laissent entr'elles en s'assemblant avant de tomber, ait été dilaté à un certain point par la chaleur de la fermentation. Tout ceci a été expliqué ailleurs.

Or, la premiere de ces conditions manque toutes les fois que les alkalis dominent dans le mêlange de la matiere qui fermente, parce qu'ils usent & dénaturent les acides, & par conséquent le nitre qui est un véritable acide. Cette premiere condition manque aussi lorsque la fermentation est d'une telle nature, que le nitre, ou la plus grande partie du nitre est mise à l'écart, & jettée dans quelques-unes de ces cavités pleines d'air grossier, où il est consumé par le feu qui s'y allume, ou lancé hors du corps de l'orage par l'explosion de l'air qui fait le tonnerre : aussi remarque-t-on que les orages donnent d'autant moins de grêle, que les éclairs sont plus fréquens, & les éclats du tonnerre plus répétés & plus considérables, &c.

La seconde condition manque lorsque les fermens sont foibles & que la fermentation est douce & lente, ou bien encore lorsqu'il survient quelque cause étrangere qui rompt l'équilibre de l'air environnant, trouble la fermentation, & l'empêche de faire un certain progrès, comme seroit un coup de vent, ou quelque mouvement excité dans l'air de quelqu'autre maniere, &c.

8°. Le bruit du tonnerre varie & reçoit différentes modifications.

Parce que l'air comprimé qui le produit en rompant les barrieres qui le contiennent, s'élance de différentes façons hors du corps de l'orage.

S'il souleve avec force la matiere environnante, & qu'il s'échappe presque tout-à-la-fois, le bruit ne différera guere de celui d'un coup de canon : cela doit arriver lorsque son ressort déja bandé à un certain point par la chaleur de la fermentation, vient tout-à-coup à recevoir de nouvelles forces par l'inflammation subite des exhalaisons contenues dans la cavité d'où il sort ; & alors on doit sur-tout craindre la foudre, parce qu'elle est d'autant plus à craindre, que l'explosion de l'air qui la mene vers nous, se fait avec plus de force.

Si l'air se fait des voies obliques à-travers le corps de l'orage, & qu'il s'échappe par petits filets, le bruit sera aigu, & durera un certain tems.

S'il s'élance irrégulierement & comme par secousses, l'organe de l'ouie sera aussi ébranlé par secousses, & on entendra une espece de brouissement ou de pétillement qui doit varier, comme l'on voit, selon l'ordre & la succession des vibrations plus ou moins fortes, plus ou moins fréquentes, plus ou moins distinctes, &c.

Enfin si l'air enfermé dans une cavité voisine de celle qui s'avance, se trouvant moins soutenue de ce côté, vient à percer la cloison qui les sépare, il s'échappera lui-même à la suite de celui qui a déja commencé à se faire une voie, & augmentera le bruit excité par l'explosion commencée sans son secours : c'est ainsi qu'un éclat qui va en diminuant, & qui semble prêt à cesser, prend tout-à-coup de nouvelles forces, & se fait entendre beaucoup plus qu'auparavant.

Il peut même arriver que l'évacuation de cette seconde cavité donne lieu à l'évacuation d'une troisieme, comme la premiere a donné lieu à la seconde ; ce qui doit faire un tonnerre continuel qui se fera entendre à coups redoublés.

J'aurois bien d'autres phénomenes à expliquer, si je voulois épuiser la matiere ; mais je crois en avoir assez dit pour donner une idée du systême que je propose. Je remarquerai seulement ici que le principe d'où je suis parti, est évident & incontestable ; savoir, que la fermentation est l'unique cause des orages & des phénomenes qui les accompagnent : aussi n'ai-je pas cru devoir me mettre en peine de le prouver. Le tonnerre, les éclairs, la foudre, le vent, ce bouillonnement que l'on entend dans un orage qui se forme, voilà mes preuves ; il n'en faut pas d'autres pour quiconque a vu des fermentations. La grêle même n'est-elle pas une espece de crystallisation, effet ordinaire des fermentations ?

Ainsi, j'ose le dire, quelque versés que soient dans la Physique ceux qui travailleront désormais sur ces matieres, ils s'égareront s'ils perdent ce principe de vue : qu'on réforme, qu'on abatte même, si l'on veut, l'édifice que je viens d'élever, je n'en suis point jaloux ; mais qu'on ne cherche pas à bâtir sur un autre fondement.

Je voudrois que quelque physicien habile, quelqu'un de ces hommes privilégiés que la nature se plaît à initier dans ses mysteres ; par exemple, un... un... commençassent par se bien convaincre de cette vérité, & qu'ils prissent ensuite la résolution de faire un systême, je suis assuré que la théorie qu'ils nous donneroient vaudroit infiniment mieux que tout ce qu'on a fait jusqu'ici sur cette matiere. Que sçait-on même si le progrès de la théorie seroit l'unique fruit de leur travail ? Ne pourroit-il pas arriver qu'ils fissent quelque découverte heureuse, & qu'ils trouvassent quelque moyen de nous délivrer d'un des plus funestes fléaux dont la colere divine puisse nous affliger ? On a bien fait d'autres découvertes auxquelles il semble qu'on auroit dû s'attendre encore moins qu'à celle-là.

Mais comme c'est à l'expérience bien plus qu'aux systêmes & aux raisonnemens, que nous sommes redevables de toutes celles qui se sont faites jusqu'ici, c'est sur-tout de l'expérience que nous devons attendre celles qui se feront à l'avenir ; il semble donc que dans un pays dévasté tous les ans par la grêle, les raisons les moins spécieuses devroient suffire pour nous engager à tourner toute notre attention de ce côté-là. Menacés d'être réduits à la derniere indigence, & presque forcés à faire un abandon de nos biens, que ne devons-nous pas faire pour tâcher d'éviter ce malheur ?

Nous avons oui dire plus d'une fois à nos militaires, que le bruit du canon dissipe les orages, & qu'on ne voit jamais de grêle dans les villes assiégées. Je n'oserois assurer qu'on puisse compter sur cette observation ; il semble pourtant que l'accord de tant de gens dignes de foi, qui prétendent l'avoir faite, doit être de quelque considération.

Lorsque j'examine la chose en physicien, & relativement aux principes ci-dessus, cet effet du canon ne me paroît pas hors de toute vraisemblance. Après tout que risqueroit-on à faire un essai ? quelque quintal de poudre, les frais du transport de quelques pieces de canon qui ne vaudroient pas moins après avoir été employées à cet usage. (a)

Peut-être qu'au moyen de cette espece de mouvement

(a) Vingt ou trente pieces de canon, peut-être un plus petit nombre pourroit suffire pour faire cette expérience, en les plaçant trois à trois ou quatre à quatre, de distance en distance, comme seroit à une lieue ou à une lieue & demie les unes des autres.

d'ondulation qu'on exciteroit dans l'air par l'explosion de plusieurs canons tirés les uns après les autres, on pourroit ébranler, diviser, dissiper le nuage qui commence à fermenter.

Peut-être qu'on écarteroit les nuages voisins & qu'on disperseroit toutes ces parties de différens mixtes répandues dans l'air ; en sorte qu'on empêcheroit l'effet de cette vertu attractive qui assemble tout au même endroit : car ce n'est qu'à la faveur du calme extraordinaire qui regne dans l'air, que peut se former & continuer cette espece de chaîne que font ces différens corpuscules en se levant vers l'orage les uns à la suite des autres. Or le bruit du canon en troublant ce calme, ne doit-il pas rompre cette chaîne, & faire cesser la fermentation en lui dérobant des fermens qui sans doute servent à l'entretenir ?

Peut-être enfin qu'on romproit cet équilibre qui regne dans toutes les parties de l'air environnant, comprimé par l'expansion de la matiere qui fermente, lequel favorise l'action des fermens que l'orage renferme dans son sein en le tenant immobile, & en empêchant un mouvement de translation qui ne pourroit que traverser leur action.

Sur quoi j'observe que le canon pourroit produire ce dernier effet de deux façons :

Premierement, en augmentant la force de cette partie de l'air environnant, vers laquelle son action seroit dirigée ; secondement, en troublant la fermentation dans cette partie de l'orage qu'il ébranleroit le plus par ses secousses : car en supposant la fermentation arrêtée, ou considérablement diminuée dans une partie de l'orage, le corps de l'orage doit se jetter de ce côté, comme je l'ai observé ailleurs, & l'air environnant se déployant en même-tems du même côté, doit emporter l'orage & le dissiper, ou le faire fondre avant que la fermentation ait fait un progrès suffisant pour procurer cette coagulation qui fait la grêle. Il y a lieu de croire que c'est ce qui arrive lorsqu'un orage vient à fondre bientôt après qu'il a commencé à se former : aussi dans ce cas n'y a-t-il point de grêle.

Je ne porte pas plus loin mes conjectures, & je finis cet article en conjurant les physiciens de vouloir bien examiner s'il n'y auroit pas des bonnes raisons pour engager les malheureux habitans des pays sujets à la grêle, à faire l'expérience du canon pour tâcher de se délivrer de ce fléau.

Peut-être des raisons de douter devroient-elles suffire pour presser l'exécution de ce projet. En effet, pour le conduire avec prudence, on doit balancer le danger qu'il y a de faire une dépense inutile par le degré d'utilité que cette même dépense peut procurer, si l'expérience réussit. Or, l'utilité seroit (a) grande sans doute ; donc il semble que l'incertitude du succès ne devroit pas empêcher qu'on la fît.

Au reste, pour éviter l'embarras qu'il y auroit à faire transporter du canon, & la difficulté qu'on pourroit trouver à obtenir la permission de déplacer celui de nos villes de guerre, ne pourroit-on pas faire usage des boîtes-à-feu propres à produire le même effet dans l'air ? Et si cela se peut, comme je n'en doute pas, quelle forme faudroit-il leur donner pour que l'inflammation de la poudre qu'on y enfermeroit, excitât dans l'air la plus forte commotion qu'il seroit possible ? C'est ce que je voudrois qu'on examinât.

Ne pourroit-on pas encore faire des boîtes-à-vent, dans lesquelles on comprimeroit l'air à un tel point, qu'en le laissant échapper tout-à-la-fois, il se débanderoit avec force sur l'air extérieur, dans lequel il exciteroit un ébranlement à peu-près pareil à celui qu'excite la poudre quand elle prend feu dans le canon ? Autre question à examiner.

ORAGE, s. m. (Poësie) grosse pluie, ordinairement de peu de durée, mais accompagnée d'un vent impétueux, & quelquefois de grêle, d'éclairs, & de tonnerre. Le lecteur sera peut-être bien-aise de se délasser à lire ici la description que fait M. Thompson d'un orage d'automne dans les îles britanniques : c'est un tableau plein de poësie & de sentimens d'humanité.

" Le sud brûlant s'arme d'un souffle puissant qui détruit les travaux de l'année. A peine voit-on d'abord la pointe des arbres trembler, un murmure tranquille se glisse au long des moissons qui s'inclinent doucement ; mais la tempête croît, s'éleve ; l'athmosphere s'ébranle & se remplit d'une humidité pénétrante, invisible, & immense, qui se précipite avec impétuosité sur la terre. Les forêts agitées jettent au loin des nuées de feuilles bruyantes. Les montagnes voisines battues de l'orage, poussent la tempête brisée, & la renvoient en torrens dans le vallon. La plaine fertile flotte en ondes, découverte & exposée à la plus grande fureur du vent. La mer de la moisson ne peut éviter le coup qui la menace, quoiqu'elle plie à l'orage, elle est arrachée & enlevée dans l'air, ou réduite en chaume inutile par l'ébranlement qui la détruit.

Quelquefois l'horison noircit, fond & descend en fleuve précipité, tandis que la tempête semble se reproduire. L'obscurité s'augmente, le déluge s'accroît, les champs noyés de toutes parts, perdent leurs fruits couchés sous l'inondation. Tout-à-coup des ruisseaux sans nombre se précipitent tumultueusement, rougis, jaunis ou blanchis, par la terre des collines qu'ils entraînent ; la riviere s'enfle & quitte ses bords. Les brebis, la moisson, les cabanes roulent ensemble emportées par la cruelle vague. Tout ce que les vents ont épargné, céde à ce dernier effort, qui ruine en un instant les plus hautes espérances, & dissipe les trésors mérités, fruits de l'année laborieuse.

Le laboureur sans secours fuit sur les hauteurs, considere le malheureux naufrage de tout son bien, ses troupeaux noyés, & tous ses travaux dispersés. Les besoins de l'hiver s'offrent en ce cruel moment à la pensée tremblante : il frémit, il croit entendre les cris de ses chers enfans affamés.

Vous maîtres accourez, consolez-le, séchez ses larmes, & ne soyez alors occupés que de soutenir la main rude & laborieuse, qui vous procurera l'aisance dans laquelle vous vivez : donnez du moins des vêtemens grossiers à ceux dont le travail a fourni la chaleur & la parure de vos habits : veillez encore au soin de cette pauvre table, qui a couvert la vôtre de luxe & d'abondance : soyez compatissans enfin, & gardez-vous d'exiger ce que les vents orageux & les affreuses pluies viennent de moissonner sans retour. " (D.J.)


ORAGEUXadj. (Gram.) qui menace d'orage, qui y est sujet. On dit un tems orageux, dans le premier sens ; & une mer orageuse, dans le second.


ORAIRES. m. orarium, terme de Liturgie ; c'est le nom qu'on a autrefois donné à cette partie des vêtemens sacrés des prêtres & des diacres, que nous appellons aujourd'hui étole : on mettoit l'oraire sur la tunique ou dalmatique ; mais les Bollandistes remarquent que ce mot n'a pas toujours la même signification ; qu'il se prend quelquefois pour rochet ou

(a) Il n'y a pas d'année où la grêle ne ravage la moitié, quelquefois les trois quarts des diocèses de Rieux, Comminges, Conserans, Auch & Lombez, sans compter que les endroits épargnés rendent beaucoup moins, parce que le propriétaire découragé néglige la culture de son champ, & souvent le laisse en friche n'ayant pas de quoi semer ; il y a même certains quartiers dans ces différens diocèses qui sont grélés régulierement toutes les années, souvent deux, trois, jusqu'à quatre fois dans la même année ; ce fait est certain, & l'auteur ne le sait que trop.

petit habillement de toile que portent les évêques, & quelquefois pour un linge qui sert à essuyer la bouche. Le quatrieme concile de Tolede, canon 40, ordonne que les diacres ne porteront qu'un orarium ou étole, & qu'il sera blanc & sans or. Cependant tout cela a changé ; car l'orarium, qui n'étoit autrefois que de linge, n'est plus, depuis long-tems, que d'une belle étoffe. Ce mot vient-il du latin ora, le bord de l'habit, ou de os, oris, la bouche, ou de quelqu'autre origine ? c'est ce qu'on ignore, & ce qu'il importe fort peu de savoir. (D.J.)


ORAISONS. f. DISCOURS, s. m. (Synonym.) ces deux mots en grammaire signifient également l'énonciation de la pensée par la parole ; c'est en quoi ils sont synonymes.

Dans le discours on envisage sur-tout l'analogie & la ressemblance de l'énonciation avec la pensée énoncée.

Dans l'oraison, l'on fait plus attention à la matiere physique de l'énonciation, & aux signes vocaux qui y sont employés. Ainsi, lorsque l'on dit en grec , en latin aeternus est Deus, en françois, Dieu est éternel, en italien, eterno è Iddio, en allemand, Gott ist ewig ; c'est toujours le même discours, parce que c'est toujours la même pensée énoncée par la parole, & rendue avec la même fidélité ; mais l'oraison est différente dans chaque énonciation, parce que la même pensée n'est pas rendue partout par les mêmes signes vocaux. Legi tuas litteras, tuas legi litteras, litteras tuas legi, c'est encore en latin le même discours, parce que c'est l'énonciation fidele de la même pensée ; mais quoique les mêmes signes vocaux soient employés dans les trois phrases, l'oraison n'est pourtant pas tout-à-fait la même, parce que l'ensemble physique de l'énonciation varie de l'une à l'autre.

Le discours est donc plus intellectuel ; ses parties sont les mêmes que celles de la pensée, le sujet, l'attribut, & les divers complémens nécessaires aux vues de l'énonciation. Voyez SUJET, ATTRIBUT, REGIME, &c. il est du ressort de la Logique.

L'oraison est plus matérielle ; ses parties sont les différentes especes de mots, l'interjection, le nom, le pronom, l'adjectif, le verbe, la préposition, l'adverbe, & la conjonction, que l'on nomme aussi les parties d'oraison. Voyez MOT. Elle suit les lois de la Grammaire.

Le style caractérise le discours, & le rend précis ou diffus, élevé ou rampant, facile ou embarrassé, vif ou froid, &c. La diction caractérise l'oraison, & fait qu'elle est correcte ou incorrecte, claire ou obscure. Voyez ÉLOCUTION, au commencement.

L'étymologie peut servir à confirmer la distinction que l'on vient d'établir entre discours & oraison. Le mot discours, en latin discursus, vient du verbe discurere, courir de place en place, ou d'idée en idée ; parce que l'analyse de la pensée, qui est l'objet du discours, montre, l'une après l'autre, les idées partielles, & passe en quelque maniere de l'une à l'autre. Le mot oraison est tiré immédiatement du latin oratio, formé d'oratum, supin d'orare ; & orare a une premiere origine dans le génitif oris, du nom os, bouche, qui est le nom de l'instrument organique du matériel de la parole : orare, faire usage de la bouche pour énoncer sa pensée ; oratio, la matiere physique de l'énonciation.

J'ajouterai ici ce qu'a écrit M. l'abbé Girard sur la différence des trois mots harangue, discours, oraison : quoiqu'il prenne ces mots relativement à l'éloquence, on verra néanmoins qu'il met entre les deux derniers une distinction de même nature que celle que j'y ai mise moi-même.

" La harangue, dit-il, (Synon. fr.) en veut proprement au coeur ; elle a pour but de persuader & d'émouvoir ; sa beauté consiste à être vive, forte, & touchante. Le discours s'adresse directement à l'esprit ; il se propose d'expliquer & d'instruire ; sa beauté est d'être clair, juste & élégant. L'oraison travaille à prévenir l'imagination ; son plan roule ordinairement sur la louange ou sur la critique ; sa beauté consiste à être noble, délicate & brillante.

Le capitaine fait à ses soldats une harangue, pour les animer au combat. L'académicien prononce un discours, pour développer ou pour soutenir un systême. L'orateur prononce une oraison funebre, pour donner à l'assemblée une grande idée de son héros.

La longueur de la harangue ralentit quelquefois le feu de l'action. Les fleurs du discours en diminuent souvent les graces. La recherche du merveilleux dans l'oraison fait perdre l'avantage du vrai. "

Ainsi, il en est du discours & de l'oraison dans le langage des Rhéteurs, comme dans celui des Grammairiens : de part & d'autre le discours est pour l'esprit, parce qu'il en représente les pensées ; l'oraison est pour l'imagination, parce qu'elle représente d'une maniere matérielle & sensible. (B. E. R. M.)

ORAISON DOMINICALE, (Critique sacrée) c'est-à-dire, priere de Notre Seigneur, ou le modele d'oraison que Notre Seigneur daigna donner à ses disciples qui l'en sollicitoient, Luc. II. 2. Matt. 6. 9. Notre pere qui êtes dans le ciel ; appellatio pietatis & potestatis, dit fort bien Tertullien : Que ton nom soit sanctifié : Que ton regne vienne : Que ta volonté soit faite, &c. Autant d'expressions graduées, qui signifient que Dieu soit reconnu pour le seul vrai Dieu ; & qu'il soit honoré en cette qualité par toute la terre, d'un culte pur & conforme à ses perfections. Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien ; ce qui nous est nécessaire pour chaque jour, ou ce qui convient à chaque jour. Pardonnez-nous nos offenses, comme nous les pardonnons : Jesus-Christ recommande par ce comme, le pardon des injures. C'est ainsi qu'il est dit dans l'ecclésiastiq. 28. 2. " Pardonnez à votre ennemi l'injure qu'il vous a faite, & vos péchés vous seront remis, quand vous en demanderez le pardon. " Ne nous induisez point en tentation. Ne nous exposez point à des épreuves trop rigoureuses, où nous pourrions succomber, mais délivrez-nous du mal, , mais soutenez-nous contre les intentions que nous pourrions avoir de nuire aux autres hommes ; est une passion maligne, qui tend à faire du tort aux autres. est le vice opposé à la vertu, qui doit régler nos actions par rapport à nous-mêmes. On a quelques bonnes paraphrases de cette excellente priere ; mais la plûpart des théologiens l'ont noyée d'explications diffuses & trop recherchées. Quant à la doxologie ; car c'est à toi qu'appartiennent le regne, la puissance & la gloire aux siecles des siecles ; elle a été prise vraisemblablement des constitutions apostoliques, lib. III. 18. où elle se trouve, & de quelques anciennes liturgies, d'où elle a passé dans le texte. Il est vrai du moins qu'elle manque dans quelques exemplaires grecs, comme dans la vulgate. (D.J.)

ORAISON, (Rhétor. & Eloq.) le mot oraison est d'une signification fort étendue ; si l'on en considere seulement l'étymologie, il désigne toute pensée exprimée par le discours, ore ratio expressa. C'est dans ce sens qu'il est employé par les Grammairiens. Ici il désigne un discours préparé avec art, pour opérer la persuasion.

Il faut observer qu'il y a une grande différence entre le talent de l'oraison & l'art qui aide à le former. Le talent s'appelle éloquence, l'art, rhétorique : l'un produit, l'autre juge : l'un fait l'orateur, l'autre ce qu'on nomme le rhéteur.

Toutes ces questions, dans lesquelles la persuasion peut avoir lieu, sont du ressort de l'éloquence. On les réduit ordinairement à trois genres, dont le premier est le genre démonstratif ; le second, le genre délibératif ; le troisieme, le genre judiciaire. Le premier a pour objet sur-tout le présent ; le second, l'avenir ; le troisieme, le passé. Dans le démonstratif, on blâme, on loue. Dans le délibératif, on engage à agir, ou à ne pas agir. Dans le judiciaire, on accuse, on défend.

Le genre démonstratif renferme donc les panégyriques, les oraisons funebres, les discours académiques, les complimens faits aux rois & aux princes, &c. Il s'agit dans ces occasions de recueillir tout ce qui peut faire honneur & plaire à la personne qu'on loue.

Dans le genre démonstratif, on préconise la vertu ; on la conseille dans le genre délibératif, & on montre les raisons pour lesquelles on doit l'embrasser. Il ne s'agit pas dans le genre délibératif d'étaler des graces, de chatouiller l'oreille, de flatter l'imagination ; c'est une éloquence de service, qui rejette tout ce qui a plus d'éclat que de solidité. Qu'on entende Démosthene, lorsqu'il donne son avis au peuple d'Athènes, délibérant s'il déclarera la guerre à Philippe : cet orateur est riche, il est pompeux ; mais il ne l'est que par la force de son bon sens.

Dans le genre judiciaire, l'orateur fixe l'état de la question ; il a pour objet ou le fait, ou le droit, ou le nom ; car, dans ce genre, il s'agit toujours d'un tort ou réel, ou prétendu réel.

Mais ces trois genres ne sont pas tellement séparés les uns des autres, qu'ils ne se réunissent jamais. Le contraire arrive dans presque toutes les oraisons. Que sont la plûpart des éloges & des panégyriques, sinon des exhortations à la vertu ? On loue les saints & les héros pour échauffer notre coeur, & ranimer notre foiblesse. On délibere sur le choix d'un général : l'éloge de Pompée déterminera les suffrages en sa faveur. On prouve qu'il faut mettre Archias au nombre des citoyens romains, pourquoi ? Parce qu'il a un génie qui fera honneur à l'empire. Il faut déclarer la guerre à Philippe, pourquoi encore ? Parce que c'est un voisin dangereux, dont les forces, si on ne les arrête, deviendront funestes à la liberté commune des Grecs. Il n'y a pas jusqu'au genre judiciaire, qui ne rentre en quelque sorte dans le délibératif, puisque les juges sont entre la négative & l'affirmative, & que les plaidoyers des Avocats ne sont que pour fixer leur incertitude, & les attacher au parti le plus juste. En un mot, l'honnêteté, l'utilité, l'équité, qui sont les trois objets de ces trois genres, rentrent dans le même point, puisque tout ce qui est vraiment utile est juste & honnête, & réciproquement ; ce n'est pas sans raison que quelques rhéteurs modernes ont pris la liberté de regarder comme peu fondée cette division célebre dans la Rhetorique des anciens. (D.J.)

ORAISON FUNEBRE, (Art orat. des anciens) discours oratoire en l'honneur d'un mort. Ces sortes de discours semblent n'avoir commencé en Grece qu'après la bataille de Marathon, qui précéda de seize ans la mort de Brutus. Dans Homere on célebre des jeux aux obseques de Patrocle, comme Hercule avoit fait auparavant aux funérailles de Pélops ; mais nul orateur ne prononce son éloge funebre.

Les Poëtes tragiques d'Athènes supposoient, il est vrai, que Thésée avoit fait un discours aux funérailles des enfans d'Oedipe ; mais c'est une pure flatterie pour la ville d'Athènes. Enfin, quoique le rhéteur Anaximènes attribue à Solon l'invention des oraisons funebres, il n'en apporte aucune preuve. Thucydide est le premier qui nous parle des oraisons funebres des Grecs. Il raconte dans son second livre que les Athéniens firent des obsèques publiques à ceux qui avoient été tués au commencement de la guerre du Péloponnèse. Il détaille ensuite cette solemnité, & dit qu'après que les ossemens furent couverts de terre, le personnage le plus illustre de la ville tant en éloquence qu'en dignité, passa du sépulcre sur la tribune, & fit l'oraison funebre des citoyens qui étoient morts à la guerre de Samos. Le personnage illustre qui fit cet éloge est Périclès, si célebre par ses talens dans les trois genres d'éloquence, le délibératif, le judiciaire, & le démonstratif.

Dans ce dernier genre, l'orateur pouvoit sans crainte étaler toutes les fleurs & toutes les richesses de la poësie. Il s'agissoit de louer les Athéniens en général sur les qualités qui les distinguoient des autres peuples de la Grece ; de célébrer la vertu & le courage de ceux qui étoient morts pour le service de la patrie ; d'élever leurs exploits au-dessus de ce que leurs ancêtres avoient fait de plus glorieux ; de les proposer pour exemple aux vivans ; d'inviter leurs enfans & leurs freres à se rendre dignes d'eux, & de mettre en usage pour la consolation des peres & des meres, les raisons les plus capables de diminuer le sentiment de leurs pertes. Platon, qui nous présente l'image d'un discours parfait dans le genre dont il s'agit, l'avoit vraisemblablement formé sur l'éloge funebre que Périclès prononça dans cette occasion.

Il plut tellement, qu'on choisit dans la suite les plus habiles orateurs pour ces sortes d'oraisons ; on leur accordoit tout le tems de préparer leurs discours, & ils n'oublioient rien pour répondre à ce qu'on attendoit de leurs talens. Le beau choix des expressions, la variété des tours & des figures, la brillante harmonie des phrases faisoient sur l'ame des auditeurs une impression de joie & de surprise, qui tenoit de l'enchantement. Chaque citoyen s'appliquoit en particulier les louanges qu'on donnoit à tout le corps des citoyens ; & se croyant tout-à-coup transformé en un autre homme, il se paroissoit à lui-même plus grand, plus respectable, & jouissoit du plaisir flatteur de s'imaginer que les étrangers qui assistoient à la cérémonie, avoient pour lui les mêmes sentimens de respect & d'admiration. L'impression duroit quelques jours, & il ne se détachoit qu'avec peine de cette aimable illusion, qui l'avoit comme transporté en quelque sorte dans les îles fortunées. Telle étoit, selon Socrate, l'habileté des orateurs chargés de ces éloges funebres. C'est ainsi qu'à la faveur de l'éloquence leurs discours pénétroient jusqu'au fond de l'ame, & y causoient ces admirables transports.

Le premier qui harangua à Rome aux funérailles des citoyens, fut Valerius Publicola. Polybe raconte qu'après la mort de Junius Brutus son collegue, qui avoit été tué le jour précédent à la bataille contre les Etrusques, il fit apporter son corps dans la place publique, & monta sur la tribune, où il exposa les belles actions de sa vie. Le peuple touché, attendri, comprit alors de quelle utilité il peut être à la république de récompenser le mérite, en le peignant avec tous les traits de l'éloquence. Il ordonna sur le champ, que le même usage seroit perpétuellement observé à la mort des grands hommes qui auroient rendu des services importans à l'état.

Cette ordonnance fut exécutée, & Quintus Fabius Maximus fit l'oraison funebre de Scipion. Souvent les enfans s'acquittoient de ce devoir, ou bien le sénat choisissoit un orateur pour composer l'éloge du mort. Auguste à l'âge de douze ans récita publiquement l'éloge de son ayeul, & prononça celui de Germanicus son neveu, étant empereur. Tibere suivit le même exemple pour son fils, & Néron à l'égard de l'empereur Claude son prédécesseur.

Sur la fin de la république, l'usage s'établit chez les Romains de faire l'oraison funebre des femmes illustres qui mouroient dans un âge un peu avancé. La premiere dame romaine qui reçut cet honneur fut Popilla, dont Crassus son fils prononça l'oraison funebre. César étant questeur fut le premier qui fit celle de sa premiere femme morte jeune. Ciceron écrivit aussi l'éloge de Porcia, soeur de Caton, mais il ne le prononça pas.

Il résulte de ce détail que l'invention des oraisons funebres paroît appartenir aux Romains ; ils ont du moins cet avantage d'en avoir étendu la gloire avec plus de justice & d'équité que les Grecs. Dans Athènes on ne louoit qu'une sorte de mérite, la valeur militaire ; à Rome toutes sortes de vertus étoient honorées dans cet éloge public ; les politiques comme les guerriers, les hommes comme les femmes, avoient droit d'y prétendre ; & les empereurs eux-mêmes ne dédaignerent point de monter sur la tribune, pour y prononcer des oraisons funebres.

Après cela, qui ne croiroit que cette partie de l'art oratoire n'ait été poussée à Rome jusqu'à sa perfection ? cependant il y a toute apparence qu'elle y fut très-négligée ; les Rhéteurs latins n'ont laissé aucun traité sur cette matiere, ou n'en ont écrit que très-superficiellement. Ciceron en parle comme à regret, parce que, dit-il, les oraisons funebres ne font point partie de l'éloquence : Nostrae laudationes scribuntur ad funebrem concionem, quae ad orationis laudem minimè accommodata est. Les Grecs au contraire aimoient passionnément à s'exercer en ce genre ; leurs savans écrivoient continuellement les oraisons funebres de Thémistocle, d'Aristide, d'Agésilas, d'Epaminondas, de Philippe, d'Alexandre, & d'autres grands hommes. Epris de la gloire du bel esprit, ils laissoient au vulgaire les affaires & les procès ; au lieu que les Romains, toujours attachés aux anciennes moeurs, ignoroient ou méprisoient ces sortes d'écrits d'appareil. (D.J.)

ORAISON FUNEBRE, (Hist. de l'Eloq. en France) discours prononcé ou imprimé à l'honneur funebre d'un prince, d'une princesse, ou d'une personne éminente par la naissance, le rang ou la dignité dont elle jouissoit pendant sa vie.

On croit que le fameux Bertrand du Guesclin, mort en 1380, & enterré à S. Denis à côté de nos rois, est le premier dont on ait fait l'oraison funebre dans ce royaume ; mais cette oraison n'a point passé jusqu'à nous ; ce n'est proprement qu'à la renaissance des lettres qu'on commença d'appliquer l'art oratoire à la louange des morts, illustres par leur naissance ou par leurs actions. Muret prononça à Rome en latin l'oraison funebre de Charles IX. Enfin, sous le siecle de Louis XIV. on vit les François exceller en ce genre dans leur propre langue ; & M. Bossuet remporta la palme sur tous ses concurrens. C'est dans ces sortes de discours que doit se déployer l'art de la parole ; les actions éclatantes ne doivent s'y trouver louées, que quand elles ont des motifs vertueux ; & la gravité de l'évangile n'y doit rien perdre de ses privileges. Toutes ces conditions se trouvent remplies dans les oraisons de l'évêque de Meaux.

Il s'appliqua de bonne heure, dit M. de Voltaire, à ce genre d'éloquence qui demande de l'imagination, & une grandeur majestueuse qui tient un peu à la poësie, dont il faut toujours emprunter quelque chose, quoiqu'avec discrétion, quand on tend au sublime. L'oraison funebre de la reine-mere qu'il prononça en 1667, lui valut l'évêché de Condom ; mais ce discours n'étoit pas encore digne de lui, & il ne fut pas imprimé. L'éloge funebre de la reine d'Angleterre, veuve de Charles I. qu'il fit en 1669, parut presqu'en tout un chef-d'oeuvre. Les sujets de ces pieces d'éloquence sont heureux, à proportion des malheurs que les morts ont éprouvés. C'est en quelque façon, comme dans les tragédies, où les grandes infortunes des différens personnages sont ce qui intéresse davantage.

L'éloge funebre de Madame, enlevée à la fleur de son âge, & morte entre ses bras, eut le plus grand & le plus rare des succès, celui de faire verser des larmes à la cour. Il fut obligé de s'arrêter après ces paroles. " O nuit désastreuse, nuit effroyable ! où retentit tout-à-coup comme un éclat de tonnerre cette étonnante nouvelle, Madame se meurt, Madame est morte, &c. " L'auditoire éclata en sanglots, & la voix de l'orateur fut interrompue par ses soupirs & par ses larmes.

M. Bossuet naquit à Dijon en 1627, & mourut à Paris en 1704. Ses oraisons funebres sont celles de la reine-mere, en 1667 ; de la reine d'Angleterre, en 1669 ; de Madame, en 1670 ; de la reine, en 1684 ; de la princesse palatine, en 1685 ; de M. le Tellier, en 1686 ; & de Louis de Bourbon prince de Condé, en 1687.

Fléchier (Esprit), né en 1632, au comtat d'Avignon, évêque de Lavaur, & puis de Nismes, mort en 1710, est sur-tout connu par ses belles oraisons funebres. Les principales sont celles de la duchesse de Montausier, en 1672 ; de M. de Turenne, en 1679 ; du premier président de Lamoignon, en 1679 ; de la reine, en 1683 ; de M. le Tellier, en 1686 ; de madame la dauphine, en 1690 ; & du duc de Montausier dans la même année.

Mascaron (Jules) né à Marseille, mort en 1734 ; évêque d'Agen en 1703. Ses oraisons funebres sont celle d'Anne d'Autriche, reine de France, prononcée en 1666 ; celle d'Henriette d'Angleterre, duchesse d'Orléans ; celle du duc de Beaufort ; celle du chancelier Séguier ; & celle de M. de Turenne. Les oraisons funebres que nous venons de citer, balancerent d'abord celles de Bossuet ; mais aujourd'hui elles ne servent qu'à faire voir combien Bossuet étoit un grand homme.

Depuis cinquante ans, il ne s'est point élevé d'orateurs à côté de ces grands maîtres, & ceux qui viendront dans la suite, trouveront la carriere remplie. Les tableaux des miseres humaines, de la vanité, de la grandeur, des ravages de la mort, ont été faits par tant de mains habiles, qu'on est réduit à les copier, ou à s'égarer. Aussi les oraisons funebres de nos jours ne sont que d'ennuyeuses déclamations de sophistes, & ce qui est pis encore, de bas éloges, où l'on n'a point de honte de trahir indignement la vérité. Hist. univ. de M. de Voltaire, tom. VII. (D.J.)

ORAISON MENTALE, (Théol. myst.) on la définit celle qui se forme dans le coeur, & qui y demeure.

Quoiqu'on ait extrêmement relevé l'oraison mentale, qui est en effet l'ame de la religion chrétienne, puisque c'est l'exercice actuel de l'adoration en esprit & en vérité prescrite par Jesus-Christ, il ne faut pas néanmoins déguiser que cette oraison même a servi de prétextes à plusieurs abus. Cette dévotion oisive pendant des heures entieres, à genoux & les bras croisés, a été très-ordinaire depuis environ cinq cent ans, particulierement chez les femmes naturellement paresseuses & d'une imagination fort vive. De-là vient que les vies des saintes de ces derniers siecles, sainte Brigite, sainte Catherine de Sienne, la bienheureuse Angele de Foligny, ne contiennent presque que leurs pensées & leurs discours sans aucun fait remarquable & sans aucune bonne oeuvre. Leurs directeurs, prévenus en faveur de telles pénitentes dont ils connoissoient la vertu, prirent leurs pensées pour des révélations, & ce qui leur arrivoit pour des miracles.

Ces directeurs étant nourris de la méthode & des subtilités de la scholastique qui régnoit alors, ne manquerent pas de l'appliquer à l'oraison mentale, dont ils firent un art long & pénible, prétendant distinguer exactement les divers états d'oraison & les degrés du progrès dans la perfection chrétienne. Et comme c'étoit la mode depuis long-tems de tourner toute l'Ecriture à des sens figurés, faute d'en entendre la lettre, ces docteurs y trouverent tout ce qu'ils voulurent ; ainsi se forma la Théologie mystique que nous voyons dans les écrits de Rusbroc, de Taulere, & des auteurs semblables. A force de subtiliser, ils employoient souvent des expressions outrées, & avançoient des paradoxes auxquels il étoit difficile de donner un sens raisonnable. Ces excès produisirent les erreurs des faux Gnostiques, celles des Béguarres & des Béguines, & dans le dernier siecle, celle de Molinos & des Quiétistes. L'autre effet de la spiritualité outrée est le fanatisme, tel que celui de Grégoire Palamas & des moines grecs du mont Athos dans le quatorzieme siecle. La vraie oraison mentale doit être simple, solide, courte, & tendant directement à nous rendre meilleurs. (D.J.)


ORALadj. (Gramm.) Dans l'usage ordinaire, oral veut dire qui s'expose de bouche ou de vive voix ; & on l'emploie principalement pour marquer quelque chose de différent de ce qui est écrit : la tradition orale, la tradition écrite.

En Grammaire, c'est un adjectif qui sert à distinguer certains sons ou certaines articulations des autres élémens semblables.

Un son est oral, lorsque l'air qui en est la matiere sort entierement par l'ouverture de la bouche, sans qu'il en reflue rien par le nez : une articulation est orale, quand elle ne fait refluer par le nez aucune partie de l'air dont elle modifie le son. Tout son qui n'est point nasal est oral ; c'est la même chose des articulations.

On appelle aussi voyelle ou consonne orale, toute lettre qui représente ou un son oral ou une articulation orale. Voyez LETTRE, VOYELLE, NASAL. (B. E. R. M.)

ORAL, s. m. terme de Liturgie ; c'étoit un voile ou une coëffe que portoient autrefois les femmes religieuses. Le concile d'Arles de 1234 nomme oral, le voile qu'il ordonne aux Juives de porter quand elles vont par la ville ; enfin aujourd'hui on appelle de ce nom une espece de grand voile que le pape met sur sa tête, qui se replie sur ses épaules & sur sa poitrine quand il dit la messe. (D.J.)

ORALE, LOI, (Théolog. judaïq.) c'est la loi traditionnelle des Juifs, qui leur est parvenue, à ce qu'ils prétendent, de bouche en bouche jusqu'au rabbi Judas Haccadosh, c'est-à-dire le saint, qui vivoit quelque tems après Adrien, & qui écrivit cette loi dans le livre nommé la Misna. Voyez MISNA.

On sait que les Juifs reconnoissent deux sortes de lois : la loi écrite, qui est celle que nous avons dans l'Ecriture ; & la loi orale ou traditionnelle. Ils pensent que ces deux lois ont été données à Moïse sur le mont Sinaï, l'une par écrit, & l'autre de bouche ; & que cette derniere a passé de main en main d'une génération à l'autre par le moyen de leurs anciens. Ils se croient obligés d'observer l'une & l'autre loi, mais sur-tout la loi orale, qui, disent-ils, est une explication complete de la loi écrite, supplée tout ce qui y manque, & en leve toutes les difficultés. Mais ces traditions que les Juifs estiment tant, n'ont aucun fondement solide, aucune authenticité pour les garantir ; elles ne sont en effet que la production de la fertile invention des Talmudistes, & n'offrent à l'esprit qu'un amas de miseres, de fables & d'inepties. Voyez TALMUD. (D.J.)


ORAN(Géog.) forte & importante ville d'Afrique, sur la côte de Barbarie, au royaume de Trémécen, avec plusieurs forts & un excellent port. Le cardinal Ximenès prit cette ville au commencement du seizieme siecle. Les Algériens la reprirent en 1708. Le comte de Montemar s'en empara en 1732 pour l'Espagne. Elle est à un jet de pierre de la mer, partie dans une plaine, partie sur la pente d'une montagne fort escarpée, vis-à-vis de Carthagène, à une lieue de Marsalquivir, vingt de Trémécen, cinquante d'Alger. Long. 17. 40. lat. 37. 40. (D.J.)


ORANCAIES(Hist. mod.) c'est le titre que l'on donne à la cour du roi d'Achem, dans l'île de Sumatra, à des gouverneurs que ce prince charge des départemens des provinces. Leur conduite est continuellement éclairée par ces souverains despotiques & soupçonneux, de peur qu'ils n'entreprennent quelque chose contre leurs intérêts. Ces seigneurs tiennent à grand honneur d'être chargés du soin des coqs du monarque qui, ainsi que ses sujets, s'amuse beaucoup des combats de ces sortes d'animaux.


ORANGE(Diete, Médecine, &c.) c'est le fruit de l'oranger : voyez l'article ORANGER. Les meilleures oranges, ou, pour parler avec les Poëtes, les pommes d'or du jardin des Hespérides, nous sont apportées des pays chauds, des îles d'Hières en Provence, de Nice, de la Cioutat, d'Italie, d'Espagne, de Portugal, de l'Amérique même, & de la Chine. On distingue deux especes générales de ce beau fruit : l'orange douce, & l'orange amere. Le suc, l'écorce, le syrop, l'essence, la teinture, la conserve, & l'eau distillée des fleurs, sont d'usage en Médecine.

Le suc d'orange humecte, rafraîchit, convient dans toutes sortes de fievres, sur-tout dans les fievres ardentes & putrides, dans toutes les maladies inflammatoires & bilieuses ; c'est un vrai spécifique dans le scorbut alkalin & muriatique. Les autres préparations d'orange comme l'écorce, la teinture, la conserve, la fleur confite, &c. sont recommandables à toutes sortes d'âges aux personnes d'un tempérament flegmatique, dans les maladies des visceres lâches, dans celles qui naissent d'un suc visqueux ou de l'inertie des fibres musculaires.

L'écorce d'orange contient beaucoup d'huile essentielle & grossiere, mêlée avec un sel essentiel, tartareux & austere. L'écorce d'orange aigre est préférable à l'écorce d'orange douce. On donne l'huile essentielle de cette écorce distillée avec du sucre, ou sous la forme d'eleosaccharum. On tire aussi de cette même écorce seche ou fraîche, une teinture avec l'esprit-de-vin tartarisé que l'on recommande pour diviser les humeurs épaisses, exciter les regles, & fortifier l'estomac. On confit avec le sucre ces mêmes écorces, & c'est une confiture des plus délicates.

Le suc exprimé d'orange, délayé dans de l'eau & adouci avec le sucre, fait une boisson que l'on appelle communément orangeade. Elle est très-agréable en santé, propre dans les grandes chaleurs, & très-utile dans la fievre & le scorbut.

La fleur d'orange contient un sel essentiel ammoniacal, un peu austere, uni à beaucoup d'huile aromatique, soit subtile soit grossiere. Cette fleur à cause de son odeur agréable est fort en usage, soit dans les parfums, soit dans les assaisonnemens. C'est presque cette seule odeur qui a pris le dessus parmi nous, sur celle de l'ambre & du musc.

On tire des fleurs d'orange, par la distillation, une eau pénétrante, suave, & utile par sa douce & agréable amertume. Elle calme pour le moment les mouvemens spasmodiques de l'hystérisme ; si elle sent l'empyreume, elle perd cette odeur par la gelée & en prend une très-agréable. On fait encore avec ces fleurs des conserves différentes, soit solides soit molles, & des especes de tablettes qu'on peut mêler dans les médicamens, pour corriger leur goût désagréable.

On distille une eau des feuilles vertes d'orange qui est très-amere, & que quelques médecins recommandent aux personnes flegmatiques, & qui sont attaquées du scorbut acide.

L'huile essentielle de fleur d'orange est très-précieuse ; celle que l'on vend ordinairement n'est guere autre chose que de l'huile de ben ou d'amandes ameres, à qui l'on a fait prendre l'odeur de la fleur d'orange.

La gourmandise n'a pas manqué d'adopter toutes les préparations agréables qu'on tire de l'orange. Les Confiseurs, les Distillateurs, les maîtres-d'hôtel des gens riches, les couvens même de religieuses, se sont emparés du soin de les faire, pour ne laisser à la Pharmacie que les préparations des drogues rebutantes à l'odeur & au goût. (D.J.)

ORANGE, (Géog.) ancienne ville de France, capitale d'une province de même nom, qui est éteinte, desorte que la ville est unie au Dauphiné, avec un évêché suffragant d'Arles ; elle a une espece d'université & plusieurs restes d'antiquité.

Elle a eu long-tems ses princes particuliers de la maison de Nassau ; mais étant passée à Fréderic, roi de Prusse, après la mort du prince Guillaume qui fut couronné roi d'Angleterre en 1689, son fils Fréderic-Guillaume la céda en 1713 à Louis XIV. avec tous ses droits sur la principauté : ce qui fut confirmé par le traité d'Utrecht.

Il s'y est tenu plusieurs conciles. Le plus fameux est celui de 527. Elle est dans une grande plaine, arrosée de petites rivieres, celle d'Argent & d'Eigues, à 5 lieues N. d'Avignon, 22 N. E. de Montpellier, 20 N. O. d'Aix, 41 S. de Lyon, 141 de Paris. Long. 22 d. 25'. 53''. lat. 44. 9. 17.

Orange nommée en latin arausio Cavarum, & par Pline colonia Secundanorum, est très-ancienne ; car, au rapport de Ptolomée, c'étoit l'une des quatre villes des peuples Cavares. Elle a toujours reconnu Arles pour sa métropole ecclésiastique. Elle a essuyé les mêmes révolutions que les autres villes qui en sont voisines, puisqu'après la chûte de l'empire romain en occident, elle tomba sous la domination des Bourguignons & des Goths, d'où elle vint au pouvoir des Francs Mérovingiens & Carlovingiens. Enfin elle obéit depuis le neuvieme siecle au roi de Bourgogne & d'Arles, dont le dernier fut Rodolphe le lâche, qui mourut l'an 1032, & après lui ce royaume fut soumis aux empereurs allemands.

Elle a éprouvé sous Charles IX. par les mains de Serbellon, général des troupes du pape, toutes les cruautés des saccagemens les plus horribles ; voyez ce qu'en rapporte Varillas, tom. I. p. 202. de Thou, l. XXXI. Beze, Hist. ecclésiastiq. l. XII. & vous frémirez d'horreur.

Il faut parler à-présent de l'arc de triomphe d'Orange, parce que de tous les monumens élevés par les Romains dans les Gaules, c'est un des plus dignes de l'attention des curieux, quoiqu'il soit impossible d'en donner une explication qui s'accorde bien avec l'Histoire. Nous n'avons point même de bon dessein de ce monument.

On en connoît trois dont l'un est très-peu exact & fort imparfait, c'est celui que Joseph de la Pise en a donné dans son histoire d'Orange ; l'autre que nous avons dans le voyage de Spon, est encore plus imparfait, car ce n'en est qu'une très-légere esquisse ; le troisieme est beaucoup meilleur & plus exact. On le trouve, dans la collection de dom Bernard de Montfaucon, gravé d'après celui qui avoit été fait sur les lieux par le sieur Mignard, parent du célebre peintre de ce nom ; mais ce n'est qu'une partie du monument, car il n'en représente que la façade méridionale.

Ce monument, qui étoit autrefois renfermé dans l'ancienne enceinte d'Orange, se trouve aujourd'hui à cinq cent pas des murs de la ville, sur le grand chemin qui conduit à Saint-Paul-trois-Châteaux. Il forme trois arcs ou passages dont celui du milieu est le plus grand, & les deux des côtés sont égaux entr'eux. L'édifice est d'ordre corinthien, & bâti de gros quartiers de pierre de taille. On y voit des colonnes très-élevées, dont les chapiteaux sont d'un bon goût. La sculpture des archivoltes, des piédroits & des voûtes, est aussi très-bien travaillée ; il a dix toises d'élévation, & soixante piés dans sa longueur. Il forme quatre faces, sur chacune desquelles sont sculptées diverses figures en bas reliefs ; mais on n'y voit nulle part aucune inscription qui puisse nous en apprendre la dédicace.

Sur la façade septentrionale qui est la plus ancienne & la plus riche, on voit au-dessus des deux petits arcs des monceaux d'armes des anciens, tels que des épées, des boucliers dont quelques-uns sont de forme ovale, & les autres de forme hexagone, & sur plusieurs desquels on voit gravés en lettres capitales quelques noms romains ; des enseignes militaires, les unes surmontées d'un dragon, & les autres d'un pourceau ou sanglier. Au-dessus de ces mêmes arcs, après les frises & les corniches, sont représentés des navires brisés, des ancres, des proues, des mâts, des cordages, des rames, des tridents, des bannieres ou ornemens de vaisseaux, connus sous le nom d'aplustra ou aplustria. Plus haut encore on voit audessus d'un de ces petits arcs, sculptés dans un quarré ou tableau, un aspergile, un préféricule ou vase de sacrifice, une patere, & enfin un lituus ou bâton augural. Au-dessus de l'autre petit arc paroît la figure d'un homme à cheval, armé de toutes pieces, sculptée de même dans un grand quarré. Entre ces deux tableaux est représentée une bataille, où sont très-bien marquées des figures de combattans à cheval, dont les uns combattent avec l'épée, & les autres avec la lance, de soldats morts ou mourans étendus sur le champ de bataille, des chevaux échappés ou abattus.

La façade méridionale est à-peu-près chargée des mêmes figures & ornemens qui sont placés dans les mêmes endroits ; mais toute cette partie est aujourd'hui extrêmement dégradée.

Sur la façade orientale sont représentés des captifs, les mains attachées derriere le dos, placés deux à deux entre les colonnes & surmontés de trophées ; au-dessus desquels est la figure d'un pourceau, ou d'un sanglier avec le labarum des Romains, élevé sur une haste & garni de franges autour. Sur la frise sont sculptés divers gladiateurs qui combattent ; au-dessus de cette frise est un buste dont la tête est rayonnante, environnée d'étoiles, & de plus accompagnée d'une corne d'abondance de chaque côté. Les deux extrêmités du timpan sous lequel est ce buste, soutiennent chacune une sirène.

La façade occidentale n'est chargée que de semblables figures de captifs & de trophées.

Quant à l'intérieur de ce monument, qui est surmonté d'une haute tour, ce qui l'a fait vulgairement appeller dans le pays la tour de l'arc, il est composé jusqu'au sommet de voûtes de pierres de taille les unes sur les autres, ornées de sculpture d'un travail admirable ; on voit dans toutes des roses, & plusieurs autres fleurs en compartiment. Les murs sont ornés de colonnes. Tel est cet édifice, sur l'explication duquel on n'a formé que des conjectures ; mais il faut voir dans le Recueil des Belles-Lettres le mémoire de M. Menard, tome XXVI. dont j'ai tiré cette description, qui est la seule exacte qu'on ait encore donnée de ce monument de l'antiquité. Tous les savans ont tâché de l'entendre, & croient y être parvenus. Les uns ont rapporté l'arc de triomphe dont nous parlons à C. Marius & à Lutatius Catullus, consuls romains ; mais il regne une élégance dans la sculpture de cet édifice, qui n'étoit pas encore connue sous le siecle de C. Marius.

Gronovius (Jaq.), Vadiatus, Isaac Pontanus, Jean Fréderic Guib & M. de Mandajors, rapportent ce monument à Cn. Domitius Aenobarbus & à Q. Fabius Maximus ; mais ce sentiment peche contre la chronologie & les notions géographiques.

M. le baron de la Bastie l'attribue à l'empereur Auguste, Journ. de Trévoux, Août 1730 ; mais il n'est point dit dans l'Histoire que ce prince ait fondé la colonie d'Orange ; & l'on ne voit rien dans les figures & les ornemens de cet arc qui caractérise Auguste d'une maniere particuliere.

Le marquis Maffée croit que l'arc & les antiquités d'Orange ressentent la maniere du tems d'Adrien ; mais en tout cas on ne connoît dans la vie de cet empereur aucune bataille navale ni par lui, ni par ses généraux, à laquelle on puisse rapporter ces figures de sirènes, de tridents, de navires.

M. Menard a fait enfin revivre l'ancienne opinion de ceux qui ont pensé que l'arc d'Orange avoit été érigé en l'honneur de Jules-César ; mais cette opinion ne concilie point toutes les figures & tous les ornemens, elle ne s'y rapporte qu'en partie. Les noms de Marius, de Jugurtha & de Sacrovir, n'ont point de relation à Jules-César ; & si l'on suppose que cet arc fût élevé sous sa dictature, il faut en même tems ajouter que ce fut à la gloire de la nation romaine en général qu'on l'érigea.

Les lecteurs curieux de s'instruire de l'histoire & des antiquités d'Orange, peuvent consulter les trois ouvrages suivans : Tableau de l'histoire des princes & principauté d 'Orange, par Joseph de la Pise : Description des antiquités d 'Orange, par Charles Escoffier ; cette description a paru en 1700 : Histoire nouvelle de la ville & principauté d 'Orange, par le pere Bonaventure, de Sisteron, capucin ; Paris, 1741.

Cette ville, abondante autrefois en monumens antiques, n'a jamais été féconde en hommes de lettres ; mais du-moins il ne faut pas oublier de dire à sa gloire qu'elle a été la patrie de la mere de Ciceron. (D.J.)

ORANGE, le cap d ', (Géog.) cap de l'Amérique méridionale dans la mer du nord, assez près de Cayenne, & environ à cinq lieues de Comaribo. Les vaisseaux qui vont d'Europe à Cayenne, sont obligés d'aller reconnoître ce cap pour redresser leur route, sans quoi ils courent risque de s'en écarter. (D.J.)

ORANGE, le fort d ', (Géog.) fort que les Hollandois ont élevé dans l'Amérique septentrionale, au pays qu'ils ont nommé les nouveaux-Pays-Bas. Les Anglois qui possedent aujourd'hui ce pays-là, l'ont nommé la nouvelle-Yorck, & le fort s'appelle Albanie. Il est avant dans les terres sur le bord occidental de l'Ile-Longue. (D.J.)

ORANGE, en termes de Blason, se dit de toute piece ronde qui est jaune ou tannée.

ORANGE, couleur d ', est une couleur ou teinture qui tient le milieu entre le rouge & le jaune. Voyez COULEUR & TEINTURE.


ORANGÉterme de Teinturier, ce qui est de couleur d'orange, & qui tient presque également du jaune & du rouge. Un taffetas orangé, un ruban orangé.

L'orangé nacarat des étoffes se fait en France avec le jaune & le rouge de garance, ou avec celui de bourre. On y emploie rarement le rouge écarlate, parce qu'outre qu'il est plus cher, la couleur ne se fait pas si commodément.

L'orangé de garance veut le jaune de gaude avec un peu de terra-merita dans le garançage.

Les soies orangées se doivent teindre sur un feu de pur rocou, après avoir été alunées & gaudées fortement ; si la couleur en est brune, elles sont de nouveau alunées, & même, s'il en est besoin, on leur donne un petit bain de brésil.

Les laines couleur de feu, orangées & nacarats, se teignent de bourre teinte en garance ; & les fils orangés, isabelle couvert, isabelle pâle jusqu'au clair, aussi-bien que l'aurore, se teignent avec le fustel, le rocou & le gaude. Savary. (D.J.)


ORANGEADES. f. (Cuisine & Diete) est une boisson qui se fait de jus d'orange, d'eau & de sucre, voyez ORANGE & LIMONADE. Lémery dit qu'on en peut donner à boire dans le plus fort de la fievre.


ORANGEAZS. m. en terme de Confiserie, ce sont des dragées faites de tailladins d'oranges aigres, qui sont fort agréables lorsqu'on y a employé de bon sucre.


ORANGEBOURG(Géog.) ou pour suivre l'orthographe allemande, Oranienbourg, château & petite ville d'Allemagne dans l'électorat de Brandebourg, sur la riviere de Havel, à 4 milles de Berlin. Le château est une maison de plaisance des rois de Prusse, située dans un pays qui ressemble fort à la Hollande. (D.J.)


ORANGERaurantium, s. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond. Le pistil sort du calice, il est entouré de petites feuilles terminées par des étamines, & il devient dans la suite un fruit presque rond, & couvert d'une écorce charnue. Ce fruit se divise en plusieurs loges remplies d'une substance vésiculaire & charnue, & qui renferme des semences calleuses. Ajoutez aux caracteres de ce genre, que les feuilles ont à leur origine la forme d'un coeur. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

ORANGER, (Jardinage) arbre toujours verd, qui vient naturellement dans les climats les plus chauds de l'Asie & de l'Europe, même dans l'Amérique méridionale. Mais cet arbre, outre l'utilité de son fruit, a tant d'agrément & de beauté, qu'on le cultive encore bien avant dans les pays septentrionaux, où malgré qu'il soit trop délicat pour y passer les hivers en pleine terre, on a trouvé moyen de lui suppléer une température convenable, à force de soins & d'abris. C'est ce qui a donné lieu à la construction des orangeries qui sont à-présent inséparables des maisons de campagne où regne l'aisance.

L'oranger dans les pays chauds, devient un grand arbre & s'éleve souvent à 60 piés sur 6 ou 8 de circonférence. Mais comme dans la plus grande partie du royaume on ne le voit que sous la forme d'un arbrisseau, parce qu'on est obligé de le tenir en caisse, je ne traiterai ici de cet arbre que relativement à son état de contrainte. Quand l'oranger a été bien conduit de jeunesse, il fait une tige droite d'une belle hauteur, & une tête aussi réguliere que bien fournie de rameaux. Sa feuille est grande, longue & pointue, ferme, lisse & unie, d'un verd tendre, jaunâtre & très-brillant : cette feuille est singulierement caractérisée par un petit appendice antérieur en maniere de coeur, qui sert à distinguer cet arbre du citronnier & du limonier, dont les feuilles sont simples. L'oranger donne pendant tout l'été une grande quantité de fleurs blanches d'une odeur délicieuse, qui parfume l'air & se répand au loin. Elles sont remplacées par un fruit rond, charnu, succulent, dont la couleur, le goût & l'odeur sont admirables. On ne peut en effet, refuser son admiration à un arbre qui conserve pendant toutes les saisons, une verdure des plus brillantes ; qui réunit les agrémens divers d'être en même tems chargé de fleurs & de fruits, dont les uns sont naissans & les autres en maturité ; & dont toutes les parties, telles que le jeune bois, la feuille, la fleur & le fruit, ont une odeur suave & aromatique des plus agréables. L'oranger a encore le mérite d'être de très-longue durée ; & quoiqu'il soit souvent renfermé, & toujours retenu dans d'étroites limites, on a vu de ces arbres subsister en caisse pendant deux siecles & au-delà.

L'oranger est plus aisé à multiplier, à élever & à cultiver qu'on ne se l'imagine communément. Tous les Jardiniers y mettent beaucoup de mystere, supposent qu'il y faut un grand art, & prétendent que cet arbre exige une infinité de préparations, de soins & de précautions. Cependant voici à quoi se réduit cet art si mystérieux de la culture des orangers. 1°. Leur faire une bonne préparation de terre, qui est fort simple ; 2°. leur donner des caisses proportionnées à leur grosseur ; 3°. leur former une tête réguliere ; 4°. les placer dans la belle saison à une exposition favorable ; 5°. les mettre pendant l'hiver dans une orangerie suffisamment aërée, mais où la gelée ne puisse pénétrer ; 6°. les arroser avec ménagement ; 7°. les r'encaisser au besoin ; 8°. les rétablir des maladies ou accidens qui leur surviennent ; 9°. enfin les garantir des insectes qui leur sont nuisibles. Avant d'entrer dans le détail de ces différens articles, il faut indiquer les moyens de se procurer des plants d'oranger. On y parvient de deux façons, ou en semant des pepins que l'on greffe ensuite, ou en achetant des plants greffés, que les marchands génois viennent vendre tous les ans, dans la plûpart des grandes villes du royaume.

Pour élever de graine & greffer les orangers, je vais donner la pratique que conseille M. Miller, auteur anglois, très-versé dans la culture des plantes. Comme ses ouvrages n'ont point encore été traduits en notre langue, il sera avantageux de faire connoître sa méthode de cultiver les orangers. On pourra même s'en relâcher à quelques égards sans inconvénient, en raison de la différence du climat qui est un peu plus favorable dans ce royaume qu'en Angleterre.

Pour se procurer des sujets propres à greffer les différentes especes d'orangers, il faut, dit M. Miller, semer les pepins que l'on tire des citrons qui se trouvent pourris au printems. Les plants qui en viennent valent mieux que ceux des oranges, ni des limons pour servir de sujet ; parce que le citronnier croît le plus promptement, & qu'il est propre à greffer toutes les différentes especes de ces arbres. Il faut donc semer au printems des pepins de citron dans des pots remplis de bonne terre, que l'on plongera dans une couche de fumier à l'ordinaire, ou de tannée qui sera encore plus convenable. On les arrosera souvent, on les couvrira de cloches un peu relevées pour laisser passer l'air, & on les garantira de la grande chaleur du jour avec des paillassons. Les graines leveront au bout de 3 semaines ; & si le semis a été bien conduit, les jeunes plants seront en état d'être transplantés un mois après dans des petits pots d'environ 5 pouces de diamêtre.

La terre dont on se servira pour cette plantation, & pour tout ce qui concernera les orangers, sera composée de 2 tiers de terre de pré la moins légere, & cependant la moins dure, mais qui soit grasse & limoneuse, qu'il faudra faire enlever avec le gazon de 10 pouces d'épaisseur ; on y ajoutera une troisieme partie de fumier de vache bien pourri ; on mêlera le tout ensemble, même avec le gazon, pour le faire pourrir, & on laissera reposer ce mêlange pendant un an avant de s'en servir. Mais on aura soin de remuer le tout une fois le mois pour complete r le mêlange, pour faire pourrir les racines, pour bien rompre les mottes & rendre cette terre bien meuble. Il faudra la cribler avant de s'en servir pour en ôter sur-tout les racines ; il ne faut cependant pas que cette terre soit trop fine, car l'excès à cet égard est préjudiciable à la plûpart des plantes, & particulierement aux orangers.

En tirant les jeunes plants du pot où ils ont été semés, il faudra conserver le plus qu'il se pourra la terre qui tiendra aux racines. On mettra ces petits pots sous un chassis, dans une couche qui aura été renouvellée ; on les arrosera souvent & légérement ; on leur fera de l'ombre dans la grande chaleur du jour ; & en y donnant les soins convenables, les plants auront 2 piés de haut dans le mois de Juillet de la même année. Alors on les laissera se fortifier en élevant par degré les chassis de la couche. On profitera ensuite d'un tems favorable pour les ôter & les mettre à une exposition où la grande chaleur ne puisse pas les endommager. Vers la fin de Septembre, il faudra les mettre à l'orangerie, dans l'endroit le plus aëré, & les arroser souvent, mais modérement.

Au printems suivant, on les lavera pour ôter la poussiere & la moisissure ; & on les mettra encore dans une couche d'une chaleur modérée, ce qui les hâtera considérablement. Mais au commencement de Juin on cessera de les délicater, afin qu'ils soient propres à être écussonnés au mois d'Août. Alors on choisira sur des arbres fertiles & vigoureux de l'espece qu'on voudra multiplier, des rameaux ronds & forts, dont les boutons se levent plus aisément que ceux des branches foibles, plates ou anguleuses ; & on les écussonnera à l'ordinaire. Ces greffes étant faites on les mettra dans l'orangerie pour les défendre de l'humidité ; on tournera les écussons à l'opposite du soleil ; on leur donnera de l'air le plus qu'il sera possible, & on les arrosera légérement & souvent. On pourra s'assurer un mois après des écussons qui auront réussi ; alors il faudra couper la ligature.

On ne sortira ces arbres de l'orangerie qu'au printems suivant, & après avoir coupé les sujets à 3 pouces au-dessus de l'écusson ; on les plongera avec leur pot dans une couche d'écorce d'une chaleur tempérée ; on leur donnera de l'air & de l'eau à proportion de la chaleur : mais il faudra les garantir avec soin de l'ardeur du soleil. En les conduisant ainsi, les greffes qu'ils pousseront vigoureusement auront au mois de Juillet 3 piés d'élévation pour le moins. Il faudra commencer à les accoutumer dans ce tems à la fatigue, afin qu'ils puissent mieux passer l'hiver dans l'orangerie. Comme la hauteur qu'ils auront prise sera suffisante pour la tige, on pourra arrêter le montant, afin de lui faire pousser des branches latérales. Il ne faudra pas manquer de les tenir chaudement pendant l'hiver qui suivra cette premiere pousse ; car la couche de tannée les rend délicats en forçant leur accroissement : mais on ne peut guere se dispenser de les avancer ainsi, afin de leur faire prendre une grande élévation en une seule seve ; car quand ces arbres sont plusieurs années à former leurs tiges, elles sont rarement droites. On conduira ces arbres ensuite de la même façon que les orangers qui ont pris leur accroissement, & dont il sera parlé après avoir donné la maniere de cultiver ceux que l'on achete des marchands génois.

Le plus court moyen d'avoir de beaux orangers, c'est de les acheter de ces marchands ; car ceux que l'on éleve de graine dans ce climat, ne deviennent pas à beaucoup près si gros en 18 ou 20 ans : & quoique les têtes de ceux qu'on apporte d'Italie soient petites, on peut cependant en 3 ans leur faire prendre de belles têtes, & les amener à fruit en les conduisant avec soin. Dans le choix de ces arbres, il faut préférer ceux qui ont de beaux écussons ; car ceux qui n'en ont qu'un forment rarement une tête réguliere. Il faut d'ailleurs que les tiges soient droites, les branches fraîches, l'écorce pleine & vive. On doit les mettre dans l'eau environ jusqu'à mi-tige ; les y laisser 2 ou 3 jours selon qu'on les verra se gonfler ; ensuite nettoyer leurs racines de la moisissure ; retrancher celles qui sont séches, rompues ou meurtries ; rafraîchir celles qui sont saines ; ôter tout le chevelu qui se trouve toujours desséché par la longueur du trajet ; frotter les tiges avec une brosse de crin, puis avec un morceau de drap plus doux ; & enfin couper les branches à environ 6 pouces de la tige. On se servira pour planter ces arbres d'une bonne terre neuve, mêlée avec du fumier de vache bien pourri ; mais il ne faut pas les mettre dans de grands pots, il suffit pour cette premiere transplantation de les prendre de grandeur à pouvoir contenir les racines. On n'oubliera pas de mettre dans le fond des tuilots ou pierres plates, pour donner passage à l'eau. Ensuite on plongera les pots dans une couche tannée d'une chaleur modérée ; on les arrosera largement pour affermir la terre autour des racines ; on répétera les arrosemens aussi souvent que la saison l'exigera, & on aura soin de faire de l'ombre sur les chassis de la couche pour la garantir de la trop grande ardeur du soleil.

Si les arbres poussent aussi bien qu'on doit s'y attendre avec les soins que l'on vient d'indiquer, ils auront au commencement de Juin des rejettons vigoureux. Il faudra les arrêter alors pour faire garnir les têtes ; on leur donnera aussi beaucoup d'air, & on commencera à ne les plus délicater à la mi-Juillet, en les mettant cependant à une exposition chaude, mais à l'abri du grand soleil & des vents ; on ne les y laissera que jusqu'à la fin de Septembre : il faudra les mettre alors dans l'orangerie près des fenêtres que l'on tiendra ouvertes toutes les fois que la saison le permettra. Mais à la fin d'Octobre il faudra leur donner la place la plus chaude de l'orangerie ; les arroser souvent & bien légérement pendant l'hiver, & surtout avoir grand soin de les garantir de la gelée.

Lorsqu'au printems suivant on sortira de l'orangerie les arbrisseaux les moins délicats, comme les grenadiers, &c. on fera bien de laver & de nettoyer les feuilles & les tiges des orangers ; d'enlever la terre de dessus les pots pour en substituer de la nouvelle ; de la couvrir d'une couche de fumier de vache bien pourri, & d'avoir grande attention que ce fumier ne touche pas la tige de l'arbre. Comme l'orangerie se trouve alors moins embarrassée, il sera très-à-propos d'éloigner les orangers les uns des autres, afin de faciliter la circulation de l'air qu'on laissera entrer plus ou moins selon la température de la saison. Mais il ne faudra les sortir que vers le milieu du mois de Mai, qu'on peut regarder comme le tems où la belle saison est assurée. Il arrive souvent quand on se presse de sortir ces arbres, que les matinées froides leur font un grand mal. Il faut les placer pour passer l'été, à une situation également à l'abri des grands vents & de l'ardeur du soleil : ces deux inconvéniens sont très-contraires aux orangers. A mesure que ces arbres pousseront il faudra arrêter leurs rejettons vigoureux qui poussent irrégulierement, afin que les têtes se garnissent ; mais notre auteur ne conseille pas de pincer le sommet de toutes les branches, comme quelques-uns le pratiquent, cela fait pousser une quantité de petits rejettons trop foibles pour porter du fruit. En s'attachant à donner de la régularité à la tête, il faut ménager les branches vigoureuses, & ne pas craindre de supprimer les menus rejettons qui nuisent ou qui se croisent, ou qui se chiffonnent.

Les orangers veulent être arrosés souvent & largement dans les grandes sécheresses de l'été, surtout lorsque les arbres sont formés. Il faut que l'eau ait été exposée au soleil, qu'elle soit douce & sans aucun mêlange d'égoût de fumier ; cette pratique, malgré la recommandation de quelques gens, est pernicieuse à ces arbres, ainsi qu'à quantité d'autres. Il en est de ceci comme des liqueurs spiritueuses qui, lorsqu'on en boit, semblent donner de la vigueur pour le moment présent, mais qui ne manquent jamais d'affoiblir ensuite.

Les orangers veulent être dépotés tous les ans. On préparera de la bonne terre pour cela, un an avant que de s'en servir, afin qu'elle soit bien mêlée & bien pourrie. La fin d'Avril est le tems le plus convenable pour cette opération, afin que les arbres puissent faire de nouvelles racines avant qu'on les sorte de la serre : il faudra même les y laisser quinze jours de plus qu'à l'ordinaire pour qu'ils aient le tems de se bien affermir.

Quand on dépote les orangers il faut y donner des soins, couper toutes les racines qui excedent la motte, rechercher celles qui sont moisies, puis avec un instrument de fer pointu, on tirera d'entre les racines toute la vieille terre qu'on en pourra ôter, sans les rompre ni endommager ; puis mettre le pié des arbres dans l'eau pendant un quart d'heure, pour pénétrer d'humidité la partie inférieure de la motte. Ensuite on frottera la tige avec une brosse de crin ; on nettoyera les têtes avec un morceau de drap & de l'eau. Puis les pots se trouvant préparés avec des pierres ou des tuilots au fond, on mettra dans chacun environ deux pouces de haut de nouvelle terre, sur laquelle on placera l'arbre bien dans le milieu du pot, que l'on achevera d'emplir avec de la bonne terre en la pressant fortement avec les mains : après quoi on arrosera l'arbre en forme de pluie par-dessus sa tête ; ce qu'il faudra toujours pratiquer dans la serre la premiere fois après que l'on aura lavé & nettoyé les arbres, cela leur fera pousser de nouvelles racines & rafraîchir beaucoup leur tête. Quand on sortira les orangers nouvellement empotés, il sera très-à-propos de les mettre à l'abri d'une haie, & d'appuyer leurs tiges avec de bons bâtons, pour empêcher que le vent ne les dérange. Son impétuosité renverse quelquefois les arbres récemment plantés, ou ébranle tout au moins les nouvelles racines.

Pour rétablir les vieux orangers qui ont été mal gouvernés, & dont les têtes sont chenues, la meilleure méthode est d'en couper la plus grande partie au mois de Mars ; de les arracher des caisses ; de secouer la terre qui tient aux racines ; de retrancher toutes celles qui sont moisies, & de couper tout le chevelu ; de nettoyer ensuite le reste des racines, ainsi que la tige & les branches : puis on les plantera dans des pots ou dans des caisses que l'on plongera dans une couche de tannée, en suivant ce qui a été dit pour les orangers venus de loin, & les gouverner de la même façon. Par ce moyen ils formeront de nouvelles têtes, & reprendront leur beauté en moins de deux ans. Si cependant les orangers qu'il est question de rétablir sont fort gros, & qu'ils aient été en caisse pendant plusieurs années, il vaut mieux les planter avec de la bonne terre dans des manequins qui soient plus petits que les caisses, & que l'on mettra dans la couche de tannée au commencement de Juillet ; lorsqu'ils auront bien poussé, on mettra les arbres avec leur manequin dans des caisses dont on remplira le vuide avec de la terre convenable. On évitera par ce moyen de mettre les caisses dans la tannée, ce qui les pourriroit ; d'ailleurs les arbres seront tout aussi bien de cette façon que s'ils avoient d'abord été plantés dans les caisses. Mais il ne faudra pas oublier de les faire rester pendant 15 jours ou 3 semaines dans l'orangerie avant de les mettre en plein air.

La taille des orangers n'est nullement difficile. Elle consiste à conserver les branches vigoureuses ; à retrancher les rejettons qui se chiffonnent, se croisent & se nuisent ; à supprimer tout le petit bois gresle & trop mince pour donner des fleurs & produire de bon fruit. Comme cet arbre est susceptible de différentes formes, & que sa verdure en fait le principal agrément, ou du moins le plus constant, on doit s'attacher à ce que sa tête soit uniformément garnie au moyen d'une taille assidue & bien ménagée ; sans cependant y employer le ciseau du jardinier, qui en laissant une grande partie des feuilles coupées à-demi, montre une decharnure désagréable : la précision de la forme ne dédommage pas de cet inconvénient ; d'ailleurs les feuilles qui ont été atteintes du ciseau se fannent & font un mauvais effet. Il vaut beaucoup mieux laisser pointer légérement toutes les branches, plus elles approcheront de l'ordre naturel, plus l'aspect en sera agréable.

S'il arrive que la grêle, le vent, la maladie, ou tel autre accident, viennent à endommager & défigurer un oranger, on rabattra l'arbre en coupant toutes ses branches jusqu'à l'endroit où il paroîtra de la vigueur & de la disposition à former un nouveau branchage, capable de donner une forme qui puisse se perfectionner. Dès qu'on s'apperçoit qu'un oranger est malade, ce qui s'annonce par la couleur jaune de ses feuilles, il faut chercher promptement à y remédier, soit en le mettant à l'ombre s'il a souffert de la trop grande chaleur, ou bien en visitant ses racines où se trouve ordinairement l'origine du mal : dans ce cas, on doit en retrancher les parties viciées & renouveller la terre. Mais les punaises sont le plus grand fléau de cet arbre ; elles attaquent ses feuilles sur-tout en hiver. Dès qu'on s'en apperçoit, il faut y remédier en enlevant & en écrasant ces insectes avec les doigts, ou en frottant les branches avec une brosse & les feuilles avec un linge, après avoir trempé l'un & l'autre, soit dans du vinaigre, soit dans de l'eau empreinte d'amertume ou de sel.

L'agrément ne fait pas le seul mérite des orangers, on en retire aussi de l'utilité, ses fleurs servent à quantité d'usages ; on en compose des eaux, des liqueurs, des confitures, &c. tout le monde connoît l'excellente qualité de ses fruits ; ceux du plus grand nombre d'especes d'orangers sont bons à manger. On tire aussi parti des oranges aigres. Voyez ORANGE.

Le bois de l'oranger, quoique de bonne qualité, est de bien peu de ressource même dans les pays très-chauds, où ces arbres deviennent très-gros, parce que le tronc se trouve toujours pourri dans le coeur.

Il y a une infinité de variétés de cet arbre ; on se contentera de rapporter ici celles que l'on cultive ordinairement.

1. L'orange aigre ou la bigarrade.

2. Le même à feuilles panachées.

3. L'orange douce ou de Portugal.

4. L'oranger à feuilles coquillées ou le bouquetier ; ainsi nommée à cause de la quantité de fleurs qu'il donne.

5. Le même oranger à fleurs panachées.

6. L'orange cornue.

7. L'oranger hermaphrodite, dont le fruit participe de l'orange & du citron.

8. L'oranger de Turquie, dont la feuille étroite approche de celle du saule.

9. Le même à feuilles panachées.

10. Le pampelmousse : ce fruit est de la grosseur d'une tête humaine.

11. L'oranger femelle ; ainsi nommée à cause de sa fécondité.

12. L'oranger tortu, a mérité ce nom à cause de sa difformité.

13. La grosse orange, dont la peau a des inégalités.

14. L'orange étoilée ; ainsi nommée à cause des 5 sillons dont elle est marquée à la tête, & qui représentent une étoile.

15. L'orange à écorce douce.

16. L'oranger à fleur double.

17. L'oranger de la Chine.

18. Le petit oranger de la Chine.

19. L'oranger nain, à fruit aigre : il est différent de celui de la Chine.

20. Le même dont les fruits & les feuilles sont panachés.

Ces orangers nains sont d'un agrément infini ; leurs feuilles sont très-petites, & garnissent bien les branches : ils donnent une quantité de fleurs qui couvrent l'arbre, & forment naturellement au bout de chaque branche, un bouquet d'une odeur délicieuse. Mais il faut des soins & des précautions pour entretenir ces arbres en vigueur : les serrer plus tôt, les sortir plus tard, & les tenir plus chaudement que les orangers ordinaires. Il en est de même du pampelmousse, de l'oranger de la Chine & de ceux à feuilles panachées. M. d'Aubenton le subdélégué.

ORANGER, (Chimie, Pharmacie, Diete & Mat. méd.) Il y a deux especes d'oranger dont les hommes tirent des remedes & des alimens : savoir l'oranger à fruit doux, & l'oranger à fruit aigre.

Les feuilles, les fleurs & les fruits de l'un & de l'autre, sont les parties de ces arbres qui sont en usage.

Les feuilles, les fleurs & l'écorce des fruits sont chargées d'une huile essentielle abondante qui est très-pénétrante & très-aromatique ; cette huile est contenue dans des cellules assez considérables pour paroître distinctement à la simple vûe, celles de l'écorce du fruit sont même si amples & si pleines, qu'il n'y a qu'à la plier, la froisser ou la racler avec un corps raboteux, pour en faire couler cette huile abondamment. C'est ce principe qui donne cette flamme vive & claire qui traverse rapidement celle d'une bougie lorsqu'on presse entre les doigts un zest d'orange auprès de cette flamme : c'est ce même principe qui pique si vivement la langue & le palais, & qui met la bouche en feu lorsqu'on mâche l'écorce jaune d'une orange fraîche ; c'est encore cette huile qui irrite si douloureusement les yeux lorsqu'on en approche de très-près une orange que l'on pêle.

Nous avons exposé à l'article HUILE le procédé par lequel les Italiens ramassoient celle-ci aussi inaltérée qu'il est possible.

L'huile des fleurs d'orange, que les Italiens appellent neroli, n'en peut être séparée que par la distillation à l'eau, qui est le second procédé que nous avons décrit à l'article EAUX DISTILLEES, voyez cet article ; car la distillation des fleurs d'orange par le bain-marie que l'on employe communément pour en retirer un autre produit beaucoup plus usuel, savoir l'eau essentielle dont nous allons parler dans un instant, ne fournit point d'huile essentielle. Voyez HUILE ESSENTIELLE au mot HUILE, & ce qui est dit du bain-marie à l'article FEU, Chimie.

Cet autre principe dont nous avons à parler, savoir le principe aromatique qui s'éleve avec le principe aqueux surabondant ou libre (Voyez EAU DISTILLEE) dans la distillation des fleurs d'orange au bain-marie, constitue la liqueur très-connue sous le nom d'eau de fleurs d'orange. Voyez à l'article EAU DISTILLEE, la maniere de la préparer, & son essence chimique, aussi bien que ses propriétés médicinales communes, au mot ODORANT, principe.

Cette eau est très-communément appellée dans les ouvrages de Médecine latins, aqua naphae.

On peut retirer une eau essentielle très-analogue à celle-ci, des feuilles d'oranger & des écorces du fruit.

Tout ce que nous avons dit jusqu'à présent convient également, non-seulement aux feuilles, aux fleurs & aux fruits de l'un & de l'autre oranger, mais encore, avec de très-légeres différences, aux parties analogues du citronnier, du cédrat, du bergamotier, &c.

C'est encore indifféremment les fleurs de l'un ou de l'autre oranger qu'on prend pour en préparer des conserves solides & liquides ou molles, & des teintures ou ratafiats. Les confitures préparées avec l'écorce blanche de l'un & de l'autre fruit convenablement épuisée de leur extrait amer par des macérations ou des décoctions suffisantes, ont à-peu-près les mêmes qualités diététiques & médicamenteuses.

La chair, moëlle ou pulpe de l'orange douce, contient un suc abondant, doux & aigrelet, qui rend ce fruit très-rafraîchissant & calmant la soif. On mange cette chair dépouillée de son écorce, ou seule, ou avec du sucre ; cet aliment opere manifestement sur l'estomac dans la plûpart des sujets, cette sensation qui est désignée dans la plûpart des livres de diete par l'expression de réjouir l'estomac, c'est-à-dire qu'il est assez généralement aussi salutaire qu'agréable. Cependant comme le parenchyme ou l'assemblage de cellules membraneuses où ce suc est enfermé, est coriace & indigeste ; il vaut mieux sucer l'orange dans laquelle on a fait ce qu'on appelle un puits, c'est-à-dire qu'on a ouverte par un des bouts, & dont on a écrasé la chair encore enfermée dans le reste de l'écorce, en y plongeant à plusieurs reprises une fourchette ou un couteau à lame d'argent, y dissolvant ensuite, si l'on veut, une bonne quantité de sucre en poudre ; & il vaut mieux, disje, avaler le suc d'orange ainsi préparé, que de manger l'orange entiere. On peut rendre encore cette préparation plus gracieuse, si l'on mêle parmi le sucre qu'on y emploie une petite quantité d'eleosaccharum préparé sur-le-champ, en frottant un petit morceau de sucre contre l'écorce de la même orange ; c'est le moyen d'unir le parfum de l'écorce à la saveur du suc. On peut préparer aussi avec le même suc une liqueur parfaitement analogue à la limonade, & qui a à-peu-près les mêmes vertus, quoiqu'à un degré inférieur, parce que l'acide de l'orange douce est beaucoup plus tempéré que celui du citron. La premiere liqueur est connue sous le nom d'orangeade. Voyez CITRONNIER & LIMONADE.

Le suc de l'orange douce se conserve moins bien que celui du citron ; aussi ne le garde-t-on que fort rarement dans les boutiques ; il ne seroit pas même fort agréable, & il auroit assez peu de vertu si on le conservoit sous la forme de syrop.

L'orange amere n'est employée parmi nos alimens qu'à titre d'assaisonnement : on arrose de son suc la plûpart des volailles & des gibiers qu'on mange rôtis ; & il est sûr que cet assaisonnement en facilite la digestion. On fait entrer aussi leur rapure & même leur écorce entiere seche, dans quelques ragoûts assez communs ; l'amertume qu'ils y portent peut être regardée aussi comme un assaisonnement utile. Il est bon sur-tout pour corriger la fadeur, l'inertie des poissons gras mangés en ragoûts, comme de l'anguille, &c. On fait aussi dans quelques provinces, en Languedoc, par exemple, avec l'orange amere non pelée & coupée par tranches, l'ail, la rapure de pain, & le jus de viande qu'on fait bouillir ensemble, une sausse qu'on sert avec les volailles rôties ; cette sausse ne peut qu'être & est en effet détestable, car les sucs acides végétaux sont entierement dénaturés par l'ébullition, & acquierent une saveur très-desagréable, que l'ail & l'extrait amer de l'écorce blanche & des pépins ne corrigent certainement point.

Les pépins d'orange, & sur-tout ceux de l'orange aigre, sont vermifuges comme toutes les substances végétales ameres.

L'écorce d'orange amere est comptée parmi les fébrifuges les plus éprouvés : on la donne, soit en décoction, soit desséchée & réduite en poudre ; elle est regardée aussi comme un bon emmenagogue, & comme un spécifique dans la rétention & dans l'ardeur d'urine ; la dose en substance en est depuis demi-gros jusqu'à deux gros.

Les écorces d'orange, soit douce, soit amere, confites, peuvent être regardées, par leur légere amertume & par un reste de parfum qu'elles retiennent, comme stomachiques, fortifiantes, propres à aider la digestion lorsqu'on les mange à la fin des repas dans l'état de santé, & à reveiller doucement le jeu de l'estomac dans les convalescences. La conserve ou le gâteau de fleurs d'orange, dont il est bon de rejetter les fleurs après qu'on les a mâchées & que le sucre est fondu dans la bouche ; & la marmelade ou conserve liquide, possedent les mêmes qualités, & même à un degré supérieur. Le ratafiat de fleurs d'orange qui est préparé avec une teinture des fleurs, joint à l'efficacité de leur amertume & de leur parfum, celle de l'esprit ardent. Voyez LIQUEURS SPIRITUEUSES, Diete.

L'eau de fleurs d'orange qui est amere & chargée d'une matiere aromatique très-concentrée, est nonseulement employée pour aromatiser des alimens, des boissons & des remedes, mais même seule ou bien faisant la base d'un remede composé ; on la mêle très-utilement au premier égard, c'est-à-dire comme assaisonnement au lait & à plusieurs de ses préparations, telles que la crême douce, le fromage frais à la crême, le caillé, les crêmes avec les oeufs, &c. L'eau de fleurs d'orange pure ou seule est à la dose d'une ou de deux cuillerées, un remede puissamment stomachique, cordial, vermifuge, carminatif, emmenagogue, hystérique ; elle remédie surtout très-efficacement, prise le matin à jeun, aux foiblesses & aux douleurs d'estomac ; elle entre très-communément dans les juleps & dans les potions cordiales & hystériques, à la dose de deux jusqu'à quatre & même six onces. On prépare avec l'eau de fleurs d'orange & avec les écorces des fruits, des syrops simples qui ont à-peu-près les mêmes vertus que ces matieres.

Les fleurs & les écorces des fruits, aussi-bien que les divers principes & préparations simples qu'on en retire, & dont nous venons de parler, tels que l'eau distillée, l'huile essentielle, la teinture, &c. entrent dans un très-grand nombre de compositions pharmaceutiques officinales.

On trouve dans la plûpart des pharmacopées la description d'une pommade de fleurs d'orange, qui se prépare en aromatisant du sain-doux avec les fleurs d'orange qu'on fait infuser dans ce sain-doux liquéfié par la chaleur du bain-marie, en réitérant plusieurs fois ces infusions sur des nouvelles fleurs, &c. Voyez POMMADE & ONGUENT. Cette pommade, outre les qualités médicinales du sain-doux, paroît posséder encore la qualité résolutive, tonique, fortifiante, propre aux huiles essentielles. Le sain-doux liquide & chaud se charge d'une certaine quantité de l'huile essentielle des fleurs d'orange, & sur-tout lorsqu'on les écrase dans le sain-doux. (b)


ORANGERIES. f. (Architect. civile) c'est un bâtiment dans les grands jardins qui sert en hiver à préserver du froid les orangers, & en général toutes les plantes exotiques. Sa forme la plus ordinaire est celle d'un grand sallon ou plutôt d'une galerie, dont le côté de l'entrée est exposé au midi, & qui n'a point d'ouvertures du côté du nord ; & afin que le froid ne puisse pas pénétrer de ce côté, il y a de petits appartemens ; ces appartemens peuvent même servir à échauffer l'orangerie sans y faire du feu, & cela en y faisant passer des tuyaux de poîle, ou en pratiquant un poîle dans l'ouverture du mur mitoyen aux appartemens & à l'orangerie. Une des plus magnifiques orangeries qui ait été bâtie, est celle de Versailles, avec aîles en retour, & décorée d'un ordre toscan.

On appelle aussi orangerie le parterre où l'on expose les orangers pendant la belle saison.

Orangerie se dit encore des orangers mêmes enfermés dans les caisses. (D.J.)


ORARIUMS. m. (Hist. ecclés.) partie du vêtement des prêtres, qu'on appelloit aussi stola, étole. Les évêques, les prêtres & les diacres le portoient, mais non les soudiacres, les lecteurs & les chantres. Oter l'orarium ou déposer, c'étoit la même chose. C'étoit aussi un linge que les diacres portoient sur le bras gauche ; il n'étoit pas quarré, mais oblong ; il étoit à l'usage de tous les citoyens. On n'alloit point aux spectacles sans ce mouchoir, qu'on jettoit en l'air quand on étoit content. L'empereur Aurélien en fit distribuer au peuple. Paul de Samosate exigeoit le même applaudissement de ses auditeurs lorsqu'il préchoit. Le mot orarium vient, selon quelques uns, de os, oris, parce qu'on s'en servoit pour s'essuyer la bouche ; selon d'autres d'ora, orae, frange, bordure, parce qu'il étoit bordé & frangé.


ORATAVA(Géogr.) ville de l'île de Ténériffe, une des Canaries, à l'ouest de l'île. C'est le port le plus célebre qu'il y ait dans ce canton pour le commerce. Les Anglois y ont un consul. Selon l'observation du P. Feuillée en 1744, la différence du méridien entre Oratava & Toulon, est de 22 degrés 23 minutes, & par conséquent entre Paris 18d. 45'. 26''. (D.J.)


ORATEUR(Eloquence & Rhétorique) Ce mot dans son étymologie s'étend fort loin, signifiant en général tout homme qui harangue. Ici il désigne un homme éloquent qui fait un discours public préparé avec art pour opérer la persuasion.

Quelque sujet que traite un tel orateur, il a nécessairement trois fonctions à remplir ; la premiere est de trouver les choses qu'il doit dire ; la seconde est de les mettre dans un ordre convenable ; la troisieme, de les exprimer avec éloquence : c'est ce qu'on appelle invention, disposition, expression. La seconde opération tient presque à la premiere, parce que le génie lorsqu'il enfante, étant mené par la nature, va d'une chose à celle qui doit la suivre. L'expression est l'effet de l'art & du goût. Voyez INVENTION, DISPOSITION, EXPRESSION.

On distingue trois devoirs de l'orateur, ou, si l'on veut, trois objets qu'il ne doit jamais perdre de vûe, instruire, plaire & émouvoir. Le premier est indispensable, car à moins que les auditeurs ne soient instruits d'ailleurs, il faut nécessairement que l'orateur les instruise : cette instruction est quelquefois capable de plaire par elle-même ; il y a pourtant des agrémens qu'on y peut répandre, ainsi que dans les autres parties du discours ; c'est à quoi l'on oblige l'orateur par le second devoir qu'on lui prescrit, qui est de plaire. Il y en a un troisieme, qui est d'émouvoir ; c'est en y satisfaisant que l'orateur s'éleve au plus haut degré de gloire auquel il puisse parvenir ; c'est ce qui le fait triompher ; c'est ce qui brise les coeurs & les entraîne.

Le secret est d'abord de plaire & de toucher ;

Inventez des ressorts qui puissent m'attacher.

Ces ressorts sont d'employer les passions, instrument dangereux quand il n'est pas manié par la raison ; mais plus efficace que la raison même quand il l'accompagne & qu'il la sert. C'est par les passions que l'éloquence triomphe, qu'elle regne sur les coeurs ; quiconque sait exciter les passions à propos, maîtrise à son gré les esprits, il les fait passer de la tristesse à la joie, de la pitié à la colere. Aussi véhément que l'orage, aussi pénétrant que la foudre, aussi rapide que les torrens, il emporte, il renverse tout par les flots de sa vive éloquence : c'est par-là que Démosthène a régné dans l'Aréopage & Cicéron dans les rostres.

Personne n'ignore que les orateurs chez les Grecs & les Romains étoient des hommes d'état, des ministres non moins considérables que les généraux, qui manioient les affaires publiques, & qui entroient dans presque toutes les révolutions. Leur histoire n'est point celle de particuliers, ni les matieres qu'ils traitoient un spectacle d'un art inutile. Les harangues de Démosthène & de Cicéron offrent des tableaux vivans du gouvernement, des intérêts, des moeurs & du génie des deux peuples. Il me paroît donc important de tracer avec quelque étendue le caractere des orateurs d'Athènes & de Rome : ce sera l'histoire de l'éloquence même. Ainsi, voyez ORATEURS GRECS, ORATEURS ROMAINS.

Bossuet, Fléchier, Bourdalouë, ont été dans le dernier siecle de grands orateurs chrétiens. Les oraisons funebres des deux premiers les ont conduits à l'immortalité ; & Bourdalouë devint bien-tôt le modele de la plûpart des prédicateurs. Mais rien parmi nous n'engage aujourd'hui personne à cultiver le talent d'orateur au barreau, ce tribunal que Virgile appelle si bien ferrea juga, insanumque forum. C'est ce qui a fait dire à un de nos auteurs modernes :

Egaré dans le noir dédale

Où le fantôme de Thémis

Couché sur la pourpre & les lis,

Penche la balance inégale,

Et tire d'une urne vénale

Des arrêts dictés par Cypris.

Irois-je, orateur mercenaire

Du faux & de la vérité,

Chargé d'une haine étrangere

Vendre aux querelles du vulgaire

Ma voix & ma tranquillité ? (D.J.)

ORATEUR GRECS, (Hist. de l'éloquence) pour mettre de la méthode dans ce discours, nous partagerons les orateurs grecs en trois âges, conformément aux trois âges de l'éloquence d'Athènes.

PREMIER AGE. Périclès fut proprement le premier orateur de la Grece, avant lui nul discours, nul ornement oratoire. Quelques sophistes sortis des colonies grecques, avec un style sententieux, des termes emphatiques, un ton ampoulé, & un amas fastueux d'hyperboles, éblouirent quelque tems les Grecs. Les Athéniens frappés du style fleuri & métaphorique de Gorgias de Léontium, le respecterent comme un enfant des dieux ; ses hypallages, ses hyperbates, ses caracteres lui mériterent une statue d'or massive dans le temple de Delphes. Hippias d'Elée, fameux par sa prodigieuse mémoire, étoit comme l'orateur commun de toutes les républiques grecques. Périclès, guidé par un génie supérieur, & formé par de plus habiles maîtres, vint tout à coup éclipser la réputation que ces vains harangueurs avoient usurpée, & détromper ses compatriotes : ses vertus, ses exploits, son savoir profond, & ses rares qualités donnerent de l'éclat à cette magnifique éloquence, qui pendant quarante ans le rendit le maître absolu de sa patrie, & l'arbitre de la Grece. Il n'a laissé aucun discours, mais les poëtes comiques de son tems rapportent que la déesse de la persuasion, avec toutes ses graces, résidoit sur ses levres ; qu'il foudroyoit, qu'il renversoit, qu'il mettoit en combustion toute la Grece.

Socrate, sans être orateur ni maître de rhétorique, continua cette brillante réforme, & soutint ces heureux commencemens. Jules-César dans le traité qu'il composa pour répondre à l'éloge historique que Cicéron avoit fait de Caton d'Utique, comparoit le discours & la vie de ce romain à la conduite de Périclès, & au discours de Théramene par Socrate, éloge accompli dans la bouche d'un si grand homme, qui, dit Plutarque, auroit effacé Cicéron même, si le barreau avoit pu être un théâtre assez vaste pour son ambition.

Lysias brilla dans le genre simple & tranquille ; il effaça par un style élégant & précis tous ses dévanciers, & laissa peu d'imitateurs. Athènes s'applaudit de sa diction pure & délicate, & toute la Grece lui adjugea plus d'une fois le prix d'éloquence à Olympie. Les graces de l'atticisme dont il orne ses discours, dit Denis d'Halicarnasse, sont prises dans la nature & dans le langage ordinaire. Il frappe agréablement l'oreille par la clarté, le choix & l'élégance de ses termes, & par l'arrangement harmonieux de ses périodes. Chez lui, chaque âge, chaque passion, chaque personnage a, pour ainsi dire, sa voix qui le distingue & le caractérise. Ses péroraisons sont exactes & mesurées, mais elles n'ont point ce pathétique qui ébranle & qui entraîne. Ce qu'on trouve de surprenant dans cet orateur, c'est une fécondité prodigieuse de génie. Dans environ deux cent plaidoyers qu'il débita ou composa pour d'autres, on ne remarquoit ni mêmes lieux, ni mêmes pensées, ni mêmes réflexions. Il trouva, ou au-moins perfectionna l'art de donner aux choses une énergie, une force, & un caractere qui se reconnoit dans les pensées, dans l'expression, & dans l'arrangement des parties.

Thucydide vint frapper les Grecs par un nouvel éclat, & un nouveau genre d'éloquence. A un génie aussi élevé que sa naissance, à une fierté de républicain, à un caractere sombre & austere, à un tempérament chagrin & inquiet, son éducation & ses malheurs ajouterent cette noblesse de sentiment, ce choix de paroles, cette hardiesse d'imagination, cette vigueur de discours, cette profondeur de raisonnemens, ces traits, ces expressions qui le constituent le premier & le plus digne historien des républiques. Son style singulier ne participe que trop à une humeur violente & agitée par les revers de la fortune. Il emploie l'ancien dialecte attique. Il crée des mots nouveaux, & en affecte d'anciens pour donner un air mystérieux à certaines pensées qu'il ne fait que montrer. Il met le singulier pour le pluriel, le pluriel pour le singulier, l'infinitif des verbes pour les noms verbaux, le genre féminin pour le masculin : il change les cas, les tems, les personnes, les choses mêmes, suivant le mouvement de son imagination, le besoin des affaires & les circonstances de son récit. Une figure qui lui est propre & qui porte avec soi le caractere véritable d'une passion forte & violente, c'est l'hyperbate, qui n'est autre chose que la transposition des pensées & des paroles dans l'ordre & la suite d'un discours. La méthode de raisonner par de fréquens enthymêmes, le distingue de tous les écrivains précédens.

Ses idées, d'un ordre supérieur, n'ont rien que de noble, & présentent même une espece d'élévation aux choses les plus communes ; on ne sait pas si ce sont les pensées qui ornent les mots, ou les mots qui ornent les pensées ; ses termes sont, pour ainsi dire, au même niveau que les affaires : vif, serré, concis, on diroit qu'il court avec la même impétuosité que la foudre qu'il allume sous les pas des guerriers dont il décrit les exploits.

Cicéron & Denis d'Halicarnasse exigeoient un grand discernement dans la lecture de ses harangues, parce qu'ils n'y trouvoient pas un style ni assez harmonieux, ni assez lié, ni assez arrondi ; ils lui reprochoient d'avoir quelquefois des pensées obscures & enveloppées, des raisonnemens vicieux, & des caracteres forcés.

SECOND AGE. Isocrate ouvrit ce beau siecle, & parut à la tête des orateurs qui s'y distinguerent, comme un guide éclairé qui mene une troupe de sages par des chemins rians & fleuris. De son école, comme du cheval de Troïe, dit Cicéron, sortit une foule de grands maîtres. Le genre d'éloquence qu'il introduisit est agréable, doux, dégagé, courant, plein de pensées fines, & d'expressions harmonieuses ; mais il est plus propre aux exercices de pur appareil qu'au tracas du barreau.

La multiplicité de ses antithèses, ses phrases de même étendue, de mêmes membres, fatiguent le lecteur par leur monotonie. Il sacrifie la solidité du raisonnement aux charmes du bel esprit. Par une sotte ambition de ne vouloir rien dire qu'avec emphase, il est tombé, dit Longin, dans une faute de petit écolier. Quand on lit ses écrits, on se sent aussi peu ému que si on assistoit à un simple concert. Ses réflexions n'ont rien de merveilleux qui enleve ; Philippe de Macédoine disoit qu'il ne s'escrimoit qu'avec le fleuret.

Isocrate naquit 436 ans avant Jesus-Christ, & mourut de douleur à l'âge de 90 ans, ayant appris que les Athéniens avoient perdu la bataille de Chéronée. Il nous reste de lui vingt-une harangues que Wolfius a traduit du grec en latin. Il y a deux de ces oraisons pour Nicoclès roi de Chypre, qui sont parvenues jusqu'à nous. La premiere traite des devoirs des princes envers leurs sujets, & la seconde de ceux des sujets envers leurs princes. Nicoclès pour lui en témoigner sa reconnoissance, lui fit présent de vingt talens, c'est-à-dire de trois mille sept cent cinquante livres sterling, suivant le calcul du docteur Brerewood, ce qui revient à plus de quatre-vingt-trois mille livres de notre monnoie.

Platon, comme un nouvel athlete, vint, les armes à la main, disputer à Homere le prix de l'éloquence. Le dialecte dont il se sert est l'ancien dialecte attique qu'il écrit dans sa plus grande pureté. Son style est exact, aisé, coulant, naturel, tel qu'un clair ruisseau qui promene sans bruit & sans fierté ses eaux argentines à-travers d'une prairie émaillée de fleurs. Speusippe son neveu fit placer les statues des Graces dans l'académie où ce philosophe avoit coutume de dicter ses leçons, voulant par-là fixer le jugement qu'on devoit prononcer sur ses écrits, & l'idée véritable qu'il en falloit concevoir. Son défaut est de se répandre trop en métaphores ; emporté par son imagination, il court après les figures, & surcharge ses écrits d'epithetes. Ses métaphores sont sans analogie, & ses allégories sans mesure, du-moins c'est ainsi qu'en juge Denis d'Halicarnasse après Démétrius de Phalere, & d'autres savans, dans sa lettre à Pompée.

Isée montra une diction pure, exacte, claire, forte, énergique, concise, propre au sujet, arrondie, & convenable au barreau. On apperçoit dans les dix plaidoyers qui nous restent des cinquante qu'il avoit écrits, les premiers coups de l'art, & cette source où Démosthène forgea ces foudres & ces éclairs qui le rendirent si terrible à Philippe & à Eschine.

Hypéride joignit dans ses discours les douceurs & les graces de Lysias. Il y a dans ses ouvrages, dit Longin, un nombre infini de choses plaisamment dites : sa maniere de railler est fine, & a quelque chose de noble.

Eschine, enfant de la fortune & de la politique, est un de ces hommes rares qui paroissent sur la scene comme par une espece d'enchantement. La poussiere de l'école & du greffe, le théâtre, la tribune, la Grece, la Macédoine, lui virent jouer tour-à-tour différens rôles. Maître d'école, greffier, acteur, ministre, sa vie fut un tissu d'aventures ; sa vieillesse ne fut pas moins singuliere : il se fit philosophe, mais philosophe souple, adroit, ingénieux, délicat, enjoué. Il charma plus d'une fois ses compatriotes, & fut admiré & estimé de Philippe. L'obscurité de sa naissance, l'amour des richesses & de la gloire piquerent son ambition, & ses malheurs n'altererent jamais les charmes & les graces de son esprit, il l'avoit extrèmement beau.

Une heureuse facilité que la nature seule peut donner, regne par-tout dans ses écrits ; l'art & le travail ne s'y font point sentir. Il est brillant & solide ; sa diction ornée des plus nobles & des plus magnifiques figures, est assaisonnée des traits les plus vifs & les plus piquans. La finesse de l'art ne se fait pas tant admirer en lui que la beauté du génie. Le sublime qui regne dans ses harangues n'altere point le naturel. Son style simple & net n'a rien de lâche ni de languissant, rien de resserré ni de contraint. Ses figures sortent du sujet sans être forcées par l'effort de la réflexion. Son langage châtié, pur, élégant, a toute la douceur du langage populaire. Il s'éleve sans se guinder ; il s'abaisse sans s'avilir ni se dégrader.

Une voix sonore & éclatante, une déclamation brillante, des manieres aimables & polies, un air libre & aisé, une capacité profonde, une étude réfléchie des lois, une pénétration étendue lui concilierent les suffrages des tribus assemblées, & l'admiration des connoisseurs. Par tous ces talens que la nature lui prodigua, que son génie sut merveilleusement cultiver, le fils d'Atromete devint le digne rival de Démosthène, & le compagnon des rois.

Démosthène, le premier des orateurs grecs, mérite bien de nous arrêter quelque tems. Il naquit à Athènes 381 ans avant Jesus-Christ. Il fut disciple d'Isocrate, de Platon, & d'Isée, & fit sous ce grand maître de tels progrès, qu'à l'âge de dix-sept ans il plaida contre ses tuteurs, & les fit condamner à lui payer trente talens qu'il leur remit.

Né pour fixer le vrai point de l'éloquence grecque, il eut à combattre en même tems les obstacles de la nature & de la fortune. L'étude & la vertu s'efforcerent comme à l'envi, de le placer à la tête des orateurs & de lui soumettre ses rivaux. Point d'homme qui ait été tant contredit, & point d'homme qui ait été tant admiré : point d'orateur plus mal partagé du côté de la nature, & plus aidé du côté de l'art : point de politique qui ait eu moins de loisir, & qui ait su mieux employer le tems ; son éloquence & sa vertu peuvent être regardées comme un prodige de la raison & le plus grand effort du génie.

C'est en effet un génie supérieur qui s'est ouvert une nouvelle carriere qu'il a franchie d'un pas audacieux, sans laisser aux autres que la seule consolation de l'admirer, & le desespoir de ne pouvoir l'atteindre. Lorsqu'il entra dans les affaires, & qu'il commença à parler en public, quatre orateurs célebres s'étoient déja emparés de l'admiration publique ; Lysias par un style simple & châtié ; Isocrate par une diction ornée & fleurie ; Platon par une élocution noble, pompeuse & sonore ; Thucydide par un style serré, brusque, impétueux. Démosthene réunit tous ces caracteres ; & prenant ce qu'il y avoit de plus louable en chaque genre, il s'en forma un style sublime & simple, étendu & serré, pompeux & naturel, fleuri & sans fard, austere & enjoué, véhément & diffus, délicat & brusque, propre à tracer un portrait & à enflammer une passion.

Tout ce que l'esprit a de plus subtil & de plus brillant, tout ce que l'art a de plus fin, &, pour ainsi dire, de plus rusé, il le trouve, & le manie d'une maniere admirable. Rien de plus délicat, de plus serré, de plus lumineux, de plus châtié que son style ; rien de plus sublime, ni de plus véhément que ses pensées, soit par la majesté qui les accompagne, soit par le tour vif & animé dont il les exprime. Nul autre n'a porté plus loin la perfection des trois styles ; nul n'a été plus élevé dans le genre sublime, ni plus délicat dans le simple, ni plus sage dans le tempéré.

Dans sa méthode de raisonner, il sait prendre des détours & marcher par des chemins couverts, pour arriver plus sûrement au but qu'il se propose : c'est ainsi que dans la harangue de la flotte qu'il falloit équiper contre le roi de Perse, il rend au peuple la difficulté de l'entreprise si grande, que voulant la persuader en apparence, il la dissuade en effet, comme il le prétendoit. Il supprime quelquefois adroitement des actions glorieuses à sa patrie, lorsqu'en les rapportant il pourroit choquer des alliés. Dans la quatrieme Philippique, il dit qu'Athènes sauva deux fois la Grece des plus grands dangers, à Marathon, à Salamine. Il étoit trop habile pour rappeller l'honneur qu'Athènes s'étoit acquise en affranchissant la Grece de l'empire de Sparte, parce qu'il avoit tout à ménager dans les conjonctures critiques où il parloit. Il aime mieux dérober quelque chose à la gloire de sa république, que de faire revivre un souvenir injurieux à Lacédémone, alors alliée d'Athènes.

Ce qu'on doit sur-tout admirer en lui, ce sont ces couleurs vives, ces traits touchés & perçans, ces terribles images qui abattent & effrayent, ce ton de majesté qui impose, ces mouvemens impétueux qui entraînent, ces figures véhémentes, ces fréquentes apostrophes, ces interrogations réitérées qui animent & élevent un discours ; ensorte que l'on peut dire que jamais orateur n'a donné tant de force à la colere, aux haines, à l'indignation, à tous ses mouvemens, ni à toutes ses passions.

Démosthène n'est point un déclamateur qui se joue librement sur des sujets de fantaisie, & qui, selon le reproche calomnieux de ses ennemis, s'inquiete bien plus de la cadence d'une période que de la chûte d'une république. C'est un orateur dont le zele infatigable ne cesse de réveiller les léthargiques, de rassûrer les timides, d'intimider les téméraires, de ranimer les voluptueux, qui ne vouloient ni servir la patrie, ni qu'il la servît : c'est enfin un ami du genre humain, qui ne s'occupe qu'à refondre des hommes accoutumés à n'user de la liberté & de la puissance, que pour se mettre au-dessus de la raison.

Un talent qu'il porta au souverain degré par des exercices continuels, c'est la déclamation. Le feu, l'action de son visage, le son de sa voix d'accord avec ses expressions & ses pensées, le ton de ses paroles, & l'air de son geste ébranloient quiconque venoit l'entendre. Démétrius de Phalere, qui avoit été son disciple, assûre qu'il haranguoit comme un sage, plein de l'esprit du dieu de Delphe.

Les effets de son éloquence tiennent du prodige. Philippe de Macédoine par menaces, par ruses, par intrigues, par tromperies pénetre jusqu'aux Thermopyles, & vient montrer à la Grece les fers qu'il avoit forgés pour elle. Athènes & ses voisins sans conseil, sans chefs, sans finances, sans vaisseaux, sans soldats, sans courage pâlissent & restent interdits. Démosthene monte à la tribune, il parle ; aussitôt les troupes marchent, les mers sont couvertes de vaisseaux ; Olynthe, Bysance, l'Eubée, Mégare, la Béotie, Rhodes, Chios, l'Hellespont sont secourus, ou rentrent dans l'ancienne alliance ; Philippe lui-même tremble au milieu de sa redoutable phalange.

La prise d'Elatée par le même Philippe réduisit une seconde fois les Athéniens au désespoir. Démosthene les rassûre, & se charge de faire rentrer les Thébains dans la ligue commune. Son éloquence, dit Théopompe, souffla dans leur coeur comme un vent impétueux, & y ralluma l'amour de la liberté avec tant d'ardeur, que transportés comme par une espece d'enthousiasme & de fureur, ils coururent aux armes, & marcherent avec audace contre le commun tyran de la Grece : crainte, réflexion, politique, prudence, tout est oublié pour ne plus se laisser enflammer que par le feu de la gloire.

Antipater, un des successeurs de Philippe, comptoit pour rien les galeres d'Athènes, le pirée & les ports. Sans Démosthene, disoit-il, nous aurions pris cette ville avec plus de facilité, que nous ne nous sommes emparé de Thèbes & de la Béotie ; lui seul fait la garde sur les remparts, tandis que ses citoyens dorment : comme un rocher immobile, il se rit de nos menaces, & repousse tous nos efforts. Il n'a pas tenu à lui qu'Amphipolis, Olynthe, Pyle, la Phocyde, la Chersonese, la côte de l'Hellespont, ne nous passent. Plus redoutable lui seul que toutes les flottes de sa république, il est aux Athéniens d'aujourd'hui ce qu'étoient aux anciens Thémistocle & Périclès. S'il avoit eu en sa disposition les troupes, les vaisseaux, les finances, les occasions, que n'auroit pas eu à craindre notre Macédoine, puisque par une seule harangue il souleve tout l'univers contre nous, & fait sortir des armées de terre ?

Le roi de Perse donnoit ordre à ses satrapes de lui prodiguer l'or à pleines mains, afin de l'engager à susciter de nouveaux embarras à Philippe, & d'arrêter les progrès de cette cour qui, sortie à peine de la poussiere, osoit déja menacer son trône. Alexandre trouva dans Sardes les réponses de Démosthene, & le bordereau des sommes qu'on lui envoyoit régulierement par distinction entre tous les Grecs.

Nous ne pouvons trouver une idée plus juste ni plus belle de la perfection de l'éloquence grecque, que la replique de cet orateur au plaidoyer d'Eschine contre Ctésiphon : l'antiquité ne nous fournit point de discours plus parfait. Cicéron paroît enchanté de l'exorde d'Eschine, & Quintilien parle avec étonnement de celui de Démosthene.

Quelques sophistes ont cependant trouvé des taches essentielles dans ces deux harangues ; mais est-il à présumer que deux orateurs qui s'observoient mutuellement, qui connoissoient le génie de leurs compatriotes, formés tous deux par la nature, perfectionnés par l'art, distingués par leurs emplois, consommés par l'expérience, & de plus animés par une inimitié personnelle, ayent dit des choses nuisibles à leur cause ? Dans une affaire aussi critique, où il s'agissoit de leur fortune & de leur réputation, qui croira que ces deux grands hommes auroient posé des principes faux, suspects, plus dignes d'un déclamateur qui ne cherche qu'à donner des termes, que d'un politique à qui il est essentiel de ménager l'estime de sa république & sa propre gloire ? Avouons plutôt qu'ils n'ont jetté dans leurs discours que ce degré de chaleur qui lui convient ; c'est la moindre justice qu'on puisse rendre à leur mémoire.

Il est vrai qu'ils se chargent d'injures atroces, sans aucun ménagement. La politesse de nos moeurs & les lumieres de notre foi condamnent ces manieres féroces & barbares ; mais plaçons-nous dans le même point de vûe & dans la même situation, nous en jugerons différemment. Ce style étoit ordinaire au barreau d'Athènes, & passa même aux Romains ; il est familier à Ciceron, ce modele accompli de l'urbanité romaine, cet orateur si exact à observer les bienséances de son art & de sa nation : je ne vois pas qu'aucun ancien ait repris en lui ses invectives atroces contre Marc Antoine. En général un républicain se donne plus de liberté, & parle avec moins de ménagement qu'un courtisan de la monarchie.

Les envieux & les rhéteurs font encore d'autres reproches à Démosthene, mais qui ne sont que de légers défauts, & qui n'ont jamais pu nuire à sa réputation ; je m'arrêterois plus volontiers au parallele que les anciens & les modernes ont fait d'Eschine & de lui ; mais je dirai seulement que Démosthene ne pouvoit avoir un plus digne rival qu'Eschine, ni Eschine un plus digne vainqueur que Démosthene. Si l'un tient le premier rang entre les orateurs grecs, l'autre tient sans contredit le second. Trois des harangues d'Eschine furent nommées les trois graces, & neuf de ses lettres mériterent le surnom des neuf muses. Il nous en est resté quelques-unes qui sont fort supérieures à celles de son rival. Démosthene harangue dans ses lettres, Eschine parle, converse dans les siennes.

Ayant succombé dans son accusation contre Ctésiphon, il paya d'un exil involontaire une accusation témérairement intentée. Il alla s'établir à Rhodes, & ouvrit dans cette île une nouvelle école d'éloquence, dont la gloire se soutint pendant plusieurs siecles. Il commença ses leçons par lire à ses auditeurs les deux harangues qui avoient causé son bannissement : tout le monde lui donna de grands éloges ; mais quand il vint à lire celles de Démosthene, les battemens de mains & les acclamations redoublerent. Ce fut alors qu'il dit ce mot si louable dans la bouche d'un ennemi & d'un rival : " Eh ! que seroit-ce donc, messieurs, si vous l'aviez entendu lui-même " !

Il ne faut pas taire ici que le vainqueur usa noblement de la victoire ; car au moment qu'Eschine sortit d'Athènes pour aller à Rhodes, Démosthene la bourse à la main courut après lui, & l'obligea d'accepter une offre inespérée, & une consolation solide ; sur quoi Eschine s'écria : " Comment ne regretterai-je pas une patrie où je laisse un ennemi si généreux, que je desespere de rencontrer ailleurs des amis qui lui ressemblent " ? Il arriva cependant que les Asiatiques étonnés plaignirent ses disgraces, adoucirent ses malheurs, & rendirent justice à ses talens.

Pour ce qui regarde Démosthene, les Athéniens, après sa mort qui fut celle d'un héros, lui firent ériger une statue de bronze, & ordonnerent par un decret que d'âge en âge l'aîné de sa famille seroit nourri dans le prytanée. Au bas de sa statue étoit gravée cette inscription : " Démosthene, si la force avoit égalé en toi le génie & l'éloquence, jamais Mars le macédonien n'auroit triomphé de la Grece ". Antipater prononça en quelque sorte son éloge funebre en deux mots. Lorsqu'on lui raconta la maniere généreuse dont il quitta la vie, pour s'arracher aux fers des successeurs d'Alexandre, il dit que ce grand homme avoit quitté la vie pour se hâter d'habiter dans les îles des bienheureux parmi les héros, ou pour marcher au ciel à la suite de Jupiter, protecteur de la liberté.

Personne n'ignore le cas infini qu'Hermogene, Photius, Longin, Quintilien, Denis d'Halicarnasse, & Cicéron ont fait de ce grand homme. Wolfius a traduit en latin les harangues qui nous restent de lui ; M. de Tourreil en a donné une traduction françoise, avec une préface qui passe pour un chef-d'oeuvre.

Je ne parlerai pas ici de Dinarque, de Demade, & autres qui ont paru avec réputation, parce que ceux-ci ne nous ont laissé aucun écrit ; ceux-là n'ont inventé aucun genre de style particulier, & n'en ont perfectionné aucun. D'ailleurs je ne me suis proposé ici que de crayonner quelques traits des principaux orateurs grecs, pour pouvoir tracer en passant la suite des progrès, & finalement la chûte de l'éloquence dans ce beau pays du monde.

TROISIEME AGE. La perte de plusieurs grands hommes qui se détruisirent respectivement par les intrigues des princes de Macédoine, entraîna la perte de l'éloquence avec la ruine de la république. Des orateurs d'esprit & de mérite occuperent encore le barreau avec éclat ; mais ce n'étoit plus ni le même génie, ni la même liberté, ni la même grandeur : ils imposerent quelque tems à la multitude, & parurent avoir remplacé les Eschines & les Démosthenes ; mais les connoisseurs s'apperçurent bientôt du faux brillant qu'ils introduisoient, & du terrible déchet dont l'éloquence antique étoit menacée. Au lieu de cette éloquence noble & philosophique des anciens, on vit s'insinuer peu-à-peu, depuis la mort d'Alexandre, une éloquence insolente, sans retenue, sans philosophie, sans sagesse, qui, détruisant jusqu'aux moindres trophées de la premiere, s'empara de toute la Grece : sortie des contrées délicieuses de l'Asie, elle travailla sourdement à supplanter l'ancienne, & y réussit en faisant illusion, & trompant l'imagination par des couleurs empruntées. Au lieu de ce vêtement majestueux, mais modeste, qui ornoit l'ancienne éloquence, elle prit une robe toute brillante & bigarrée de diverses couleurs, peu convenable à la poussiere du barreau. Ce ne fut plus que jeux d'esprit, que pointes, qu'antithèses, que figures, que métaphores, que termes sonores, mais vuides de sens.

Démétrius de Phalere, grand homme d'état, aussi versé dans les lettres & la philosophie que dans la politique, donna la premiere atteinte au goût solide qu'il avoit puisé dans l'école de Démosthene, dont il se faisoit honneur d'avoir été l'éleve. Cet orateur, soit par affectation, soit par choix, soit par nécessité, s'appliquoit plutôt à plaire au peuple & à l'amuser, qu'à l'abattre & qu'à exciter en lui une vive impression, comme faisoit Périclès, pour aiguillonner en quelque sorte son courage, & le tirer de sa létargie. Ecrivain poli, il s'étudioit à charmer les esprits, & non à les enflammer ; à faire illusion, & non à convaincre. C'est plutôt un athlete de parade, formé pour figurer dans les jeux & les spectacles, qu'un guerrier terrible qui s'élance de sa tente pour frapper l'ennemi. Son style rempli de douceur & d'agrément, mais dénué de force & de vigueur, avec tout son brillant & son éclat, ne s'élevoit point au-dessus du médiocre : c'étoient des graces légeres & superficielles, qui disparoissoient à la vûe de l'éloquence sublime & magnifique de Démosthene. On le fait aussi auteur de la déclamation, genre d'exercice plus convenable à un sophiste qui cherche à faire parade d'esprit à l'ombre de l'école, qu'à un homme sensé, nourri & formé dans les affaires.

Cette nouveauté fut d'un exemple pernicieux, car ce style devint à la mode. Les sophistes qui succéderent à Démétrius, raffinerent encore cette invention, & ne s'occuperent plus qu'à subtiliser, qu'à terminer leurs périodes par des jeux de mots, des antithèses, des pointes d'esprit, des métaphores outrées, des subtilités puériles ; mais dévoilons plus particulierement les causes de la chûte de l'éloquence.

1°. La perte de la liberté dans Athènes fut celle de l'éloquence. Un homme né dans l'esclavage, dit Longin, est capable des autres sciences, mais il ne peut jamais devenir orateur ; car un esprit abattu & comme dompté par la servitude n'a pas le courage de s'élever à quelque chose de grand : tout ce qu'il pourroit avoir de vigueur, s'évapore de lui-même, & il demeure toujours comme enchaîné dans une prison. La servitude la plus légitime est une espece de prison, où l'ame décroît & se rapetisse en quelque sorte ; au lieu que la liberté éleve l'ame des grands hommes, anime, excite puissamment en eux l'émulation, & entretient cette noble ardeur qui les encourage à s'élever au-dessus des autres ; joignez-y les motifs intéressans, dont les républiques piquent leurs orateurs. Par eux leur esprit acheve de se polir, & se prête à leur faire cultiver avec une merveilleuse facilité les talens qu'ils ont reçus de la nature, sans les écarter un moment de ce goût de la liberté qui se fait sentir dans leurs discours, & jusque dans leurs moindres actions.

2°. A cet amour desintéressé de la liberté dans les républicains succéda sous une domination étrangere un desir passionné des richesses : on oublia tout sentiment de gloire & d'honneur, pour mendier servilement les faveurs des nouveaux maîtres, & ramper à leurs piés. Or, dit Longin, comme il est impossible qu'un juge corrompu juge sans passion & sainement de tout ce qui est juste & honnête, parce qu'un esprit qui s'est laissé gagner aux présens, ne connoît de juste & d'honnête que ce qui lui est utile : comment pourrions-nous trouver de grandes actions dignes de la postérité dans ce malheureux siecle où nous ne nous occupons qu'à tromper celui-ci pour nous approprier sa succession, qu'à tendre des pieges à cet autre, pour nous faire écrire dans son testament, & qu'à faire un trafic infame de tout ce qui peut nous apporter du gain ?

3°. La corruption des moeurs engloutit, pour ainsi dire, tous les talens. Les esprits comme abatardis par le luxe, se jetterent dans un désordre affreux. Si on donnoit quelque tems à l'étude, ce n'étoit que par amusement ou pour faire une vaine parade de sa science, & non par une noble émulation, ni pour tirer quelque profit louable & solide. Les Grecs, sous l'empire des étrangers, furent comme une nouvelle nation vendue à la mollesse & à la volupté. Vils instrumens des passions de leurs maîtres, ils trafiquerent honteusement leurs vrais intérêts & leur réputation, pour goûter les fades douceurs d'un lâche repos : nulle émulation, nul desir de la vraie gloire, tout étoit sacrifié au plaisir. Or dès qu'un homme oublie le soin de la vertu, il n'est plus capable que d'admirer les choses frivoles ; il ne sauroit plus lever les yeux pour regarder audessus de soi, ou rien dire qui passe le commun ; tout ce qu'il a de noble & de grand se fane, se séche, & n'attire plus que le mépris.

4°. La mauvaise éducation suivit de près la servitude & le luxe. Les études furent négligées & altérées, parce qu'elles ne conduisoient plus aux premiers postes de l'état. On vouloit qu'un précepteur coûtât moins qu'un esclave ; on sait à ce sujet le beau mot d'un philosophe : comme il demandoit mille drachmes pour instruire un jeune homme ; c'est trop, répondit le pere, il n'en coûte pas plus pour acheter un esclave. Hé bien, à ce prix vous en aurez deux, reprit le philosophe, votre fils & celui que vous acheterez.

Les rhéteurs avec un manteau de pourpre des mieux travaillés, avec des chaussures attiques, comes les dames les portoient, avec des sandales de Sicyone arrêtées par une courroie blanche, apprenoient aux ensans une centaine de mots attiques, & leur expliquoient les plus ridicules impertinences, qu'ils enveloppoient sous des termes mêlés de barbarismes & de solécismes, qu'ils autorisoient du nom d'un poëte & d'un écrivain inconnu. Ils n'avoient à la bouche, & ne donnoient pour sujet de composition, que le mont Athos percé par Xerxès, l'Hellespont couvert de vaisseaux, l'air obscurci par les fléches des Perses, les lettres d'Othriades, les batailles de Salamine, d'Artémise & de Platée, la mort de Léonidas, & la fuite de Xerxès. Quelquefois ils déclamoient & chantoient la guerre de Troye, les nôces de Deucalion & de Pyrrha, & se démenoient comme des forcenés, pour se faire croire remplis de l'esprit des dieux : c'étoit à quoi aboutissoit toute leur rhétorique ; certes, je crois que celle de quelques-uns de nos colléges en est la copie.

5°. Les anciens orateurs grecs n'étoient point de ces spéculatifs qui repaissoient leur curiosité de connoissances stériles & singulieres ; ils travailloient pour le public, & se regardoient placés dans le monde par la providence, pour l'éclairer utilement. En vrais savans, ils appliquoient les préceptes de la philosophie au maniement des affaires. Mais depuis la mort de Démosthène, les orateurs & les savans n'écoutoient plus que leurs fantaisies & leurs idées. Chacun suivoit son intérêt particulier, & négligeoit le bien commun. On ne raisonnoit plus dans les écoles que sur des chimeres ; les matieres absurdes qu'on y traitoit jettoient nécessairement la confusion dans les idées & dans le langage.

6°. La nécessité du commerce avec les Barbares, sujets de Macédoine ou des Romains, introduisit les mauvaises moeurs & le mauvais goût : jusques-là les Grecs nourris au grand & à l'honnête, s'étoient défendus de la corruption qui régnoit dans les provinces de l'Asie mineure, dont ils avoient tant de fois triomphé ; mais bien-tôt le mêlange avec les étrangers, corrompit tout. Un je ne sai quel mauvais air infecta l'éloquence comme les moeurs. Dès qu'elle sortit du Pirée, dit Cicéron, & qu'elle se répandit dans les îles & dans l'Asie, elle perdit cet air de santé & d'embonpoint qu'elle avoit conservé si long-tems dans son terroir naturel, & désapprit presque à parler : de-là ce style pesant & surchargé d'une abondance fastidieuse, qui fut en usage chez les Phrygiens, les Cariens, les Mysiens, peuples grossiers & sans politesse.

7°. Les discussions & les jalousies éternelles des petites républiques, qui changerent la face des affaires, altérerent aussi étrangement l'éloquence. Les Grecs des petits états corrompus par l'or étranger, étoient autant d'espions qui observoient d'un oeil malin, les citoyens des plus grandes villes. Une parole forte & libre, un terme noble & élevé échappé dans un discours & dans le feu de la déclamation, étoit un crime pour ceux qui n'en avoient pas. On n'osoit plus raisonner, ni proposer un avis salutaire, parce que tout étoit suspecté. Dans les lieux mêmes où les savans, chassés de leur patrie par la cabale, ouvrirent des écoles de belles lettres pour se ménager quelques ressources contre les rigueurs du sort, ce n'étoit que fureur & acharnement. Souvent un prince détruisoit les établissemens de son devancier dans les pays possédés par les successeurs d'Alexandre. Or, si les délices d'une trop longue paix, dit Longin, sont capables de corrompre les plus belles ames, à plus forte raison cette guerre sans fin qui trouble depuis si long-tems toute la terre, est-elle un puissant obstacle à nos desirs.

Il est vrai que Rome ouvrit une retraite honorable à ces illustres bannis, & que le palais des Césars leur fut souvent un asyle assuré ; mais ils n'y parurent qu'en qualité de philosophes & de grammairiens. Leurs occupations consistoient à expliquer les écrits des anciens, suivant les regles de la grammaire & de la rhétorique, mais non à composer des harangues grecques. Leur langue naturelle leur devenoit inutile dans une ville, où la seule langue latine étoit en usage dans les tribunaux, & ils n'avoient aucune part aux affaires. Les peuples d'Italie, encore au tems des enfans de Théodose, méprisoient souverainement le grec : en un mot, c'étoient des gens d'esprit, des savans, des philosophes ; mais ce n'étoient pas des orateurs.

8°. Les dissentions civiles avoient passé jusques dans les écoles. Les maîtres entr'eux, formoient des partis & des sectes ; chaque opinion avoit ses disciples & ses défenseurs ; on disputoit avec autant de fureur sur une question de rhétorique, que sur une affaire d'état. Tout avoit été converti en problème ; l'esprit de faction avoit comme saisi tous les Grecs, & ils étoient divisés entr'eux pour l'éloquence & les belles-lettres, encore plus qu'ils ne l'étoient pour le gouvernement de leurs républiques. Les maîtres s'applaudissoient puérilement de paroître à la tête d'une nouvelle troupe, & montroient avec une affectation ridicule leurs nouveaux éleves : ces disciples, comme des gens initiés à de nouveaux mysteres, ne parloient qu'avec insolence du parti opposé. Les plus célebres de ces maîtres furent Appollodore de Pergame & Théodore de Gadar ; le premier instruisit Auguste, & le second donna des leçons à Tibere. Peut-être que le génie différent de ces deux empereurs servit à étendre leur secte, & à lui donner du crédit ; quoi qu'il en soit, on distinguoit les Appollodoréens d'avec les Théodoréens, comme on distinguoit les philosophes du portique d'avec ceux de l'académie.

9°. L'arrangement des mots dans un discours, est à l'oreille ce que les couleurs sont à l'oeil dans la peinture. Les écrivains des beaux siecles, convaincus de ce principe, s'appliquerent sur-tout à acquérir ce talent qui donne tant de graces à leurs compositions ; mais les derniers écrivains contens de raisonner, ont regardé le brillant de l'élocution, comme peu nécessaire. Les sophistes, moins habiles & moins solides qu'eux, ont au contraire quitté le raisonnement pour se répandre en paroles ; ils composerent des mots, refondirent de vieilles phrases, imaginerent de nouveaux tours. Incapables d'inventer par eux-mêmes, ce fut assez pour eux de coudre des lambeaux de Démosthène, de Lysias, d'Eschine, de fabriquer de nouvelles périodes, & d'emprunter des expressions & des couleurs poëtiques pour voiler plus artificieusement leur indigence. On y remarquoit bien le son & la voix des anciens Grecs, mais on n'y reconnoissoit plus leur esprit. Athènes elle-même, dit Cicéron, n'étoit plus respectée qu'à cause de ses premiers savans, dont la doctrine étoit entierement évanouie. Les Athéniens n'avoient plus conservé que la douceur de la prononciation qu'ils tenoient de la bonté de leur climat : c'étoit la seule chose qui les distinguoit des Asiatiques ; mais ils avoient laissé flétrir ces fleurs & ces graces du véritable atticisme que leurs peres avoient cultivées avec tant de soin.

10°. Les célébres orateurs de la Grece possédoient au souverain degré toutes les parties de l'éloquence, la subtilité de la dialectique, la majesté de la philosophie, le brillant de la poésie, la mémoire des jurisconsultes, la voix & les gestes des plus fameux acteurs ; ils en faisoient une étude particuliere. Les rhéteurs des derniers tems, au contraire, n'étoient que de purs dialecticiens, de frivoles grammairiens, occupés à éplucher des syllabes & à forger des termes sonores.

11°. Ces maîtres éloignés des grandes affaires, & exclus des grandes assemblées, se renfermoient dans des matieres aussi bornées que leurs écoles, & peu susceptibles de ces efforts qui font l'éloquence ; car on sait, dit Cicéron, que les grandes assemblées sont comme un vaste théâtre, où l'orateur déploie toutes les forces de son génie & toutes les regles de son art ; & que, comme un habile musicien ne peut rien sans instrument, l'orateur ne sauroit être éloquent, s'il ne parle devant un grand peuple.

12°. Cette contrainte les resserroit dans une seule espece de science ; ensorte que quand ils vouloient traiter de plus grands sujets, ils apportoient toujours le même esprit & la même méthode : ils ne savoient pas se diversifier, selon les différentes matieres qu'ils avoient à traiter ; ils parloient des actions d'un empereur, d'un traité de paix, comme d'une question scholastique ; ils s'obstinoient avec opiniâtreté à une opinion, comme des soldats liés par serment, ou des gens entêtés de certaines cérémonies. Il ne faut pas, dit Quintilien, que l'orateur épouse jamais ces sortes de querelles philosophiques ; le rang où il aspire le met au-dessus de ces tracasseries de l'école. Auroit-on admiré une aussi grande abondance & une aussi grande étendue de génie dans Cicéron, s'il se fût renfermé dans les chicanes du barreau, & qu'il ne se fût pas donné le même essor que la nature même ?

Telle fut l'éloquence attique ; amie de la liberté, elle se forma sous la république dans les écoles des philosophes, & cessa de régner dès qu'elle cessa d'être libre. La philosophie lui inspira ces sentimens généreux, cette majesté qui sait imposer à la raison sans la contraindre ; & l'état républicain lui donna ces manieres fieres, cette confiance, cette hardiesse, qui la fit triompher des souverains. Elle régna tant que les hommes eurent la liberté de penser : dès que la servitude changea les sentimens & les moeurs, elle disparut & s'éclipsa sans retour. Dans les beaux siecles, elle parla en reine, parce qu'elle avoit des rois à combattre ; dans ce déclin, elle prit le ton affété & doucereux d'une courtisanne, parce qu'elle avoit à plaire à des tyrans. Les célebres orateurs d'Athènes étoient des philosophes nourris dans la liberté ; les sophistes n'étoient que des esclaves, prêts à adorer quiconque les achetoit. Démosthène & les savans magistrats qui partagerent les mêmes travaux & coururent la même carriere, pouvoient être appellés à juste titre, les enfans des héros. Les orateurs des derniers tems étoient moins que des hommes.

Dans Athènes un orateur étoit, pour ainsi dire, un ministre d'état, chargé de représenter à l'assemblée les intérêts de sa tribu, & de soutenir la majesté de la république devant les étrangers.

Les lois avoient séparé les orateurs du vulgaire, & on les regardoit comme une compagnie respectable, consacrée pour veiller à la garde de la liberté & au bon ordre de la république ; toutes les affaires importantes leur passoient par les mains, ou leur étoient renvoyées. Dans les délibérations intéressantes on recueilloit leurs avis, & on les appelloit par un héraut au nom de la patrie pour expliquer leurs sentimens, & répondre aux ministres étrangers. Presque toujours on leur confioit à eux-mêmes le plan d'une affaire qu'ils venoient de tracer, avec un ample pouvoir de traiter suivant leurs lumieres & les circonstances : c'étoient des especes de souverains qui maîtrisoient les esprits avec un empire absolu, mais fondé sur leur vaste capacité & sur leur droiture.

Tel fut le fameux Périclès pendant un gouvernement de quarante années ; il sut se maintenir par les seules forces de son éloquence, contre tous les efforts d'une foule de rivaux, la plûpart d'un mérite & d'un rang distingué ; il sut captiver l'inconstance de la multitude, & rendre son nom respectable au peuple, & terrible aux étrangers. Il fut roi, sans en avoir le titre. Finances, places, alliés, îles, troupes, flotte, tout obéissoit à ses ordres ; ce pouvoir immense étoit le fruit de cette éloquence supérieure qui lui fit donner le surnom d'olympien. Comme un autre Jupiter, au seul son de sa voix, il ébranloit la Grece, & foudroyoit toutes les puissances conjurées contre sa république.

Les orateurs qui lui succederent, quoique avec moins d'habileté & de vertu, se conserverent néanmoins la même autorité, & une grande partie de ce crédit étonnant jusques dans les colonies, & chez les peuples tributaires & alliés. Antiphon guérissant les malades dans Corinthe par sa seule éloquence, fut regardé comme le dieu de consolation. Isocrate réfugié dans l'île de Chio, pour se soustraire aux poursuites de ses envieux, devint le législateur de toute l'île ; sa plume, au défaut de sa voix, dictoit aux rois, aux généraux leurs devoirs, prescrivoit les regles de leurs dignités, & fixoit leur bonheur. Timothée, fils de Conon, Dioclès, roi de Chypre, & Philippe de Macédoine s'applaudirent de ses sages conseils. Hypéride fut chargé de plaider la cause des Athéniens contre les habitans de Délos, qui prétendoient avoir l'intendance du temple d'Apollon dans leur île, & celle de l'athlete Callipe contre les peuples de l'Elide. En un mot, quel crédit n'eurent pas les orateurs au tems de Philippe ! Une seule parole de ce prince, en fait foi. " Je frissonne, dit-il à ses courtisans, quand je pense au péril auquel Démosthene nous a exposés par la ligue de Chéronée : cette seule journée mettoit à deux doigts de sa perte notre empire & notre couronne. Nous ne devons notre salut qu'aux faveurs de la fortune ".

Cet orateur avoit en effet toutes les qualités les plus belles pour persuader, indépendamment de son éloquence. A un fond admirable de philosophie & de vertus il joignoit un zele infatigable pour les intérêts de sa patrie, une haine irrévocable contre la tyrannie & les tyrans, un amour de la liberté à toute épreuve, une sagacité merveilleuse pour percer dans l'avenir, & dévoiler les mysteres de la politique ; une vaste érudition, une connoissance exacte de l'histoire & des droits de la nation ; les vues les plus étendues & les plus nobles ; une retenue, une sobriété qui brilloit jusques dans ses paroles ; une droiture, une justesse de raison que rien n'étoit capable d'altérer ; une dignité admirable quand il traitoit les affaires. Démosthene étoit ferme pour résister aux attraits de la cupidité ; intégre pour maintenir l'autorité des conseils & la liberté de l'état ; éclairé pour dissiper les préjugés d'une populace aveugle ; hardi pour écarter les factieux, & plein de courage pour affronter les périls. Il n'est donc pas étonnant qu'avec de tels talens, il ait enchaîné les volontés des citoyens, fixé leurs irrésolutions, & gagné la confiance de tout le corps.

Rien ne prouve mieux la dignité des orateurs grecs en général, que la maniere dont leur élection se faisoit à Athènes. Chaque année on en choisissoit dix, un dans chaque tribu, ou on continuoit les anciens. D'abord on commençoit par tirer au sort ceux qui se présentoient, & on les menoit devant des juges préposés pour informer juridiquement de leurs moeurs & de leur mérite, suivant les réglemens établis par Solon. Il falloit avoir environ trente ans pour traiter les affaires d'état. Il falloit de plus avoir servi avec distinction, s'être élevé aux grades de la milice par sa valeur, & n'avoir jamais jetté son bouclier. Eschine emploie fort adroitement ce motif dans sa harangue contre Ctésiphon, en reprochant à Démosthene sa fuite de Chéronée. Il devoit épouser une Athénienne, & avoir ses possessions dans l'Attique, & non ailleurs. Démosthene accuse Eschine de posséder des terres en Béotie. Enfin on examinoit rigidement le recipiendaire sur sa capacité, sur ses études & sur sa science. Il avoit encore besoin du témoignage des tribus assemblées, pour être élevé à la dignité d'orateur, & il confirmoit leur aveu public en jurant sur les autels.

Je finirai par dire un mot de leurs récompenses. Les orateurs tiroient leurs honoraires du trésor public ; chaque fois qu'ils parloient pour l'état ou pour les particuliers, ils recevoient une drachme, somme modique par rapport à notre tems, mais fort considérable pour lors. En les gageant sur l'état, on vouloit mettre des bornes à l'avarice des particuliers, & leur apprendre à traiter la parole avec une vraie grandeur d'ame.

Cet emploi ne devoit cependant pas être stérile, si l'on en croit Plutarque. Il rapporte que deux Athéniens s'exhortoient à devenir orateurs, en se disant mutuellement : " ami, efforçons-nous de parvenir à la moisson d'or qui nous attend au barreau ". Le besoin qu'on avoit de leurs lumieres & de leurs talens, piquoit la reconnoissance des particuliers. Isocrate prenoit mille drachmes, c'est-à-dire, 31 livres sterling pour quelques leçons de Rhétorique. L'éloquence étoit hors de prix. Gorgias de Léontium avoit fixé son cours de leçons à 100 mines pour chaque écolier, c'est-à-dire à environ 312 livres sterling. Protagore d'Abdere amassa dans cette profession plus d'argent que n'auroient jamais pû faire dix Phidias réunis. Lucien appelle plaisamment ces orateurs marchands, des Argonautes qui cherchoient la toison d'or. Mais j'aime la générosité d'Isée, qui charmé du génie de Démosthene, & curieux de laisser un digne successeur, lui donna toutes ses leçons gratuites.

Les honneurs qu'on leur prodiguoit pendant leur vie & après leur mort, chatouilloient encore plus l'ambition, que le salaire ne flattoit la cupidité. Au sortir de l'assemblée & du barreau, on les reconduisoit en cérémonie jusqu'en leur logis, & le peuple les suivoit au bruit des acclamations : les parties assembloient leurs amis pour faire un nombreux cortege, & montrer à toute la ville leur protecteur : on leur permettoit de porter la couronne dont ils étoient ornés, lorsqu'ils avoient prononcé des oracles salutaires à leur patrie : on les couronnoit publiquement en plein sénat, ou dans l'assemblée du peuple, ou sur le théâtre. L'agonothete, revêtu d'un habit de pourpre, & tenant en main un sceptre d'or, annonçoit à haute voix sur le bord du théâtre le motif pour lequel il décernoit la couronne, & présentoit en même-tems le citoyen qui devoit la recevoir : tout le parterre répondoit par des applaudissemens redoublés à cette proclamation, & les plus distingués des citoyens jettoient aux piés de l'orateur les plus riches présens. Démosthene, qui fut couronné plus d'une fois, nous apprend dans sa harangue pour Ctésiphon, que cet honneur ne s'accordoit qu'aux souverains & aux républiques.

Sous Marc-Aurele, Polémon, que toute la Grece assemblée à Olympie, appella un autre Démosthene, reçut, dès sa jeunesse, les couronnes que la ville de Smirne vint, comme à l'envi, mettre sur sa tête. On vit, d'après le même usage, des empereurs romains monter sur le théâtre pour y proclamer les savans dans les spectacles de la Grece. En un mot, Athènes ne croyoit rien faire de trop en égalant les orateurs aux souverains, & en prêtant à l'éloquence l'éclat du diadême ; tandis qu'elle refusoit à Miltiade une couronne d'olivier, elle prodiguoit des couronnes d'or à des citoyens puissans en paroles.

Non content de cette pompe extérieure, le peuple d'Athènes nourrissoit ses orateurs dans le prytanée, leur accordoit des privileges, des revenus & des fonds : les portes de leur logis étoient ornées de laurier ; privilege singulier, qui chez les Romains n'appartenoit qu'aux Flamines, aux Césars, & aux hommes les plus célebres, comme le droit de porter la couronne sur la tête.

Après leur trépas, le public, ou des particuliers consacroient dans les temples, à leur honneur, les couronnes qu'ils avoient portées, ou érigeoient quelque monument fameux dans les places, ou sur leurs tombeaux. Timothée fit placer à Eleusine, à l'entrée du portique, la statue d'Isocrate, sculptée de la main de Léocharès : on y lisoit cette inscription simple & noble : " Timothée a consacré cette statue d'Isocrate aux déesses, pour marque de sa reconnoissance & de son amitié. " Quelque tems avant Plutarque, on voyoit sur le tombeau de cet orateur une colonne de trente coudées, surmontée d'une sirene de sept coudées, pour désigner la douceur & les charmes de son éloquence. Tout auprès étoient ses maîtres. Gorgias entr'autres, tenant à ses côtés Isocrate, examinoit une sphere, & l'expliquoit à ce jeune éleve. Enfin, dans le Céramique, on avoit érigé une statue à la mémoire de l'orateur Lycurgue qui avant que d'entrer dans le tombeau, prit à témoin de son désintéressement le sénat, & toutes les tribus assemblées.

Je supprime à regret plusieurs autres détails sur les orateurs de la Grece ; mais j'ose croire qu'on ne désapprouvera pas cette esquisse tirée d'un des plus agréables tableaux qu'on ait fait du barreau d'Athènes ; c'est à M. l'abbé d'Orgival qu'il est dû. Passons à la peinture des orateurs romains : elle n'est pas moins intéressante ; je crains seulement de la trop affoiblir dans mon extrait. (D.J.)

ORATEURS ROMAINS, (Hist. de l'Eloq.) je revolterai bien des gens en établissant des orateurs à Rome dès le commencement de la république ; cependant plusieurs raisons me semblent assez plausibles pour ne point regarder cette idée comme chimérique, sous un gouvernement où rien ne se décidoit que par la raison, & par la parole ; car sans vouloir donner les premiers Romains pour un peuple de philosophes, on est forcé de convenir qu'ils agissoient avec plus de prudence, plus de circonspection, plus de solidité qu'aucun autre peuple, & que leur plan de gouvernement étoit plus suivi. A la tête des légions ils plaçoient des chefs hardis, intrépides, entendus : dans la tribune aux harangues, ils vouloient des hommes éloquens & versés dans le droit.

En effet, les historiens ne célébrent pas moins l'éloquence des magistrats romains, que l'habileté des généraux. Valerius Publicola prononça l'oraison funebre de Brutus son collegue. Valere Maxime dit que l'éloquence du dictateur Marcus Valerius sauva l'empire, que les discordes des patriciens & du peuple alloient étouffer dans son berceau. Tite-Live reconnoît des graces dans le vieux style de Menenius Agrippa. Tullus, général des Volsques, ne permit pas à Coriolan de parler dans l'assemblée de la nation, parce qu'il redoutoit son talent dans la parole. Caïus Flavius élevé dans la poussiere du greffe, fut créé édile curule, à cause de la beauté de son élocution. Enfin Cicéron range dans la classe des orateurs romains les premiers magistrats de cet âge, & prouve par-là la perpétuité de l'éloquence dans la république.

Mais Ciceron ne parle-t-il point sur ce ton pour faire honneur à sa patrie, ou pour exciter par des exemples la jeunesse romaine à s'appliquer à un art qui rend les hommes qui le possedent, si supérieurs aux autres ? Je le veux bien : cependant peut-on refuser le talent de la parole au tribun Marcus Genucius, le premier auteur de la loi agraire ; à Aulus Virginius, qui triomphe de tout l'ordre des patriciens dans l'affaire de Céson ; à Lucius Sextus qui transmet le consulat aux plébéiens, malgré les efforts & l'éloquence d'Appius Claudius ? L'opposition éternelle entre les patriciens & les tribuns exigeoit beaucoup de talens, de génie, de politique & d'art. Ces deux corps s'éclairoient mutuellement avec une jalousie sans exemple, & cherchoient à se supplanter auprès du peuple par la voie de l'éloquence.

D'ailleurs le savoir étoit estimé dans ces premiers siecles de la république ; on y remarque déja le goût & l'étude des langues étrangeres. Scaevola savoit parler étrusque : c'étoit alors l'usage d'apprendre cette langue, comme l'observe Tite-Live. On ne mettoit auprès des enfans que des domestiques qui la sussent parler. L'insulte faite à un ambassadeur romain dans la Tarente, parce qu'il ne parloit pas purement le grec, montre qu'on l'étudioit au moins & qu'on parloit les langues des autres peuples pour traiter avec eux. Dans les écoles publiques, des littérateurs enseignoient les belles lettres. Du tems de nos aïeux, dit Suétone, lorsqu'on vendoit les esclaves de quelque citoyen, on annonçoit qu'ils étoient littérateurs, litteratores ; pour marquer qu'ils avoient quelque teinture des sciences.

Je conviens que les séditions & les jalousies réciproques des deux corps qui agiterent l'état, répandirent l'aigreur, le fiel & la violence dans les harangues des tribuns ; un esprit farouche s'étoit emparé de ces harangueurs impétueux : mais sous les Scipions, avec un nouvel ordre d'affaires, les moeurs changerent, & les emportemens du premier âge disparurent. Annibal & Carthage humiliés, des rois traînés au capitole, des provinces ajoutées à l'empire, la pompe des triomphes, & des prospérités toujours plus éclatantes, inspirerent des sentimens plus généreux, & des manieres moins sauvages. L'air brusque des Iciliens céda à l'urbanité & à la sagesse de Laelius. La tribune admira des orateurs non moins fermes, ni moins hardis que dans les premiers tems, mais plus insinuans, plus ingénieux, plus polis ; l'âcreté d'humeur s'étant adoucie comme par enchantement, les reproches amers se convertirent en un sel fin & délicat ; aux emportemens farouches des tribuns succéderent des saillies heureuses & spirituelles. Les orateurs transportés d'un nouveau feu, & changés en d'autres hommes, traiterent les affaires avec magnificence en présence des rois & des peuples conquis, semerent de la variété & de l'agrément dans leurs discours, & les assaisonnerent de cette urbanité qui fit aimer les Romains, respecter leur puissance, & qui les rendent encore l'admiration de l'univers.

L'illustre famille des Scipions produisit les plus grands hommes de la république. Ces génies supérieurs, nés pour être les maîtres des autres, saisirent tout d'un coup l'idée de la véritable grandeur & du vrai mérite ; ils surent adoucir les moeurs de leurs concitoyens par la politesse, & orner leur esprit par la délicatesse du goût. Instruits par l'expérience & par la connoissance du coeur humain, ils s'apperçurent aisément qu'on ne gagne un peuple libre que par des raisons solides, & qu'on ne s'attache des coeurs généreux que par des manieres douces & nobles ; ils joignirent donc à la fermeté des siecles précédens le charme de l'insinuation. Leur siecle fut l'aurore de la belle littérature, & le regne de la véritable vertu romaine. La probité & la noblesse des sentimens reglerent leurs discours comme leurs actions ; leurs termes répondirent en quelque sorte à leurs hauts faits ; ils ne furent pas moins grands, moins admirables dans la tribune, qu'ils furent terribles à la tête des légions : ils surent foudroyer l'ennemi armé, & toucher le soldat rebelle : les souverains & l'étranger furent frappés par l'éclat de leurs vertus, le citoyen ne put résister à la force de leurs raisons.

Les Romains qui approcherent le plus près ces grands hommes, leurs amis, leurs clients, prirent insensiblement leur esprit, & le communiquerent aux autres parties de la république. On accorda à Laelius un des premiers rangs entre les orateurs. Caïus Galba, gendre de Publius Crassus, & qui avoit pour maxime de ne marier ses filles qu'à des savans & à des orateurs, étoit si estimé du tems de Ciceron, qu'on donnoit aux jeunes gens, pour les former à l'éloquence, la peroraison d'un de ses discours. Les harangues de Fabius Maximus, graves, majestueuses, & remplies de solidité & de traits lumineux, marchoient de pair avec celles de Thucydide. L'éloquence harmonieuse de M. Corn. Céthégus fut chantée par le premier Homere latin.

Le génie de l'éloquence s'étoit emparé des tribunes, où il n'étoit plus permis de parler qu'avec élégance & avec dignité. Le sénat entraîné par l'éloquence du député d'Athènes, n'a pas la force de refuser la paix aux Etoliens. Léon, fils de Scésias, comparoit dans sa harangue les communes d'Etolie à une mer dont la puissance romaine avoit maintenu le calme, & dont le souffle impétueux de Thoas avoit poussé les flots vers Antiochus, comme contre un écueil dangereux. Cette comparaison flatteuse & brillante charma cette auguste compagnie : on n'admira pas avec moins d'étonnement les éloquens discours des trois philosophes grecs que les Athéniens avoient envoyés au sénat pour demander la remise d'une amende de cinq cent talens qui leur avoit été imposée pour avoir pillé les terres de la ville d'Orope. A peine pouvoit-on en croire le sénateur Caecilius, qui leur servoit d'interprête, & qui traduisit leur harangue. La conversation de ces grecs & la lecture de leurs écrits, alluma une ardeur violente pour l'étude d'un art aussi puissant sur les coeurs.

Les deux Gracchus s'attirerent toute l'autorité par le talent de la parole ; & firent trembler le sénat par cette seule voie. Sans diadême & sans sceptre, ils furent les rois de leur patrie. Elevés par une mere qui leur tint lieu de maître, ils puiserent dans son coeur grand & élevé, une ambition sans bornes, & dans ses préceptes le gout de la saine éloquence & de la pureté du langage qu'elle possédoit au souverain degré. Ils ajouterent à cette éducation domestique leurs propres réflexions, & y mêlerent quelque chose de leur humeur & de leur tempérament.

Tiberius Gracchus avoit toutes les graces de la nature, qui sans être le mérite l'annoncent avec éclat. Des moeurs integres, de vastes connoissances, un génie brillant & son éloquence attiroient sur lui les yeux de tous ses concitoyens. Caïus voulant comme son frere abaisser les patriciens, parloit avec plus de fierté & de véhémence, redemandant au sénat un frere dont le sang couloit encore sur les degrés du capitole, & reprochant au peuple sa lâcheté & sa foiblesse, de laisser égorger à ses yeux le soutien de sa liberté.

Caton le censeur, non-moins véhément que le dernier des Gracchus, montra tout le brillant de l'imagination, & tout le beau des sentimens ; il ne lui manquoit qu'une certaine fleur de style, & un coloris qu'on n'imaginoit pas encore de son tems. Toujours aux prises avec les deux Africains & les deux Gracchus, avec le sénat & le peuple, huit fois accusé & huit fois absous, à l'âge de 90 ans il maîtrisoit encore le barreau ; & aussi respectable que Nestor par ses années & par le talent de la parole, il conserva jusque dans le tombeau l'estime & la vénération de tous ses concitoyens.

Les dames même profiterent de cette heureuse réforme, & parurent sur les rangs avec autant de distinction que les plus grands orateurs : on en vit plaider leurs causes avec tant d'énergie, de délicatesse & de grace, qu'elles mériterent un applaudissement universel. Amoesia Sentia accusée d'un crime, soutint son innocence avec toute la précision & la force du plus habile avocat, & se concilia tous les suffrages dès la premiere audience. Au tems de Quintilien les savans lisoient, comme un modele de la pureté & de l'éloquence romaine, les lettres de la célebre Cornélie qui forma les Gracchus. La fille de Laelius, & dans l'âge suivant celle d'Hortensius, ne furent pas moins héritieres du génie éloquent de leurs peres, que de leurs vertus & de leurs richesses.

L'esprit dominant de ce siecle étoit une noble fierté qui animoit tous les coeurs, & c'est ce qui fit que la plûpart des orateurs de ce tems-là n'eurent pas la même politesse ni la même délicatesse que les Scipions & les Laelius. Le style de Caton étoit sec & dur ; celui de Caïus Gracchus étoit marqué au coin de la violence de son caractere : enfin les orateurs de cet âge ébaucherent seulement les premiers traits de l'éloquence romaine ; elle attendoit sa perfection du siecle suivant, je veux dire, celui où regnerent les dictateurs perpétuels.

Jamais on ne vit les Romains plus grands ni plus magnifiques que dans ce troisieme âge : Arts, Sciences, Philosophie, Grammaire, Rhétorique, tout se ressentit de l'éclat de l'empire, & eut, pour ainsi dire, part à la même élevation ; tout ce qu'il y avoit de brillant au-delà des mers, se réfugioit comme à l'envi dans Rome à la suite des triomphes. A côté des rois enchaînés, & parmi les dépouilles des provinces conquises, on voyoit avec étonnement des philosophes, des rhéteurs, des savans couverts des mêmes lauriers que le vainqueur, monter en quelque sorte sur le même char, & triompher avec lui. Du sein de la Grece sortoient des essaims de savans, qui comme d'autres Carnéades venoient faire dans Rome des leçons de sagesse, & y transplanter, si j'ose ainsi parler, les talens des Isocrates & des Démosthènes. On ouvrit de nouvelles écoles : on expliqua les secrets de l'art : on développa les finesses de la Rhétorique : on étala avec pompe les beautés d'Homere : on ralluma ces foudres à demi-éteints, qui avoient causé tant d'allarmes à Philippe de Macédoine. Les Romains enchantés, entrerent dans la même carriere pour disputer le prix à leurs nouveaux maîtres, & les effacer dans l'ordre des esprits, comme ils les surpassoient dans le métier des armes.

Quatre orateurs commencerent cette espece de défi ; ce furent Antoine, Crassus, Sulpicius & Cotta, tous quatre rivaux, &, ce qui paroîtra surprenant, tous quatre amis.

Antoine, ayeul du célebre Marc-Antoine, fut comme le chef de cette illustre troupe, & leva pour ainsi dire la barriere. Une mémoire prodigieuse lui rappelloit sur-le-champ tout ce qu'il avoit à dire. On croyoit qu'il n'empruntoit de secours que de la nature, dans le tems même qu'il mettoit en usage toutes les finesses & les subtilités de l'art, pour séduire les juges les plus attentifs & les plus éclairés. Il affectoit une certaine négligence dans son style, pour ôter tout soupçon qu'il eût appris les préceptes des Grecs, ou qu'il en voulût à la religion de ses juges. Une déclamation brillante embellissoit tous ses discours, & le pathétique qu'il avoit le secret d'y répandre, attendrissoit tous les coeurs.

C'est principalement dans la cause de Caïus Norbanus, & dans celle de M. Aquilius, que son art & ses talens sont les plus développés : le plan de ces deux pieces est tracé dans l'orateur de Ciceron, liv. II. n. 195. Dans l'exorde de la premiere, Antoine paroît chancelant, timide, incertain ; mais lorsque l'on ne croit qu'excuser son embarras & la triste nécessité où il se trouve de défendre un méchant citoyen dont il est ami, on le voit tout-d'un-coup s'animer contre Caepion, justifier la sédition de Norbanus, la rejetter sur le peuple romain, & forcer les juges à demi-séduits par le charme de son discours, à se rendre à la commisération qu'il excite dans leur coeur. Il avoue lui-même qu'il arracha le coupable à la sévérité de ses juges, moins par l'évidence des raisons, que par la force des passions qu'il sut employer à-propos.

Dans la péroraison de la seconde piece, il représente d'une maniere pathétique M. Aquilius consterné & fondant en larmes : il conjure Marius, présent à cette cause, de s'unir à lui pour défendre un ami, un collegue, & soutenir l'intérêt commun des généraux romains : il invoque les dieux & les hommes, les citoyens & les alliés ; au défaut de la bonté de sa cause, il excite les larmes du peuple romain, l'attendrit à la vûe des cicatrices que ce vieillard avoit reçues pour le salut de sa patrie. Les soupirs, les gémissemens, les pleurs de cet orateur, & les plaies d'un guerrier vainqueur des esclaves & des Cimbres, conserverent un homme que des crimes trop avérés bannissoient de la société de ses concitoyens & de tout l'empire.

Lucius Crassus n'avoit que vingt-un ans, ou, selon Tacite, dix-neuf, quand il plaida sa premiere cause contre le plus célebre avocat de son tems. Son caractere propre étoit un air de gravité & de noblesse, tempéré par une douceur insinuante, une délicatesse aisée, & une fine raillerie. Son expression étoit pure, exacte, élégante, sans affectation : son discours étoit véhément, plein d'une juste douleur, de repliques ingénieuses, par-tout semé d'agrémens, & toujours fort court. Il ne paroissoit jamais sans s'être long-tems préparé ; on l'attendoit avec empressement, on l'écoutoit avec admiration. Après sa mort les orateurs venoient au barreau recueillir cet esprit libre & romain, à la place même où par les seules forces de son éloquence il avoit abattu la témérité du consul Philippe, & rétabli la puissance du sénat consterné. Il paroît qu'il ne se chargeoit que de causes justes, car toute sa vie il témoigna un regret sensible d'avoir parlé contre Caïus Carbon, & il se reprochoit à cette occasion sa témérité & sa trop grande ardeur de paroître. Antoine au contraire se chargeoit indifféremment de toutes les causes, & avoit toujours la foule. Crassus mourut pour ainsi dire les armes à la main ; il fut enseveli dans son propre triomphe, & honoré des larmes de tout le sénat, dont il avoit pris la défense.

Cotta brilloit par une élocution pure & coulante. Plein de sa cause, il déduisoit ses motifs avec clarté & par ordre ; il écartoit avec soin tout ce qui étoit étranger à son sujet, pour n'envisager que son affaire, & les moyens qui pouvoient persuader les juges ; mais il avoit peu de force & de véhémence, & en cela il s'étoit sagement réglé sur la foiblesse de sa poitrine, qui l'obligeoit d'éviter toute contention de voix.

Sulpicius étoit orateur, pour ainsi dire, avant que de savoir parler ; un heureux hasard contribua à sa perfection. Antoine s'amusant un jour à le voir plaider une petite cause parmi ses compagnons, fut étonné de trouver dans un âge si tendre un discours si vif & si rapide, des gestes si nobles, & des termes pathétiques qui dans une espece de jeu & de badinage, dénotoient un génie supérieur. Il l'exhorta de fréquenter le barreau, & de s'attacher à Crassus ou à quelqu'autre orateur ; il alla même jusqu'à s'offrir de lui servir de maître dans cet art. Sulpicius reconnoissant, sut tirer profit des instructions qu'il venoit de recevoir. Antoine fut bien étonné de le voir paroître quelque tems après contre lui dans l'affaire de Caïus Norbanus, dont j'ai déja parlé. Frappé de retrouver un autre Crassus, & non un novice dans la même carriere, il étoit sur le point d'abandonner son ami dans la questure, tant il désespéroit de pouvoir triompher de la force & du pathétique de son jeune rival. Sulpicius, à la grandeur du style, joignoit une voix douce & forte, le geste & le mouvement du corps, plein d'agrémens qui n'empruntoient rien du théatre, & ressentoient toute la noblesse qui convient au barreau. Ses expressions graves & abondantes sembloient couler de source ; c'étoit un don de la nature qui ne devoit rien à l'art.

Les exemples & les succès de ces fameux orateurs attirerent sur leurs pas une foule de rivaux qui briguerent le même titre. Au défaut de la naissance & des richesses qui ne donnent jamais le mérite, on s'efforça de parvenir par les talens de l'esprit. Dans un gouvernement mixte où chacun veut être éclairé, & a intérêt de l'être, l'art de la parole devient un mystere d'état. Les vieillards consommés par l'expérience, se faisoient un devoir d'y former leurs enfans, & de leur frayer par ce moyen la route des honneurs. Ils admettoient même à leurs leçons leurs esclaves, comme fit Caton le censeur, afin que nourris dans des sentimens vertueux, leur mauvais exemple ne corrompît pas leur famille. Les dames, aussi attentives que leurs maris, se faisoient une occupation sérieuse de perpétuer le vrai goût de l'urbanité qui distingua toujours les Romains. Dans les Gracchus, on reconnoissoit la fierté de Cornélie, & la magnificence des Scipions ; dans les filles de Laelius & les petites filles de Crassus, la politesse & la pureté de leurs peres. Vraies enfans de la sagesse, elles soutinrent par leurs paroles comme par leurs sentimens, l'éclat & la gloire de leurs maisons.

Comme on vit que l'art militaire ne suffisoit pas sans l'étude pour parvenir, ceux des plébéiens que leur naissance & leur pauvreté condamnoit à languir dans les honneurs obscurs d'une légion, se jetterent du côté du barreau pour percer la foule & paroître à la tête des affaires. D'un autre côté, les patriciens, par émulation, s'efforçoient de conserver parmi eux un art qui avoit toujours été un des plus puissans instrumens de leur ordre. C'étoit peu pour eux que de combattre des barbares, ils vouloient encore soumettre, par le secours de l'éloquence, des coeurs républicains jaloux de leur liberté. Enfin, jamais siecle ne fut si brillant que le dernier de la république romaine, par le nombre d'orateurs célébres qu'elle produisit. Cependant Calidius, César, Hortensius, mais sur-tout Ciceron, ont laissé bien loin derriere eux leurs dévanciers & leurs contemporains. Développons avec un peu de détail le caractere de leur éloquence.

Marcus Calidius brilla par des pensées nobles, qu'il savoit revêtir de toute la finesse de l'expression. Rien de plus pur ni de plus coulant que son langage. La métaphore étoit son trope favori, & il savoit l'employer si naturellement, qu'il sembloit que tout autre terme auroit été déplacé. Il possédoit au souverain degré l'art d'instruire & de plaire, & n'avoit négligé que l'art de toucher & d'émouvoir les esprits. Il eut tout lieu de reconnoître son erreur dans une cause qu'il plaida contre Ciceron ; je veux dire celle où il accusoit Quintus Gallius de l'avoir voulu empoisonner. Il développa bien toutes les circonstances de ce crime avec ses graces ordinaires, mais avec une froideur & une indolence qui lui fit perdre sa cause. Ciceron triompha de toute l'élégance de son rival par une réplique impétueuse, qui comme une grêle subite, abattit toutes ses fleurs.

Jules-César, né pour donner des lois aux maîtres du monde, puisa à l'école de Rhodes dans les préceptes du célebre Molon, l'art victorieux d'assujettir les coeurs & les esprits. S'il eut peu d'égaux en ce genre, il n'eut jamais de supérieur ; dans sa bouche les choses tragiques, tristes & séveres, se paroient d'enjouement ; & le sérieux du barreau s'embellissoit de l'agrément du théatre, sans cependant affoiblir la gravité de ses matieres, ni fatiguer par ses plaisanteries. Il possédoit au souverain degré toutes les parties de l'art oratoire. Comme il avoit hérité de ses peres la pureté du langage, qu'il avoit encore perfectionnée par une étude sérieuse, ses termes étoient choisis & beaux, sa voix éclatante & sonore, ses gestes nobles & grands. On sentoit dans ses discours le même feu qui l'animoit dans les combats : il joignoit à cette force, à cette vivacité, à cette véhémence, tous les ornemens de l'art, un talent merveilleux à peindre les objets & à les représenter au naturel. Il quitta bien-tôt une carriere où il ne trouvoit personne pour lui disputer le premier rang ; il courut à la tête des légions combattre les Barbares par émulation contre Pompée, qui par goût avoit choisi de moissonner les lauriers de Mars.

Déja un phantôme de gloire éblouissoit les jeunes patriciens, & leur faisoit négliger l'honneur tranquille qu'on acquiert au barreau, pour les entraîner sur les pas des Cyrus & des Alexandres. La fureur des conquêtes les avoit comme enivrés ; ils abandonnoient les affaires civiles pour se livrer aux travaux militaires. C'est ainsi que Publius Crassus, d'un esprit pénétrant soutenu par un grand fonds d'érudition, & lié d'un commerce de lettres avec Ciceron, renonça aux éloges qu'il avoit déja mérités par son éloquence, pour chercher des périls plus grands & plus conformes à son ambition.

A l'âge de dix-neuf ans, Hortensius plaida sa premiere cause en présence de l'orateur Crassus & des consulaires qui s'étoient distingués dans le même genre : il enleva leurs suffrages. Avec un génie vif & élevé, il avoit une ardeur infatigable pour le travail, ce qui lui procura une érudition peu commune qu'une mémoire prodigieuse savoit faire valoir. Les graces de sa déclamation attiroient au barreau les fameux acteurs Esope & Roscius, pour se former sur le modele de celui qu'ils regardoient comme leur maître dans les finesses de leur art. Il mit le premier en usage les divisions & les récapitulations. Ses preuves & ses réfutations étoient semées de fleurs, & plus conformes au goût asiatique qu'au style romain. Sa mémoire lui rappelloit sur le champ toutes ses idées en ordre, & les preuves de ses adversaires. De plus, son extérieur composé, sa voix sonore & agréable, la beauté de son geste, & une propreté recherchée, prévenoit tout le monde en sa faveur. Il paroît cependant que la déclamation faisoit comme le fonds de son mérite & son principal talent ; car ses écrits ne soutenoient pas à la lecture la haute réputation qu'il s'étoit acquise.

Toutes les plus belles causes lui étoient confiées, & il amassa des richesses prodigieuses sans aucun scrupule. Insensible aux sentimens de la probité, il se glissoit dans les testamens & en soutenoit de faux, pour partager les dépouilles du mort. L'esprit de rapine & de somptuosité, vice dominant de ses contemporains, fut sa passion favorite. Ses maisons de plaisance renfermoient des viviers d'une immense étendue. Au goût de la bonne chere il joignit la passion pour les beaux Arts. Comme il acquéroit sans honneur, il dépensoit sans mesure. On trouva dix mille muids de vin dans ses caves après sa mort. Il est vrai que ses grands biens furent bien-tôt dissipés par les débauches de son fils, & ses petits neveux languirent dans une affreuse pauvreté. Auguste, touché du sort d'une famille dont le chef avoit tant fait d'honneur à l'éloquence romaine, fit donner à Marcus Hortensius Hortalus, neveu de cet orateur, dix mille sesterces pour s'établir, & perpétuer la postérité d'un homme si célebre. Tibere, montant sur le trône, oublia totalement les Hortenses ; seulement, pour ne pas déplaire au sénat, il leur distribua une seule fois deux cent sesterces, environ cinq mille gros écus.

Mais l'illustre Hortensia, fille d'Hortensius, fit admirer ses talens : héritiere de l'éloquence de son pere, elle en sut faire usage dans la fureur des guerres civiles. Les triumvirs, épuisés d'argent & pleins de nouveaux projets, avoient imposé une taxe exorbitante sur les dames romaines : elles implorerent en-vain la voix des avocats pour plaider leur cause, aucun ne voulut leur prêter son ministere : la seule Hortensia se chargea de leur défense, & obtint pour elles une remise considérable. Les triumvirs, touchés de son courage & enchantés de la beauté de sa harangue, oublierent leur férocité par admiration pour son éloquence. Hortensius plaida pendant quarante ans, & mourut un peu avant le commencement des guerres civiles entre Pompée & César. Jusqu'à Ciceron personne ne lui avoit disputé le premier rang au barreau ; & quand ce nouvel orateur parut, il mérita toûjours le second avec la réputation d'un des plus beaux déclamateurs de son tems.

La Grece, soumise à la fortune des Romains, se vantoit encore de forcer ses vainqueurs à la reconnoître pour maîtresse de l'éloquence : mais elle vit transporter à Rome ces précieux restes de son ancien lustre, & fut surprise de trouver réuni dans le seul Ciceron toutes les qualités qui avoient immortalisé ses plus fameux orateurs.

Ciceron apporta en naissant les talens les plus propres à prévenir le public, & trouva des hommes tout préparés à les admirer : un génie heureux, une imagination féconde & brillante, une raison solide & lumineuse, des vûes nobles & magnifiques, un amour passionné pour les Sciences, & une ardeur incroyable pour la gloire. La fortune seconda ces heureuses dispositions & lui ouvrit tous les coeurs. L'orateur Crassus se chargea de ses études & cultiva avec soin un génie dont la grandeur devoit égaler celle de l'empire. Ses compagnons, comme par pressentiment de sa gloire future, le reconduisoient en pompe au sortir des écoles jusques chez ses parens, & rendoient un hommage public à sa capacité. Sans se laisser éblouir par ces applaudissemens qui chatouilloient déja son coeur si sensible à la gloire, il se prépara avec un soin infini à paroître sur un théatre plus éclatant & plus digne de son ambition.

Comme il étoit seulement d'une famille ancienne & de rang equestre, il passoit pour un homme nouveau, parce que ses ancêtres contens de leur fortune avoient négligé de venir à Rome y briguer des honneurs. Pour Ciceron il visa aux premieres charges de la république, & se flatta d'y parvenir par la voie de l'éloquence : mais il conçut qu'un parfait orateur ne devoit rien ignorer ; aussi s'appliqua-t-il avec un travail assidu à l'étude du Droit, de la Philosophie & de l'Histoire. Toutes les Sciences étoient de son ressort, & il consultoit avec un soin infatigable tous les maîtres de qui il pouvoit apprendre quelque chose d'utile. Enfin, par une fréquente conversation avec les plus habiles orateurs de son siecle, & par la lecture assidue des ouvrages de ceux qui avoient fait honneur à Athènes, il se forma un style & un genre d'éloquence qui le placerent à la tête du barreau, & le rendirent l'oracle de ses citoyens. On admire en lui la force de Démosthene, l'abondance de Platon, & la douceur d'Isocrate : ce qu'il a recueilli de ces fameux originaux lui devient propre & comme naturel ; ou plutôt la fécondité de son divin génie crée des pensées nouvelles, & prête l'ame à celles des autres.

Le premier adversaire avec lequel il entra en lice fut Hortensius. A l'âge de vingt-sept ans, il plaida contre lui pour Roscius d'Améric, & ce plaidoyer plut infiniment par une foule de pensées brillantes, d'antitheses & d'oppositions. La multitude enchantée admira ce style asiatique, peigné, fardé, & peu digne de la gravité romaine. Ciceron connoissoit bien tout le défaut de ce mauvais goût ; il convient que si son plaidoyer avoit été applaudi, c'étoit moins par la beauté réelle de son discours que par l'espérance qu'il donnoit pour l'avenir. Ce qui est vrai, est qu'il craignit de fronder d'abord l'opinion publique : il lui falloit plus de crédit, plus d'autorité, & plus d'expérience. Desirant d'y parvenir, il quitta Rome pour aller puiser dans les vraies sources les trésors dont il vouloit enrichir sa patrie. Athènes, Rhodes & les plus fameuses villes de l'Asie, l'occuperent tour à tour. Il examina les regles de l'art avec les célebres orateurs de ces cantons, séjour de la véritable éloquence ; & à force de soins, il vint à bout de retrancher cette superfluité excessive de style qui, semblable à un fleuve qui se déborde, ne connoissoit ni bornes ni mesures. Après quelques années d'absence, devenu un nouvel homme, enrichi des précieuses dépouilles de la Grece, il reparut au barreau avec un nouvel éclat, réforma l'éloquence romaine & la porta au plus haut point de perfection où elle pût atteindre : il en embrassa toutes les parties & n'en négligea aucune ; l'élégance naturelle du style simple ; les graces du style tempéré ; la hardiesse & la magnificence du sublime. A ces rares qualités il joignit la pureté du langage, le choix des expressions, l'éclat des métaphores, l'harmonie des périodes, la finesse des pensées, la délicatesse des railleries, la force du raisonnement ; enfin, une véhémence de mouvemens & de figures étonnoit & flattoit également la raison de tous ses auditeurs. Il n'appartenoit qu'à lui de s'insinuer jusqu'au fond de l'ame, & d'y répandre des charmes imperceptibles.

La nature qui se plaît à partager les especes de mérite & de goût les avoit tous réunis en sa personne. Un air gracieux, une voix sonore, des manieres touchantes, une ame grande, une raison élevée, une imagination brillante, riche, féconde, un coeur tendre & noble, lui préparoient les suffrages. A cette solidité qui renfermoit tant de sens & de prudence, il joignoit, dit le pere Rapin, une fleur d'esprit qui lui donnoit l'art d'embellir tout ce qu'il disoit ; & il ne passoit rien par son imagination qui ne prit le tour le plus gracieux, & qui ne se parât des couleurs les plus brillantes. Tout ce qu'il traitoit, jusqu'aux matieres les plus sombres de la Dialectique, les questions les plus abstraites de la Physique, ce que la Jurisprudence a de plus épineux, & ce qu'il y avoit de plus embarrassé dans les affaires, se coloroit dans son discours de cet enjouement d'esprit & de ces graces qui lui étoient si naturelles. Jamais personne n'a eu l'art d'écrire si judicieusement, ni si agréablement en tout genre : il possédoit dans un degré éminent le talent singulier de remuer les passions & d'ébranler les coeurs. Dans les grandes affaires où plusieurs orateurs parloient, on lui laissoit toûjours les endroits pathétiques à traiter ; & il les manioit avec tant de succès, qu'il faisoit quelquefois retentir tout le barreau de larmes & de soupirs.

La fortune comme étonnée de tant de hautes qualités, s'empressa de lui applanir la route des honneurs ; toutes les dignités vinrent au-devant de lui. A-peine sa réputation commença-t-elle à naître, qu'il obtint la questure de Sicile par les suffrages unanimes du peuple. Cette province dévorée par une famine cruelle & par les vexations énormes du préteur, trouva en lui un pere, un ami, un protecteur. Sa vigilance remédia à la stérilité des récoltes, & son éloquence répara les rapines de Verrès. Ces discours où brillent d'un éclat immortel la force de son imagination, la magnificence de son élocution, la justesse de ses raisonnemens, la solidité de ses principes, l'enchaînement de ses preuves, l'étendue de ses connoissances, son savoir prodigieux, & son goût exquis pour les Arts, lui attirerent plus de visites que les richesses & les triomphes n'en procurerent à Crassus & à Pompée, les premiers des Romains. Les étrangers passoient les mers pour admirer un orateur si surprenant ; les Philosophes quittoient leurs écoles pour entendre sa sagesse ; les généraux mendioient ses talens pour maintenir leur autorité & fixer les suffrages de la multitude ; les tribunaux le redemandoient pour développer le cahos des lois ; & par-tout, comme un astre bien faisant, il portoit la lumiere & ramenoit l'ordre & la paix.

On admira dans sa préture sa fermeté romaine pour la défense des lois & de l'équité, & son humanité pour les malheureux. La patrie l'appella à son secours contre les subtilités de Rullus & les violences de Catilina ; & il mérita le premier d'en être appellé le pere. Le sénat, les rostres, les tribunaux, les académies, se laissoient gouverner par les douces influences de son beau génie. Il étoit l'ame des conseils, l'oracle du peuple, la voix de la république ; &, comme s'il eût eu seul l'intelligence & la raison en partage, on ne décidoit ordinairement que par ses lumieres.

Ses malheurs mêmes devenoient ceux de l'état, & son exil fut déploré comme une calamité publique. Les chevaliers, les sénateurs, les orateurs, les tribuns, le peuple prirent des habits de deuil, & regretterent sa perte comme celle d'un dieu tutélaire. Les rois, les villes, les républiques s'intéresserent à son rappel, & célébrerent avec pompe le jour de son retour. Telle fut sa gloire dans Rome & dans l'Italie, au de-là des mers, & aux extrêmités de l'empire. Les villes de son gouvernement enrichies par le commerce, les campagnes couvertes de moissons, les Arts rétablis, les Sciences cultivées, les forêts purgées des bêtes sauvages qui ravageoient les guérets ; les publicains réduits à l'ordre, les usures éteintes, les impôts diminués, la vertu & le mérite estimés, le vice proscrit, firent adorer son regne philosophique digne du tems de Rhée, & lui éleverent des trophées plus glorieux que les triomphes qu'on avoit décernés aux destructeurs du genre humain.

Mais dans le monde il n'est point de vertu que n'attaque l'envie : on a accusé Ciceron d'avoir trop de confiance dans la prospérité, trop d'abattement dans la disgrace. Il convient qu'il étoit timide ; mais il prétend que cette timidité servoit plutôt à lui faire prévoir le danger qu'à l'abattre, quand il étoit arrivé, ce qui nous est confirmé par le courage & la fermeté qu'il fit éclater aux yeux même de ses bourreaux. On ne lui fait pas grace de son amour désordonné pour la gloire ; il n'en disconvient pas, & il explique lui-même quelle sorte de gloire il recherchoit. La vraie gloire, selon lui, ne consiste pas dans la vaine fumée de la faveur populaire, ni dans les applaudissemens d'une aveugle multitude, pour laquelle on ne doit avoir que du mépris ; c'est une grande réputation fondée sur les services qu'on a rendus à ses amis, à sa patrie, au genre humain : l'abondance, les plaisirs & la tranquillité, ne sont pas les fruits qu'on doive s'en promettre, puisqu'on doit au-contraire sacrifier pour elle son repos & sa tranquillité ; mais l'estime & l'approbation de tous les honnêtes gens en est la récompense, & la dette que tous les honnêtes gens ont droit d'exiger.

Par rapport aux louanges qu'il se donnoit à lui-même, & auxquelles il étoit si sensible, c'étoit moins pour sa gloire, dit Quintilien, que pour sa défense : il n'avoit que ses grandes actions à opposer aux calomnies de ses ennemis ; il se servoit pour les faire taire du moyen qu'avoit autrefois employé le grand Scipion ; mais enfin la force fit périr celui qu'elle ne put déranger de ses principes. Une politique peut-être trop timide par la crainte de troubler la tranquillité publique ; un amour ardent pour la liberté qu'il avoit conservée à ses citoyens ; l'extrême ambition de maintenir son autorité, par laquelle il étoit l'ame & le soutien de la république ; une haine irréconciliable contre l'ennemi de sa patrie, creuserent à cet illustre citoyen de Rome, le précipice dans lequel Marc-Antoine méritoit d'être enseveli : Ciceron fut tué à l'âge de 64 ans, victime de ses projets salutaires & de ses services. Rome en proie à la fureur des triumvirs, vit attachées à la tribune aux harangues, des mains qui avoient tant de fois rompu les fers que lui forgeoient les séditieux ; perte d'autant plus déplorable, dit Valere-Maxime, qu'on ne trouve plus de Ciceron pour pleurer une pareille mort.

On dit cependant que le sénat, pendant le consulat de son fils, & par ses mains, brisa toutes les statues de Marc-Antoine, qu'il arracha ses portraits, & défendit qu'aucun de sa famille portât le nom de Marc. On ajoute encore qu'Auguste ayant surpris un traité de Ciceron dans les mains de son petit-fils qui le cachoit sous sa robe dans la crainte de lui déplaire, prit le livre, le parcourut, & le rendit à ce jeune homme, en lui disant ; " c'étoit un grand homme, mon fils, un amateur zélé de la patrie ", .

Quoiqu'il en soit du discours d'Auguste, c'est assez pour nous d'avoir établi que Ciceron mérite d'être regardé comme un des plus grands esprits de la république romaine, & en particulier comme le plus excellent de tous les maîtres d'éloquence, excepté le seul Démosthène ; on sait aussi qu'il en est l'éternel panégyriste & l'éternel imitateur. Je ne m'aviserai point, dit Plutarque, d'entreprendre la comparaison de ces deux grands hommes ; je dirai seulement, que s'il étoit possible que la nature & la fortune entrassent en dispute sur leur sujet, il seroit difficile de juger laquelle des deux les a rendus plus semblables, ou la nature dans leurs moeurs & dans leur génie, ou la fortune dans leurs avantures, & dans tous les accidens de leur vie.

Les écrits, les succès, & l'exemple de Ciceron, sembloient devoir promettre à l'éloquence romaine une durée éternelle ; il en arriva néanmoins tout autrement. En vain donna-t-il les plus excellens préceptes pour fixer le goût, il les donna dans un tems où le barreau ébranlé par l'anarchie du gouvernement, touchoit à sa décrépitude.

Les Romains avoient déja éprouvé les atteintes de l'esclavage ; la liberté en avoit été allarmée par la forge des fers de Sylla. Le corps de la république chanceloit comme un vaste colosse accablé sous le poids de sa grandeur. Les grands attachés à leur seul intérêt, trahissoient le sénat. Le sénat énervé par sa timidité, confioit à des particuliers redoutables, des droits qu'il n'osoit pas leur refuser. Les tribuns s'efforçoient vainement de rétablir leur puissance anéantie. Le peuple vendoit ses suffrages au plus hardi, au plus fort, ou au plus riche. Rome terrible aux barbares, n'avoit plus dans son sein que des citoyens corrompus, avides de la domination suprême, & ennemis de sa liberté. La flatterie, la dépravation des moeurs, la servitude avoient gagné tous les membres de l'état. Enfin la solidité & la magnificence de l'éloquence romaine descendirent dans le même tombeau que Ciceron. Après lui le barreau ne retentit plus que des clameurs des sophistes, qui désespérés de ne pouvoir atteindre un si grand maître, déchirerent une réputation qui ternissoit la leur, & firent tous leurs efforts pour en effacer le souvenir ; c'est ainsi que par leur odieuse critique ils vinrent à bout d'avilir l'éloquence, & de l'éteindre sans retour. Mais développons toutes les causes de ce changement.

1°. Les empereurs eux-mêmes, sans posséder le génie de l'éloquence, étoient jaloux d'obtenir le premier rang parmi les orateurs. Lorsque Tibere apportoit au sénat quelque discours préparé dans son cabinet, on n'y reconnoissoit que les ténébres & les replis tortueux de sa politique. Il découvroit dans ses lettres la même inquiétude que dans le maniement des affaires ; il vouloit que ses paroles fussent comme les mysteres de l'oracle, & que les hommes en devinassent le sens, comme on conjecture la volonté des dieux. Il craignoit de profaner sa dignité & de découvrir sa tyrannie, en se montrant trop à découvert. Il relegua Montanus aux îles Baléares, & fit brûler le discours de Scaurus & les écrits de Crémutius Cordus. Caligula pensa faire périr Sénéque, parce qu'il avoit prononcé en sa présence un plaidoyer qui mérita les applaudissemens du sénat. Sans une de ses maîtresses, qui assura que cet orateur avoit une phthisie qui le meneroit bientôt au tombeau, il alloit le condamner à mort.

2°. Il falloit penser comme eux pour parvenir à la fortune, ou pour la conserver ; parce qu'ils s'étoient reservé de donner le titre d'éloquent à celui des orateurs qu'ils en jugeroient le plus digne, comme autrefois les censeurs nommoient le prince du sénat.

3°. La grandeur de l'éloquence romaine avoit pour fondement la liberté, & s'étoit formée avec l'esprit républicain ; une force de courage & une fermeté héroïque étoit le propre de ces beaux siecles. Tout étoit grand parce qu'on pensoit sans contrainte. Sous les Césars il fallut changer de ton, parce que tout leur étoit suspect & leur portoit ombrage. Crémutius Cordus fut accusé d'avoir loué Brutus dans ses histoires, & d'avoir appellé Cassius le dernier des Romains.

4°. Le mérite sans richesses étoit abandonné : un orateur pauvre n'avoit aucune considération, & restoit sans cause : un plaideur examinoit la magnificence de celui qu'il avoit dessein de choisir pour avocat, la richesse de ses habits, de son train, de ses équipages ; il comptoit le nombre de ses domestiques & de ses clients. Il falloit imposer par des dehors pompeux, & s'annoncer par un fastueux appareil, rara in tenui facundia panno ; c'est ce qui obligeoit les orateurs de surprendre des testamens, ou d'emprunter des habillemens, des bijoux, des équipages pour paroître avec plus d'éclat.

5°. Le bel esprit avoit pris la place d'une noble & solide érudition, & une fausse philosophie avoit succédé à la sage raison. Le style éclatant & sonore des vains déclamateurs, imposoit à une jeunesse oisive, & éblouissoit un peuple entierement livré au goût des spectacles. Il falloit du brillant, du pompeux pour réveiller des hommes affadis par le plaisir & par le luxe. Sénéque plaisoit à ces esprits gâtés à cause de ses défauts, & chacun tâchoit de l'imiter dans la partie qui lui plaisoit davantage : on quittoit, on méprisoit même les anciens, pour ne lire & n'admirer que Sénéque.

6°. Les juges ennuyés d'une profession qui devenoit pour eux un supplice depuis la monarchie, vouloient être divertis comme au théâtre : voilà pourquoi les orateurs romains ne cherchoient plus qu'à amuser, qu'à réjouir par des figures hyperboliques, par des termes ampoulés, par des réparties ingénieuses, & par un déluge de bons mots. Junius Bassus répondit à l'avocat de Domitia qui lui reprochoit d'avoir vendu de vieux souliers : " je ne m'en suis jamais vanté, mais j'ai dit que c'étoit votre coutume d'en acheter ".

7°. Le nom respectable d'orateur étoit perdu ; on les nommoit causidici, advocati, patroni, tant ils étoient tombés dans le mépris. L'éloquence étoit même regardée comme une partie de la servitude. Agricola pour humaniser les peuples de la Grande-Bretagne, leur communiqua les arts & les sciences des Romains, & instruisit leur noblesse dans l'éloquence romaine. Les gens peu habiles, dit Tacite, regardoient cet avilissement de l'éloquence comme des traits d'humanité, pendant que c'étoit une suite de leur esclavage.

8°. Les mêmes chaînes qui accabloient la république, opprimoient aussi le talent de la parole. Avant les dictateurs, l'orateur pouvoit occuper toute une séance, le tems n'étoit pas fixé ; il étoit le maître de sa matiere & parloit sans aucune contrainte. Pompée viola le premier cette liberté du barreau, & mit comme un frein à l'éloquence. Sous les empereurs la servitude devint encore plus dure ; on fixoit le jour, le nombre des avocats, & la maniere de parler. Il falloit attendre la commodité du juge pour plaider : souvent il imposoit silence au milieu d'un plaidoyer, & quelquefois il obligeoit l'orateur de laisser ses preuves par écrit. Enfin pour mieux marquer leur asservissement, on les dépouilla de la toge, & on les revêtit de l'habit des esclaves.

9°. Ainsi l'éloquence abâtardie, privée de ses nobles exercices disparut sans retour. Les grands sujets qui firent triompher Antoine, Crassus, Ciceron, ne subsistoient plus. Le sénat étoit sans autorité, le peuple sans émulation. Le tribun n'osoit plus parler de sa liberté, ni le consul étaler son ambition. On ne louoit plus de héros ni de vainqueur, & on ne présentoit plus à la tribune aux harangues les enfans des grands capitaines ; on n'y discutoit plus ses prétentions ; on ne recommandoit plus des rois malheureux ni des républiques opprimées. Les altercations de quelques vifs plaideurs, & la défense de quelques misérables, étoient les sujets que traitoient ordinairement les orateurs, ils ne plaidoient plus que sur des rapines des chevaliers, des droits de péagers, des testamens, des servitudes, & des gouttieres. Quelle ressource pour l'imagination & pour le génie, que de n'avoir à parler que de vol, d'usurpation, de succession, de partage, de formalités ? Mais de quel feu n'est-on pas animé quand on attaque des guerriers chargés des dépouilles des ennemis vaincus, quand on brigue la souveraine magistrature de son pays, quand on s'éleve contre l'ambition désordonnée d'un corps formidable, quand on souleve un peuple qui commande à l'univers, qu'on réforme les lois, qu'on soutient les alliés ? C'est alors qu'on déploie toutes ses forces, que l'esprit devient créateur, & que l'éloquence prend tout son essor. Un génie sublime ne peut s'étendre qu'à proportion de son objet. Les héros ne se forment pas à l'ombre, ni l'orateur dans la poussiere d'un greffe.

10°. Quels sentimens n'inspiroit point à un orateur, dans le tems que la république subsistoit, la vûe d'un peuple entier qui distribuoit les graces & les honneurs ; d'un sénat qui formoit les conseils, & dirigeoit le plan des conquêtes ; d'une foule de consulaires illustrés par vingt triomphes ; d'une multitude de cliens qui composoient son cortege ; d'une suite nombreuse d'ambassadeurs, de rois, de souverains, d'étrangers qui imploroient sa protection. L'homme le plus froid ne seroit-il point échauffé à la vûe d'un spectacle aussi auguste ? Sous les empereurs quelle solitude dans les tribunaux, & quels gens les composoient ?

Cependant après l'extinction des premiers Césars, sous le regne de Vespasien & celui de Trajan, deux orateurs vinrent encore lutter contre le mauvais goût de leur siecle, & rappeller l'éloquence des anciens ; ce furent Quintilien, & Pline le jeune. Traçons leur caractere en deux mots, & cet article sera fini.

Le premier brilloit par une grande netteté, par un esprit d'ordre, & par l'art singulier d'émouvoir les passions : on le chargeoit pour l'ordinaire du soin d'exposer le fait, quand on distribuoit les différentes parties d'une cause à différens orateurs. On le voyoit souvent en plaidant verser des larmes, changer de visage, pâlir, & donner toutes les marques d'une vive & sincere douleur. Il avoue que c'est à ce talent qu'il doit toute sa réputation. Il étoit comme l'avocat né des souverains ; il eut l'honneur de parler devant la reine Bérénice pour les intérêts de cette princesse même. Non-content d'instruire par son exemple, & de marquer du doigt la route de l'éloquence, il voulut aussi en fixer les principes par ses leçons, & verser dans l'esprit des jeunes patriciens qui aspiroient à la gloire du barreau, & consultoient ses lumieres, le goût solide des anciens maîtres.

Ses institutions, monument éternel de la beauté de son génie, peuvent nous donner une idée de ses talens & de ses moeurs : c'est-là où au défaut de ses pieces que les injures du tems n'ont pas laissé parvenir jusqu'à nous, il nous trace avec une franchise & une modestie qui lui étoit naturelle, le plan de la méthode qu'il suivoit dans ses narrations & ses peroraisons. Cependant il y a tout lieu de soupçonner, que pour obéir à la coutume qu'il avoit trouvée établie, & pour donner quelque chose au goût de son siecle, il employoit des armes brillantes, & ne rejettoit pas toujours les pensées fleuries, les antithèses, & les pointes. Loin de réprouver totalement la déclamation, qui comme chez les Grecs, ruina l'éloquence latine ; il la juge très-utile. Il est vrai qu'il lui prescrit des bornes étroites, & qu'il ne s'y soumet que par condescendance : mais enfin, auroit-il été entendu, s'il eût tenu un langage différent ? Il faut parler la langue de ses auditeurs, & prendre en quelque sorte leur esprit, pour les persuader & les convaincre. Les hommes, soit que ce soit un don de la nature, soit que ce soit un préjugé de l'éducation, n'approuvent ordinairement que ce qu'ils trouvent dans eux-mêmes.

Pline le jeune s'étoit proposé pour modele Démosthènes & Calvus ; il chérissoit une éloquence impétueuse, abondante, étendue, mais égayée par des fleurs autant que la matiere le permettoit ; il vouloit être grave, & non pas chagrin ; il aimoit à frapper avec magnificence ; il n'aimoit pas moins à surprendre la raison par des agrémens étudiés, que de l'accabler par le poids de ses foudres. Les armes brillantes étoient autant de son goût, que celles qui ont de la force : poli, humain, tendre, enjoué, droit, grand, noble, brillant ; son esprit avoit le même caractere que son coeur. Sa composition tenoit comme le milieu entre le siecle de Ciceron, & celui de Séneque ; ensorte qu'il auroit plû dans le premier, comme il plaisoit dans le second. Son plaidoyer pour les peuples de la Bétique, & pour Accia Variola, montre toute la fermeté de son courage, & tout le beau de son génie. Ses conclusions furent modestes, & firent admirer par-là l'équité des premiers siecles.

Mais dans son panégyrique de Trajan, il prodigua trop toutes les fleurs de son esprit, affectant sans cesse des antithèses & des tours recherchés. Les richesses de l'imagination, la pompe des descriptions, y sont étalées sans mesure ; & cette abondance excessive répand sur le tribut de justes louanges, que la reconnoissance exigeoit, le dégoût qu'inspire la flatterie. Quelle beauté dans les éloges que Ciceron fait de Pompée & de César ! Tout le barreau retentit de bruyantes acclamations. Que de fadeur dans le panégyrique de Trajan ! Il choque par l'excès de ses louanges, & fatigue par sa prolixité.

Malgré ces défauts de Pline, qui étoient ceux de son siecle, plus d'une fois cet orateur admirable à plusieurs autres égards, eut la satisfaction de ne pouvoir parvenir qu'avec peine au barreau, tant étoit grande la foule des personnes qui venoient l'entendre plaider. Souvent même il étoit obligé de passer au-travers du tribunal des juges, pour arriver à sa place. A sa suite marchoit une troupe choisie de jeunes avocats de famille, en qui il avoit remarqué des talens ; il se faisoit un plaisir de les produire, & de les couvrir de ses propres lauriers. L'amour de la patrie, un noble désintéressement, une protection déclarée pour la vertu & pour les Sciences, un coeur généreux & magnanime ; ses vertus, ses bienfaits, sa fidélité à ses devoirs, sa bonté pour les peuples, son attachement aux gens de Lettres, le rendirent précieux & aimable à tout le monde. Il étoit l'admiration des Philosophes, & les délices de ses concitoyens. Goûté, estimé, & respecté, il régnoit au barreau en maître, & il commandoit en pere dans les provinces. Il fut le dernier orateur romain, & malgré ses soins & son attention, il n'eut point d'imitateurs. Plus Rome vieillissoit, plus la chûte de l'éloquence étoit sans remede.

Je sais bien qu'après le siecle heureux de Trajan, on vit encore quelques empereurs qui tâcherent de la ranimer par leur voix, & par leur générosité ; mais malheureusement le goût de ces princes étoit mauvais, & leur politique incertaine. Adrien, successeur immédiat de Trajan, n'aimoit que l'extraordinaire & le bizarre : esprit romancier, il couroit après le faux, & après l'hyperbole. Antonin le philosophe, transporté de l'enthousiasme du portique, n'avoit de considération que pour des philosophes & des jurisconsultes, & ne s'attachoit qu'aux Grecs. Enfin, leurs établissemens n'avoient aucune stabilité. Comme un empereur n'héritoit point du diadême, qu'il le tenoit de la fortune, de sa politique, de son argent, & de ses violences, il effaçoit jusqu'aux vestiges des graces de son devancier. Des savans placés à côté du trône sous un regne, se voyoient contraints sous un autre de mendier dans les places les moyens de subsister. Les Sciences chancelantes comme l'état, essuyoient les mêmes revers.

Ainsi dégénéra, & finit avant l'empire l'éloquence romaine : arrachée de son élément, c'est-à-dire, privée de la liberté, & asservie au caprice des grands, elle s'affoiblit tout-d'un-coup ; & après quelques efforts impuissans qui montroient plutôt un véritable épuisement qu'un fonds solide, elle s'ensevelit dans l'oubli ; semblable à un grand fleuve qui s'étend au loin dès sa source, s'avance d'un pas majestueux à l'approche des grandes villes, & va se perdre avec fracas dans l'immense abîme des mers. (D.J.)

ORATEUR, (Hist. mod.) dans le parlement d'Angleterre, c'est dans la chambre des communes le président, le modérateur. Il est élu à la pluralité des voix ; c'est lui qui expose les affaires ; on porte devant lui une masse d'or couronnée.


ORATOIRES. m. (Hist. ecclésiast.) petit édifice, ou partie d'édifice dans une grande maison près de la chambre à coucher, & consacré à la priere en particulier. L'oratoire d'une maison differe de la chapelle, en ce que la chapelle a un autel où l'on célebre les saints mysteres ; au lieu que l'oratoire n'a point un pareil autel ; car quoiqu'il y ait une table en forme d'autel, on n'y célebre point.

On commença à appeller oratoire, les petites chapelles qui étoient jointes aux monasteres, où les moines faisoient leurs prieres, avant qu'ils eussent des églises. Ce mot a passé depuis aux autels, ou chapelles qui étoient dans les maisons particulieres, & même aux chapelles bâties à la campagne qui n'avoient point droit de paroisse.

Dans le vj. & vij. siecle, un oratoire étoit une espece de chapelle placée souvent dans les cimetieres, & qui n'avoit ni baptistaire comme les églises titulaires, ni office public, ni prêtre cardinal. L'évêque y envoyoit un prêtre quand il jugeoit à propos d'y faire célébrer la messe ; cependant quelques oratoires avoient un prêtre cardinal pour y célébrer la messe quand le fondateur le desiroit, ou quand le concours des fideles le demandoit ; c'étoit comme de moindres titres. Enfin, il y avoit déja dans ce tems-là comme à présent des oratoires chez les hermites, & dans les maisons particulieres. Le conciliabule de Constantinople, tenu en 861 par Photius, défend de célébrer la liturgie, & de baptiser dans les oratoires domestiques.

On voit en France beaucoup de bourgs & de villages du nom d'Oroir, Oroair, Ozouer, Orouer, Aurouer, Oradour, qui prennent leur nom & leur origine de quelques oratoires de religieux retirés dans des hermitages de la campagne voisine. (D.J.)

ORATOIRE DES HEBREUX, (Critique sacrée) voyez PROSEUCHE.

ORATOIRE, (Hist. des congrég.) titre d'une congrégation particuliere d'ecclésiastiques, instituée en France par le cardinal de Bérulle, sur le modele de celle de Rome, qui a été établie par Philippe Néri florentin, sous le titre de l'oratoire de sainte Marie en la Vaticelle.

Il y a néanmoins cette différence entre la congrégation des peres de l'oratoire de Rome & celle de France, que la premiere n'a été fondée que pour la seule maison de Rome, sans se charger du gouvernement d'aucune autre maison ; au lieu que celle de France renferme plusieurs maisons qui dépendent d'un chef, lequel prend la qualité de supérieur général, & gouverne avec trois assistans toute cette congrégation.

Le cardinal de Bérulle obtint des lettres patentes de Louis XIII. datées du mois de Décembre 1611, & enregistrées au parlement de Paris, le 4 Décembre 1612, avec cette clause : " à la charge de rapporter dans trois mois le consentement de l'évêque, auquel ils demeureront sujets ".

M. de Bérulle desirant de répandre sa congrégation en France, obtint à cet effet en 1613, une bulle du pape Paul V. en conséquence de laquelle la congrégation de l'oratoire s'étendit en peu de tems en plusieurs villes du royaume.

Ces peres sont différens de tous les ordres religieux ; leur congrégation est la seule où les voeux sont inconnus, & où n'habite point le repentir. C'est une retraite toujours volontaire aux dépens de la maison ; on y jouit de la liberté qui convient à des hommes ; la superstition & les petitesses n'y deshonorent guere la vertu ; leur général demeure en France, idée si convenable à tous les ordres de l'Eglise ; leurs ouvrages méritent généralement des éloges. Enfin, respectables à tous égards, ils deviendroient encore plus utiles au public, si leurs religieux s'appliquoient aux fonctions des colléges, des séminaires, & des hôpitaux. (D.J.)

ORATOIRE, harmonie, (Elocut.) l'harmonie oratoire est l'accord des sons avec les choses signifiées. Elle consiste en deux points : 1°. dans la convenance & le rapport des sons, des syllabes, des mots, avec les objets qu'ils expriment : 2°. dans la convenance du style avec le sujet. La premiere est l'accord des parties de l'expression avec les parties des choses exprimées. La seconde est l'accord du tout avec le tout.

L'harmonie des syllabes, des mots avec les objets qu'ils expriment, se fait par des sons imitatifs. On retrouve ces sons imitatifs dans toutes les langues : c'est ainsi qu'on dit en françois, gronder, murmurer, tonner, siffler, gazouiller, claquer, briller, piquer, lancer, bourdonner, &c. L'imitation musicale saisit d'abord les objets qui font bruit, parce que le son est ce qu'il y a de plus aisé à imiter par le son ; ensuite ceux qui sont en mouvement, parce que les sons marchant à leur maniere, ont pu, par cette maniere, exprimer la marche des objets. Enfin, dans la configuration même & la couleur, qui paroissoient ne point donner prise à l'imitation musicale, l'imagination a trouvé des rapports analogiques avec le grave, l'aigu, la durée, la lenteur, la vîtesse, la douceur, la dureté, la légéreté, la pesanteur, la grandeur, la petitesse, le mouvement, le repos, &c. La joie dilate, la crainte rétrécit, l'espérance souleve, la douleur abat : le bleu est doux, le rouge est vif, le verd est gai ; desorte que, par ce moyen, & à l'aide de l'imagination, qui se prête volontiers en pareil cas, presque toute la nature a pu être imitée plus ou moins, & représentée par les sons. Concluons de là que le premier principe pour l'harmonie est d'employer des mots ou des phrases, qui renferment par leur douceur ou par leur dureté, leur lenteur ou leur vîtesse, l'expression imitative qui peut être dans les sons. Les grands Poëtes & les Orateurs ont toujours suivi cette regle.

Pour sentir tout l'effet de cette harmonie, qu'on suppose les mêmes sons dans des mots qui exprimeroient des objets différens : elle y paroîtra aussi déplacée, que si on s'avisoit de donner au mot siffler la signification de celui de tonner, ou celle d'éclater à celui de soupirer : & ainsi des autres.

De même que tous les objets qui sont liés entr'eux dans l'esprit, le sont par un certain caractere de conformité ou d'opposition qu'il y a dans quelqu'une de leurs faces ; de même aussi les phrases qui représentent la liaison de ces idées, doivent en porter le caractere. Il y a des phrases plus douces, plus légeres, plus harmonieuses, selon la place qu'on leur a donnée, selon la maniere dont on les a ajustées entr'elles. Quelque fine que paroisse cette harmonie, elle produit un charme réel dans la composition, & un écrivain qui a de l'oreille ne la néglige pas. Ciceron y est exact autant que qui que ce soit : Etsi homini nihil est magis optandum, quam prospera, aequabilis perpetuaque fortuna, secundo vitae, sine ullâ offensione, cursu : tamen si mihi tranquilla & placata omnia fuissent, incredibili quâdam & penè divinâ, quâ nunc vestro beneficio fruor, laetitiae voluptate caruissem. Toute cette période est d'une douceur admirable ; nul choc désagréable de consonnes, beaucoup de voyelles, un mouvement paisible & continu que rien n'interrompt, & qui semble aidé & entretenu par tous les sons qui le remplissent.

La seconde espece d'harmonie oratoire est celle du ton général de l'orateur, avec le sujet pris dans sa totalité. L'essentiel est donc de bien connoître le sujet qu'on traite, d'en sentir le caractere & l'étendue ; cela fait, il faut lui donner les pensées, les mots, les tours & les phrases qui lui conviennent. Cours de Belles-Lettres, tome IV. (D.J.)

ORATOIRE, s. m. oratorio, en musique ; c'est une espece de drame en latin ou en langue vulgaire, divisé par scenes, à l'imitation des pieces de théâtre, mais qui roule toujours sur des sujets pris de la religion, & qu'on met en musique pour être exécuté dans quelque église durant le carême, ou en d'autres tems. Cet usage, assez commun en Italie, n'est pas admis en France, où l'on ne trouve pas que la composition de ces pieces soit convenable à la majesté du lieu destiné à leur exécution. (S)


ORATORIENS. m. qui est de la congrégation de l'oratoire. Voyez ORATOIRE, congrégation.


ORAXIMONTAGNE D '(Géogr.) ce sont les plus hautes qui soient au Japon ; elles sont situées dans le royaume d'Achita, le plus septentrional de l'île de Niphon. (D.J.)


ORBES. m. se dit, dans l'Astronomie ancienne, d'un corps ou espace sphérique terminé par deux surfaces, l'une convexe, qui est en-dehors, l'autre concave, qui est en-dedans. Voyez SPHERE.

Les anciens Astronomes regardoient les cieux comme composés de différens orbes très-vastes, de couleur d'azur, & transparens, qui étoient renfermés les uns dans les autres ; ou bien comme un assemblage de grands cercles, au-dedans desquels étoient renfermés les corps des planetes, & dont les rayons s'étendoient depuis le centre de la terre, qu'ils regardoient comme celui du monde, jusqu'à la plus grande distance où la planete pouvoit s'en éloigner. Voyez CIEL.

Le grand orbe, orbis magnus, est celui où l'on suppose que le soleil se meut, ou plutôt dans lequel la terre fait sa révolution annuelle. Voyez ORBITE.

Dans l'Astronomie moderne, l'orbe d'une planete est la même chose que son orbite. Voyez ORBITE.

ORBE, L '(Géog.) riviere de France dans le bas-Languedoc. Elle a sa source au nord de la ville de Lodeve, sur la frontiere de Rouergue, passe à Beziers, & se jette enfin dans le golfe de Lyon, par le Grau de Sérignan. (D.J.)

ORBE, L '(Géog.) riviere de Suisse, selon Scheuchzer. Elle est dans le mont Jura entre la Franche-Comté & le pays de Vaud ; en sortant de sa source, qui est en Suisse, elle entre dans le lac des Rousses, en sort ensuite pour porter ses eaux dans le lac de Joux, qui finalement se perd dans la terre. (D.J.)

ORBE, (Géog.) ancienne ville de Suisse au pays de Vaud, capitale d'un bailliage, dont la souveraineté est partagée entre les cantons de Berne & de Fribourg. Elle est à deux lieues du mont Jura, sur la riviere d'Orbe, à 16 lieues S. O. de Berne, 11 S. O. de Fribourg. Long. 24. 22. lat. 46. 42.

Quelques auteurs croient qu'Orbe étoit la capitale du canton nommé Pagus Urbigenus. Quoiqu'il en soit, cette ville a été florissante sous l'ancienne monarchie des Francs. Les rois de la premiere & de la seconde race y avoient un palais, où ils alloient quelquefois passer le tems. Toute cette ville est de la confession helvétique.

Le bailliage est un des treize du pays Romand, & s'avance vers le midi, jusqu'à 2 petites lieues audessus de Lausanne. Il fait avec celui de Granson 17 à 18 paroisses.

Viret (Pierre), fameux ministre calviniste, naquit dans la ville d'Orbe en 1511. Il fit ses études à Paris, & s'y lia d'une étroite amitié avec Farel. Il mourut à Pau en 1571, après avoir écrit divers ouvrages qui ne sont plus recherchés. (D.J.)


ORBEGAL 'ou L 'ORBEGO, (Géog.) riviere d'Espagne au royaume de Léon. Elle a deux sources dans les montagnes qui sont au couchant septentrional de Léon, & finit par tomber dans le Tage à San-Jago, au-dessous de Zamora.


ORBELUS(Géog. anc.) montagne au nord de la Macédoine, entre l'Axius, au couchant, & le Strymon au levant, à l'O. d'Uscopia. Ptolomée, l. III. c. ix. Hérodote, l. V. c. xvij. & l'abréviateur de Strabon parlent de ces montagnes. Elles sont aujourd'hui pour la plus grande partie dans la Servie. Les rivieres de Morava, de l'Iperitza, & de l'Ietniza y prennent leurs sources. Le nom moderne de l'Orbelus est, selon Lazius, Karopnitze. (D.J.)


ORBICULAIREadj. (Gram.) qui a la figure d'un orbe, d'une sphere.

ORBICULAIRE, en Anat. se dit des parties qui ont quelque rapport avec une figure plus ou moins approchante du cercle.

L'orbiculaire des levres, muscle propre des levres. Voyez nos Pl. d'Anat. & leur explic. Voyez aussi l'article LEVRE.

Ses fibres sont une espece d'anneau autour de la bouche, d'où on l'appelle orbiculaire.

La plûpart des auteurs veulent que ce ne soit qu'un muscle, & qu'il soit du genre des sphincters, quoique le docteur Drake pense que c'est improprement ; en ce qu'il n'est pas dans une action continuelle, comme les sphincters ; mais que son mouvement dépend de la volonté, marque distinctive entre un sphincter & un autre muscle. Voyez SPHINCTER.

Verheyen, au contraire, ne veut pas que ce soit un seul muscle, mais une paire de muscles, dont les fibres se rencontrent, & se joignent aux deux coins de la bouche, agissant chacun séparément, quoiqu'en même tems sur chaque levre.

L'orbiculaire des paupieres ; il vient de l'apophyse montante de l'os maxillaire à côté du grand angle de l'oeil, & environne chaque paupiere par ses fibres circulaires placées les unes à côté des autres.

L'os orbiculaire est le plus petit de tous les os du corps humain, semblable à une graine de laitue ; il est situé entre la tête de l'étrier & la longue jambe de l'enclume.


ORBICULO-CILIAIREen Anatomie, nom d'un ceintre blanc formé par l'union de la choroïde à la cornée, & que M. Winslow appelle ligament ciliaire. Voyez CHOROÏDE & CORNEE.


ORBILLIONSvoyez COURSON.


ORBISvoyez POISSON ROND.

ORBIS EPINEUX, voyez POISSON ARME.

ORBIS, (Littérat. Géog.) les significations de ce mot latin se rapportent toutes à la principale ; savoir, la rondeur. Comme la ligne que les planetes décrivent dans le ciel à notre égard, est circulaire, Cicéron appelle orbis signifer le zodiaque, & orbis astrorum, le mouvement des astres ; de même comme le globe de la terre & de l'eau est supposé une masse approchante de la ronde, les Latins l'ont exprimé par le mot orbis, ou par ceux-ci orbis terrarum. Dans le style géographique & astronomique, l'orbe de la terre, l'orbe du soleil, l'orbe de la lune, expriment le contour, la circonférence de ces corps. Enfin les Géographes qui écrivent en latin, appellent orbis vetus l'hémisphere que nous habitons, tel qu'il a été connu des anciens ; & orbis novus l'hémisphere où est l'Amérique ; nous disons en françois l'ancien-monde, & le nouveau-monde. (D.J.)


ORBITAIRESen Anatomie ; sont des cavités différentes relatives aux orbites. Voyez ORBITES.

Les sinus orbitaires de la dure-mere. Voyez SINUS & DURE-MERE.


ORBITES. f. se dit dans l'Astronomie du chemin d'une planete ou d'une comete, c'est-à-dire de la ligne qu'elle décrit dans les cieux par son mouvement propre. Voyez PLANETE.

L'orbite du Soleil ou plutôt de la Terre, est la courbe que la Terre décrit dans sa révolution annuelle ; on l'appelle ordinairement écliptique. Voyez ÉCLIPTIQUE.

L'orbite de la Terre & celles de toutes les planetes premieres sont des ellipses, dont le soleil occupe le foyer commun : chaque planete se meut dans son ellipse, de maniere que son rayon vecteur, c'est-à-dire le rayon qu'on peut tirer continuellement d'elle au Soleil, décrit des aires ou secteurs proportionnels au tems. Voyez TERRE, SOLEIL, &c.

Les anciens Astronomes supposoient que les planetes se mouvoient dans des orbites circulaires avec une vîtesse uniforme. Copernic lui-même regardoit comme une chose impossible que cela fût autrement : Fieri nequit, dit-il, ut coeleste corpus simplex uno orbe inaequaliter moveatur. Aussi, pour expliquer les inégalités du mouvement des planetes, les anciens étoient obligés d'avoir recours à des épicycles & à des excentriques ; embarras dont Copernic lui-même n'a pas su trop bien se démêler. Voyez éPICYCLE.

On est demeuré constant dans l'opinion que les astres se mouvoient dans des cercles, parce qu'on ne pouvoit s'imaginer que les mouvemens des astres fussent sujets à aucune inégalité réelle.

Mais après Copernic vinrent des astronomes qui, avec autant de génie & un peu plus de physique, ne tarderent pas à changer ces orbes circulaires en orbes elliptiques, & à supposer que les planetes se mouvoient dans ces ellipses avec une vîtesse qui n'étoit pas uniforme.

C'est ce que Kepler a démontré le premier d'après les observations de Tycho-Brahé. Il a fait voir que les mouvemens des planetes n'étoient point exempts d'inégalité réelle ; que la Terre, par exemple, lorsqu'elle est à sa plus petite distance du Soleil, se meut réellement plus vîte que quand elle est à sa plus grande distance de cet astre, & que sa vîtesse apparente est à-peu-près en raison inverse du quarré de sa distance au Soleil, ou, ce qui revient au même, du quarré du diametre apparent du Soleil, d'où il s'ensuit par les principes de la Géométrie, que la planete décrit autour du Soleil des aires proportionnelles aux tems.

Il y a eu deux especes d'ellipses qu'on a fait décrire aux planetes. Les premieres sont celles de Kepler, qui ne sont autre chose que l'ellipse ordinaire ; Sethus Wardus a cru que l'on pourroit y substituer des orbites circulaires, en prenant deux points à égale distance du centre, qui représentassent les foyers. Cette supposition est démentie par les observations ; & il faut avouer que Wardus ne l'a donnée que comme une conjecture. La seconde espece d'ellipse est celle de M. Cassini, dont la propriété consiste en ce que le produit de deux lignes tirées d'un même point de la circonférence aux deux foyers, est toujours la même ; au lieu que dans l'ellipse ordinaire, c'est la somme de ces lignes qui est constante, & non pas le produit.

Comme cette ellipse de M. Cassini ne paroît guere s'accorder avec les observations, il est assez singulier qu'il en ait fait l'orbite des planetes ; & on ne voit point par quelle raison il y a été porté. Cependant, si on veut faire là-dessus quelques conjectures, on peut croire que ce fut parce qu'il imagina que le mouvement des planetes, dans cette ellipse, seroit plus aisé à calculer, que dans l'ellipse ordinaire. Ceci a besoin d'un peu plus d'explication ; on la trouvera au mot ELLIPSE de M. Cassini.

Le demi-diametre de l'orbite terrestre est d'environ 11000 diametres de la Terre, ou de 33 millions de lieues, & le demi-diametre de l'orbite de Saturne est environ dix fois plus grand.

Au reste, les Astronomes ne sont point d'accord sur la grandeur précise du diametre de l'orbite terrestre ; cette grandeur dépend de la parallaxe du Soleil, sur laquelle ils varient beaucoup. Voyez PARALLAXE.

Les orbites des planetes ne sont point toutes dans le plan de l'écliptique, c'est-à-dire dans le même plan que l'orbite de la Terre ; mais elles sont différemment inclinées par rapport à l'écliptique, & entr'elles : néanmoins le plan de chaque orbite a pour commune section avec l'écliptique, une ligne droite qui passe par le Soleil. Voyez NOEUD.

Voici à peu-près la quantité dont les orbites des planetes premieres sont inclinées au plan de l'écliptique : l'orbite de Saturne, de 2 degrés 1/2 ; l'orbite de Jupiter, de 1 degré 20'; celle de Mars, d'environ 2 degrés, celle de Vénus, d'un peu plus de 3 degrés 20 minutes ; celle de Mercure, d'un peu plus de 7 degrés. Voyez SATURNE, MARS, VENUS, &c.

L'orbite des cometes, selon M. Cassini, est une ligne droite ; mais M. Halley a fait voir, d'après la théorie de M. Newton, que c'étoit toujours une parabole, ou au moins une ellipse fort allongée, dont le Soleil occupoit le foyer. En effet, calculant le mouvement d'une comete dans une parabole, ou dans une ellipse fort allongée, au foyer de laquelle soit placé le Soleil, on trouve que ce mouvement répond très-bien aux observations. Voyez COMETE, Chambers. (O)

ORBITES, en Anatomie, sont deux grandes cavités situées aux parties latérales du nez, dans lesquelles les yeux sont placés. Voyez aussi OEIL.

Elles sont de figure pyramidale, & formées par le concours de sept os, dont trois, le coronal, l'os maxillaire & l'os de la pomette les limitent extérieurement ; quatre autres, l'os unguis, le sphénoïde, l'ethmoïde & l'os du palais en achevent le fond. Voyez CORONAL, MAXILLAIRE, &c.

Ces os, par leur rencontre, font voir dans l'orbite différentes cavités, dont les unes sont simples, c'est-à-dire, appartiennent à un os seul, telles que la fente orbitaire supérieure, le trou optique qui est percé dans le sphénoïde, le trou sourcilier ou orbitaire supérieur ; cet enfoncement dans le coronal qui répond à l'angle extérieur, où est placé la glande lacrymale, le trou orbitaire inférieur antérieur, & le postérieur qui sont les orifices d'un canal dans l'os maxillaire, le conduit lacrymal formé par l'union de l'os unguis avec l'apophyse montante de l'os maxillaire, le trou orbitaire interne par l'union du bord supérieur de l'os ethmoïde avec le coronal, la fente spheno-maxillaire ou orbitaire inférieure, par l'union de l'os sphénoïde avec l'os maxillaire, & l'os du palais. Voyez CAVITE, &c.


ORBITELLO(Géog.) ville forte d'Italie en Toscane, dans le Siennois, au milieu d'un étang salé, près de la riviere d'Albengia & de la mer, avec un fort, à 23 lieues S. O. de Sienne, 34 S. O. de Florence. Long. 28. 45. lat. 42. 28.

Cette ville, ou, comme Léandre l'appelle, Castello, n'a été bâtie qu'en 1210. L'empereur s'en rendit maître en 1735, & l'a depuis cédée à l'infant dom Carlos.


ORBONA(Mythol.) déesse qui étoit invoquée chez les Romains par les peres & meres, pour garantir leurs enfans de sa colere, ne inciderent in orbitatem, du verbe orbare, priver de la vie. D'autres disent que cette déesse étoit la protectrice des orphelins, appellés en latin orbi, ou orbati parentibus. Quoiqu'il en soit, elle avoit un autel à Rome, près du temple des Lares. (D.J.)

ORCA, (Hist. nat.) nom d'une pierre dont parle Pline, mêlée de noir, de jaune, de blanc & de verd. Voyez Plinii hist. nat. lib. XXXVII. cap. x.

ORCA, s. f. (Hist. anc.) vase de terre à deux anses, où l'on faisoit saler le lard, & où l'on gardoit des figues, du vin. L'orca étoit plus grande que l'amphora, mais on ignore de combien. Orca étoit encore le cornet à jouer aux dez.

ORCA, voyez éPAULARD.


ORBONNAS. f. (Myth.) déesse qui veilloit à ce que les enfans ne fussent point enlevés.


ORCADES LES(Géog.) îles au nord de l'île d'Albion, pour parler comme les anciens, & pour m'exprimer avec les géographes modernes, au nord de l'Ecosse. Pomponius Mela, liv. III. ch. vj. & Pline, liv. IV. ch. xvj. s'accordent à dire qu'elles ne sont séparées que par de petits détroits ; mais ils ne s'accordent pas pour le nombre. Mela en compte trente, Pline quarante, & les modernes n'en mettent au plus que vingt-huit. Les Anglois les nomment les îles d'Orknay. Leur situation est au 22 degré 11 minutes de longitude, & à 59 degrés 2'. de latitude.

Elles sont séparées de l'Ecosse par un détroit nommé Pentland-firth, qui a 24 milles de longueur, 12 milles en largeur, & est plein de gouffres fort dangereux.

Les habitans de ces îles sont généralement vigoureux, robustes & bien faits. Leur commerce consiste en poissons, en boeufs, porc salé, beurre, cuirs, peaux, étoffes, sel, laine, jambons, grains germés, &c.

Il y a eu autrefois des rois des Orcades ; mais leur regne finit quand les rois d'Ecosse s'emparerent de ces îles, après avoir subjugué les Pictes ; ensuite elles passerent entre les mains des Danois & des Norwégiens, mais elles furent reprises par les Ecossois.

Les arbres n'y croissent que fort bas, & leur fruit vient rarement en maturité. En général l'hiver y est plus sujet à la pluie qu'à la neige, & elle y tombe quelquefois, non par gouttes, mais par des torrens d'eau, comme si des nuages entiers tomboient du ciel à-la-fois. Dans le mois de Juin 1680, après de grands coups de tonnerre, il tomba du ciel des morceaux de glace d'un pié d'épais, suivant la relation de ces îles par le docteur Wallace.

Apparemment que dans ce pays-là, si l'atmotsphere est assez chaude près de la terre, elle est cependant excessivement froide dans la région supérieure ; desorte qu'elle change en glace quelques-uns de ces torrens d'eau dans le tems qu'ils tombent, & forme ces glaçons d'une grosseur incroyable.

ORCADES Pierres des, orcadum lapilli, (Hist. nat.) nom donné par Luidius à des pierres cylindriques, ou eutrochites, lisses, pleines de noeuds, d'une couleur blanchâtre, qui se trouvent en Angleterre, dans le Flintshire. Voyez Luid. Garophil. n°. 1154. On les nomme aussi kerrigysktor, suiv. Klein, Nomenclator litologicus.


ORCANETTES. f. (Botan.) espece de buglose, qui est nommée anchusa monspelliana, par J. B. 3. 583. Raii hist. 496. anchusa puniceis floribus, C. B. P. 255. Boerh. J. A. 189. anchusa minor, purpurea, Park. theat. 517. buglossum perenne minus, puniceis floribus, hist. oxon. 3. 438. buglossum radice rubrâ, sive anchusa vulgatior. Tournef. élem. Botan. 110.

Cette plante pousse à la hauteur d'environ un pié, plusieurs tiges qui se courbent vers la terre. Ses feuilles sont semblables à celles de la buglose sauvage, longues, garnies de poils rudes. Ses fleurs naissent aux sommités des branches ; elles sont faites en entonnoir à pavillon découpé, de couleur purpurine. Quand cette fleur est passée, il paroît à sa place dans le calice qui s'élargit, quatre semences qui ont la figure d'une tête de vipere, de couleur cendrée. La racine est grosse comme le pouce, rouge en son écorce, blanchâtre vers le coeur.

Cette plante croît dans le Languedoc, en Provence, aux lieux sablonneux, & fleurit en Mai. On fait sécher sa racine au soleil, & on l'envoie aux droguistes, qui la débitent. Elle sert en Pharmacie à donner une teinture rouge aux médicamens qu'on veut déguiser, à l'onguent rosat, à des pommades, à de la cire & à de l'huile étant infusée dedans ; mais elle est sur-tout d'un grand usage en teinture. Galien nous apprend que les anciens en faisoient un fard. (D.J.)

ORCANETTE, (Pharmacie) la racine de cette plante contient une partie colorante rouge, soluble par les huiles. Les apothicaires l'emploient souvent pour colorer des onguens & des huiles. Voyez COLORATION. (b)

ORCANETTE, (Teint.) c'est la racine de la plante de même nom, qui est employée par les Teinturiers pour teindre en rouge. La bonne orcanette de France doit être nouvelle, souple quoique seche, d'un rouge foncé en-dessus, blanche en-dedans, avec une petite tête de couleur bleue. Cette racine étant mouillée ou seche, doit teindre d'un beau vermeil, en la frottant sur l'ongle ou sur la main. Elle donne une couleur rouge aux cires, à certaines huiles & à quelques graisses ; mais sa teinture ne provient que du rouge dont cette racine est couverte sur l'écorce.

On apporte du Levant en Europe l'orcanette de Constantinople. Cette orcanette du Levant est aussi une racine assez souvent grosse comme le bras, & longue à proportion. Elle ne paroît à la vue qu'un amas de feuilles assez larges, roulées & tortillées à la maniere du tabac ; au haut il y a une espece de moisissure blanche & bleuâtre, qui est comme la fleur. Cette racine est mêlée de différentes couleurs, dont les principales sont le rouge & le violet ; dans le milieu il y a une espece de moëlle couverte d'une écorce très-mince, rouge par-dessus, & blanche en-dedans. Il y a grande apparence que tout cela est artificiel. Cette sorte d'orcanette est celle qui doit être défendue aux teinturiers du grand & du petit teint, parce qu'elle fait un rouge brun tirant sur le tanné, qui est une très mauvaise couleur, & peu assurée. (D.J.)


ORCAORYCI(Géog. anc.) peuples de l'Asie mineure. Ils étoient selon Strabon, liv. XII. auprès de Pessinonte, aux confins des Tectosages, & de la grande Phrygie.


ORCELIS(Géog. anc.) nom 1°. d'une ancienne ville de Thrace ; 2°. d'une ancienne ville de l'Espagne tarragonoise chez les Bastitains dans les terres : on croit que cette derniere Orcelis est présentement Origuela.


ORCHÉSOGRAPHES. f. (Gramm.) traité de la danse, ou art d'en noter les pas, comme ceux de la danse. Thoinet Arbeau, chanoine de Langres, a donné le premier l'idée de la maniere d'écrire la danse ; d'autres lui ont succédé & ont perfectionné ce qu'il avoit imaginé. Le traité d'Arbeau a été imprimé à Langres en 1588.


ORCHESTIQUEL '(Art gymnast.) C'étoit un des deux genres qui composoient les exercices en usage dans les gymnases des anciens. L'autre genre d'exercices étoit la palestrique, voyez PALESTRIQUE.

Le genre orchestique avoit trois especes : 1°. la danse ; 2°. la cubistique, ou l'art de faire des culbutes ; 3°. la sphéristique, ou la paume qui comprenoit tous les exercices où l'on se servoit d'une balle. Voyez DANSE, CUBISTIQUE, SPHERISTIQUE.


ORCHESTRES. m. (Archit.) quoique ce terme soit dérivé du grec orcheomai, qui signifie sauter, danser, c'est ce lieu où l'on place la symphonie dans les salles de spectacle, qui est un retranchement au-devant du théâtre. Chez les Grecs, l'orchestre étoit le lieu le plus bas du théâtre ; sa forme étoit celle d'un demi-cercle enfermé au milieu, entouré de degrés, & destiné à y danser les ballets. Voyez ORCHESTRE, théâtre des anciens.

ORCHESTRE, s. f. ou ORQUESTRE, (Théât. des anc.) partie du théâtre destinée aux acteurs chez les Grecs, au lieu que c'étoit chez les Romains la place des sénateurs & des vestales.

Mais quoique l'orchestre eût des usages différens chez les deux nations, la forme en étoit à peu-près la même on général. Comme elle étoit située entre les deux autres parties du théâtre, dont l'une étoit circulaire & l'autre quarrée, elle tenoit de la forme de l'une & de l'autre, & occupoit tout l'espace qui étoit entr'elles ; sa grandeur varioit par conséquent suivant l'étendue des théâtres ; mais sa largeur étoit toujours double de sa longueur, à cause de sa forme, & cette largeur étoit précisément le demi-diametre de tout l'édifice.

Enfin c'étoit la partie la plus basse du théâtre, & l'on y entroit de plain-pié par les passages qui étoient sous les degrés, & qui répondoient aux portiques de l'enceinte. Son terrein alloit un peu en talus chez les Romains, afin que tous ceux qui étoient assis, pussent voir le spectacle les uns par-dessus les autres ; mais chez les Grecs elle étoit de niveau, & avoit un plancher de bois pour donner du ressort aux danseurs ; & comme ils avoient de deux sortes de danses qui s'exécutoient en différens endroits de ce département ; savoir celles des mimes & celles des choeurs, & que d'ailleurs les musiciens & les joueurs d'instrumens y avoient aussi leurs places marquées, cette seconde partie de leur théâtre se subdivisoit en trois autres parties, dont la premiere & la plus considérable s'appelloit particulierement l'orchestre, dérivé du mot grec , danse. C'étoit la partie affectée aux mimes, aux danseurs, & à tous les acteurs subalternes qui jouoient dans les entr'actes, & à la fin de la représentation.

La seconde s'appelloit , parce qu'elle étoit quarrée, & faite en forme d'autel : c'étoit le poste ordinaire des choeurs, & l'endroit où ils venoient exécuter leurs danses.

Enfin la troisieme étoit le lieu où les Grecs plaçoient leur symphonie, & ils l'appelloient , parce qu'il étoit au pié du théâtre principal, qu'ils nommoient en général la scène : je dis en général ; car il ne faut pas s'imaginer que l' fût au pié de la scène proprement dite, c'est-à-dire, de l'endroit où étoient placées les décorations. Les instrumens auroient été-là trop reculés des danseurs, & hors de la portée des spectateurs ; au lieu qu'en les plaçant au pié du , sur le plan même de l'orchestre & aux deux côtés du , ils étoient justement au centre du théâtre, & également à la portée des mimes, des choeurs & des acteurs.

L'orchestre des Grecs étoit plus grande que celle des Romains de toute l'étendue du & de l' ; mais en récompense ces deux parties se prenoient sur la largeur de leur scène, & n'en étoient, à proprement parler, qu'un retranchement : ainsi, leur étoit plus étroit que celui des Romains ; & la raison en est bien naturelle. Il n'y avoit à Athènes que les acteurs de la piece qui montassent sur le théâtre, tous les autres représentoient dans l'orchestre. Chez les Romains au contraire, l'orchestre étoit occupée par les sénateurs, & tous les acteurs jouoient sur le même théâtre ; il étoit donc nécessaire que leur proscenium fût plus large que celui des Grecs : il falloit aussi qu'il fût plus bas ; car s'il eût été élevé de dix piés comme à Athènes, les sénateurs qui étoient assis dans l'orchestre, auroient eu de la peine à voir le spectacle. Mais ce n'étoit pas encore assez qu'ils en eussent réduit la hauteur à cinq piés, s'ils n'eussent laissé quelque espace entre le proscenium & l'orchestre ; c'est pourquoi ils la bornerent à quelque distance de la scène par un petit mur qui en faisoit la séparation, & qui n'avoit qu'un pié & demi de haut. Ce petit mur étoit orné d'espace en espace de petites colonnes de trois piés, & c'est ce que les Latins appelloient podium. On ne sait pas au juste à quelle distance il étoit du proscenium ; mais il est certain qu'il y avoit encore entre ce mur & les premiers rangs de l'orchestre un autre espace vuide, où les magistrats plaçoient leurs chaires curules & les autres marques de leurs dignités.

Ce fut du tems de Scipion l'Afriquain, que les sénateurs commencerent à être séparés du peuple dans l'orchestre ; l'empereur mit ensuite son trône dans le podium ; les vestales, les tribuns, & l'édile qui faisoit les frais du spectacle, furent aussi placés dans l'orchestre : de-là vient que Juvenal dit, orchestram & populum, pour distinguer les patriciens d'avec la populace.

L'orchestre, parmi nous, ne ressemble en rien à celui des Grecs & des Romains ; ce n'est autre chose qu'un petit & chétif retranchement fait au-devant du théâtre, & dans lequel on place la symphonie. (D.J.)


ORCHIES(Géog.) ville de France dans la Flandre françoise, chef-lieu d'une châtellenie de même nom entre Tournai & Douai, à 4 lieues de Lille. Ses revenus sont si peu de chose, qu'elle a bien de la peine à payer 18 mille livres qu'elle doit pour son contingent du don gratuit que la province fait au roi. Long. 20. 55. lat. 50. 28.


ORCHIou SATYRION, s. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur polypétale, anomale, & composée de six pétales inégaux, dont il y en a cinq qui occupent la partie supérieure de la fleur, & qui sont disposés de façon qu'ils ont en quelque sorte la figure d'un casque. Le pétale inférieur est profondement découpé, & garni d'une espece de tête & de queue. Il a la figure d'un homme nud, d'un papillon, d'une abeille, d'un pigeon, d'un singe, d'un lesard, d'un perroquet ou d'une mouche, &c. Le calice devient dans la suite un fruit en forme de vessie, qui a trois ouvertures fermées chacune par un panneau. Ce fruit renferme des semences très-menues comme de la sciure de bois. Ajoutez aux caracteres de ce genre, que les racines sont charnues, fibreuses, arrondies, & semblables à des tubercules, ou applaties, & découpées en main ouverte. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Tournefort ne compte pas moins de 85 especes de ce genre de plante ; & il faut convenir qu'avant lui, les Botanistes, si on en excepte Ray, avoient jetté beaucoup de confusion sur toute leur histoire, & par leurs fausses descriptions, & par leurs figures.

Entre le grand nombre d'especes d'orchis qui naissent dans les prés, dans les forêts, sur les collines & les montagnes, aux lieux ombrageux ou exposés au soleil, secs ou humides, & qui fleurissent en différens tems, on emploie d'ordinaire, pour l'usage de la Médecine, les especes à racines bulbeuses, & particulierement la commune mâle, à feuilles étroites, & celle qui est à larges feuilles.

L'orchis commune mâle, à feuilles étroites, est celle que Tournefort nomme orchis morio mas, foliis maculatis, I. R. H. 432. Sa racine est composée de deux tubercules presque ronds, charnus, gros comme des noix muscades, dont l'un est plein & dur, l'autre est ridé & fongueux, accompagné de grosses fibres. Elle pousse d'abord six ou sept feuilles, & quelquefois davantage, longues, médiocrement larges, lisses, semblables à celles du lis, mais plus petites, ordinairement marquées en-dessus de quelques taches d'un rouge brun, & quelquefois sans taches. Sa tige est haute d'environ un pié, ronde, striée, embrassée par une ou deux feuilles ; elle porte en sa sommité un long épi de fleurs agréables à la vue, purpurines, nombreuses, un peu odorantes, blanchâtres vers le centre, & parsemées de quelques points d'un pourpre foncé.

Chaque fleur est composée de six pétales inégaux, dont les cinq supérieurs forment, en se courbant, une sorte de coëffe. Elle commence par une maniere de tête ou de casque, & finit par une pointe aiguë comme un éperon. Les fleurs sont plus ou moins serrées dans l'épi. Quand la fleur est passée, le calice devient un fruit semblable à une lanterne à trois côtés, qui contient des semences aussi fines que de la sciure de bois.

Cette plante fleurit vers la fin de Mai : on la trouve fréquemment dans les prés & les broussailles. M. Vaillant, après avoir observé que quelquefois ses feuilles se couchent à terre, ajoute qu'il a compté jusqu'à quarante-trois fleurs sur un pié.

L'orchis ou satyrion à larges feuilles, orchis militaris major, I. R. H. 432. a la racine composée comme l'espece précédente, de deux bulbes, ou tubercules charnus, en forme de grosses olives. Elle pousse une tige à la hauteur de près d'une coudée, chargée en sa sommité d'un épi long, pyramidal, plus ou moins serré : il porte des fleurs amples, belles à la vue, blanchâtres en dedans, pointillées de taches purpurines, plus rouges en-dehors, d'une odeur forte & désagréable, lesquelles représentent comme un homme armé, ou un soldat couvert d'un casque, sans mains & sans piés. Ses feuilles sont très-amples, longues & larges tout-ensemble, & sortent de terre, comme la plûpart des orchis, dès le mois de Novembre.

Cette orchis fleurit en Mai. Ses fleurs ont une odeur de bouc insupportable, & varient beaucoup pour la couleur. On lui trouve, de même qu'aux autres especes d'orchis bulbeux, une bulbe flasque, & l'autre pleine. C'est que tous les ans la bulbe de l'année précédente se flétrit, & qu'il en renaît une nouvelle à la place.

Jean Bauhin observe sur les orchis bulbeux qu'il faut prendre pour l'usage qu'on en veut faire, non les deux bulbes, mais la plus dure, la plus pleine, & celle qui a le plus de suc. Toutes les especes d'orchis contiennent beaucoup d'huile & de sel volatil. On en fait sécher les racines pour l'usage ; mais entre les préparations différentes de racines ou bulbes d'orchis, il nous paroît que la meilleure est celle qui est décrite par M. Geoffroy dans les mém. de l'acad. des Scienc. année 1740.

Il faut prendre les bulbes d'orchis les mieux nourries, leur ôter la peau, les jetter dans l'eau froide ; après qu'elles y ont séjourné quelques heures, on doit les cuire dans une suffisante quantité d'eau, & les faire égoutter : ensuite on les enfilera pour les faire sécher à l'air, choisissant pour cette préparation un tems sec & chaud. Elles deviennent ainsi transparentes, très-dures, & ressemblent à des morceaux de gomme adragant. On les peut conserver saines tant qu'on voudra, pourvu qu'on les tienne dans un lieu sec ; au lieu que les racines qu'on a fait sécher sans cette préparation, s'humectent & moisissent pour peu que le tems soit pluvieux pendant plusieurs jours.

Les bulbes d'orchis ainsi préparées, se mettent en poudre aussi fine que l'on veut : on en prend depuis un scrupule jusqu'à une drachme, qu'on humecte peu-à-peu d'eau bouillante ; la poudre s'y fond entierement, & forme un mucilage qu'on peut étendre par ébullition dans une chopine ou trois demi-setiers d'eau : l'on est le maître de rendre cette boisson agréable, en y ajoutant du sucre & de légers parfums. Cette poudre peut aussi s'allier au lait, qu'on conseille ordinairement aux malades attaqués de la poitrine. C'est un remede très-adoucissant, propre à réprimer l'âcreté de la lymphe, & convenable dans la phthysie, & dans les dyssenteries bilieuses. (D.J.)


ORCHITES(Hist. nat.) nom donné par les Naturalistes à une pierre qui en renferme une autre qui a la forme d'un testicule. Elle se nomme aussi énorchites & triorchites. Diorchites est celle qui renferme deux pierres de cette forme ; triorchites, celle qui en renferme trois. Voyez Klein, nomenclator litologicus.


ORCHOMENE(Géog. anc.) ancienne ville de Grece en Béotie, une des plus belles & des plus agréables de cette province. Elle porta d'abord le nom de Minyée, comme Pausanias nous l'apprend, & comme Pline nous le confirme, liv. IV. ch. viij. en ces mots, Orchomenus Minyaeus antea dictus.

Orchomenus étoit située au couchant du lac Copaïde, à l'embouchure d'une riviere dans laquelle tomboit l'Hippocrene, si fameuse dans les écrits des poëtes. C'est encore à Orchomene qu'étoit la fontaine Acidalie, où les Graces venoient se baigner. C'est à Orchomene que les trois déesses avoient un temple, qui passoit pour un des plus anciens de toute la Grece ; enfin, c'est à Orchomene que Sylla, général de l'armée romaine contre Mithridate, sut par un trait mâle & délicat, rassurer le courage de ses troupes qui l'abandonnoient. Il s'arrêta seul, & leur dit : " Enfans, au moins de retour chez vous, quand on vous demandera où vous avez laissé votre général, n'oubliez pas de dire que c'est à Orchomene ". Il arrêta par ce peu de mots les fuyards, & gagna la bataille.

Il ne faut pas confondre l'Orchomene de Béotie avec l'Orchomene d'Arcadie. Homere, avant Pausanias, les a très-bien distinguées. Il caracterise cette derniere dans l'Iliade, B. v. 606. par l'épithete de riche en troupeaux. Cette Orchomene d'Arcadie, que Pline, liv. IV. ch. vj. appelle Orchomenum, étoit auprès de Phénée, le lac de Phénée entre deux, à l'orient du fleuve Ladon. (D.J.)


ORCHOMÉNOS(Géog. anc.) riviere de Grece dans la Béotie, auprès du temple de Trophonius, qui, comme on sait, étoit dans le voisinage de Lébadie. Pline, liv. XXXI. ch. ij. parlant de cette riviere, dit qu'elle a deux sources, dont l'une donnoit de la mémoire, & l'autre procuroit l'oubli de toute chose. Il ne falloit pas s'y méprendre, quand on alloit y puiser de l'eau pour en boire.


ORCO(Géog.) riviere d'Italie en Piémont. Elle a sa source dans les montagnes, au midi du duché d'Aouste, & va tomber dans le Pô, au-dessus & auprès de Chivas.


ORCOMENO(Géog.) bourg de Grece en Livadie, au pays Atramelipa, à 5 lieues de la ville de Livadie. Il appartient aux Turcs. C'est l'ancienne Orchomene de Béotie, dont Homere, Pindare, Pausanias, Thucydide & Pline ont tant parlé, mais qui ne conserve que le seul nom de sa gloire passée, & le triste honneur d'être le débris d'une des plus anciennes villes du monde.


ORCOMOSION(Géog. anc.) lieu de l'Attique, ou territoire d'Athènes ; c'est-là que fut jurée la paix entre les Amazones & Thésée. Le verbe grec , veut dire jurer une paix, une alliance, & , signifie le serment prêté en pareilles occasions.


ORCUSS. m. (Mythol.) dieu des enfers, que les poëtes prennent assez souvent pour l'enfer même. C'est ainsi que dans Virgile, Géorg. IV. Caron est appellé portitor orci, le nocher des enfers. Orcus avoit un temple à Rome, dans le dixieme quartier de la ville, sous le nom d'orcus quietatis, le dieu qui donne le repos à tout le monde. Les cyclopes firent présent à Pluton d'un casque qui le rendoit invisible ; c'est ce célebre casque que les Latins nommerent orci galea.


ORDA(Hist. des Tartares) on écrit orde ou horde, terme d'usage chez les Tartares. Ce terme désigne une tribu de leur nation, qui est assemblée pour aller contre les ennemis, ou pour d'autres raisons particulieres. Chaque tribu a son chef particulier, qu'on nomme mursa. Voyez MURSA. (D.J.)


ORDALIEordalium, (Jurisprud.) étoit un terme générique, par lequel on désignoit les différentes épreuves du feu, du fer chaud, de l'eau bouillante, ou froide, du duel, & auxquelles on avoit autrefois recours dans l'espérance de découvrir par ce moyen la vérité. Ce terme venoit, selon plusieurs auteurs, du mot saxon ordela, lequel étoit composé de ord, qui signifie grand, & duel ou dele, qui signifie jugement : ainsi, selon cette étymologie, ordela & ordalie vouloient dire grand jugement, & par-là on vouloit désigner le jugement de Dieu, ou la purgation vulgaire.

Ne pourroit-on point aussi dire que ordela & ordalium venoient de ordeum, qui signifie orge, & que l'on appella d'abord ordalie, la purgation vulgaire qui se faisoit par le moyen d'un morceau de pain d'orge que l'on faisoit manger à l'accusé, dans la persuasion où l'on étoit que s'il étoit coupable, ce morceau de pain l'étrangleroit ? & il se peut bien faire que dans la suite l'on appella ordalie, toute autre purgation vulgaire qui étoit faite à l'instar de celle du pain d'orge.

C'étoit sur-tout en Angleterre que l'on se servoit du terme d'ordalie. Emme, mere de S. Edouard le confesseur, accusée d'une trop grande familiarité avec l'évêque de Lancastre, demanda l'ordalie du fer chaud ; & elle passa nuds piés, les yeux bandés, sur neuf socs de charrue tous rouges sans se brûler.

Ces ordalies se pratiquoient aussi en Allemagne & en France. Yves de Chartres, dans une épître à Hidelbert, évêque du Mans, parlant des épreuves appellées ordalies, qui se faisoient par l'eau ou par le feu, ou en champ clos, dit que cette maniere de défendre l'innocence, est innocentiam perdere.

Outre les ordalies dont on vient de parler, il y en avoit encore plusieurs autres ; telles que celles du potage judiciel, du fromage beni, de la croix verte, celle des dez posés sur des reliques, dans une enveloppe de laine. Voyez le Glossaire de Ducange, au mot Ordela. Voyez aussi CHAMP CLOS, DUEL, éPREUVE & PURGATION VULGAIRE.


ORDESUSPORTUS, ou ORDESSUS PORTUS, (Géog. anc.) port de la Sarmatie en Europe, sur l'Axiare. Arrien, liv. III. chap. v. nomme ce port Odessus. (D.J.)


ORDINAIREadj. ce qui arrive fréquemment : on dit le train ordinaire de la vie, c'est un événement ordinaire, c'est sa maniere d'agir ordinaire, &c.

ORDINAIRE, (Jurisprud.) ce terme a dans cette matiere plusieurs significations différentes.

On appelle juges ordinaires ceux qui servent toute l'année, à la différence de ceux qui ne servent pas toute l'année. Il y a des conseillers d'état ordinaires, & d'autres semestres. Il y a des cours qui sont ordinaires, comme le parlement de Paris, d'autres qui sont semestres, comme la chambre des comptes, la cour des monnoies.

On entend aussi par juge ordinaire le juge propre & naturel de chacun, à la différence des juges d'attribution & de privilege qui sont des juges extraordinaires.

Un procès ordinaire est un procès civil : on reçoit les parties en procès ordinaire quand on civilise l'affaire, sauf à reprendre la voie extraordinaire s'il y échet, c'est-à-dire la voie criminelle.

Suivant l'ancien style du parlement, toutes les causes qui étoient au rôle des provinces sont à l'ordinaire, c'est-à-dire aux audiences ordinaires, au-lieu que celles qui se poursuivoient sur placets sont à l'extraordinaire, c'est-à-dire à des jours autres que ceux des rôles des provinces, c'est pourquoi les procureurs au parlement cotent encore les dossiers de ces sortes de causes de ce titre extraordinaire.

Les maîtres des requêtes & le tribunal des requêtes de l'hôtel jugent à l'ordinaire, étant souverains à l'ordinaire. Ils rendent des sentences au nombre de trois juges ; au souverain ils rendent au nombre de sept des arrêts sur les matieres qui sont de leur jurisdiction au souverain. Voyez REQUETES DE L'HOSTEL.

On appelle frais ordinaires de criées, les procédures qui se font pour l'instruction du decret & la sureté de la vente, lesquels sont dûs par l'adjudicataire outre le prix de l'adjudication : les frais extraordinaires sont ceux que l'on fait pour faire juger les oppositions formées au decret ; ceux-ci se prennent par préférence sur le prix de la chose vendue.

A Paris la question ordinaire est de six pots d'eau que l'on fait boire au patient suspendu sur le petit treteau ; la question extraordinaire est de six autres pots avec le grand treteau. Voyez QUESTION & TORTURE. (A)

ORDINAIRE, (Jurisprud. canon.) est l'archevêque, évêque, ou autre prélat qui a la jurisdiction ecclésiastique dans un territoire, proprius pastor, seu judex proprius.

On entend aussi par collateur ordinaire tout bénéficier auquel appartient naturellement & de droit la collation d'un bénéfice.

Le pape renvoie aux collateurs ordinaires, c'est-à-dire aux évêques, l'examen de ceux qu'il pourvoit de cures.

C'est à l'ordinaire à donner le visa des provisions qui ne sont point en forme gracieuse.

Depuis que dans le concile de Latran le pape s'est attribué la collation des bénéfices par prévention sur tous les collateurs ordinaires, on le qualifie ordinaire des ordinaires, & c'est en cette qualité que par le concordat il s'est réservé ce droit de prévention sur les collateurs ordinaires.

Les ordinaires qui ne sont pas évêques ne peuvent pas décerner des monitoires ; pour en obtenir il faut s'adresser au pape, & cette expédition s'appelle in forma significavit : l'exécution de ces monitoires est ordinairement adressée aux évêques voisins ou à leurs officiaux.

Il y a des chapitres & abbayes qui ont des exemptions de l'ordinaire. Voyez EXEMPTION. Voyez aussi ALTERNATIVE, COLLATION, JURISDICTION ECCLESIASTIQUE, MOIS APOSTOLIQUE, OBEDIENCE, VISA. (A)

ORDINAIRES, s. m. (Hist. anc.) c'étoit autrefois le nom d'une sorte de gladiateurs qui devoient donner des combats à certains jours marqués. Voyez GLADIATEUR.

ORDINAIRE, (Comm.) jour de poste, auquel les couriers ont coutume de partir d'un lieu ou d'y arriver. Je vous ai écrit l'ordinaire dernier, c'est-à-dire par le dernier courier.

On dit l'ordinaire de Paris, de Lyon, de Venise, &c. pour signifier la poste établie pour porter les paquets de lettres destinés pour ces différentes villes, ou le jour que les couriers en partent ou y arrivent.

Les marchands, négocians, banquiers, &c. qui sont chargés de beaucoup d'affaires doivent être exacts à ne point laisser passer d'ordinaires sans écrire à leurs correspondans.

Courier ordinaire, c'est un courier dont le départ est marqué à un jour fixé. Courier extraordinaire, c'est celui qu'on fait partir exprès suivant les affaires qui se présentent, ou pour faire plus de diligence.

Ordinaire. C'est aussi, en terme de Commerce de mer, ce que chaque matelot peut porter avec lui sur un vaisseau marchand de hardes ou de petites marchandises, qu'on nomme autrement portée & pacotille. Voyez PACOTILLE. Diction. de Comm.


ORDINALadj. (Gram.) on nomme ainsi en Grammaire tout mot qui sert à déterminer l'ordre des individus. Il y en a de deux sortes, des adjectifs & des adverbes.

Les adjectifs ordinaux sont premier, second ou deuxieme, troisieme, quatrieme, cinquieme, &c. dernier.

Les adverbes ordinaux sont premierement, secondement ou deuxiemement, troisiemement, quatriemement, cinquiemement, &c. l'adverbe dernierement n'est point ordinal comme l'adjectif dernier, il signifie depuis peu de tems : l'adverbe ordinal correspondant à dernier, est remplacé par en dernier lieu, enfin, &c. Voyez NOMBRE. (B. E. R. M.)

ORDINAL, terme d'Arithmétique, ce mot se dit des nombres qui marquent l'ordre des choses ou en quel rang elles sont placées. Le premier, dixieme, le centieme, &c. sont des nombres ordinaux.

ORDINAL, s. m. (Hist. ecclésiast.) chez les Anglois est le nom qu'ils donnent à un livre qui contient la maniere de conférer les ordres & de faire le service divin.

Ce livre fut composé après la réformation & le regne d'Henri VIII. sous celui d'Edouard VI. son successeur immédiat, pour le substituer au pontifical romain. Il fut revû par le clergé en 1552, & le parlement l'autorisa pour servir de regle dans tout le royaume.

Le pere le Quien, M. Fenel, & quelques autres qui dans ces derniers tems ont écrit contre la validité des ordinations angloises, ont pensé que l'ordinal d'Edouard étoit l'ouvrage de la puissance laïque ; mais le pere le Courayer dans la défense de sa dissertation sur la validité des mêmes ordinations, soutient que ce livre fut l'ouvrage du clergé, & que le roi & le parlement n'y eurent d'autre part qu'en l'autorisant pour avoir force de loi dans tout le royaume : on peut voir les preuves que cet auteur en apporte dans le livre que nous venons de citer, tom. II. part. II. liv. V. ch. j.


ORDINANTS. m. (Gram.) il se dit de celui qui confere les ordres & de celui qui les reçoit : l'ordinant doit dire la messe. Les ordinans ont été séverement examinés. Le prélat a pensé qu'il y avoit moins d'inconvénient à risquer de fermer la porte de l'Eglise à un bon sujet que de l'ouvrir à un mauvais, parce qu'il n'y a rien de pire qu'un mauvais prêtre, quoique peut-être on ne puisse dire qu'il n'y a rien de meilleur qu'un bon.


ORDINATIONS. f. (Theolog.) est l'action de conférer les ordres sacrés, &, parmi les Protestans, la cérémonie d'installer un candidat d'église réformée, dans le diaconat ou dans la prêtrise. Voyez ORDRES & REORDINATION.

Selon un théologien moderne, l'ordination est le rit extérieur qui éleve au ministere évangélique, & l'on ne doit pas la confondre avec l'ordre. La raison qu'il en apporte est que l'ordre est l'effet de l'ordination, & n'est à proprement parler que l'état dans lequel on est constitué par la voie de l'ordination.

Les Théologiens catholiques définissent l'ordination un sacrement de la nouvelle loi, qui donne le pouvoir de faire les fonctions ecclésiastiques, & la grace pour les exercer saintement.

On est partagé dans les écoles sur la matiere & la forme de ce sacrement : les uns admettant pour matiere essentielle l'imposition des mains seules, & pour seule forme essentielle la priere ; & ne reconnoissant la porrection des instrumens, c'est-à-dire, du calice, de la patene, &c. qu'on fait toucher aux ordinans, que comme matiere accessoire & intégrale. D'autres regardent cette derniere cérémonie comme matiere essentielle, & un troisieme sentiment les réunit toutes deux comme matiere totale & adéquate. Voyez MATIERE & FORME. Le premier sentiment est le plus suivi.

L'ordination des évêques s'appelle plus proprement consécration. Voyez EVEQUE & CONSECRATION.

L'ordination a toûjours été regardée comme la principale prérogative des évêques, qui en regardent aussi les fonctions comme une espece de marque de leur souveraineté spirituelle dans leur diocèse.

Sous l'ancienne discipline de l'église anglicane on ne connoissoit point d'ordination vague & absolue ; mais tout clerc étoit obligé de s'attacher à quelque église d'où il devoit être ordonné clerc ou prêtre. Dans le douzieme siecle on se relâcha sur cette coutume, & on ordonna des clercs, sans qu'ils fussent pourvus d'aucun titre ou bénéfice. Voyez BENEFICE.

Le concile de Trente a fait revivre l'ancienne discipline, & a défendu d'ordonner quiconque ne seroit point pourvu d'un bénéfice capable de le faire subsister. En Angleterre on conserve encore une ombre de cette discipline. Voyez COMMANDE.

Les Réformés soutiennent que le choix du peuple est la seule chose qui soit essentielle pour la validité du ministere ecclésiastique, & ils enseignent que l'ordination n'est qu'une cérémonie qui rend le choix du peuple plus auguste & plus authentique.

Le concile de Rome, tenu en 744, ne permet de faire les ordinations que dans le premier, le quatrieme, le septieme & le dixieme mois de l'année. En Angleterre, les jours des ordinations sont les quatre dimanches qui suivent immédiatement les quatre-tems ; savoir, le second dimanche de carême, le dimanche de la Trinité, & les deux dimanches qui suivent le premier mercredi après le 14 de Septembre, & le 13 de Décembre.

Le pape Alexandre II. condamne les ordinations qu'on appelle, après lui, per saltum, c'est-à-dire, lorsqu'on reçoit un des trois ordres majeurs sans avoir passé par les quatre mineurs ; ou plutôt encore un des ordres majeurs sans avoir reçu celui qui le précede, comme la prêtrise sans avoir reçu le diaconat : mais quelques Théologiens soutiennent que ces ordinations seroient illicites & non invalides, qu'on peut être prêtre sans avoir été diacre, évêque sans avoir été prêtre, & ils croient le prouver par des exemples. On a vivement disputé dans ces derniers tems pour ou contre la validité des ordinations faites dans l'église anglicane, & cette question a occasionné divers écrits pleins de recherches & d'érudition.

Depuis la réformation, les Anglicans se sont toûjours attachés à montrer que leurs évêques étoient véritablement consacrés, & par conséquent que la succession épiscopale n'avoit pas manqué dans leur église. Les Catholiques, dès le regne d'Elisabeth & depuis, leur ont contesté cette prérogative ; &, pour la sapper dans son fondement, ils ont prétendu que Parker & Barlow, la tige de tout l'épiscopat anglican protestant, n'ayant pas été véritablement consacrés évêques, tous ceux qu'ils ont ordonnés en cette qualité & les successeurs de ceux-ci n'ont point eu le caractere épiscopal, & par une derniere conséquence qu'il n'y a plus d'épiscopat en Angleterre.

Cette question en embrasse nécessairement deux : l'une de fait, & l'autre de droit.

La question de fait consiste à savoir si Parker, qu'on regarde comme la tige de tout l'épiscopat anglican, a été réellement consacré évêque ; & si Barlow son consécrateur, qui a été évêque de Saint-David, & depuis évêque de Chichester, a lui-même été ordonné évêque : car s'il ne l'a pas été, il est certain qu'il n'a pû sacrer Parker.

La question de droit se reduit à prouver si la forme dont on s'est servie pour consacrer Barlow & Parker, a été défectueuse ou non, si elle a péché ou non dans quelque chose d'essentiel.

Nous allons donner une idée des principaux moyens qu'on a allégués pour & contre sur ces deux questions.

Sur la premiere, les Catholiques ont avancé que Barlow n'avoit jamais été véritablement évêque, parce qu'étant protestant dans le coeur, il avoit omis de se faire consacrer après sa nomination à l'évêché de Saint-David sous Henri VIII. ayant été dans ce tems occupé pour la cour à une négociation en Ecosse, qui consuma tout l'intervalle pendant lequel les Anglicans veulent qu'il ait été consacré ; 2°. qu'on ne trouve point l'acte de sa consécration ; 3°. que Parker fut consacré à Londres dans une auberge qui avoit pour enseigne la tête de cheval, & que cette cérémonie s'y passa d'une maniere indécente & pleine de dérision ; 4°. que Parker ne fut point consacré à Lambeth, palais proche de Londres, qui appartient aux archevêques de Cantorbery, & que les registres qu'on apporte en preuve de ce fait ont été falsifiés.

Sur la seconde, les uns, comme le sieur Fenell, ont dit que l'ordinal d'Edouard VI. étant l'ouvrage de la puissance laïque, des évêques consacrés suivant ce rit, n'ont pû recevoir la consécration épiscopale. D'autres comme le pere le Quien dans son livre intitulé Nullité des ordinations angloises, se sont attachés à répandre des doutes légitimes sur ces ordinations, & capables, selon eux, de la faire réitérer. Pour cela ils ont entrepris de montrer que dans le nouvel ordinal les Anglicans avoient altéré essentiellement la forme de l'ordination, parce que, disent-ils, cette forme doit faire une mention ou expresse ou du-moins implicite du sacerdoce & du sacrifice, selon la foi de l'église catholique ; or la forme de l'ordinal anglican n'en fait nulle mention. D'ailleurs on sait que les Anglicans ont aboli chez eux le sacerdoce & le sacrifice, qu'ils rejettent la présence réelle & la transubstantiation, qui entrent nécessairement dans l'idée du sacrifice de l'église catholique & qui en sont comme la base. Enfin, ils ont regardé comme une loi sur cette matiere l'usage de l'église de Rome, qui réordonne tous les prêtres anglicans qui rentrent dans sa communion.

Les défenseurs de la validité des ordinations angloises, & principalement le pere le Courayer, chanoine régulier, ancien bibliothécaire de sainte Genevieve de Paris, soutiennent 1°. que Barlow a été réellement consacré, puisqu'il a assisté en qualité d'évêque aux parlemens tenus sous Henri VIII. depuis 1536 ; & qu'une des lois du royaume d'Angleterre interdit aux évêques non-consacrés la séance au Parlement. 2°. Que son voyage en Ecosse quoique réel est arrangé d'une maniere romanesque par les auteurs dont nous venons de parler ; que Barlow a pû être de retour à Londres plus tôt qu'ils ne prétendent & s'y faire consacrer ; que la perte de son acte de consécration n'est qu'une preuve négative qui n'infirme nullement la réalité du fait. 3°. Que la cérémonie de l'auberge est une fable ridicule qui n'a été produite pour la premiere fois que plus de quatre-vingt ans après l'événement en question ; qu'elle se dément par les circonstances mêmes dont on l'accompagne ; & aux autorités dont on l'étaie & qu'il détruit, il en oppose d'infiniment supérieures. 4°. Il démontre que la consécration de Parker s'est faite à Lambeth le 17 Décembre 1559 par Barlow, assisté de Jean Scory, élu évêque d'Hereford, de Miles Coverdale, ancien évêque d'Excester, & de Jean Hoogskius, suffragant de Bedford. L'acte de cette consécration se trouve dans les oeuvres de Bramhall & dans l'histoire de Burnet. On le trouve aussi en original dans les registres de Cantorbery & dans la bibliotheque du college de Christ à Cambridge. Cet auteur a donné copie de tous ces actes & d'une infinité d'autres qui démontrent pleinement la question de fait.

Quant à celle de droit, il s'est proposé de montrer que l'imposition des mains & la priere étant la matiere & la forme essentielle de l'ordination, l'une & l'autre étant prescrites dans le rituel d'Edouard VI. & ayant été observées dans la consécration de Parker & des autres, cela suffit pour la validité des ordinations. 2°. Que s'il faut dans la forme une mention virtuelle du sacerdoce & du sacrifice, on trouve dans la forme anglicane une analogie suffisante pour cela. 3°. Que les erreurs particulieres des Anglois sur le sacerdoce & le sacrifice ne détruisent point la validité de leurs ordinations, parce que les erreurs des hommes ne font rien à la validité ou l'invalidité des sacremens pourvu qu'en les administrant on emploie la matiere & la forme prescrites. 4°. Que l'ordinal d'Edouard a été dressé par des évêques & des théologiens, sans que ni le roi ni le parlement y aient eu d'autre part que de l'autoriser, comme on fait en Angleterre toutes les pieces qui doivent avoir force de loi ; que Calvin ni les Calvinistes n'ont point concouru à la composition de cet ouvrage. 5°. Aux doutes de l'église romaine qu'il croit mal fondés & insuffisans pour en venir à une réordination, il oppose l'autorité de Cadsemius, de Walsh, de M. Bossuet & de M. Snellaerts, d'où il conclut que la validité des ordinations angloises ne pourroit être qu'avantageuse à l'église romaine en facilitant la réunion des Anglicans avec elle.

Tels sont les divers points que cet auteur a traités avec beaucoup de force & d'étendue : 1°. dans sa dissertation sur la validité des ordinations angloises, imprimée en 1723 ; & 2°. dans la défense de la même dissertation qui parut en 1726, où en répondant aux diverses critiques qu'on avoit faites de son premier ouvrage, il en établit de nouveau les preuves par des actes ou par de nouveaux raisonnemens. La question de fait y est entierement éclaircie. On ne peut pas dire exactement la même chose de celle de droit. Il eut été à souhaiter qu'en la traitant l'auteur eût évité certaines discussions théologiques sur la nature du sacrifice, qui l'ont conduit à des propositions erronées ou téméraires qui furent condamnées par l'assemblée du clergé de France en 1728 ; & qu'il n'eût pas eu la témérité de traiter d'insuffisans & de mal fondés les motifs qui ont porté l'église à ordonner de nouveau ceux qui ont été ordonnés selon le rit anglican. Nous renvoyons les lecteurs aux écrits du pere le Courayer & de ses adversaires sur cette matiere intéressante, que les bornes de cet ouvrage ne nous ont permis que d'indiquer.

Il est de principe parmi les Théologiens que quelque corrompu que soit un évêque, les ordinations qu'il fait sont valides quoiqu'illicites. Aussi voit-on par l'Histoire que l'Eglise a toûjours admis comme valides les ordinations faites par les simoniaques, les intrus, les excommuniés, les schismatiques & les hérétiques.

Les évêques ne peuvent pas ordonner ni toutes sortes de personnes, ni des personnes de tout sexe : la discipline de l'Eglise les oblige à se restraindre à leurs diocésains, & de ne point ordonner d'étrangers sans le consentement des évêques auxquels ces étrangers sont soumis. C'est la décision du premier concile de Nicée, can. xvij. Les femmes ne peuvent être élevées aux saints ordres ; &, s'il est parlé dans l'Histoire de prêtresses, de diaconesses, &c. on sait que ce n'étoient point des noms d'ordre. Enfin, celui qu'on ordonne doit au-moins avoir été baptisé, parce que le baptême est comme la porte de tous les autres sacremens. L'ordination conférée à un homme contre son gré & son consentement, est nulle de plein droit.

ORDINATION per saltum, (Droit canon.) On appelle l'ordination per saltum, quand on confere ou qu'on reçoit un ordre supérieur sans avoir passé par les inférieurs ; par exemple, si on étoit ordonné prêtre sans avoir été auparavant ordonné diacre. Les ordinations per saltum ont toûjours été prohibées ; & si l'on s'écartoit quelquefois en cela de l'exactitude des canons, ce n'étoit que pour des raisons les plus pressantes, comme on fit pour saint Cyprien & saint Augustin, qu'on éleva à la prêtrise sans les avoir fait passer par les ordres inférieurs. (D.J.)


ORDINGEN(Géog.) On écrit aussi Ordungen & Urdingen, petite ville d'Allemagne dans l'électorat de Cologne. Le maréchal de Guébriant y battit les Hessois en 1641, & prit la ville en 1642. Elle est sur le Rhin, aux confins du comté de Meurs. Gelenius la nomme castra Ordeonii ; & c'est près de-là qu'est le village de Gelb, qui paroît être la Gelduba des anciens. Long. 24. 15. lat. 51. 35. (D.J.)


ORDISSUS(Géog. anc.) riviere de la Sarmatie en Europe ; c'est une de celles qui tombent dans le Danube. Peucer dit que les Hongrois la nomment Crasso dans leur langue. (D.J.)


ORDONNANCES. f. (Jurisprudence) est une loi faite par le prince pour régler quelques objets qui méritent l'attention du gouvernement.

Le terme d'ordonnance vient du latin ordinare, qui signifie ordonner, c'est-à-dire, arranger quelque chose, y mettre l'ordre. En effet, on écrivoit anciennement ordrenance, pour exprimer quelque arrangement ou disposition. Ce terme se trouve employé en ce sens dans quelques anciennes chartes & ordonnances ou réglemens, comme dans l'accord ou concordat fait en 1275 entre Jean dit le Roux, duc de Bretagne, & quelques-uns des barons & grands nobles de la province ; sauf, y est-il dit, l'ordrenance resnable au juveigneur, c'est-à-dire, sans préjudice de la disposition convenable que le puîné (junior) peut faire. Ce concordat est à la fin de la très-ancienne coutume de Bretagne : cependant le terme ordinare se trouve employé dans le tems de la seconde race, pour dire ordonner. Aimoin qui vivoit dans le neuvieme siecle, dit en parlant des capitulaires de Charlemagne, liv. V. chap. 35. placitum generale habuit ubi per capitula, qualiter regnum Franciae, filius suus Ludovicus regeret, ordinavit.

Du latin ordinare on a fait ordinatio ; un grand nombre des anciennes ordonnances latines commençoient par ces mots, ordinatum fuit. De tout cela s'est formé le terme françois d'ordrenance ou ordonnance : on disoit aussi quelquefois ordrenement pour ordonnement ; & quoique dans l'origine ce terme d'ordonnance ne signifiât autre chose qu'arrangement ; néanmoins comme ces arrangemens ou dispositions étoient faits par une autorité souveraine, on a attaché au terme d'ordonnance l'idée d'une loi impérative & absolue.

Le terme françois d'ordonnance, ni même le latin ordinatio, dans le sens où nous le prenons pour loi, n'étoient point connus des anciens.

Les réglemens que firent les anciens législateurs chez les Grecs, étoient qualifiés de loi.

Il en fut de même chez les Romains : ils appelloient loi les réglemens qui étoient faits par tout le peuple assemblé à la réquisition de quelque magistrat du sénat.

Le peuple faisoit aussi des lois avec l'assistance d'un de ses magistrats, tels qu'un tribun ; mais ces lois étoient nommées plébiscites.

Ce que le sénat ordonnoit s'appelloit un senatus-consulte.

Les réglemens faits par les empereurs, s'appelloient principum placita ou constitutiones principum. On verra que cette derniere dénomination a été aussi employée par quelques-uns de nos rois.

Les constitutions des empereurs étoient générales ou particulieres.

Les générales étoient de trois sortes : savoir, des édits, des rescripts & des decrets.

Les édits étoient des constitutions générales que le prince faisoit de son propre mouvement pour la police de l'état ; il y avoit d'autres édits qui étoient faits par les magistrats, mais qui n'étoient autre chose que des especes de programmes publics, par lesquels ils annonçoient la forme en laquelle ils se proposoient de rendre la justice sur chaque matiere pendant l'année de leur magistrature. Nous n'avons pas en France d'édits de cette espece ; mais nos rois font aussi des édits qui ont le même objet que ceux des empereurs, & qui sont compris sous le terme général d'ordonnances.

Les rescripts des empereurs étoient des réponses aux requêtes qui leur étoient présentées, ou aux mémoires que les magistrats donnoient pour savoir de quelle maniere ils devoient se conduire dans certaines affaires. Nous avons aussi quelques anciennes ordonnances, ou lettres de nos rois, qui sont en forme de rescripts.

Les decrets étoient des jugemens que le prince rendoit dans son consistoire, ou conseil sur les affaires des particuliers ; ceci revient aux arrêts du conseil privé. Les qualifications de decret ou d'édit se trouvent employées indifféremment dans quelques anciennes ordonnances de nos rois.

Enfin, les constitutions particulieres étoient celles qui étoient faites seulement pour quelque personne ou pour un certain corps, de maniere qu'elles ne tiroient point à conséquence pour le général. On trouve quelques anciennes ordonnances latines de nos rois, qui sont pareillement qualifiées de constitutions : présentement ce terme n'est plus usité. Ces sortes de constitutions revenoient aux lettres-patentes que nos rois accordent à des particuliers, corps & communautés.

Les ordonnances qui avoient lieu en France du tems de la premiere race, reçurent divers noms : les plus considérables furent nommées lois, comme la loi gombette, la loi ripuaire, la loi salique ou des Francs.

Il y eut encore quelques autres lois faites par nos rois de la premiere race, pour d'autres peuples qui étoient soumis à leur obéissance, telles que la loi des Allemands, celles des Bavarois & des Saxons, celle des Lombards, &c. Toutes ces lois ont été recueillies en un même volume sous le titre de lois antiques.

La loi salique ou des Francs, qui est une des plus fameuses de ces lois, est intitulée pactum legis salicae ; il est dit qu'elle a été résolue de concert avec les Francs.

La loi des Allemands faite par Clotaire, porte en titre dans les anciennes éditions, qu'elle a été résolue par Clotaire, par ses princes ou juges, c'est-à-dire par trente-quatre évêques, trente-quatre ducs, soixante-douze comtes, & même par tout le peuple.

La loi Bavaroise, dressée par le roi Thierry, revûe par Childebert, par Clotaire, & en dernier lieu par Dagobert, porte qu'elle est l'ouvrage du roi, de ses princes & de tout le peuple chrétien qui compose le royaume des Mérovingiens.

La loi gombette contient les souscriptions de trente comtes, qui promettent de l'observer, eux & leurs descendans.

La principale matiere de ces lois, ce sont les crimes & sur-tout ceux qui étoient les plus fréquens chez des peuples brutaux, tels que le vol, le meurtre, les injures ; la peine de chaque crime y est réglée selon les circonstances, à l'égard desquelles la loi entre dans un fort grand détail, voyez ce qui est dit de ces lois dans l'histoire du Droit françois de M. l'abbé Fleury, & ce qui a été dit ici au mot code des lois antiques, & au mot lois antiques, & aux articles où il est parlé de chacune de ces lois en particulier.

Il y eut quelques lois de la premiere race qui furent nommées édits, tel que l'édit de Théodoric, roi d'Italie, qui se trouve dans ce code des lois antiques.

D'autres furent nommées en latin constitutiones.

D'autres enfin furent appellées capitulaires, parce que leurs dispositions étoient distinguées par chapitres ou plutôt par articles que l'on appelloit capitula. Ces capitulaires se faisoient par nos rois dans des assemblées, composées d'évêques & de seigneurs ; & comme les évêques y étoient ordinairement en grand nombre, & que l'on y traitoit d'affaires ecclésiastiques, ces mêmes assemblées ont souvent été qualifiées de concile. Le recueil des capitulaires de l'édition de M. Baluze, comprend quelques capitulaires du tems de la premiere race, lesquels remontent jusqu'au regne de Childebert.

Les ordonnances qui nous restent des rois de la seconde race, sont toutes qualifiées de capitulaires, & comprises dans l'édition qu'en a donnée M. Baluze en deux volumes in-folio avec des notes.

Les capitulaires de Charlemagne commencent en l'an 768, premiere année de son regne ; il y en a des regnes suivans, jusques & compris l'an 921, tems fort voisin de la fin du regne de Charles le Simple.

La collection des capitulaires porte en titre capitula regum & episcoporum, maximèque nobilium francorum omnium.

Et en effet, ils sont appellés par les rois leur ouvrage & celui de leurs féaux. Charlemagne en parlant de ceux faits pour être insérés dans la loi salique, dit qu'il les a faits du consentement de tous ; celui de 816 porte, que Louis le Débonnaire a assemblé les grands ecclésiastiques & laïcs pour faire un capitulaire pour le bien général de l'église ; dans un autre il remet à décider jusqu'à ce que ses féaux soient en plus grand nombre.

Charles le Chauve dit, tels sont les capitulaires de notre pere que les Francs ont jugé à propos de reconnoître pour loi, & que nos fideles ont résolu dans une assemblée générale, d'observer en tous tems ; & dans un édit qu'il fit à Poissy en 844. pour une nouvelle fabrication de monnoie, il est dit que cet édit fut fait ex consensu, par où l'on entend que ce fut dans une assemblée du peuple.

Les capitulaires sont distingués en plusieurs occasions d'avec les autres lois qui étoient plus anciennes ; & en effet, il y avoit différence en ce que les capitulaires n'avoient été faits que pour suppléer ce qui n'avoit pas été prévû par les lois, cependant ils avoient eux-mêmes force de lois ; & l'on voit dans plusieurs capitulaires de Louis le Débonnaire & de Charles le Chauve, qu'ils ordonnent que les capitulaires seront tenus pour loi.

Ceux de Charlemagne forment même un corps complet de législation politique, ecclésiastique, militaire, civile & économique.

Les lois & capitulaires, tant de la premiere que de la seconde race, se faisoient donc dans des assemblées de la nation qui se tenoient en plein champ, & qu'on a appellées parlement, parce que c'étoit dans ces assemblées que l'on parloit & traitoit des affaires sur lesquelles le roi vouloit bien se concerter avec ses sujets.

Sous la premiere race, ces assemblées se tenoient au mois de Mars, d'où on les appelloit quelquefois champ de Mars ; d'abord toutes les personnes libres y étoient admises, le peuple comme les grands ; mais la confusion que cause toujours la multitude, fit que l'on changea bien-tôt la forme de ces assemblées. On assembla chaque canton en particulier, & l'on n'admit plus aux assemblées générales que ceux qui tenoient quelque rang dans l'état ; les évêques y furent admis de fort bonne heure, c'est de-là que Grégoire de Tours, Reginon & autres auteurs nomment souvent ces assemblées synodes ou conciles.

Ces mêmes assemblées sont nommées dans la loi salique mallus, mot tudesque qui veut dire parole ; c'étoit-là en effet que la nation parlementoit avec le roi, c'est-à-dire conféroit, communiquoit avec lui ; elles furent aussi appellées judicium francorum & placitum, & dans la suite parlamentum parlement.

C'est dans ces assemblées que se faisoient les nouvelles lois & capitulaires, ou autres ordonnances ; on y délibéroit entr'autres choses de la conservation des lois & des changemens qui pouvoient être nécessaires.

Au reste, ces assemblées, soit générales ou réduites à un certain nombre de personnes, ne se tenoient point par une autorité qui fût propre à la nation ; & l'on ne peut douter, suivant les principes universellement reconnus parmi nous, que rien ne se faisoit dans ces assemblées que par la permission du roi.

Aussi voit-on que nos rois en changerent la forme, & même en interrompirent le cours, selon qu'ils le jugerent à propos : le pouvoir & la dignité de ces assemblées ne furent pas long-tems uniformes ; elles ne resterent pas non plus long-tems dans leur intégrité, tant à cause des différens partages qui se firent de la monarchie, qu'à cause des entreprises de Charles Martel, lequel irrité contre le clergé qui composoit la plus grande partie de ces assemblées, les abolit entierement pendant les vingt-deux ans de sa domination ; ses enfans les rétablirent. Pepin les transfera au mois de Mai, il y donna le premier rang aux prélats ; Charlemagne rendit ces assemblées encore plus augustes, tant par la qualité des personnes qui s'y trouvoient, que par l'ordre qu'il y établit & par la bonté qu'il avoit d'écouter les avis de son peuple au sujet des lois que l'on proposoit dans ces assemblées, cherchant ainsi à prévenir toutes les difficultés & les inconvéniens qui auroient pû se trouver dans la loi.

Les lois antiques de la premiere race continuerent à être observées avec les capitulaires jusques vers la fin de la seconde race, dans tous les points auxquels il n'avoit pas été dérogé par les capitulaires ; la loi salique fait même encore une de nos plus saintes lois par rapport à l'ordre de succéder à la couronne.

Du reste, toutes ces lois anciennes & le surplus de la loi salique elle-même, ainsi que les capitulaires, sans avoir jamais été abrogés formellement, tomberent peu-à-peu dans l'oubli, à cause du changement qui arriva dans la forme du gouvernement, lequel introduisit aussi un nouveau droit.

En effet, les inféodations qui furent faites vers la fin de la seconde race & au commencement de la troisieme race, introduisirent le droit féodal.

Sous Louis le Gros, lequel commença à affranchir les fiefs de son domaine, tout se régloit en France par le Droit des fiefs, celui des communes & bourgeoisies, & des main-mortes.

Tous ces usages ne furent point d'abord rédigés par écrit, dans une révolution, telle que celle qui arriva dans le gouvernement, on étoit beaucoup plus occupé à se maintenir par les armes, que du soin de faire des lois.

Depuis les capitulaires qui finissent, comme on l'a dit, en 921, l'on ne trouve aucune ordonnance faite par les rois de la seconde & de la troisieme race jusqu'en 1051, encore jusqu'à S. Louis ; si l'on en excepte une ordonnance de 1188. sur les décimes, & celle de Philippe Auguste en 1190, ce ne sont proprement que des chartres ou lettres particulieres ; dans le premier volume des ordonnances de la troisieme race, on n'a inséré que dix de ces lettres, qui ont été données depuis l'an 1051 jusqu'en 1190, étant les seules qui contiennent quelques réglemens ; encore ne sont-ce que des réglemens particuliers pour une ville, ou pour une église ou communauté, & non des ordonnances générales faites pour tout le royaume.

Les ordonnances que nous avons depuis Henri I. sont toutes rédigées en latin jusqu'à celle de S. Louis de l'année 1256. qui est la premiere que l'on trouve écrite en françois, encore est-il incertain si elle a été publiée d'abord en françois ou en latin. Il y en eut en effet encore beaucoup depuis ce tems qui furent rédigées en latin ; on en trouve dans tous les regnes suivans jusqu'au tems de François I, lequel ordonna en 1539. que tous les actes publics seroient rédigés en françois ; mais pour ce qui est des ordonnances, elles étoient déja la plûpart en françois, si ce n'est les lettres patentes qui regardoient les provinces, villes & autres lieux des pays de droit écrit, qu'on appelloit alors la languedoc, lesquelles étoient ordinairement en latin : les ordonnances générales, & celles qui concernoient les pays de la languedoil ou pays coutumier étoient ordinairement rédigées en françois, du-moins depuis le tems de S. Louis.

Les anciennes ordonnances, chartes ou lettres de nos rois ont reçu selon les tems diverses qualifications.

Henri I. dans des lettres de l'an 1051, portant un réglement pour la ville d'Orléans, qualifie lui-même sa charte testamentum nostrae autoritatis, quasi testimonium ; on remarque encore une chose dans ces lettres & dans quelques autres postérieures, c'est que quoique la personne de nos rois fût ordinairement qualifiée de majesté, ainsi que cela étoit usité dans le tems de Charlemagne, néanmoins en parlant d'eux-mêmes, ils ne se qualifioient quelquefois que de sérénité & de celsitude, celsitudinem nostrae serenitatis adierit, mais le style des lettres de chancellerie n'étoit alors ni bien exact, ni bien uniforme, car dans ces mêmes lettres on trouve aussi ces mots nostrae majestatis autoritate.

Les lettres de l'an 1105. par lesquelles Philippe I. défend de s'emparer des meubles des évêques de Chartres décédés, sont par lui qualifiées en deux endroits pragmatica sanctio ; on entendoit par-là une constitution que le prince faisoit de concert avec les grands de l'état, ou, selon Hotman, c'étoit un rescrit du prince non pas sur l'affaire d'un simple particulier, mais de quelque corps, ordre ou communauté ; on appelloit un tel réglement pragmatique, parce qu'il étoit interposé après avoir pris l'avis des gens pragmatiques, c'est-à-dire des meilleurs praticiens, des personnes les plus expérimentées ; sanctio est la partie de la loi qui prononce quelque peine contre les contrevenans.

Ce reglement n'est pas le seul qui ait été qualifié de pragmatique sanction ; il y a entr'autres deux ordonnances fameuses qui portent le même titre ; l'une est la pragmatique de S. Louis du mois de Mars 1268 ; l'autre est la pragmatique-sanction faite à Bourges par Charles VII. au mois de Juillet 1438.

Les lettres de Louis le Gros, de l'année 1118, concernant les serfs de l'église S. Maur des fossés, sont qualifiées dans la piece même de decret ; & dans un autre endroit d'edit, nostrae institutionis edictum ; mais dans ces premiers tems il se trouve fort peu d'édits : ce terme n'est devenu plus usité que depuis le xvj. siecle, pour exprimer des lois générales, mais ordinairement moins étendues que les ordonnances proprement dites.

Le terme d'institution dont on vient de parler se trouve employé dans d'autres lettres du même prince, de l'an 1128, où il dit instituo & decerno, ce qui annonce encore un decret.

Dans d'autres lettres de l'an 1134, il dit volumus & praecipimus.

Louis VII. dans des lettres de l'an 1145, dit, en parlant d'un reglement fait par son pere, statutum est à patre nostro.

Les lettres du même prince touchant la régale de Laon, sont intitulées carta de regalibus laudunensibus ; mais on ne peut assurer si ce titre vient du copiste ou de l'original.

La plûpart de ces lettres sont plutôt des privileges particuliers que des ordonnances ; cependant, comme elles ont fait en leur tems une espece de droit, on les a compris dans la collection des ordonnances. Philippe-Auguste étant sur le point de partir pour la Terre sainte, en 1190, fit une ordonnance, qui est intitulée testamentum ; c'est un réglement pour la police du royaume : il a été qualifié testament, soit parce que le roi y fait plusieurs dispositions pour la distribution de ses tresors, au cas que lui & son fils vinssent à mourir pendant ce voyage, ou plutôt cette ordonnance a été qualifiée testament, dans le même sens que la chartre d'Henri premier, quasi testimonia nostrae autoritatis : quoi qu'il en soit, ce testament est regardé par quelques-uns comme la plus ancienne ordonnance proprement dite, du tems de la troisieme race. Le roi ne s'y sert pourtant point du terme ordonnons, mais de ceux-ci volumus, praecipimus, prohibemus, qui reviennent au même ; & il ne qualifie ce testament à la fin que de praesentem paginam, de même que d'autres lettres qu'il donna en 1197. Cette expression se trouve encore dans plusieurs autres lettres postérieures ; mais ces mots sont désignatifs & non qualificatifs.

Les premieres lettres où il se soit servi du terme ordinamus, sont celles qu'il accorda à l'université en 1200.

Ce terme ordinamus ou ordinatum fuit, fut souvent employé dans la suite pour exprimer les volontés du prince : cependant elles n'étoient pas encore désignées en françois par le terme d'ordonnance.

En faisant mention que les lettres alloient être scellées du sceau du prince, & souscrites de son nom ; on mettoit auparavant à la fin de la plûpart des lettres cette clause de style, quod ut firmum & stabile maneat, ou bien quod ut stabilitatis robur obtineat ; on forma de-là le nom de stabilimentum ou établissement, que l'on donna aux ordonnances du roi.

Beaumanoir dans ses coutumes de Beauvaisis dit, que quand le roi faisoit quelque établissement spécialement en son domaine, les barons ne laissoient pas d'en user en leurs terres, selon les anciennes coutumes ; mais que quand l'établissement étoit général, il devoit avoir cours par-tout le royaume ; & nous devons croire, dit-il, que tel établissement étoit fait par très-grand conseil, & pour le commun profit.

Les seigneurs barons s'ingéroient alors de faire aussi des établissemens ou ordonnances dans leurs domaines, ce qui étoit un attentat à l'autorité royale, lequel fut depuis réprimé.

La premiere ordonnance que l'on trouve, intitulée établissement, est celle de Philippe Auguste, du premier Mai 1209. Il n'y a cependant pas dans le corps de la piece la qualification de stabilimentum, comme elle se trouve dans plusieurs autres semblables établissemens : il est dit en tête de celui-ci, que le duc de Bourgogne, les comtes de Nevers, de Boulogne & de S. Pol, le seigneur de Dampierre, & plusieurs autres grands du royaume de France, sont convenus unanimement, & ont confirmé par un consentement public, qu'à l'avenir on en useroit pour les fiefs, suivant ce qui est porté ensuite ; ce qui feroit croire que les établissemens étoient des ordonnances contestées avec les barons, & pour avoir lieu dans leurs terres, aussi bien que dans celles du domaine.

Cependant le roi faisoit aussi des ordonnances qui n'avoient lieu que dans son domaine, & qu'il ne laissoit pas de qualifier d'établissement, ce qui se trouve conforme à la distinction de Beaumanoir.

C'est ainsi que Philippe-Auguste fit, en Mars 1214, une ordonnance touchant les Croisés, qui est intitulée stabilimentum cruce signatorum, dans le second registre de Philippe-Auguste, qui est au trésor des chartres ; & néanmoins dans le premier registre il y a d'autres lettres touchant les Croisés, qui sont intitulées carta.

On remarque seulement dans cet établissement, que le roi y annonce, que du consentement du légat, il s'est fait informer par les évêques de Paris & de Soissons de quelle maniere la sainte Eglise avoit coutume de défendre les libertés des Croisés, & qu'information faite pour le bien de la paix entre le sacerdoce & l'empire, jusqu'au concile qui devoit se tenir incessamment, ils avoient arrêté que l'on observeroit les articles qui sont ensuite détaillés à la fin de cet article ; le roi ordonne qu'ils seront observés dans tout son domaine jusqu'au concile ; mais il a soin de mettre, que c'est sans préjudice des coutumes de la sainte Eglise, du droit & des coutumes du royaume de France, & de l'autorité de la sainte Eglise romaine : on voit par-là qu'il n'avoit pas fait tout seul ce réglement ; qu'il n'avoit fait qu'adopter ce qui avoit été reglé par le légat & par deux évêques, & c'est apparemment pour cela qu'il le nomme établissement.

Son ordonnance du mois de Février 1218 touchant les Juifs, est qualifiée par lui de constitution : elle commence par ces mots haec est constitutio ; ainsi, toute ordonnance n'étoit pas qualifiée d'établissement.

On a encore de ce prince deux établissemens sans date ; l'un intitulé stabilimentum, qui est rédigé dans le goût des capitulaires : en effet, il commence par ces mots primum capitulum est, & ensuite secundum capitulum, & ainsi des autres : chaque capitule contient une demande faite au roi, laquelle est suivie de la réponse ; celle qui est faite au premier article, est conçue en cette forme : responsio ; in hoc concordati sunt rex & barones. Les autres réponses contiennent les accords faits avec le clergé : ce concordat ne doit pourtant pas être considéré comme une simple convention, parce que le roi, en se prêtant à ce concordat, lui donnoit force de loi.

L'autre établissement, qui est la derniere ordonnance que l'on rapporte de Philippe-Auguste, commence par ces mots, hoc est stabilimentum quod rex facit judaeis. Celui-ci est fait par le roi, du consentement de la comtesse de Troyes & de Guy de Dampierre ; & il est dit à la fin, qu'il ne durera que jusqu'à ce que le roi, ces deux seigneurs, & les autres barons, dont le roi prendra l'avis, le jugeront àpropos.

Ce que l'on vient de remarquer sur ces deux derniers établissemens, confirme bien que l'on ne donnoit ce nom qu'aux réglemens qui étoient faits de concert avec quelques autres personnes, & principalement lorsque c'étoit avec d'autres seigneurs, & pour que l'ordonnance eût lieu dans leurs domaines.

Les historiens font mention de plusieurs autres ordonnances de Philippe-Auguste ; mais que l'on n'a pu recouvrer ; & il est probable que dans ces tems tumultueux, où l'on étoit peu versé dans les lettres, & où l'on n'avoit point encore pensé à mettre les ordonnances dans un dépôt stable, il s'en est perdu un grand nombre.

Ce fait est d'autant plus probable, que l'on sait qu'en 1194, Philippe-Auguste ayant été surpris près de Blois par Richard IV. roi d'Angleterre & duc de Normandie, avec lequel il étoit en guerre, il y perdit tout son équipage, les scels, chartres, & beaucoup de titres & papiers de la couronne.

Quelques auteurs néanmoins, du nombre desquels est M. Brussel (usage des fiefs), tiennent que les Anglois n'emporterent point de registres, ni de titres considérables ; qu'on ne perdit que quelques pieces détachées.

Mais il est toujours certain, suivant Guillaume Brito, que cette perte fut très-grande, & que dans le grand nombre de chartres qui furent perdues, il y avoit sans doute plusieurs ordonnances, ou comme on disoit alors, établissemens. Le roi donna ordre de réparer cette perte, & chargea de ce soin frere Gautier ou Guerin, religieux de l'ordre de saint Jean de Jerusalem, évêque de Senlis, lequel étoit aussi garde des sceaux sous Philippe-Auguste, & fut ensuite chancelier sous Louis VIII. & saint Louis. Guerin recueillit tout ce qu'il put trouver de copies de chartres, & rétablit le surplus de mémoire le mieux qu'il put : il fut résolu de mettre ce qui restoit, & ce qui seroit recueilli à l'avenir en un lieu où ils ne fussent point exposés à tant de hasards ; & Paris fut choisi, comme la ville capitale du royaume pour la conservation de ces titres ; & il est à croire que les plus anciens furent enlevés par les Anglois, puisqu'il ne se trouve rien au trésor des chartres, que depuis le roi Louis le Jeune, dont la premiere ordonnance est de l'an 1145.

Telle fut l'origine du trésor des chartres, dans lequel une partie des ordonnances de la troisieme race se trouve conservée tant dans les deux registres du tems de Philippe-Auguste, que dans d'autres pieces qui sont dans ce dépôt.

Il y en a néanmoins cinq ou six qui sont antérieures à ces registres, qui ont été tirées de divers autres dépôts, comme de quelques monasteres, & une de 1137 tirée de la chambre des comptes.

Nous n'avons de Louis VIII. que deux ordonnances.

L'une de l'an 1223, touchant les Juifs, dans le préambule de laquelle il dit, fecimus stabilimentum super Judaeos ; & un peu plus loin, stabilimentum autem tale est, c'est encore un concordat fait avec divers seigneurs, qui sont dénommés dans le préambule, tant archevêques qu'évêques, comtes, barons & chevaliers militum, lesquels, est-il dit, ont juré d'observer cet établissement.

L'autre, qui est de l'année suivante, concernant des mauvaises coutumes de la ville de Bourges, qui avoient été abolies, fait mention d'une ordonnance de Philippe-Auguste, qu'il qualifie in litteris suis. Louis VIII. ne désigne point celle-ci par le terme de stabilimentum ; mais il met à la fin la clause ordinaire ut autem haec omnia stabilitatis robur obtineant, praefatam paginam sigilli nostri autoritate, &c. C'est le prince qui ordonne seul de l'avis toutefois de son conseil, magno nostrorum & prudentium consilio.

S. Louis, dans son ordonnance de 1228, se sert tantôt du terme ordinamus, & tantôt de ceux de statuimus ou mandamus.

Dans celle de 1230, il dit statuimus, & plus loin, haec statuta faciamus servari ; & vers la fin il ajoute haec voluimus & juravimus. Cette ordonnance est faite par le roi, de sincerâ voluntate nostrâ & de communi consilio baronum : le roi ordonne tant pour ses domaines que pour les barons ; cette ordonnance n'est pourtant pas qualifiée d'établissement : les réglemens qu'elle contient ne sont qualifiés que de statuts ; mais le roi déclare qu'il veut qu'elle soit gardée par ses héritiers, & par ses barons & leurs héritiers, & l'ordonnance est signée par sept barons différens, lesquels mettent chacun ego.. T... eadem volui, consului & juravi.

Son ordonnance de 1230 commence par anno domini institutum est à Ludovico, &c. Le premier article porte sciendum est, & les suivans commencent par praeceptum est.

Celle qu il fit en 1235 commence par ordinatum fuit : il y a lieu de croire qu'elle fut faite dans un parlement, attendu que cette forme annonce un procès-verbal plutôt que des lettres du prince.

Mais ce qui mérite plus d'être remarqué, c'est que les lettres ou ordonnances de ce prince du mois de Juin 1248, par lesquelles il laisse la régence à la reine sa mere pendant son absence, sont émanées de lui seul.

On en rapporte une autre faite par ce prince en 1245, avec la traduction françoise à côté ; le tout est tiré d'une ordonnance du roi Jean, où celle-ci est rapportée, & la traduction paroît être du tems de S. Louis, tant l'ouvrage en est barbare.

Ses lettres du mois d'Avril 1250, contenant plusieurs réglemens pour le Languedoc, sont proprement un rescrit : en effet, il s'y exprime en ces termes, consultationibus vestris duximus respondendum taliter, & ailleurs on trouve encore le terme de respondemus.

L'ordonnance qu'il fit en 1254 pour la réformation des moeurs dans le Languedoc, & dans le Languedoil, est intitulée dans les conciles de la Gaule narbonnoise de M. Baluze, haec stabilimenta per dominum regem Franciae, &c. Au commencement de la piece saint Louis dit subscripta duximus ordinanda ; & plus loin, en parlant d'une ordonnance qui avoit été faite pour les Juifs, il la qualifie d'ordinationem.

Dans une autre, du mois de Février de la même année, il dit ordinavimus, & ailleurs ordinamus & praecipimus ; & à la fin, enjoint de mettre cette ordonnance avec les autres, inter alias ordinationes praedictas conscribi volumus, ce qui fait connoître qu'il y avoit dès-lors un livre où l'on transcrivoit toutes les ordonnances.

Il en fit une françoise en 1256 pour l'utilité du royaume, laquelle commence par ces mots : Nous établissons que, &c. Ces termes sont encore répétés dans un autre endroit ; & ailleurs il dit : nous voulons, nous commandons, nous défendons ; celle-ci ne paroît qu'une traduction de celle de 1254, avec néanmoins quelques changemens & modifications ; mais ce qui est certain, c'est que le texte de cette ordonnance françoise n'a point été composé tel qu'il est rapporté, le langage françois que l'on parloit du tems de saint Louis étant presque inintelligible aujourd'hui sans le secours d'un glossaire.

Quoique saint Louis se servît volontiers du terme d'établissement, ce style n'étoit pourtant pas uniforme pour toutes les ordonnances ; car celle qu'il fit dans la même année touchant les mairies, commence par nous ordonnons, & ce terme y est répété à chaque article.

De même, dans celle qu'il fit touchant l'élection des maires de Normandie, il commence par ces mots, nos ordinavimus, & à chaque article il dit, nos ordinamus.

On s'exprimoit souvent encore autrement, par exemple, l'ordonnance que saint Louis fit en 1262 pour les monnoies, commence ainsi, il est égardé, comme qui diroit on aura égard ou attention de ne pas faire telle chose : ce réglement avoit pourtant bien le caractere d'ordonnance, car il est dit à la fin facta fuit haec ordinatio, &c.

Un autre réglement qu'il fit en 1265, aussi touchant les monnoies, commence par l'attirement que le roi a fait des monnoies est tiex (tel) ; on entendoit par attirement une ordonnance par laquelle le roi attiroit à ses hôtels les monnoies à refondre ou à réformer, ou plutôt par laquelle il remettoit ou attiroit les monnoies affoiblies à leur juste valeur : peut-être attirement se disoit-il par corruption pour attirement, comme qui diroit un réglement qui mettoit les monnoies à leur juste titre ; & ce qui justifie bien que cet attirement étoit une ordonnance, c'est que le roi l'a qualifié lui-même ainsi. Il veut & commande que cet ordennement soit tenu dans toute sa terre & ès terres de ceux qui n'ont point de propre monnoie, & même dans les terres de ceux qui ont propre monnoie, sauf l'exception qui est marquée, & il veut que cet attirement soit ainsi tenu par tout son royaume.

Il fit encore dans la même année une ordonnance pour la cour des esterlins, laquelle commence par ces mots, il est ordonné, & à la fin il est dit, facta fuit haec ordinatio in parlamento, &c.

Quand le roi donnoit un simple mandement, on ne le qualifioit que de lettres, quoiqu'il contînt quelqu'injonction qui dût servir de regle. C'est ainsi qu'à la fin des lettres de saint Louis du mois de Janvier 1268 il y a, istae litterae missae fuerunt clausae omnibus baillivis.

Quelquefois les nouvelles lois étoient qualifiées d'édits ; on en a déja fait mention d'un de Louis-le-Gros en 1118. Saint-Louis en fit aussi un au mois de Mars 1268, qu'il qualifie d'edicto consultissimo ; cet édit ou ordonnance est ce qu'on appelle communément la pragmatique de saint Louis.

On voit par les observations précédentes que les ordonnances recevoient différens noms, selon leur objet, & aussi selon la maniere dont elles étoient formées. Quand nos rois faisoient des ordonnances pour les pays de leur domaine, ils n'employoient que leur seule autorité ; quand ils en faisoient qui regardoient le pays des barons ou de leurs vassaux, elles étoient ordinairement faites de concert avec eux, ou scellées ou souscrites d'eux ; autrement les barons ne recevoient ces ordonnances qu'autant qu'ils y trouvoient leur avantage. Les arriere-vassaux en usoient de même avec les grands vassaux ; & il paroît que l'on appelloit établissement les ordonnances les plus considérables & qui étoient concertées avec les barons dans des assemblées de notables personnages.

La derniere ordonnance connue sous le nom d'établissement, est celle de saint Louis en 1270. Elle est intitulée les établissemens selon l'usage de Paris & de cour de baronie : dans quelques manuscrits ils sont appellés les établissemens le roi de France.

Quelques-uns ont révoqué en doute que ces établissemens aient eu force de loi ; ils ont prétendu que ce n'étoit qu'une compilation ou traité du droit françois, d'autant qu'ils sont remplis de citations de canons, de decret, de chapitres des décretales, & de lois du digeste & du code, ce qui ne se voit point dans toutes les ordonnances précédentes de la troisieme race.

Il est néanmoins vrai que ces établissemens furent autorisés par saint Louis ; c'est une espece de code qu'il fit faire peu de tems avant sa seconde croisade ; l'on y inséra des citations pour donner plus d'autorité ; ce qui ne doit pas paroître extraordinaire, puisque nous avons vu de nos jours cette méthode renouvellée dans le code Fréderic : les établissemens de saint Louis sont distribués en deux parties, & chaque partie divisée par chapitres : ils contiennent en tout 213 chapitres.

Charles VI. s'est pourtant encore servi du terme d'établissement dans des lettres de 1394 touchant les Juifs. Il ordonne par maniere d'établissement ou constitution irrévocable, c'est ainsi qu'il explique lui-même le terme d'établissement.

Dans la plûpart des ordonnances qui furent faites par nos rois depuis le tems de saint Louis, ils s'expriment par ces mots, ordinatum fuit ; il se trouve un assez grand nombre de ces ordonnances faites au parlement, même depuis qu'il eut été rendu sédentaire à Paris : cela étoit encore assez commun vers le milieu du xjv. siecle ; il s'en trouve même encore de postérieures, notamment des lettres de 1388, comme on l'a dit au mot ENREGISTREMENT.

Mais la premiere loi de cette espece qui ait été qualifiée en françois ordonnance, est celle de Philippe-le Bel, faite au parlement de la pentecôte en 1287, touchant les bourgeois, qui commence par ces mots : " c'est l'ordonnance faite par la cour de notre seigneur le roi, & de son commandement."

Depuis ce tems, le terme d'ordennance ou ordonnance devint commun, & a été enfin consacré pour exprimer en général toute loi faite par le prince.

Il y en a pourtant de postérieures à celle de 1287, qui sont encore intitulées autrement, telle que celle du 3 Mai 1302 pour les églises de Languedoc, qui est intitulée statutum regium, d'autres sont encore qualifiées ordinationes.

On comprend sous le terme général d'ordonnance du roi, tant les ordonnances proprement dites que les édits, déclarations, & lettres patentes de nos rois.

Les ordonnances proprement dites, sont des réglemens généraux sur une ou plusieurs matieres, & principalement sur ce qui est du droit public, & ce qui concerne les formes de rendre la justice.

Les édits sont des lettres de chancellerie, que le roi donne de son propre mouvement, pour servir de loi à ses sujets sur une certaine matiere.

Les déclarations sont aussi des lettres de chancellerie, par lesquelles le roi déclare sa volonté sur l'exécution d'un édit ou d'une ordonnance précédente, pour l'interpréter, changer, augmenter ou diminuer.

On trouve un exemple d'une déclaration du roi dès le 26 Décembre 1335, donnée sur une ordonnance du 11 Mai 1333. Les gens des comptes avoient supplié le roi d'expliquer sa volonté sur un objet qui n'étoit pas spécifié dans son ordonnance ; & le roi dit qu'il vouloit en avoir sa déclaration & savoir son entente, & en conséquence il explique son intention & sa volonté : on trouve pourtant peu d'ordonnances qui aient été qualifiées de déclarations jusqu'au commencement du xvj. siecle : les édits sont encore en plus petit nombre que les déclarations.

Le pouvoir de faire de nouvelles ordonnances, édits ou déclarations, de les changer, modifier, n'appartient en France qu'au roi, dans lequel seul réside tout le pouvoir législatif.

Mais comme on ne sauroit apporter trop d'attention à la rédaction des ordonnances, nos rois ont coutume de prendre l'avis de personnes sages & éclairées de leur conseil.

Les anciennes ordonnances se faisoient de deux manieres ; les unes étoient arrêtées dans le conseil intime & secret du roi ; celles qui paroissoient plus importantes, étoient délibérées dans des assemblées plus nombreuses.

Les premieres chartres ou lettres qui nous restent des rois de la troisieme race, sont signées des grands officiers de la couronne, & de quelques autres notables personnages.

Quelques auteurs ont avancé que toutes celles qui n'étoient pas signées des grands officiers de la couronne, étoient délibérées en parlement, comme en effet cela se pratiquoit assez ordinairement, mais on n'en trouve pas des preuves pour toutes les ordonnances.

Les lettres d'Henri I. de l'an 1051, que l'on met en tête des ordonnances de la troisieme race, sont d'abord scellées du scel du roi, comme c'étoit la coutume : il est dit sigillo & annulo : dans d'autres il est dit sigillo nostrae majestatis.

Quelquefois, outre son scel, le roi mettoit sa signature ; dans d'autres ordonnances il n'en est point parlé, quoiqu'elles fussent souscrites des plus grands du royaume.

Une autre singularité qui se trouve dans les lettres données à Orléans l'an 1051, dont on a déja parlé, c'est que la signature de l'évêque d'Orléans y est avant celle du roi ; ensuite celle de l'archevêque de Rheims, de Hugues Bardoul, celle de Hugues Bouteiller (c'étoit le grand bouteiller de France) : il y a encore quelques autres signatures de divers particuliers qui paroissent être des officiers du chapitre : enfin est celle de Baudouin chancelier, lequel signa le dernier, ce qu'on exprime par ce mot subscripsit.

Les lettres de Philippe I. en 1105, qui ne sont proprement qu'un rescript, sont signées de lui seul ; il n'y est même pas fait mention qu'il eût pris l'avis de personne ; il dispose de sa seule autorité, nostrae majestatis autoritate res praetaxatas à pravâ consuetudine liberamus.

Quelquefois les lettres de nos rois étoient données de l'avis des évêques & grands du royaume, & néanmoins elles n'étoient signées que des grands officiers de la couronne : c'est ainsi que les lettres de Louis le Gros en 1118 sont données, communi episcoporum & procerum consilio & assensu & regiae autoritatis decreto. Les grands, comme on voit, ne donnoient qu'un avis & consentement ; le roi parloit seul avec autorité. Ces lettres ne sont point signées de ces évêques & grands, il est seulement dit qu'elles furent données à Paris publiquement, publicè. Il y en a beaucoup d'autres où la même chose se trouve exprimée ; ce qui fait voir que l'on a toujours reconnu la nécessité de donner aux nouvelles lois un caractere de publicité par quelque forme solemnelle. Enfin, il est dit que ces lettres furent données adstantibus in palatio nostro quorum nomina substituta sunt & signa ; & ensuite sont les noms & seings du grand maître dapiferi, du connétable, du bouteiller, du chambrier, & il est fait mention que ces lettres ont été données par la main du chancelier, data per manum Stephani cancellarii, ce qui se trouve exprimé de même à la fin de plusieurs lettres.

Louis le Gros, dans des lettres de 1128, après avoir énoncé l'avis & le consentement des évêques & grands, fait mention qu'il a pris aussi l'avis & consentement d'Adélaïde sa femme, & de Philippe son fils, désigné roi. Cependant cette princesse ni son fils ne signerent point non plus que le roi ; il n'y eut que trois des grands officiers de la couronne. Il est dit que l'office de grand-maître n'étoit point rempli, dapifero nullo, & l'on ne fait point mention du chancelier.

Dans des lettres que ce même prince donna en 1134, il dit, annuente Ludovico nostro filio in regem sublimato ; dans celles de 1137, il dit assentiente. Ces dernieres lettres sont faites en présence de deux sortes de personnes ; les unes à l'égard desquelles il est dit in praesentiâ, & qui ne signent point ; savoir, l'évêque de Chartres, légat du saint siége, Etienne évêque de Paris, Sugger abbé de saint Denis, c'étoit le ministre de Louis le Gros, Girard abbé de Josaphat, Algrin qui est qualifié à secretis nostris, c'est-à-dire secrétaire du roi. A l'égard des autres personnes, ce sont les grands officiers de la couronne, qui sont dits astantibus in palatio nostro, & dont les noms & seings se trouvent ensuite. Ceux-ci étoient aux côtés du prince, les autres étoient présens, mais n'approchoient pas si près de la personne du roi ; cette distinction se trouve observée dans plusieurs autres lettres & ordonnances.

L'ordonnance de 1190, connue sous le nom de testament de Philippe-Auguste, ne fait point mention qu'il eût pris l'avis d'aucun des grands ; le roi dit qu'il l'a fait consilio altissimi. Elle est néanmoins signée des grands officiers de la couronne, quoiqu'elle ne soit pas dite faite publicè ; il s'en trouve plusieurs autres semblables, où ils ont pareillement souscrit ; celle-ci est donnée vacante cancellariâ, & est signée du roi.

Plusieurs anciennes ordonnances ne font aucune mention des signatures & seings, soit que cette partie de la piece ait été adhirée, soit parce qu'elles aient été extraites d'autres ordonnances où l'on avoit retranché cette forme comme inutile.

Quelquefois tous les grands qui étoient présens à la confection d'une ordonnance, y apposoient leurs sceaux avec les grands officiers de la couronne ; cela se pratiquoit sur-tout dans les établissemens, comme il paroît par celui de 1223, fait par Louis VIII. touchant les Juifs. Il est dit que tous les comtes, barons, & autres, qui y sont dénommés, y ont fait mettre leurs sceaux. C'étoit ainsi que l'on souscrivoit alors les actes ; car l'ignorance étoit si grande, sur-tout chez les laïcs, que peu de personnes savoient écrire. On faisoit écrire le nom de celui qui vouloit apposer son sceau, en ces termes, signum Hugonis, ou autre nom ; & ensuite celui dont le nom étoit écrit apposoit son sceau à côté de ce nom.

Quand le roi ne se trouvoit pas accompagné des grands officiers de la couronne, à leur défaut on appelloit d'autres personnes à la confection des ordonnances, pour y donner la publicité ; on prenoit ordinairement les personnages les plus notables du lieu ; dans quelques occasions de simples bourgeois furent appellés.

Par exemple, dans l'ordonnance que saint Louis fit à Chartres en 1262 touchant les monnoies, il est dit qu'à la confection de cette ordonnance, assisterent plusieurs bourgeois qui y sont dénommés, & qui sont dits jurati, c'est-à-dire, qui avoient prêté serment ; savoir trois bourgeois de Paris, trois bourgeois de Provins, deux bourgeois d'Orléans, deux de Sens, & deux de Laon. Il paroît assez singulier que l'on eût ainsi rassemblé à Chartres des bourgeois de différentes villes, & qu'il n'y en eût aucuns de la ville même ; on n'avoit apparemment appellé que ceux qui étoient le plus au fait des monnoies.

Au reste, il se trouve fort peu d'ordonnances du tems de saint Louis, qui fassent mention que l'on y ait apposé d'autres sceaux que celui du roi.

La formule de la plûpart des ordonnances de ce regne, de celui de Philippe le Hardy, & de celui de Philippe-le-Bel, énonce qu'elles furent faites au parlement ; le roi étoit présent à ces délibérations, & les ordonnances que l'on y proposoit y étoient corrigées quand il y avoit lieu.

Le roi Jean finit une ordonnance en disant que s'il y a quelque chose à y ôter, ajouter, changer, ou interpréter, cela sera fait par des commissaires qu'il députera à cet effet, & qui en délibéreront avec les gens du parlement ; elles sont relatées dans le registre des enquêtes, ou dans les registres olim dont elles tirent toute leur authenticité.

Ce que l'on trouve de plus remarquable du tems de Philippe-le-Bel par rapport à la maniere dont se faisoient les ordonnances, c'est premierement celle de 1287, qui fut faite au parlement touchant les bourgeoisies ; il est dit qu'elle fut faite par la cour de notre seigneur le roi ; mais il y a tout de suite ces mots, & de son commandement.

On trouve au bas d'une ordonnance de 1288, qu'elle fut registrée inter judicia consilio & arresta expedita in parlamento omnium sanctorum.

Celle de 1291, touchant le parlement, fut faite au parlement même tenu à Paris.

Philippe-le-Bel en fit une autre à Paris en 1295, par laquelle il promit de dédommager ceux qui prendroient de sa nouvelle monnoie ; il y obligea son domaine, ses héritiers & successeurs, & généralement tous ses biens & les leurs, & spécialement tous ses revenus & produits de la province de Normandie, & ce de la volonté & consentement de sa très-chere femme Jeanne reine de France. Il finit en ordonnant l'apposition de son sceau ; ensuite la reine parle à son tour, & ratifie le tout, & y fait mettre son scel avec celui du roi ; il y a encore une ordonnance semblable de la même année.

Celle de 1298, concernant le jugement des hérétiques, fut donnée en présence d'un archevêque, & de trois évêques.

Dans un mandement du 25 Août 1302, il dit qu'il a été accordé ensemblement de plusieurs de ses amés & féaux prélats & barons avec son conseil ; il y en a un semblable de 1303, & deux ordonnances de 1306, qui sont faites de même.

L'ordonnance du mois de Novembre concernant le châtelet, fut faite par le roi & son conseil ; mais il paroît que ce conseil n'étoit autre chose que le parlement que l'on appelloit encore communément le conseil du roi. Dans quelques ordonnances postérieures, il est dit qu'elles furent faites par délibération du grand conseil du roi ; & dans quelques-unes, il ajoute & de ses barons.

Depuis que le parlement eut été rendu sédentaire à Paris, les ordonnances ne se firent plus guere au parlement, mais dans le conseil particulier du roi. Il fut même ordonné en 1359, que dorénavant il ne se feroit plus aucunes ordonnances, que ce ne fût par délibération de ceux du conseil ; quelquefois ce conseil se tenoit en la chambre des comptes ; quelquefois dans la chambre du parlement ; c'est pourquoi l'on trouve encore quelques ordonnances qui furent faites au parlement jusqu'en 1388.

Dans ces premiers tems, le roi envoyoit quelquefois ses ordonnances à la chambre des comptes pour y être registrées ; on en trouve des exemples en 1320, 1323, & 1361 : il chargeoit même aussi quelquefois la chambre d'en envoyer des copies vidimées aux baillifs & sénéchaux. On appelloit vidimus, un transcrit de l'ordonnance qui étoit collationné par quelque officier public.

Le prevôt de Paris faisoit quelquefois des ordonnances pour la police de son siége, lesquelles étoient ensuite adoptées & autorisées par le roi ; témoin l'ordonnance de Philippe-le-Bel, du premier Mai 1313, qui homologue un reglement de cette espece.

Depuis que l'on eut introduit de faire assembler les trois états, ce qui commença sous Philippe, il y eut plusieurs ordonnances faites aux états, ou sur leurs remontrances, doléances, & supplications ; mais dans tous les tems, ç'a toujours été le roi qui a ordonné, les états ne faisoient que requérir. Voyez ÉTATS.

Une grande partie des ordonnances, faites jusqu'au tems de S. Louis, commence par ces mots, in nomine sanctae & individuae trinitatis ; quelques-unes par in nomine domini ; plusieurs commencent par le nom du roi, comme Ludovicus Dei gratiâ Francorum rex ; dans quelques-unes au lieu de Dei gratiâ, il y a Dei misericordiâ. Cet intitulé répond à celui qui est encore usité présentement : Louis, par la grace de Dieu, roi de France & de Navarre.

Les établissemens qui étoient des especes de concordats faits avec les barons, commencent la plûpart comme on l'a déjà dit par ces mots, hoc est stabilimentum.

Les ordonnances qui commencent par ordinatum fuit, sont celles qui avoient été formées dans l'assemblée du parlement.

Il s'en trouve plusieurs autres qui commencent de diverses manieres, soit que l'intitulé en ait été retranché, soit parce que ces pieces sont plutôt une relation des ordonnances que ces ordonnances mêmes. Telle est celle de Philippe-Auguste, du mois de Juillet 1219, qui commence par ces mots, dominus rex statuit, &c.

Pour ce qui est de ceux à qui les ordonnances sont adressées, les plus anciennes sont adressées à tous les fideles présens & à venir : notum fieri volo, dit Henri I. en 1051, cunctis fidelibus sanctae Dei ecclesiae, tam praesentibus quam futuris. Louis le Gros dans plusieurs de ses lettres dit de même, omnibus Christi fidelibus. Mais avant lui Philippe I. adressa des lettres, universis in regno francorum. Louis le Gros adresse un mandement en 1134, tam praesentibus quam futuris : Il y en a beaucoup d'autres semblables. Cette clause est encore d'usage dans les ordonnances & édits, lesquels sont adressés au commencement, à tous présens & à venir.

Au surplus, il faut observer que la différence de l'adresse dépendoit beaucoup de la qualité de l'ordonnance ; quand elle étoit générale, & qu'elle devoit avoir lieu dans tout le royaume, l'adresse étoit plus générale ; quand son objet étoit limité à certains pays ou personnes, elle étoit adressée à ceux qu'elle concernoit.

Ainsi quand Louis le Gros en 1137, abolit dans l'Aquitaine le droit d'hommage & d'investiture, en faveur des archevêques, évêques & autres prélats, ses lettres sont adressées à l'archevêque de Bordeaux, ses suffragans, aux abbés de la province, & à leurs successeurs à perpétuité.

L'ordonnance de 1190, appellée le testament de Philippe-Auguste, ne contient aucune adresse : il se trouve plusieurs autres ordonnances dans lesquelles il n'y en a point non plus.

Les premieres lettres où l'on trouve l'origine de cette forme d'adresse, à nos amés & féaux, ce sont celles de Philippe-Auguste en 1208 ou 1209, pour les patronages de Normandie, l'adresse en est faite, amicis & fidelibus suis, Rothomagensi episcopo, & universis episcopis Normanniae ejus suffragantis ; cette forme est encore usitée présentement dans l'adresse ou mandement qui se met à la fin des ordonnances, édits & déclarations en ces termes : si mandons à nos amés & féaux, &c. clause qui s'adresse aux cours souveraines, & autres officiers auxquels le roi envoie ses nouvelles ordonnances pour les faire exécuter.

Philippe le Bel, dans des lettres du mois de Mars 1299, dit à la fin, damus igitur ballivis nostris.... in mandamentis ; d'où a été imitée cette clause, si donnons en mandement, qui revient au même que la clause si mandons, &c.

On lit aussi dans les lettres de Philippe-Auguste de 1209, après l'adresse qui est au commencement ces mots, salutem & dilectionem, d'où est venu la clause salut savoir faisons, usitée dans les ordonnances & autres lettres, & dans l'intitulé des jugemens.

On trouve deux autres lettres ou ordonnances de Philippe-Auguste, de l'an 1214, adressées universis amicis & fidelibus suis baronibus, & aliis ad quos praesentes litterae pervenerint. C'est de cette adresse qu'est encore venue cette clause usitée dans les déclarations du roi. Le préambule des anciennes ordonnances commençoit ordinairement par notum facimus, ou notum fieri volumus, ou noveritis, noverint universi. Les lettres de S. Louis, en 1234, touchant les Juifs, commencent par sciendum est : on reconnoît encore là ce style de savoir faisons que, &c. usité dans quelques déclarations, & dans les jugemens & actes devant notaires.

S. Louis dans des lettres du mois d'Avril 1250, mande à ses baillifs, & à ceux des seigneurs, de tenir la main à l'exécution ; dans sa pragmatique de l'an 1260, il mande à tous ses juges, officiers & sujets, & lieutenans, chacun en droit soi, de garder cette ordonnance.

L'ordonnance françoise de Philippe III. faite au parlement de la Pentecôte en 1273, est adressée à tous ses amés & féaux.

Présentement toutes les ordonnances, édits & déclarations, sont des lettres intitulées du nom du roi, & signées de lui, contresignées par un sécrétaire d'état, scellées du grand sceau, & visées par le garde des sceaux.

Les ordonnances & édits contiennent d'abord après le nom du roi cette adresse, à tous présens & à venir salut ; ils ne sont datés que du mois & de l'année, & on les scelle en cire verte sur des lacs de soie verte & rouge ; au lieu que dans les déclarations il y a ces mots, à tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut : elles ne sont scellées qu'en cire jaune sur une double queue de parchemin, & sont datées du jour du mois & de l'année.

Il y a pourtant quelques édits rédigés en forme de déclarations, comme l'édit de Cremiere, après le préambule où le roi annonce les motifs de sa loi il dit : " A ces causes, de l'avis de notre conseil, & de notre certaine science, pleine puissance & autorité royale, nous avons dit & déclaré, disons, déclarons, ordonnons, voulons & nous plaît ce qui suit ".

Quand le prince est mineur, il ordonne de l'avis du régent ; on y ajoute quelquefois les princes du sang & quelques autres grands du royaume, pour donner plus de poids à la loi.

A la suite des dispositions des ordonnances, édits & déclarations, est la clause, si mandons, qui contient l'adresse que le roi fait aux cours & autres tribunaux, pour leur enjoindre de tenir la main à l'exécution de la nouvelle ordonnance, & est terminée par cette clause : car tel est notre plaisir, dont on dit que Louis XI. fut le premier qui s'en servit.

Outre la date du jour du mois & de l'année, on marque aussi l'année du regne. Anciennement on marquoit aussi l'année du regne de la reine, & même celle du prince qui étoit désigné pour successeur : il y en a quelques exemples au commencement de la troisieme race ; mais cela ne se pratique plus.

Il y a des ordonnances que le roi fait pour régler certaines choses particulieres, comme pour la police de ses troupes, pour l'expulsion des vagabonds, la défense du port d'armes, &c. celles-ci sont ordinairement en cette forme : De par le roi, sa majesté étant informée, &c. elles sont simplement signées du roi, & contresignées d'un secrétaire d'état.

Depuis que le parlement fut rendu sédentaire à Paris, on ne laisse pas de trouver encore des ordonnances, mandemens & autres lettres, adressés directement au prevôt de Paris, & aussi aux baillifs & sénéchaux du ressort, au maître des forêts, au duc de Bretagne & à d'autres officiers, chacun pour ce qui les concernoit. Philippe de Valois, dans des lettres du mois de Novembre 1329, dit à la fin à tous ducs, comtes, barons, sénéchaux, baillifs, prevôts, viguiers, baillifs, châtelains & à tous autres justiciers de notre royaume, lesdites clauses être gardées, &c. Il se trouve plusieurs adresses semblables faites en divers tems.

Philippe le Bel adresse en 1308 des lettres, " à nos amés & féaux les gens de l'échiquier de Rouen " : dilectis & fidelibus gentibus nostris scacarii Rothomagensis. Il en adresse de semblables en 1310, " à nos amés & féaux les gens de nos comptes ".

Les premieres lettres que nous ayons trouvé qui soient adressées au parlement de Paris, sont celles de Philippe V. dit le Long, de l'an 1318, dont l'adresse est faite au commencement : dilectis & fidelibus gentibus nostri parlamenti. Dans d'autres de 1328, il est dit, parlamenti Parisius ; & dans d'autres encore de la même année, gentibus nostris parlamentum tenentibus, comme on a dit depuis, les gens tenans notre cour de parlement.

Une chose remarquable dans les lettres de Philippe de Valois, du premier Juin 1331, qui sont adressées à nos amés & féaux les gens des comptes, c'est qu'il leur mande que cette présente ordonnance ils fassent signifier & publier à tous les sénéchaux & baillifs du royaume, ce qui depuis long-tems ne se pratique plus ainsi, les nouvelles ordonnances étant envoyées par le procureur-général du parlement aux baillifs & sénéchaux.

Les juges royaux ont toujours eu seuls le droit de faire crier & publier les nouvelles ordonnances dans tout leur district.

Anciennement nos rois faisoient quelquefois jurer aux principaux personnages de leur état, l'observation des ordonnances qui leur paroissoient les plus importantes. C'est ainsi que Charles VI. ayant fait le 7 Janvier 1400, une ordonnance concernant les officiers de justice & des finances, voulant qu'elle fût inviolablement observée, il ordonna que son observation seroit jurée par les princes du sang, les grands officiers étant en son conseil, par les gens du parlement, de la chambre des comptes, les trésoriers & autres semblables.

Le roi faisoit lui-même serment d'observer inviolablement certaines ordonnances, comme fit le même Charles VI. pour l'ordonnance du dernier Février 1401, touchant le domaine ; il fit serment le premier de l'observer inviolablement, & fit faire ensuite le même serment en sa présence, à ses oncles, à son frere, aux autres princes du sang, au connétable, au chancelier, aux gens du grand conseil (qui étoit le conseil du roi), à ceux du parlement & de la chambre des comptes, & aux trésoriers de Paris.

Le serment que faisoit alors le roi, & qui ne se pratique plus, doit paroître d'autant moins extraordinaire que le roi à son sacre fait serment d'observer les lois, ce qui signifie qu'il se conformera en toutes choses à la justice & à l'équité, & aux lois subsistantes.

Il ne s'ensuit pas de-là que le roi soit tellement astreint de se conformer à ses propres ordonnances, ni même à celles de ses prédécesseurs, qu'il ne puisse jamais s'en écarter ; en effet il est certain que le roi peut par de nouvelles ordonnances, édits & déclarations, déroger aux anciennes ordonnances, les abroger, changer ou modifier.

Mais tant qu'elles ne sont point abrogées, elles ont toujours force de loi, le roi lui-même fait gloire de s'y conformer ; elles doivent pareillement être observées par tous les sujets du roi, & les juges sont également obligés de s'y conformer pour leurs jugemens ; c'est ce qui fut ordonné par Clotaire I. en 560, par l'édit de Roussillon, article xxxvj. par l'édit de Louis XIII. du mois de Janvier 1629, article j. 53. & 54. il est enjoint aux cours d'observer les ordonnances anciennes & nouvelles qui n'ont point été abrogées ; & l'édit de Moulins, art. iv. ordonne que les cours de parlement procéderont à rigoureuses punitions des juges & officiers de leur ressort qu'elles trouveroient avoir contrevenu aux ordonnances.

C'est dans cet esprit que l'on a établi de tems immémorial l'usage de faire la lecture des ordonnances à la rentrée du parlement & des autres tribunaux.

Mais les lois ayant été trop multipliées pour pouvoir les lire toutes, la lecture que fait le greffier se borne à quelques articles qui concernent la discipline des tribunaux, & n'est plus qu'une vaine cérémonie ; on suppose que chacun doit les relire en son particulier pour s'en rafraîchir la mémoire.

Il faut néanmoins convenir qu'il y a certaines dispositions d'ordonnances, qui sans avoir été formellement abrogées, sont tombées en désuétude, parce qu'elles ne conviennent plus aux moeurs présentes ; mais il dépend toujours de la volonté du roi de les remettre en vigueur & d'en prescrire l'observation.

Les cours & autres juges doivent tenir la main à l'exécution des ordonnances.

Les principales ordonnances de la troisieme race, & auxquelles le titre d'ordonnance proprement dite convient singulierement, sont celles du roi Jean en 1356 pour le gouvernement du royaume ; celle de Charles VII. en 1446 touchant le style du parlement ; celle que ce même prince fit au Montil-lès-Tours en 1453 ; celle de Louis XII. faite à Blois en 1498 ; l'ordonnance de François I. en 1535 concernant l'administration de la justice ; son ordonnance de Villers-Coterets en 1539 pour l'abréviation des procès ; l'ordonnance donnée par Charles IX. aux états d'Orléans en 1560 ; celle de Roussillon en 1563, qui est une suite de l'ordonnance d'Orléans ; celle de Moulins en 1566 pour la réformation de la justice ; celle de 1579, dite de Blois, faite sur les plaintes des états assemblés à Blois ; celle de 1629, appellée le code Michault.

Sous le regne de Louis XIV. on fit plusieurs grandes ordonnances pour la réformation de la justice, savoir l'ordonnance de 1667 pour la procédure ; celle de 1669 pour les committimus ; une autre pour les eaux & forêts ; une en 1670 pour les matieres criminelles ; une en 1673 pour le commerce ; une en 1676 pour le bureau de la ville ; une en 1680 pour les gabelles ; une autre pour les aides ; une en 1681 pour les fermes ; une autre pour la marine ; & en 1687 une ordonnance pour les cinq grosses fermes.

Nous avons aussi plusieurs ordonnances célebres publiées par Louis XV. savoir l'ordonnance des donations en 1731 ; la déclaration de la même année sur les cas prévotaux & présidiaux ; l'ordonnance des testamens en 1735 ; la déclaration concernant les registres des baptêmes, mariages, sépultures, vêtures, &c. en 1736 ; l'ordonnance du faux & celle des évocations en 1737 ; le reglement de 1738 pour le conseil ; enfin l'ordonnance des substitutions en 1747.

Nous avons déja vû ci-devant que dès le tems de Philippe Auguste il y avoit un dépôt pour les ordonnances ; que ce dépôt étoit le trésor des chartres ; que dès le xij. siecle il y avoit un livre ou registre dans lequel on transcrivoit les ordonnances, afin qu'elles ne se perdissent point.

Mais depuis que le parlement fut rendu sédentaire à Paris, le véritable dépôt des ordonnances a toujours été au greffe de cette cour ; si quelquefois on a négligé de les y envoyer, ou si on les a adressées ailleurs, c'est parce qu'il n'y avoit pas encore d'ordre certain bien établi.

Les registres des enquêtes & registres olim contiennent quelques ordonnances depuis 1252 jusqu'en 1318 ; mais ces registres ne sont pas des livres uniquement composés d'ordonnances, elles y sont mêlées avec des arrêts, des enquêtes, des procédures.

Les quatre plus anciens registres d'ordonnances sont cotés par les lettres A, B, C, D.

Le premier coté, A est intitulé ordinationes antiquae, il comprend depuis 1337 jusqu'en 1415 ; il s'y trouve cependant quelques ordonnances antérieures à 1337. La plus ancienne ce sont des lettres-patentes de saint Louis, données à Fontainebleau au mois d'Août 1229, qui confirment les privileges de l'université de Paris, & la plus moderne est une déclaration donnée à Rouen le 7 Novembre 1415, pour la délivrance de ceux qui avoient été emprisonnés à cause des troubles.

Le second coté B, est le Volume croisé, ainsi appellé parce qu'il y a une croix marquée dessus, il comprend depuis 1415 jusqu'en 1426 : il y a pourtant aussi quelques ordonnances antérieures à 1415. La plus ancienne est un édit fait par Philippe de Valois à Gondreville le 13 Juillet 1342, portant reglement pour le service des maîtres des requêtes ordinaires de l'hôtel du roi ; la plus moderne faite par Charles VI. est une déclaration donnée à Saint-Faron près Meaux le 25 Janvier 1421, portant reglement pour l'alternative dans la collation des bénéfices, le reste de ce registre est rempli des ordonnances d'Henri VI. roi d'Angleterre, soi disant roi de France.

Le troisieme registre coté C, est intitulé liber accordorum ordina. Pictavis ; on l'appelle liber accordarum, parce qu'il contient des accords, lesquels ne pouvoient alors être faits sans être homologués au parlement, il comprend depuis 1418 jusqu'en 1436. Ce sont les ordonnances registrées au parlement de Paris transféré à Poitiers, faites par Charles VII. depuis l'année 1418, qu'il prit la qualité de régent du royaume, & depuis son avénement à la couronne jusqu'au 9 Avril 1434.

Le quatrieme registre coté D, est intitulé ordinationes barbinae ; on croit que ces ordonnances ont été ainsi appellées du nom de celui qui les a recueillies & mises en ordre, il commence en 1427, & contient jusqu'au folio 33, la suite des ordonnances du roi d'Angleterre, & la derniere est du 16 Mars 1436, & ensuite jusqu'au folio 207 sont transcrites celles de Charles VII. depuis la réduction de la ville de Paris à son obéissance jusqu'à son décès arrivé le 22 Juillet 1461 ; la premiere qui est au folio 34, est un édit du 15 Mars 1435, qui confirme les arrêts & jugemens rendus par les officiers tenans le parti du roi d'Angleterre, & ensuite sont les premieres ordonnances faites par Louis XI.

Ces quatre premiers volumes sont suivis de trois volumes des ordonnances de ce roi, d'une de Charles VIII. d'une de Louis XII. de cinq de François I. de sept d'Henri II. de huit de Charles IX. de huit d'Henri III. d'une des ordonnances d'Henri III. & d'Henri IV. registrées au parlement de Paris séant à Tours, de six d'Henri IV. de huit de Louis XIII. & de celles de Louis XIV. dont il y a d'abord quarante-cinq volumes jusques & compris partie de l'année 1705, & le surplus de ses ordonnances jusques & compris 1715.

Les ordonnances du regne de Louis XV. composent déja un très-grand nombre de volumes, sans compter les suivantes qui ne sont encore qu'en minute.

On a fait en divers tems différens recueils imprimés des ordonnances de nos rois de la troisieme race.

Le plus ancien est celui que Guillaume Dubreuil donna vers 1315, & dont il composa les trois parties de son style du parlement de Paris ; il ne remonta qu'au tems de saint Louis, parce que les ordonnances plus anciennes n'étoient pas alors bien connues.

Dumoulin revit ce style vers l'an 1549, & y ajouta plusieurs dispositions d'ordonnances latines de saint Louis & de ses successeurs, jusques & compris Charles VIII. Il divisa cette compilation en cinquante titres, & morcela ainsi les ordonnances pour ranger leurs dispositions par ordre de matieres.

Il parut quelques années après une autre compilation d'ordonnances, rangées par ordre homologique, de l'impression des Etiennes, divisées en deux petits volumes in-folio, dont le premier contient seulement quarante-cinq ordonnances, qui sont presque toutes françoises, entre lesquelles sont les grandes ordonnances du roi Jean, de Charles VI. de Charles VII. de Louis XI. de Louis XII. dont quelques-unes néanmoins ne sont que par extrait ; le second volume ne contient que des ordonnances de François I. tant sur le fait de la guerre que sur d'autres matieres, depuis le 3 Septembre 1514 jusqu'en 1546.

En 1549 Rebuffe donna un recueil des mêmes ordonnances distribuées par ordre de matieres avec des longs commentaires.

Il y eut encore quelques autres collations d'ordonnances ; mais comme il n'y en avoit aucune qui fût complete , Fontanon, avocat au parlement, aidé par Pierre Pithou, Bergeron, & autres jurisconsultes de son tems, donna en 1580 un recueil plus ample d'ordonnances qui ne remonte cependant encore qu'à saint Louis. Il divisa ce recueil en quatre tomes in-folio, reliés en deux volumes : les ordonnances y sont rangées par matieres.

La Rochemaillet revit cet ouvrage par ordre de M. le chancelier de Sillery, & en donna en 1611 une seconde édition en trois volumes in-folio, augmentée d'un grand nombre d'ordonnances anciennes & nouvelles qui n'avoient pas encore été imprimées ; mais au-lieu de les placer suivant l'ordre de Fontanon sous les titres qui leur convenoient, il les mit par forme d'appendice, & avec une telle confusion qu'il n'y a seulement pas observé l'ordre des dates.

Henri III. ayant conçu dès 1579 le dessein de faire, à l'imitation de Justinien, un recueil abrégé de toutes les ordonnances de ses prédécesseurs & des siennes, il chargea de cette commission M. Brisson, avocat général, & ensuite président au parlement de Paris. Le président Brisson s'en acquitta avec autant de soin que de diligence ; il fit une compilation des ordonnances par ordre de matieres, qu'il mit sous le titre de code Henri & de Basiliques. Il comptoit faire autoriser & publier cet ouvrage en 1585, c'est pourquoi il a mis sous cette date toutes les nouvelles dispositions qu'il avoit projettées ; ce code fut imprimé en 1588. Voyez ce qu'on en a dit au mot CODE HENRI.

En 1596 Guenois fit une compilation plus ample des ordonnances par ordre de matieres, qui parut d'abord en deux gros volumes in-folio, & ensuite en trois.

Il parut en 1620 une nouvelle compilation d'ordonnances par ordre chronologique en un volume in-8 °. qui ne contenoit que les ordonnances concernant les matieres dont l'usage est le plus fréquent au palais. Neron & Girard augmenterent ce petit recueil en y joignant d'autres ordonnances avec de petites notes & renvois, desorte qu'ils en formerent un volume in-folio dont il y a eu différentes éditions. M. de Ferrieres y a fait aussi depuis des augmentations dans le même goût, & en a donné en 1720 une édition en deux volumes in-folio.

Ces différens recueils d'ordonnances n'étant point complets ou n'étant point dans l'ordre chronologique, Louis XIV. résolut de faire faire une nouvelle collection des ordonnances, plus ample, plus correcte & mieux ordonnée que toutes celles qui avoient paru jusqu'alors ; il fut réglé qu'on ne remonteroit qu'à Hugues Capet, soit parce que les ordonnances antérieures conviennent peu aujourd'hui à nos moeurs, soit parce qu'on ne pouvoit rien ajouter aux recueils imprimés qui ont été donnés de ces ordonnances, qui ont été données sous le titre de Code des lois antiques, & de Capitulaires des rois de France.

M. le chancelier Pontchartrain que le roi chargea de l'exécution de ce projet, fit faire des recherches dans tous les dépôts, & Mrs Berroyer, de Lauriere & Loger, avocats, qui furent choisis pour travailler sous ses ordres à la collection des ordonnances, donnerent en 1706 un volume in-4 °. contenant une table chronologique des ordonnances depuis Hugues Capet jusqu'en 1400, pour exciter les savans à communiquer leurs observations sur les ordonnances qui auroient été omises.

M. de Lauriere étant resté seul chargé de tout le travail, donna en 1723 le premier volume des ordonnances qui sont imprimées au louvre ; le second a été donné en 1729, après sa mort, sur ses mémoires, par M. Secousse, avocat, qui fut chargé de continuer cette collection, & qui en a donné sept volumes. M. de Vilevaut, conseiller de la cour des aides, que le roi a chargé du même travail après la mort de M. Secousse, a publié en 1755 le neuvieme volume, que l'on achevoit d'imprimer peu de tems avant la mort de M. Secousse.

Les ordonnances comprises dans ces neuf volumes commencent à l'an 1051, & vont jusqu'à la fin de l'année 1411.

Cette collection où les ordonnances sont rangées par ordre chronologique est accompagnée de savantes préfaces qui annoncent les matieres, de notes semblables sur le texte des ordonnances, d'une table chronologique des ordonnances, & des autres tables très-amples, une des matieres, une des noms des personnes dont il est parlé dans les ordonnances, l'autre des noms de provinces, villes & autres lieux.

Plusieurs auteurs ont fait des commentaires, notes & conférences sur les ordonnances, entr'autres Jean Constantin, sur les ordonnances de François I. Bourdin & Dumoulin sur celle de 1539 ; Duret & Boutarie sur celle de Blois ; Rebuffe, Fontanon, Joly, la Rochemaillet, Vrevin, Bagereau, Bornier, Corbin, Blanchard.

On joint souvent au terme d'ordonnance quelque autre dénomination : on va expliquer les principales dans les divisions suivantes.

Ordonnance des aides est une ordonnance de 1680, sur la matiere des aides & droits du roi.

Ordonnances barbines, qu'on appelle aussi barbines simplement, ordinationes barbinae, sont celles qui sont contenues dans le quatrieme registre des ordonnances du parlement, intitulés ordinationes barbinae ; on croit qu'elles furent ainsi appellées du nom de celui qui les a recueillies & mises en ordre. Ce registre commence en 1427, & finit en 1462.

Ordonnance de Blois ; il y en a deux de ce nom, une de Louis XII. en 1498 sur les gradués ; elle adopte le concile de Bâle & la pragmatique ; elle concerne aussi l'administration de la justice & la procédure ; l'autre, qui est celle que l'on entend ordinairement, est dite de Blois, quoique donnée à Paris, parce qu'elle fut faite sur les remontrances des états de Blois : elle concerne le clergé, les hôpitaux, les universités, la justice, la noblesse, le domaine, les tailles.

Ordonnance civile, c'est l'ordonnance de 1667, qui regle la procédure civile.

Ordonnance du commerce, qu'on appelle aussi code marchand, est celle qui fut faite en 1673, pour régler les matieres de commerce.

Ordonnance des committimus est celle du mois d'Août 1669 ; on l'appelle ainsi, parce qu'un des principaux titres est celui des committimus : elle traite ainsi des évocations, réglemens de juges, gardes-gardiennes, lettres d'états & de repi.

Ordonnance de la cour est celle qui est rendue sur requête par quelque cour souveraine.

Ordonnance criminelle est celle de 1670, qui regle la procédure en matiere criminelle.

Ordonnance du domaine ; on appelle quelquefois ainsi l'édit de Février 1566, portant réglement pour le domaine du roi.

Ordonnance des donations est celle du mois de Février 1731, qui fixe la jurisprudence sur la nature, la forme, les charges, ou les conditions des donations.

Ordonnance des eaux & forêts est une ordonnance de 1669, qui contient un réglement général sur toute la matiere des eaux & forêts.

Ordonnance des évocations ; on entend quelquefois par-là l'ordonnance de 1669, dont le premier titre traite des évocations, & les autres des réglemens de juge, committimus & gardes-gardiennes, &c. mais le titre d'ordonnance des évocations convient mieux à celle du mois d'Août 1737, concernant les évocations & les réglemens de juges.

Ordonnance du faux est celle du mois de Juillet 1637, concernant le faux principal, le faux incident, & les reconnoissances des écritures & signatures en matiere criminelle. Voyez FAUX.

Ordonnance des fermes est celle du mois de Juillet 1681, portant réglement sur les droits de toutes les fermes du roi en général : il y a une autre ordonnance du mois de Février 1687 sur le fait des cinq grosses fermes en particulier.

Ordonnance de Fontanon, c'est un recueil de diverses ordonnances de nos rois, rangées par matieres, publié par Fontanon, avocat, en 1580, en 2 vol. fol.

Ordonnances des gabelles est celle du mois de Mai 1680, qui regle tout ce qui concerne l'usage du sel.

Ordonnances générales, on appelloit ainsi autrefois celles qui étoient faites pour avoir lieu dans tout le royaume, à la différence d'autres ordonnances qui n'avoient lieu que dans les terres du domaine du roi.

Ordonnance de l'intendant est un réglement fait par un intendant de province dans une matiere de sa compétence.

Ordonnance du juge est celle qui est rendue par un juge au bas d'une requête, ou dans un procès-verbal, par lequel il permet d'assigner, saisir, ou autre chose semblable.

Au conseil provincial d'Artois on qualifie d'ordonnance tous les jugemens rendus à l'audience. Voyez Maillard sur Artois, art. 37.

Ordonnance de loi signifie la même chose qu'ordonnance du juge. Voyez Loyseau en son traité des seigneuries, ch. xvj. n. 47.

Ordonnance de la marine est celle de 1671, portant réglement pour le commerce maritime : il y en a une autre de 1689 pour les armées navales.

Ordonnance militaire est celle que le roi rend pour régler quelque chose qui touche le service militaire.

Ordonnance de 1539 est celle de Villers-Coterets, qui fut faite par François I. pour l'observation des procès.

Ordonnance de 1667. Voyez ci-devant ordonnance civile.

Ordonnance de 1669. Voyez ordonnance des committimus & ordonnance des eaux & forêts.

Ordonnance de 1670. Voyez ordonnance criminelle.

Ordonnance de 1676. Voyez ordonnance de la ville.

Ordonnance de 1673 est celle qui regle le commerce. Voyez CODE MARCHAND & ordonnance du commerce.

Ordonnance de Moulins, ainsi appellée parce qu'elle fut faite à Moulins, en 1566, concerne la réformation de la justice.

Ordonnance de Néron, c'est un recueil des principales ordonnances de nos rois, rangées par ordre de date, publié par Néron & Girard, avocats ; ce recueil a été augmenté à diverses reprises ; il est présentement en 2 vol. in-fol.

Ordonnance d'Orléans, a pris ce nom de ce qu'elle fut faite à Orléans en 1560, sur les remontrances des états tenus à Orléans ; elle concerne la réformation de la justice.

Ordonnances particulieres. Voyez ordonnances générales.

Ordonnance des quatre mois ; on appelle ainsi la disposition de l'article 48 de l'ordonnance de Moulins, qui permet d'exercer la contrainte par corps pour dettes, quoique purement civile, quatre mois après la condamnation, ce qui a été abrogé par l'ordonnance de 1667, tit. 34, si ce n'est pour dépens, restitution de fruits, ou dommages & intérêts montans à 200 liv. ou au-dessus.

Ordonnance sur requête. Voyez ordonnance du juge.

Ordonnance de Roussillon, ainsi appellée, parce qu'elle fut faite au château de Roussillon en Dauphiné, en 1563, sur l'administration de la justice : c'est celle qui a fixé le commencement de l'année au premier Janvier.

Ordonnance du roi signifie quelquefois une nouvelle loi, intitulée ordonnance : quelquefois on comprend sous ce terme toute loi émanée du prince, soit ordonnance, édit ou déclaration.

Ordonnance du royaume ; on distingue quelquefois les ordonnances du roi des ordonnances du royaume ; les premieres se peuvent changer, selon la volonté du roi : on entend par les autres, certains usages immuables qui regardent la constitution de l'état, tel que l'ordre de succéder à la couronne, suivant la loi salique. On trouve cette distinction dans un discours de M. de Harlay, président, prononcé devant le roi, séant en son lit de justice au parlement, le 15 Juin 1586.

Ordonnances royaux ; on appelle ainsi en style de chancellerie les ordonnances du roi, pour les distinguer de celles des cours & autres juges.

Ordonnance des substitutions est la derniere ordonnance du roi donnée au mois d'Août 1747, concernant les biens qui peuvent être substitués, la forme & la durée des substitutions, les regles à observer par ceux qui en sont grevés, & les juges qui en doivent connoître.

Ordonnance des testamens est celle du mois d'Août 1735, qui regle plusieurs choses à observer dans la confection des testamens.

Ordonnance des transactions est un édit de Charles IX. en 1560, portant que les transactions entre majeurs ne pourront être attaquées pour cause de lésion, telle qu'elle soit ; mais seulement pour cause de dol ou force.

Ordonnance de la troisieme race ; on comprend sous ce nom toutes les ordonnances, édits, déclarations, & même les lettres-patentes qui contiennent quelques réglemens émanés de nos rois, depuis Hugues Capet jusqu'à présent, la collection de ces ordonnances, qui se trouvent dispersées en différens dépôts, a été entreprise par ordre du roi Louis XIV. & continuée sous ce regne. M. de Lauriere, avocat, en a publié le premier volume en 1723 ; M. Secousse, avocat, a donné les sept volumes suivans, & M. de Vilevaut, conseiller de la cour des aides, chargé de la continuation de ce recueil, a publié en 1757 le neuvieme volume, ouvrage posthume de M. Secousse ; ce recueil s'imprime au Louvre. Voyez les préfaces qui sont en tête de chaque volume, & particulierement celles des premier, second & neuvieme volumes.

Ordonnance de la ville ; on donne ce nom à deux ordonnances qui ont été faites pour régler la jurisdiction du bureau de la ville de Paris ; l'une, de Charles VI. en 1415 ; l'autre, de Louis XIV, en 1676.

Ordonnance de Villers-Coterets fut faite par François I. en 1539, pour la réformation & abréviation des procès. Voyez CODE, DECLARATION, ÉDIT, LOI. (A)

ORDONNANCE, (Archit. civile) on entend par ce terme la composition d'un bâtiment, & la disposition de ses parties. On appelle aussi ordonnance l'arrangement & la disposition des parties qui composent les cinq ordres d'architecture. On dit, cette ordonnance est rustique, solide ou élégante, lorsque les principaux membres qui composent sa décoration, sont imités des ordres toscan, dorique, corinthien, &c. Daviler. (D.J.)

ORDONNANCE, (Peint.) on appelle ordonnance en Peinture le premier arrangement des objets qui doivent remplir un tableau, soit par rapport à l'effet général de ce tableau, & c'est ce qu'on nomme composition pittoresque, soit pour rendre l'action que ce tableau représente plus touchante & plus vraisemblable ; & c'est ce qu'on appelle composition poëtique. Voyez donc les mots PITTORESQUE & POETIQUE, composition, & vous entendrez ce qui concerne la meilleure ordonnance d'un tableau.

Nous nous contenterons de remarquer ici que le talent de la composition poëtique, & le talent de la composition pittoresque sont tellement séparés, qu'on connoît des peintres excellens dans l'une, & qui sont grossiers dans l'autre. Paul Véronèse, par exemple, a très-bien réussi dans cette partie de l'ordonnance que nous appellons composition pittoresque. Aucun peintre n'a su mieux que lui bien arranger sur une même scene, un nombre infini de personnages, placer plus heureusement ses figures, en un mot bien remplir une grande toile, sans y mettre la confusion : cependant Paul Véronèse n'a pas réussi dans la composition poëtique ; il n'y a point d'unité d'action dans la plûpart de ses grands tableaux. Un de ses plus magnifiques ouvrages, les nôces de Cana, qu'on voit au fond du réfectoire du couvent de saint Georges à Venise, est chargé de fautes contre la poësie pittoresque. Un petit nombre des personnages sans nombre dont il est rempli, paroît être attentif au miracle de la conversion de l'eau en vin, qui fait le sujet principal ; & personne n'en est touché autant qu'il le faudroit. Paul Véronèse introduit parmi les conviés des religieux bénédictins du couvent pour lequel il travaille. Enfin, ses personnages sont habillés de caprice ; & même il y contredit ce que nous savons positivement des moeurs & des usages du peuple dans lequel il choisit ses acteurs.

Comme les parties d'un tableau sont toujours placées l'une à côté de l'autre, & qu'on en voit l'ensemble du même coup d'oeil, les défauts qui sont dans l'ordonnance nuisent beaucoup à l'effet de ses beautés. Du Bos, réflexion sur la Peinture. (D.J.)

ORDONNANCE, les Artificiers appellent ainsi l'intervalle uniforme du tems qu'on doit laisser entre le jeu des pots-à-feu sur les théâtres d'artifices, ce qui s'exécute par l'égalité de longueur & vivacité des porte-feux ou des étoupilles.


ORDONNÉES. f. (Géom.) c'est le nom qu'on donne aux lignes tirées d'un point de la circonférence d'une courbe à une ligne droite, prise dans le plan de cette courbe, & qu'on prend pour l'axe, ou pour la ligne des abscisses. Il est essentiel aux ordonnées d'être paralleles entr'elles. On les appelle en latin ordinatim applicatae ; telles sont les lignes E M, E M, &c. Pl. coniq. fig. 26.

Quand les ordonnées sont égales de part & d'autre de l'axe, on prend quelquefois la partie comprise entre l'axe & la courbe pour demi- ordonnée, & la somme des deux lignes pour l'ordonnée entiere. On appelle aussi quelquefois ordonnées, des lignes qui partent d'un point donné, & qui se terminent à une courbe ; telles sont (fig. 39. de la Géométrie) les lignes C M, C M, &c. terminées à la spirale C M A, & partant du centre C du cercle A P p. Voyez SPIRALE. Voyez aussi ABSCISSE & COORDONNEES.

Dans une courbe du second genre, si on tire deux lignes paralleles, qui rencontrent la courbe en trois points, & qu'une ligne droite coupe chacune de ces paralleles, de maniere que la somme des deux parties terminées à la courbe d'un côté de la sécante soit égale à l'autre partie terminée à la courbe de l'autre côté, cette ligne droite coupera de la même maniere toutes les autres lignes, qu'on pourra tirer parallelement aux deux premieres, c'est-à-dire, de maniere que la somme des deux parties prises d'un côté de la sécante sera toujours égale à l'autre partie prise de l'autre côté. Voyez COURBE.

Il n'est pas essentiel aux ordonnées d'être perpendiculaires à l'axe, elles peuvent faire avec l'axe un angle quelconque, pourvu que cet angle soit toujours le même ; les ordonnées s'appellent aussi appliquées. Voyez APPLIQUEE.

Ordonnée se prend aussi adjectivement.

Raison ou proportion ordonnée, est une proportion qui résulte de deux ou de plusieurs autres proportions, & qui est telle que l'antécédent du premier rapport de la premiere proportion, est au conséquent du premier rapport de la seconde, comme l'antécédent du second rapport de la premiere proportion est au conséquent du second rapport de la seconde, par exemple, soit a : b : : c. d.

b : e : : d. g.

on aura en proportion ou raison ordonnée a : e : : c. g.

Equation ordonnée est une équation où l'inconnue monte à plusieurs dimensions, & dont les termes sont arrangés de telle sorte, que le terme où l'inconnue monte à la plus haute puissance soit le premier, qu'ensuite le terme où l'inconnue monte à la puissance immédiatement inférieure, soit le second, &c. Par exemple, x 3 + a x x + b x + c = 0 est une équation ordonnée du 3e. degré, parce que le terme x 3 où x monte à la plus haute puissance est le premier, que ce terme où X monte à la seconde puissance, &c. Voyez ÉQUATION. (O)


ORDONNERv. act. (Gram.) ce verbe a plusieurs acceptions diverses. Il commande, il enjoint, il prescrit. Le parlement a ordonné cette année 1761, que les jésuites fermeroient leurs noviciats, leurs colléges, leurs congrégations, jusqu'à ce qu'ils se fussent purgés devant sa majesté du soupçon de la doctrine sacrilege de monarchomachie, qu'ils eussent abjuré la morale abominable de leurs casuistes, & qu'ils eussent reformé leurs constitutions sur un plan plus conforme à nos lois, à la tranquillité publique, à la sureté de nos rois, & au bon ordre de la société. Un médecin ordonne une saignée, la diéte. Un testateur ordonne à l'exécuteur de ses dernieres volontés telle ou telle chose. Un évêque ordonne des prêtres. On ordonne aux subalternes cent écus d'appointement par mois. On ordonne une troupe, un repas, des peines ; le proverbe dit, charité bien ordonnée commence par soi-même. La générosité dit, au contraire, charité bien ordonnée commence par les autres.


ORDOVICESLES (Géog. anc.) anciens peuples de l'île d'Albion, que Ptolémée, liv. II. ch. iij. met sur la côte occidentale, entre les Brigantes au nord, & les Cornavi à l'orient. Le P. Briet explique le pays des Ordovices par les comtés de Flint, de Denbigh, de Caernaervan, de Merioneth & de Montgomeri, toutes contrées du pays de Galles. Ce peuple au reste faisoit partie de la seconde Bretagne. (D.J.)


ORDRES. m. (Métaph.) la notion métaphysique de l'ordre consiste dans le rapport ou la ressemblance qu'il y a, soit dans l'arrangement de plusieurs choses coexistentes, soit dans la suite de plusieurs choses successives. Comment prouveroit-on, par exemple, qu'Euclide a mis de l'ordre dans les élémens de Géométrie ? Il suffit de montrer qu'il a toujours fait précéder ce dont l'intelligence est nécessaire, pour comprendre ce qui suit. Cette regle constante ayant déterminé la place de chaque définition & de chaque proposition, il en résulte une ressemblance entre la maniere dont ces définitions & ces propositions coexistent, & se succedent l'une à l'autre.

Tout ordre détermine donc la place de chacune des choses qu'il comprend, & la maniere dont cette place est déterminée, comprend la raison pourquoi telle place est assignée à chaque chose. Que l'ordre d'une bibliothéque soit chronologique, c'est-à-dire, que les livres se suivent conformément à la date de leur édition, aussi-tôt chacun a sa place marquée, & la raison de la place de l'un, contient celle de la place de l'autre.

Cette raison énoncée par une proposition s'appelle regle. Quand la raison suffisante d'un certain ordre est simple, la regle est unique ; quand elle peut se résoudre en d'autres, il en résulte pluralité de regles à observer. Si je me contente de ranger mes livres suivant leurs formes, cette regle unique dispose de la place de tous les volumes. Mais si je veux avoir égard aux formes, aux reliures, aux matieres, à l'ordre des tems, voilà plusieurs regles qui concourent à déterminer la place de chaque livre. Dans ce dernier cas l'observation des regles les plus importantes doit préceder celle des moins considérables. Les regles qui doivent être observées ensemble, ne sauroient être en contradiction, parce qu'il ne sauroit y avoir deux raisons suffisantes opposées d'une même détermination, qui soient de la même force. Il peut bien y avoir des contrariétés de regles, ou collisions qui produisent les exceptions ; mais dans ce cas, on sent toujours qu'une regle est plus étendue & plus forte que l'autre. Les regles ne doivent pas non plus se déterminer réciproquement ; car alors c'est un embarras superflu. Une regle qui est déja supposée par une autre, reparoît inutilement à part.

L'ordre qui est lié à l'essence des choses, & dont le changement détruiroit cette essence, est un ordre nécessaire : celui dont les regles peuvent varier sans détriment essentiel, est contingent. L'ordre des côtés d'un triangle, ou de toute autre figure est un ordre nécessaire. Il n'en est pas de même de celui des livres d'un cabinet, des meubles d'un appartement. L'ordre qui y regne est contingent ; & plusieurs bibliothéques, appartemens, jardins peuvent être rangés différemment, & se trouver dans un bon ordre.

Il y a défaut dans l'ordre, toutes les fois qu'une chose n'est pas à la place que les regles lui destinent. Mais si certaines choses sont susceptibles d'être rangées de diverses manieres, ce qui est défaut dans un ordre, ne sauroit être censé tel dans un autre ordre.

L'opposé de l'ordre, c'est la confusion, dans laquelle il n'y a ni ressemblance entre l'arrangement, les simultanés, & l'enchaînure des successifs, ni regles qui déterminent les places.

Pour connoître un ordre, il faut être au fait des regles qui déterminent les places. Combien de gens se mêlent de juger du gouvernement d'un état, des opérations d'une compagnie, ou de telle autre manoeuvre, & qui en jugent en aveugles, parce qu'ils ne connoissent point le plan secret, & les vues qui déterminent la place de chaque démarche, & la soumettent à un ordre caché, sans la connoissance duquel, telle circonstance, détachée de tout le systême, peut paroître extraordinaire, & même ridicule. Combien voit-on de gens dont l'audacieuse critique censure le plan physique ou moral de l'univers, & qui prétendent y trouver des désordres. Pour faire sentir ces désordres, qu'ils commencent par étaler la notion de l'ordre qui doit regner dans l'univers, & qu'ils démontrent que celle qu'ils ont conçue est la seule admissible. Et comment pourroient-ils le faire, ne connoissant qu'un petit coin de l'univers, dont ils ne voient même que l'écorce ? Celui-là seul qui est derriere le rideau, & qui connoît les moindres ressorts de la vaste machine du monde, l'Etre suprême qui l'a formé, & qui le soutient, peut seul juger de l'ordre qui y regne.

Quand il reste des déterminations arbitraires qui laissent certaines choses sans place fixe, il y a un mélange d'ordre & de confusion, & l'un ou l'autre domine à proportion du nombre des places déterminées ou à déterminer.

Les choses qui n'ont aucune différence intrinséque peuvent changer de place entr'elles, sans que l'ordre soit altéré, au-lieu que celles qui différent intrinséquement ne sauroient être substituées l'une à l'autre. Quand on dérange une chambre, dans laquelle il n'y a, par exemple, qu'une douzaine de chaises pareilles, il n'est pas nécessaire que chaque chaise retourne précisément à la place où elle étoit. Mais si les meubles de cet appartement sont inégaux, qu'il y ait sopha, lit, ou telle autre piece disproportionnée à d'autres, on ne sauroit mettre le lit où étoit une chaise, &c.

C'est l'ordre qui distingue la veille du sommeil ; c'est que dans celui-ci tout se fait sans raison suffisante. Personne n'ignore les bisarres assemblages qui se forment dans nos songes. Nous changeons de lieu dans un instant. Une personne paroît, disparoît & reparoît. Nous nous entretenons avec des morts, avec des inconnus, sans qu'il y ait aucune raison de toutes ces révolutions. En un mot, les contradictoires y ont lieu. Aussi la fin d'un songe n'a souvent aucun rapport avec le commencement ; & il en résulte que la succession de nos idées en songe, n'ayant point de ressemblance, la notion de l'ordre ne s'y trouve pas ; mais pendant la veille, chaque chose a sa raison suffisante ; la suite des idées & des mouvemens se développe & s'exécute conformément aux lois de l'ordre établi dans l'univers, & la confusion ne s'y trouve jamais au point d'admettre la coexistence des choses contradictoires.

ORDRE, en Géométrie, se dit en parlant des lignes courbes, distinguées par le différent degré de leur équation. Les lignes droites, dont l'équation ne monte qu'au premier degré, composent le premier ordre ; les sections coniques, le second ordre, parce que leur équation monte au second degré, & ainsi des autres.

M. Newton a fait un ouvrage intitulé, énumération des lignes du troisieme ordre. Voyez COURBE.

On se sert quelquefois du mot de degré au lieu de celui d'ordre : ainsi on dit une courbe ou une ligne du troisieme degré, pour une ligne du troisieme ordre. Voyez DEGRE, COURBE & GENRE.

Ordre s'emploie aussi en parlant des infinis & des infiniment petits ; ainsi on dit infini du second ordre, pour dire une quantité infinie par rapport à une autre qui est déja infinie elle-même : infiniment petit du second ordre, pour dire une quantité infiniment petite par rapport à une autre qui est déja infiniment petite elle-même, & ainsi de suite : sur quoi voyez INFINI & DIFFERENCIEL. On dit de même équation différencielle du premier, du second, &c. ordre, pour dire une équation où les différencielles sont du premier, du second ordre, &c. Voyez ÉQUATION. (O)

ORDRE, (Jurisprud. canon.) est le sixieme des sacremens de l'Eglise catholique, qui donne un caractere particulier aux ecclésiastiques lorsqu'ils se consacrent au service de Dieu.

La tonsure cléricale n'est point un ordre, c'est seulement une préparation pour parvenir à se faire promouvoir aux ordres.

L'ordre a été institué par J. C. lorsqu'il dit à ses disciples : Sicut misit me pater, & ego mitto vos.... Insufflavit & dixit eis, accipite Spiritum Sanctum, &c. Joann. xx. v. 21.

Mais comme J. C. & l'Eglise n'ont point donné à tous les clercs un pouvoir égal, il y a dans le clergé différens degrés que l'on nomme ordres ; & ces degrés sont ce qui compose la hiérarchie ecclésiastique.

Suivant l'usage de l'église latine, on distingue deux sortes d'ordres ; savoir les ordres mineurs ou moindres, & les ordres sacrés ou majeurs.

Les ordres mineurs ou moindres sont au nombre de quatre ; savoir l'office de portier, celui de lecteur, celui d'exorciste & celui d'acolythe.

Les ordres majeurs ou sacrés sont le soudiaconat, le diaconat & la prêtrise : l'épiscopat est encore un degré au-dessus de la prêtrise.

Les évêques reçoivent la plénitude du sacerdoce avec le caractere épiscopal, voyez CONSECRATION & EVEQUE. Ils sont aussi les seuls qui puissent donner à l'Eglise des ministres par le sacrement de l'ordre.

L'imposition des mains de l'évêque est la matiere du sacrement de l'ordre ; la priere qui répond à l'imposition des mains en est la forme.

L'ordre imprime sur ceux qui le reçoivent un caractere indélébile, qui les rend ministres de J. C. & de son Eglise d'une maniere irrévocable.

L'ordination d'un prêtre se fait par l'évêque, en mettant les deux mains sur la tête de l'ordinant, & en récitant sur lui des prieres. Les prêtres qui sont présens lui imposent aussi les mains ; l'évêque lui met les ornemens du sacerdoce ; il lui consacre les mains par dedans avec l'huile des cathécumenes ; & après lui avoir fait toucher le calice plein de vin, & la patene avec le pain, il lui donne le pouvoir d'offrir le saint sacrifice. Le nouveau prêtre célebre avec l'évêque ; après la communion l'évêque lui impose une seconde fois les mains, & lui donne le pouvoir de remettre les péchés.

Tous les prêtres reçoivent dans l'ordination le même pouvoir ; cependant ils n'en ont pas toujours l'exercice : ainsi un prêtre qui n'a point de bénéfice à charge d'ames, ne peut confesser & absoudre hors le cas de nécessité, sinon en vertu d'un pouvoir spécial de l'évêque.

Pour l'ordination d'un diacre, l'évêque met seulement la main sur la tête de l'ordinant, en disant recevez le Saint-Esprit ; ensuite il lui donne les ornemens de son ordre, & le livre des Evangiles.

Il n'y a point d'imposition des mains pour le soudiaconat ; l'évêque donne seulement à l'ordinant le calice vuide avec la patene, le revêt des ornemens de son ordre, & lui donne le livre des épîtres.

Ceux qui ont reçu les ordres sacrés ne peuvent plus se marier ; on accorde quelquefois des dispenses à ceux qui n'ont que le soudiaconat, mais ces exemples sont rares.

Les ordres mineurs se conférent sans imposition des mains, & seulement par la tradition de ce qui doit servir aux fonctions de l'ordinant ; ainsi l'évêque donne au portier les clés, au lecteur le livre de l'église, à l'exorciste le livre des exorcismes, à l'acolythe il fait toucher le chandelier, le cierge & les burettes.

Ceux qui ont reçu les ordres mineurs peuvent quitter l'état de cléricature & se marier sans dispense.

Le concile de Trente exhorte les évêques à rétablir les fonctions des ordres mineurs, & à ne les faire remplir que par des clercs qui aient reçu l'ordre auquel elles sont attachées ; mais ce réglement n'a point eu d'exécution. Les fonctions des quatre ordres mineurs sont le plus souvent remplies par de simples clercs, ou même par des laïques revêtus d'habits ecclésiastiques ; desorte qu'on ne regarde plus les ordres mineurs que comme une cérémonie nécessaire pour parvenir aux ordres supérieurs.

Il faut néanmoins excepter la fonction des exorcismes, laquelle par un usage établi depuis longtems dans l'Eglise, est reservée aux prêtres, lesquels ne peuvent même exorciser les possédés du démon, sans un pouvoir spécial de l'évêque, parce qu'il est rare présentement qu'il y ait des possédés, & qu'il y a souvent de l'imposture de la part de ceux qui paroissent l'être.

L'ordination ne se réitere point, si ce n'est quand on doute si celui qui a conféré les ordres à un clerc, étoit véritablement évêque, ou bien s'il avoit ordonné prêtre quelqu'un qui n'auroit point été baptisé ; dans ce dernier cas, on commence par donner le baptême, & ensuite tous les ordres inférieurs au sacerdoce.

Si l'évêque avoit omis l'imposition des mains à l'imposition d'un prêtre ou d'un diacre, on ne réitere pas pour cela toute l'ordination ; mais il faut que celui qui a été ordonné suspende les fonctions de son ordre jusqu'à ce que la cérémonie omise ait été suppléée aux premiers quatre-tems. Mais si l'évêque avoit omis de prononcer lui-même les prieres qu'il doit dire, il faudroit réiterer l'ordination.

Celui qui a reçu les ordres d'un évêque excommunié, ne peut en faire les fonctions jusqu'à ce qu'il en ait obtenu la dispense.

Un évêque qui s'est démis de son évêché, sans renoncer à la dignité épiscopale, peut donner les ordres quand il en est prié par un autre évêque.

Il n'est pas permis à un évêque de donner les ordres hors de son diocese, même à ses diocésains, si ce n'est par la permission de l'ordinaire du lieu : celui qui ordonne autrement est suspens pour un an de la collation des ordres ; & celui qui a été ainsi ordonné, suspens de ses fonctions jusqu'à ce que l'évêque l'ait relevé de la suspense.

Suivant le droit canonique, l'évêque ordinaire d'un clerc pour l'ordination, est celui du diocese où il est né, ou dans le diocese duquel il a son domicile ou un bénéfice.

Le concile de Trente permet aussi à un évêque d'ordonner un clerc qui a demeuré 3 ans avec lui, pourvû qu'il lui confere aussitôt un bénéfice.

Mais les évêques de France, dans les assemblées du clergé de 1635 & 1665, sont convenus de n'ordonner sans démissoire, que les clercs originaires de leur diocese : ce qui s'observe assez exactement, quoiqu'il n'y ait pas de loi qui ait révoqué l'ancien usage.

Les religieux doivent être ordonnés par l'évêque du diocese où est leur monastere ; ce qui ne peut se faire néanmoins sans le consentement de leur supérieur régulier.

En l'absence de l'évêque, son vicaire général, & pendant la vacance de l'évêché, le chapitre de la cathédrale, peuvent donner des démissoires pour les ordres. Voyez DEMISSOIRE.

Le pape est en possession d'ordonner les clercs de quelque diocese que ce soit, sans le consentement de leur évêque.

Les ordres mineurs se peuvent donner tous les dimanches & fêtes ; mais les ordres majeurs ne se donnent qu'aux quatre-tems, le samedi saint, ou le samedi d'avant le dimanche de la Passion : les ordres majeurs ne peuvent être conférés en d'autres tems, si ce n'est par dispense du pape, ce qu'on appelle une dispense extra tempora.

Ceux qui ont reçu les ordres sacrés hors les tems prescrits par l'Eglise, sont suspens des fonctions de leur ordre jusqu'à ce qu'ils aient obtenu une dispense du pape. L'évêque qui a ordonné hors les tems prescrits, est punissable pour cette contravention.

On observoit autrefois des interstices entre chaque ordre mineur ; présentement dans la plûpart des dioceses, l'évêque les donne tous quatre en un même jour, & même souvent en donnant la tonsure.

Pour ce qui est des ordres sacrés, il n'est pas permis d'en conférer deux en un même jour, ni en deux jours consécutifs ; l'évêque qui auroit ainsi ordonné un clerc, demeureroit suspens du droit de conférer les ordres, & le clerc suspens de ses fonctions, jusqu'à ce qu'ils aient été relevés de la suspense.

Ces regles ne furent pas observées par Photius, lequel dans le ix. siecle fut mis à la place du patriarche Ignace ; les évêques le firent passer en six jours par tous les degrés du sacerdoce. Le premier jour, on le fit moine, parce qu'alors l'état monachal faisoit en Orient un degré de la hiérarchie ecclésiastique ; le second jour, on le fit lecteur ; le troisieme, soudiacre, puis diacre, prêtre, & enfin patriarche.

On en usa de même pour Humbert, dauphin de Viennois, auquel Clément VI. donna tous les ordres sacrés en un même jour.

Pour être promû aux ordres il faut avoir les qualités nécessaires, telles que la vertu, la piété, la conduite réguliere, la vocation ; il faut aussi n'être point irrégulier. Voyez IRREGULARITE.

Le concile de Trente veut aussi que l'on ne donne les ordres mineurs qu'à ceux qui entendent le latin, & dont les progrès font espérer qu'ils se rendront dignes des ordres supérieurs.

Quant à l'âge nécessaire, en France les évêques ne donnent les ordres mineurs qu'à ceux qui ont 18 ou 19 ans ; l'âge fixé pour le soudiaconat est de 22 ans commencés, pour le diaconat 23, & pour la prêtrise 24 ans commencés ; le pape accorde quelquefois des dispenses d'âge. Celui qui seroit ordonné avant l'âge nécessaire sans dispense, seroit suspens des fonctions de son ordre jusqu'à ce qu'il eût l'âge légitime.

Avant d'admettre un clerc aux ordres, on lui fait subir un examen sur les choses qu'il doit savoir, selon son âge & le degré auquel il aspire.

On observe aussi en France d'obliger les clercs de demeurer quelque tems au séminaire avant de se présenter à l'ordination.

Il est d'usage de publier au prône de la paroisse, le nom de celui qui se présente pour les ordres sacrés, & l'on ordonne à ceux qui y sauroient quelque empêchement de le venir déclarer.

Autrefois on n'ordonnoit aucun clerc sans lui donner un titre ; présentement pour les ordres sacrés il faut que l'ordinant ait un bénéfice ou un titre clérical. Voyez TITRE CLERICAL.

L'évêque donne à celui qui est ordonné des lettres d'ordres ou ordination, signées de lui ; & l'on tient registre de ces lettres.

Il y a des bénéfices qui requierent dans le titulaire un certain ordre, comme de diaconat ou de prêtrise ; l'ordre peut être requis à lege ou à fundatione, voyez BENEFICE. Voyez la collection des conciles, les mémoires du clergé, les lois ecclésiastiques d 'Hericourt. (A)

ORDRE, (Jurisprud.) qu'on appelle état en Normandie, est un jugement qui fixe le rang dans lequel les créanciers opposans au decret, doivent être payés sur le prix des biens saisis réellement, & sur les deniers provenans des baux judiciaires.

En quelques endroits, comme en Lorraine, au parlement de Bordeaux & en Angoumois, l'ordre se fait avant l'adjudication par decret, afin de ne vendre des biens qu'autant qu'il en faut pour payer les créanciers. A Paris, & presque partout ailleurs, l'ordre ne se fait qu'après l'adjudication.

En Normandie on fait d'abord un état du prix des baux judiciaires, pour voir pareillement s'il y a de quoi payer les créanciers sans vendre le fonds ; ailleurs on ne fait qu'un seul ordre.

En quelques endroits on ne fait l'ordre que quand le prix est consigné ; en d'autres on le commence aussitôt après l'adjudication.

Quand le decret est délivré, le procureur du poursuivant leve au greffe un extrait du nom des opposans, & celui de leur procureur ; il prend ensuite avec eux l'appointement sur l'ordre, qui est un appointement en droit à écrire & produire : il doit bien prendre garde de n'omettre aucun des créanciers opposans ; car s'il en omettoit un qui pût être utilement colloqué, il seroit responsable de sa créance.

Huitaine après la signification de l'appointement, le poursuivant fournit ses causes & moyens d'opposition, & fait sa production.

Le procureur plus ancien des opposans, lequel en cette matiere est regardé comme leur syndic, contredit toutes les productions ; ce qui n'empêche pas que chaque opposant n'ait aussi la liberté de contredire en son particulier.

L'instance d'ordre étant instruite, on juge ; & par le jugement on fait l'ordre, ce que l'on appelle sentence d'ordre, ou arrêt d'ordre, si c'est en cour souveraine.

On colloque dans l'ordre, en premier les créanciers privilegiés, chacun suivant le rang de leur privilege ; en second lieu les créanciers simples hypothécaires, chacun suivant le rang de leur hypothéque ; en troisieme lieu les créanciers chirographaires.

Les créanciers colloqués utilement dans l'ordre, vont toucher leur paiement aux saisies réelles, ou aux consignations, suivant que leur paiement est assigné sur l'un ou sur l'autre.

Au châtelet on nomme un commissaire pour faire l'ordre.

Il y a encore divers usages sur cette matiere dans différens tribunaux. Voyez le traité de la vente des immeubles par decret par M. d 'Hericourt, les questions de Bretonnier, au mot DECRET.

Bénéfice d'ordre ou de discussion, est une exception accordée à la caution pour ne pouvoir être poursuivie avant que le principal obligé ait été discuté. Voyez CAUTION, DISCUSSION, FIDEJUSSEUR. (A)

ORDRE RELIGIEUX, (Hist. ecclésiast.) congrégation, société de religieux, vivans sous un chef, d'une même maniere, & sous un même habit.

On peut réduire les ordres religieux à cinq classes : Moines, Chanoines, Chevaliers, Mendians, & Clercs réguliers. On sait que l'ordre de S. Basile est le plus célebre de l'Orient, & l'ordre de S. Benoît un des plus anciens de l'Occident. L'ordre de S. Augustin se divise en chanoines réguliers & en hermites de S. Augustin. Quant aux quatre ordres des religieux mendians, qui ont été tant multipliés, ils ne parurent que dans le xiij. siecle.

Laissons au P. Helliot tous les détails qui concernent les ordres religieux, & traçons seulement en général leur origine & leurs progrès, non pas néanmoins avec des protestans prévenus, mais avec M. l'abbé Fleury, dont l'impartialité égale les lumieres.

La naissance du monachisme est de la fin du iij siecle. Saint-Paul qui vivoit en CCL, Saint-Antoine & Saint-Pacôme, sont les premiers religieux chrétiens d'Egypte, & on les reconnoît pour les plus parfaits de tous ceux qui leur succéderent. Cassien qui nous a donné une description exacte de leur maniere de vie, nous apprend qu'elle renfermoit quatre principaux articles : la solitude, le travail, le jeûne & la priere. Leur solitude ne consistoit pas seulement à se séparer des autres hommes, mais à s'éloigner des lieux fréquentés, & habiter des deserts. Or, ces deserts n'étoient pas, comme plusieurs s'imaginent, de vastes forêts, ou d'autres terres abandonnées, que l'on pût défricher & cultiver : c'étoient des lieux non-seulement inhabités, mais inhabitables : des plaines immenses de sables arides, des montagnes stériles, des rochers, & des pierres. Ils s'arrêtoient aux endroits où ils trouvoient de l'eau, & y bâtissoient leurs cellules de roseaux ou d'autres matieres légeres ; & pour y arriver, il falloit souvent faire plusieurs journées de chemin dans le desert. Là, personne ne leur disputoit le terrein ; il ne falloit demander à personne la permission de s'y établir.

Le travail des mains étoit regardé comme essentiel à la vie monastique. La vocation générale de tout le genre humain est de passer ses jours à quelques fonctions sérieuses & pénibles. Les plus grands saints de l'ancien testament ont été pâtres, & laboureurs. Le travail de ces premiers religieux tendoit, d'une part, à éviter l'oisiveté & l'ennui qui en est inséparable ; & d'autre part, à gagner de quoi subsister sans être à charge à personne. Ils prenoient à la lettre ce précepte de Saint Paul : " Si quelqu'un ne veut point travailler, qu'il ne mange pas non plus ". Ils ne cherchoient ni glose ni commentaire à ce précepte ; mais ils s'occupoient à des travaux compatibles à leur état : comme de faire des nattes, des corbeilles, de la corde, du papier, ou de la toile. Quelques-uns ne dédaignoient pas de tourner la meule. Ceux qui avoient quelques pieces de terre, les cultivoient eux-mêmes : mais ils aimoient mieux les métiers que les biens en fonds, qui demandent trop de soins, & attirent des procès.

Ces religieux jeûnoient presque toute l'année, ou du moins se contentoient d'une nourriture très-frugale. Ils réglerent la quantité de leur pain à 12 onces par jour, qu'ils distribuoient en deux repas ; l'un à none, l'autre au soir. Ils ne portoient ni cilice ni chaîne ou carcan de fer ; car pour les disciplines & flagellations, elles n'avoient pas encore été imaginées. Leurs austérités consistoient dans la persévérance en une vie uniforme & laborieuse ; ce qui est plus convenable à la nature, que l'alternative des rudes pénitences avec le relâchement.

Leur priere étoit réglée avec la même sagesse. Ils prioient en commun deux fois en 24 heures ; le soir & la nuit. Une partie étant debout, chantoit un pseaume au milieu de l'assemblée ; & les autres écoutoient dans le silence, sans se fatiguer la poitrine ni le reste du corps. Leurs dévotions étoient de même goût, si on ose le dire, que les ouvrages des anciens Egyptiens, grandes, simples & solides. Tels étoient ces premiers moines si fort estimés par S. Basile & S. Jean-Chrysostome.

La vie monastique, en s'étendant par toute la chrétienté, commença à dégénerer de cette premiere perfection. La regle de S. Benoît nous apprend qu'il fut obligé d'accorder aux religieux un peu de vin, & deux mets outre le pain, sans les obliger à jeûner toute l'année. Cependant, voyez combien la ferveur s'est ralentie, depuis qu'on a regardé cette regle comme d'une sévérité impraticable ! Voyez, dis-je, combien ceux qui y ont apporté tant de mitigations, étoient éloignés de l'esprit de leur réelle vocation ; tant il est vrai que la nature corrompue ne cherche qu'à autoriser le relâchement !

On vit bientôt après des communautés de clercs mener une vie approchante de celle des religieux de ce tems-là : on les nomma chanoines ; & vers le milieu du vij. siecle, Chrodegang, évêque de Metz, leur donna une regle : ainsi voilà deux sortes de religieux dans le vij. siecle ; les uns clercs ; les autres laïcs ; on sait quelles en ont été les suites.

Au commencement du ix. siecle, les religieux de S. Benoît se trouverent très-éloignés de l'observance de la regle de leur institut. Vivans indépendans les uns des autres, ils reçurent de nouveaux usages qui n'étoient point écrits, comme la couleur, la figure de l'habit, la qualité de la nourriture, &c. & ces divers usages furent des sources d'orgueil & de relâchement.

Dans le x. siecle, en 910, Guillaume, duc d'Aquitaine, fonda l'ordre de Clugny, qui sous la conduite de l'abbé Bernon, prit la regle de S. Benoît. Cet ordre de Clugny se rendit célebre par la doctrine & les vertus de ses premiers abbés ; mais au bout de deux cent ans, il tomba dans une grande obscurité, & l'on n'y vit plus d'homme distingué depuis Pierre le vénérable.

Les deux principales causes de cette chûte furent les richesses, & la multiplication des prieres vocales. Le mérite singulier des premiers abbés de Clugny leur procura des dons immenses, qu'ils eussent mieux fait de refuser, s'ils avoient sérieusement réfléchi sur les suites de leur opulence. Les moines de Clugny ne tarderent pas de faire la meilleure chere possible en maigre, & de s'habiller des étoffes du plus grand prix. Les abbés marcherent à grand train ; les églises furent bâties magnifiquement, & richement ornées, & les lieux réguliers à proportion.

L'autre cause du relâchement fut la multiplication de la psalmodie & des prieres vocales. Ils ajouterent entr'autres choses, à la regle de S. Benoît l'office des morts, dont ils étoient les auteurs. Cette longue psalmodie leur ôtoit le tems du travail des mains ; & Pierre le vénérable fut trompé par les préjugés de son siecle, en regardant le travail corporel comme une occupation servile. L'antiquité n'en jugeoit pas ainsi ; & sans parler des Israélites, on sait que les Grecs & les Romains s'en faisoient honneur.

Deux cent ans après la fondation de Clugny, saint Bernard fonda l'ordre religieux de Cisteaux ; mais il faut avouer que son zele ne fut pas assez reglé par la discrétion. Il introduisit dans l'observance de Cisteaux une nouveauté, qui dans la suite, contribua beaucoup au relâchement ; je veux dire, la distinction des moines du choeur & des freres lais. Jusqu'au xj. siecle, les moines se rendoient eux-mêmes toutes sortes de services, & s'occupoient tous des mêmes travaux.

Saint Jean-Gualbert institua le premier des freres-lais dans son monastere de Valombreuse, fondé vers l'an 1040. On occupa ces freres-lais des travaux corporels, du ménage de la campagne, & des affaires du dehors. Pour priere, on leur prescrivit un certain nombre de pater ; & afin qu'ils s'en pussent acquiter, ils avoient des grains enfilés, d'où sont venus les chapelets. Ces freres étoient vêtus moins bien que les moines, & portoient la barbe longue, comme les autres laïcs. Les Chartreux, les moines de Grandmont, & ceux de Cisteaux ayant établi des freres-lais, tous les ordres religieux venus depuis, ont suivi leur exemple : il a même passé aux religieuses ; car on distingue chez elles, les filles du choeur, & les soeurs converses.

Cette distinction entre les religieux a fait beaucoup de mal. Les moines du choeur, voyant les freres-lais au-dessous d'eux, les ont regardés comme des hommes grossiers, & se sont regardés eux-mêmes comme des seigneurs ; c'est en effet ce que signifie le titre de dom, abrégé de dominus, qui en Italie & en Espagne, est encore un titre de noblesse que la regle de saint Benoît donnoit à l'abbé seul dans le xj siecle.

D'un autre côté, les freres-convers, qu'on tenoit fort bas & fort soumis, ont voulu souvent dominer, comme étant plus nécessaires pour le temporel que le spirituel supposé ; car il faut vivre avant que de prier & d'étudier.

Depuis ce tems, les moines abandonnerent plus que jamais le travail des mains, & quelques-uns d'eux crurent que l'étude étoit la seule occupation qui pût leur convenir ; mais ils ne se bornerent pas à l'étude de l'Ecriture sainte, ils embrasserent toutes sortes d'études ; celle des canons & du droit civil, qui ne devoient pas être de leur ressort, & celle de la Médecine, encore moins. Rigord, moine de S. Denys étoit physicien, c'est-à-dire médecin du roi Louis-le-Gros, dont il a écrit la vie. Si ces moines commencerent ces sortes d'études par charité, ils les continuerent par intérêt, pour gagner de l'argent, comme auroient fait des séculiers. Le concile de Rheims tenu par le pape Innocent III. en 1131, nous l'apprend, c'est, dit ce concile, au canon VI, l'avarice, qui les engage à se faire avocats, & à plaider des causes justes & injustes sans distinction. C'est l'avarice qui les engage à mépriser le soin des ames, pour entreprendre la guérison des corps, & arrêter leurs yeux sur des objets dont la pudeur défend même de parler.

Le concile de Latran tenu en 1215, voulant remédier à l'extrême relâchement des communautés religieuses de l'un & de l'autre sexe, ordonna la tenue des chapitres généraux tous les trois ans : mais ce remede a eu peu d'effet ; parce que d'ailleurs les chapitres généraux ont de grands inconvéniens. La dissipation inséparable des voyages est plus grande ; & plus ces chapitres sont grands, plus grande est la dépense, qui oblige à faire des impositions sur les monasteres, source de plaintes & de murmures. Enfin, quel a été le fruit de ces chapitres ? de nouveaux réglemens & des députations de visiteurs pour les faire exécuter ; c'est-à-dire, une multiplication odieuse de voyages & de dépenses, comme l'a fait voir l'expérience de quatre siecles.

Le même concile de Latran défendit de nouvelles religions, c'est-à-dire de nouveaux ordres ou congrégations. Cette défense étoit très sage, très-avantageuse à l'état, & conforme à l'esprit de la pure antiquité. Les divers ordres religieux sont autant de petites églises jalouses l'une de l'autre dans l'Eglise universelle. Il est moralement impossible qu'un ordre estime autant un autre institut que le sien, & que l'amour propre ne pousse pas chaque religieux à préférer singulierement l'institut qu'il a choisi, à souhaiter à sa communauté plus de richesses & de réputation qu'à toute autre, & à se dédommager ainsi de ce que la nature souffre à ne rien posséder en propre. Les moines aiment tant leur ordre, parce que leur regle les prive des choses, sur lesquelles les passions ordinaires s'appuient. Reste donc cette passion pour la regle même qui les afflige. De-là tant d'activité, de procès & de disputes si vives entre les ordres religieux sur la préséance & les honneurs.

Le concile de Latran avoit donc très-sagement défendu d'instituer de nouvelles religions ; mais son decret a été si mal observé, ainsi que celui du concile de Lyon, tenu soixante ans après pour en réitérer la défense, que depuis ces deux conciles, il s'est plus établi de nouveaux ordres, que dans tous les siecles précédens.

Si les inventeurs des nouveaux ordres qu'on nomme religieux mendians, n'étoient pas canonisés pour la plûpart, on pourroit les soupçonner de s'être laissé séduire à l'amour propre, & d'avoir voulu se distinguer par leur raffinement au-dessus des autres. Mais sans préjudice de leur sainteté, on peut librement attaquer leurs lumieres ; & le pape Innocent III. avoit raison de faire difficulté d'approuver le nouvel institut de saint François. En effet, il eût été plus utile à l'Eglise que les papes & les évêques se fussent appliqués sérieusement à réformer le clergé séculier, & le rétablir sur le pié des trois premiers siecles, sans appeller au secours ces troupes étrangeres ; ensorte qu'il n'y eût que deux genres de personnes consacrées à Dieu, des clercs destinés à l'instruction & la conduite des fideles, & un petit nombre de moines séparés du monde, & appliqués uniquement à prier & travailler en silence.

Mais comme au xiij. siecle, l'on étoit touché des desordres que l'on avoit devant les yeux, l'avarice du clergé, son luxe, sa vie molle & voluptueuse qui avoit gagné les monasteres rentés, l'on crut devoir admettre des hommes qui renonçoient à la possession des biens temporels en particulier, & en commun. Ainsi l'on goûta beaucoup l'institut des freres Mineurs, & autres nouveaux moines, qui choisirent la mendicité jusques-là rejettée par les plus saints religieux. Le vénérable Guigues traite d'odieuse la nécessité de quêter ; & le concile de Paris tenu en 1212, veut que l'on donne de quoi subsister aux religieux qui voyagent, pour ne les pas réduire à mendier à la honte de leur ordre. Saint François lui-même avoit ordonné le travail à ses disciples, ne leur permettant de mendier qu'à la derniere extrêmité ; & dans son testament, il leur fait une défense expresse de demander au pape aucun privilege, & de donner aucune explication à sa regle. Cependant peu de tems après sa mort, les freres Mineurs assemblés au chapitre de 1230, obtinrent du pape Grégoire IX. une bulle qui déclare qu'ils ne sont point obligés à l'observation de son testament, & qui explique la regle en plusieurs articles. Ainsi le travail des mains si recommandé dans l'Ecriture, & si bien pratiqué par les premiers moines, est devenu odieux, & la mendicité odieuse auparavant, est devenue honorable.

J'avoue que les freres Prêcheurs & les freres Mineurs, négligeant dans l'enfance de leurs ordres, les bénéfices & les dignités ecclésiastiques, se rendirent célebres par leurs études dans les universités naissantes de Paris & de Boulogne ; & sans examiner quel étoit au fond ce genre d'étude qu'ils cultiverent, il suffit qu'ils y réussissoient mieux que les autres. Leur vertu, la modestie, l'amour de la pauvreté, & le zele de la propagation de la foi, contribuerent en même tems à les faire respecter de tout le monde. De-là vient qu'ils furent si-tôt favorisés par les papes, qui leur accorderent tant de priviléges, & chéris par les princes & par les rois. Saint Louis disoit, que s'il pouvoit se partager en deux, il donneroit aux freres Prêcheurs la moitié de sa personne, & l'autre aux freres Mineurs.

Mais sans discuter ici la matiere de la pauvreté évangelique, que les freres Mendians ont fort mal connue, tenons-nous-en à l'expérience. Trente ans après la mort de saint François, on remarquoit déja un relâchement extrême dans les ordres de sa fondation. J'en citerai seulement pour preuve, le témoignage de saint Bonaventure, qui ne peut être suspect. C'est dans la lettre qu'il écrivit en 1257, étant général de l'ordre, à tous les provinciaux & les custodes. Cette lettre est dans ses opuscules, tome II. page 352. Il se plaint de la multitude des affaires pour lesquelles ils requéroient de l'argent, de l'oisiveté de divers freres, de leur vie vagabonde, de leurs importunités à demander, des grands bâtimens qu'ils élevoient ; enfin, de leur avidité des sépultures & des testamens. Je ne dirai qu'un mot sur chacun de ces articles.

Les freres Mendians, sous prétexte de charité, se mêloient de toutes sortes d'affaires publiques & particulieres. Ils entroient dans le secret des familles, & se chargeoient de l'exécution des testamens ; ils prenoient des députations pour négocier la paix entre les villes & les princes. Les papes sur-tout leur donnoient volontiers des commissions, comme à des gens sans conséquence, qui voyageoient à peu de frais, & qui leur étoient entierement dévoués : ils les employoient même quelquefois à des levées de deniers.

Mais une chose plus singuliere que toute autre, c'est le tribunal de l'inquisition dont ils se chargerent. On sait que dans ce tribunal, contraire à toute bonne police, & qui trouva par-tout un soulevement général, il y a capture de criminels, prison, torture, condamnations, confiscations, peines infamantes, & si souvent corporelles par le ministere du bras séculier. Il est sans doute bien étrange de voir des religieux, faisant profession de l'humilité la plus profonde, & de la pauvreté la plus exacte, transformés tout d'un coup en juges criminels, ayant des appariteurs & des familiers armés, c'est-à-dire, des gardes & des trésors à leur disposition, se rendant ainsi terribles à toute la terre.

Je glisse sur le mépris du travail des mains, qui attire l'oisiveté chez les Mendians comme chez les autres religieux. De-là la vie vagabonde de plusieurs, & que saint Bonaventure reproche à ces freres, lesquels, dit-il, sont à charge à leurs hôtes, & scandalisent au lieu d'édifier. Leur importunité à demander, ajoute le même saint, fait craindre la rencontre de nos freres comme celle des voleurs. En effet, cette importunité est une espece de violence, à laquelle peu de gens savent résister, surtout à l'égard de ceux dont l'habit & la profession ont attiré du respect ; & d'ailleurs, c'est une suite naturelle de la mendicité ; car enfin il faut vivre. D'abord, la faim & les autres besoins pressans font vaincre la pudeur d'une éducation honnête ; & quand une fois on a franchi cette barriere, on se fait un mérite & un honneur d'avoir plus d'industrie qu'un autre à attirer les aumônes.

La grandeur & la curiosité des bâtimens incommodent nos amis qui fournissent à la dépense, & nous exposent aux mauvais jugemens des hommes. Ces freres, dit Pierre des Vignes, qui dans la naissance de leur religion, sembloient fouler aux piés la gloire du monde, reprennent le faste qu'ils ont méprisé ; n'ayant rien, ils possedent tout, & sont plus riches que les riches mêmes. Quant à leur avidité des sépultures & des testamens, Matthieu Paris l'a peinte en ces mots : " Ils sont soigneux d'assister à la mort des grands au préjudice des pasteurs ordinaires : ils sont avides de gain, & extorquent des testamens secrets ; ils ne recommandent que leur ordre, & le préferent à tous les autres ".

Le relâchement fit encore dans la suite de plus grands progrès chez les freres Mineurs, par le malheureux schisme qui divisa tout l'ordre, entre les freres spirituels, & ceux de l'observance commune. Le pape Célestin, dont le zele étoit plus grand que la prudence, autorisa cette division, en établissant la congrégation des pauvres hermites, sous la conduite du frere Libérat.

Les anciens religieux étant tombés dans le mépris depuis l'introduction des Mendians, ce mépris les excita à tâcher de relever chez eux les études ; mais comme on n'imaginoit pas alors qu'on pût bien étudier ailleurs que dans les universités, on y envoyoit les moines ; ce qui fut une nouvelle source de dépravation par la dissipation des voyages, la fréquentation inévitable des étudians séculiers, peu réglés dans leurs moeurs pour la plûpart, la vanité du doctorat, & des autres grades, & les distinctions qu'ils donnent dans les monasteres. D'ailleurs, ils recevoient en argent leur nourriture & leur vestiaire ; ils sortoient sans permission, mangeoient en ville chez les séculiers, & s'y cachoient. Ils avoient leur pécule en propre, couchoient dans des chambres particulieres, empruntoient de l'argent en leur nom, & se rendoient caution pour d'autres.

Il seroit trop long d'examiner les sources du relâchement, de la dégradation, & de la multiplication des religieux. Nous dirons seulement qu'une des causes les plus générales du relâchement qui regne chez eux, est la légereté de l'esprit humain, & la rareté d'hommes fermes, qui perséverent long-tems dans une même résolution. On a tâché de fixer l'inquiétude naturelle par le moyen des voeux ; mais ces voeux mêmes sont téméraires, & mal imaginés. Les récréations introduites dans les derniers tems, seroient peut-être convenables, si elles consistoient dans le mouvement du corps, la promenade, ou un travail modéré.

Les austérités corporelles si usitées dans les derniers siecles, ont fait plus de mal que de bien : ce ne sont pas des signes de vertu ; on peut sans humilité & sans charité marcher nud pié, porter la haire, ou se donner la discipline. L'amour propre qui empoisonne tout, persuade à un esprit foible qu'il est un saint, dès qu'il pratique ces dévotions extérieures ; & pour se dédommager de ce qu'il souffre par-là, il s'imagine aisément pouvoir faire une espece de compensation, comme cet italien qui disoit : Que veux-tu, mon frere ? un peu de bien, un peu de mal, le bon Dieu nous fera miséricorde.

Mais les exemptions ne sont pas une des moindres causes du relâchement des religieux ; & les inconvéniens en sont sensibles : le pouvoir du pape à cet égard, n'est fondé que sur les fausses décrétales, que le pontife de Rome peut tout. Les exemptions sont une occasion de mépriser les évêques & le clergé qui leur est soumis. C'est une source de division dans l'Eglise, en formant une hiérarchie particuliere.

L'humilité est entierement tombée par les distinctions entre les freres. Un général d'ordre se regarde comme un prélat & un seigneur ; & quelques-uns en prennent le titre & l'équipage. Un provincial s'imagine presque commander à tout le peuple de sa province ; & en certains ordres, après son tems fini, il garde le titre d'exprovincial.

Depuis que le travail des mains a été méprisé, les religieux rentés se sont abandonnés la plûpart à la paresse dans les pays chauds, & à la crapule dans les pays froids. Tant de relâchemens a nui à tous les Chrétiens catholiques, qui ont cru pouvoir se permettre quelque chose de plus que les moines. L'affoiblissement de la Théologie morale est venu de la même source. Les casuistes qui étoient presque tous religieux, & religieux mendians, gens peu séveres envers ceux dont ils tirent leur subsistance, ont excusé la plûpart des péchés, ou en ont facilité les absolutions. Cette facilité est nécessaire dans les pays d'inquisition, où le pécheur d'habitude, qui ne veut pas se corriger, n'ose toutefois manquer au devoir paschal, de peur d'être dénoncé, excommunié, au bout de l'an déclaré suspect d'hérésie, & comme tel poursuivi en justice : aussi est-ce dans ces pays, qu'ont vécu les casuistes les plus relâchés.

Les nouvelles dévotions introduites par divers religieux, ont concouru au même effet, de diminuer l'horreur du péché, & de faire négliger la correction des moeurs. On peut porter gayement un scapulaire, dire tous les jours le chapelet, ou quelque oraison, sans pardonner à son ennemi, restituer le bien mal acquis, ou quitter sa concubine. Des pratiques qui n'engagent point à être meilleur, sont aisément reçues. De-là vient encore la dévotion simplement extérieure qu'on donne au saint Sacrement. On aime bien mieux s'agenouiller devant lui, ou le suivre en procession, que se disposer à communier dignement.

Nous supprimons les détails de cette jalousie éclatante qui regne entre divers ordres religieux : la division entre les Dominicains & les Franciscains ; la haine entre les moines noirs & les moines blancs ; chaque ordre se rallie sous un étendart opposé. Tous enfin ont l'esprit du corps qui animant leurs sociétés particulieres, ne procure aucun bien à la société générale.

Concluons donc avec saint Benoît, qu'il n'est peut-être pas nécessaire qu'il y ait des ordres religieux dans l'Eglise ; ou du-moins, que ceux qui ont pris le parti de s'y dévouer, bien-loin de se relâcher, doivent tendre nécessairement à une plus grande perfection. Le bienheureux Guigues chartreux, déclare en conséquence, que l'institut religieux qui admet le moins de sujets, est le meilleur ; & que celui qui en admet le plus, est le moins estimable.

Si cette réflexion est juste, que devons-nous penser de leur multiplicité ? Je ne dirai rien de leur opulence, sinon qu'elle commença très-promptement, & qu'elle étoit déja prodigieuse dans les viij. & ix. siecles : ils ont toujours acquis depuis, & ils acquierent encore. Quant au nombre incroyable de sujets qu'ils possedent, c'est assez d'observer que la France en nourrit plus de cent mille dans des monasteres ou couvens ; l'Italie n'en a pas moins ; & les cloîtres en Espagne tiennent lieu d'une mortalité qui détruit insensiblement la nation. Ces familles éternelles où il ne naît personne, dit l'auteur de l'esprit des Lois, & qui subsistent perpétuellement aux dépens du public, ont des maisons toujours ouvertes, comme autant de gouffres, où s'ensevelissent les races futures. (D.J.)

ORDRE D'UN ETAT, (Droit Polit.) on appelle ordres dans un état, différentes classes & assemblées des hommes, avec leurs différens pouvoirs & privileges. Il n'est pas possible de détruire & de changer essentiellement les ordres d'un état, tandis que l'esprit & le caractere du peuple demeurent dans la pureté & la vigueur de son origine ; mais ils seroient essentiellement altérés, si l'esprit & le caractere du peuple étoit perdus ; cette altération des ordres entraîneroit plus certainement la perte de la liberté, que s'ils étoient anéantis. (D.J.)

ORDRE BLANC ; on appelle ordres blancs dans l'église romaine les ordres religieux, dont les membres sont vêtus de blanc, tels que les chanoines réguliers de S. Augustin, autrement Génovefains, les Prémontrés, les Trinitaires ; & par opposition on appelle ordres noirs ceux qui sont tous vêtus de noir, tels que les Bénédictins, les Augustins, &c. Voyez ORDRE.

ORDRES MILITAIRES, (Hist. mod.) les ordres militaires sont certains corps de chevaliers, institués par des rois ou des princes, pour donner des marques d'honneur & faire des distinctions dans leur noblesse.

Il y a eu en France quatre ou cinq ordres de chevalerie purement militaires.

Charles Martel institua l'ordre de la genette, qui ne dura point.

S. Louis fonda en 1269 l'ordre du navire & du croissant, qui fut aussi de courte durée.

En 1350 le roi Jean institua l'ordre de l'étoile, en faveur des plus grands seigneurs ; la devise étoit monstrant regibus astra viam, par allusion à l'étoile des mages : cet ordre dont le siége étoit à Saint-Ouen près Paris, s'avilit dans la suite par le trop grand nombre de chevaliers, & fut abandonné aux chevaliers du guet.

En 1389 Charles VI. fonda l'ordre de la ceinture de l'espérance, dont on ne sait aucun détail.

En 1469 Louis XI. institua l'ordre de S. Michel, parce que celui de l'étoile étoit tombé en discrédit. Il fixa le nombre des chevaliers à trente-six, & ce fut au traité de Noyon, que Charles-Quint & François I. se donnerent mutuellement l'un l'ordre de la toison, l'autre celui de S. Michel ; mais François II. en 1559 ayant créé à la fois dix-huit chevaliers de S. Michel, cette promotion commença à avilir cet ordre. Les marques d'honneur, dit M. de Sainte-Palaye, sont la monnoie de l'état ; il est aussi dangereux de la hausser à l'excès que de la baisser.

Enfin, l'an 1693 est la date de l'institution de l'ordre de S. Louis.

Loin d'entrer dans les détails sur ces divers ordres, je me borne à deux réflexions.

1°. Les ordres militaires de chevalerie, comme ceux du temple, ceux de malthe, l'ordre teutonique & tant d'autres, sont une imitation de l'ancienne chevalerie qui joignoit les cérémonies religieuses aux fonctions de la guerre. Mais cette espece de chevalerie fut absolument différente de l'ancienne. Elle produisit en effet les ordres monastiques & militaires fondés par les papes, possédant des bénéfices, astreints aux trois voeux des moines. De ces ordres singuliers, les uns ont été grands conquérans, les autres ont été abolis pour leurs débauches ou leur puissance ; d'autres ont subsisté avec éclat.

2°. Les souverains ont dans leur main un moyen admirable de payer les services considérables que les sujets ont rendus à l'état, en honneurs, en dignités, & en rubans, plutôt qu'en argent ou autres semblables récompenses. " C'a été, dit Montagne, une belle invention, & reçûe en la plûpart des polices du monde, d'établir certaines marques vaines & sans prix, pour en honorer & récompenser la vertu ; comme sont les couronnes de laurier, de chêne, de myrte, la forme de certain vêtement, le privilege d'aller en coche par ville, ou de nuit avec flambeau, quelque assiette particuliere aux assemblées publiques, la prérogative d'aucuns surnoms & titres, certaines marques aux armoiries, & choses semblables, de quoi l'usage a été diversement reçu, selon l'opinion des nations, & dure encore. Nous avons pour notre part & plusieurs de nos voisins, les ordres de chevalerie qui ne sont établis qu'à cette fin. Il est beau de reconnoître la valeur des hommes, & de les contenter par des payemens qui ne chargent aucunement le public, & qui ne coûtent rien au prince, & ce qui a été toujours connu par expérience ancienne, & que nous avons autrefois aussi pû voir entre nous, que les gens de qualités avoient plus de jalousies de telles récompenses, que de celles où il y avoit du gain & du profit, cela n'est pas sans raison & sans apparence. Si au prix qui doit être simplement d'honneur, on y mêle d'autres commodités & de la richesse, ce mêlange au lieu d'augmenter l'estimation, il la ravale, & en retranche.... La vertu embrasse & aspire plus volontiers à une récompense purement sienne, plutôt glorieuse qu'utile ; car à la vérité les autres dons n'ont pas leur usage si digne, d'autant qu'on les emploie à toutes sortes d'occasions. Par des richesses on satisfait le service d'un valet, la diligence d'un courier ; le danser, le voltiger, le parler, & les plus vils offices qu'on reçoive : voire & le vice s'en paye, la flatterie, le maquerélage, la trahison ; ce n'est pas merveille, si la vertu reçoit & desire moins volontiers cette sorte de monnoie commune, que celle qui lui est propre & particuliere, toute noble & généreuse. " (D.J.)

ORDRE MILITAIRE ; c'est en France l'ordre de S. Louis que Louis XIV. établit en 1693, pour récompenser les officiers de ses troupes, & leur donner une marque de distinction particuliere sur les autres états. Ceux qui sont revêtus de cet ordre sont appellés chevaliers de S. Louis : ils portent à la boutonniere de leur habit & sur l'estomac une croix d'or, sur laquelle il y a l'image de S. Louis, elle y est attachée avec un ruban couleur de feu.

Il y a dans l'ordre de S. Louis huit grands-croix & vingt-quatre commandeurs. Les grands-croix portent leur croix attachée à un ruban large de couleur de feu qu'ils mettent en écharpe ; & outre cela, ils portent une croix en broderie d'or sur leur habit & sur leur manteau. Pour les commandeurs, ils portent aussi leur croix en écharpe, mais ils n'en ont point de brodée sur leurs habits. Le roi est le grand maître de cet ordre, M. le Dauphin en est revêtu, & tous les héritiers présomptifs de la couronne doivent la porter.

Il y a des commandeurs qui ont 4000 l. de pension & d'autres 3000 liv. il y a aussi un nombre de simples chevaliers qui ont des pensions, mais elles sont moins considérables. (Q)

ORDRE DE CALATRAVA, (Hist. des ordres) je n'ajoute qu'un mot ; cet ordre n'est plus aujourd'hui ni religieux ni militaire, puisqu'on peut s'y marier une fois, & qu'il ne consiste que dans la jouissance de plusieurs commanderies en Espagne. Voyez CALATRAVA, ORDRE DE. (D.J.)

ORDRE DU CHARBON ou DE S. ANDRE, (Hist. mod.) est un ordre militaire d'écosse, institué, à ce que disent quelques-uns, par Hungus ou Hungo, roi des Pictes, après la victoire qu'il remporta sur Athelstan. Voyez CHEVALIER.

La légende porte, que pendant la bataille, une croix de S. André, patron d'écosse, apparut à Hungus qui en conçut un bon augure, décora son étendart de la figure de cette croix ; & après le gain de la bataille, institua un ordre de chevaliers, dont le collier est d'or entrelacé de fleurs de chardons & de branches de ruë.

Au bas du collier pend une médaille sur laquelle on voit l'image de S. André, ayant sa croix sur la poitrine avec cette devise, nemo me impunè lacesset, personne ne me défie impunément.

D'autres racontent différemment l'origine de cet ordre, & nous assurent qu'il fut institué après la conclusion d'une paix entre Charles VII, roi de France, d'une part, & le roi d'écosse de l'autre.

L'abbé Justiniani remonte plus haut, & prétend qu'il fut institué par Achaius I, roi d'écosse en 809, lequel après avoir conclu une alliance avec Charlemagne, prit pour sa devise le chardon avec ces mots, nemo me impunè lacesset, laquelle devise est effectivement celle de l'ordre : il ajoute que le roi Jacques IV. renouvella cet ordre, & le mit sous la protection de S. André.

L'ordre n'est composé que de douze chevaliers, & du roi qui en est le chef & le souverain ; ils portent un ruban verd au bas duquel pend un chardon d'or couronné dans un cercle d'or, avec l'inscription de la devise. (H)

ORDRE DE L'ÉLEPHANT, est un des ordres militaires des rois de Danemarck ; on l'appelle ainsi, parce que ses armes sont un éléphant. Il y a bien des sentimens sur l'origine de l'institution de cet ordre. Mennenius & Hocpingius l'attribuent à Christien IV. qui fut élu roi en 1584 ; Selden & Imhoff à Frederic II. élu en 1542 ; Gregorio Leti à Frederic I. qui regna vers 1530 ; Bernard Rebolledus à Jean I. qui commença à regner en 1478 ; Bechman & Janus Bicherodius soutiennent que Canut VI. en est le premier instituteur, & que c'est aux croisades qu'il en faut rapporter l'origine. Il est certain qu'en 1494. l'ordre de l'éléphant subsistoit. Cet ordre s'appella d'abord l'ordre de sainte Marie, & celui de l'éléphant sous Christien I. ce qui donna occasion à son institution, fut une action courageuse de quelques-uns des Danois qui tuerent un éléphant dans une guerre que Canut soutint contre les Sarrasins. Cet ordre a toujours été sous la protection de la sainte Vierge, & s'appelle encore à présent l'ordre de sainte Marie. Au dessous de l'éléphant pend une image de la sainte Vierge, environnée de rayons. Plusieurs princes augmenterent cet ordre. Frederic II. créa beaucoup de chevaliers à la cérémonie de son couronnement. Christien V. en fit autant, & l'orna beaucoup : les chevaliers portent un collier d'où pend un éléphant d'or, émaillé de blanc, le dos chargé d'un château d'argent, maçonné de sable. L'éléphant est porté sur une terrasse de sinople, émaillée de fleurs. Les rois de Danemark ne font point de chevaliers de l'éléphant que le jour de leur couronnement.

ORDRE DU S. ESPRIT, est un ordre de chevalerie institué par Henri III. en 1579, il devoit être composé de cent chevaliers seulement. Pour y être admis, il falloit faire preuve de trois races de noblesse. Le grand maître & les commandeurs sont revétus les jours de cérémonies, de longs manteaux, faits à la façon de ceux qui se portent le jour de S. Michel. Ils sont de velours noir, garnis tout-autour d'une broderie d'or & d'argent qui représente des fleurs de lis, & forme des noeuds d'or entre trois divers chiffres d'argent, & au-dessus de ces chiffres, de ces noeuds & de ces fleurs de lis, il y a des flammes d'or semées de part en part. Ce grand manteau est garni d'un mantelet de toile d'argent verte, couverte d'une broderie semblable à celle du grand manteau, excepté qu'au lieu de chiffres, il y a des colombes d'argent. Ces manteaux & mantelets sont doublés de satin jaune orangé, ils se portent retroussés du côté gauche, & l'ouverture est du côté droit. Le grand maître & les commandeurs portent des chausses & des pourpoints blancs, façonnés à leur discrétion ; ils ont un bonnet noir surmonté d'une plume blanche, & mettent à découvert sur leurs manteaux le grand collier de l'ordre qui leur a été donné lors de leur réception.

Le chancelier est vétu de même que le commandeur, excepté qu'il n'a pas le grand collier, mais seulement la croix cousue sur le devant de son manteau, & celle d'or pendante au col. Le prevôt, le grand trésorier & le greffier ont aussi des manteaux de velours noir & le mantelet de toile d'argent verte, qui ne sont brodés que de quelques flammes d'or. Ils portent aussi la croix de l'ordre cousue & celle d'or pendante au col ; le héraut & huissiers ont des manteaux de satin & le mantelet de velours verd, bordé de flammes comme ceux des autres officiers. Le héraut porte la croix de l'ordre avec son émail pendue au col, & l'huissier une croix de l'ordre, mais plus petite que celle des autres officiers.

Les prélats, commandeurs & officiers portent la croix cousue sur le côté gauche de leurs manteaux, robes & autres habillemens de dessus. Le grand maître, qui est le roi, la porte aux habillemens de dessous, au milieu de l'estomac quand bon lui semble, & en ceux de dessus au côté gauche de même grandeur que les commandeurs. Elle est faite en forme de croix de malthe en broderie d'argent, au milieu il y a une colombe figurée, & aux angles des rais & des fleurs de lis brodées en argent. C'est un des statuts irrévocables de l'ordre, de porter toujours la croix aux habits ordinaires avec celle d'or au col pendante à un ruban de soie, de couleur bleu céleste, & l'habit aux jours destinés. Les cardinaux, prélats, commandeurs & officiers portent aussi une croix de l'ordre pendante au col & au même ruban. La croix est de la forme de celle de malthe, toute d'or, émaillée de blanc par les bords, & le milieu sans émail : dans les angles il y a une fleur de lis ; mais sur le milieu ceux qui sont chevaliers de l'ordre de S. Michel, en portent la marque d'un côté, & de l'autre une colombe. Les cardinaux & les prélats qui ne sont point de cet ordre portent une colombe des deux côtés.

Le collier de l'ordre du S. Esprit est d'or fait à fleurs de lis avec trois différens chiffres entrelacés de noeuds de la façon de la broderie du manteau. Il est toujours du poids de deux cent écus ou environ, sans être enrichi de pierreries ni d'autres choses. Les commandeurs ne le peuvent vendre, engager ni aliéner, pour quelque nécessité ou cause que ce soit, parce qu'il appartient à l'ordre & lui revient après la mort de celui qui le portoit. Avant que de recevoir l'ordre du S. Esprit, les commandeurs reçoivent celui de S. Michel ; c'est pourquoi leurs armes sont entourées de deux colliers. En 1664. le roi fixa le nombre des chevaliers à cent. Les officiers sont le chancelier & garde des sceaux, le prévot & grand maître des cérémonies, le grand trésorier, le greffier, les intendans, le généalogiste de l'ordre, le roi d'armes, les hérauts & les huissiers. Les chevaliers portent le cordon bleu de droite à gauche, & les pairs ecclésiastiques en forme de collier pendant sur l'estomac.

ORDRE DE LA TABLE RONDE, (Histoire de la Chevalerie) ordre de chevalerie célebre dans les ouvrages des écrivains de romans, qui en attribuent l'institution au roi Arthur. Quoiqu'on ait bâti divers récits fabuleux sur ce fondement, il ne s'ensuit point que l'institution de cet ordre doive entierement passer pour chimérique ; il n'est pas contre la vraisemblance, qu'Arthur ait institué un ordre de chevalerie dans la Grande-Bretagne, puisque dans le même siecle, Théodoric, roi des Ostrogoths, en avoit institué un en Italie. Arthur a été sans doute un grand capitaine ; c'est dommage que ses actions ayent servi de base à une infinité de fables qu'on a publiées sur son sujet, au lieu que sa vie méritoit d'être écrite par des historiens sensés. (D.J.)

ORDRE TEUTONIQUE, (Hist. mod.) est un ordre militaire & religieux de chevaliers. Il fut institué vers la fin du xij. siecle, & nommé teutonique, à cause que la plûpart de ses chevaliers sont allemands ou teutons. Voyez CHEVALIER & ORDRE.

Voici l'origine de cet ordre. Pendant que les Chrétiens, sous Guy de Lusignan, faisoient le siege d'Acre, ville de la Syrie, sur les frontieres de la Terre-sainte, auquel siege se trouvoient Philippe-Auguste roi de France, Richard roi d'Angleterre, & quelques seigneurs allemands de Bremen & de Lubec, on fut touché de compassion pour les malades & blessés qui manquoient du nécessaire, & on établit une espece d'hôpital sous une tente faite d'un voile de navire, où l'on exerça la charité envers les pauvres soldats.

C'est ce qui fit naître l'idée d'instituer un troisieme ordre militaire, à l'imitation des templiers & des hospitaliers. Voyez TEMPLIER & HOSPITALIER.

Ce dessein fut approuvé par le patriarche de Jérusalem, par les évêques & archevêques des places voisines, par le roi de Jérusalem, par les maîtres du temple & de l'hôpital, & par les seigneurs & prélats allemands qui se trouvoient pour lors dans la Terre-sainte.

Ce fut du consentement commun de tous ces personnages, que Frédéric duc de Souabe, envoya des ambassadeurs à son frere Henri roi des Romains, pour qu'il sollicitât le pape de confirmer cet ordre nouveau. Celestin III. qui gouvernoit l'Eglise, accorda ce qu'on lui demandoit, par une bulle du 23 Février 1191 ou 1192 ; & le nouvel ordre fut appellé l'ordre des chevaliers teutoniques de l'hospice de sainte-Marie de Jérusalem.

Le pape leur accorda les mêmes privileges qu'aux templiers & aux hospitaliers de S. Jean, excepté qu'il les soumit aux patriarches & autres prélats, & qu'il les chargea de payer la dixme de ce qu'ils possédoient.

Le premier maître de l'ordre, Henri de Walpot, élu pendant le siege d'Acre, acheta, depuis la prise de cette ville, un jardin où il bâtit une église & un hôpital, qui fut la premiere maison de l'ordre teutonique, suivant la relation de Pierre de Duisbourg, prêtre du même ordre. Jacques de Vitry s'éloigne un peu de ce fait historique, en disant que l'ordre teutonique fut établi à Jérusalem, avant le siege de la ville d'Acre.

Hartknoch, dans ses notes sur Duisbourg, concilie ces deux opinions, en prétendant que l'ordre teutonique fut institué d'abord à Jérusalem par un particulier, allemand de nation ; que cet ordre fut confirmé par le pape, par l'empereur & par les princes pendant le siege d'Acre ; & qu'après la prise de cette ville, cet ordre militaire devint considérable & se fit connoître par tout le monde.

S'il est vrai que cet ordre fut institué d'abord par un particulier, auquel se joignirent ceux de Bremen & de Lubec, qui étoient alors dans la ville de Jérusalem, on ne peut savoir au juste l'année de son origine.

L'ordre ne fit pas de grands progrès sous les trois premiers grands-maîtres, mais il devint extrêmement puissant sous le quatrieme, nommé Hermand de Saltz, au point que Conrad, duc de Mazovie & de Cujavie, lui envoya des ambassadeurs pour lui demander son amitié & du secours, & pour lui offrir & à son ordre, les provinces de Culm & de Livonie, avec tous les pays qu'ils pourroient recouvrer sur les Prussiens idolâtres qui désoloient ses états par des incursions continuelles, & auxquels il opposa ces nouveaux chevaliers, parce que ceux de l'ordre de Christ ou de Dobrin, qu'il avoit institués dans la même vue, étoient trop foibles pour exécuter ses desseins.

De Saltz accepta la donation, & Gregoire IX. la confirma. Innocent publia une croisade pour aider les chevaliers teutons à réduire les Prussiens. Avec ce secours l'ordre subjugua, dans l'espace d'un an, les provinces de Warmie, de Natangie & de Barthie, dont les habitans renoncerent au culte des idoles ; & dans le cours de 50 ans, ils conquirent toute la Prusse, la Livonie, la Samogitie, la Poméranie, &c.

En 1204 le duc Albert institua l'ordre des chevaliers porte-glaives, qui fut uni ensuite à l'ordre teutonique, & cette union fut approuvée par le pape Grégoire IX. Voyez PORTE-GLAIVES.

Waldemar III. roi de Danemarck, vendit à l'ordre la province d'Estein, les villes de Nerva & de Wessamberg, avec quelques autres provinces.

Quelque tems après, une nouvelle union mit de grandes divisions dans l'ordre : cette union se fit avec les évêques & les chanoines de Prusse & de Livonie, lesquels en conséquence prirent l'habit de l'ordre, & partagerent la souveraineté avec les chevaliers dans leurs diocèses.

L'ordre se voyant maître de toute la Prusse, il fit bâtir les villes d'Elbing, Marienbourg, Thorn, Dantzic, Konigsberg, & quelques autres. L'empereur Frédéric II. permit à l'ordre de joindre à ses armes l'aigle impérial, & en 1250 S. Louis lui permit d'écarteler de la fleur-de-lis.

Après que la ville d'Acre eût été reprise par les Infideles, le grand-maître de l'ordre teutonique en transfera son siege à Marienbourg. A mesure que l'ordre croissoit en puissance, les chevaliers vouloient croître en titres & dignités ; desorte qu'à la fin, au lieu de se contenter, comme auparavant, du nom de freres, ils voulurent qu'on les traitât de seigneurs ; & quoique le grand-maître Conrad Zolnera de Rotestein se fût opposé à cette innovation, son successeur Conrad Wallerod, non-content de favoriser l'orgueil des chevaliers, se fit rendre à lui-même des honneurs qui ne sont dûs qu'aux princes du premier ordre.

Les rois de Pologne profiterent des divisions qui s'étoient mises dans l'ordre : les Prussiens se revolterent ; & après des guerres continuelles entre les chevaliers & les Polonois, les premiers céderent au roi Casimir la Prusse supérieure, & conserverent l'inférieure, à condition de lui en faire hommage.

Enfin, dans le tems de la réformation, Albert, marquis de Brandebourg, grand-maître de l'ordre, se rendit luthérien, renonça à la dignité de grand-maître, détruisit les commanderies, & chassa les chevaliers de la Prusse.

La plûpart des chevaliers suivirent son exemple, & embrasserent la réformation : les autres transfererent le siege du grand-maître à Margentheim ou Mariendal en Franconie, où le chef-lieu de l'ordre est encore aujourd'hui.

Ils y élurent pour leur grand-maître Walter de Cromberg, intenterent un procès contre Albert, que l'empereur mit au ban de l'empire : cependant l'ordre ne put jamais recouvrer ses domaines ; & aujourd'hui les chevaliers ne sont tout-au-plus que l'ombre de ce qu'ils étoient autrefois, n'ayant que trois ou quatre commanderies, qui suffisent à-peine pour faire subsister le grand-maître & ses chevaliers.

Pendant que l'ordre teutonique étoit dans sa splendeur, ses officiers étoient le grand-maître, qui faisoit son séjour à Mariendal, & qui avoit sous lui le grand-commandeur, le grand-maréchal, résidant à Konigsberg, le grand-hospitalier, résidant à Elbing, le drapier, chargé de fournir les habits, le trésorier vivant à la cour du grand-maître, & plusieurs autres commandeurs, comme ceux de Thorn, de Culm, de Brandebourg, de Konigsberg, d'Elbing, &c.

L'ordre avoit aussi des commandeurs particuliers dans les châteaux & dans les forteresses, des avocats, des pourvoyeurs, des intendans, des moulins, des provisions, &c.

Waisselms, dans ses annales, dit que l'ordre avoit 28 commandeurs de villes, 46 de châteaux, 81 hospitaliers, 35 maîtres de couvens, 40 maîtres-d'hôtels, 37 pourvoyeurs, 93 maîtres de moulins, 700 freres ou chevaliers pour aller à l'armée, 162 freres de choeur ou prêtres, 6200 serviteurs ou domestiques, &c.

Les armes de l'ordre teutonique sont une croix partie de sable chargée d'une croix potencée au champ d'argent. Saint Louis, roi de France, avoit permis d'y joindre quatre fleur-de-lis d'or ; & anciennement elles faisoient partie de leur blason, mais peu-à-peu ils ont négligé & enfin abandonné cette marque d'honneur.

ORDRE DE LA TOISON D'OR, (Hist. mod.) order of the golden fleece, est un ordre militaire institué par Philippe-le-Bon, duc de Bourgogne en 1429. Voyez ORDRE.

Il a pris son nom de la représentation de la toison d'or, que les chevaliers portent au bas d'un collier, composé de fusils & de pierres à feu. Le roi d'Espagne est le chef & grand-maître de l'ordre de la toison, en qualité de duc de Bourgogne. Le nombre des chevaliers est fixé à trente & un. On dit qu'il fut institué à l'occasion d'un gain immense que le duc de Bourgogne fit sur les laines. Les Chimistes prétendent que ce fut pour un mystere de chimie, à l'imitation de cette fameuse toison d'or des anciens, qui, selon les initiés dans cet art, n'étoit autre chose que le secret de l'élixir écrit sur la peau d'un mouton.

Olivier de la Marche dit qu'il remit en mémoire à Philippe I. archiduc d'Autriche, pere de l'empereur Charles V. que Philippe-le-Bon, duc de Bourgogne, son aïeul, avoit institué l'ordre de la toison d'or, dans la vue de celle de Jason, & que Jean Germain, évêque de Châlons sur Saône, & chancelier de l'ordre, étant venu sur ces entrefaites, le fit changer de sentiment, & déclara au jeune prince que cet ordre avoit été institué en mémoire de la toison de Gédéon. Mais Guillaume, évêque de Tournai, qui étoit aussi chancelier de l'ordre, prétend que le duc de Bourgogne eut pour objet la toison d'or de Jason, & celle de Jacob ; c'est-à-dire, ces brebis tachetées de diverses couleurs que ce patriarche eut pour sa part, suivant l'accord qu'il avoit fait avec son beau-pere Laban ; ce qui a donné lieu à ce prélat de faire un gros ouvrage en deux parties. Dans la premiere, sous le symbole de la toison de Jason, il parle de la vertu de magnanimité dont un chevalier doit faire profession ; & sous le symbole de la toison de Jacob, de la vertu de justice.

Paradin a suivi ce sentiment, en disant que le duc voulut insinuer que la conquête fabuleuse que l'on dit que Jason fit de la toison d'or, n'étoit autre chose que la conquête de la vertu, qu'on ne peut acquérir sans vaincre les monstres horribles, qui sont les vices & les affections désordonnées.

Dans la premiere institution, les chevaliers portoient un manteau d'écarlate fourré d'hermine. Maintenant leur habit de cérémonie est une robe de toile d'argent, un manteau de velours cramoisi rouge, & un chaperon de velours violet. La devise est, pretium non vile laborum, qui semble faire allusion aux travaux que Jason & ses compagnons surmonterent pour enlever la toison, & dont elle fut le prix.

ORDRE DE BATAILLE, c'est la disposition ou l'arrangement des troupes de l'armée pour combattre. Voyez ARMEE.

On a donné (article ARMEE) l'ordre ordinaire sur lequel les troupes sont mises en bataille, c'est-à-dire, sur deux lignes avec des reserves, la cavalerie également distribuée aux aîles, & l'infanterie au centre. Dans cet ordre les bataillons & les escadrons forment des lignes tant pleines que vuides ; les troupes de la seconde ligne sont placées derriere ou en face des intervalles de celles de la premiere.

Comme ces intervalles, lorsqu'ils sont égaux au front des bataillons & des escadrons, augmentent considérablement le front de l'armée, M. le maréchal de Puysegur prétend qu'il faut les réduire à dix toises pour les bataillons, & à six pour les escadrons. Voyez INTERVALLE. Dans cet état, toutes les parties de l'armée étant plus réunies, il en résulte plus de force pour l'ordre de bataille. Mais on peut encore le rendre plus formidable en combattant en ligne pleine. Voyez ARMEE & LIGNE PLEINE. Ce dernier ordre a cependant un inconvénient, c'est que si la ligne pleine est rompue, il est presque impossible de rétablir le désordre : mais en formant derriere une seconde ligne, comme une espece de reserve partagée en plusieurs grandes parties propres à soutenir la premiere dans les endroits où elle peut être forcée, on a de cette maniere, l'avantage d'attaquer l'ennemi dans un ordre plus fort, & celui de pouvoir remédier, comme dans l'ordre en lignes tant pleines que vuides, aux accidens qui peuvent arriver à la premiere ligne.

L'usage ordinaire de mettre la cavalerie aux aîles, & l'infanterie au centre, n'est pas généralement approuvé, parce qu'alors chaque armée, ou chaque espece de troupe est abandonnée à sa propre force ; c'est-à-dire que la cavalerie ne soutient point l'infanterie, & celle-ci la cavalerie. Voyez INFANTERIE.

Montecuculli, le chevalier Folard, M. de Santa-Cruz, M. de Puysegur & plusieurs autres militaires habiles, auxquels cet inconvénient n'a point échappé, ont proposé différentes manieres d'y remédier. Suivant le célebre commentateur de Polybe, il faut mêler dans l'ordre de bataille la cavalerie & l'infanterie, de maniere que ces différentes troupes occupent alternativement des parties de chaque ligne ; que la cavalerie de la seconde soit derriere l'infanterie de la premiere, & cette même troupe de la seconde ligne derriere la cavalerie qui est en premiere ligne. Par cet arrangement les deux différentes especes de troupes de l'armée se soutiennent réciproquement. Ce mêlange devient d'autant plus important, que la cavalerie de l'ennemi est en plus grand nombre & meilleure que celle qu'on peut lui opposer. Voyez sur ce sujet les élémens de Tactique, où l'on est entré dans un grand détail sur la maniere de faire le mêlange de la cavalerie & de l'infanterie dans l'ordre de bataille.

Il est difficile de fixer des regles générales & constantes pour l'arrangement des troupes dans l'ordre de bataille. Cet ordre, comme le dit Onosander, doit être relatif à l'espece d'armes, de troupes & des lieux qu'occupe l'ennemi. L'habileté du général consiste à regler ses dispositions selon les circonstances dans lesquelles il trouve l'armée opposée. Le coup d'oeil doit lui faire prendre dans le moment le parti le plus avantageux, suivant la situation de l'ennemi. Si l'on s'apperçoit qu'il ait mis ses principales forces au centre, ou aux aîles, on doit s'arranger pour lui opposer plus de résistance dans ces endroits, & faire ensorte que chaque espece de troupe soit opposée à celles de même nature de l'armée qu'on veut combattre.

Il est aisé de s'appercevoir par le simple exposé de ces principes, que les ordres de bataille doivent varier d'une infinité de manieres. Mais malgré leur nombre & leur diversité, il y a certaines regles qui servent de base à ces différens ordres, & dont on ne peut s'écarter sans inconvénient : voici en quoi elles consistent.

1°. Il faut toujours que les aîles de l'armée soient à l'abri des entreprises de l'ennemi. Une aîle détruite expose le reste à l'être également ; car il est très-difficile de se soutenir contre une attaque de front & de flanc.

Pour éviter cet inconvenient, la méthode ordinaire est d'appuyer les aîles à quelque fortification naturelle qui les garantisse d'être tournées ou enveloppées ; comme par exemple, à un marais reconnu pour impratiquable, à une riviere qu'on ne peut passer à gué, à un bois bien garni d'infanterie, à un village bien fortifié, à des hauteurs dont le sommet est occupé par de bonnes troupes, de l'artillerie, &c.

Il est évident que les aîles de l'armée dans cette disposition, ne peuvent guere éprouver de danger de l'ennemi ; mais comme cette espece de fortification est permanente, & que l'armée peut être obligée d'avancer ou de reculer, il arrive que si elle change de terrein, elle perd la protection de ses aîles. Pour éviter cet inconvenient M. le chevalier de Folard propose de les couvrir par des colonnes d'infanterie ; ces colonnes pouvant suivre tous les mouvemens de l'armée, elles forment une espece de fortification ambulante dont les aîles sont par-tout également protégées. Cette façon de les couvrir est beaucoup plus avantageuse que celle qu'on suit ordinairement, qui ne devroit avoir lieu que lorsqu'on est attaqué par l'ennemi dans un bon poste qu'on ne pourroit abandonner sans s'affoiblir. " La situation naturelle, dit Montecuculli, peut, à la vérité, assurer les flancs ; mais cette situation n'étant pas mobile, & n'étant pas possible de la traîner après soi, elle n'est avantageuse qu'à celui qui veut attendre le choc de l'ennemi, & non à celui qui marche à sa rencontre, ou qui va le chercher dans son poste ".

2°. Il faut éviter d'être débordé par l'armée ennemie, où, ce qui est la même chose, lui opposer un front égal, en observant néanmoins de ne pas trop dégarnir la seconde ligne, & de se conserver des réserves pour soutenir les parties qui peuvent en avoir besoin.

Lorsqu'il n'est pas possible de former un front égal à celui de l'ennemi, il faut encore plus d'attention pour couvrir les aîles : outre les colonnes de M. le chevalier de Folard, qui sont excellentes dans ce cas, on peut y ajouter des chevaux de frise, des chariots, ou quelqu'autre espece de retranchement que l'ennemi ne puisse ni forcer ni tourner.

3°. Chaque troupe doit être placée sur le terrein qui convient à sa maniere de combattre. Ainsi l'infanterie doit occuper les lieux fourrés ou embarrassés, & la cavalerie ceux qui sont libres & ouverts.

4°. Lorsqu'il y a des villages à portée de la ligne que l'ennemi ne peut pas éviter, on doit les fortifier, les bien garnir d'infanterie & de dragons pour rompre les premiers efforts de l'ennemi ; mais ces villages doivent être assez près de la ligne pour en être soutenus, & pour que les troupes puissent la rejoindre, si elles sont obligées de les abandonner.

Si les villages sont trop éloignés pour la communication des troupes avec le reste de l'armée, & que l'ennemi, en s'y établissant, puisse y trouver quelque avantage pour fortifier son armée, on doit les raser de bonne heure ; ne point se contenter d'y mettre le feu, qui ne fait que détruire les portes & les toîts des maisons, mais renverser les murailles qui peuvent servir de couvert & de retranchement aux troupes ennemies.

5°. Observer que toutes les parties de l'armée aient des communications sûres & faciles pour se soutenir réciproquement, & que les réserves puissent se porter par-tout où leur secours pourra être nécessaire : on doit aussi avoir attention de les placer de maniere que les troupes ne puissent point se renverser sur elles, & les mettre en desordre, & qu'il n'y ait point de bagage entre les lignes ni derriere, qui incommode l'armée dans ses mouvemens.

6°. Profiter de toutes les circonstances particulieres du champ de bataille, pour que l'armée ne présente aucune partie foible à l'ennemi : un général doit considérer le terrein qu'occupe son armée, comme une place qu'on veut mettre en état de défense de tous côtés ; l'artillerie doit être placée dans les lieux les plus favorables pour causer la plus grande perte qu'il est possible à l'ennemi.

7°. Comme, malgré la bonne disposition des troupes, il arrive dans les batailles des événemens imprévus qui décident souvent du succès, on doit prendre de bonne heure toutes les précautions convenables pour qu'aucune troupe ne soit abandonnée à elle-même, & se ménager des ressources pour soutenir le combat ; ensorte que, s'il faut céder, on ne le fasse au-moins qu'après avoir fait usage de toutes ses forces. C'est pourquoi on ne sauroit trop insister sur la nécessité des réserves. Si le centre, ou l'une des aîles a plié, la seconde ligne ou les réserves, peuvent rétablir l'affaire ; mais il faut pour cet effet des troupes fermes, valeureuses, bien exercées dans les manoeuvres militaires, & conduites par des officiers habiles & expérimentés. Alors on peut rétablir le premier desordre, & même faire perdre à l'ennemi l'espérance de la victoire qu'un premier succès auroit pû lui donner. Voyez GUERRE. Il est important que le champ de bataille soit bien connu, afin de juger des lieux propres à chaque espece de troupe, selon les différens endroits où l'on peut les employer.

8°. Pour soutenir plus sûrement l'armée & la rendre encore plus respectable à l'ennemi, les redoutes en-avant, fortifiées d'un fossé & placées judicieusement, sont d'un excellent usage. Elles doivent être garnies d'un nombre suffisant d'artillerie & de soldats, pour n'être point emportées par une premiere attaque. Si quelque partie de l'armée se trouve enfoncée, les troupes des redoutes doivent prendre l'ennemi en flanc & de revers, & lui causer une grande perte ; elles ne peuvent guere manquer de le gêner dans ses mouvemens, de les rendre plus lents, & de donner le tems aux corps qui ont plié de se rallier pour le repousser. M. le maréchal de Saxe faisoit grand cas des redoutes dans ces circonstances. M. le marquis de Santa-Cruz, qui a écrit avant cet illustre général, en parle également d'une maniere très-avantageuse dans ses réflexions militaires.

Il est difficile de ne pas penser sur ce sujet comme ces célebres auteurs. Car les redoutes ont cet avantage d'assurer la position de l'armée, de maniere qu'elle a différens points d'appui ou de réunion, capables d'arrêter les premiers efforts de l'ennemi, & de protéger par leur feu l'armée qui les soutient.

9°. S'il y a quelque partie de l'armée qu'on veuille éviter de faire combattre, on doit la couvrir d'une riviere, d'un marais, ou, au défaut de cette fortification naturelle, de chevaux de frise, puits, retranchemens, &c. de maniere que l'ennemi ne puisse pas en approcher. Ainsi supposant qu'on se propose d'attaquer par la droite, & que, pour la fortifier, on soit obligé de dégarnir sa gauche, on la couvre de maniere que l'ennemi ne puisse point en approcher, & l'on fait alors à la droite les plus grands efforts avec l'élite de ses troupes.

Il est évident que de cette maniere un général peut s'arranger pour ne combattre qu'avec telle partie de son armée qu'il juge à-propos.

Il y a des situations où le général peut juger que toutes les parties de la ligne de l'ennemi ne seront pas également en état de combattre. Dans ce cas, son attention doit être de dégarnir les endroits les moins exposés pour fortifier ceux qui le sont plus. Mais ce mouvement doit être caché autant qu'il est possible à l'ennemi ; car, s'il s'apperçoit de cette manoeuvre, il en use de même, & tout devient alors égal de part & d'autre.

On peut voir dans M. de Feuquiere qu'un général voyant l'ennemi dégarnir sa droite pour fortifier sa gauche, ne put être engagé à en user de même pour fortifier sa droite, qu'il garda toûjours la même disposition : d'où il arriva que les troupes de cette droite se trouvant attaquées par la gauche opposée, très-supérieure en nombre, ne put, malgré l'extrême valeur des corps les plus distingués qui y étoient placés, se soutenir contre le grand nombre qu'ils avoient à combattre.

10°. Une attention encore très-importante dans la disposition des troupes en bataille, c'est de conserver toûjours derriere la seconde ligne & les réserves, un espace de terrein assez étendu pour que les troupes ne soient point gênées dans leurs manoeuvres ; que si, par exemple, la premiere ligne est forcée de plier, elle trouve derriere la seconde assez de place pour se rallier & se reformer. Sans cette attention, la déroute de la premiere ligne ne peut guere manquer d'occasionner celle de toute l'armée.

Telles sont en général les principales observations qui peuvent servir de base à la disposition des troupes dans l'ordre de bataille : la nature du terrein doit décider de leur arrangement particulier. C'est pourquoi on ne peut trop s'appliquer à le connoître parfaitement, pour en tirer tous les avantages qu'il peut procurer.

Les anciens comptoient sept dispositions générales des armées pour combattre ; elles sont rapportées par Vegece, liv. III. ch. xx.

La premiere, est celle du quarré long, que nous avons donné à l'article ARMEE. Voyez ce mot. Ceux qui sont habiles dans la science des armes, dit Vegece, ne la jugent point, cette disposition, la meilleure, parce que dans l'étendue que l'armée occupe il ne se rencontre pas toûjours un terrein égal qui lui permette de marcher également ; ayant ainsi des parties plus avancées les unes que les autres, & formant une espece de ligne courbe, il arrive souvent qu'elle est rompue ou percée. D'ailleurs cet ordre a l'inconvenient, si l'ennemi est supérieur, d'exposer l'armée à être prise en flanc & battue à l'une ou l'autre des aîles, ce qui entraîne la défaite du centre ou du corps de bataille. Vegece prétend qu'il ne faut se servir de l'ordre dont il s'agit ici, que lorsque par la bonté & la supériorité des troupes, on est en état de tourner l'ennemi par ses deux aîles & de l'enfermer de tous côtés : il est d'autant plus desavantageux que les troupes en ligne ont de plus grands intervalles entr'elles. L'armée, pour peu qu'elle soit considérable, présente alors un front d'une longueur excessive ; toutes ses différentes parties sont trop éloignées les unes des autres pour se soutenir mutuellement. La seconde ligne qui est dans un ordre aussi foible, répare rarement le desordre de la premiere ; & comme le succès du combat dépend presque toûjours par cette raison de celui de la premiere ligne, il paroît que pour fortifier cet ordre autant qu'il est possible, il faut, comme on l'a déja dit, combattre en ligne pleine & fortifier cette ligne par des réserves de cavalerie & d'infanterie.

La seconde disposition générale est l'ordre oblique ou de biais. Dans cet ordre on engage le combat avec l'aîle droite, pendant que l'autre se refuse à l'ennemi. Cette disposition peut servir à faire remporter la victoire à un petit nombre de bonnes troupes, qui sont obligées d'en combattre de plus nombreuses.

Pour cet effet, les deux armées étant en présence & marchant pour se charger, on tient sa gauche (si l'on veut faire combattre sa droite) hors de la portée des coups de l'ennemi, & l'on tombe sur la gauche de l'armée opposée avec tout ce qu'on a de plus braves troupes, dont on a eu soin de fortifier sa droite.

On tâche de faire plier la gauche de l'ennemi, de la pousser, & même de l'attaquer par-derriere.

Lorsqu'on peut y mettre du desordre & la faire reculer, on parvient aisément avec le reste des troupes qui soutiennent l'aîle qui a engagé le combat, à remporter la victoire, & cela sans que le reste de l'armée ait été exposé.

Si l'ennemi se sert le premier de cette disposition, on fait passer promptement à la gauche la cavalerie & l'infanterie qui est en réserve derriere l'armée, & l'on se met ainsi en état de lui résister.

Cet ordre de bataille est regardé par tous les auteurs militaires comme un des meilleurs moyens de s'assurer de la victoire. C'est, dit M. le chevalier de Folard, tout ce qu'il y a de plus à craindre & de plus rusé dans la Tactique.

On peut voir dans l'art de la guerre de M. le maréchal de Puysegur, le cas qu'il faisoit de cet ordre. Comme la charge des troupes doit se faire de front & non pas obliquement, cet illustre auteur observe que la partie avancée de la ligne oblique, destinée à charger l'ennemi, doit prendre une position parallele au front qu'elle veut attaquer, dans le moment qu'elle se trouve à portée de tomber sur lui. Les autres parties de la ligne doivent alors se mettre en colomne pour soutenir celle qui a commencé l'attaque, & avoir attention de se tenir toûjours hors de la portée du fusil de la ligne ennemie.

Ce même auteur donne dans son livre une disposition pour l'attaque du poste de M. de Mercy à Nordlingen. Montécuculli propose aussi le même ordre dans ses principes sur l'art militaire : " Si l'on veut, dit cet habile général, avec son aîle droite, battre la gauche de l'ennemi, ou au contraire, on mettra sur cette aîle le plus grand nombre & les meilleures de ses troupes, & on marchera à grands pas de ce côté-là, les troupes de la premiere & de la seconde ligne avançant également, au lieu que l'autre aîle marchera lentement, ou ne branlera point du tout ; parce que tandis que l'ennemi sera en suspens, ou avant qu'il s'apperçoive du stratagème, ou qu'il ait songé à y remédier, il verra son côté foible attaqué par le fort de l'ennemi, tandis que sa partie la plus forte demeure oisive, & est au désespoir de ne rien faire ". S'il se rencontre de ce côté-là quelque village, Montécuculli conseille d'y mettre le feu, pour empêcher l'ennemi d'attaquer cette aîle, & lui ôter la connoissance de ce qui se passe.

M. le marquis de Santa-Cruz qui admet dans le cinquieme volume de ses réflexions militaires, cette même disposition de combattre, lorsque l'on a des troupes qui ne sont pas également bonnes, observe trois choses qu'il est bon de rapporter ici en peu de mots.

La premiere, c'est qu'il faut commencer de loin à incliner insensiblement la marche de l'aîle où l'on a mis ses meilleures troupes.

La seconde, qu'il faut toûjours mettre les troupes sur lesquelles on compte le plus vis-à-vis les foibles de l'ennemi.

Et la troisieme, " qu'il faut choisir le terrein le plus avantageux pour l'aîle qui doit attaquer, & couvrir l'autre, si la chose est possible, par un ravin, un canal, un bois, ou une montagne, afin que ces obstacles détournent les ennemis de vouloir vous attaquer par ce côté-là. Lorsque ces avantages ne se rencontrent pas, on peut couvrir cette aîle par des chevaux de frise, des tranchées ou retranchemens de charettes, beaucoup d'artillerie ".

La troisieme disposition ne differe de la précédente, qu'en ce qu'on engage le combat par la gauche, au lieu de le faire par la droite.

La quatrieme disposition consiste à engager le combat par les deux aîles, en tenant le centre éloigné de l'ennemi.

Pour réussir dans cette disposition sans craindre pour l'infanterie, qui se trouve pour ainsi dire abandonnée de la cavalerie : voici ce qu'il faut faire selon M. le maréchal de Puysegur, qui entre à ce sujet dans un détail un peu plus circonstancié que Vegece.

" Quand les armées sont à cinq ou six cent pas au plus l'une de l'autre, il faut que celle qui est supérieure en cavalerie fasse doubler le pas à ses aîles pour aller attaquer celles de l'ennemi, & qu'en marchant, son aîle droite se jette un peu sur sa gauche, pour déborder par les flancs celles qu'elles vont attaquer, en se tenant un peu obliques pour ne pas trop approcher les escadrons qui joignent l'infanterie, afin de les obliger parlà de se déplacer s'ils veulent vous venir attaquer. Alors s'ils le font, il s'ensuivra qu'ils ne seront plus protégés de l'infanterie. Dans ce cas il est constant que tout l'avantage est pour l'armée dont les aîles iront attaquer ; & comme ces charges de cavalerie sont bien-tôt décidées avant que les lignes de l'infanterie en soient venues aux mains, le combat aux aîles sera fini ".

M. de Puysegur ajoute qu'il y a plusieurs exemples de batailles dans lesquelles les aîles de cavalerie se sont ainsi chargées avant l'infanterie : mais il croit que cela est arrivé plutôt par hasard que par dessein, & il en donne une raison bien naturelle, c'est que la cavalerie allant plus vîte que l'infanterie, si ceux qui la conduisent ne la contiennent pas dans sa marche, elle est plutôt aux mains que l'infanterie.

Comme il est assez ordinaire, lorsque la cavalerie a ainsi battu celle de l'ennemi, qu'elle s'emporte toute à la poursuivre, & qu'elle compte le combat fini pour elle, M. de Puysegur observe, " que ceux qui sont habiles & qui ont des troupes dressées n'en laissent aller qu'une partie pour empêcher l'ennemi de se rallier, & qu'avec le surplus ils vont aider leur infanterie à battre celle de l'ennemi en la prenant par les flancs & par derriere ".

La cinquieme disposition ne differe guère de la quatrieme, on couvre seulement le centre par des troupes légeres qui empêchent l'ennemi d'en approcher. Cette précaution le met plus en sureté, & quel que soit l'évenement de l'attaque qui se fait par les aîles, il n'est pas absolument abandonné à lui-même.

Observons à cette occasion que les anciens faisoient de leurs troupes légeres un usage différent de celui que nous faisons des nôtres. Elles consistoient particulierement en archers & en frondeurs : ces troupes couvroient, dans l'ordre de bataille, celles qui étoient destinées à combattre de pié ferme, elles servoient à commencer le combat. Après qu'elles avoient lancé leurs traits sur l'ennemi, elles se retiroient par les intervalles des troupes en bataille, pour aller se placer derriere & agir suivant les différentes occasions : ainsi le centre dans la disposition dont il s'agit étant couvert de ces gens de trait, trouvoit une protection qui le mettoit à couvert d'une attaque brusque.

La sixieme disposition est presque semblable à la seconde & à la troisieme. Dans cet ordre on choque pour ainsi dire l'armée ennemie perpendiculairement avec une aîle fortifiée des meilleures troupes, & on tâche de la percer & de la mettre en désordre. Suivant Vegece & M. le maréchal de Puysegur, cette disposition est la plus avantageuse pour ceux qui étant inférieurs en nombre & en qualité de troupes, sont obligés de combattre.

Pour former cet ordre, l'armée étant en bataille, & s'approchant de l'ennemi, il faut joindre votre aîle droite à celle de la gauche de l'armée opposée, & combattre cette derniere aîle avec vos meilleures troupes, dont vous devez avoir garni votre droite. Pendant ce combat on doit tenir le reste de la ligne à-peu-près perpendiculaire au front de l'armée ennemie : si par ce moyen on peut la prendre en flanc & par derriere, il est difficile qu'elle puisse éviter d'être battue ; car votre position presque perpendiculaire au front de cette armée, l'empêche d'être secourue par son aîle droite & par le centre. Cet ordre est assez souvent celui qu'il convient de prendre, selon Vegece & M. le maréchal de Puysegur, quand il s'agit de combattre dans une armée.

M. le chevalier de Folard prétend que ce fut sur cet ordre qu'Epaminondas combattit à Leuctres & à Mantinée ; mais au-lieu qu'à Leuctres il étoit tombé sur l'une des aîles de l'armée ennemie, à Mantinée il dirigea son attaque sur le centre, assuré, dit Xénophon, qu'avec ses meilleures troupes il enfonceroit l'ennemi, & qu'après avoir fait jour à la bataille, c'est-à-dire au centre, il donneroit l'épouvante au reste.

On peut voir dans le traité de la Colonne de M. le chevalier de Folard, la description & les plans qu'il donne de ces deux batailles.

Enfin la septieme & derniere disposition générale de Vegece, ne consiste guère qu'à se conformer au terrein pour mettre l'armée en état de se soutenir contre l'ennemi en profitant de tout ce qui peut assurer sa position, soit par des fortifications naturelles ou artificielles.

Il est évident que les sept dispositions précédentes peuvent être réduites à cinq, comme nous l'avons déjà observé dans les élémens de Tactique ; car la seconde, la troisieme & la sixieme peuvent être regardées comme la même disposition ou le même ordre. A l'égard de l'usage qu'on peut faire de ces différens ordres, il dépend des circonstances dans lesquelles on se trouve obligé de combattre. Les anciens ne s'attachoient point à les observer scrupuleusement. La science de la guerre leur en fournissoit de particuliers suivant les occasions ; ils savoient suppléer au nombre par la bonté de l'ordre de bataille, & déconcerter l'ennemi par des manoeuvres inattendues, en changeant leur ordre de bataille au moment du combat. Ces manoeuvres dont l'exécution étoit prompte & facile, parce que les généraux prenoient eux-mêmes le soin d'exercer & de discipliner leurs troupes, les faisoient souvent triompher du plus fort ; mais il n'y a que la science & le génie militaire qui puissent produire ces ressources : jamais la simple pratique de la guerre ne fera imaginer ces chefs-d'oeuvres de conduite qu'on admire dans Scipion & Annibal, dans plusieurs autres généraux de l'antiquité, & dans quelques modernes, tels que les Condé, les Turenne, les Luxembourg, les Créqui, &c. La pratique, comme on l'a déjà dit ailleurs, ne peut donner ni le génie ni la science de la guerre ; le premier est à la vérité un don de la nature que l'art ne donne point, mais l'autre est le fruit d'une étude longue, sérieuse & réfléchie. Cette étude fournit des idées qu'il seroit fort difficile de se procurer soi-même ; par son secours on se fait un amas de préceptes & d'exemples qu'on peut appliquer ensuite selon les occasions ; c'est pourquoi nous pensons qu'on peut tirer un très-grand avantage des ordres de bataille qu'on trouve dans les historiens & dans les auteurs militaires, & cela soit qu'ils ayent été exécutés ou qu'ils soient de pure imagination, comme le sont la plûpart de ceux que M. le chevalier de Folard a insérés dans son commentaire sur Polybe. Ce n'est pas dans la vûe d'imiter absolument ces dispositions qu'on doit les étudier, mais pour en saisir l'esprit, & pour examiner la maniere dont ils répondent au but que leurs auteurs se proposoient.

On n'entrera point ici dans un plus grand détail sur ce qui concerne les ordres de bataille : cette matiere pour être traitée avec toute l'étendue dont elle est susceptible, exigeroit une espece de volume. On s'est renfermé dans les observations les plus générales & les plus essentielles. On renvoie ceux qui voudront des détails plus circonstanciés & plus étendus, à Vegece, au commentaire sur Polybe du chevalier de Folard, aux Mémoires militaires de M. Guischard, qu'il faut absolument mettre à la suite du précédent ouvrage, qui le rectifie dans beaucoup d'endroits, & qui donne des idées plus exactes de la Tactique des anciens. A ces ouvrages on fera très-bien de joindre l'Art de la guerre de M. le maréchal de Puysegur, les Mémoires de Montecuculli, les Réflexions militaires de M. le marquis de Santacrux, les Mémoires de M. le marquis de Feuquieres, les Rêveries ou Mémoires sur la guerre de M. le maréchal de Saxe, &c. A l'égard de l'ordre particulier de chaque espece de troupe pour combattre, voyez EVOLUTION ; voyez aussi PHALANGE & LEGION.

ORDRE, dans l'Art militaire, se dit du mot que l'on donne tous les jours aux troupes, voyez MOT. Ainsi aller à l'ordre, c'est aller recevoir ou prendre le mot : c'est aussi aller recevoir du général ou du commandant les ordres qu'il a à donner pour tout ce qu'il juge à propos de faire exécuter concernant le service.

A l'armée le lieutenant général de jour prend l'ordre du général ; il le donne au maréchal de camp de jour, qui le distribue au major général de l'infanterie, au maréchal des logis de la cavalerie, au major général des dragons, au général des vivres, au capitaine des guides, & au prévôt de l'armée.

Les majors de brigade de l'infanterie reçoivent l'ordre du major général, & ceux de cavalerie & de dragons du maréchal des logis de la cavalerie & du major général des dragons. Dans les places le commandant donne l'ordre & le mot au major de la place, qui le donne ensuite aux majors & aides-majors des régimens. Voyez MOT. (Q)

ORDRE DE MARCHE, DE BATAILLE, &c. (Marine) Voyez ÉVOLUTIONS NAVALES.

ORDRE, en terme de Commerce, de billets & de lettres de change, est un endossement ou écrit succinct que l'on met au dos d'un billet ou d'une lettre de change, pour en faire le transport & le rendre payable à un autre.

Quand on dit qu'une lettre ou billet de change est payable à un tel ou à son ordre, c'est-à-dire que cette personne peut, si bon lui semble, recevoir le contenu en cette lettre, ou en faire le transport à un autre en passant son ordre en faveur de cet autre. Voyez ENDOSSEMENT.

Ordre, parmi les négocians, signifie aussi le pouvoir & commission qu'un marchand donne à son correspondant ou commissionnaire de lui faire telles & telles emplettes, à tel ou tel prix, ou sous telle autre condition qu'il lui prescrit ; un commissionnaire ou correspondant qui fait quelque chose sans ordre, ou qui va au-delà de l'ordre que lui a donné son commettant, est sujet à désaveu. Voyez COMMISSIONNAIRE & CORRESPONDANT.

Ordre se dit encore de la bonne regle qu'un marchand tient dans le maniement de ses affaires, écritures &c. les livres d'un marchand qui ne sont pas tenus en bon ordre, ne peuvent faire foi en justice. Diction. de commerce.

ORDRE, s. m. (Archit.) c'est un arrangement régulier de parties saillantes, dont la colomne est la principale pour composer un bel ensemble. Un ordre parfait a trois parties principales, qui sont le piédestal, la colomne & l'entablement. Cependant, suivant que les circonstances le demandent, on fait des colomnes sans piédestal, & on y substitue une plinthe ; cela n'empêche pas qu'on ne dise qu'un bâtiment est construit selon un tel ou tel ordre, quoiqu'il n'y ait point de colomnes, pourvû que sa hauteur & ses membres soient proportionnés aux regles de cet ordre. L. C. Sturm prétend qu'il n'y a eu d'abord que deux ordres, dont le roi Salomon a fait usage du plus beau pour son temple & de l'autre pour son palais, & que les Corinthiens se sont ensuite appropriés le premier & les Doriens le second ; qu'après cela on en a inventé un qui tient le milieu entre ces deux ordres, & qu'on appelle l'ionien ; que les peuples Toscans en Italie ont contrefait l'ordre dorique, quoique d'une maniere plus simple & plus massive, & que c'est de-là que s'est formé l'ordre toscan.

Ces quatre ordres, le toscan, le dorique, l'ionique & le corinthien, sont les seuls que les Grecs ayent connu ; aussi Vitruve ne parle point de cinquieme ordre. Les Romains ont enfin composé un nouvel ordre de l'ionique & du corinthien, qu'on appelle communément le romain ou le composite. Louis XIV. avoit promis une récompense considérable à celui qui inventeroit un sixieme ordre. Cette promesse mit toutes les imaginations en feu ; mais quoiqu'on se soit donné beaucoup de peine, on n'a rien découvert qui mérite l'approbation des connoisseurs ; car ou l'on a avancé des absurdités qu'on ne sauroit admettre dans l'architecture, ou l'on n'a rien présenté qui ne fût déja compris dans les quatre ordres décrits par Vitruve, & qui n'appartînt à l'ordre composé, dont les Romains ont donné le premier exemple. Cela devoit être, selon Vilalpande, puisqu'on avoit voulu trouver un ordre plus beau que le corinthien qui, selon lui, vient de Dieu immédiatement. Prenant sa pieuse conjecture pour une vérité, Sturm, dans la recherche qu'il a faite d'un nouvel ordre, en a trouvé un inférieur au romain & au corinthien, mais plus beau que l'ionique. Voyez ORDRE ALLEMAND.

Parmi les architectes italiens, Vignole, Palladio & Scamozzi se sont particulierement distingués à faciliter l'usage des ordres. Vignole sur-tout a rendu cet usage beaucoup plus facile qu'il n'étoit avant lui par une regle générale, qui sert à déterminer toutes les parties des colomnes. Cette regle est telle, le piédestal est toujours le tiers, & l'entablement le quart de toute la colomne. Ainsi en divisant l'endroit où l'on veut mettre la colomne en dix-neuf parties égales, on en donne quatre au piédestal, douze à la colomne, & trois à l'entablement. Si l'on ne veut point de piédestal, on divise cet endroit en cinq parties, dont on donne une à l'entablement & quatre à la colomne. C'est à cause de cette division facile que la plûpart des ouvriers suivent les regles de cet architecte : mais sur quoi sont-elles fondées ?

Palladio est de tous les Architectes celui qui a su le mieux joindre les membres des ordres ; & Scamozzi est singulierement estimé par la proportion qu'il leur a donnée. Nicolas Goldman dans son traité de stylométris, & dans ses institutions d'Architecture, a tâché de remplir ces trois objets. M. Perrault a donné un très-bel ouvrage sur les ordres, intitulé : Ordonnance des cinq especes de colomnes. Roland Fréard de Chambray, Charles-Philippes Dieussard, François Blondel & Seyler ont publié des éclaircissemens sur les cinq ordres. L'ouvrage de ce dernier auteur peu connu est intitulé : Parallelismus architectorum celebriorum : mais il faut décrire par gradation du simple au composé les ordres que nous avons considérés jusqu'ici sous un point de vûe général.

Ordre toscan. C'est le premier, le plus simple & le plus solide de tous les ordres, la hauteur de sa colomne est de sept diamêtres pris par le bas. Cette solidité ne comporte ni sculpture, ni autre ornement ; aussi son chapiteau & sa base ont peu de moulures, & son piédestal qui est fort simple, n'a qu'un module de hauteur. On n'emploie cet ordre qu'aux bâtimens qui demandent beaucoup de solidité, comme sont les portes des forteresses, des ponts, des arsenaux, des maisons de force, &c. On garnit souvent ses colomnes de bossages ou de pierres entrecoupées, qui sont ou piquées également par-tout, ou trouées comme des pierres rongées, ou du bois vermiculaire, qu'on appelle rustique vermiculé ; mais cet usage n'est pas approuvé par tous les Architectes.

L'ordre, dont nous venons de parler, est de l'invention des Latins, on le nomme toscan, parce qu'il a pris son origine dans la Toscane.

Ordre dorique. Cet ordre est plus ancien que l'ordre toscan, quoiqu'on le place le second, parce qu'il est plus délicat, & en quelque façon plus composé que celui-ci. Vitruve rapporte dans son architecture, liv. IV. chap. iij. que Dorus, roi d'Achaïe, s'en est servi le premier pour un temple qu'il éleva à Argos en l'honneur de Junon ; mais on n'y avoit observé qu'une mesure arbitraire. Les Athéniens ayant voulu employer cet ordre dans un temple qu'ils consacrerent à Apollon, crurent que le rapport de la hauteur d'un homme à la longueur de son pié étoit la proportion la plus convenable. Or la longueur du pié d'un homme étant la sixieme partie de sa hauteur, on donna à la colomne de cet ordre six de ses diamêtres. Le P. Vilalpande le trouve trop beau pour en faire honneur aux hommes ; il croit qu'il vient immédiatement de Dieu. Il en donne les raisons dans son commentaire sur le prophête ézéchiel, tome III. Mais sans nous arrêter à ces puérilités, fixons le caractere de l'ordre dorique.

La hauteur de la colomne est de huit diamêtres ; elle n'a aucun ornement ni dans son chapiteau, ni dans sa base, & la frise est ornée de triglyphes & de métopes.

Les Architectes ont toujours trouvé de grandes difficultés sur la division exacte qu'on doit observer dans cet ordre, parce que l'axe de la colomne doit l'être en même tems du triglyphe qui est au-dessus, & que les entreglyphes ou métopes doivent toujours former un quarré exact. Ces circonstances leur ont paru souvent impossibles dans tous les entre-colonnemens, & sur-tout dans les colomnes accouplées. Le même inconvénient a lieu dans les édifices quarrés. Aussi les plus célebres ont été réduits ou à faire des fautes aux bâtimens dans lesquels ils ont employé cet ordre, ou à omettre tout-à-fait les triglyphes dans la frise ; deux extrêmités fâcheuses, qu'il n'appartient qu'à des habiles gens de concilier.

Les anciens ont consacré cet ordre à l'héroïsme. En conséquence ils en ont fait hommage à leurs divinités mâles, telles que Jupiter, Apollon, Hercule, &c. & ils en ont décoré leurs temples. C'est pourquoi on l'emploie fort convenablement aux monumens, aux bâtimens héroïques, aux portes des villes, aux arsenaux, &c.

Ordre ionique. Cet ordre tire son nom de l'Ionie, province d'Asie. C'est le second des Grecs, qui l'ont inventé pour orner un temple consacré à Diane. Il n'est ni si mâle que le dorique, ni si solide que le toscan : sa colomne a neuf diamêtres de hauteur, son chapiteau est orné de volutes, & sa corniche de denticules.

Dans son origine, cet ordre n'avoit que huit diamêtres de la colomne, parce qu'ils avoient voulu le proportionner selon le corps d'une femme, comme ils avoient proportionné l'ordre toscan suivant le corps d'un homme. Poussant plus loin l'imitation, ils copierent les boucles de leurs cheveux : ce qui donna lieu aux volutes, & enfin ils cannelerent la colomne pour imiter les plis de leurs vêtemens. Voyez l'architecture de Vitruve, liv. IV. chap. j.

Ordre corinthien. C'est, selon les époques de l'invention des ordres, le second ordre, &, selon la proportion la plus délicate, le dernier des quatre. Il fut inventé à Corinthe par Callimaque, sculpteur athénien. Voyez ACANTHE & CHAPITEAU. Son chapiteau est orné de deux rangs de feuilles, & de huit volutes qui en soutiennent le tailloir ; sa colomne a dix diamêtres de hauteur, & sa corniche est ornée de modillons. Vilalpande, toujours pieux dans ses origines, soutient que les Grecs ont pris cet ordre au temple de Jérusalem, & que par conséquent Dieu l'avoit révélé au roi Salomon.

Ordre composite. Cet ordre est ainsi nommé, parce que son chapiteau est composé de deux rangs de feuilles du corinthien, & des volutes de l'ionique ; on l'appelle italique ou romain, parce qu'il a été inventé par les Romains. Ce fut dans le tems qu'Auguste donna la paix à toute la terre : sa colomne a dix diamêtres de hauteur, & sa corniche est ornée de denticules ou modillons simples.

Ordre Allemand. C'est un ordre de l'invention de L. C. Sturm, qui l'appella d'abord ainsi ; mais ayant fait attention qu'il ne lui convenoit point de disposer du nom d'une nation, il lui donna un nom plus modeste, celui d'ordre nouveau : son chapiteau a un seul rang de feuilles, & seize volutes ; ce qui est une nouveauté fort naturelle, car ou les autres chapiteaux sont sans feuilles, ou ils en ont deux rangs ; mais cette simplicité produit-elle un effet agréable ? C'est-ce dont les Architectes jugeront par la lecture des chapitres x. & xj. de la maniere d'inventer toutes sortes de bâtimens de parade du même Sturm, inventeur de l'ordre allemand, où il donne les desseins des parties inférieures & supérieures.

Ordre attique, petit ordre de pilastres de la plus courte proportion, qui a une corniche architravée pour entablement comme l'ordre, par exemple, du château de Versailles au-dessus de l'ionique du côté du jardin.

Telles sont les proportions de l'ordre attique : sa hauteur, en y comprenant son piédestal & sa corniche, a ordinairement la moitié de la hauteur de l'ordre sur lequel il est élevé, soit qu'il y ait des piédestaux ou non. Cette hauteur se divise ainsi : le piédestal a le quart de toute la hauteur : les trois autres quarts se divisent en quatorze parties, qui font autant de modules. On prend deux de ces parties, dont l'une est pour la base y compris le listeau, l'autre pour le chapiteau ; & on donne un module 2/3 à la hauteur de la corniche, desorte qu'il reste dix modules 1/3 pour la hauteur du fût du pilastre, y compris l'astragale du chapiteau. M. Jacques-François Blondel a publié sur ces proportions une dissertation dans l'architecture françoise, t. I. p. 83, qui mérite d'être lue.

L'ordre attique étoit connu des anciens, mais il étoit différent de celui que nous venons de définir. Pline, dans son Histoire naturelle, liv. XXXVI. dit que les colomnes de cet ordre étoient quarrées. M. Perrault, d'après la description de Pline, & sur quelques desseins que M. Demonceaux lui avoit communiqués, & que celui-ci avoit fait d'après plusieurs chapiteaux trouvés dans des ruines ; M. Perrault, dis-je, donne, dans sa traduction de l'architecture de Vitruve, page 133, le dessein de cet ordre qui est tel : le chapiteau a un collier ou gorgerin, avec un rang de feuilles, un rondeau, un ove, une plate-bande, une gueule renversée, & un listeau. Le fût est quarré, & par-tout d'une égale épaisseur. Le bas de la colomne consiste dans une plinthe, un thore, un listeau, une cymaise dorique, & un rondeau.

Ordre caryatique. C'est un ordre qui a des figures de femmes à la place de colomnes. Voyez CARYATIDES. Il y a un ordre de cette espece au gros pavillon du Louvre, dont les caryatides sont de M. Jacques Sarrazin, sculpteur du roi.

Ordre composé. C'est un ordre arbitraire & de pur caprice, qui n'a aucun rapport avec les cinq ordres d'architecture. Tel est l'ordre du dedans dans l'église de S. Nicolas du Chardonnet à Paris : les chapiteaux des huit colomnes dans la chapelle de Gadagne, dans l'église des Jacobins à Lyon, sont d'ordre composé, & ils sont tous différens les uns des autres. On voit encore à Rome des ordres composés dans les ouvrages d'Architecture du Cavalier Baromini.

Ordre françois, ordre dont le chapiteau est composé d'attributs relatifs à la nation françoise, comme des têtes de cocqs, de fleurs de lys, de pieces des ordres militaires, &c. & qui a les proportions corinthiennes. Il y a un ordre françois dans la grande galerie de Versailles ; il est du dessein de M. le Brun, premier peintre du roi.

Ordre gothique. C'est un ordre si éloigné des proportions & des ornemens antiques, que ses colomnes sont ou trop massives en maniere de piliers, ou aussi menues que des perches avec des chapiteaux sans mesures, taillés de feuilles d'acanthe épineuse, de choux, de chardons, &c.

Ordre persique. C'est un ordre dorique qui a des figures d'esclaves persans au lieu de colomnes, pour porter l'entablement. On voit dans le parallele de l'Architecture antique avec la moderne de M. de Chambray, un de ces esclaves qui porte un entablement dorique, & qui est copié d'après l'une des deux statues antiques des rois des Parthes, lesquelles sont aux côtés de la porte du salon du palais Farnese à Rome. Telle est l'origine de l'ordre persique : Pausanias, roi des Lacédémoniens, ayant défait les Perses, les vainqueurs éleverent des trophées des armes de leurs ennemis, qu'ils représenterent ensuite chargés des entablemens de leurs maisons. Voyez l'Archit. de Vitruve, liv. I. chap. j.

Ordre rustique, ordre qui est avec des refends ou bossages. Tels sont les ordres du palais de Luxembourg à Paris.

Je n'ajoute qu'un mot à ce détail de Daviler sur les ordres d'Architecture.

Les curieux voyageurs qui nous ont donné le bel ouvrage des ruines de Palmyre en 1753, remarquent que dans la diversité des ruines qu'ils ont vûes en parcourant l'Orient, ils ont eu occasion d'observer que chacun des trois ordres grecs a eu son période à la mode. Les plus anciens édifices ont été doriques ; à cet ordre a succédé l'ionique, qui semble avoir été l'ordre favori, non-seulement en Ionie, mais par toute l'Asie mineure, le pays de la bonne Architecture dans le tems de la plus grande perfection de cet art. Ensuite le corinthien est venu en vogue, & la plûpart des édifices de cet ordre qui se trouvent en Grece semblent postérieurs à l'établissement des Romains dans ce pays-là : enfin a paru l'ordre composé accompagné de toutes les bisarreries, & alors on sacrifia entierement les proportions à la parure & à la multiplicité mal entendue des ornemens. (D.J.)

ORDRE, ce mot, en Vénerie, signifie l'espece ou les qualités des chiens : on dit un bel ordre de chiens.

ORDRE, la tour d '(Géog.) on appelloit ainsi le phare que les Romains avoient élevé à Boulogne-sur-mer, pour servir de guide aux vaisseaux. M. de Valois l'appelle, je ne sai pourquoi, turris ordinis ; car ni le mot françois ordre, ni le latin ordo, ne sont l'origine d'une pareille dénomination. Ce phare est nommé odraüs pharus dans la vie de saint Folcuin, évêque de Terouanne ; c'est donc d'Odraüs que paroît venir le mot d'ordre, qu'on donne à cette tour ; mais on ignore également & la signification, & l'étymologie de ce mot odraüs. (D.J.)


ORDUNA(Géog.) ville d'Espagne en Biscaye, dans une vallée agréable, entourée de hautes montagnes. Long. 14. 15. lat. 43. 10. (D.J.)


ORDURES. f. (Gram.) il se dit de tout ce qui gâte, salit & corrompt. Les ordures d'une maison, les ordures du corps humain, les ordures de l'ame, les ordures du discours. Dans ce dernier exemple, ordure est synonyme d'obscénité.


ORDURIERS. m. pelle ou auge de bois, dont l'usage dans les communautés est de recevoir les ordures qu'on balaie, pour être transportées.


ORANGEADES. f. (Cuisine & Diete) est une boisson qui se fait de jus d'orange, d'eau & de sucre, voyez ORANGE & LIMONADE. Lémery dit qu'on en peut donner à boire dans le plus fort de la fievre.


ORANGEAZS. m. en terme de Confiserie, ce sont des dragées faites de tailladins d'oranges aigres, qui sont fort agréables lorsqu'on y a employé de bon sucre.


ORANGEBOURG(Géog.) ou pour suivre l'orthographe allemande, Oranienbourg, château & petite ville d'Allemagne dans l'électorat de Brandebourg, sur la riviere de Havel, à 4 milles de Berlin. Le château est une maison de plaisance des rois de Prusse, située dans un pays qui ressemble fort à la Hollande. (D.J.)


ORANGERaurantium, s. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond. Le pistil sort du calice, il est entouré de petites feuilles terminées par des étamines, & il devient dans la suite un fruit presque rond, & couvert d'une écorce charnue. Ce fruit se divise en plusieurs loges remplies d'une substance vésiculaire & charnue, & qui renferme des semences calleuses. Ajoutez aux caracteres de ce genre, que les feuilles ont à leur origine la forme d'un coeur. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

ORANGER, (Jardinage) arbre toujours verd, qui vient naturellement dans les climats les plus chauds de l'Asie & de l'Europe, même dans l'Amérique méridionale. Mais cet arbre, outre l'utilité de son fruit, a tant d'agrément & de beauté, qu'on le cultive encore bien avant dans les pays septentrionaux, où malgré qu'il soit trop délicat pour y passer les hivers en pleine terre, on a trouvé moyen de lui suppléer une température convenable, à force de soins & d'abris. C'est ce qui a donné lieu à la construction des orangeries qui sont à-présent inséparables des maisons de campagne où regne l'aisance.

L'oranger dans les pays chauds, devient un grand arbre & s'éleve souvent à 60 piés sur 6 ou 8 de circonférence. Mais comme dans la plus grande partie du royaume on ne le voit que sous la forme d'un arbrisseau, parce qu'on est obligé de le tenir en caisse, je ne traiterai ici de cet arbre que relativement à son état de contrainte. Quand l'oranger a été bien conduit de jeunesse, il fait une tige droite d'une belle hauteur, & une tête aussi réguliere que bien fournie de rameaux. Sa feuille est grande, longue & pointue, ferme, lisse & unie, d'un verd tendre, jaunâtre & très-brillant : cette feuille est singulierement caractérisée par un petit appendice antérieur en maniere de coeur, qui sert à distinguer cet arbre du citronnier & du limonier, dont les feuilles sont simples. L'oranger donne pendant tout l'été une grande quantité de fleurs blanches d'une odeur délicieuse, qui parfume l'air & se répand au loin. Elles sont remplacées par un fruit rond, charnu, succulent, dont la couleur, le goût & l'odeur sont admirables. On ne peut en effet, refuser son admiration à un arbre qui conserve pendant toutes les saisons, une verdure des plus brillantes ; qui réunit les agrémens divers d'être en même tems chargé de fleurs & de fruits, dont les uns sont naissans & les autres en maturité ; & dont toutes les parties, telles que le jeune bois, la feuille, la fleur & le fruit, ont une odeur suave & aromatique des plus agréables. L'oranger a encore le mérite d'être de très-longue durée ; & quoiqu'il soit souvent renfermé, & toujours retenu dans d'étroites limites, on a vu de ces arbres subsister en caisse pendant deux siecles & au-delà.

L'oranger est plus aisé à multiplier, à élever & à cultiver qu'on ne se l'imagine communément. Tous les Jardiniers y mettent beaucoup de mystere, supposent qu'il y faut un grand art, & prétendent que cet arbre exige une infinité de préparations, de soins & de précautions. Cependant voici à quoi se réduit cet art si mystérieux de la culture des orangers. 1°. Leur faire une bonne préparation de terre, qui est fort simple ; 2°. leur donner des caisses proportionnées à leur grosseur ; 3°. leur former une tête réguliere ; 4°. les placer dans la belle saison à une exposition favorable ; 5°. les mettre pendant l'hiver dans une orangerie suffisamment aërée, mais où la gelée ne puisse pénétrer ; 6°. les arroser avec ménagement ; 7°. les r'encaisser au besoin ; 8°. les rétablir des maladies ou accidens qui leur surviennent ; 9°. enfin les garantir des insectes qui leur sont nuisibles. Avant d'entrer dans le détail de ces différens articles, il faut indiquer les moyens de se procurer des plants d'oranger. On y parvient de deux façons, ou en semant des pepins que l'on greffe ensuite, ou en achetant des plants greffés, que les marchands génois viennent vendre tous les ans, dans la plûpart des grandes villes du royaume.

Pour élever de graine & greffer les orangers, je vais donner la pratique que conseille M. Miller, auteur anglois, très-versé dans la culture des plantes. Comme ses ouvrages n'ont point encore été traduits en notre langue, il sera avantageux de faire connoître sa méthode de cultiver les orangers. On pourra même s'en relâcher à quelques égards sans inconvénient, en raison de la différence du climat qui est un peu plus favorable dans ce royaume qu'en Angleterre.

Pour se procurer des sujets propres à greffer les différentes especes d'orangers, il faut, dit M. Miller, semer les pepins que l'on tire des citrons qui se trouvent pourris au printems. Les plants qui en viennent valent mieux que ceux des oranges, ni des limons pour servir de sujet ; parce que le citronnier croît le plus promptement, & qu'il est propre à greffer toutes les différentes especes de ces arbres. Il faut donc semer au printems des pepins de citron dans des pots remplis de bonne terre, que l'on plongera dans une couche de fumier à l'ordinaire, ou de tannée qui sera encore plus convenable. On les arrosera souvent, on les couvrira de cloches un peu relevées pour laisser passer l'air, & on les garantira de la grande chaleur du jour avec des paillassons. Les graines leveront au bout de 3 semaines ; & si le semis a été bien conduit, les jeunes plants seront en état d'être transplantés un mois après dans des petits pots d'environ 5 pouces de diamêtre.

La terre dont on se servira pour cette plantation, & pour tout ce qui concernera les orangers, sera composée de 2 tiers de terre de pré la moins légere, & cependant la moins dure, mais qui soit grasse & limoneuse, qu'il faudra faire enlever avec le gazon de 10 pouces d'épaisseur ; on y ajoutera une troisieme partie de fumier de vache bien pourri ; on mêlera le tout ensemble, même avec le gazon, pour le faire pourrir, & on laissera reposer ce mêlange pendant un an avant de s'en servir. Mais on aura soin de remuer le tout une fois le mois pour complete r le mêlange, pour faire pourrir les racines, pour bien rompre les mottes & rendre cette terre bien meuble. Il faudra la cribler avant de s'en servir pour en ôter sur-tout les racines ; il ne faut cependant pas que cette terre soit trop fine, car l'excès à cet égard est préjudiciable à la plûpart des plantes, & particulierement aux orangers.

En tirant les jeunes plants du pot où ils ont été semés, il faudra conserver le plus qu'il se pourra la terre qui tiendra aux racines. On mettra ces petits pots sous un chassis, dans une couche qui aura été renouvellée ; on les arrosera souvent & légérement ; on leur fera de l'ombre dans la grande chaleur du jour ; & en y donnant les soins convenables, les plants auront 2 piés de haut dans le mois de Juillet de la même année. Alors on les laissera se fortifier en élevant par degré les chassis de la couche. On profitera ensuite d'un tems favorable pour les ôter & les mettre à une exposition où la grande chaleur ne puisse pas les endommager. Vers la fin de Septembre, il faudra les mettre à l'orangerie, dans l'endroit le plus aëré, & les arroser souvent, mais modérement.

Au printems suivant, on les lavera pour ôter la poussiere & la moisissure ; & on les mettra encore dans une couche d'une chaleur modérée, ce qui les hâtera considérablement. Mais au commencement de Juin on cessera de les délicater, afin qu'ils soient propres à être écussonnés au mois d'Août. Alors on choisira sur des arbres fertiles & vigoureux de l'espece qu'on voudra multiplier, des rameaux ronds & forts, dont les boutons se levent plus aisément que ceux des branches foibles, plates ou anguleuses ; & on les écussonnera à l'ordinaire. Ces greffes étant faites on les mettra dans l'orangerie pour les défendre de l'humidité ; on tournera les écussons à l'opposite du soleil ; on leur donnera de l'air le plus qu'il sera possible, & on les arrosera légérement & souvent. On pourra s'assurer un mois après des écussons qui auront réussi ; alors il faudra couper la ligature.

On ne sortira ces arbres de l'orangerie qu'au printems suivant, & après avoir coupé les sujets à 3 pouces au-dessus de l'écusson ; on les plongera avec leur pot dans une couche d'écorce d'une chaleur tempérée ; on leur donnera de l'air & de l'eau à proportion de la chaleur : mais il faudra les garantir avec soin de l'ardeur du soleil. En les conduisant ainsi, les greffes qu'ils pousseront vigoureusement auront au mois de Juillet 3 piés d'élévation pour le moins. Il faudra commencer à les accoutumer dans ce tems à la fatigue, afin qu'ils puissent mieux passer l'hiver dans l'orangerie. Comme la hauteur qu'ils auront prise sera suffisante pour la tige, on pourra arrêter le montant, afin de lui faire pousser des branches latérales. Il ne faudra pas manquer de les tenir chaudement pendant l'hiver qui suivra cette premiere pousse ; car la couche de tannée les rend délicats en forçant leur accroissement : mais on ne peut guere se dispenser de les avancer ainsi, afin de leur faire prendre une grande élévation en une seule seve ; car quand ces arbres sont plusieurs années à former leurs tiges, elles sont rarement droites. On conduira ces arbres ensuite de la même façon que les orangers qui ont pris leur accroissement, & dont il sera parlé après avoir donné la maniere de cultiver ceux que l'on achete des marchands génois.

Le plus court moyen d'avoir de beaux orangers, c'est de les acheter de ces marchands ; car ceux que l'on éleve de graine dans ce climat, ne deviennent pas à beaucoup près si gros en 18 ou 20 ans : & quoique les têtes de ceux qu'on apporte d'Italie soient petites, on peut cependant en 3 ans leur faire prendre de belles têtes, & les amener à fruit en les conduisant avec soin. Dans le choix de ces arbres, il faut préférer ceux qui ont de beaux écussons ; car ceux qui n'en ont qu'un forment rarement une tête réguliere. Il faut d'ailleurs que les tiges soient droites, les branches fraîches, l'écorce pleine & vive. On doit les mettre dans l'eau environ jusqu'à mi-tige ; les y laisser 2 ou 3 jours selon qu'on les verra se gonfler ; ensuite nettoyer leurs racines de la moisissure ; retrancher celles qui sont séches, rompues ou meurtries ; rafraîchir celles qui sont saines ; ôter tout le chevelu qui se trouve toujours desséché par la longueur du trajet ; frotter les tiges avec une brosse de crin, puis avec un morceau de drap plus doux ; & enfin couper les branches à environ 6 pouces de la tige. On se servira pour planter ces arbres d'une bonne terre neuve, mêlée avec du fumier de vache bien pourri ; mais il ne faut pas les mettre dans de grands pots, il suffit pour cette premiere transplantation de les prendre de grandeur à pouvoir contenir les racines. On n'oubliera pas de mettre dans le fond des tuilots ou pierres plates, pour donner passage à l'eau. Ensuite on plongera les pots dans une couche tannée d'une chaleur modérée ; on les arrosera largement pour affermir la terre autour des racines ; on répétera les arrosemens aussi souvent que la saison l'exigera, & on aura soin de faire de l'ombre sur les chassis de la couche pour la garantir de la trop grande ardeur du soleil.

Si les arbres poussent aussi bien qu'on doit s'y attendre avec les soins que l'on vient d'indiquer, ils auront au commencement de Juin des rejettons vigoureux. Il faudra les arrêter alors pour faire garnir les têtes ; on leur donnera aussi beaucoup d'air, & on commencera à ne les plus délicater à la mi-Juillet, en les mettant cependant à une exposition chaude, mais à l'abri du grand soleil & des vents ; on ne les y laissera que jusqu'à la fin de Septembre : il faudra les mettre alors dans l'orangerie près des fenêtres que l'on tiendra ouvertes toutes les fois que la saison le permettra. Mais à la fin d'Octobre il faudra leur donner la place la plus chaude de l'orangerie ; les arroser souvent & bien légérement pendant l'hiver, & surtout avoir grand soin de les garantir de la gelée.

Lorsqu'au printems suivant on sortira de l'orangerie les arbrisseaux les moins délicats, comme les grenadiers, &c. on fera bien de laver & de nettoyer les feuilles & les tiges des orangers ; d'enlever la terre de dessus les pots pour en substituer de la nouvelle ; de la couvrir d'une couche de fumier de vache bien pourri, & d'avoir grande attention que ce fumier ne touche pas la tige de l'arbre. Comme l'orangerie se trouve alors moins embarrassée, il sera très-à-propos d'éloigner les orangers les uns des autres, afin de faciliter la circulation de l'air qu'on laissera entrer plus ou moins selon la température de la saison. Mais il ne faudra les sortir que vers le milieu du mois de Mai, qu'on peut regarder comme le tems où la belle saison est assurée. Il arrive souvent quand on se presse de sortir ces arbres, que les matinées froides leur font un grand mal. Il faut les placer pour passer l'été, à une situation également à l'abri des grands vents & de l'ardeur du soleil : ces deux inconvéniens sont très-contraires aux orangers. A mesure que ces arbres pousseront il faudra arrêter leurs rejettons vigoureux qui poussent irrégulierement, afin que les têtes se garnissent ; mais notre auteur ne conseille pas de pincer le sommet de toutes les branches, comme quelques-uns le pratiquent, cela fait pousser une quantité de petits rejettons trop foibles pour porter du fruit. En s'attachant à donner de la régularité à la tête, il faut ménager les branches vigoureuses, & ne pas craindre de supprimer les menus rejettons qui nuisent ou qui se croisent, ou qui se chiffonnent.

Les orangers veulent être arrosés souvent & largement dans les grandes sécheresses de l'été, surtout lorsque les arbres sont formés. Il faut que l'eau ait été exposée au soleil, qu'elle soit douce & sans aucun mêlange d'égoût de fumier ; cette pratique, malgré la recommandation de quelques gens, est pernicieuse à ces arbres, ainsi qu'à quantité d'autres. Il en est de ceci comme des liqueurs spiritueuses qui, lorsqu'on en boit, semblent donner de la vigueur pour le moment présent, mais qui ne manquent jamais d'affoiblir ensuite.

Les orangers veulent être dépotés tous les ans. On préparera de la bonne terre pour cela, un an avant que de s'en servir, afin qu'elle soit bien mêlée & bien pourrie. La fin d'Avril est le tems le plus convenable pour cette opération, afin que les arbres puissent faire de nouvelles racines avant qu'on les sorte de la serre : il faudra même les y laisser quinze jours de plus qu'à l'ordinaire pour qu'ils aient le tems de se bien affermir.

Quand on dépote les orangers il faut y donner des soins, couper toutes les racines qui excedent la motte, rechercher celles qui sont moisies, puis avec un instrument de fer pointu, on tirera d'entre les racines toute la vieille terre qu'on en pourra ôter, sans les rompre ni endommager ; puis mettre le pié des arbres dans l'eau pendant un quart d'heure, pour pénétrer d'humidité la partie inférieure de la motte. Ensuite on frottera la tige avec une brosse de crin ; on nettoyera les têtes avec un morceau de drap & de l'eau. Puis les pots se trouvant préparés avec des pierres ou des tuilots au fond, on mettra dans chacun environ deux pouces de haut de nouvelle terre, sur laquelle on placera l'arbre bien dans le milieu du pot, que l'on achevera d'emplir avec de la bonne terre en la pressant fortement avec les mains : après quoi on arrosera l'arbre en forme de pluie par-dessus sa tête ; ce qu'il faudra toujours pratiquer dans la serre la premiere fois après que l'on aura lavé & nettoyé les arbres, cela leur fera pousser de nouvelles racines & rafraîchir beaucoup leur tête. Quand on sortira les orangers nouvellement empotés, il sera très-à-propos de les mettre à l'abri d'une haie, & d'appuyer leurs tiges avec de bons bâtons, pour empêcher que le vent ne les dérange. Son impétuosité renverse quelquefois les arbres récemment plantés, ou ébranle tout au moins les nouvelles racines.

Pour rétablir les vieux orangers qui ont été mal gouvernés, & dont les têtes sont chenues, la meilleure méthode est d'en couper la plus grande partie au mois de Mars ; de les arracher des caisses ; de secouer la terre qui tient aux racines ; de retrancher toutes celles qui sont moisies, & de couper tout le chevelu ; de nettoyer ensuite le reste des racines, ainsi que la tige & les branches : puis on les plantera dans des pots ou dans des caisses que l'on plongera dans une couche de tannée, en suivant ce qui a été dit pour les orangers venus de loin, & les gouverner de la même façon. Par ce moyen ils formeront de nouvelles têtes, & reprendront leur beauté en moins de deux ans. Si cependant les orangers qu'il est question de rétablir sont fort gros, & qu'ils aient été en caisse pendant plusieurs années, il vaut mieux les planter avec de la bonne terre dans des manequins qui soient plus petits que les caisses, & que l'on mettra dans la couche de tannée au commencement de Juillet ; lorsqu'ils auront bien poussé, on mettra les arbres avec leur manequin dans des caisses dont on remplira le vuide avec de la terre convenable. On évitera par ce moyen de mettre les caisses dans la tannée, ce qui les pourriroit ; d'ailleurs les arbres seront tout aussi bien de cette façon que s'ils avoient d'abord été plantés dans les caisses. Mais il ne faudra pas oublier de les faire rester pendant 15 jours ou 3 semaines dans l'orangerie avant de les mettre en plein air.

La taille des orangers n'est nullement difficile. Elle consiste à conserver les branches vigoureuses ; à retrancher les rejettons qui se chiffonnent, se croisent & se nuisent ; à supprimer tout le petit bois gresle & trop mince pour donner des fleurs & produire de bon fruit. Comme cet arbre est susceptible de différentes formes, & que sa verdure en fait le principal agrément, ou du moins le plus constant, on doit s'attacher à ce que sa tête soit uniformément garnie au moyen d'une taille assidue & bien ménagée ; sans cependant y employer le ciseau du jardinier, qui en laissant une grande partie des feuilles coupées à-demi, montre une decharnure désagréable : la précision de la forme ne dédommage pas de cet inconvénient ; d'ailleurs les feuilles qui ont été atteintes du ciseau se fannent & font un mauvais effet. Il vaut beaucoup mieux laisser pointer légérement toutes les branches, plus elles approcheront de l'ordre naturel, plus l'aspect en sera agréable.

S'il arrive que la grêle, le vent, la maladie, ou tel autre accident, viennent à endommager & défigurer un oranger, on rabattra l'arbre en coupant toutes ses branches jusqu'à l'endroit où il paroîtra de la vigueur & de la disposition à former un nouveau branchage, capable de donner une forme qui puisse se perfectionner. Dès qu'on s'apperçoit qu'un oranger est malade, ce qui s'annonce par la couleur jaune de ses feuilles, il faut chercher promptement à y remédier, soit en le mettant à l'ombre s'il a souffert de la trop grande chaleur, ou bien en visitant ses racines où se trouve ordinairement l'origine du mal : dans ce cas, on doit en retrancher les parties viciées & renouveller la terre. Mais les punaises sont le plus grand fléau de cet arbre ; elles attaquent ses feuilles sur-tout en hiver. Dès qu'on s'en apperçoit, il faut y remédier en enlevant & en écrasant ces insectes avec les doigts, ou en frottant les branches avec une brosse & les feuilles avec un linge, après avoir trempé l'un & l'autre, soit dans du vinaigre, soit dans de l'eau empreinte d'amertume ou de sel.

L'agrément ne fait pas le seul mérite des orangers, on en retire aussi de l'utilité, ses fleurs servent à quantité d'usages ; on en compose des eaux, des liqueurs, des confitures, &c. tout le monde connoît l'excellente qualité de ses fruits ; ceux du plus grand nombre d'especes d'orangers sont bons à manger. On tire aussi parti des oranges aigres. Voyez ORANGE.

Le bois de l'oranger, quoique de bonne qualité, est de bien peu de ressource même dans les pays très-chauds, où ces arbres deviennent très-gros, parce que le tronc se trouve toujours pourri dans le coeur.

Il y a une infinité de variétés de cet arbre ; on se contentera de rapporter ici celles que l'on cultive ordinairement.

1. L'orange aigre ou la bigarrade.

2. Le même à feuilles panachées.

3. L'orange douce ou de Portugal.

4. L'oranger à feuilles coquillées ou le bouquetier ; ainsi nommée à cause de la quantité de fleurs qu'il donne.

5. Le même oranger à fleurs panachées.

6. L'orange cornue.

7. L'oranger hermaphrodite, dont le fruit participe de l'orange & du citron.

8. L'oranger de Turquie, dont la feuille étroite approche de celle du saule.

9. Le même à feuilles panachées.

10. Le pampelmousse : ce fruit est de la grosseur d'une tête humaine.

11. L'oranger femelle ; ainsi nommée à cause de sa fécondité.

12. L'oranger tortu, a mérité ce nom à cause de sa difformité.

13. La grosse orange, dont la peau a des inégalités.

14. L'orange étoilée ; ainsi nommée à cause des 5 sillons dont elle est marquée à la tête, & qui représentent une étoile.

15. L'orange à écorce douce.

16. L'oranger à fleur double.

17. L'oranger de la Chine.

18. Le petit oranger de la Chine.

19. L'oranger nain, à fruit aigre : il est différent de celui de la Chine.

20. Le même dont les fruits & les feuilles sont panachés.

Ces orangers nains sont d'un agrément infini ; leurs feuilles sont très-petites, & garnissent bien les branches : ils donnent une quantité de fleurs qui couvrent l'arbre, & forment naturellement au bout de chaque branche, un bouquet d'une odeur délicieuse. Mais il faut des soins & des précautions pour entretenir ces arbres en vigueur : les serrer plus tôt, les sortir plus tard, & les tenir plus chaudement que les orangers ordinaires. Il en est de même du pampelmousse, de l'oranger de la Chine & de ceux à feuilles panachées. M. d'Aubenton le subdélégué.

ORANGER, (Chimie, Pharmacie, Diete & Mat. méd.) Il y a deux especes d'oranger dont les hommes tirent des remedes & des alimens : savoir l'oranger à fruit doux, & l'oranger à fruit aigre.

Les feuilles, les fleurs & les fruits de l'un & de l'autre, sont les parties de ces arbres qui sont en usage.

Les feuilles, les fleurs & l'écorce des fruits sont chargées d'une huile essentielle abondante qui est très-pénétrante & très-aromatique ; cette huile est contenue dans des cellules assez considérables pour paroître distinctement à la simple vûe, celles de l'écorce du fruit sont même si amples & si pleines, qu'il n'y a qu'à la plier, la froisser ou la racler avec un corps raboteux, pour en faire couler cette huile abondamment. C'est ce principe qui donne cette flamme vive & claire qui traverse rapidement celle d'une bougie lorsqu'on presse entre les doigts un zest d'orange auprès de cette flamme : c'est ce même principe qui pique si vivement la langue & le palais, & qui met la bouche en feu lorsqu'on mâche l'écorce jaune d'une orange fraîche ; c'est encore cette huile qui irrite si douloureusement les yeux lorsqu'on en approche de très-près une orange que l'on pêle.

Nous avons exposé à l'article HUILE le procédé par lequel les Italiens ramassoient celle-ci aussi inaltérée qu'il est possible.

L'huile des fleurs d'orange, que les Italiens appellent neroli, n'en peut être séparée que par la distillation à l'eau, qui est le second procédé que nous avons décrit à l'article EAUX DISTILLEES, voyez cet article ; car la distillation des fleurs d'orange par le bain-marie que l'on employe communément pour en retirer un autre produit beaucoup plus usuel, savoir l'eau essentielle dont nous allons parler dans un instant, ne fournit point d'huile essentielle. Voyez HUILE ESSENTIELLE au mot HUILE, & ce qui est dit du bain-marie à l'article FEU, Chimie.

Cet autre principe dont nous avons à parler, savoir le principe aromatique qui s'éleve avec le principe aqueux surabondant ou libre (Voyez EAU DISTILLEE) dans la distillation des fleurs d'orange au bain-marie, constitue la liqueur très-connue sous le nom d'eau de fleurs d'orange. Voyez à l'article EAU DISTILLEE, la maniere de la préparer, & son essence chimique, aussi bien que ses propriétés médicinales communes, au mot ODORANT, principe.

Cette eau est très-communément appellée dans les ouvrages de Médecine latins, aqua naphae.

On peut retirer une eau essentielle très-analogue à celle-ci, des feuilles d'oranger & des écorces du fruit.

Tout ce que nous avons dit jusqu'à présent convient également, non-seulement aux feuilles, aux fleurs & aux fruits de l'un & de l'autre oranger, mais encore, avec de très-légeres différences, aux parties analogues du citronnier, du cédrat, du bergamotier, &c.

C'est encore indifféremment les fleurs de l'un ou de l'autre oranger qu'on prend pour en préparer des conserves solides & liquides ou molles, & des teintures ou ratafiats. Les confitures préparées avec l'écorce blanche de l'un & de l'autre fruit convenablement épuisée de leur extrait amer par des macérations ou des décoctions suffisantes, ont à-peu-près les mêmes qualités diététiques & médicamenteuses.

La chair, moëlle ou pulpe de l'orange douce, contient un suc abondant, doux & aigrelet, qui rend ce fruit très-rafraîchissant & calmant la soif. On mange cette chair dépouillée de son écorce, ou seule, ou avec du sucre ; cet aliment opere manifestement sur l'estomac dans la plûpart des sujets, cette sensation qui est désignée dans la plûpart des livres de diete par l'expression de réjouir l'estomac, c'est-à-dire qu'il est assez généralement aussi salutaire qu'agréable. Cependant comme le parenchyme ou l'assemblage de cellules membraneuses où ce suc est enfermé, est coriace & indigeste ; il vaut mieux sucer l'orange dans laquelle on a fait ce qu'on appelle un puits, c'est-à-dire qu'on a ouverte par un des bouts, & dont on a écrasé la chair encore enfermée dans le reste de l'écorce, en y plongeant à plusieurs reprises une fourchette ou un couteau à lame d'argent, y dissolvant ensuite, si l'on veut, une bonne quantité de sucre en poudre ; & il vaut mieux, disje, avaler le suc d'orange ainsi préparé, que de manger l'orange entiere. On peut rendre encore cette préparation plus gracieuse, si l'on mêle parmi le sucre qu'on y emploie une petite quantité d'eleosaccharum préparé sur-le-champ, en frottant un petit morceau de sucre contre l'écorce de la même orange ; c'est le moyen d'unir le parfum de l'écorce à la saveur du suc. On peut préparer aussi avec le même suc une liqueur parfaitement analogue à la limonade, & qui a à-peu-près les mêmes vertus, quoiqu'à un degré inférieur, parce que l'acide de l'orange douce est beaucoup plus tempéré que celui du citron. La premiere liqueur est connue sous le nom d'orangeade. Voyez CITRONNIER & LIMONADE.

Le suc de l'orange douce se conserve moins bien que celui du citron ; aussi ne le garde-t-on que fort rarement dans les boutiques ; il ne seroit pas même fort agréable, & il auroit assez peu de vertu si on le conservoit sous la forme de syrop.

L'orange amere n'est employée parmi nos alimens qu'à titre d'assaisonnement : on arrose de son suc la plûpart des volailles & des gibiers qu'on mange rôtis ; & il est sûr que cet assaisonnement en facilite la digestion. On fait entrer aussi leur rapure & même leur écorce entiere seche, dans quelques ragoûts assez communs ; l'amertume qu'ils y portent peut être regardée aussi comme un assaisonnement utile. Il est bon sur-tout pour corriger la fadeur, l'inertie des poissons gras mangés en ragoûts, comme de l'anguille, &c. On fait aussi dans quelques provinces, en Languedoc, par exemple, avec l'orange amere non pelée & coupée par tranches, l'ail, la rapure de pain, & le jus de viande qu'on fait bouillir ensemble, une sausse qu'on sert avec les volailles rôties ; cette sausse ne peut qu'être & est en effet détestable, car les sucs acides végétaux sont entierement dénaturés par l'ébullition, & acquierent une saveur très-desagréable, que l'ail & l'extrait amer de l'écorce blanche & des pépins ne corrigent certainement point.

Les pépins d'orange, & sur-tout ceux de l'orange aigre, sont vermifuges comme toutes les substances végétales ameres.

L'écorce d'orange amere est comptée parmi les fébrifuges les plus éprouvés : on la donne, soit en décoction, soit desséchée & réduite en poudre ; elle est regardée aussi comme un bon emmenagogue, & comme un spécifique dans la rétention & dans l'ardeur d'urine ; la dose en substance en est depuis demi-gros jusqu'à deux gros.

Les écorces d'orange, soit douce, soit amere, confites, peuvent être regardées, par leur légere amertume & par un reste de parfum qu'elles retiennent, comme stomachiques, fortifiantes, propres à aider la digestion lorsqu'on les mange à la fin des repas dans l'état de santé, & à reveiller doucement le jeu de l'estomac dans les convalescences. La conserve ou le gâteau de fleurs d'orange, dont il est bon de rejetter les fleurs après qu'on les a mâchées & que le sucre est fondu dans la bouche ; & la marmelade ou conserve liquide, possedent les mêmes qualités, & même à un degré supérieur. Le ratafiat de fleurs d'orange qui est préparé avec une teinture des fleurs, joint à l'efficacité de leur amertume & de leur parfum, celle de l'esprit ardent. Voyez LIQUEURS SPIRITUEUSES, Diete.

L'eau de fleurs d'orange qui est amere & chargée d'une matiere aromatique très-concentrée, est nonseulement employée pour aromatiser des alimens, des boissons & des remedes, mais même seule ou bien faisant la base d'un remede composé ; on la mêle très-utilement au premier égard, c'est-à-dire comme assaisonnement au lait & à plusieurs de ses préparations, telles que la crême douce, le fromage frais à la crême, le caillé, les crêmes avec les oeufs, &c. L'eau de fleurs d'orange pure ou seule est à la dose d'une ou de deux cuillerées, un remede puissamment stomachique, cordial, vermifuge, carminatif, emmenagogue, hystérique ; elle remédie surtout très-efficacement, prise le matin à jeun, aux foiblesses & aux douleurs d'estomac ; elle entre très-communément dans les juleps & dans les potions cordiales & hystériques, à la dose de deux jusqu'à quatre & même six onces. On prépare avec l'eau de fleurs d'orange & avec les écorces des fruits, des syrops simples qui ont à-peu-près les mêmes vertus que ces matieres.

Les fleurs & les écorces des fruits, aussi-bien que les divers principes & préparations simples qu'on en retire, & dont nous venons de parler, tels que l'eau distillée, l'huile essentielle, la teinture, &c. entrent dans un très-grand nombre de compositions pharmaceutiques officinales.

On trouve dans la plûpart des pharmacopées la description d'une pommade de fleurs d'orange, qui se prépare en aromatisant du sain-doux avec les fleurs d'orange qu'on fait infuser dans ce sain-doux liquéfié par la chaleur du bain-marie, en réitérant plusieurs fois ces infusions sur des nouvelles fleurs, &c. Voyez POMMADE & ONGUENT. Cette pommade, outre les qualités médicinales du sain-doux, paroît posséder encore la qualité résolutive, tonique, fortifiante, propre aux huiles essentielles. Le sain-doux liquide & chaud se charge d'une certaine quantité de l'huile essentielle des fleurs d'orange, & sur-tout lorsqu'on les écrase dans le sain-doux. (b)


ORANGERIES. f. (Architect. civile) c'est un bâtiment dans les grands jardins qui sert en hiver à préserver du froid les orangers, & en général toutes les plantes exotiques. Sa forme la plus ordinaire est celle d'un grand sallon ou plutôt d'une galerie, dont le côté de l'entrée est exposé au midi, & qui n'a point d'ouvertures du côté du nord ; & afin que le froid ne puisse pas pénétrer de ce côté, il y a de petits appartemens ; ces appartemens peuvent même servir à échauffer l'orangerie sans y faire du feu, & cela en y faisant passer des tuyaux de poîle, ou en pratiquant un poîle dans l'ouverture du mur mitoyen aux appartemens & à l'orangerie. Une des plus magnifiques orangeries qui ait été bâtie, est celle de Versailles, avec aîles en retour, & décorée d'un ordre toscan.

On appelle aussi orangerie le parterre où l'on expose les orangers pendant la belle saison.

Orangerie se dit encore des orangers mêmes enfermés dans les caisses. (D.J.)


ORARIUMS. m. (Hist. ecclés.) partie du vêtement des prêtres, qu'on appelloit aussi stola, étole. Les évêques, les prêtres & les diacres le portoient, mais non les soudiacres, les lecteurs & les chantres. Oter l'orarium ou déposer, c'étoit la même chose. C'étoit aussi un linge que les diacres portoient sur le bras gauche ; il n'étoit pas quarré, mais oblong ; il étoit à l'usage de tous les citoyens. On n'alloit point aux spectacles sans ce mouchoir, qu'on jettoit en l'air quand on étoit content. L'empereur Aurélien en fit distribuer au peuple. Paul de Samosate exigeoit le même applaudissement de ses auditeurs lorsqu'il préchoit. Le mot orarium vient, selon quelques uns, de os, oris, parce qu'on s'en servoit pour s'essuyer la bouche ; selon d'autres d'ora, orae, frange, bordure, parce qu'il étoit bordé & frangé.


ORATAVA(Géogr.) ville de l'île de Ténériffe, une des Canaries, à l'ouest de l'île. C'est le port le plus célebre qu'il y ait dans ce canton pour le commerce. Les Anglois y ont un consul. Selon l'observation du P. Feuillée en 1744, la différence du méridien entre Oratava & Toulon, est de 22 degrés 23 minutes, & par conséquent entre Paris 18d. 45'. 26''. (D.J.)


ORATEUR(Eloquence & Rhétorique) Ce mot dans son étymologie s'étend fort loin, signifiant en général tout homme qui harangue. Ici il désigne un homme éloquent qui fait un discours public préparé avec art pour opérer la persuasion.

Quelque sujet que traite un tel orateur, il a nécessairement trois fonctions à remplir ; la premiere est de trouver les choses qu'il doit dire ; la seconde est de les mettre dans un ordre convenable ; la troisieme, de les exprimer avec éloquence : c'est ce qu'on appelle invention, disposition, expression. La seconde opération tient presque à la premiere, parce que le génie lorsqu'il enfante, étant mené par la nature, va d'une chose à celle qui doit la suivre. L'expression est l'effet de l'art & du goût. Voyez INVENTION, DISPOSITION, EXPRESSION.

On distingue trois devoirs de l'orateur, ou, si l'on veut, trois objets qu'il ne doit jamais perdre de vûe, instruire, plaire & émouvoir. Le premier est indispensable, car à moins que les auditeurs ne soient instruits d'ailleurs, il faut nécessairement que l'orateur les instruise : cette instruction est quelquefois capable de plaire par elle-même ; il y a pourtant des agrémens qu'on y peut répandre, ainsi que dans les autres parties du discours ; c'est à quoi l'on oblige l'orateur par le second devoir qu'on lui prescrit, qui est de plaire. Il y en a un troisieme, qui est d'émouvoir ; c'est en y satisfaisant que l'orateur s'éleve au plus haut degré de gloire auquel il puisse parvenir ; c'est ce qui le fait triompher ; c'est ce qui brise les coeurs & les entraîne.

Le secret est d'abord de plaire & de toucher ;

Inventez des ressorts qui puissent m'attacher.

Ces ressorts sont d'employer les passions, instrument dangereux quand il n'est pas manié par la raison ; mais plus efficace que la raison même quand il l'accompagne & qu'il la sert. C'est par les passions que l'éloquence triomphe, qu'elle regne sur les coeurs ; quiconque sait exciter les passions à propos, maîtrise à son gré les esprits, il les fait passer de la tristesse à la joie, de la pitié à la colere. Aussi véhément que l'orage, aussi pénétrant que la foudre, aussi rapide que les torrens, il emporte, il renverse tout par les flots de sa vive éloquence : c'est par-là que Démosthène a régné dans l'Aréopage & Cicéron dans les rostres.

Personne n'ignore que les orateurs chez les Grecs & les Romains étoient des hommes d'état, des ministres non moins considérables que les généraux, qui manioient les affaires publiques, & qui entroient dans presque toutes les révolutions. Leur histoire n'est point celle de particuliers, ni les matieres qu'ils traitoient un spectacle d'un art inutile. Les harangues de Démosthène & de Cicéron offrent des tableaux vivans du gouvernement, des intérêts, des moeurs & du génie des deux peuples. Il me paroît donc important de tracer avec quelque étendue le caractere des orateurs d'Athènes & de Rome : ce sera l'histoire de l'éloquence même. Ainsi, voyez ORATEURS GRECS, ORATEURS ROMAINS.

Bossuet, Fléchier, Bourdalouë, ont été dans le dernier siecle de grands orateurs chrétiens. Les oraisons funebres des deux premiers les ont conduits à l'immortalité ; & Bourdalouë devint bien-tôt le modele de la plûpart des prédicateurs. Mais rien parmi nous n'engage aujourd'hui personne à cultiver le talent d'orateur au barreau, ce tribunal que Virgile appelle si bien ferrea juga, insanumque forum. C'est ce qui a fait dire à un de nos auteurs modernes :

Egaré dans le noir dédale

Où le fantôme de Thémis

Couché sur la pourpre & les lis,

Penche la balance inégale,

Et tire d'une urne vénale

Des arrêts dictés par Cypris.

Irois-je, orateur mercenaire

Du faux & de la vérité,

Chargé d'une haine étrangere

Vendre aux querelles du vulgaire

Ma voix & ma tranquillité ? (D.J.)

ORATEUR GRECS, (Hist. de l'éloquence) pour mettre de la méthode dans ce discours, nous partagerons les orateurs grecs en trois âges, conformément aux trois âges de l'éloquence d'Athènes.

PREMIER AGE. Périclès fut proprement le premier orateur de la Grece, avant lui nul discours, nul ornement oratoire. Quelques sophistes sortis des colonies grecques, avec un style sententieux, des termes emphatiques, un ton ampoulé, & un amas fastueux d'hyperboles, éblouirent quelque tems les Grecs. Les Athéniens frappés du style fleuri & métaphorique de Gorgias de Léontium, le respecterent comme un enfant des dieux ; ses hypallages, ses hyperbates, ses caracteres lui mériterent une statue d'or massive dans le temple de Delphes. Hippias d'Elée, fameux par sa prodigieuse mémoire, étoit comme l'orateur commun de toutes les républiques grecques. Périclès, guidé par un génie supérieur, & formé par de plus habiles maîtres, vint tout à coup éclipser la réputation que ces vains harangueurs avoient usurpée, & détromper ses compatriotes : ses vertus, ses exploits, son savoir profond, & ses rares qualités donnerent de l'éclat à cette magnifique éloquence, qui pendant quarante ans le rendit le maître absolu de sa patrie, & l'arbitre de la Grece. Il n'a laissé aucun discours, mais les poëtes comiques de son tems rapportent que la déesse de la persuasion, avec toutes ses graces, résidoit sur ses levres ; qu'il foudroyoit, qu'il renversoit, qu'il mettoit en combustion toute la Grece.

Socrate, sans être orateur ni maître de rhétorique, continua cette brillante réforme, & soutint ces heureux commencemens. Jules-César dans le traité qu'il composa pour répondre à l'éloge historique que Cicéron avoit fait de Caton d'Utique, comparoit le discours & la vie de ce romain à la conduite de Périclès, & au discours de Théramene par Socrate, éloge accompli dans la bouche d'un si grand homme, qui, dit Plutarque, auroit effacé Cicéron même, si le barreau avoit pu être un théâtre assez vaste pour son ambition.

Lysias brilla dans le genre simple & tranquille ; il effaça par un style élégant & précis tous ses dévanciers, & laissa peu d'imitateurs. Athènes s'applaudit de sa diction pure & délicate, & toute la Grece lui adjugea plus d'une fois le prix d'éloquence à Olympie. Les graces de l'atticisme dont il orne ses discours, dit Denis d'Halicarnasse, sont prises dans la nature & dans le langage ordinaire. Il frappe agréablement l'oreille par la clarté, le choix & l'élégance de ses termes, & par l'arrangement harmonieux de ses périodes. Chez lui, chaque âge, chaque passion, chaque personnage a, pour ainsi dire, sa voix qui le distingue & le caractérise. Ses péroraisons sont exactes & mesurées, mais elles n'ont point ce pathétique qui ébranle & qui entraîne. Ce qu'on trouve de surprenant dans cet orateur, c'est une fécondité prodigieuse de génie. Dans environ deux cent plaidoyers qu'il débita ou composa pour d'autres, on ne remarquoit ni mêmes lieux, ni mêmes pensées, ni mêmes réflexions. Il trouva, ou au-moins perfectionna l'art de donner aux choses une énergie, une force, & un caractere qui se reconnoit dans les pensées, dans l'expression, & dans l'arrangement des parties.

Thucydide vint frapper les Grecs par un nouvel éclat, & un nouveau genre d'éloquence. A un génie aussi élevé que sa naissance, à une fierté de républicain, à un caractere sombre & austere, à un tempérament chagrin & inquiet, son éducation & ses malheurs ajouterent cette noblesse de sentiment, ce choix de paroles, cette hardiesse d'imagination, cette vigueur de discours, cette profondeur de raisonnemens, ces traits, ces expressions qui le constituent le premier & le plus digne historien des républiques. Son style singulier ne participe que trop à une humeur violente & agitée par les revers de la fortune. Il emploie l'ancien dialecte attique. Il crée des mots nouveaux, & en affecte d'anciens pour donner un air mystérieux à certaines pensées qu'il ne fait que montrer. Il met le singulier pour le pluriel, le pluriel pour le singulier, l'infinitif des verbes pour les noms verbaux, le genre féminin pour le masculin : il change les cas, les tems, les personnes, les choses mêmes, suivant le mouvement de son imagination, le besoin des affaires & les circonstances de son récit. Une figure qui lui est propre & qui porte avec soi le caractere véritable d'une passion forte & violente, c'est l'hyperbate, qui n'est autre chose que la transposition des pensées & des paroles dans l'ordre & la suite d'un discours. La méthode de raisonner par de fréquens enthymêmes, le distingue de tous les écrivains précédens.

Ses idées, d'un ordre supérieur, n'ont rien que de noble, & présentent même une espece d'élévation aux choses les plus communes ; on ne sait pas si ce sont les pensées qui ornent les mots, ou les mots qui ornent les pensées ; ses termes sont, pour ainsi dire, au même niveau que les affaires : vif, serré, concis, on diroit qu'il court avec la même impétuosité que la foudre qu'il allume sous les pas des guerriers dont il décrit les exploits.

Cicéron & Denis d'Halicarnasse exigeoient un grand discernement dans la lecture de ses harangues, parce qu'ils n'y trouvoient pas un style ni assez harmonieux, ni assez lié, ni assez arrondi ; ils lui reprochoient d'avoir quelquefois des pensées obscures & enveloppées, des raisonnemens vicieux, & des caracteres forcés.

SECOND AGE. Isocrate ouvrit ce beau siecle, & parut à la tête des orateurs qui s'y distinguerent, comme un guide éclairé qui mene une troupe de sages par des chemins rians & fleuris. De son école, comme du cheval de Troïe, dit Cicéron, sortit une foule de grands maîtres. Le genre d'éloquence qu'il introduisit est agréable, doux, dégagé, courant, plein de pensées fines, & d'expressions harmonieuses ; mais il est plus propre aux exercices de pur appareil qu'au tracas du barreau.

La multiplicité de ses antithèses, ses phrases de même étendue, de mêmes membres, fatiguent le lecteur par leur monotonie. Il sacrifie la solidité du raisonnement aux charmes du bel esprit. Par une sotte ambition de ne vouloir rien dire qu'avec emphase, il est tombé, dit Longin, dans une faute de petit écolier. Quand on lit ses écrits, on se sent aussi peu ému que si on assistoit à un simple concert. Ses réflexions n'ont rien de merveilleux qui enleve ; Philippe de Macédoine disoit qu'il ne s'escrimoit qu'avec le fleuret.

Isocrate naquit 436 ans avant Jesus-Christ, & mourut de douleur à l'âge de 90 ans, ayant appris que les Athéniens avoient perdu la bataille de Chéronée. Il nous reste de lui vingt-une harangues que Wolfius a traduit du grec en latin. Il y a deux de ces oraisons pour Nicoclès roi de Chypre, qui sont parvenues jusqu'à nous. La premiere traite des devoirs des princes envers leurs sujets, & la seconde de ceux des sujets envers leurs princes. Nicoclès pour lui en témoigner sa reconnoissance, lui fit présent de vingt talens, c'est-à-dire de trois mille sept cent cinquante livres sterling, suivant le calcul du docteur Brerewood, ce qui revient à plus de quatre-vingt-trois mille livres de notre monnoie.

Platon, comme un nouvel athlete, vint, les armes à la main, disputer à Homere le prix de l'éloquence. Le dialecte dont il se sert est l'ancien dialecte attique qu'il écrit dans sa plus grande pureté. Son style est exact, aisé, coulant, naturel, tel qu'un clair ruisseau qui promene sans bruit & sans fierté ses eaux argentines à-travers d'une prairie émaillée de fleurs. Speusippe son neveu fit placer les statues des Graces dans l'académie où ce philosophe avoit coutume de dicter ses leçons, voulant par-là fixer le jugement qu'on devoit prononcer sur ses écrits, & l'idée véritable qu'il en falloit concevoir. Son défaut est de se répandre trop en métaphores ; emporté par son imagination, il court après les figures, & surcharge ses écrits d'epithetes. Ses métaphores sont sans analogie, & ses allégories sans mesure, du-moins c'est ainsi qu'en juge Denis d'Halicarnasse après Démétrius de Phalere, & d'autres savans, dans sa lettre à Pompée.

Isée montra une diction pure, exacte, claire, forte, énergique, concise, propre au sujet, arrondie, & convenable au barreau. On apperçoit dans les dix plaidoyers qui nous restent des cinquante qu'il avoit écrits, les premiers coups de l'art, & cette source où Démosthène forgea ces foudres & ces éclairs qui le rendirent si terrible à Philippe & à Eschine.

Hypéride joignit dans ses discours les douceurs & les graces de Lysias. Il y a dans ses ouvrages, dit Longin, un nombre infini de choses plaisamment dites : sa maniere de railler est fine, & a quelque chose de noble.

Eschine, enfant de la fortune & de la politique, est un de ces hommes rares qui paroissent sur la scene comme par une espece d'enchantement. La poussiere de l'école & du greffe, le théâtre, la tribune, la Grece, la Macédoine, lui virent jouer tour-à-tour différens rôles. Maître d'école, greffier, acteur, ministre, sa vie fut un tissu d'aventures ; sa vieillesse ne fut pas moins singuliere : il se fit philosophe, mais philosophe souple, adroit, ingénieux, délicat, enjoué. Il charma plus d'une fois ses compatriotes, & fut admiré & estimé de Philippe. L'obscurité de sa naissance, l'amour des richesses & de la gloire piquerent son ambition, & ses malheurs n'altererent jamais les charmes & les graces de son esprit, il l'avoit extrèmement beau.

Une heureuse facilité que la nature seule peut donner, regne par-tout dans ses écrits ; l'art & le travail ne s'y font point sentir. Il est brillant & solide ; sa diction ornée des plus nobles & des plus magnifiques figures, est assaisonnée des traits les plus vifs & les plus piquans. La finesse de l'art ne se fait pas tant admirer en lui que la beauté du génie. Le sublime qui regne dans ses harangues n'altere point le naturel. Son style simple & net n'a rien de lâche ni de languissant, rien de resserré ni de contraint. Ses figures sortent du sujet sans être forcées par l'effort de la réflexion. Son langage châtié, pur, élégant, a toute la douceur du langage populaire. Il s'éleve sans se guinder ; il s'abaisse sans s'avilir ni se dégrader.

Une voix sonore & éclatante, une déclamation brillante, des manieres aimables & polies, un air libre & aisé, une capacité profonde, une étude réfléchie des lois, une pénétration étendue lui concilierent les suffrages des tribus assemblées, & l'admiration des connoisseurs. Par tous ces talens que la nature lui prodigua, que son génie sut merveilleusement cultiver, le fils d'Atromete devint le digne rival de Démosthène, & le compagnon des rois.

Démosthène, le premier des orateurs grecs, mérite bien de nous arrêter quelque tems. Il naquit à Athènes 381 ans avant Jesus-Christ. Il fut disciple d'Isocrate, de Platon, & d'Isée, & fit sous ce grand maître de tels progrès, qu'à l'âge de dix-sept ans il plaida contre ses tuteurs, & les fit condamner à lui payer trente talens qu'il leur remit.

Né pour fixer le vrai point de l'éloquence grecque, il eut à combattre en même tems les obstacles de la nature & de la fortune. L'étude & la vertu s'efforcerent comme à l'envi, de le placer à la tête des orateurs & de lui soumettre ses rivaux. Point d'homme qui ait été tant contredit, & point d'homme qui ait été tant admiré : point d'orateur plus mal partagé du côté de la nature, & plus aidé du côté de l'art : point de politique qui ait eu moins de loisir, & qui ait su mieux employer le tems ; son éloquence & sa vertu peuvent être regardées comme un prodige de la raison & le plus grand effort du génie.

C'est en effet un génie supérieur qui s'est ouvert une nouvelle carriere qu'il a franchie d'un pas audacieux, sans laisser aux autres que la seule consolation de l'admirer, & le desespoir de ne pouvoir l'atteindre. Lorsqu'il entra dans les affaires, & qu'il commença à parler en public, quatre orateurs célebres s'étoient déja emparés de l'admiration publique ; Lysias par un style simple & châtié ; Isocrate par une diction ornée & fleurie ; Platon par une élocution noble, pompeuse & sonore ; Thucydide par un style serré, brusque, impétueux. Démosthene réunit tous ces caracteres ; & prenant ce qu'il y avoit de plus louable en chaque genre, il s'en forma un style sublime & simple, étendu & serré, pompeux & naturel, fleuri & sans fard, austere & enjoué, véhément & diffus, délicat & brusque, propre à tracer un portrait & à enflammer une passion.

Tout ce que l'esprit a de plus subtil & de plus brillant, tout ce que l'art a de plus fin, &, pour ainsi dire, de plus rusé, il le trouve, & le manie d'une maniere admirable. Rien de plus délicat, de plus serré, de plus lumineux, de plus châtié que son style ; rien de plus sublime, ni de plus véhément que ses pensées, soit par la majesté qui les accompagne, soit par le tour vif & animé dont il les exprime. Nul autre n'a porté plus loin la perfection des trois styles ; nul n'a été plus élevé dans le genre sublime, ni plus délicat dans le simple, ni plus sage dans le tempéré.

Dans sa méthode de raisonner, il sait prendre des détours & marcher par des chemins couverts, pour arriver plus sûrement au but qu'il se propose : c'est ainsi que dans la harangue de la flotte qu'il falloit équiper contre le roi de Perse, il rend au peuple la difficulté de l'entreprise si grande, que voulant la persuader en apparence, il la dissuade en effet, comme il le prétendoit. Il supprime quelquefois adroitement des actions glorieuses à sa patrie, lorsqu'en les rapportant il pourroit choquer des alliés. Dans la quatrieme Philippique, il dit qu'Athènes sauva deux fois la Grece des plus grands dangers, à Marathon, à Salamine. Il étoit trop habile pour rappeller l'honneur qu'Athènes s'étoit acquise en affranchissant la Grece de l'empire de Sparte, parce qu'il avoit tout à ménager dans les conjonctures critiques où il parloit. Il aime mieux dérober quelque chose à la gloire de sa république, que de faire revivre un souvenir injurieux à Lacédémone, alors alliée d'Athènes.

Ce qu'on doit sur-tout admirer en lui, ce sont ces couleurs vives, ces traits touchés & perçans, ces terribles images qui abattent & effrayent, ce ton de majesté qui impose, ces mouvemens impétueux qui entraînent, ces figures véhémentes, ces fréquentes apostrophes, ces interrogations réitérées qui animent & élevent un discours ; ensorte que l'on peut dire que jamais orateur n'a donné tant de force à la colere, aux haines, à l'indignation, à tous ses mouvemens, ni à toutes ses passions.

Démosthène n'est point un déclamateur qui se joue librement sur des sujets de fantaisie, & qui, selon le reproche calomnieux de ses ennemis, s'inquiete bien plus de la cadence d'une période que de la chûte d'une république. C'est un orateur dont le zele infatigable ne cesse de réveiller les léthargiques, de rassûrer les timides, d'intimider les téméraires, de ranimer les voluptueux, qui ne vouloient ni servir la patrie, ni qu'il la servît : c'est enfin un ami du genre humain, qui ne s'occupe qu'à refondre des hommes accoutumés à n'user de la liberté & de la puissance, que pour se mettre au-dessus de la raison.

Un talent qu'il porta au souverain degré par des exercices continuels, c'est la déclamation. Le feu, l'action de son visage, le son de sa voix d'accord avec ses expressions & ses pensées, le ton de ses paroles, & l'air de son geste ébranloient quiconque venoit l'entendre. Démétrius de Phalere, qui avoit été son disciple, assûre qu'il haranguoit comme un sage, plein de l'esprit du dieu de Delphe.

Les effets de son éloquence tiennent du prodige. Philippe de Macédoine par menaces, par ruses, par intrigues, par tromperies pénetre jusqu'aux Thermopyles, & vient montrer à la Grece les fers qu'il avoit forgés pour elle. Athènes & ses voisins sans conseil, sans chefs, sans finances, sans vaisseaux, sans soldats, sans courage pâlissent & restent interdits. Démosthene monte à la tribune, il parle ; aussitôt les troupes marchent, les mers sont couvertes de vaisseaux ; Olynthe, Bysance, l'Eubée, Mégare, la Béotie, Rhodes, Chios, l'Hellespont sont secourus, ou rentrent dans l'ancienne alliance ; Philippe lui-même tremble au milieu de sa redoutable phalange.

La prise d'Elatée par le même Philippe réduisit une seconde fois les Athéniens au désespoir. Démosthene les rassûre, & se charge de faire rentrer les Thébains dans la ligue commune. Son éloquence, dit Théopompe, souffla dans leur coeur comme un vent impétueux, & y ralluma l'amour de la liberté avec tant d'ardeur, que transportés comme par une espece d'enthousiasme & de fureur, ils coururent aux armes, & marcherent avec audace contre le commun tyran de la Grece : crainte, réflexion, politique, prudence, tout est oublié pour ne plus se laisser enflammer que par le feu de la gloire.

Antipater, un des successeurs de Philippe, comptoit pour rien les galeres d'Athènes, le pirée & les ports. Sans Démosthene, disoit-il, nous aurions pris cette ville avec plus de facilité, que nous ne nous sommes emparé de Thèbes & de la Béotie ; lui seul fait la garde sur les remparts, tandis que ses citoyens dorment : comme un rocher immobile, il se rit de nos menaces, & repousse tous nos efforts. Il n'a pas tenu à lui qu'Amphipolis, Olynthe, Pyle, la Phocyde, la Chersonese, la côte de l'Hellespont, ne nous passent. Plus redoutable lui seul que toutes les flottes de sa république, il est aux Athéniens d'aujourd'hui ce qu'étoient aux anciens Thémistocle & Périclès. S'il avoit eu en sa disposition les troupes, les vaisseaux, les finances, les occasions, que n'auroit pas eu à craindre notre Macédoine, puisque par une seule harangue il souleve tout l'univers contre nous, & fait sortir des armées de terre ?

Le roi de Perse donnoit ordre à ses satrapes de lui prodiguer l'or à pleines mains, afin de l'engager à susciter de nouveaux embarras à Philippe, & d'arrêter les progrès de cette cour qui, sortie à peine de la poussiere, osoit déja menacer son trône. Alexandre trouva dans Sardes les réponses de Démosthene, & le bordereau des sommes qu'on lui envoyoit régulierement par distinction entre tous les Grecs.

Nous ne pouvons trouver une idée plus juste ni plus belle de la perfection de l'éloquence grecque, que la replique de cet orateur au plaidoyer d'Eschine contre Ctésiphon : l'antiquité ne nous fournit point de discours plus parfait. Cicéron paroît enchanté de l'exorde d'Eschine, & Quintilien parle avec étonnement de celui de Démosthene.

Quelques sophistes ont cependant trouvé des taches essentielles dans ces deux harangues ; mais est-il à présumer que deux orateurs qui s'observoient mutuellement, qui connoissoient le génie de leurs compatriotes, formés tous deux par la nature, perfectionnés par l'art, distingués par leurs emplois, consommés par l'expérience, & de plus animés par une inimitié personnelle, ayent dit des choses nuisibles à leur cause ? Dans une affaire aussi critique, où il s'agissoit de leur fortune & de leur réputation, qui croira que ces deux grands hommes auroient posé des principes faux, suspects, plus dignes d'un déclamateur qui ne cherche qu'à donner des termes, que d'un politique à qui il est essentiel de ménager l'estime de sa république & sa propre gloire ? Avouons plutôt qu'ils n'ont jetté dans leurs discours que ce degré de chaleur qui lui convient ; c'est la moindre justice qu'on puisse rendre à leur mémoire.

Il est vrai qu'ils se chargent d'injures atroces, sans aucun ménagement. La politesse de nos moeurs & les lumieres de notre foi condamnent ces manieres féroces & barbares ; mais plaçons-nous dans le même point de vûe & dans la même situation, nous en jugerons différemment. Ce style étoit ordinaire au barreau d'Athènes, & passa même aux Romains ; il est familier à Ciceron, ce modele accompli de l'urbanité romaine, cet orateur si exact à observer les bienséances de son art & de sa nation : je ne vois pas qu'aucun ancien ait repris en lui ses invectives atroces contre Marc Antoine. En général un républicain se donne plus de liberté, & parle avec moins de ménagement qu'un courtisan de la monarchie.

Les envieux & les rhéteurs font encore d'autres reproches à Démosthene, mais qui ne sont que de légers défauts, & qui n'ont jamais pu nuire à sa réputation ; je m'arrêterois plus volontiers au parallele que les anciens & les modernes ont fait d'Eschine & de lui ; mais je dirai seulement que Démosthene ne pouvoit avoir un plus digne rival qu'Eschine, ni Eschine un plus digne vainqueur que Démosthene. Si l'un tient le premier rang entre les orateurs grecs, l'autre tient sans contredit le second. Trois des harangues d'Eschine furent nommées les trois graces, & neuf de ses lettres mériterent le surnom des neuf muses. Il nous en est resté quelques-unes qui sont fort supérieures à celles de son rival. Démosthene harangue dans ses lettres, Eschine parle, converse dans les siennes.

Ayant succombé dans son accusation contre Ctésiphon, il paya d'un exil involontaire une accusation témérairement intentée. Il alla s'établir à Rhodes, & ouvrit dans cette île une nouvelle école d'éloquence, dont la gloire se soutint pendant plusieurs siecles. Il commença ses leçons par lire à ses auditeurs les deux harangues qui avoient causé son bannissement : tout le monde lui donna de grands éloges ; mais quand il vint à lire celles de Démosthene, les battemens de mains & les acclamations redoublerent. Ce fut alors qu'il dit ce mot si louable dans la bouche d'un ennemi & d'un rival : " Eh ! que seroit-ce donc, messieurs, si vous l'aviez entendu lui-même " !

Il ne faut pas taire ici que le vainqueur usa noblement de la victoire ; car au moment qu'Eschine sortit d'Athènes pour aller à Rhodes, Démosthene la bourse à la main courut après lui, & l'obligea d'accepter une offre inespérée, & une consolation solide ; sur quoi Eschine s'écria : " Comment ne regretterai-je pas une patrie où je laisse un ennemi si généreux, que je desespere de rencontrer ailleurs des amis qui lui ressemblent " ? Il arriva cependant que les Asiatiques étonnés plaignirent ses disgraces, adoucirent ses malheurs, & rendirent justice à ses talens.

Pour ce qui regarde Démosthene, les Athéniens, après sa mort qui fut celle d'un héros, lui firent ériger une statue de bronze, & ordonnerent par un decret que d'âge en âge l'aîné de sa famille seroit nourri dans le prytanée. Au bas de sa statue étoit gravée cette inscription : " Démosthene, si la force avoit égalé en toi le génie & l'éloquence, jamais Mars le macédonien n'auroit triomphé de la Grece ". Antipater prononça en quelque sorte son éloge funebre en deux mots. Lorsqu'on lui raconta la maniere généreuse dont il quitta la vie, pour s'arracher aux fers des successeurs d'Alexandre, il dit que ce grand homme avoit quitté la vie pour se hâter d'habiter dans les îles des bienheureux parmi les héros, ou pour marcher au ciel à la suite de Jupiter, protecteur de la liberté.

Personne n'ignore le cas infini qu'Hermogene, Photius, Longin, Quintilien, Denis d'Halicarnasse, & Cicéron ont fait de ce grand homme. Wolfius a traduit en latin les harangues qui nous restent de lui ; M. de Tourreil en a donné une traduction françoise, avec une préface qui passe pour un chef-d'oeuvre.

Je ne parlerai pas ici de Dinarque, de Demade, & autres qui ont paru avec réputation, parce que ceux-ci ne nous ont laissé aucun écrit ; ceux-là n'ont inventé aucun genre de style particulier, & n'en ont perfectionné aucun. D'ailleurs je ne me suis proposé ici que de crayonner quelques traits des principaux orateurs grecs, pour pouvoir tracer en passant la suite des progrès, & finalement la chûte de l'éloquence dans ce beau pays du monde.

TROISIEME AGE. La perte de plusieurs grands hommes qui se détruisirent respectivement par les intrigues des princes de Macédoine, entraîna la perte de l'éloquence avec la ruine de la république. Des orateurs d'esprit & de mérite occuperent encore le barreau avec éclat ; mais ce n'étoit plus ni le même génie, ni la même liberté, ni la même grandeur : ils imposerent quelque tems à la multitude, & parurent avoir remplacé les Eschines & les Démosthenes ; mais les connoisseurs s'apperçurent bientôt du faux brillant qu'ils introduisoient, & du terrible déchet dont l'éloquence antique étoit menacée. Au lieu de cette éloquence noble & philosophique des anciens, on vit s'insinuer peu-à-peu, depuis la mort d'Alexandre, une éloquence insolente, sans retenue, sans philosophie, sans sagesse, qui, détruisant jusqu'aux moindres trophées de la premiere, s'empara de toute la Grece : sortie des contrées délicieuses de l'Asie, elle travailla sourdement à supplanter l'ancienne, & y réussit en faisant illusion, & trompant l'imagination par des couleurs empruntées. Au lieu de ce vêtement majestueux, mais modeste, qui ornoit l'ancienne éloquence, elle prit une robe toute brillante & bigarrée de diverses couleurs, peu convenable à la poussiere du barreau. Ce ne fut plus que jeux d'esprit, que pointes, qu'antithèses, que figures, que métaphores, que termes sonores, mais vuides de sens.

Démétrius de Phalere, grand homme d'état, aussi versé dans les lettres & la philosophie que dans la politique, donna la premiere atteinte au goût solide qu'il avoit puisé dans l'école de Démosthene, dont il se faisoit honneur d'avoir été l'éleve. Cet orateur, soit par affectation, soit par choix, soit par nécessité, s'appliquoit plutôt à plaire au peuple & à l'amuser, qu'à l'abattre & qu'à exciter en lui une vive impression, comme faisoit Périclès, pour aiguillonner en quelque sorte son courage, & le tirer de sa létargie. Ecrivain poli, il s'étudioit à charmer les esprits, & non à les enflammer ; à faire illusion, & non à convaincre. C'est plutôt un athlete de parade, formé pour figurer dans les jeux & les spectacles, qu'un guerrier terrible qui s'élance de sa tente pour frapper l'ennemi. Son style rempli de douceur & d'agrément, mais dénué de force & de vigueur, avec tout son brillant & son éclat, ne s'élevoit point au-dessus du médiocre : c'étoient des graces légeres & superficielles, qui disparoissoient à la vûe de l'éloquence sublime & magnifique de Démosthene. On le fait aussi auteur de la déclamation, genre d'exercice plus convenable à un sophiste qui cherche à faire parade d'esprit à l'ombre de l'école, qu'à un homme sensé, nourri & formé dans les affaires.

Cette nouveauté fut d'un exemple pernicieux, car ce style devint à la mode. Les sophistes qui succéderent à Démétrius, raffinerent encore cette invention, & ne s'occuperent plus qu'à subtiliser, qu'à terminer leurs périodes par des jeux de mots, des antithèses, des pointes d'esprit, des métaphores outrées, des subtilités puériles ; mais dévoilons plus particulierement les causes de la chûte de l'éloquence.

1°. La perte de la liberté dans Athènes fut celle de l'éloquence. Un homme né dans l'esclavage, dit Longin, est capable des autres sciences, mais il ne peut jamais devenir orateur ; car un esprit abattu & comme dompté par la servitude n'a pas le courage de s'élever à quelque chose de grand : tout ce qu'il pourroit avoir de vigueur, s'évapore de lui-même, & il demeure toujours comme enchaîné dans une prison. La servitude la plus légitime est une espece de prison, où l'ame décroît & se rapetisse en quelque sorte ; au lieu que la liberté éleve l'ame des grands hommes, anime, excite puissamment en eux l'émulation, & entretient cette noble ardeur qui les encourage à s'élever au-dessus des autres ; joignez-y les motifs intéressans, dont les républiques piquent leurs orateurs. Par eux leur esprit acheve de se polir, & se prête à leur faire cultiver avec une merveilleuse facilité les talens qu'ils ont reçus de la nature, sans les écarter un moment de ce goût de la liberté qui se fait sentir dans leurs discours, & jusque dans leurs moindres actions.

2°. A cet amour desintéressé de la liberté dans les républicains succéda sous une domination étrangere un desir passionné des richesses : on oublia tout sentiment de gloire & d'honneur, pour mendier servilement les faveurs des nouveaux maîtres, & ramper à leurs piés. Or, dit Longin, comme il est impossible qu'un juge corrompu juge sans passion & sainement de tout ce qui est juste & honnête, parce qu'un esprit qui s'est laissé gagner aux présens, ne connoît de juste & d'honnête que ce qui lui est utile : comment pourrions-nous trouver de grandes actions dignes de la postérité dans ce malheureux siecle où nous ne nous occupons qu'à tromper celui-ci pour nous approprier sa succession, qu'à tendre des pieges à cet autre, pour nous faire écrire dans son testament, & qu'à faire un trafic infame de tout ce qui peut nous apporter du gain ?

3°. La corruption des moeurs engloutit, pour ainsi dire, tous les talens. Les esprits comme abatardis par le luxe, se jetterent dans un désordre affreux. Si on donnoit quelque tems à l'étude, ce n'étoit que par amusement ou pour faire une vaine parade de sa science, & non par une noble émulation, ni pour tirer quelque profit louable & solide. Les Grecs, sous l'empire des étrangers, furent comme une nouvelle nation vendue à la mollesse & à la volupté. Vils instrumens des passions de leurs maîtres, ils trafiquerent honteusement leurs vrais intérêts & leur réputation, pour goûter les fades douceurs d'un lâche repos : nulle émulation, nul desir de la vraie gloire, tout étoit sacrifié au plaisir. Or dès qu'un homme oublie le soin de la vertu, il n'est plus capable que d'admirer les choses frivoles ; il ne sauroit plus lever les yeux pour regarder audessus de soi, ou rien dire qui passe le commun ; tout ce qu'il a de noble & de grand se fane, se séche, & n'attire plus que le mépris.

4°. La mauvaise éducation suivit de près la servitude & le luxe. Les études furent négligées & altérées, parce qu'elles ne conduisoient plus aux premiers postes de l'état. On vouloit qu'un précepteur coûtât moins qu'un esclave ; on sait à ce sujet le beau mot d'un philosophe : comme il demandoit mille drachmes pour instruire un jeune homme ; c'est trop, répondit le pere, il n'en coûte pas plus pour acheter un esclave. Hé bien, à ce prix vous en aurez deux, reprit le philosophe, votre fils & celui que vous acheterez.

Les rhéteurs avec un manteau de pourpre des mieux travaillés, avec des chaussures attiques, comes les dames les portoient, avec des sandales de Sicyone arrêtées par une courroie blanche, apprenoient aux ensans une centaine de mots attiques, & leur expliquoient les plus ridicules impertinences, qu'ils enveloppoient sous des termes mêlés de barbarismes & de solécismes, qu'ils autorisoient du nom d'un poëte & d'un écrivain inconnu. Ils n'avoient à la bouche, & ne donnoient pour sujet de composition, que le mont Athos percé par Xerxès, l'Hellespont couvert de vaisseaux, l'air obscurci par les fléches des Perses, les lettres d'Othriades, les batailles de Salamine, d'Artémise & de Platée, la mort de Léonidas, & la fuite de Xerxès. Quelquefois ils déclamoient & chantoient la guerre de Troye, les nôces de Deucalion & de Pyrrha, & se démenoient comme des forcenés, pour se faire croire remplis de l'esprit des dieux : c'étoit à quoi aboutissoit toute leur rhétorique ; certes, je crois que celle de quelques-uns de nos colléges en est la copie.

5°. Les anciens orateurs grecs n'étoient point de ces spéculatifs qui repaissoient leur curiosité de connoissances stériles & singulieres ; ils travailloient pour le public, & se regardoient placés dans le monde par la providence, pour l'éclairer utilement. En vrais savans, ils appliquoient les préceptes de la philosophie au maniement des affaires. Mais depuis la mort de Démosthène, les orateurs & les savans n'écoutoient plus que leurs fantaisies & leurs idées. Chacun suivoit son intérêt particulier, & négligeoit le bien commun. On ne raisonnoit plus dans les écoles que sur des chimeres ; les matieres absurdes qu'on y traitoit jettoient nécessairement la confusion dans les idées & dans le langage.

6°. La nécessité du commerce avec les Barbares, sujets de Macédoine ou des Romains, introduisit les mauvaises moeurs & le mauvais goût : jusques-là les Grecs nourris au grand & à l'honnête, s'étoient défendus de la corruption qui régnoit dans les provinces de l'Asie mineure, dont ils avoient tant de fois triomphé ; mais bien-tôt le mêlange avec les étrangers, corrompit tout. Un je ne sai quel mauvais air infecta l'éloquence comme les moeurs. Dès qu'elle sortit du Pirée, dit Cicéron, & qu'elle se répandit dans les îles & dans l'Asie, elle perdit cet air de santé & d'embonpoint qu'elle avoit conservé si long-tems dans son terroir naturel, & désapprit presque à parler : de-là ce style pesant & surchargé d'une abondance fastidieuse, qui fut en usage chez les Phrygiens, les Cariens, les Mysiens, peuples grossiers & sans politesse.

7°. Les discussions & les jalousies éternelles des petites républiques, qui changerent la face des affaires, altérerent aussi étrangement l'éloquence. Les Grecs des petits états corrompus par l'or étranger, étoient autant d'espions qui observoient d'un oeil malin, les citoyens des plus grandes villes. Une parole forte & libre, un terme noble & élevé échappé dans un discours & dans le feu de la déclamation, étoit un crime pour ceux qui n'en avoient pas. On n'osoit plus raisonner, ni proposer un avis salutaire, parce que tout étoit suspecté. Dans les lieux mêmes où les savans, chassés de leur patrie par la cabale, ouvrirent des écoles de belles lettres pour se ménager quelques ressources contre les rigueurs du sort, ce n'étoit que fureur & acharnement. Souvent un prince détruisoit les établissemens de son devancier dans les pays possédés par les successeurs d'Alexandre. Or, si les délices d'une trop longue paix, dit Longin, sont capables de corrompre les plus belles ames, à plus forte raison cette guerre sans fin qui trouble depuis si long-tems toute la terre, est-elle un puissant obstacle à nos desirs.

Il est vrai que Rome ouvrit une retraite honorable à ces illustres bannis, & que le palais des Césars leur fut souvent un asyle assuré ; mais ils n'y parurent qu'en qualité de philosophes & de grammairiens. Leurs occupations consistoient à expliquer les écrits des anciens, suivant les regles de la grammaire & de la rhétorique, mais non à composer des harangues grecques. Leur langue naturelle leur devenoit inutile dans une ville, où la seule langue latine étoit en usage dans les tribunaux, & ils n'avoient aucune part aux affaires. Les peuples d'Italie, encore au tems des enfans de Théodose, méprisoient souverainement le grec : en un mot, c'étoient des gens d'esprit, des savans, des philosophes ; mais ce n'étoient pas des orateurs.

8°. Les dissentions civiles avoient passé jusques dans les écoles. Les maîtres entr'eux, formoient des partis & des sectes ; chaque opinion avoit ses disciples & ses défenseurs ; on disputoit avec autant de fureur sur une question de rhétorique, que sur une affaire d'état. Tout avoit été converti en problème ; l'esprit de faction avoit comme saisi tous les Grecs, & ils étoient divisés entr'eux pour l'éloquence & les belles-lettres, encore plus qu'ils ne l'étoient pour le gouvernement de leurs républiques. Les maîtres s'applaudissoient puérilement de paroître à la tête d'une nouvelle troupe, & montroient avec une affectation ridicule leurs nouveaux éleves : ces disciples, comme des gens initiés à de nouveaux mysteres, ne parloient qu'avec insolence du parti opposé. Les plus célebres de ces maîtres furent Appollodore de Pergame & Théodore de Gadar ; le premier instruisit Auguste, & le second donna des leçons à Tibere. Peut-être que le génie différent de ces deux empereurs servit à étendre leur secte, & à lui donner du crédit ; quoi qu'il en soit, on distinguoit les Appollodoréens d'avec les Théodoréens, comme on distinguoit les philosophes du portique d'avec ceux de l'académie.

9°. L'arrangement des mots dans un discours, est à l'oreille ce que les couleurs sont à l'oeil dans la peinture. Les écrivains des beaux siecles, convaincus de ce principe, s'appliquerent sur-tout à acquérir ce talent qui donne tant de graces à leurs compositions ; mais les derniers écrivains contens de raisonner, ont regardé le brillant de l'élocution, comme peu nécessaire. Les sophistes, moins habiles & moins solides qu'eux, ont au contraire quitté le raisonnement pour se répandre en paroles ; ils composerent des mots, refondirent de vieilles phrases, imaginerent de nouveaux tours. Incapables d'inventer par eux-mêmes, ce fut assez pour eux de coudre des lambeaux de Démosthène, de Lysias, d'Eschine, de fabriquer de nouvelles périodes, & d'emprunter des expressions & des couleurs poëtiques pour voiler plus artificieusement leur indigence. On y remarquoit bien le son & la voix des anciens Grecs, mais on n'y reconnoissoit plus leur esprit. Athènes elle-même, dit Cicéron, n'étoit plus respectée qu'à cause de ses premiers savans, dont la doctrine étoit entierement évanouie. Les Athéniens n'avoient plus conservé que la douceur de la prononciation qu'ils tenoient de la bonté de leur climat : c'étoit la seule chose qui les distinguoit des Asiatiques ; mais ils avoient laissé flétrir ces fleurs & ces graces du véritable atticisme que leurs peres avoient cultivées avec tant de soin.

10°. Les célébres orateurs de la Grece possédoient au souverain degré toutes les parties de l'éloquence, la subtilité de la dialectique, la majesté de la philosophie, le brillant de la poésie, la mémoire des jurisconsultes, la voix & les gestes des plus fameux acteurs ; ils en faisoient une étude particuliere. Les rhéteurs des derniers tems, au contraire, n'étoient que de purs dialecticiens, de frivoles grammairiens, occupés à éplucher des syllabes & à forger des termes sonores.

11°. Ces maîtres éloignés des grandes affaires, & exclus des grandes assemblées, se renfermoient dans des matieres aussi bornées que leurs écoles, & peu susceptibles de ces efforts qui font l'éloquence ; car on sait, dit Cicéron, que les grandes assemblées sont comme un vaste théâtre, où l'orateur déploie toutes les forces de son génie & toutes les regles de son art ; & que, comme un habile musicien ne peut rien sans instrument, l'orateur ne sauroit être éloquent, s'il ne parle devant un grand peuple.

12°. Cette contrainte les resserroit dans une seule espece de science ; ensorte que quand ils vouloient traiter de plus grands sujets, ils apportoient toujours le même esprit & la même méthode : ils ne savoient pas se diversifier, selon les différentes matieres qu'ils avoient à traiter ; ils parloient des actions d'un empereur, d'un traité de paix, comme d'une question scholastique ; ils s'obstinoient avec opiniâtreté à une opinion, comme des soldats liés par serment, ou des gens entêtés de certaines cérémonies. Il ne faut pas, dit Quintilien, que l'orateur épouse jamais ces sortes de querelles philosophiques ; le rang où il aspire le met au-dessus de ces tracasseries de l'école. Auroit-on admiré une aussi grande abondance & une aussi grande étendue de génie dans Cicéron, s'il se fût renfermé dans les chicanes du barreau, & qu'il ne se fût pas donné le même essor que la nature même ?

Telle fut l'éloquence attique ; amie de la liberté, elle se forma sous la république dans les écoles des philosophes, & cessa de régner dès qu'elle cessa d'être libre. La philosophie lui inspira ces sentimens généreux, cette majesté qui sait imposer à la raison sans la contraindre ; & l'état républicain lui donna ces manieres fieres, cette confiance, cette hardiesse, qui la fit triompher des souverains. Elle régna tant que les hommes eurent la liberté de penser : dès que la servitude changea les sentimens & les moeurs, elle disparut & s'éclipsa sans retour. Dans les beaux siecles, elle parla en reine, parce qu'elle avoit des rois à combattre ; dans ce déclin, elle prit le ton affété & doucereux d'une courtisanne, parce qu'elle avoit à plaire à des tyrans. Les célebres orateurs d'Athènes étoient des philosophes nourris dans la liberté ; les sophistes n'étoient que des esclaves, prêts à adorer quiconque les achetoit. Démosthène & les savans magistrats qui partagerent les mêmes travaux & coururent la même carriere, pouvoient être appellés à juste titre, les enfans des héros. Les orateurs des derniers tems étoient moins que des hommes.

Dans Athènes un orateur étoit, pour ainsi dire, un ministre d'état, chargé de représenter à l'assemblée les intérêts de sa tribu, & de soutenir la majesté de la république devant les étrangers.

Les lois avoient séparé les orateurs du vulgaire, & on les regardoit comme une compagnie respectable, consacrée pour veiller à la garde de la liberté & au bon ordre de la république ; toutes les affaires importantes leur passoient par les mains, ou leur étoient renvoyées. Dans les délibérations intéressantes on recueilloit leurs avis, & on les appelloit par un héraut au nom de la patrie pour expliquer leurs sentimens, & répondre aux ministres étrangers. Presque toujours on leur confioit à eux-mêmes le plan d'une affaire qu'ils venoient de tracer, avec un ample pouvoir de traiter suivant leurs lumieres & les circonstances : c'étoient des especes de souverains qui maîtrisoient les esprits avec un empire absolu, mais fondé sur leur vaste capacité & sur leur droiture.

Tel fut le fameux Périclès pendant un gouvernement de quarante années ; il sut se maintenir par les seules forces de son éloquence, contre tous les efforts d'une foule de rivaux, la plûpart d'un mérite & d'un rang distingué ; il sut captiver l'inconstance de la multitude, & rendre son nom respectable au peuple, & terrible aux étrangers. Il fut roi, sans en avoir le titre. Finances, places, alliés, îles, troupes, flotte, tout obéissoit à ses ordres ; ce pouvoir immense étoit le fruit de cette éloquence supérieure qui lui fit donner le surnom d'olympien. Comme un autre Jupiter, au seul son de sa voix, il ébranloit la Grece, & foudroyoit toutes les puissances conjurées contre sa république.

Les orateurs qui lui succederent, quoique avec moins d'habileté & de vertu, se conserverent néanmoins la même autorité, & une grande partie de ce crédit étonnant jusques dans les colonies, & chez les peuples tributaires & alliés. Antiphon guérissant les malades dans Corinthe par sa seule éloquence, fut regardé comme le dieu de consolation. Isocrate réfugié dans l'île de Chio, pour se soustraire aux poursuites de ses envieux, devint le législateur de toute l'île ; sa plume, au défaut de sa voix, dictoit aux rois, aux généraux leurs devoirs, prescrivoit les regles de leurs dignités, & fixoit leur bonheur. Timothée, fils de Conon, Dioclès, roi de Chypre, & Philippe de Macédoine s'applaudirent de ses sages conseils. Hypéride fut chargé de plaider la cause des Athéniens contre les habitans de Délos, qui prétendoient avoir l'intendance du temple d'Apollon dans leur île, & celle de l'athlete Callipe contre les peuples de l'Elide. En un mot, quel crédit n'eurent pas les orateurs au tems de Philippe ! Une seule parole de ce prince, en fait foi. " Je frissonne, dit-il à ses courtisans, quand je pense au péril auquel Démosthene nous a exposés par la ligue de Chéronée : cette seule journée mettoit à deux doigts de sa perte notre empire & notre couronne. Nous ne devons notre salut qu'aux faveurs de la fortune ".

Cet orateur avoit en effet toutes les qualités les plus belles pour persuader, indépendamment de son éloquence. A un fond admirable de philosophie & de vertus il joignoit un zele infatigable pour les intérêts de sa patrie, une haine irrévocable contre la tyrannie & les tyrans, un amour de la liberté à toute épreuve, une sagacité merveilleuse pour percer dans l'avenir, & dévoiler les mysteres de la politique ; une vaste érudition, une connoissance exacte de l'histoire & des droits de la nation ; les vues les plus étendues & les plus nobles ; une retenue, une sobriété qui brilloit jusques dans ses paroles ; une droiture, une justesse de raison que rien n'étoit capable d'altérer ; une dignité admirable quand il traitoit les affaires. Démosthene étoit ferme pour résister aux attraits de la cupidité ; intégre pour maintenir l'autorité des conseils & la liberté de l'état ; éclairé pour dissiper les préjugés d'une populace aveugle ; hardi pour écarter les factieux, & plein de courage pour affronter les périls. Il n'est donc pas étonnant qu'avec de tels talens, il ait enchaîné les volontés des citoyens, fixé leurs irrésolutions, & gagné la confiance de tout le corps.

Rien ne prouve mieux la dignité des orateurs grecs en général, que la maniere dont leur élection se faisoit à Athènes. Chaque année on en choisissoit dix, un dans chaque tribu, ou on continuoit les anciens. D'abord on commençoit par tirer au sort ceux qui se présentoient, & on les menoit devant des juges préposés pour informer juridiquement de leurs moeurs & de leur mérite, suivant les réglemens établis par Solon. Il falloit avoir environ trente ans pour traiter les affaires d'état. Il falloit de plus avoir servi avec distinction, s'être élevé aux grades de la milice par sa valeur, & n'avoir jamais jetté son bouclier. Eschine emploie fort adroitement ce motif dans sa harangue contre Ctésiphon, en reprochant à Démosthene sa fuite de Chéronée. Il devoit épouser une Athénienne, & avoir ses possessions dans l'Attique, & non ailleurs. Démosthene accuse Eschine de posséder des terres en Béotie. Enfin on examinoit rigidement le recipiendaire sur sa capacité, sur ses études & sur sa science. Il avoit encore besoin du témoignage des tribus assemblées, pour être élevé à la dignité d'orateur, & il confirmoit leur aveu public en jurant sur les autels.

Je finirai par dire un mot de leurs récompenses. Les orateurs tiroient leurs honoraires du trésor public ; chaque fois qu'ils parloient pour l'état ou pour les particuliers, ils recevoient une drachme, somme modique par rapport à notre tems, mais fort considérable pour lors. En les gageant sur l'état, on vouloit mettre des bornes à l'avarice des particuliers, & leur apprendre à traiter la parole avec une vraie grandeur d'ame.

Cet emploi ne devoit cependant pas être stérile, si l'on en croit Plutarque. Il rapporte que deux Athéniens s'exhortoient à devenir orateurs, en se disant mutuellement : " ami, efforçons-nous de parvenir à la moisson d'or qui nous attend au barreau ". Le besoin qu'on avoit de leurs lumieres & de leurs talens, piquoit la reconnoissance des particuliers. Isocrate prenoit mille drachmes, c'est-à-dire, 31 livres sterling pour quelques leçons de Rhétorique. L'éloquence étoit hors de prix. Gorgias de Léontium avoit fixé son cours de leçons à 100 mines pour chaque écolier, c'est-à-dire à environ 312 livres sterling. Protagore d'Abdere amassa dans cette profession plus d'argent que n'auroient jamais pû faire dix Phidias réunis. Lucien appelle plaisamment ces orateurs marchands, des Argonautes qui cherchoient la toison d'or. Mais j'aime la générosité d'Isée, qui charmé du génie de Démosthene, & curieux de laisser un digne successeur, lui donna toutes ses leçons gratuites.

Les honneurs qu'on leur prodiguoit pendant leur vie & après leur mort, chatouilloient encore plus l'ambition, que le salaire ne flattoit la cupidité. Au sortir de l'assemblée & du barreau, on les reconduisoit en cérémonie jusqu'en leur logis, & le peuple les suivoit au bruit des acclamations : les parties assembloient leurs amis pour faire un nombreux cortege, & montrer à toute la ville leur protecteur : on leur permettoit de porter la couronne dont ils étoient ornés, lorsqu'ils avoient prononcé des oracles salutaires à leur patrie : on les couronnoit publiquement en plein sénat, ou dans l'assemblée du peuple, ou sur le théâtre. L'agonothete, revêtu d'un habit de pourpre, & tenant en main un sceptre d'or, annonçoit à haute voix sur le bord du théâtre le motif pour lequel il décernoit la couronne, & présentoit en même-tems le citoyen qui devoit la recevoir : tout le parterre répondoit par des applaudissemens redoublés à cette proclamation, & les plus distingués des citoyens jettoient aux piés de l'orateur les plus riches présens. Démosthene, qui fut couronné plus d'une fois, nous apprend dans sa harangue pour Ctésiphon, que cet honneur ne s'accordoit qu'aux souverains & aux républiques.

Sous Marc-Aurele, Polémon, que toute la Grece assemblée à Olympie, appella un autre Démosthene, reçut, dès sa jeunesse, les couronnes que la ville de Smirne vint, comme à l'envi, mettre sur sa tête. On vit, d'après le même usage, des empereurs romains monter sur le théâtre pour y proclamer les savans dans les spectacles de la Grece. En un mot, Athènes ne croyoit rien faire de trop en égalant les orateurs aux souverains, & en prêtant à l'éloquence l'éclat du diadême ; tandis qu'elle refusoit à Miltiade une couronne d'olivier, elle prodiguoit des couronnes d'or à des citoyens puissans en paroles.

Non content de cette pompe extérieure, le peuple d'Athènes nourrissoit ses orateurs dans le prytanée, leur accordoit des privileges, des revenus & des fonds : les portes de leur logis étoient ornées de laurier ; privilege singulier, qui chez les Romains n'appartenoit qu'aux Flamines, aux Césars, & aux hommes les plus célebres, comme le droit de porter la couronne sur la tête.

Après leur trépas, le public, ou des particuliers consacroient dans les temples, à leur honneur, les couronnes qu'ils avoient portées, ou érigeoient quelque monument fameux dans les places, ou sur leurs tombeaux. Timothée fit placer à Eleusine, à l'entrée du portique, la statue d'Isocrate, sculptée de la main de Léocharès : on y lisoit cette inscription simple & noble : " Timothée a consacré cette statue d'Isocrate aux déesses, pour marque de sa reconnoissance & de son amitié. " Quelque tems avant Plutarque, on voyoit sur le tombeau de cet orateur une colonne de trente coudées, surmontée d'une sirene de sept coudées, pour désigner la douceur & les charmes de son éloquence. Tout auprès étoient ses maîtres. Gorgias entr'autres, tenant à ses côtés Isocrate, examinoit une sphere, & l'expliquoit à ce jeune éleve. Enfin, dans le Céramique, on avoit érigé une statue à la mémoire de l'orateur Lycurgue qui avant que d'entrer dans le tombeau, prit à témoin de son désintéressement le sénat, & toutes les tribus assemblées.

Je supprime à regret plusieurs autres détails sur les orateurs de la Grece ; mais j'ose croire qu'on ne désapprouvera pas cette esquisse tirée d'un des plus agréables tableaux qu'on ait fait du barreau d'Athènes ; c'est à M. l'abbé d'Orgival qu'il est dû. Passons à la peinture des orateurs romains : elle n'est pas moins intéressante ; je crains seulement de la trop affoiblir dans mon extrait. (D.J.)

ORATEURS ROMAINS, (Hist. de l'Eloq.) je revolterai bien des gens en établissant des orateurs à Rome dès le commencement de la république ; cependant plusieurs raisons me semblent assez plausibles pour ne point regarder cette idée comme chimérique, sous un gouvernement où rien ne se décidoit que par la raison, & par la parole ; car sans vouloir donner les premiers Romains pour un peuple de philosophes, on est forcé de convenir qu'ils agissoient avec plus de prudence, plus de circonspection, plus de solidité qu'aucun autre peuple, & que leur plan de gouvernement étoit plus suivi. A la tête des légions ils plaçoient des chefs hardis, intrépides, entendus : dans la tribune aux harangues, ils vouloient des hommes éloquens & versés dans le droit.

En effet, les historiens ne célébrent pas moins l'éloquence des magistrats romains, que l'habileté des généraux. Valerius Publicola prononça l'oraison funebre de Brutus son collegue. Valere Maxime dit que l'éloquence du dictateur Marcus Valerius sauva l'empire, que les discordes des patriciens & du peuple alloient étouffer dans son berceau. Tite-Live reconnoît des graces dans le vieux style de Menenius Agrippa. Tullus, général des Volsques, ne permit pas à Coriolan de parler dans l'assemblée de la nation, parce qu'il redoutoit son talent dans la parole. Caïus Flavius élevé dans la poussiere du greffe, fut créé édile curule, à cause de la beauté de son élocution. Enfin Cicéron range dans la classe des orateurs romains les premiers magistrats de cet âge, & prouve par-là la perpétuité de l'éloquence dans la république.

Mais Ciceron ne parle-t-il point sur ce ton pour faire honneur à sa patrie, ou pour exciter par des exemples la jeunesse romaine à s'appliquer à un art qui rend les hommes qui le possedent, si supérieurs aux autres ? Je le veux bien : cependant peut-on refuser le talent de la parole au tribun Marcus Genucius, le premier auteur de la loi agraire ; à Aulus Virginius, qui triomphe de tout l'ordre des patriciens dans l'affaire de Céson ; à Lucius Sextus qui transmet le consulat aux plébéiens, malgré les efforts & l'éloquence d'Appius Claudius ? L'opposition éternelle entre les patriciens & les tribuns exigeoit beaucoup de talens, de génie, de politique & d'art. Ces deux corps s'éclairoient mutuellement avec une jalousie sans exemple, & cherchoient à se supplanter auprès du peuple par la voie de l'éloquence.

D'ailleurs le savoir étoit estimé dans ces premiers siecles de la république ; on y remarque déja le goût & l'étude des langues étrangeres. Scaevola savoit parler étrusque : c'étoit alors l'usage d'apprendre cette langue, comme l'observe Tite-Live. On ne mettoit auprès des enfans que des domestiques qui la sussent parler. L'insulte faite à un ambassadeur romain dans la Tarente, parce qu'il ne parloit pas purement le grec, montre qu'on l'étudioit au moins & qu'on parloit les langues des autres peuples pour traiter avec eux. Dans les écoles publiques, des littérateurs enseignoient les belles lettres. Du tems de nos aïeux, dit Suétone, lorsqu'on vendoit les esclaves de quelque citoyen, on annonçoit qu'ils étoient littérateurs, litteratores ; pour marquer qu'ils avoient quelque teinture des sciences.

Je conviens que les séditions & les jalousies réciproques des deux corps qui agiterent l'état, répandirent l'aigreur, le fiel & la violence dans les harangues des tribuns ; un esprit farouche s'étoit emparé de ces harangueurs impétueux : mais sous les Scipions, avec un nouvel ordre d'affaires, les moeurs changerent, & les emportemens du premier âge disparurent. Annibal & Carthage humiliés, des rois traînés au capitole, des provinces ajoutées à l'empire, la pompe des triomphes, & des prospérités toujours plus éclatantes, inspirerent des sentimens plus généreux, & des manieres moins sauvages. L'air brusque des Iciliens céda à l'urbanité & à la sagesse de Laelius. La tribune admira des orateurs non moins fermes, ni moins hardis que dans les premiers tems, mais plus insinuans, plus ingénieux, plus polis ; l'âcreté d'humeur s'étant adoucie comme par enchantement, les reproches amers se convertirent en un sel fin & délicat ; aux emportemens farouches des tribuns succéderent des saillies heureuses & spirituelles. Les orateurs transportés d'un nouveau feu, & changés en d'autres hommes, traiterent les affaires avec magnificence en présence des rois & des peuples conquis, semerent de la variété & de l'agrément dans leurs discours, & les assaisonnerent de cette urbanité qui fit aimer les Romains, respecter leur puissance, & qui les rendent encore l'admiration de l'univers.

L'illustre famille des Scipions produisit les plus grands hommes de la république. Ces génies supérieurs, nés pour être les maîtres des autres, saisirent tout d'un coup l'idée de la véritable grandeur & du vrai mérite ; ils surent adoucir les moeurs de leurs concitoyens par la politesse, & orner leur esprit par la délicatesse du goût. Instruits par l'expérience & par la connoissance du coeur humain, ils s'apperçurent aisément qu'on ne gagne un peuple libre que par des raisons solides, & qu'on ne s'attache des coeurs généreux que par des manieres douces & nobles ; ils joignirent donc à la fermeté des siecles précédens le charme de l'insinuation. Leur siecle fut l'aurore de la belle littérature, & le regne de la véritable vertu romaine. La probité & la noblesse des sentimens reglerent leurs discours comme leurs actions ; leurs termes répondirent en quelque sorte à leurs hauts faits ; ils ne furent pas moins grands, moins admirables dans la tribune, qu'ils furent terribles à la tête des légions : ils surent foudroyer l'ennemi armé, & toucher le soldat rebelle : les souverains & l'étranger furent frappés par l'éclat de leurs vertus, le citoyen ne put résister à la force de leurs raisons.

Les Romains qui approcherent le plus près ces grands hommes, leurs amis, leurs clients, prirent insensiblement leur esprit, & le communiquerent aux autres parties de la république. On accorda à Laelius un des premiers rangs entre les orateurs. Caïus Galba, gendre de Publius Crassus, & qui avoit pour maxime de ne marier ses filles qu'à des savans & à des orateurs, étoit si estimé du tems de Ciceron, qu'on donnoit aux jeunes gens, pour les former à l'éloquence, la peroraison d'un de ses discours. Les harangues de Fabius Maximus, graves, majestueuses, & remplies de solidité & de traits lumineux, marchoient de pair avec celles de Thucydide. L'éloquence harmonieuse de M. Corn. Céthégus fut chantée par le premier Homere latin.

Le génie de l'éloquence s'étoit emparé des tribunes, où il n'étoit plus permis de parler qu'avec élégance & avec dignité. Le sénat entraîné par l'éloquence du député d'Athènes, n'a pas la force de refuser la paix aux Etoliens. Léon, fils de Scésias, comparoit dans sa harangue les communes d'Etolie à une mer dont la puissance romaine avoit maintenu le calme, & dont le souffle impétueux de Thoas avoit poussé les flots vers Antiochus, comme contre un écueil dangereux. Cette comparaison flatteuse & brillante charma cette auguste compagnie : on n'admira pas avec moins d'étonnement les éloquens discours des trois philosophes grecs que les Athéniens avoient envoyés au sénat pour demander la remise d'une amende de cinq cent talens qui leur avoit été imposée pour avoir pillé les terres de la ville d'Orope. A peine pouvoit-on en croire le sénateur Caecilius, qui leur servoit d'interprête, & qui traduisit leur harangue. La conversation de ces grecs & la lecture de leurs écrits, alluma une ardeur violente pour l'étude d'un art aussi puissant sur les coeurs.

Les deux Gracchus s'attirerent toute l'autorité par le talent de la parole ; & firent trembler le sénat par cette seule voie. Sans diadême & sans sceptre, ils furent les rois de leur patrie. Elevés par une mere qui leur tint lieu de maître, ils puiserent dans son coeur grand & élevé, une ambition sans bornes, & dans ses préceptes le gout de la saine éloquence & de la pureté du langage qu'elle possédoit au souverain degré. Ils ajouterent à cette éducation domestique leurs propres réflexions, & y mêlerent quelque chose de leur humeur & de leur tempérament.

Tiberius Gracchus avoit toutes les graces de la nature, qui sans être le mérite l'annoncent avec éclat. Des moeurs integres, de vastes connoissances, un génie brillant & son éloquence attiroient sur lui les yeux de tous ses concitoyens. Caïus voulant comme son frere abaisser les patriciens, parloit avec plus de fierté & de véhémence, redemandant au sénat un frere dont le sang couloit encore sur les degrés du capitole, & reprochant au peuple sa lâcheté & sa foiblesse, de laisser égorger à ses yeux le soutien de sa liberté.

Caton le censeur, non-moins véhément que le dernier des Gracchus, montra tout le brillant de l'imagination, & tout le beau des sentimens ; il ne lui manquoit qu'une certaine fleur de style, & un coloris qu'on n'imaginoit pas encore de son tems. Toujours aux prises avec les deux Africains & les deux Gracchus, avec le sénat & le peuple, huit fois accusé & huit fois absous, à l'âge de 90 ans il maîtrisoit encore le barreau ; & aussi respectable que Nestor par ses années & par le talent de la parole, il conserva jusque dans le tombeau l'estime & la vénération de tous ses concitoyens.

Les dames même profiterent de cette heureuse réforme, & parurent sur les rangs avec autant de distinction que les plus grands orateurs : on en vit plaider leurs causes avec tant d'énergie, de délicatesse & de grace, qu'elles mériterent un applaudissement universel. Amoesia Sentia accusée d'un crime, soutint son innocence avec toute la précision & la force du plus habile avocat, & se concilia tous les suffrages dès la premiere audience. Au tems de Quintilien les savans lisoient, comme un modele de la pureté & de l'éloquence romaine, les lettres de la célebre Cornélie qui forma les Gracchus. La fille de Laelius, & dans l'âge suivant celle d'Hortensius, ne furent pas moins héritieres du génie éloquent de leurs peres, que de leurs vertus & de leurs richesses.

L'esprit dominant de ce siecle étoit une noble fierté qui animoit tous les coeurs, & c'est ce qui fit que la plûpart des orateurs de ce tems-là n'eurent pas la même politesse ni la même délicatesse que les Scipions & les Laelius. Le style de Caton étoit sec & dur ; celui de Caïus Gracchus étoit marqué au coin de la violence de son caractere : enfin les orateurs de cet âge ébaucherent seulement les premiers traits de l'éloquence romaine ; elle attendoit sa perfection du siecle suivant, je veux dire, celui où regnerent les dictateurs perpétuels.

Jamais on ne vit les Romains plus grands ni plus magnifiques que dans ce troisieme âge : Arts, Sciences, Philosophie, Grammaire, Rhétorique, tout se ressentit de l'éclat de l'empire, & eut, pour ainsi dire, part à la même élevation ; tout ce qu'il y avoit de brillant au-delà des mers, se réfugioit comme à l'envi dans Rome à la suite des triomphes. A côté des rois enchaînés, & parmi les dépouilles des provinces conquises, on voyoit avec étonnement des philosophes, des rhéteurs, des savans couverts des mêmes lauriers que le vainqueur, monter en quelque sorte sur le même char, & triompher avec lui. Du sein de la Grece sortoient des essaims de savans, qui comme d'autres Carnéades venoient faire dans Rome des leçons de sagesse, & y transplanter, si j'ose ainsi parler, les talens des Isocrates & des Démosthènes. On ouvrit de nouvelles écoles : on expliqua les secrets de l'art : on développa les finesses de la Rhétorique : on étala avec pompe les beautés d'Homere : on ralluma ces foudres à demi-éteints, qui avoient causé tant d'allarmes à Philippe de Macédoine. Les Romains enchantés, entrerent dans la même carriere pour disputer le prix à leurs nouveaux maîtres, & les effacer dans l'ordre des esprits, comme ils les surpassoient dans le métier des armes.

Quatre orateurs commencerent cette espece de défi ; ce furent Antoine, Crassus, Sulpicius & Cotta, tous quatre rivaux, &, ce qui paroîtra surprenant, tous quatre amis.

Antoine, ayeul du célebre Marc-Antoine, fut comme le chef de cette illustre troupe, & leva pour ainsi dire la barriere. Une mémoire prodigieuse lui rappelloit sur-le-champ tout ce qu'il avoit à dire. On croyoit qu'il n'empruntoit de secours que de la nature, dans le tems même qu'il mettoit en usage toutes les finesses & les subtilités de l'art, pour séduire les juges les plus attentifs & les plus éclairés. Il affectoit une certaine négligence dans son style, pour ôter tout soupçon qu'il eût appris les préceptes des Grecs, ou qu'il en voulût à la religion de ses juges. Une déclamation brillante embellissoit tous ses discours, & le pathétique qu'il avoit le secret d'y répandre, attendrissoit tous les coeurs.

C'est principalement dans la cause de Caïus Norbanus, & dans celle de M. Aquilius, que son art & ses talens sont les plus développés : le plan de ces deux pieces est tracé dans l'orateur de Ciceron, liv. II. n. 195. Dans l'exorde de la premiere, Antoine paroît chancelant, timide, incertain ; mais lorsque l'on ne croit qu'excuser son embarras & la triste nécessité où il se trouve de défendre un méchant citoyen dont il est ami, on le voit tout-d'un-coup s'animer contre Caepion, justifier la sédition de Norbanus, la rejetter sur le peuple romain, & forcer les juges à demi-séduits par le charme de son discours, à se rendre à la commisération qu'il excite dans leur coeur. Il avoue lui-même qu'il arracha le coupable à la sévérité de ses juges, moins par l'évidence des raisons, que par la force des passions qu'il sut employer à-propos.

Dans la péroraison de la seconde piece, il représente d'une maniere pathétique M. Aquilius consterné & fondant en larmes : il conjure Marius, présent à cette cause, de s'unir à lui pour défendre un ami, un collegue, & soutenir l'intérêt commun des généraux romains : il invoque les dieux & les hommes, les citoyens & les alliés ; au défaut de la bonté de sa cause, il excite les larmes du peuple romain, l'attendrit à la vûe des cicatrices que ce vieillard avoit reçues pour le salut de sa patrie. Les soupirs, les gémissemens, les pleurs de cet orateur, & les plaies d'un guerrier vainqueur des esclaves & des Cimbres, conserverent un homme que des crimes trop avérés bannissoient de la société de ses concitoyens & de tout l'empire.

Lucius Crassus n'avoit que vingt-un ans, ou, selon Tacite, dix-neuf, quand il plaida sa premiere cause contre le plus célebre avocat de son tems. Son caractere propre étoit un air de gravité & de noblesse, tempéré par une douceur insinuante, une délicatesse aisée, & une fine raillerie. Son expression étoit pure, exacte, élégante, sans affectation : son discours étoit véhément, plein d'une juste douleur, de repliques ingénieuses, par-tout semé d'agrémens, & toujours fort court. Il ne paroissoit jamais sans s'être long-tems préparé ; on l'attendoit avec empressement, on l'écoutoit avec admiration. Après sa mort les orateurs venoient au barreau recueillir cet esprit libre & romain, à la place même où par les seules forces de son éloquence il avoit abattu la témérité du consul Philippe, & rétabli la puissance du sénat consterné. Il paroît qu'il ne se chargeoit que de causes justes, car toute sa vie il témoigna un regret sensible d'avoir parlé contre Caïus Carbon, & il se reprochoit à cette occasion sa témérité & sa trop grande ardeur de paroître. Antoine au contraire se chargeoit indifféremment de toutes les causes, & avoit toujours la foule. Crassus mourut pour ainsi dire les armes à la main ; il fut enseveli dans son propre triomphe, & honoré des larmes de tout le sénat, dont il avoit pris la défense.

Cotta brilloit par une élocution pure & coulante. Plein de sa cause, il déduisoit ses motifs avec clarté & par ordre ; il écartoit avec soin tout ce qui étoit étranger à son sujet, pour n'envisager que son affaire, & les moyens qui pouvoient persuader les juges ; mais il avoit peu de force & de véhémence, & en cela il s'étoit sagement réglé sur la foiblesse de sa poitrine, qui l'obligeoit d'éviter toute contention de voix.

Sulpicius étoit orateur, pour ainsi dire, avant que de savoir parler ; un heureux hasard contribua à sa perfection. Antoine s'amusant un jour à le voir plaider une petite cause parmi ses compagnons, fut étonné de trouver dans un âge si tendre un discours si vif & si rapide, des gestes si nobles, & des termes pathétiques qui dans une espece de jeu & de badinage, dénotoient un génie supérieur. Il l'exhorta de fréquenter le barreau, & de s'attacher à Crassus ou à quelqu'autre orateur ; il alla même jusqu'à s'offrir de lui servir de maître dans cet art. Sulpicius reconnoissant, sut tirer profit des instructions qu'il venoit de recevoir. Antoine fut bien étonné de le voir paroître quelque tems après contre lui dans l'affaire de Caïus Norbanus, dont j'ai déja parlé. Frappé de retrouver un autre Crassus, & non un novice dans la même carriere, il étoit sur le point d'abandonner son ami dans la questure, tant il désespéroit de pouvoir triompher de la force & du pathétique de son jeune rival. Sulpicius, à la grandeur du style, joignoit une voix douce & forte, le geste & le mouvement du corps, plein d'agrémens qui n'empruntoient rien du théatre, & ressentoient toute la noblesse qui convient au barreau. Ses expressions graves & abondantes sembloient couler de source ; c'étoit un don de la nature qui ne devoit rien à l'art.

Les exemples & les succès de ces fameux orateurs attirerent sur leurs pas une foule de rivaux qui briguerent le même titre. Au défaut de la naissance & des richesses qui ne donnent jamais le mérite, on s'efforça de parvenir par les talens de l'esprit. Dans un gouvernement mixte où chacun veut être éclairé, & a intérêt de l'être, l'art de la parole devient un mystere d'état. Les vieillards consommés par l'expérience, se faisoient un devoir d'y former leurs enfans, & de leur frayer par ce moyen la route des honneurs. Ils admettoient même à leurs leçons leurs esclaves, comme fit Caton le censeur, afin que nourris dans des sentimens vertueux, leur mauvais exemple ne corrompît pas leur famille. Les dames, aussi attentives que leurs maris, se faisoient une occupation sérieuse de perpétuer le vrai goût de l'urbanité qui distingua toujours les Romains. Dans les Gracchus, on reconnoissoit la fierté de Cornélie, & la magnificence des Scipions ; dans les filles de Laelius & les petites filles de Crassus, la politesse & la pureté de leurs peres. Vraies enfans de la sagesse, elles soutinrent par leurs paroles comme par leurs sentimens, l'éclat & la gloire de leurs maisons.

Comme on vit que l'art militaire ne suffisoit pas sans l'étude pour parvenir, ceux des plébéiens que leur naissance & leur pauvreté condamnoit à languir dans les honneurs obscurs d'une légion, se jetterent du côté du barreau pour percer la foule & paroître à la tête des affaires. D'un autre côté, les patriciens, par émulation, s'efforçoient de conserver parmi eux un art qui avoit toujours été un des plus puissans instrumens de leur ordre. C'étoit peu pour eux que de combattre des barbares, ils vouloient encore soumettre, par le secours de l'éloquence, des coeurs républicains jaloux de leur liberté. Enfin, jamais siecle ne fut si brillant que le dernier de la république romaine, par le nombre d'orateurs célébres qu'elle produisit. Cependant Calidius, César, Hortensius, mais sur-tout Ciceron, ont laissé bien loin derriere eux leurs dévanciers & leurs contemporains. Développons avec un peu de détail le caractere de leur éloquence.

Marcus Calidius brilla par des pensées nobles, qu'il savoit revêtir de toute la finesse de l'expression. Rien de plus pur ni de plus coulant que son langage. La métaphore étoit son trope favori, & il savoit l'employer si naturellement, qu'il sembloit que tout autre terme auroit été déplacé. Il possédoit au souverain degré l'art d'instruire & de plaire, & n'avoit négligé que l'art de toucher & d'émouvoir les esprits. Il eut tout lieu de reconnoître son erreur dans une cause qu'il plaida contre Ciceron ; je veux dire celle où il accusoit Quintus Gallius de l'avoir voulu empoisonner. Il développa bien toutes les circonstances de ce crime avec ses graces ordinaires, mais avec une froideur & une indolence qui lui fit perdre sa cause. Ciceron triompha de toute l'élégance de son rival par une réplique impétueuse, qui comme une grêle subite, abattit toutes ses fleurs.

Jules-César, né pour donner des lois aux maîtres du monde, puisa à l'école de Rhodes dans les préceptes du célebre Molon, l'art victorieux d'assujettir les coeurs & les esprits. S'il eut peu d'égaux en ce genre, il n'eut jamais de supérieur ; dans sa bouche les choses tragiques, tristes & séveres, se paroient d'enjouement ; & le sérieux du barreau s'embellissoit de l'agrément du théatre, sans cependant affoiblir la gravité de ses matieres, ni fatiguer par ses plaisanteries. Il possédoit au souverain degré toutes les parties de l'art oratoire. Comme il avoit hérité de ses peres la pureté du langage, qu'il avoit encore perfectionnée par une étude sérieuse, ses termes étoient choisis & beaux, sa voix éclatante & sonore, ses gestes nobles & grands. On sentoit dans ses discours le même feu qui l'animoit dans les combats : il joignoit à cette force, à cette vivacité, à cette véhémence, tous les ornemens de l'art, un talent merveilleux à peindre les objets & à les représenter au naturel. Il quitta bien-tôt une carriere où il ne trouvoit personne pour lui disputer le premier rang ; il courut à la tête des légions combattre les Barbares par émulation contre Pompée, qui par goût avoit choisi de moissonner les lauriers de Mars.

Déja un phantôme de gloire éblouissoit les jeunes patriciens, & leur faisoit négliger l'honneur tranquille qu'on acquiert au barreau, pour les entraîner sur les pas des Cyrus & des Alexandres. La fureur des conquêtes les avoit comme enivrés ; ils abandonnoient les affaires civiles pour se livrer aux travaux militaires. C'est ainsi que Publius Crassus, d'un esprit pénétrant soutenu par un grand fonds d'érudition, & lié d'un commerce de lettres avec Ciceron, renonça aux éloges qu'il avoit déja mérités par son éloquence, pour chercher des périls plus grands & plus conformes à son ambition.

A l'âge de dix-neuf ans, Hortensius plaida sa premiere cause en présence de l'orateur Crassus & des consulaires qui s'étoient distingués dans le même genre : il enleva leurs suffrages. Avec un génie vif & élevé, il avoit une ardeur infatigable pour le travail, ce qui lui procura une érudition peu commune qu'une mémoire prodigieuse savoit faire valoir. Les graces de sa déclamation attiroient au barreau les fameux acteurs Esope & Roscius, pour se former sur le modele de celui qu'ils regardoient comme leur maître dans les finesses de leur art. Il mit le premier en usage les divisions & les récapitulations. Ses preuves & ses réfutations étoient semées de fleurs, & plus conformes au goût asiatique qu'au style romain. Sa mémoire lui rappelloit sur le champ toutes ses idées en ordre, & les preuves de ses adversaires. De plus, son extérieur composé, sa voix sonore & agréable, la beauté de son geste, & une propreté recherchée, prévenoit tout le monde en sa faveur. Il paroît cependant que la déclamation faisoit comme le fonds de son mérite & son principal talent ; car ses écrits ne soutenoient pas à la lecture la haute réputation qu'il s'étoit acquise.

Toutes les plus belles causes lui étoient confiées, & il amassa des richesses prodigieuses sans aucun scrupule. Insensible aux sentimens de la probité, il se glissoit dans les testamens & en soutenoit de faux, pour partager les dépouilles du mort. L'esprit de rapine & de somptuosité, vice dominant de ses contemporains, fut sa passion favorite. Ses maisons de plaisance renfermoient des viviers d'une immense étendue. Au goût de la bonne chere il joignit la passion pour les beaux Arts. Comme il acquéroit sans honneur, il dépensoit sans mesure. On trouva dix mille muids de vin dans ses caves après sa mort. Il est vrai que ses grands biens furent bien-tôt dissipés par les débauches de son fils, & ses petits neveux languirent dans une affreuse pauvreté. Auguste, touché du sort d'une famille dont le chef avoit tant fait d'honneur à l'éloquence romaine, fit donner à Marcus Hortensius Hortalus, neveu de cet orateur, dix mille sesterces pour s'établir, & perpétuer la postérité d'un homme si célebre. Tibere, montant sur le trône, oublia totalement les Hortenses ; seulement, pour ne pas déplaire au sénat, il leur distribua une seule fois deux cent sesterces, environ cinq mille gros écus.

Mais l'illustre Hortensia, fille d'Hortensius, fit admirer ses talens : héritiere de l'éloquence de son pere, elle en sut faire usage dans la fureur des guerres civiles. Les triumvirs, épuisés d'argent & pleins de nouveaux projets, avoient imposé une taxe exorbitante sur les dames romaines : elles implorerent en-vain la voix des avocats pour plaider leur cause, aucun ne voulut leur prêter son ministere : la seule Hortensia se chargea de leur défense, & obtint pour elles une remise considérable. Les triumvirs, touchés de son courage & enchantés de la beauté de sa harangue, oublierent leur férocité par admiration pour son éloquence. Hortensius plaida pendant quarante ans, & mourut un peu avant le commencement des guerres civiles entre Pompée & César. Jusqu'à Ciceron personne ne lui avoit disputé le premier rang au barreau ; & quand ce nouvel orateur parut, il mérita toûjours le second avec la réputation d'un des plus beaux déclamateurs de son tems.

La Grece, soumise à la fortune des Romains, se vantoit encore de forcer ses vainqueurs à la reconnoître pour maîtresse de l'éloquence : mais elle vit transporter à Rome ces précieux restes de son ancien lustre, & fut surprise de trouver réuni dans le seul Ciceron toutes les qualités qui avoient immortalisé ses plus fameux orateurs.

Ciceron apporta en naissant les talens les plus propres à prévenir le public, & trouva des hommes tout préparés à les admirer : un génie heureux, une imagination féconde & brillante, une raison solide & lumineuse, des vûes nobles & magnifiques, un amour passionné pour les Sciences, & une ardeur incroyable pour la gloire. La fortune seconda ces heureuses dispositions & lui ouvrit tous les coeurs. L'orateur Crassus se chargea de ses études & cultiva avec soin un génie dont la grandeur devoit égaler celle de l'empire. Ses compagnons, comme par pressentiment de sa gloire future, le reconduisoient en pompe au sortir des écoles jusques chez ses parens, & rendoient un hommage public à sa capacité. Sans se laisser éblouir par ces applaudissemens qui chatouilloient déja son coeur si sensible à la gloire, il se prépara avec un soin infini à paroître sur un théatre plus éclatant & plus digne de son ambition.

Comme il étoit seulement d'une famille ancienne & de rang equestre, il passoit pour un homme nouveau, parce que ses ancêtres contens de leur fortune avoient négligé de venir à Rome y briguer des honneurs. Pour Ciceron il visa aux premieres charges de la république, & se flatta d'y parvenir par la voie de l'éloquence : mais il conçut qu'un parfait orateur ne devoit rien ignorer ; aussi s'appliqua-t-il avec un travail assidu à l'étude du Droit, de la Philosophie & de l'Histoire. Toutes les Sciences étoient de son ressort, & il consultoit avec un soin infatigable tous les maîtres de qui il pouvoit apprendre quelque chose d'utile. Enfin, par une fréquente conversation avec les plus habiles orateurs de son siecle, & par la lecture assidue des ouvrages de ceux qui avoient fait honneur à Athènes, il se forma un style & un genre d'éloquence qui le placerent à la tête du barreau, & le rendirent l'oracle de ses citoyens. On admire en lui la force de Démosthene, l'abondance de Platon, & la douceur d'Isocrate : ce qu'il a recueilli de ces fameux originaux lui devient propre & comme naturel ; ou plutôt la fécondité de son divin génie crée des pensées nouvelles, & prête l'ame à celles des autres.

Le premier adversaire avec lequel il entra en lice fut Hortensius. A l'âge de vingt-sept ans, il plaida contre lui pour Roscius d'Améric, & ce plaidoyer plut infiniment par une foule de pensées brillantes, d'antitheses & d'oppositions. La multitude enchantée admira ce style asiatique, peigné, fardé, & peu digne de la gravité romaine. Ciceron connoissoit bien tout le défaut de ce mauvais goût ; il convient que si son plaidoyer avoit été applaudi, c'étoit moins par la beauté réelle de son discours que par l'espérance qu'il donnoit pour l'avenir. Ce qui est vrai, est qu'il craignit de fronder d'abord l'opinion publique : il lui falloit plus de crédit, plus d'autorité, & plus d'expérience. Desirant d'y parvenir, il quitta Rome pour aller puiser dans les vraies sources les trésors dont il vouloit enrichir sa patrie. Athènes, Rhodes & les plus fameuses villes de l'Asie, l'occuperent tour à tour. Il examina les regles de l'art avec les célebres orateurs de ces cantons, séjour de la véritable éloquence ; & à force de soins, il vint à bout de retrancher cette superfluité excessive de style qui, semblable à un fleuve qui se déborde, ne connoissoit ni bornes ni mesures. Après quelques années d'absence, devenu un nouvel homme, enrichi des précieuses dépouilles de la Grece, il reparut au barreau avec un nouvel éclat, réforma l'éloquence romaine & la porta au plus haut point de perfection où elle pût atteindre : il en embrassa toutes les parties & n'en négligea aucune ; l'élégance naturelle du style simple ; les graces du style tempéré ; la hardiesse & la magnificence du sublime. A ces rares qualités il joignit la pureté du langage, le choix des expressions, l'éclat des métaphores, l'harmonie des périodes, la finesse des pensées, la délicatesse des railleries, la force du raisonnement ; enfin, une véhémence de mouvemens & de figures étonnoit & flattoit également la raison de tous ses auditeurs. Il n'appartenoit qu'à lui de s'insinuer jusqu'au fond de l'ame, & d'y répandre des charmes imperceptibles.

La nature qui se plaît à partager les especes de mérite & de goût les avoit tous réunis en sa personne. Un air gracieux, une voix sonore, des manieres touchantes, une ame grande, une raison élevée, une imagination brillante, riche, féconde, un coeur tendre & noble, lui préparoient les suffrages. A cette solidité qui renfermoit tant de sens & de prudence, il joignoit, dit le pere Rapin, une fleur d'esprit qui lui donnoit l'art d'embellir tout ce qu'il disoit ; & il ne passoit rien par son imagination qui ne prit le tour le plus gracieux, & qui ne se parât des couleurs les plus brillantes. Tout ce qu'il traitoit, jusqu'aux matieres les plus sombres de la Dialectique, les questions les plus abstraites de la Physique, ce que la Jurisprudence a de plus épineux, & ce qu'il y avoit de plus embarrassé dans les affaires, se coloroit dans son discours de cet enjouement d'esprit & de ces graces qui lui étoient si naturelles. Jamais personne n'a eu l'art d'écrire si judicieusement, ni si agréablement en tout genre : il possédoit dans un degré éminent le talent singulier de remuer les passions & d'ébranler les coeurs. Dans les grandes affaires où plusieurs orateurs parloient, on lui laissoit toûjours les endroits pathétiques à traiter ; & il les manioit avec tant de succès, qu'il faisoit quelquefois retentir tout le barreau de larmes & de soupirs.

La fortune comme étonnée de tant de hautes qualités, s'empressa de lui applanir la route des honneurs ; toutes les dignités vinrent au-devant de lui. A-peine sa réputation commença-t-elle à naître, qu'il obtint la questure de Sicile par les suffrages unanimes du peuple. Cette province dévorée par une famine cruelle & par les vexations énormes du préteur, trouva en lui un pere, un ami, un protecteur. Sa vigilance remédia à la stérilité des récoltes, & son éloquence répara les rapines de Verrès. Ces discours où brillent d'un éclat immortel la force de son imagination, la magnificence de son élocution, la justesse de ses raisonnemens, la solidité de ses principes, l'enchaînement de ses preuves, l'étendue de ses connoissances, son savoir prodigieux, & son goût exquis pour les Arts, lui attirerent plus de visites que les richesses & les triomphes n'en procurerent à Crassus & à Pompée, les premiers des Romains. Les étrangers passoient les mers pour admirer un orateur si surprenant ; les Philosophes quittoient leurs écoles pour entendre sa sagesse ; les généraux mendioient ses talens pour maintenir leur autorité & fixer les suffrages de la multitude ; les tribunaux le redemandoient pour développer le cahos des lois ; & par-tout, comme un astre bien faisant, il portoit la lumiere & ramenoit l'ordre & la paix.

On admira dans sa préture sa fermeté romaine pour la défense des lois & de l'équité, & son humanité pour les malheureux. La patrie l'appella à son secours contre les subtilités de Rullus & les violences de Catilina ; & il mérita le premier d'en être appellé le pere. Le sénat, les rostres, les tribunaux, les académies, se laissoient gouverner par les douces influences de son beau génie. Il étoit l'ame des conseils, l'oracle du peuple, la voix de la république ; &, comme s'il eût eu seul l'intelligence & la raison en partage, on ne décidoit ordinairement que par ses lumieres.

Ses malheurs mêmes devenoient ceux de l'état, & son exil fut déploré comme une calamité publique. Les chevaliers, les sénateurs, les orateurs, les tribuns, le peuple prirent des habits de deuil, & regretterent sa perte comme celle d'un dieu tutélaire. Les rois, les villes, les républiques s'intéresserent à son rappel, & célébrerent avec pompe le jour de son retour. Telle fut sa gloire dans Rome & dans l'Italie, au de-là des mers, & aux extrêmités de l'empire. Les villes de son gouvernement enrichies par le commerce, les campagnes couvertes de moissons, les Arts rétablis, les Sciences cultivées, les forêts purgées des bêtes sauvages qui ravageoient les guérets ; les publicains réduits à l'ordre, les usures éteintes, les impôts diminués, la vertu & le mérite estimés, le vice proscrit, firent adorer son regne philosophique digne du tems de Rhée, & lui éleverent des trophées plus glorieux que les triomphes qu'on avoit décernés aux destructeurs du genre humain.

Mais dans le monde il n'est point de vertu que n'attaque l'envie : on a accusé Ciceron d'avoir trop de confiance dans la prospérité, trop d'abattement dans la disgrace. Il convient qu'il étoit timide ; mais il prétend que cette timidité servoit plutôt à lui faire prévoir le danger qu'à l'abattre, quand il étoit arrivé, ce qui nous est confirmé par le courage & la fermeté qu'il fit éclater aux yeux même de ses bourreaux. On ne lui fait pas grace de son amour désordonné pour la gloire ; il n'en disconvient pas, & il explique lui-même quelle sorte de gloire il recherchoit. La vraie gloire, selon lui, ne consiste pas dans la vaine fumée de la faveur populaire, ni dans les applaudissemens d'une aveugle multitude, pour laquelle on ne doit avoir que du mépris ; c'est une grande réputation fondée sur les services qu'on a rendus à ses amis, à sa patrie, au genre humain : l'abondance, les plaisirs & la tranquillité, ne sont pas les fruits qu'on doive s'en promettre, puisqu'on doit au-contraire sacrifier pour elle son repos & sa tranquillité ; mais l'estime & l'approbation de tous les honnêtes gens en est la récompense, & la dette que tous les honnêtes gens ont droit d'exiger.

Par rapport aux louanges qu'il se donnoit à lui-même, & auxquelles il étoit si sensible, c'étoit moins pour sa gloire, dit Quintilien, que pour sa défense : il n'avoit que ses grandes actions à opposer aux calomnies de ses ennemis ; il se servoit pour les faire taire du moyen qu'avoit autrefois employé le grand Scipion ; mais enfin la force fit périr celui qu'elle ne put déranger de ses principes. Une politique peut-être trop timide par la crainte de troubler la tranquillité publique ; un amour ardent pour la liberté qu'il avoit conservée à ses citoyens ; l'extrême ambition de maintenir son autorité, par laquelle il étoit l'ame & le soutien de la république ; une haine irréconciliable contre l'ennemi de sa patrie, creuserent à cet illustre citoyen de Rome, le précipice dans lequel Marc-Antoine méritoit d'être enseveli : Ciceron fut tué à l'âge de 64 ans, victime de ses projets salutaires & de ses services. Rome en proie à la fureur des triumvirs, vit attachées à la tribune aux harangues, des mains qui avoient tant de fois rompu les fers que lui forgeoient les séditieux ; perte d'autant plus déplorable, dit Valere-Maxime, qu'on ne trouve plus de Ciceron pour pleurer une pareille mort.

On dit cependant que le sénat, pendant le consulat de son fils, & par ses mains, brisa toutes les statues de Marc-Antoine, qu'il arracha ses portraits, & défendit qu'aucun de sa famille portât le nom de Marc. On ajoute encore qu'Auguste ayant surpris un traité de Ciceron dans les mains de son petit-fils qui le cachoit sous sa robe dans la crainte de lui déplaire, prit le livre, le parcourut, & le rendit à ce jeune homme, en lui disant ; " c'étoit un grand homme, mon fils, un amateur zélé de la patrie ", .

Quoiqu'il en soit du discours d'Auguste, c'est assez pour nous d'avoir établi que Ciceron mérite d'être regardé comme un des plus grands esprits de la république romaine, & en particulier comme le plus excellent de tous les maîtres d'éloquence, excepté le seul Démosthène ; on sait aussi qu'il en est l'éternel panégyriste & l'éternel imitateur. Je ne m'aviserai point, dit Plutarque, d'entreprendre la comparaison de ces deux grands hommes ; je dirai seulement, que s'il étoit possible que la nature & la fortune entrassent en dispute sur leur sujet, il seroit difficile de juger laquelle des deux les a rendus plus semblables, ou la nature dans leurs moeurs & dans leur génie, ou la fortune dans leurs avantures, & dans tous les accidens de leur vie.

Les écrits, les succès, & l'exemple de Ciceron, sembloient devoir promettre à l'éloquence romaine une durée éternelle ; il en arriva néanmoins tout autrement. En vain donna-t-il les plus excellens préceptes pour fixer le goût, il les donna dans un tems où le barreau ébranlé par l'anarchie du gouvernement, touchoit à sa décrépitude.

Les Romains avoient déja éprouvé les atteintes de l'esclavage ; la liberté en avoit été allarmée par la forge des fers de Sylla. Le corps de la république chanceloit comme un vaste colosse accablé sous le poids de sa grandeur. Les grands attachés à leur seul intérêt, trahissoient le sénat. Le sénat énervé par sa timidité, confioit à des particuliers redoutables, des droits qu'il n'osoit pas leur refuser. Les tribuns s'efforçoient vainement de rétablir leur puissance anéantie. Le peuple vendoit ses suffrages au plus hardi, au plus fort, ou au plus riche. Rome terrible aux barbares, n'avoit plus dans son sein que des citoyens corrompus, avides de la domination suprême, & ennemis de sa liberté. La flatterie, la dépravation des moeurs, la servitude avoient gagné tous les membres de l'état. Enfin la solidité & la magnificence de l'éloquence romaine descendirent dans le même tombeau que Ciceron. Après lui le barreau ne retentit plus que des clameurs des sophistes, qui désespérés de ne pouvoir atteindre un si grand maître, déchirerent une réputation qui ternissoit la leur, & firent tous leurs efforts pour en effacer le souvenir ; c'est ainsi que par leur odieuse critique ils vinrent à bout d'avilir l'éloquence, & de l'éteindre sans retour. Mais développons toutes les causes de ce changement.

1°. Les empereurs eux-mêmes, sans posséder le génie de l'éloquence, étoient jaloux d'obtenir le premier rang parmi les orateurs. Lorsque Tibere apportoit au sénat quelque discours préparé dans son cabinet, on n'y reconnoissoit que les ténébres & les replis tortueux de sa politique. Il découvroit dans ses lettres la même inquiétude que dans le maniement des affaires ; il vouloit que ses paroles fussent comme les mysteres de l'oracle, & que les hommes en devinassent le sens, comme on conjecture la volonté des dieux. Il craignoit de profaner sa dignité & de découvrir sa tyrannie, en se montrant trop à découvert. Il relegua Montanus aux îles Baléares, & fit brûler le discours de Scaurus & les écrits de Crémutius Cordus. Caligula pensa faire périr Sénéque, parce qu'il avoit prononcé en sa présence un plaidoyer qui mérita les applaudissemens du sénat. Sans une de ses maîtresses, qui assura que cet orateur avoit une phthisie qui le meneroit bientôt au tombeau, il alloit le condamner à mort.

2°. Il falloit penser comme eux pour parvenir à la fortune, ou pour la conserver ; parce qu'ils s'étoient reservé de donner le titre d'éloquent à celui des orateurs qu'ils en jugeroient le plus digne, comme autrefois les censeurs nommoient le prince du sénat.

3°. La grandeur de l'éloquence romaine avoit pour fondement la liberté, & s'étoit formée avec l'esprit républicain ; une force de courage & une fermeté héroïque étoit le propre de ces beaux siecles. Tout étoit grand parce qu'on pensoit sans contrainte. Sous les Césars il fallut changer de ton, parce que tout leur étoit suspect & leur portoit ombrage. Crémutius Cordus fut accusé d'avoir loué Brutus dans ses histoires, & d'avoir appellé Cassius le dernier des Romains.

4°. Le mérite sans richesses étoit abandonné : un orateur pauvre n'avoit aucune considération, & restoit sans cause : un plaideur examinoit la magnificence de celui qu'il avoit dessein de choisir pour avocat, la richesse de ses habits, de son train, de ses équipages ; il comptoit le nombre de ses domestiques & de ses clients. Il falloit imposer par des dehors pompeux, & s'annoncer par un fastueux appareil, rara in tenui facundia panno ; c'est ce qui obligeoit les orateurs de surprendre des testamens, ou d'emprunter des habillemens, des bijoux, des équipages pour paroître avec plus d'éclat.

5°. Le bel esprit avoit pris la place d'une noble & solide érudition, & une fausse philosophie avoit succédé à la sage raison. Le style éclatant & sonore des vains déclamateurs, imposoit à une jeunesse oisive, & éblouissoit un peuple entierement livré au goût des spectacles. Il falloit du brillant, du pompeux pour réveiller des hommes affadis par le plaisir & par le luxe. Sénéque plaisoit à ces esprits gâtés à cause de ses défauts, & chacun tâchoit de l'imiter dans la partie qui lui plaisoit davantage : on quittoit, on méprisoit même les anciens, pour ne lire & n'admirer que Sénéque.

6°. Les juges ennuyés d'une profession qui devenoit pour eux un supplice depuis la monarchie, vouloient être divertis comme au théâtre : voilà pourquoi les orateurs romains ne cherchoient plus qu'à amuser, qu'à réjouir par des figures hyperboliques, par des termes ampoulés, par des réparties ingénieuses, & par un déluge de bons mots. Junius Bassus répondit à l'avocat de Domitia qui lui reprochoit d'avoir vendu de vieux souliers : " je ne m'en suis jamais vanté, mais j'ai dit que c'étoit votre coutume d'en acheter ".

7°. Le nom respectable d'orateur étoit perdu ; on les nommoit causidici, advocati, patroni, tant ils étoient tombés dans le mépris. L'éloquence étoit même regardée comme une partie de la servitude. Agricola pour humaniser les peuples de la Grande-Bretagne, leur communiqua les arts & les sciences des Romains, & instruisit leur noblesse dans l'éloquence romaine. Les gens peu habiles, dit Tacite, regardoient cet avilissement de l'éloquence comme des traits d'humanité, pendant que c'étoit une suite de leur esclavage.

8°. Les mêmes chaînes qui accabloient la république, opprimoient aussi le talent de la parole. Avant les dictateurs, l'orateur pouvoit occuper toute une séance, le tems n'étoit pas fixé ; il étoit le maître de sa matiere & parloit sans aucune contrainte. Pompée viola le premier cette liberté du barreau, & mit comme un frein à l'éloquence. Sous les empereurs la servitude devint encore plus dure ; on fixoit le jour, le nombre des avocats, & la maniere de parler. Il falloit attendre la commodité du juge pour plaider : souvent il imposoit silence au milieu d'un plaidoyer, & quelquefois il obligeoit l'orateur de laisser ses preuves par écrit. Enfin pour mieux marquer leur asservissement, on les dépouilla de la toge, & on les revêtit de l'habit des esclaves.

9°. Ainsi l'éloquence abâtardie, privée de ses nobles exercices disparut sans retour. Les grands sujets qui firent triompher Antoine, Crassus, Ciceron, ne subsistoient plus. Le sénat étoit sans autorité, le peuple sans émulation. Le tribun n'osoit plus parler de sa liberté, ni le consul étaler son ambition. On ne louoit plus de héros ni de vainqueur, & on ne présentoit plus à la tribune aux harangues les enfans des grands capitaines ; on n'y discutoit plus ses prétentions ; on ne recommandoit plus des rois malheureux ni des républiques opprimées. Les altercations de quelques vifs plaideurs, & la défense de quelques misérables, étoient les sujets que traitoient ordinairement les orateurs, ils ne plaidoient plus que sur des rapines des chevaliers, des droits de péagers, des testamens, des servitudes, & des gouttieres. Quelle ressource pour l'imagination & pour le génie, que de n'avoir à parler que de vol, d'usurpation, de succession, de partage, de formalités ? Mais de quel feu n'est-on pas animé quand on attaque des guerriers chargés des dépouilles des ennemis vaincus, quand on brigue la souveraine magistrature de son pays, quand on s'éleve contre l'ambition désordonnée d'un corps formidable, quand on souleve un peuple qui commande à l'univers, qu'on réforme les lois, qu'on soutient les alliés ? C'est alors qu'on déploie toutes ses forces, que l'esprit devient créateur, & que l'éloquence prend tout son essor. Un génie sublime ne peut s'étendre qu'à proportion de son objet. Les héros ne se forment pas à l'ombre, ni l'orateur dans la poussiere d'un greffe.

10°. Quels sentimens n'inspiroit point à un orateur, dans le tems que la république subsistoit, la vûe d'un peuple entier qui distribuoit les graces & les honneurs ; d'un sénat qui formoit les conseils, & dirigeoit le plan des conquêtes ; d'une foule de consulaires illustrés par vingt triomphes ; d'une multitude de cliens qui composoient son cortege ; d'une suite nombreuse d'ambassadeurs, de rois, de souverains, d'étrangers qui imploroient sa protection. L'homme le plus froid ne seroit-il point échauffé à la vûe d'un spectacle aussi auguste ? Sous les empereurs quelle solitude dans les tribunaux, & quels gens les composoient ?

Cependant après l'extinction des premiers Césars, sous le regne de Vespasien & celui de Trajan, deux orateurs vinrent encore lutter contre le mauvais goût de leur siecle, & rappeller l'éloquence des anciens ; ce furent Quintilien, & Pline le jeune. Traçons leur caractere en deux mots, & cet article sera fini.

Le premier brilloit par une grande netteté, par un esprit d'ordre, & par l'art singulier d'émouvoir les passions : on le chargeoit pour l'ordinaire du soin d'exposer le fait, quand on distribuoit les différentes parties d'une cause à différens orateurs. On le voyoit souvent en plaidant verser des larmes, changer de visage, pâlir, & donner toutes les marques d'une vive & sincere douleur. Il avoue que c'est à ce talent qu'il doit toute sa réputation. Il étoit comme l'avocat né des souverains ; il eut l'honneur de parler devant la reine Bérénice pour les intérêts de cette princesse même. Non-content d'instruire par son exemple, & de marquer du doigt la route de l'éloquence, il voulut aussi en fixer les principes par ses leçons, & verser dans l'esprit des jeunes patriciens qui aspiroient à la gloire du barreau, & consultoient ses lumieres, le goût solide des anciens maîtres.

Ses institutions, monument éternel de la beauté de son génie, peuvent nous donner une idée de ses talens & de ses moeurs : c'est-là où au défaut de ses pieces que les injures du tems n'ont pas laissé parvenir jusqu'à nous, il nous trace avec une franchise & une modestie qui lui étoit naturelle, le plan de la méthode qu'il suivoit dans ses narrations & ses peroraisons. Cependant il y a tout lieu de soupçonner, que pour obéir à la coutume qu'il avoit trouvée établie, & pour donner quelque chose au goût de son siecle, il employoit des armes brillantes, & ne rejettoit pas toujours les pensées fleuries, les antithèses, & les pointes. Loin de réprouver totalement la déclamation, qui comme chez les Grecs, ruina l'éloquence latine ; il la juge très-utile. Il est vrai qu'il lui prescrit des bornes étroites, & qu'il ne s'y soumet que par condescendance : mais enfin, auroit-il été entendu, s'il eût tenu un langage différent ? Il faut parler la langue de ses auditeurs, & prendre en quelque sorte leur esprit, pour les persuader & les convaincre. Les hommes, soit que ce soit un don de la nature, soit que ce soit un préjugé de l'éducation, n'approuvent ordinairement que ce qu'ils trouvent dans eux-mêmes.

Pline le jeune s'étoit proposé pour modele Démosthènes & Calvus ; il chérissoit une éloquence impétueuse, abondante, étendue, mais égayée par des fleurs autant que la matiere le permettoit ; il vouloit être grave, & non pas chagrin ; il aimoit à frapper avec magnificence ; il n'aimoit pas moins à surprendre la raison par des agrémens étudiés, que de l'accabler par le poids de ses foudres. Les armes brillantes étoient autant de son goût, que celles qui ont de la force : poli, humain, tendre, enjoué, droit, grand, noble, brillant ; son esprit avoit le même caractere que son coeur. Sa composition tenoit comme le milieu entre le siecle de Ciceron, & celui de Séneque ; ensorte qu'il auroit plû dans le premier, comme il plaisoit dans le second. Son plaidoyer pour les peuples de la Bétique, & pour Accia Variola, montre toute la fermeté de son courage, & tout le beau de son génie. Ses conclusions furent modestes, & firent admirer par-là l'équité des premiers siecles.

Mais dans son panégyrique de Trajan, il prodigua trop toutes les fleurs de son esprit, affectant sans cesse des antithèses & des tours recherchés. Les richesses de l'imagination, la pompe des descriptions, y sont étalées sans mesure ; & cette abondance excessive répand sur le tribut de justes louanges, que la reconnoissance exigeoit, le dégoût qu'inspire la flatterie. Quelle beauté dans les éloges que Ciceron fait de Pompée & de César ! Tout le barreau retentit de bruyantes acclamations. Que de fadeur dans le panégyrique de Trajan ! Il choque par l'excès de ses louanges, & fatigue par sa prolixité.

Malgré ces défauts de Pline, qui étoient ceux de son siecle, plus d'une fois cet orateur admirable à plusieurs autres égards, eut la satisfaction de ne pouvoir parvenir qu'avec peine au barreau, tant étoit grande la foule des personnes qui venoient l'entendre plaider. Souvent même il étoit obligé de passer au-travers du tribunal des juges, pour arriver à sa place. A sa suite marchoit une troupe choisie de jeunes avocats de famille, en qui il avoit remarqué des talens ; il se faisoit un plaisir de les produire, & de les couvrir de ses propres lauriers. L'amour de la patrie, un noble désintéressement, une protection déclarée pour la vertu & pour les Sciences, un coeur généreux & magnanime ; ses vertus, ses bienfaits, sa fidélité à ses devoirs, sa bonté pour les peuples, son attachement aux gens de Lettres, le rendirent précieux & aimable à tout le monde. Il étoit l'admiration des Philosophes, & les délices de ses concitoyens. Goûté, estimé, & respecté, il régnoit au barreau en maître, & il commandoit en pere dans les provinces. Il fut le dernier orateur romain, & malgré ses soins & son attention, il n'eut point d'imitateurs. Plus Rome vieillissoit, plus la chûte de l'éloquence étoit sans remede.

Je sais bien qu'après le siecle heureux de Trajan, on vit encore quelques empereurs qui tâcherent de la ranimer par leur voix, & par leur générosité ; mais malheureusement le goût de ces princes étoit mauvais, & leur politique incertaine. Adrien, successeur immédiat de Trajan, n'aimoit que l'extraordinaire & le bizarre : esprit romancier, il couroit après le faux, & après l'hyperbole. Antonin le philosophe, transporté de l'enthousiasme du portique, n'avoit de considération que pour des philosophes & des jurisconsultes, & ne s'attachoit qu'aux Grecs. Enfin, leurs établissemens n'avoient aucune stabilité. Comme un empereur n'héritoit point du diadême, qu'il le tenoit de la fortune, de sa politique, de son argent, & de ses violences, il effaçoit jusqu'aux vestiges des graces de son devancier. Des savans placés à côté du trône sous un regne, se voyoient contraints sous un autre de mendier dans les places les moyens de subsister. Les Sciences chancelantes comme l'état, essuyoient les mêmes revers.

Ainsi dégénéra, & finit avant l'empire l'éloquence romaine : arrachée de son élément, c'est-à-dire, privée de la liberté, & asservie au caprice des grands, elle s'affoiblit tout-d'un-coup ; & après quelques efforts impuissans qui montroient plutôt un véritable épuisement qu'un fonds solide, elle s'ensevelit dans l'oubli ; semblable à un grand fleuve qui s'étend au loin dès sa source, s'avance d'un pas majestueux à l'approche des grandes villes, & va se perdre avec fracas dans l'immense abîme des mers. (D.J.)

ORATEUR, (Hist. mod.) dans le parlement d'Angleterre, c'est dans la chambre des communes le président, le modérateur. Il est élu à la pluralité des voix ; c'est lui qui expose les affaires ; on porte devant lui une masse d'or couronnée.


ORATOIRES. m. (Hist. ecclésiast.) petit édifice, ou partie d'édifice dans une grande maison près de la chambre à coucher, & consacré à la priere en particulier. L'oratoire d'une maison differe de la chapelle, en ce que la chapelle a un autel où l'on célebre les saints mysteres ; au lieu que l'oratoire n'a point un pareil autel ; car quoiqu'il y ait une table en forme d'autel, on n'y célebre point.

On commença à appeller oratoire, les petites chapelles qui étoient jointes aux monasteres, où les moines faisoient leurs prieres, avant qu'ils eussent des églises. Ce mot a passé depuis aux autels, ou chapelles qui étoient dans les maisons particulieres, & même aux chapelles bâties à la campagne qui n'avoient point droit de paroisse.

Dans le vj. & vij. siecle, un oratoire étoit une espece de chapelle placée souvent dans les cimetieres, & qui n'avoit ni baptistaire comme les églises titulaires, ni office public, ni prêtre cardinal. L'évêque y envoyoit un prêtre quand il jugeoit à propos d'y faire célébrer la messe ; cependant quelques oratoires avoient un prêtre cardinal pour y célébrer la messe quand le fondateur le desiroit, ou quand le concours des fideles le demandoit ; c'étoit comme de moindres titres. Enfin, il y avoit déja dans ce tems-là comme à présent des oratoires chez les hermites, & dans les maisons particulieres. Le conciliabule de Constantinople, tenu en 861 par Photius, défend de célébrer la liturgie, & de baptiser dans les oratoires domestiques.

On voit en France beaucoup de bourgs & de villages du nom d'Oroir, Oroair, Ozouer, Orouer, Aurouer, Oradour, qui prennent leur nom & leur origine de quelques oratoires de religieux retirés dans des hermitages de la campagne voisine. (D.J.)

ORATOIRE DES HEBREUX, (Critique sacrée) voyez PROSEUCHE.

ORATOIRE, (Hist. des congrég.) titre d'une congrégation particuliere d'ecclésiastiques, instituée en France par le cardinal de Bérulle, sur le modele de celle de Rome, qui a été établie par Philippe Néri florentin, sous le titre de l'oratoire de sainte Marie en la Vaticelle.

Il y a néanmoins cette différence entre la congrégation des peres de l'oratoire de Rome & celle de France, que la premiere n'a été fondée que pour la seule maison de Rome, sans se charger du gouvernement d'aucune autre maison ; au lieu que celle de France renferme plusieurs maisons qui dépendent d'un chef, lequel prend la qualité de supérieur général, & gouverne avec trois assistans toute cette congrégation.

Le cardinal de Bérulle obtint des lettres patentes de Louis XIII. datées du mois de Décembre 1611, & enregistrées au parlement de Paris, le 4 Décembre 1612, avec cette clause : " à la charge de rapporter dans trois mois le consentement de l'évêque, auquel ils demeureront sujets ".

M. de Bérulle desirant de répandre sa congrégation en France, obtint à cet effet en 1613, une bulle du pape Paul V. en conséquence de laquelle la congrégation de l'oratoire s'étendit en peu de tems en plusieurs villes du royaume.

Ces peres sont différens de tous les ordres religieux ; leur congrégation est la seule où les voeux sont inconnus, & où n'habite point le repentir. C'est une retraite toujours volontaire aux dépens de la maison ; on y jouit de la liberté qui convient à des hommes ; la superstition & les petitesses n'y deshonorent guere la vertu ; leur général demeure en France, idée si convenable à tous les ordres de l'Eglise ; leurs ouvrages méritent généralement des éloges. Enfin, respectables à tous égards, ils deviendroient encore plus utiles au public, si leurs religieux s'appliquoient aux fonctions des colléges, des séminaires, & des hôpitaux. (D.J.)

ORATOIRE, harmonie, (Elocut.) l'harmonie oratoire est l'accord des sons avec les choses signifiées. Elle consiste en deux points : 1°. dans la convenance & le rapport des sons, des syllabes, des mots, avec les objets qu'ils expriment : 2°. dans la convenance du style avec le sujet. La premiere est l'accord des parties de l'expression avec les parties des choses exprimées. La seconde est l'accord du tout avec le tout.

L'harmonie des syllabes, des mots avec les objets qu'ils expriment, se fait par des sons imitatifs. On retrouve ces sons imitatifs dans toutes les langues : c'est ainsi qu'on dit en françois, gronder, murmurer, tonner, siffler, gazouiller, claquer, briller, piquer, lancer, bourdonner, &c. L'imitation musicale saisit d'abord les objets qui font bruit, parce que le son est ce qu'il y a de plus aisé à imiter par le son ; ensuite ceux qui sont en mouvement, parce que les sons marchant à leur maniere, ont pu, par cette maniere, exprimer la marche des objets. Enfin, dans la configuration même & la couleur, qui paroissoient ne point donner prise à l'imitation musicale, l'imagination a trouvé des rapports analogiques avec le grave, l'aigu, la durée, la lenteur, la vîtesse, la douceur, la dureté, la légéreté, la pesanteur, la grandeur, la petitesse, le mouvement, le repos, &c. La joie dilate, la crainte rétrécit, l'espérance souleve, la douleur abat : le bleu est doux, le rouge est vif, le verd est gai ; desorte que, par ce moyen, & à l'aide de l'imagination, qui se prête volontiers en pareil cas, presque toute la nature a pu être imitée plus ou moins, & représentée par les sons. Concluons de là que le premier principe pour l'harmonie est d'employer des mots ou des phrases, qui renferment par leur douceur ou par leur dureté, leur lenteur ou leur vîtesse, l'expression imitative qui peut être dans les sons. Les grands Poëtes & les Orateurs ont toujours suivi cette regle.

Pour sentir tout l'effet de cette harmonie, qu'on suppose les mêmes sons dans des mots qui exprimeroient des objets différens : elle y paroîtra aussi déplacée, que si on s'avisoit de donner au mot siffler la signification de celui de tonner, ou celle d'éclater à celui de soupirer : & ainsi des autres.

De même que tous les objets qui sont liés entr'eux dans l'esprit, le sont par un certain caractere de conformité ou d'opposition qu'il y a dans quelqu'une de leurs faces ; de même aussi les phrases qui représentent la liaison de ces idées, doivent en porter le caractere. Il y a des phrases plus douces, plus légeres, plus harmonieuses, selon la place qu'on leur a donnée, selon la maniere dont on les a ajustées entr'elles. Quelque fine que paroisse cette harmonie, elle produit un charme réel dans la composition, & un écrivain qui a de l'oreille ne la néglige pas. Ciceron y est exact autant que qui que ce soit : Etsi homini nihil est magis optandum, quam prospera, aequabilis perpetuaque fortuna, secundo vitae, sine ullâ offensione, cursu : tamen si mihi tranquilla & placata omnia fuissent, incredibili quâdam & penè divinâ, quâ nunc vestro beneficio fruor, laetitiae voluptate caruissem. Toute cette période est d'une douceur admirable ; nul choc désagréable de consonnes, beaucoup de voyelles, un mouvement paisible & continu que rien n'interrompt, & qui semble aidé & entretenu par tous les sons qui le remplissent.

La seconde espece d'harmonie oratoire est celle du ton général de l'orateur, avec le sujet pris dans sa totalité. L'essentiel est donc de bien connoître le sujet qu'on traite, d'en sentir le caractere & l'étendue ; cela fait, il faut lui donner les pensées, les mots, les tours & les phrases qui lui conviennent. Cours de Belles-Lettres, tome IV. (D.J.)

ORATOIRE, s. m. oratorio, en musique ; c'est une espece de drame en latin ou en langue vulgaire, divisé par scenes, à l'imitation des pieces de théâtre, mais qui roule toujours sur des sujets pris de la religion, & qu'on met en musique pour être exécuté dans quelque église durant le carême, ou en d'autres tems. Cet usage, assez commun en Italie, n'est pas admis en France, où l'on ne trouve pas que la composition de ces pieces soit convenable à la majesté du lieu destiné à leur exécution. (S)


ORATORIENS. m. qui est de la congrégation de l'oratoire. Voyez ORATOIRE, congrégation.


ORAXIMONTAGNE D '(Géogr.) ce sont les plus hautes qui soient au Japon ; elles sont situées dans le royaume d'Achita, le plus septentrional de l'île de Niphon. (D.J.)


ORBES. m. se dit, dans l'Astronomie ancienne, d'un corps ou espace sphérique terminé par deux surfaces, l'une convexe, qui est en-dehors, l'autre concave, qui est en-dedans. Voyez SPHERE.

Les anciens Astronomes regardoient les cieux comme composés de différens orbes très-vastes, de couleur d'azur, & transparens, qui étoient renfermés les uns dans les autres ; ou bien comme un assemblage de grands cercles, au-dedans desquels étoient renfermés les corps des planetes, & dont les rayons s'étendoient depuis le centre de la terre, qu'ils regardoient comme celui du monde, jusqu'à la plus grande distance où la planete pouvoit s'en éloigner. Voyez CIEL.

Le grand orbe, orbis magnus, est celui où l'on suppose que le soleil se meut, ou plutôt dans lequel la terre fait sa révolution annuelle. Voyez ORBITE.

Dans l'Astronomie moderne, l'orbe d'une planete est la même chose que son orbite. Voyez ORBITE.

ORBE, L '(Géog.) riviere de France dans le bas-Languedoc. Elle a sa source au nord de la ville de Lodeve, sur la frontiere de Rouergue, passe à Beziers, & se jette enfin dans le golfe de Lyon, par le Grau de Sérignan. (D.J.)

ORBE, L '(Géog.) riviere de Suisse, selon Scheuchzer. Elle est dans le mont Jura entre la Franche-Comté & le pays de Vaud ; en sortant de sa source, qui est en Suisse, elle entre dans le lac des Rousses, en sort ensuite pour porter ses eaux dans le lac de Joux, qui finalement se perd dans la terre. (D.J.)

ORBE, (Géog.) ancienne ville de Suisse au pays de Vaud, capitale d'un bailliage, dont la souveraineté est partagée entre les cantons de Berne & de Fribourg. Elle est à deux lieues du mont Jura, sur la riviere d'Orbe, à 16 lieues S. O. de Berne, 11 S. O. de Fribourg. Long. 24. 22. lat. 46. 42.

Quelques auteurs croient qu'Orbe étoit la capitale du canton nommé Pagus Urbigenus. Quoiqu'il en soit, cette ville a été florissante sous l'ancienne monarchie des Francs. Les rois de la premiere & de la seconde race y avoient un palais, où ils alloient quelquefois passer le tems. Toute cette ville est de la confession helvétique.

Le bailliage est un des treize du pays Romand, & s'avance vers le midi, jusqu'à 2 petites lieues audessus de Lausanne. Il fait avec celui de Granson 17 à 18 paroisses.

Viret (Pierre), fameux ministre calviniste, naquit dans la ville d'Orbe en 1511. Il fit ses études à Paris, & s'y lia d'une étroite amitié avec Farel. Il mourut à Pau en 1571, après avoir écrit divers ouvrages qui ne sont plus recherchés. (D.J.)


ORBEGAL 'ou L 'ORBEGO, (Géog.) riviere d'Espagne au royaume de Léon. Elle a deux sources dans les montagnes qui sont au couchant septentrional de Léon, & finit par tomber dans le Tage à San-Jago, au-dessous de Zamora.


ORBELUS(Géog. anc.) montagne au nord de la Macédoine, entre l'Axius, au couchant, & le Strymon au levant, à l'O. d'Uscopia. Ptolomée, l. III. c. ix. Hérodote, l. V. c. xvij. & l'abréviateur de Strabon parlent de ces montagnes. Elles sont aujourd'hui pour la plus grande partie dans la Servie. Les rivieres de Morava, de l'Iperitza, & de l'Ietniza y prennent leurs sources. Le nom moderne de l'Orbelus est, selon Lazius, Karopnitze. (D.J.)


ORBICULAIREadj. (Gram.) qui a la figure d'un orbe, d'une sphere.

ORBICULAIRE, en Anat. se dit des parties qui ont quelque rapport avec une figure plus ou moins approchante du cercle.

L'orbiculaire des levres, muscle propre des levres. Voyez nos Pl. d'Anat. & leur explic. Voyez aussi l'article LEVRE.

Ses fibres sont une espece d'anneau autour de la bouche, d'où on l'appelle orbiculaire.

La plûpart des auteurs veulent que ce ne soit qu'un muscle, & qu'il soit du genre des sphincters, quoique le docteur Drake pense que c'est improprement ; en ce qu'il n'est pas dans une action continuelle, comme les sphincters ; mais que son mouvement dépend de la volonté, marque distinctive entre un sphincter & un autre muscle. Voyez SPHINCTER.

Verheyen, au contraire, ne veut pas que ce soit un seul muscle, mais une paire de muscles, dont les fibres se rencontrent, & se joignent aux deux coins de la bouche, agissant chacun séparément, quoiqu'en même tems sur chaque levre.

L'orbiculaire des paupieres ; il vient de l'apophyse montante de l'os maxillaire à côté du grand angle de l'oeil, & environne chaque paupiere par ses fibres circulaires placées les unes à côté des autres.

L'os orbiculaire est le plus petit de tous les os du corps humain, semblable à une graine de laitue ; il est situé entre la tête de l'étrier & la longue jambe de l'enclume.


ORBICULO-CILIAIREen Anatomie, nom d'un ceintre blanc formé par l'union de la choroïde à la cornée, & que M. Winslow appelle ligament ciliaire. Voyez CHOROÏDE & CORNEE.


ORBILLIONSvoyez COURSON.


ORBISvoyez POISSON ROND.

ORBIS EPINEUX, voyez POISSON ARME.

ORBIS, (Littérat. Géog.) les significations de ce mot latin se rapportent toutes à la principale ; savoir, la rondeur. Comme la ligne que les planetes décrivent dans le ciel à notre égard, est circulaire, Cicéron appelle orbis signifer le zodiaque, & orbis astrorum, le mouvement des astres ; de même comme le globe de la terre & de l'eau est supposé une masse approchante de la ronde, les Latins l'ont exprimé par le mot orbis, ou par ceux-ci orbis terrarum. Dans le style géographique & astronomique, l'orbe de la terre, l'orbe du soleil, l'orbe de la lune, expriment le contour, la circonférence de ces corps. Enfin les Géographes qui écrivent en latin, appellent orbis vetus l'hémisphere que nous habitons, tel qu'il a été connu des anciens ; & orbis novus l'hémisphere où est l'Amérique ; nous disons en françois l'ancien-monde, & le nouveau-monde. (D.J.)


ORBITAIRESen Anatomie ; sont des cavités différentes relatives aux orbites. Voyez ORBITES.

Les sinus orbitaires de la dure-mere. Voyez SINUS & DURE-MERE.


ORBITES. f. se dit dans l'Astronomie du chemin d'une planete ou d'une comete, c'est-à-dire de la ligne qu'elle décrit dans les cieux par son mouvement propre. Voyez PLANETE.

L'orbite du Soleil ou plutôt de la Terre, est la courbe que la Terre décrit dans sa révolution annuelle ; on l'appelle ordinairement écliptique. Voyez ÉCLIPTIQUE.

L'orbite de la Terre & celles de toutes les planetes premieres sont des ellipses, dont le soleil occupe le foyer commun : chaque planete se meut dans son ellipse, de maniere que son rayon vecteur, c'est-à-dire le rayon qu'on peut tirer continuellement d'elle au Soleil, décrit des aires ou secteurs proportionnels au tems. Voyez TERRE, SOLEIL, &c.

Les anciens Astronomes supposoient que les planetes se mouvoient dans des orbites circulaires avec une vîtesse uniforme. Copernic lui-même regardoit comme une chose impossible que cela fût autrement : Fieri nequit, dit-il, ut coeleste corpus simplex uno orbe inaequaliter moveatur. Aussi, pour expliquer les inégalités du mouvement des planetes, les anciens étoient obligés d'avoir recours à des épicycles & à des excentriques ; embarras dont Copernic lui-même n'a pas su trop bien se démêler. Voyez éPICYCLE.

On est demeuré constant dans l'opinion que les astres se mouvoient dans des cercles, parce qu'on ne pouvoit s'imaginer que les mouvemens des astres fussent sujets à aucune inégalité réelle.

Mais après Copernic vinrent des astronomes qui, avec autant de génie & un peu plus de physique, ne tarderent pas à changer ces orbes circulaires en orbes elliptiques, & à supposer que les planetes se mouvoient dans ces ellipses avec une vîtesse qui n'étoit pas uniforme.

C'est ce que Kepler a démontré le premier d'après les observations de Tycho-Brahé. Il a fait voir que les mouvemens des planetes n'étoient point exempts d'inégalité réelle ; que la Terre, par exemple, lorsqu'elle est à sa plus petite distance du Soleil, se meut réellement plus vîte que quand elle est à sa plus grande distance de cet astre, & que sa vîtesse apparente est à-peu-près en raison inverse du quarré de sa distance au Soleil, ou, ce qui revient au même, du quarré du diametre apparent du Soleil, d'où il s'ensuit par les principes de la Géométrie, que la planete décrit autour du Soleil des aires proportionnelles aux tems.

Il y a eu deux especes d'ellipses qu'on a fait décrire aux planetes. Les premieres sont celles de Kepler, qui ne sont autre chose que l'ellipse ordinaire ; Sethus Wardus a cru que l'on pourroit y substituer des orbites circulaires, en prenant deux points à égale distance du centre, qui représentassent les foyers. Cette supposition est démentie par les observations ; & il faut avouer que Wardus ne l'a donnée que comme une conjecture. La seconde espece d'ellipse est celle de M. Cassini, dont la propriété consiste en ce que le produit de deux lignes tirées d'un même point de la circonférence aux deux foyers, est toujours la même ; au lieu que dans l'ellipse ordinaire, c'est la somme de ces lignes qui est constante, & non pas le produit.

Comme cette ellipse de M. Cassini ne paroît guere s'accorder avec les observations, il est assez singulier qu'il en ait fait l'orbite des planetes ; & on ne voit point par quelle raison il y a été porté. Cependant, si on veut faire là-dessus quelques conjectures, on peut croire que ce fut parce qu'il imagina que le mouvement des planetes, dans cette ellipse, seroit plus aisé à calculer, que dans l'ellipse ordinaire. Ceci a besoin d'un peu plus d'explication ; on la trouvera au mot ELLIPSE de M. Cassini.

Le demi-diametre de l'orbite terrestre est d'environ 11000 diametres de la Terre, ou de 33 millions de lieues, & le demi-diametre de l'orbite de Saturne est environ dix fois plus grand.

Au reste, les Astronomes ne sont point d'accord sur la grandeur précise du diametre de l'orbite terrestre ; cette grandeur dépend de la parallaxe du Soleil, sur laquelle ils varient beaucoup. Voyez PARALLAXE.

Les orbites des planetes ne sont point toutes dans le plan de l'écliptique, c'est-à-dire dans le même plan que l'orbite de la Terre ; mais elles sont différemment inclinées par rapport à l'écliptique, & entr'elles : néanmoins le plan de chaque orbite a pour commune section avec l'écliptique, une ligne droite qui passe par le Soleil. Voyez NOEUD.

Voici à peu-près la quantité dont les orbites des planetes premieres sont inclinées au plan de l'écliptique : l'orbite de Saturne, de 2 degrés 1/2 ; l'orbite de Jupiter, de 1 degré 20'; celle de Mars, d'environ 2 degrés, celle de Vénus, d'un peu plus de 3 degrés 20 minutes ; celle de Mercure, d'un peu plus de 7 degrés. Voyez SATURNE, MARS, VENUS, &c.

L'orbite des cometes, selon M. Cassini, est une ligne droite ; mais M. Halley a fait voir, d'après la théorie de M. Newton, que c'étoit toujours une parabole, ou au moins une ellipse fort allongée, dont le Soleil occupoit le foyer. En effet, calculant le mouvement d'une comete dans une parabole, ou dans une ellipse fort allongée, au foyer de laquelle soit placé le Soleil, on trouve que ce mouvement répond très-bien aux observations. Voyez COMETE, Chambers. (O)

ORBITES, en Anatomie, sont deux grandes cavités situées aux parties latérales du nez, dans lesquelles les yeux sont placés. Voyez aussi OEIL.

Elles sont de figure pyramidale, & formées par le concours de sept os, dont trois, le coronal, l'os maxillaire & l'os de la pomette les limitent extérieurement ; quatre autres, l'os unguis, le sphénoïde, l'ethmoïde & l'os du palais en achevent le fond. Voyez CORONAL, MAXILLAIRE, &c.

Ces os, par leur rencontre, font voir dans l'orbite différentes cavités, dont les unes sont simples, c'est-à-dire, appartiennent à un os seul, telles que la fente orbitaire supérieure, le trou optique qui est percé dans le sphénoïde, le trou sourcilier ou orbitaire supérieur ; cet enfoncement dans le coronal qui répond à l'angle extérieur, où est placé la glande lacrymale, le trou orbitaire inférieur antérieur, & le postérieur qui sont les orifices d'un canal dans l'os maxillaire, le conduit lacrymal formé par l'union de l'os unguis avec l'apophyse montante de l'os maxillaire, le trou orbitaire interne par l'union du bord supérieur de l'os ethmoïde avec le coronal, la fente spheno-maxillaire ou orbitaire inférieure, par l'union de l'os sphénoïde avec l'os maxillaire, & l'os du palais. Voyez CAVITE, &c.


ORBITELLO(Géog.) ville forte d'Italie en Toscane, dans le Siennois, au milieu d'un étang salé, près de la riviere d'Albengia & de la mer, avec un fort, à 23 lieues S. O. de Sienne, 34 S. O. de Florence. Long. 28. 45. lat. 42. 28.

Cette ville, ou, comme Léandre l'appelle, Castello, n'a été bâtie qu'en 1210. L'empereur s'en rendit maître en 1735, & l'a depuis cédée à l'infant dom Carlos.


ORBONA(Mythol.) déesse qui étoit invoquée chez les Romains par les peres & meres, pour garantir leurs enfans de sa colere, ne inciderent in orbitatem, du verbe orbare, priver de la vie. D'autres disent que cette déesse étoit la protectrice des orphelins, appellés en latin orbi, ou orbati parentibus. Quoiqu'il en soit, elle avoit un autel à Rome, près du temple des Lares. (D.J.)

ORCA, (Hist. nat.) nom d'une pierre dont parle Pline, mêlée de noir, de jaune, de blanc & de verd. Voyez Plinii hist. nat. lib. XXXVII. cap. x.

ORCA, s. f. (Hist. anc.) vase de terre à deux anses, où l'on faisoit saler le lard, & où l'on gardoit des figues, du vin. L'orca étoit plus grande que l'amphora, mais on ignore de combien. Orca étoit encore le cornet à jouer aux dez.

ORCA, voyez éPAULARD.


ORBONNAS. f. (Myth.) déesse qui veilloit à ce que les enfans ne fussent point enlevés.


ORCADES LES(Géog.) îles au nord de l'île d'Albion, pour parler comme les anciens, & pour m'exprimer avec les géographes modernes, au nord de l'Ecosse. Pomponius Mela, liv. III. ch. vj. & Pline, liv. IV. ch. xvj. s'accordent à dire qu'elles ne sont séparées que par de petits détroits ; mais ils ne s'accordent pas pour le nombre. Mela en compte trente, Pline quarante, & les modernes n'en mettent au plus que vingt-huit. Les Anglois les nomment les îles d'Orknay. Leur situation est au 22 degré 11 minutes de longitude, & à 59 degrés 2'. de latitude.

Elles sont séparées de l'Ecosse par un détroit nommé Pentland-firth, qui a 24 milles de longueur, 12 milles en largeur, & est plein de gouffres fort dangereux.

Les habitans de ces îles sont généralement vigoureux, robustes & bien faits. Leur commerce consiste en poissons, en boeufs, porc salé, beurre, cuirs, peaux, étoffes, sel, laine, jambons, grains germés, &c.

Il y a eu autrefois des rois des Orcades ; mais leur regne finit quand les rois d'Ecosse s'emparerent de ces îles, après avoir subjugué les Pictes ; ensuite elles passerent entre les mains des Danois & des Norwégiens, mais elles furent reprises par les Ecossois.

Les arbres n'y croissent que fort bas, & leur fruit vient rarement en maturité. En général l'hiver y est plus sujet à la pluie qu'à la neige, & elle y tombe quelquefois, non par gouttes, mais par des torrens d'eau, comme si des nuages entiers tomboient du ciel à-la-fois. Dans le mois de Juin 1680, après de grands coups de tonnerre, il tomba du ciel des morceaux de glace d'un pié d'épais, suivant la relation de ces îles par le docteur Wallace.

Apparemment que dans ce pays-là, si l'atmotsphere est assez chaude près de la terre, elle est cependant excessivement froide dans la région supérieure ; desorte qu'elle change en glace quelques-uns de ces torrens d'eau dans le tems qu'ils tombent, & forme ces glaçons d'une grosseur incroyable.

ORCADES Pierres des, orcadum lapilli, (Hist. nat.) nom donné par Luidius à des pierres cylindriques, ou eutrochites, lisses, pleines de noeuds, d'une couleur blanchâtre, qui se trouvent en Angleterre, dans le Flintshire. Voyez Luid. Garophil. n°. 1154. On les nomme aussi kerrigysktor, suiv. Klein, Nomenclator litologicus.


ORCANETTES. f. (Botan.) espece de buglose, qui est nommée anchusa monspelliana, par J. B. 3. 583. Raii hist. 496. anchusa puniceis floribus, C. B. P. 255. Boerh. J. A. 189. anchusa minor, purpurea, Park. theat. 517. buglossum perenne minus, puniceis floribus, hist. oxon. 3. 438. buglossum radice rubrâ, sive anchusa vulgatior. Tournef. élem. Botan. 110.

Cette plante pousse à la hauteur d'environ un pié, plusieurs tiges qui se courbent vers la terre. Ses feuilles sont semblables à celles de la buglose sauvage, longues, garnies de poils rudes. Ses fleurs naissent aux sommités des branches ; elles sont faites en entonnoir à pavillon découpé, de couleur purpurine. Quand cette fleur est passée, il paroît à sa place dans le calice qui s'élargit, quatre semences qui ont la figure d'une tête de vipere, de couleur cendrée. La racine est grosse comme le pouce, rouge en son écorce, blanchâtre vers le coeur.

Cette plante croît dans le Languedoc, en Provence, aux lieux sablonneux, & fleurit en Mai. On fait sécher sa racine au soleil, & on l'envoie aux droguistes, qui la débitent. Elle sert en Pharmacie à donner une teinture rouge aux médicamens qu'on veut déguiser, à l'onguent rosat, à des pommades, à de la cire & à de l'huile étant infusée dedans ; mais elle est sur-tout d'un grand usage en teinture. Galien nous apprend que les anciens en faisoient un fard. (D.J.)

ORCANETTE, (Pharmacie) la racine de cette plante contient une partie colorante rouge, soluble par les huiles. Les apothicaires l'emploient souvent pour colorer des onguens & des huiles. Voyez COLORATION. (b)

ORCANETTE, (Teint.) c'est la racine de la plante de même nom, qui est employée par les Teinturiers pour teindre en rouge. La bonne orcanette de France doit être nouvelle, souple quoique seche, d'un rouge foncé en-dessus, blanche en-dedans, avec une petite tête de couleur bleue. Cette racine étant mouillée ou seche, doit teindre d'un beau vermeil, en la frottant sur l'ongle ou sur la main. Elle donne une couleur rouge aux cires, à certaines huiles & à quelques graisses ; mais sa teinture ne provient que du rouge dont cette racine est couverte sur l'écorce.

On apporte du Levant en Europe l'orcanette de Constantinople. Cette orcanette du Levant est aussi une racine assez souvent grosse comme le bras, & longue à proportion. Elle ne paroît à la vue qu'un amas de feuilles assez larges, roulées & tortillées à la maniere du tabac ; au haut il y a une espece de moisissure blanche & bleuâtre, qui est comme la fleur. Cette racine est mêlée de différentes couleurs, dont les principales sont le rouge & le violet ; dans le milieu il y a une espece de moëlle couverte d'une écorce très-mince, rouge par-dessus, & blanche en-dedans. Il y a grande apparence que tout cela est artificiel. Cette sorte d'orcanette est celle qui doit être défendue aux teinturiers du grand & du petit teint, parce qu'elle fait un rouge brun tirant sur le tanné, qui est une très mauvaise couleur, & peu assurée. (D.J.)


ORCAORYCI(Géog. anc.) peuples de l'Asie mineure. Ils étoient selon Strabon, liv. XII. auprès de Pessinonte, aux confins des Tectosages, & de la grande Phrygie.


ORCELIS(Géog. anc.) nom 1°. d'une ancienne ville de Thrace ; 2°. d'une ancienne ville de l'Espagne tarragonoise chez les Bastitains dans les terres : on croit que cette derniere Orcelis est présentement Origuela.


ORCHÉSOGRAPHES. f. (Gramm.) traité de la danse, ou art d'en noter les pas, comme ceux de la danse. Thoinet Arbeau, chanoine de Langres, a donné le premier l'idée de la maniere d'écrire la danse ; d'autres lui ont succédé & ont perfectionné ce qu'il avoit imaginé. Le traité d'Arbeau a été imprimé à Langres en 1588.


ORCHESTIQUEL '(Art gymnast.) C'étoit un des deux genres qui composoient les exercices en usage dans les gymnases des anciens. L'autre genre d'exercices étoit la palestrique, voyez PALESTRIQUE.

Le genre orchestique avoit trois especes : 1°. la danse ; 2°. la cubistique, ou l'art de faire des culbutes ; 3°. la sphéristique, ou la paume qui comprenoit tous les exercices où l'on se servoit d'une balle. Voyez DANSE, CUBISTIQUE, SPHERISTIQUE.


ORCHESTRES. m. (Archit.) quoique ce terme soit dérivé du grec orcheomai, qui signifie sauter, danser, c'est ce lieu où l'on place la symphonie dans les salles de spectacle, qui est un retranchement au-devant du théâtre. Chez les Grecs, l'orchestre étoit le lieu le plus bas du théâtre ; sa forme étoit celle d'un demi-cercle enfermé au milieu, entouré de degrés, & destiné à y danser les ballets. Voyez ORCHESTRE, théâtre des anciens.

ORCHESTRE, s. f. ou ORQUESTRE, (Théât. des anc.) partie du théâtre destinée aux acteurs chez les Grecs, au lieu que c'étoit chez les Romains la place des sénateurs & des vestales.

Mais quoique l'orchestre eût des usages différens chez les deux nations, la forme en étoit à peu-près la même on général. Comme elle étoit située entre les deux autres parties du théâtre, dont l'une étoit circulaire & l'autre quarrée, elle tenoit de la forme de l'une & de l'autre, & occupoit tout l'espace qui étoit entr'elles ; sa grandeur varioit par conséquent suivant l'étendue des théâtres ; mais sa largeur étoit toujours double de sa longueur, à cause de sa forme, & cette largeur étoit précisément le demi-diametre de tout l'édifice.

Enfin c'étoit la partie la plus basse du théâtre, & l'on y entroit de plain-pié par les passages qui étoient sous les degrés, & qui répondoient aux portiques de l'enceinte. Son terrein alloit un peu en talus chez les Romains, afin que tous ceux qui étoient assis, pussent voir le spectacle les uns par-dessus les autres ; mais chez les Grecs elle étoit de niveau, & avoit un plancher de bois pour donner du ressort aux danseurs ; & comme ils avoient de deux sortes de danses qui s'exécutoient en différens endroits de ce département ; savoir celles des mimes & celles des choeurs, & que d'ailleurs les musiciens & les joueurs d'instrumens y avoient aussi leurs places marquées, cette seconde partie de leur théâtre se subdivisoit en trois autres parties, dont la premiere & la plus considérable s'appelloit particulierement l'orchestre, dérivé du mot grec , danse. C'étoit la partie affectée aux mimes, aux danseurs, & à tous les acteurs subalternes qui jouoient dans les entr'actes, & à la fin de la représentation.

La seconde s'appelloit , parce qu'elle étoit quarrée, & faite en forme d'autel : c'étoit le poste ordinaire des choeurs, & l'endroit où ils venoient exécuter leurs danses.

Enfin la troisieme étoit le lieu où les Grecs plaçoient leur symphonie, & ils l'appelloient , parce qu'il étoit au pié du théâtre principal, qu'ils nommoient en général la scène : je dis en général ; car il ne faut pas s'imaginer que l' fût au pié de la scène proprement dite, c'est-à-dire, de l'endroit où étoient placées les décorations. Les instrumens auroient été-là trop reculés des danseurs, & hors de la portée des spectateurs ; au lieu qu'en les plaçant au pié du , sur le plan même de l'orchestre & aux deux côtés du , ils étoient justement au centre du théâtre, & également à la portée des mimes, des choeurs & des acteurs.

L'orchestre des Grecs étoit plus grande que celle des Romains de toute l'étendue du & de l' ; mais en récompense ces deux parties se prenoient sur la largeur de leur scène, & n'en étoient, à proprement parler, qu'un retranchement : ainsi, leur étoit plus étroit que celui des Romains ; & la raison en est bien naturelle. Il n'y avoit à Athènes que les acteurs de la piece qui montassent sur le théâtre, tous les autres représentoient dans l'orchestre. Chez les Romains au contraire, l'orchestre étoit occupée par les sénateurs, & tous les acteurs jouoient sur le même théâtre ; il étoit donc nécessaire que leur proscenium fût plus large que celui des Grecs : il falloit aussi qu'il fût plus bas ; car s'il eût été élevé de dix piés comme à Athènes, les sénateurs qui étoient assis dans l'orchestre, auroient eu de la peine à voir le spectacle. Mais ce n'étoit pas encore assez qu'ils en eussent réduit la hauteur à cinq piés, s'ils n'eussent laissé quelque espace entre le proscenium & l'orchestre ; c'est pourquoi ils la bornerent à quelque distance de la scène par un petit mur qui en faisoit la séparation, & qui n'avoit qu'un pié & demi de haut. Ce petit mur étoit orné d'espace en espace de petites colonnes de trois piés, & c'est ce que les Latins appelloient podium. On ne sait pas au juste à quelle distance il étoit du proscenium ; mais il est certain qu'il y avoit encore entre ce mur & les premiers rangs de l'orchestre un autre espace vuide, où les magistrats plaçoient leurs chaires curules & les autres marques de leurs dignités.

Ce fut du tems de Scipion l'Afriquain, que les sénateurs commencerent à être séparés du peuple dans l'orchestre ; l'empereur mit ensuite son trône dans le podium ; les vestales, les tribuns, & l'édile qui faisoit les frais du spectacle, furent aussi placés dans l'orchestre : de-là vient que Juvenal dit, orchestram & populum, pour distinguer les patriciens d'avec la populace.

L'orchestre, parmi nous, ne ressemble en rien à celui des Grecs & des Romains ; ce n'est autre chose qu'un petit & chétif retranchement fait au-devant du théâtre, & dans lequel on place la symphonie. (D.J.)


ORCHIES(Géog.) ville de France dans la Flandre françoise, chef-lieu d'une châtellenie de même nom entre Tournai & Douai, à 4 lieues de Lille. Ses revenus sont si peu de chose, qu'elle a bien de la peine à payer 18 mille livres qu'elle doit pour son contingent du don gratuit que la province fait au roi. Long. 20. 55. lat. 50. 28.


ORCHIou SATYRION, s. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur polypétale, anomale, & composée de six pétales inégaux, dont il y en a cinq qui occupent la partie supérieure de la fleur, & qui sont disposés de façon qu'ils ont en quelque sorte la figure d'un casque. Le pétale inférieur est profondement découpé, & garni d'une espece de tête & de queue. Il a la figure d'un homme nud, d'un papillon, d'une abeille, d'un pigeon, d'un singe, d'un lesard, d'un perroquet ou d'une mouche, &c. Le calice devient dans la suite un fruit en forme de vessie, qui a trois ouvertures fermées chacune par un panneau. Ce fruit renferme des semences très-menues comme de la sciure de bois. Ajoutez aux caracteres de ce genre, que les racines sont charnues, fibreuses, arrondies, & semblables à des tubercules, ou applaties, & découpées en main ouverte. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Tournefort ne compte pas moins de 85 especes de ce genre de plante ; & il faut convenir qu'avant lui, les Botanistes, si on en excepte Ray, avoient jetté beaucoup de confusion sur toute leur histoire, & par leurs fausses descriptions, & par leurs figures.

Entre le grand nombre d'especes d'orchis qui naissent dans les prés, dans les forêts, sur les collines & les montagnes, aux lieux ombrageux ou exposés au soleil, secs ou humides, & qui fleurissent en différens tems, on emploie d'ordinaire, pour l'usage de la Médecine, les especes à racines bulbeuses, & particulierement la commune mâle, à feuilles étroites, & celle qui est à larges feuilles.

L'orchis commune mâle, à feuilles étroites, est celle que Tournefort nomme orchis morio mas, foliis maculatis, I. R. H. 432. Sa racine est composée de deux tubercules presque ronds, charnus, gros comme des noix muscades, dont l'un est plein & dur, l'autre est ridé & fongueux, accompagné de grosses fibres. Elle pousse d'abord six ou sept feuilles, & quelquefois davantage, longues, médiocrement larges, lisses, semblables à celles du lis, mais plus petites, ordinairement marquées en-dessus de quelques taches d'un rouge brun, & quelquefois sans taches. Sa tige est haute d'environ un pié, ronde, striée, embrassée par une ou deux feuilles ; elle porte en sa sommité un long épi de fleurs agréables à la vue, purpurines, nombreuses, un peu odorantes, blanchâtres vers le centre, & parsemées de quelques points d'un pourpre foncé.

Chaque fleur est composée de six pétales inégaux, dont les cinq supérieurs forment, en se courbant, une sorte de coëffe. Elle commence par une maniere de tête ou de casque, & finit par une pointe aiguë comme un éperon. Les fleurs sont plus ou moins serrées dans l'épi. Quand la fleur est passée, le calice devient un fruit semblable à une lanterne à trois côtés, qui contient des semences aussi fines que de la sciure de bois.

Cette plante fleurit vers la fin de Mai : on la trouve fréquemment dans les prés & les broussailles. M. Vaillant, après avoir observé que quelquefois ses feuilles se couchent à terre, ajoute qu'il a compté jusqu'à quarante-trois fleurs sur un pié.

L'orchis ou satyrion à larges feuilles, orchis militaris major, I. R. H. 432. a la racine composée comme l'espece précédente, de deux bulbes, ou tubercules charnus, en forme de grosses olives. Elle pousse une tige à la hauteur de près d'une coudée, chargée en sa sommité d'un épi long, pyramidal, plus ou moins serré : il porte des fleurs amples, belles à la vue, blanchâtres en dedans, pointillées de taches purpurines, plus rouges en-dehors, d'une odeur forte & désagréable, lesquelles représentent comme un homme armé, ou un soldat couvert d'un casque, sans mains & sans piés. Ses feuilles sont très-amples, longues & larges tout-ensemble, & sortent de terre, comme la plûpart des orchis, dès le mois de Novembre.

Cette orchis fleurit en Mai. Ses fleurs ont une odeur de bouc insupportable, & varient beaucoup pour la couleur. On lui trouve, de même qu'aux autres especes d'orchis bulbeux, une bulbe flasque, & l'autre pleine. C'est que tous les ans la bulbe de l'année précédente se flétrit, & qu'il en renaît une nouvelle à la place.

Jean Bauhin observe sur les orchis bulbeux qu'il faut prendre pour l'usage qu'on en veut faire, non les deux bulbes, mais la plus dure, la plus pleine, & celle qui a le plus de suc. Toutes les especes d'orchis contiennent beaucoup d'huile & de sel volatil. On en fait sécher les racines pour l'usage ; mais entre les préparations différentes de racines ou bulbes d'orchis, il nous paroît que la meilleure est celle qui est décrite par M. Geoffroy dans les mém. de l'acad. des Scienc. année 1740.

Il faut prendre les bulbes d'orchis les mieux nourries, leur ôter la peau, les jetter dans l'eau froide ; après qu'elles y ont séjourné quelques heures, on doit les cuire dans une suffisante quantité d'eau, & les faire égoutter : ensuite on les enfilera pour les faire sécher à l'air, choisissant pour cette préparation un tems sec & chaud. Elles deviennent ainsi transparentes, très-dures, & ressemblent à des morceaux de gomme adragant. On les peut conserver saines tant qu'on voudra, pourvu qu'on les tienne dans un lieu sec ; au lieu que les racines qu'on a fait sécher sans cette préparation, s'humectent & moisissent pour peu que le tems soit pluvieux pendant plusieurs jours.

Les bulbes d'orchis ainsi préparées, se mettent en poudre aussi fine que l'on veut : on en prend depuis un scrupule jusqu'à une drachme, qu'on humecte peu-à-peu d'eau bouillante ; la poudre s'y fond entierement, & forme un mucilage qu'on peut étendre par ébullition dans une chopine ou trois demi-setiers d'eau : l'on est le maître de rendre cette boisson agréable, en y ajoutant du sucre & de légers parfums. Cette poudre peut aussi s'allier au lait, qu'on conseille ordinairement aux malades attaqués de la poitrine. C'est un remede très-adoucissant, propre à réprimer l'âcreté de la lymphe, & convenable dans la phthysie, & dans les dyssenteries bilieuses. (D.J.)


ORCHITES(Hist. nat.) nom donné par les Naturalistes à une pierre qui en renferme une autre qui a la forme d'un testicule. Elle se nomme aussi énorchites & triorchites. Diorchites est celle qui renferme deux pierres de cette forme ; triorchites, celle qui en renferme trois. Voyez Klein, nomenclator litologicus.


ORCHOMENE(Géog. anc.) ancienne ville de Grece en Béotie, une des plus belles & des plus agréables de cette province. Elle porta d'abord le nom de Minyée, comme Pausanias nous l'apprend, & comme Pline nous le confirme, liv. IV. ch. viij. en ces mots, Orchomenus Minyaeus antea dictus.

Orchomenus étoit située au couchant du lac Copaïde, à l'embouchure d'une riviere dans laquelle tomboit l'Hippocrene, si fameuse dans les écrits des poëtes. C'est encore à Orchomene qu'étoit la fontaine Acidalie, où les Graces venoient se baigner. C'est à Orchomene que les trois déesses avoient un temple, qui passoit pour un des plus anciens de toute la Grece ; enfin, c'est à Orchomene que Sylla, général de l'armée romaine contre Mithridate, sut par un trait mâle & délicat, rassurer le courage de ses troupes qui l'abandonnoient. Il s'arrêta seul, & leur dit : " Enfans, au moins de retour chez vous, quand on vous demandera où vous avez laissé votre général, n'oubliez pas de dire que c'est à Orchomene ". Il arrêta par ce peu de mots les fuyards, & gagna la bataille.

Il ne faut pas confondre l'Orchomene de Béotie avec l'Orchomene d'Arcadie. Homere, avant Pausanias, les a très-bien distinguées. Il caracterise cette derniere dans l'Iliade, B. v. 606. par l'épithete de riche en troupeaux. Cette Orchomene d'Arcadie, que Pline, liv. IV. ch. vj. appelle Orchomenum, étoit auprès de Phénée, le lac de Phénée entre deux, à l'orient du fleuve Ladon. (D.J.)


ORCHOMÉNOS(Géog. anc.) riviere de Grece dans la Béotie, auprès du temple de Trophonius, qui, comme on sait, étoit dans le voisinage de Lébadie. Pline, liv. XXXI. ch. ij. parlant de cette riviere, dit qu'elle a deux sources, dont l'une donnoit de la mémoire, & l'autre procuroit l'oubli de toute chose. Il ne falloit pas s'y méprendre, quand on alloit y puiser de l'eau pour en boire.


ORCO(Géog.) riviere d'Italie en Piémont. Elle a sa source dans les montagnes, au midi du duché d'Aouste, & va tomber dans le Pô, au-dessus & auprès de Chivas.


ORCOMENO(Géog.) bourg de Grece en Livadie, au pays Atramelipa, à 5 lieues de la ville de Livadie. Il appartient aux Turcs. C'est l'ancienne Orchomene de Béotie, dont Homere, Pindare, Pausanias, Thucydide & Pline ont tant parlé, mais qui ne conserve que le seul nom de sa gloire passée, & le triste honneur d'être le débris d'une des plus anciennes villes du monde.


ORCOMOSION(Géog. anc.) lieu de l'Attique, ou territoire d'Athènes ; c'est-là que fut jurée la paix entre les Amazones & Thésée. Le verbe grec , veut dire jurer une paix, une alliance, & , signifie le serment prêté en pareilles occasions.


ORCUSS. m. (Mythol.) dieu des enfers, que les poëtes prennent assez souvent pour l'enfer même. C'est ainsi que dans Virgile, Géorg. IV. Caron est appellé portitor orci, le nocher des enfers. Orcus avoit un temple à Rome, dans le dixieme quartier de la ville, sous le nom d'orcus quietatis, le dieu qui donne le repos à tout le monde. Les cyclopes firent présent à Pluton d'un casque qui le rendoit invisible ; c'est ce célebre casque que les Latins nommerent orci galea.


ORDA(Hist. des Tartares) on écrit orde ou horde, terme d'usage chez les Tartares. Ce terme désigne une tribu de leur nation, qui est assemblée pour aller contre les ennemis, ou pour d'autres raisons particulieres. Chaque tribu a son chef particulier, qu'on nomme mursa. Voyez MURSA. (D.J.)


ORDALIEordalium, (Jurisprud.) étoit un terme générique, par lequel on désignoit les différentes épreuves du feu, du fer chaud, de l'eau bouillante, ou froide, du duel, & auxquelles on avoit autrefois recours dans l'espérance de découvrir par ce moyen la vérité. Ce terme venoit, selon plusieurs auteurs, du mot saxon ordela, lequel étoit composé de ord, qui signifie grand, & duel ou dele, qui signifie jugement : ainsi, selon cette étymologie, ordela & ordalie vouloient dire grand jugement, & par-là on vouloit désigner le jugement de Dieu, ou la purgation vulgaire.

Ne pourroit-on point aussi dire que ordela & ordalium venoient de ordeum, qui signifie orge, & que l'on appella d'abord ordalie, la purgation vulgaire qui se faisoit par le moyen d'un morceau de pain d'orge que l'on faisoit manger à l'accusé, dans la persuasion où l'on étoit que s'il étoit coupable, ce morceau de pain l'étrangleroit ? & il se peut bien faire que dans la suite l'on appella ordalie, toute autre purgation vulgaire qui étoit faite à l'instar de celle du pain d'orge.

C'étoit sur-tout en Angleterre que l'on se servoit du terme d'ordalie. Emme, mere de S. Edouard le confesseur, accusée d'une trop grande familiarité avec l'évêque de Lancastre, demanda l'ordalie du fer chaud ; & elle passa nuds piés, les yeux bandés, sur neuf socs de charrue tous rouges sans se brûler.

Ces ordalies se pratiquoient aussi en Allemagne & en France. Yves de Chartres, dans une épître à Hidelbert, évêque du Mans, parlant des épreuves appellées ordalies, qui se faisoient par l'eau ou par le feu, ou en champ clos, dit que cette maniere de défendre l'innocence, est innocentiam perdere.

Outre les ordalies dont on vient de parler, il y en avoit encore plusieurs autres ; telles que celles du potage judiciel, du fromage beni, de la croix verte, celle des dez posés sur des reliques, dans une enveloppe de laine. Voyez le Glossaire de Ducange, au mot Ordela. Voyez aussi CHAMP CLOS, DUEL, éPREUVE & PURGATION VULGAIRE.


ORDESUSPORTUS, ou ORDESSUS PORTUS, (Géog. anc.) port de la Sarmatie en Europe, sur l'Axiare. Arrien, liv. III. chap. v. nomme ce port Odessus. (D.J.)


ORDINAIREadj. ce qui arrive fréquemment : on dit le train ordinaire de la vie, c'est un événement ordinaire, c'est sa maniere d'agir ordinaire, &c.

ORDINAIRE, (Jurisprud.) ce terme a dans cette matiere plusieurs significations différentes.

On appelle juges ordinaires ceux qui servent toute l'année, à la différence de ceux qui ne servent pas toute l'année. Il y a des conseillers d'état ordinaires, & d'autres semestres. Il y a des cours qui sont ordinaires, comme le parlement de Paris, d'autres qui sont semestres, comme la chambre des comptes, la cour des monnoies.

On entend aussi par juge ordinaire le juge propre & naturel de chacun, à la différence des juges d'attribution & de privilege qui sont des juges extraordinaires.

Un procès ordinaire est un procès civil : on reçoit les parties en procès ordinaire quand on civilise l'affaire, sauf à reprendre la voie extraordinaire s'il y échet, c'est-à-dire la voie criminelle.

Suivant l'ancien style du parlement, toutes les causes qui étoient au rôle des provinces sont à l'ordinaire, c'est-à-dire aux audiences ordinaires, au-lieu que celles qui se poursuivoient sur placets sont à l'extraordinaire, c'est-à-dire à des jours autres que ceux des rôles des provinces, c'est pourquoi les procureurs au parlement cotent encore les dossiers de ces sortes de causes de ce titre extraordinaire.

Les maîtres des requêtes & le tribunal des requêtes de l'hôtel jugent à l'ordinaire, étant souverains à l'ordinaire. Ils rendent des sentences au nombre de trois juges ; au souverain ils rendent au nombre de sept des arrêts sur les matieres qui sont de leur jurisdiction au souverain. Voyez REQUETES DE L'HOSTEL.

On appelle frais ordinaires de criées, les procédures qui se font pour l'instruction du decret & la sureté de la vente, lesquels sont dûs par l'adjudicataire outre le prix de l'adjudication : les frais extraordinaires sont ceux que l'on fait pour faire juger les oppositions formées au decret ; ceux-ci se prennent par préférence sur le prix de la chose vendue.

A Paris la question ordinaire est de six pots d'eau que l'on fait boire au patient suspendu sur le petit treteau ; la question extraordinaire est de six autres pots avec le grand treteau. Voyez QUESTION & TORTURE. (A)

ORDINAIRE, (Jurisprud. canon.) est l'archevêque, évêque, ou autre prélat qui a la jurisdiction ecclésiastique dans un territoire, proprius pastor, seu judex proprius.

On entend aussi par collateur ordinaire tout bénéficier auquel appartient naturellement & de droit la collation d'un bénéfice.

Le pape renvoie aux collateurs ordinaires, c'est-à-dire aux évêques, l'examen de ceux qu'il pourvoit de cures.

C'est à l'ordinaire à donner le visa des provisions qui ne sont point en forme gracieuse.

Depuis que dans le concile de Latran le pape s'est attribué la collation des bénéfices par prévention sur tous les collateurs ordinaires, on le qualifie ordinaire des ordinaires, & c'est en cette qualité que par le concordat il s'est réservé ce droit de prévention sur les collateurs ordinaires.

Les ordinaires qui ne sont pas évêques ne peuvent pas décerner des monitoires ; pour en obtenir il faut s'adresser au pape, & cette expédition s'appelle in forma significavit : l'exécution de ces monitoires est ordinairement adressée aux évêques voisins ou à leurs officiaux.

Il y a des chapitres & abbayes qui ont des exemptions de l'ordinaire. Voyez EXEMPTION. Voyez aussi ALTERNATIVE, COLLATION, JURISDICTION ECCLESIASTIQUE, MOIS APOSTOLIQUE, OBEDIENCE, VISA. (A)

ORDINAIRES, s. m. (Hist. anc.) c'étoit autrefois le nom d'une sorte de gladiateurs qui devoient donner des combats à certains jours marqués. Voyez GLADIATEUR.

ORDINAIRE, (Comm.) jour de poste, auquel les couriers ont coutume de partir d'un lieu ou d'y arriver. Je vous ai écrit l'ordinaire dernier, c'est-à-dire par le dernier courier.

On dit l'ordinaire de Paris, de Lyon, de Venise, &c. pour signifier la poste établie pour porter les paquets de lettres destinés pour ces différentes villes, ou le jour que les couriers en partent ou y arrivent.

Les marchands, négocians, banquiers, &c. qui sont chargés de beaucoup d'affaires doivent être exacts à ne point laisser passer d'ordinaires sans écrire à leurs correspondans.

Courier ordinaire, c'est un courier dont le départ est marqué à un jour fixé. Courier extraordinaire, c'est celui qu'on fait partir exprès suivant les affaires qui se présentent, ou pour faire plus de diligence.

Ordinaire. C'est aussi, en terme de Commerce de mer, ce que chaque matelot peut porter avec lui sur un vaisseau marchand de hardes ou de petites marchandises, qu'on nomme autrement portée & pacotille. Voyez PACOTILLE. Diction. de Comm.


ORDINALadj. (Gram.) on nomme ainsi en Grammaire tout mot qui sert à déterminer l'ordre des individus. Il y en a de deux sortes, des adjectifs & des adverbes.

Les adjectifs ordinaux sont premier, second ou deuxieme, troisieme, quatrieme, cinquieme, &c. dernier.

Les adverbes ordinaux sont premierement, secondement ou deuxiemement, troisiemement, quatriemement, cinquiemement, &c. l'adverbe dernierement n'est point ordinal comme l'adjectif dernier, il signifie depuis peu de tems : l'adverbe ordinal correspondant à dernier, est remplacé par en dernier lieu, enfin, &c. Voyez NOMBRE. (B. E. R. M.)

ORDINAL, terme d'Arithmétique, ce mot se dit des nombres qui marquent l'ordre des choses ou en quel rang elles sont placées. Le premier, dixieme, le centieme, &c. sont des nombres ordinaux.

ORDINAL, s. m. (Hist. ecclésiast.) chez les Anglois est le nom qu'ils donnent à un livre qui contient la maniere de conférer les ordres & de faire le service divin.

Ce livre fut composé après la réformation & le regne d'Henri VIII. sous celui d'Edouard VI. son successeur immédiat, pour le substituer au pontifical romain. Il fut revû par le clergé en 1552, & le parlement l'autorisa pour servir de regle dans tout le royaume.

Le pere le Quien, M. Fenel, & quelques autres qui dans ces derniers tems ont écrit contre la validité des ordinations angloises, ont pensé que l'ordinal d'Edouard étoit l'ouvrage de la puissance laïque ; mais le pere le Courayer dans la défense de sa dissertation sur la validité des mêmes ordinations, soutient que ce livre fut l'ouvrage du clergé, & que le roi & le parlement n'y eurent d'autre part qu'en l'autorisant pour avoir force de loi dans tout le royaume : on peut voir les preuves que cet auteur en apporte dans le livre que nous venons de citer, tom. II. part. II. liv. V. ch. j.


ORDINANTS. m. (Gram.) il se dit de celui qui confere les ordres & de celui qui les reçoit : l'ordinant doit dire la messe. Les ordinans ont été séverement examinés. Le prélat a pensé qu'il y avoit moins d'inconvénient à risquer de fermer la porte de l'Eglise à un bon sujet que de l'ouvrir à un mauvais, parce qu'il n'y a rien de pire qu'un mauvais prêtre, quoique peut-être on ne puisse dire qu'il n'y a rien de meilleur qu'un bon.


ORDINATIONS. f. (Theolog.) est l'action de conférer les ordres sacrés, &, parmi les Protestans, la cérémonie d'installer un candidat d'église réformée, dans le diaconat ou dans la prêtrise. Voyez ORDRES & REORDINATION.

Selon un théologien moderne, l'ordination est le rit extérieur qui éleve au ministere évangélique, & l'on ne doit pas la confondre avec l'ordre. La raison qu'il en apporte est que l'ordre est l'effet de l'ordination, & n'est à proprement parler que l'état dans lequel on est constitué par la voie de l'ordination.

Les Théologiens catholiques définissent l'ordination un sacrement de la nouvelle loi, qui donne le pouvoir de faire les fonctions ecclésiastiques, & la grace pour les exercer saintement.

On est partagé dans les écoles sur la matiere & la forme de ce sacrement : les uns admettant pour matiere essentielle l'imposition des mains seules, & pour seule forme essentielle la priere ; & ne reconnoissant la porrection des instrumens, c'est-à-dire, du calice, de la patene, &c. qu'on fait toucher aux ordinans, que comme matiere accessoire & intégrale. D'autres regardent cette derniere cérémonie comme matiere essentielle, & un troisieme sentiment les réunit toutes deux comme matiere totale & adéquate. Voyez MATIERE & FORME. Le premier sentiment est le plus suivi.

L'ordination des évêques s'appelle plus proprement consécration. Voyez EVEQUE & CONSECRATION.

L'ordination a toûjours été regardée comme la principale prérogative des évêques, qui en regardent aussi les fonctions comme une espece de marque de leur souveraineté spirituelle dans leur diocèse.

Sous l'ancienne discipline de l'église anglicane on ne connoissoit point d'ordination vague & absolue ; mais tout clerc étoit obligé de s'attacher à quelque église d'où il devoit être ordonné clerc ou prêtre. Dans le douzieme siecle on se relâcha sur cette coutume, & on ordonna des clercs, sans qu'ils fussent pourvus d'aucun titre ou bénéfice. Voyez BENEFICE.

Le concile de Trente a fait revivre l'ancienne discipline, & a défendu d'ordonner quiconque ne seroit point pourvu d'un bénéfice capable de le faire subsister. En Angleterre on conserve encore une ombre de cette discipline. Voyez COMMANDE.

Les Réformés soutiennent que le choix du peuple est la seule chose qui soit essentielle pour la validité du ministere ecclésiastique, & ils enseignent que l'ordination n'est qu'une cérémonie qui rend le choix du peuple plus auguste & plus authentique.

Le concile de Rome, tenu en 744, ne permet de faire les ordinations que dans le premier, le quatrieme, le septieme & le dixieme mois de l'année. En Angleterre, les jours des ordinations sont les quatre dimanches qui suivent immédiatement les quatre-tems ; savoir, le second dimanche de carême, le dimanche de la Trinité, & les deux dimanches qui suivent le premier mercredi après le 14 de Septembre, & le 13 de Décembre.

Le pape Alexandre II. condamne les ordinations qu'on appelle, après lui, per saltum, c'est-à-dire, lorsqu'on reçoit un des trois ordres majeurs sans avoir passé par les quatre mineurs ; ou plutôt encore un des ordres majeurs sans avoir reçu celui qui le précede, comme la prêtrise sans avoir reçu le diaconat : mais quelques Théologiens soutiennent que ces ordinations seroient illicites & non invalides, qu'on peut être prêtre sans avoir été diacre, évêque sans avoir été prêtre, & ils croient le prouver par des exemples. On a vivement disputé dans ces derniers tems pour ou contre la validité des ordinations faites dans l'église anglicane, & cette question a occasionné divers écrits pleins de recherches & d'érudition.

Depuis la réformation, les Anglicans se sont toûjours attachés à montrer que leurs évêques étoient véritablement consacrés, & par conséquent que la succession épiscopale n'avoit pas manqué dans leur église. Les Catholiques, dès le regne d'Elisabeth & depuis, leur ont contesté cette prérogative ; &, pour la sapper dans son fondement, ils ont prétendu que Parker & Barlow, la tige de tout l'épiscopat anglican protestant, n'ayant pas été véritablement consacrés évêques, tous ceux qu'ils ont ordonnés en cette qualité & les successeurs de ceux-ci n'ont point eu le caractere épiscopal, & par une derniere conséquence qu'il n'y a plus d'épiscopat en Angleterre.

Cette question en embrasse nécessairement deux : l'une de fait, & l'autre de droit.

La question de fait consiste à savoir si Parker, qu'on regarde comme la tige de tout l'épiscopat anglican, a été réellement consacré évêque ; & si Barlow son consécrateur, qui a été évêque de Saint-David, & depuis évêque de Chichester, a lui-même été ordonné évêque : car s'il ne l'a pas été, il est certain qu'il n'a pû sacrer Parker.

La question de droit se reduit à prouver si la forme dont on s'est servie pour consacrer Barlow & Parker, a été défectueuse ou non, si elle a péché ou non dans quelque chose d'essentiel.

Nous allons donner une idée des principaux moyens qu'on a allégués pour & contre sur ces deux questions.

Sur la premiere, les Catholiques ont avancé que Barlow n'avoit jamais été véritablement évêque, parce qu'étant protestant dans le coeur, il avoit omis de se faire consacrer après sa nomination à l'évêché de Saint-David sous Henri VIII. ayant été dans ce tems occupé pour la cour à une négociation en Ecosse, qui consuma tout l'intervalle pendant lequel les Anglicans veulent qu'il ait été consacré ; 2°. qu'on ne trouve point l'acte de sa consécration ; 3°. que Parker fut consacré à Londres dans une auberge qui avoit pour enseigne la tête de cheval, & que cette cérémonie s'y passa d'une maniere indécente & pleine de dérision ; 4°. que Parker ne fut point consacré à Lambeth, palais proche de Londres, qui appartient aux archevêques de Cantorbery, & que les registres qu'on apporte en preuve de ce fait ont été falsifiés.

Sur la seconde, les uns, comme le sieur Fenell, ont dit que l'ordinal d'Edouard VI. étant l'ouvrage de la puissance laïque, des évêques consacrés suivant ce rit, n'ont pû recevoir la consécration épiscopale. D'autres comme le pere le Quien dans son livre intitulé Nullité des ordinations angloises, se sont attachés à répandre des doutes légitimes sur ces ordinations, & capables, selon eux, de la faire réitérer. Pour cela ils ont entrepris de montrer que dans le nouvel ordinal les Anglicans avoient altéré essentiellement la forme de l'ordination, parce que, disent-ils, cette forme doit faire une mention ou expresse ou du-moins implicite du sacerdoce & du sacrifice, selon la foi de l'église catholique ; or la forme de l'ordinal anglican n'en fait nulle mention. D'ailleurs on sait que les Anglicans ont aboli chez eux le sacerdoce & le sacrifice, qu'ils rejettent la présence réelle & la transubstantiation, qui entrent nécessairement dans l'idée du sacrifice de l'église catholique & qui en sont comme la base. Enfin, ils ont regardé comme une loi sur cette matiere l'usage de l'église de Rome, qui réordonne tous les prêtres anglicans qui rentrent dans sa communion.

Les défenseurs de la validité des ordinations angloises, & principalement le pere le Courayer, chanoine régulier, ancien bibliothécaire de sainte Genevieve de Paris, soutiennent 1°. que Barlow a été réellement consacré, puisqu'il a assisté en qualité d'évêque aux parlemens tenus sous Henri VIII. depuis 1536 ; & qu'une des lois du royaume d'Angleterre interdit aux évêques non-consacrés la séance au Parlement. 2°. Que son voyage en Ecosse quoique réel est arrangé d'une maniere romanesque par les auteurs dont nous venons de parler ; que Barlow a pû être de retour à Londres plus tôt qu'ils ne prétendent & s'y faire consacrer ; que la perte de son acte de consécration n'est qu'une preuve négative qui n'infirme nullement la réalité du fait. 3°. Que la cérémonie de l'auberge est une fable ridicule qui n'a été produite pour la premiere fois que plus de quatre-vingt ans après l'événement en question ; qu'elle se dément par les circonstances mêmes dont on l'accompagne ; & aux autorités dont on l'étaie & qu'il détruit, il en oppose d'infiniment supérieures. 4°. Il démontre que la consécration de Parker s'est faite à Lambeth le 17 Décembre 1559 par Barlow, assisté de Jean Scory, élu évêque d'Hereford, de Miles Coverdale, ancien évêque d'Excester, & de Jean Hoogskius, suffragant de Bedford. L'acte de cette consécration se trouve dans les oeuvres de Bramhall & dans l'histoire de Burnet. On le trouve aussi en original dans les registres de Cantorbery & dans la bibliotheque du college de Christ à Cambridge. Cet auteur a donné copie de tous ces actes & d'une infinité d'autres qui démontrent pleinement la question de fait.

Quant à celle de droit, il s'est proposé de montrer que l'imposition des mains & la priere étant la matiere & la forme essentielle de l'ordination, l'une & l'autre étant prescrites dans le rituel d'Edouard VI. & ayant été observées dans la consécration de Parker & des autres, cela suffit pour la validité des ordinations. 2°. Que s'il faut dans la forme une mention virtuelle du sacerdoce & du sacrifice, on trouve dans la forme anglicane une analogie suffisante pour cela. 3°. Que les erreurs particulieres des Anglois sur le sacerdoce & le sacrifice ne détruisent point la validité de leurs ordinations, parce que les erreurs des hommes ne font rien à la validité ou l'invalidité des sacremens pourvu qu'en les administrant on emploie la matiere & la forme prescrites. 4°. Que l'ordinal d'Edouard a été dressé par des évêques & des théologiens, sans que ni le roi ni le parlement y aient eu d'autre part que de l'autoriser, comme on fait en Angleterre toutes les pieces qui doivent avoir force de loi ; que Calvin ni les Calvinistes n'ont point concouru à la composition de cet ouvrage. 5°. Aux doutes de l'église romaine qu'il croit mal fondés & insuffisans pour en venir à une réordination, il oppose l'autorité de Cadsemius, de Walsh, de M. Bossuet & de M. Snellaerts, d'où il conclut que la validité des ordinations angloises ne pourroit être qu'avantageuse à l'église romaine en facilitant la réunion des Anglicans avec elle.

Tels sont les divers points que cet auteur a traités avec beaucoup de force & d'étendue : 1°. dans sa dissertation sur la validité des ordinations angloises, imprimée en 1723 ; & 2°. dans la défense de la même dissertation qui parut en 1726, où en répondant aux diverses critiques qu'on avoit faites de son premier ouvrage, il en établit de nouveau les preuves par des actes ou par de nouveaux raisonnemens. La question de fait y est entierement éclaircie. On ne peut pas dire exactement la même chose de celle de droit. Il eut été à souhaiter qu'en la traitant l'auteur eût évité certaines discussions théologiques sur la nature du sacrifice, qui l'ont conduit à des propositions erronées ou téméraires qui furent condamnées par l'assemblée du clergé de France en 1728 ; & qu'il n'eût pas eu la témérité de traiter d'insuffisans & de mal fondés les motifs qui ont porté l'église à ordonner de nouveau ceux qui ont été ordonnés selon le rit anglican. Nous renvoyons les lecteurs aux écrits du pere le Courayer & de ses adversaires sur cette matiere intéressante, que les bornes de cet ouvrage ne nous ont permis que d'indiquer.

Il est de principe parmi les Théologiens que quelque corrompu que soit un évêque, les ordinations qu'il fait sont valides quoiqu'illicites. Aussi voit-on par l'Histoire que l'Eglise a toûjours admis comme valides les ordinations faites par les simoniaques, les intrus, les excommuniés, les schismatiques & les hérétiques.

Les évêques ne peuvent pas ordonner ni toutes sortes de personnes, ni des personnes de tout sexe : la discipline de l'Eglise les oblige à se restraindre à leurs diocésains, & de ne point ordonner d'étrangers sans le consentement des évêques auxquels ces étrangers sont soumis. C'est la décision du premier concile de Nicée, can. xvij. Les femmes ne peuvent être élevées aux saints ordres ; &, s'il est parlé dans l'Histoire de prêtresses, de diaconesses, &c. on sait que ce n'étoient point des noms d'ordre. Enfin, celui qu'on ordonne doit au-moins avoir été baptisé, parce que le baptême est comme la porte de tous les autres sacremens. L'ordination conférée à un homme contre son gré & son consentement, est nulle de plein droit.

ORDINATION per saltum, (Droit canon.) On appelle l'ordination per saltum, quand on confere ou qu'on reçoit un ordre supérieur sans avoir passé par les inférieurs ; par exemple, si on étoit ordonné prêtre sans avoir été auparavant ordonné diacre. Les ordinations per saltum ont toûjours été prohibées ; & si l'on s'écartoit quelquefois en cela de l'exactitude des canons, ce n'étoit que pour des raisons les plus pressantes, comme on fit pour saint Cyprien & saint Augustin, qu'on éleva à la prêtrise sans les avoir fait passer par les ordres inférieurs. (D.J.)


ORDINGEN(Géog.) On écrit aussi Ordungen & Urdingen, petite ville d'Allemagne dans l'électorat de Cologne. Le maréchal de Guébriant y battit les Hessois en 1641, & prit la ville en 1642. Elle est sur le Rhin, aux confins du comté de Meurs. Gelenius la nomme castra Ordeonii ; & c'est près de-là qu'est le village de Gelb, qui paroît être la Gelduba des anciens. Long. 24. 15. lat. 51. 35. (D.J.)


ORDISSUS(Géog. anc.) riviere de la Sarmatie en Europe ; c'est une de celles qui tombent dans le Danube. Peucer dit que les Hongrois la nomment Crasso dans leur langue. (D.J.)


ORDONNANCES. f. (Jurisprudence) est une loi faite par le prince pour régler quelques objets qui méritent l'attention du gouvernement.

Le terme d'ordonnance vient du latin ordinare, qui signifie ordonner, c'est-à-dire, arranger quelque chose, y mettre l'ordre. En effet, on écrivoit anciennement ordrenance, pour exprimer quelque arrangement ou disposition. Ce terme se trouve employé en ce sens dans quelques anciennes chartes & ordonnances ou réglemens, comme dans l'accord ou concordat fait en 1275 entre Jean dit le Roux, duc de Bretagne, & quelques-uns des barons & grands nobles de la province ; sauf, y est-il dit, l'ordrenance resnable au juveigneur, c'est-à-dire, sans préjudice de la disposition convenable que le puîné (junior) peut faire. Ce concordat est à la fin de la très-ancienne coutume de Bretagne : cependant le terme ordinare se trouve employé dans le tems de la seconde race, pour dire ordonner. Aimoin qui vivoit dans le neuvieme siecle, dit en parlant des capitulaires de Charlemagne, liv. V. chap. 35. placitum generale habuit ubi per capitula, qualiter regnum Franciae, filius suus Ludovicus regeret, ordinavit.

Du latin ordinare on a fait ordinatio ; un grand nombre des anciennes ordonnances latines commençoient par ces mots, ordinatum fuit. De tout cela s'est formé le terme françois d'ordrenance ou ordonnance : on disoit aussi quelquefois ordrenement pour ordonnement ; & quoique dans l'origine ce terme d'ordonnance ne signifiât autre chose qu'arrangement ; néanmoins comme ces arrangemens ou dispositions étoient faits par une autorité souveraine, on a attaché au terme d'ordonnance l'idée d'une loi impérative & absolue.

Le terme françois d'ordonnance, ni même le latin ordinatio, dans le sens où nous le prenons pour loi, n'étoient point connus des anciens.

Les réglemens que firent les anciens législateurs chez les Grecs, étoient qualifiés de loi.

Il en fut de même chez les Romains : ils appelloient loi les réglemens qui étoient faits par tout le peuple assemblé à la réquisition de quelque magistrat du sénat.

Le peuple faisoit aussi des lois avec l'assistance d'un de ses magistrats, tels qu'un tribun ; mais ces lois étoient nommées plébiscites.

Ce que le sénat ordonnoit s'appelloit un senatus-consulte.

Les réglemens faits par les empereurs, s'appelloient principum placita ou constitutiones principum. On verra que cette derniere dénomination a été aussi employée par quelques-uns de nos rois.

Les constitutions des empereurs étoient générales ou particulieres.

Les générales étoient de trois sortes : savoir, des édits, des rescripts & des decrets.

Les édits étoient des constitutions générales que le prince faisoit de son propre mouvement pour la police de l'état ; il y avoit d'autres édits qui étoient faits par les magistrats, mais qui n'étoient autre chose que des especes de programmes publics, par lesquels ils annonçoient la forme en laquelle ils se proposoient de rendre la justice sur chaque matiere pendant l'année de leur magistrature. Nous n'avons pas en France d'édits de cette espece ; mais nos rois font aussi des édits qui ont le même objet que ceux des empereurs, & qui sont compris sous le terme général d'ordonnances.

Les rescripts des empereurs étoient des réponses aux requêtes qui leur étoient présentées, ou aux mémoires que les magistrats donnoient pour savoir de quelle maniere ils devoient se conduire dans certaines affaires. Nous avons aussi quelques anciennes ordonnances, ou lettres de nos rois, qui sont en forme de rescripts.

Les decrets étoient des jugemens que le prince rendoit dans son consistoire, ou conseil sur les affaires des particuliers ; ceci revient aux arrêts du conseil privé. Les qualifications de decret ou d'édit se trouvent employées indifféremment dans quelques anciennes ordonnances de nos rois.

Enfin, les constitutions particulieres étoient celles qui étoient faites seulement pour quelque personne ou pour un certain corps, de maniere qu'elles ne tiroient point à conséquence pour le général. On trouve quelques anciennes ordonnances latines de nos rois, qui sont pareillement qualifiées de constitutions : présentement ce terme n'est plus usité. Ces sortes de constitutions revenoient aux lettres-patentes que nos rois accordent à des particuliers, corps & communautés.

Les ordonnances qui avoient lieu en France du tems de la premiere race, reçurent divers noms : les plus considérables furent nommées lois, comme la loi gombette, la loi ripuaire, la loi salique ou des Francs.

Il y eut encore quelques autres lois faites par nos rois de la premiere race, pour d'autres peuples qui étoient soumis à leur obéissance, telles que la loi des Allemands, celles des Bavarois & des Saxons, celle des Lombards, &c. Toutes ces lois ont été recueillies en un même volume sous le titre de lois antiques.

La loi salique ou des Francs, qui est une des plus fameuses de ces lois, est intitulée pactum legis salicae ; il est dit qu'elle a été résolue de concert avec les Francs.

La loi des Allemands faite par Clotaire, porte en titre dans les anciennes éditions, qu'elle a été résolue par Clotaire, par ses princes ou juges, c'est-à-dire par trente-quatre évêques, trente-quatre ducs, soixante-douze comtes, & même par tout le peuple.

La loi Bavaroise, dressée par le roi Thierry, revûe par Childebert, par Clotaire, & en dernier lieu par Dagobert, porte qu'elle est l'ouvrage du roi, de ses princes & de tout le peuple chrétien qui compose le royaume des Mérovingiens.

La loi gombette contient les souscriptions de trente comtes, qui promettent de l'observer, eux & leurs descendans.

La principale matiere de ces lois, ce sont les crimes & sur-tout ceux qui étoient les plus fréquens chez des peuples brutaux, tels que le vol, le meurtre, les injures ; la peine de chaque crime y est réglée selon les circonstances, à l'égard desquelles la loi entre dans un fort grand détail, voyez ce qui est dit de ces lois dans l'histoire du Droit françois de M. l'abbé Fleury, & ce qui a été dit ici au mot code des lois antiques, & au mot lois antiques, & aux articles où il est parlé de chacune de ces lois en particulier.

Il y eut quelques lois de la premiere race qui furent nommées édits, tel que l'édit de Théodoric, roi d'Italie, qui se trouve dans ce code des lois antiques.

D'autres furent nommées en latin constitutiones.

D'autres enfin furent appellées capitulaires, parce que leurs dispositions étoient distinguées par chapitres ou plutôt par articles que l'on appelloit capitula. Ces capitulaires se faisoient par nos rois dans des assemblées, composées d'évêques & de seigneurs ; & comme les évêques y étoient ordinairement en grand nombre, & que l'on y traitoit d'affaires ecclésiastiques, ces mêmes assemblées ont souvent été qualifiées de concile. Le recueil des capitulaires de l'édition de M. Baluze, comprend quelques capitulaires du tems de la premiere race, lesquels remontent jusqu'au regne de Childebert.

Les ordonnances qui nous restent des rois de la seconde race, sont toutes qualifiées de capitulaires, & comprises dans l'édition qu'en a donnée M. Baluze en deux volumes in-folio avec des notes.

Les capitulaires de Charlemagne commencent en l'an 768, premiere année de son regne ; il y en a des regnes suivans, jusques & compris l'an 921, tems fort voisin de la fin du regne de Charles le Simple.

La collection des capitulaires porte en titre capitula regum & episcoporum, maximèque nobilium francorum omnium.

Et en effet, ils sont appellés par les rois leur ouvrage & celui de leurs féaux. Charlemagne en parlant de ceux faits pour être insérés dans la loi salique, dit qu'il les a faits du consentement de tous ; celui de 816 porte, que Louis le Débonnaire a assemblé les grands ecclésiastiques & laïcs pour faire un capitulaire pour le bien général de l'église ; dans un autre il remet à décider jusqu'à ce que ses féaux soient en plus grand nombre.

Charles le Chauve dit, tels sont les capitulaires de notre pere que les Francs ont jugé à propos de reconnoître pour loi, & que nos fideles ont résolu dans une assemblée générale, d'observer en tous tems ; & dans un édit qu'il fit à Poissy en 844. pour une nouvelle fabrication de monnoie, il est dit que cet édit fut fait ex consensu, par où l'on entend que ce fut dans une assemblée du peuple.

Les capitulaires sont distingués en plusieurs occasions d'avec les autres lois qui étoient plus anciennes ; & en effet, il y avoit différence en ce que les capitulaires n'avoient été faits que pour suppléer ce qui n'avoit pas été prévû par les lois, cependant ils avoient eux-mêmes force de lois ; & l'on voit dans plusieurs capitulaires de Louis le Débonnaire & de Charles le Chauve, qu'ils ordonnent que les capitulaires seront tenus pour loi.

Ceux de Charlemagne forment même un corps complet de législation politique, ecclésiastique, militaire, civile & économique.

Les lois & capitulaires, tant de la premiere que de la seconde race, se faisoient donc dans des assemblées de la nation qui se tenoient en plein champ, & qu'on a appellées parlement, parce que c'étoit dans ces assemblées que l'on parloit & traitoit des affaires sur lesquelles le roi vouloit bien se concerter avec ses sujets.

Sous la premiere race, ces assemblées se tenoient au mois de Mars, d'où on les appelloit quelquefois champ de Mars ; d'abord toutes les personnes libres y étoient admises, le peuple comme les grands ; mais la confusion que cause toujours la multitude, fit que l'on changea bien-tôt la forme de ces assemblées. On assembla chaque canton en particulier, & l'on n'admit plus aux assemblées générales que ceux qui tenoient quelque rang dans l'état ; les évêques y furent admis de fort bonne heure, c'est de-là que Grégoire de Tours, Reginon & autres auteurs nomment souvent ces assemblées synodes ou conciles.

Ces mêmes assemblées sont nommées dans la loi salique mallus, mot tudesque qui veut dire parole ; c'étoit-là en effet que la nation parlementoit avec le roi, c'est-à-dire conféroit, communiquoit avec lui ; elles furent aussi appellées judicium francorum & placitum, & dans la suite parlamentum parlement.

C'est dans ces assemblées que se faisoient les nouvelles lois & capitulaires, ou autres ordonnances ; on y délibéroit entr'autres choses de la conservation des lois & des changemens qui pouvoient être nécessaires.

Au reste, ces assemblées, soit générales ou réduites à un certain nombre de personnes, ne se tenoient point par une autorité qui fût propre à la nation ; & l'on ne peut douter, suivant les principes universellement reconnus parmi nous, que rien ne se faisoit dans ces assemblées que par la permission du roi.

Aussi voit-on que nos rois en changerent la forme, & même en interrompirent le cours, selon qu'ils le jugerent à propos : le pouvoir & la dignité de ces assemblées ne furent pas long-tems uniformes ; elles ne resterent pas non plus long-tems dans leur intégrité, tant à cause des différens partages qui se firent de la monarchie, qu'à cause des entreprises de Charles Martel, lequel irrité contre le clergé qui composoit la plus grande partie de ces assemblées, les abolit entierement pendant les vingt-deux ans de sa domination ; ses enfans les rétablirent. Pepin les transfera au mois de Mai, il y donna le premier rang aux prélats ; Charlemagne rendit ces assemblées encore plus augustes, tant par la qualité des personnes qui s'y trouvoient, que par l'ordre qu'il y établit & par la bonté qu'il avoit d'écouter les avis de son peuple au sujet des lois que l'on proposoit dans ces assemblées, cherchant ainsi à prévenir toutes les difficultés & les inconvéniens qui auroient pû se trouver dans la loi.

Les lois antiques de la premiere race continuerent à être observées avec les capitulaires jusques vers la fin de la seconde race, dans tous les points auxquels il n'avoit pas été dérogé par les capitulaires ; la loi salique fait même encore une de nos plus saintes lois par rapport à l'ordre de succéder à la couronne.

Du reste, toutes ces lois anciennes & le surplus de la loi salique elle-même, ainsi que les capitulaires, sans avoir jamais été abrogés formellement, tomberent peu-à-peu dans l'oubli, à cause du changement qui arriva dans la forme du gouvernement, lequel introduisit aussi un nouveau droit.

En effet, les inféodations qui furent faites vers la fin de la seconde race & au commencement de la troisieme race, introduisirent le droit féodal.

Sous Louis le Gros, lequel commença à affranchir les fiefs de son domaine, tout se régloit en France par le Droit des fiefs, celui des communes & bourgeoisies, & des main-mortes.

Tous ces usages ne furent point d'abord rédigés par écrit, dans une révolution, telle que celle qui arriva dans le gouvernement, on étoit beaucoup plus occupé à se maintenir par les armes, que du soin de faire des lois.

Depuis les capitulaires qui finissent, comme on l'a dit, en 921, l'on ne trouve aucune ordonnance faite par les rois de la seconde & de la troisieme race jusqu'en 1051, encore jusqu'à S. Louis ; si l'on en excepte une ordonnance de 1188. sur les décimes, & celle de Philippe Auguste en 1190, ce ne sont proprement que des chartres ou lettres particulieres ; dans le premier volume des ordonnances de la troisieme race, on n'a inséré que dix de ces lettres, qui ont été données depuis l'an 1051 jusqu'en 1190, étant les seules qui contiennent quelques réglemens ; encore ne sont-ce que des réglemens particuliers pour une ville, ou pour une église ou communauté, & non des ordonnances générales faites pour tout le royaume.

Les ordonnances que nous avons depuis Henri I. sont toutes rédigées en latin jusqu'à celle de S. Louis de l'année 1256. qui est la premiere que l'on trouve écrite en françois, encore est-il incertain si elle a été publiée d'abord en françois ou en latin. Il y en eut en effet encore beaucoup depuis ce tems qui furent rédigées en latin ; on en trouve dans tous les regnes suivans jusqu'au tems de François I, lequel ordonna en 1539. que tous les actes publics seroient rédigés en françois ; mais pour ce qui est des ordonnances, elles étoient déja la plûpart en françois, si ce n'est les lettres patentes qui regardoient les provinces, villes & autres lieux des pays de droit écrit, qu'on appelloit alors la languedoc, lesquelles étoient ordinairement en latin : les ordonnances générales, & celles qui concernoient les pays de la languedoil ou pays coutumier étoient ordinairement rédigées en françois, du-moins depuis le tems de S. Louis.

Les anciennes ordonnances, chartes ou lettres de nos rois ont reçu selon les tems diverses qualifications.

Henri I. dans des lettres de l'an 1051, portant un réglement pour la ville d'Orléans, qualifie lui-même sa charte testamentum nostrae autoritatis, quasi testimonium ; on remarque encore une chose dans ces lettres & dans quelques autres postérieures, c'est que quoique la personne de nos rois fût ordinairement qualifiée de majesté, ainsi que cela étoit usité dans le tems de Charlemagne, néanmoins en parlant d'eux-mêmes, ils ne se qualifioient quelquefois que de sérénité & de celsitude, celsitudinem nostrae serenitatis adierit, mais le style des lettres de chancellerie n'étoit alors ni bien exact, ni bien uniforme, car dans ces mêmes lettres on trouve aussi ces mots nostrae majestatis autoritate.

Les lettres de l'an 1105. par lesquelles Philippe I. défend de s'emparer des meubles des évêques de Chartres décédés, sont par lui qualifiées en deux endroits pragmatica sanctio ; on entendoit par-là une constitution que le prince faisoit de concert avec les grands de l'état, ou, selon Hotman, c'étoit un rescrit du prince non pas sur l'affaire d'un simple particulier, mais de quelque corps, ordre ou communauté ; on appelloit un tel réglement pragmatique, parce qu'il étoit interposé après avoir pris l'avis des gens pragmatiques, c'est-à-dire des meilleurs praticiens, des personnes les plus expérimentées ; sanctio est la partie de la loi qui prononce quelque peine contre les contrevenans.

Ce reglement n'est pas le seul qui ait été qualifié de pragmatique sanction ; il y a entr'autres deux ordonnances fameuses qui portent le même titre ; l'une est la pragmatique de S. Louis du mois de Mars 1268 ; l'autre est la pragmatique-sanction faite à Bourges par Charles VII. au mois de Juillet 1438.

Les lettres de Louis le Gros, de l'année 1118, concernant les serfs de l'église S. Maur des fossés, sont qualifiées dans la piece même de decret ; & dans un autre endroit d'edit, nostrae institutionis edictum ; mais dans ces premiers tems il se trouve fort peu d'édits : ce terme n'est devenu plus usité que depuis le xvj. siecle, pour exprimer des lois générales, mais ordinairement moins étendues que les ordonnances proprement dites.

Le terme d'institution dont on vient de parler se trouve employé dans d'autres lettres du même prince, de l'an 1128, où il dit instituo & decerno, ce qui annonce encore un decret.

Dans d'autres lettres de l'an 1134, il dit volumus & praecipimus.

Louis VII. dans des lettres de l'an 1145, dit, en parlant d'un reglement fait par son pere, statutum est à patre nostro.

Les lettres du même prince touchant la régale de Laon, sont intitulées carta de regalibus laudunensibus ; mais on ne peut assurer si ce titre vient du copiste ou de l'original.

La plûpart de ces lettres sont plutôt des privileges particuliers que des ordonnances ; cependant, comme elles ont fait en leur tems une espece de droit, on les a compris dans la collection des ordonnances. Philippe-Auguste étant sur le point de partir pour la Terre sainte, en 1190, fit une ordonnance, qui est intitulée testamentum ; c'est un réglement pour la police du royaume : il a été qualifié testament, soit parce que le roi y fait plusieurs dispositions pour la distribution de ses tresors, au cas que lui & son fils vinssent à mourir pendant ce voyage, ou plutôt cette ordonnance a été qualifiée testament, dans le même sens que la chartre d'Henri premier, quasi testimonia nostrae autoritatis : quoi qu'il en soit, ce testament est regardé par quelques-uns comme la plus ancienne ordonnance proprement dite, du tems de la troisieme race. Le roi ne s'y sert pourtant point du terme ordonnons, mais de ceux-ci volumus, praecipimus, prohibemus, qui reviennent au même ; & il ne qualifie ce testament à la fin que de praesentem paginam, de même que d'autres lettres qu'il donna en 1197. Cette expression se trouve encore dans plusieurs autres lettres postérieures ; mais ces mots sont désignatifs & non qualificatifs.

Les premieres lettres où il se soit servi du terme ordinamus, sont celles qu'il accorda à l'université en 1200.

Ce terme ordinamus ou ordinatum fuit, fut souvent employé dans la suite pour exprimer les volontés du prince : cependant elles n'étoient pas encore désignées en françois par le terme d'ordonnance.

En faisant mention que les lettres alloient être scellées du sceau du prince, & souscrites de son nom ; on mettoit auparavant à la fin de la plûpart des lettres cette clause de style, quod ut firmum & stabile maneat, ou bien quod ut stabilitatis robur obtineat ; on forma de-là le nom de stabilimentum ou établissement, que l'on donna aux ordonnances du roi.

Beaumanoir dans ses coutumes de Beauvaisis dit, que quand le roi faisoit quelque établissement spécialement en son domaine, les barons ne laissoient pas d'en user en leurs terres, selon les anciennes coutumes ; mais que quand l'établissement étoit général, il devoit avoir cours par-tout le royaume ; & nous devons croire, dit-il, que tel établissement étoit fait par très-grand conseil, & pour le commun profit.

Les seigneurs barons s'ingéroient alors de faire aussi des établissemens ou ordonnances dans leurs domaines, ce qui étoit un attentat à l'autorité royale, lequel fut depuis réprimé.

La premiere ordonnance que l'on trouve, intitulée établissement, est celle de Philippe Auguste, du premier Mai 1209. Il n'y a cependant pas dans le corps de la piece la qualification de stabilimentum, comme elle se trouve dans plusieurs autres semblables établissemens : il est dit en tête de celui-ci, que le duc de Bourgogne, les comtes de Nevers, de Boulogne & de S. Pol, le seigneur de Dampierre, & plusieurs autres grands du royaume de France, sont convenus unanimement, & ont confirmé par un consentement public, qu'à l'avenir on en useroit pour les fiefs, suivant ce qui est porté ensuite ; ce qui feroit croire que les établissemens étoient des ordonnances contestées avec les barons, & pour avoir lieu dans leurs terres, aussi bien que dans celles du domaine.

Cependant le roi faisoit aussi des ordonnances qui n'avoient lieu que dans son domaine, & qu'il ne laissoit pas de qualifier d'établissement, ce qui se trouve conforme à la distinction de Beaumanoir.

C'est ainsi que Philippe-Auguste fit, en Mars 1214, une ordonnance touchant les Croisés, qui est intitulée stabilimentum cruce signatorum, dans le second registre de Philippe-Auguste, qui est au trésor des chartres ; & néanmoins dans le premier registre il y a d'autres lettres touchant les Croisés, qui sont intitulées carta.

On remarque seulement dans cet établissement, que le roi y annonce, que du consentement du légat, il s'est fait informer par les évêques de Paris & de Soissons de quelle maniere la sainte Eglise avoit coutume de défendre les libertés des Croisés, & qu'information faite pour le bien de la paix entre le sacerdoce & l'empire, jusqu'au concile qui devoit se tenir incessamment, ils avoient arrêté que l'on observeroit les articles qui sont ensuite détaillés à la fin de cet article ; le roi ordonne qu'ils seront observés dans tout son domaine jusqu'au concile ; mais il a soin de mettre, que c'est sans préjudice des coutumes de la sainte Eglise, du droit & des coutumes du royaume de France, & de l'autorité de la sainte Eglise romaine : on voit par-là qu'il n'avoit pas fait tout seul ce réglement ; qu'il n'avoit fait qu'adopter ce qui avoit été reglé par le légat & par deux évêques, & c'est apparemment pour cela qu'il le nomme établissement.

Son ordonnance du mois de Février 1218 touchant les Juifs, est qualifiée par lui de constitution : elle commence par ces mots haec est constitutio ; ainsi, toute ordonnance n'étoit pas qualifiée d'établissement.

On a encore de ce prince deux établissemens sans date ; l'un intitulé stabilimentum, qui est rédigé dans le goût des capitulaires : en effet, il commence par ces mots primum capitulum est, & ensuite secundum capitulum, & ainsi des autres : chaque capitule contient une demande faite au roi, laquelle est suivie de la réponse ; celle qui est faite au premier article, est conçue en cette forme : responsio ; in hoc concordati sunt rex & barones. Les autres réponses contiennent les accords faits avec le clergé : ce concordat ne doit pourtant pas être considéré comme une simple convention, parce que le roi, en se prêtant à ce concordat, lui donnoit force de loi.

L'autre établissement, qui est la derniere ordonnance que l'on rapporte de Philippe-Auguste, commence par ces mots, hoc est stabilimentum quod rex facit judaeis. Celui-ci est fait par le roi, du consentement de la comtesse de Troyes & de Guy de Dampierre ; & il est dit à la fin, qu'il ne durera que jusqu'à ce que le roi, ces deux seigneurs, & les autres barons, dont le roi prendra l'avis, le jugeront àpropos.

Ce que l'on vient de remarquer sur ces deux derniers établissemens, confirme bien que l'on ne donnoit ce nom qu'aux réglemens qui étoient faits de concert avec quelques autres personnes, & principalement lorsque c'étoit avec d'autres seigneurs, & pour que l'ordonnance eût lieu dans leurs domaines.

Les historiens font mention de plusieurs autres ordonnances de Philippe-Auguste ; mais que l'on n'a pu recouvrer ; & il est probable que dans ces tems tumultueux, où l'on étoit peu versé dans les lettres, & où l'on n'avoit point encore pensé à mettre les ordonnances dans un dépôt stable, il s'en est perdu un grand nombre.

Ce fait est d'autant plus probable, que l'on sait qu'en 1194, Philippe-Auguste ayant été surpris près de Blois par Richard IV. roi d'Angleterre & duc de Normandie, avec lequel il étoit en guerre, il y perdit tout son équipage, les scels, chartres, & beaucoup de titres & papiers de la couronne.

Quelques auteurs néanmoins, du nombre desquels est M. Brussel (usage des fiefs), tiennent que les Anglois n'emporterent point de registres, ni de titres considérables ; qu'on ne perdit que quelques pieces détachées.

Mais il est toujours certain, suivant Guillaume Brito, que cette perte fut très-grande, & que dans le grand nombre de chartres qui furent perdues, il y avoit sans doute plusieurs ordonnances, ou comme on disoit alors, établissemens. Le roi donna ordre de réparer cette perte, & chargea de ce soin frere Gautier ou Guerin, religieux de l'ordre de saint Jean de Jerusalem, évêque de Senlis, lequel étoit aussi garde des sceaux sous Philippe-Auguste, & fut ensuite chancelier sous Louis VIII. & saint Louis. Guerin recueillit tout ce qu'il put trouver de copies de chartres, & rétablit le surplus de mémoire le mieux qu'il put : il fut résolu de mettre ce qui restoit, & ce qui seroit recueilli à l'avenir en un lieu où ils ne fussent point exposés à tant de hasards ; & Paris fut choisi, comme la ville capitale du royaume pour la conservation de ces titres ; & il est à croire que les plus anciens furent enlevés par les Anglois, puisqu'il ne se trouve rien au trésor des chartres, que depuis le roi Louis le Jeune, dont la premiere ordonnance est de l'an 1145.

Telle fut l'origine du trésor des chartres, dans lequel une partie des ordonnances de la troisieme race se trouve conservée tant dans les deux registres du tems de Philippe-Auguste, que dans d'autres pieces qui sont dans ce dépôt.

Il y en a néanmoins cinq ou six qui sont antérieures à ces registres, qui ont été tirées de divers autres dépôts, comme de quelques monasteres, & une de 1137 tirée de la chambre des comptes.

Nous n'avons de Louis VIII. que deux ordonnances.

L'une de l'an 1223, touchant les Juifs, dans le préambule de laquelle il dit, fecimus stabilimentum super Judaeos ; & un peu plus loin, stabilimentum autem tale est, c'est encore un concordat fait avec divers seigneurs, qui sont dénommés dans le préambule, tant archevêques qu'évêques, comtes, barons & chevaliers militum, lesquels, est-il dit, ont juré d'observer cet établissement.

L'autre, qui est de l'année suivante, concernant des mauvaises coutumes de la ville de Bourges, qui avoient été abolies, fait mention d'une ordonnance de Philippe-Auguste, qu'il qualifie in litteris suis. Louis VIII. ne désigne point celle-ci par le terme de stabilimentum ; mais il met à la fin la clause ordinaire ut autem haec omnia stabilitatis robur obtineant, praefatam paginam sigilli nostri autoritate, &c. C'est le prince qui ordonne seul de l'avis toutefois de son conseil, magno nostrorum & prudentium consilio.

S. Louis, dans son ordonnance de 1228, se sert tantôt du terme ordinamus, & tantôt de ceux de statuimus ou mandamus.

Dans celle de 1230, il dit statuimus, & plus loin, haec statuta faciamus servari ; & vers la fin il ajoute haec voluimus & juravimus. Cette ordonnance est faite par le roi, de sincerâ voluntate nostrâ & de communi consilio baronum : le roi ordonne tant pour ses domaines que pour les barons ; cette ordonnance n'est pourtant pas qualifiée d'établissement : les réglemens qu'elle contient ne sont qualifiés que de statuts ; mais le roi déclare qu'il veut qu'elle soit gardée par ses héritiers, & par ses barons & leurs héritiers, & l'ordonnance est signée par sept barons différens, lesquels mettent chacun ego.. T... eadem volui, consului & juravi.

Son ordonnance de 1230 commence par anno domini institutum est à Ludovico, &c. Le premier article porte sciendum est, & les suivans commencent par praeceptum est.

Celle qu il fit en 1235 commence par ordinatum fuit : il y a lieu de croire qu'elle fut faite dans un parlement, attendu que cette forme annonce un procès-verbal plutôt que des lettres du prince.

Mais ce qui mérite plus d'être remarqué, c'est que les lettres ou ordonnances de ce prince du mois de Juin 1248, par lesquelles il laisse la régence à la reine sa mere pendant son absence, sont émanées de lui seul.

On en rapporte une autre faite par ce prince en 1245, avec la traduction françoise à côté ; le tout est tiré d'une ordonnance du roi Jean, où celle-ci est rapportée, & la traduction paroît être du tems de S. Louis, tant l'ouvrage en est barbare.

Ses lettres du mois d'Avril 1250, contenant plusieurs réglemens pour le Languedoc, sont proprement un rescrit : en effet, il s'y exprime en ces termes, consultationibus vestris duximus respondendum taliter, & ailleurs on trouve encore le terme de respondemus.

L'ordonnance qu'il fit en 1254 pour la réformation des moeurs dans le Languedoc, & dans le Languedoil, est intitulée dans les conciles de la Gaule narbonnoise de M. Baluze, haec stabilimenta per dominum regem Franciae, &c. Au commencement de la piece saint Louis dit subscripta duximus ordinanda ; & plus loin, en parlant d'une ordonnance qui avoit été faite pour les Juifs, il la qualifie d'ordinationem.

Dans une autre, du mois de Février de la même année, il dit ordinavimus, & ailleurs ordinamus & praecipimus ; & à la fin, enjoint de mettre cette ordonnance avec les autres, inter alias ordinationes praedictas conscribi volumus, ce qui fait connoître qu'il y avoit dès-lors un livre où l'on transcrivoit toutes les ordonnances.

Il en fit une françoise en 1256 pour l'utilité du royaume, laquelle commence par ces mots : Nous établissons que, &c. Ces termes sont encore répétés dans un autre endroit ; & ailleurs il dit : nous voulons, nous commandons, nous défendons ; celle-ci ne paroît qu'une traduction de celle de 1254, avec néanmoins quelques changemens & modifications ; mais ce qui est certain, c'est que le texte de cette ordonnance françoise n'a point été composé tel qu'il est rapporté, le langage françois que l'on parloit du tems de saint Louis étant presque inintelligible aujourd'hui sans le secours d'un glossaire.

Quoique saint Louis se servît volontiers du terme d'établissement, ce style n'étoit pourtant pas uniforme pour toutes les ordonnances ; car celle qu'il fit dans la même année touchant les mairies, commence par nous ordonnons, & ce terme y est répété à chaque article.

De même, dans celle qu'il fit touchant l'élection des maires de Normandie, il commence par ces mots, nos ordinavimus, & à chaque article il dit, nos ordinamus.

On s'exprimoit souvent encore autrement, par exemple, l'ordonnance que saint Louis fit en 1262 pour les monnoies, commence ainsi, il est égardé, comme qui diroit on aura égard ou attention de ne pas faire telle chose : ce réglement avoit pourtant bien le caractere d'ordonnance, car il est dit à la fin facta fuit haec ordinatio, &c.

Un autre réglement qu'il fit en 1265, aussi touchant les monnoies, commence par l'attirement que le roi a fait des monnoies est tiex (tel) ; on entendoit par attirement une ordonnance par laquelle le roi attiroit à ses hôtels les monnoies à refondre ou à réformer, ou plutôt par laquelle il remettoit ou attiroit les monnoies affoiblies à leur juste valeur : peut-être attirement se disoit-il par corruption pour attirement, comme qui diroit un réglement qui mettoit les monnoies à leur juste titre ; & ce qui justifie bien que cet attirement étoit une ordonnance, c'est que le roi l'a qualifié lui-même ainsi. Il veut & commande que cet ordennement soit tenu dans toute sa terre & ès terres de ceux qui n'ont point de propre monnoie, & même dans les terres de ceux qui ont propre monnoie, sauf l'exception qui est marquée, & il veut que cet attirement soit ainsi tenu par tout son royaume.

Il fit encore dans la même année une ordonnance pour la cour des esterlins, laquelle commence par ces mots, il est ordonné, & à la fin il est dit, facta fuit haec ordinatio in parlamento, &c.

Quand le roi donnoit un simple mandement, on ne le qualifioit que de lettres, quoiqu'il contînt quelqu'injonction qui dût servir de regle. C'est ainsi qu'à la fin des lettres de saint Louis du mois de Janvier 1268 il y a, istae litterae missae fuerunt clausae omnibus baillivis.

Quelquefois les nouvelles lois étoient qualifiées d'édits ; on en a déja fait mention d'un de Louis-le-Gros en 1118. Saint-Louis en fit aussi un au mois de Mars 1268, qu'il qualifie d'edicto consultissimo ; cet édit ou ordonnance est ce qu'on appelle communément la pragmatique de saint Louis.

On voit par les observations précédentes que les ordonnances recevoient différens noms, selon leur objet, & aussi selon la maniere dont elles étoient formées. Quand nos rois faisoient des ordonnances pour les pays de leur domaine, ils n'employoient que leur seule autorité ; quand ils en faisoient qui regardoient le pays des barons ou de leurs vassaux, elles étoient ordinairement faites de concert avec eux, ou scellées ou souscrites d'eux ; autrement les barons ne recevoient ces ordonnances qu'autant qu'ils y trouvoient leur avantage. Les arriere-vassaux en usoient de même avec les grands vassaux ; & il paroît que l'on appelloit établissement les ordonnances les plus considérables & qui étoient concertées avec les barons dans des assemblées de notables personnages.

La derniere ordonnance connue sous le nom d'établissement, est celle de saint Louis en 1270. Elle est intitulée les établissemens selon l'usage de Paris & de cour de baronie : dans quelques manuscrits ils sont appellés les établissemens le roi de France.

Quelques-uns ont révoqué en doute que ces établissemens aient eu force de loi ; ils ont prétendu que ce n'étoit qu'une compilation ou traité du droit françois, d'autant qu'ils sont remplis de citations de canons, de decret, de chapitres des décretales, & de lois du digeste & du code, ce qui ne se voit point dans toutes les ordonnances précédentes de la troisieme race.

Il est néanmoins vrai que ces établissemens furent autorisés par saint Louis ; c'est une espece de code qu'il fit faire peu de tems avant sa seconde croisade ; l'on y inséra des citations pour donner plus d'autorité ; ce qui ne doit pas paroître extraordinaire, puisque nous avons vu de nos jours cette méthode renouvellée dans le code Fréderic : les établissemens de saint Louis sont distribués en deux parties, & chaque partie divisée par chapitres : ils contiennent en tout 213 chapitres.

Charles VI. s'est pourtant encore servi du terme d'établissement dans des lettres de 1394 touchant les Juifs. Il ordonne par maniere d'établissement ou constitution irrévocable, c'est ainsi qu'il explique lui-même le terme d'établissement.

Dans la plûpart des ordonnances qui furent faites par nos rois depuis le tems de saint Louis, ils s'expriment par ces mots, ordinatum fuit ; il se trouve un assez grand nombre de ces ordonnances faites au parlement, même depuis qu'il eut été rendu sédentaire à Paris : cela étoit encore assez commun vers le milieu du xjv. siecle ; il s'en trouve même encore de postérieures, notamment des lettres de 1388, comme on l'a dit au mot ENREGISTREMENT.

Mais la premiere loi de cette espece qui ait été qualifiée en françois ordonnance, est celle de Philippe-le Bel, faite au parlement de la pentecôte en 1287, touchant les bourgeois, qui commence par ces mots : " c'est l'ordonnance faite par la cour de notre seigneur le roi, & de son commandement."

Depuis ce tems, le terme d'ordennance ou ordonnance devint commun, & a été enfin consacré pour exprimer en général toute loi faite par le prince.

Il y en a pourtant de postérieures à celle de 1287, qui sont encore intitulées autrement, telle que celle du 3 Mai 1302 pour les églises de Languedoc, qui est intitulée statutum regium, d'autres sont encore qualifiées ordinationes.

On comprend sous le terme général d'ordonnance du roi, tant les ordonnances proprement dites que les édits, déclarations, & lettres patentes de nos rois.

Les ordonnances proprement dites, sont des réglemens généraux sur une ou plusieurs matieres, & principalement sur ce qui est du droit public, & ce qui concerne les formes de rendre la justice.

Les édits sont des lettres de chancellerie, que le roi donne de son propre mouvement, pour servir de loi à ses sujets sur une certaine matiere.

Les déclarations sont aussi des lettres de chancellerie, par lesquelles le roi déclare sa volonté sur l'exécution d'un édit ou d'une ordonnance précédente, pour l'interpréter, changer, augmenter ou diminuer.

On trouve un exemple d'une déclaration du roi dès le 26 Décembre 1335, donnée sur une ordonnance du 11 Mai 1333. Les gens des comptes avoient supplié le roi d'expliquer sa volonté sur un objet qui n'étoit pas spécifié dans son ordonnance ; & le roi dit qu'il vouloit en avoir sa déclaration & savoir son entente, & en conséquence il explique son intention & sa volonté : on trouve pourtant peu d'ordonnances qui aient été qualifiées de déclarations jusqu'au commencement du xvj. siecle : les édits sont encore en plus petit nombre que les déclarations.

Le pouvoir de faire de nouvelles ordonnances, édits ou déclarations, de les changer, modifier, n'appartient en France qu'au roi, dans lequel seul réside tout le pouvoir législatif.

Mais comme on ne sauroit apporter trop d'attention à la rédaction des ordonnances, nos rois ont coutume de prendre l'avis de personnes sages & éclairées de leur conseil.

Les anciennes ordonnances se faisoient de deux manieres ; les unes étoient arrêtées dans le conseil intime & secret du roi ; celles qui paroissoient plus importantes, étoient délibérées dans des assemblées plus nombreuses.

Les premieres chartres ou lettres qui nous restent des rois de la troisieme race, sont signées des grands officiers de la couronne, & de quelques autres notables personnages.

Quelques auteurs ont avancé que toutes celles qui n'étoient pas signées des grands officiers de la couronne, étoient délibérées en parlement, comme en effet cela se pratiquoit assez ordinairement, mais on n'en trouve pas des preuves pour toutes les ordonnances.

Les lettres d'Henri I. de l'an 1051, que l'on met en tête des ordonnances de la troisieme race, sont d'abord scellées du scel du roi, comme c'étoit la coutume : il est dit sigillo & annulo : dans d'autres il est dit sigillo nostrae majestatis.

Quelquefois, outre son scel, le roi mettoit sa signature ; dans d'autres ordonnances il n'en est point parlé, quoiqu'elles fussent souscrites des plus grands du royaume.

Une autre singularité qui se trouve dans les lettres données à Orléans l'an 1051, dont on a déja parlé, c'est que la signature de l'évêque d'Orléans y est avant celle du roi ; ensuite celle de l'archevêque de Rheims, de Hugues Bardoul, celle de Hugues Bouteiller (c'étoit le grand bouteiller de France) : il y a encore quelques autres signatures de divers particuliers qui paroissent être des officiers du chapitre : enfin est celle de Baudouin chancelier, lequel signa le dernier, ce qu'on exprime par ce mot subscripsit.

Les lettres de Philippe I. en 1105, qui ne sont proprement qu'un rescript, sont signées de lui seul ; il n'y est même pas fait mention qu'il eût pris l'avis de personne ; il dispose de sa seule autorité, nostrae majestatis autoritate res praetaxatas à pravâ consuetudine liberamus.

Quelquefois les lettres de nos rois étoient données de l'avis des évêques & grands du royaume, & néanmoins elles n'étoient signées que des grands officiers de la couronne : c'est ainsi que les lettres de Louis le Gros en 1118 sont données, communi episcoporum & procerum consilio & assensu & regiae autoritatis decreto. Les grands, comme on voit, ne donnoient qu'un avis & consentement ; le roi parloit seul avec autorité. Ces lettres ne sont point signées de ces évêques & grands, il est seulement dit qu'elles furent données à Paris publiquement, publicè. Il y en a beaucoup d'autres où la même chose se trouve exprimée ; ce qui fait voir que l'on a toujours reconnu la nécessité de donner aux nouvelles lois un caractere de publicité par quelque forme solemnelle. Enfin, il est dit que ces lettres furent données adstantibus in palatio nostro quorum nomina substituta sunt & signa ; & ensuite sont les noms & seings du grand maître dapiferi, du connétable, du bouteiller, du chambrier, & il est fait mention que ces lettres ont été données par la main du chancelier, data per manum Stephani cancellarii, ce qui se trouve exprimé de même à la fin de plusieurs lettres.

Louis le Gros, dans des lettres de 1128, après avoir énoncé l'avis & le consentement des évêques & grands, fait mention qu'il a pris aussi l'avis & consentement d'Adélaïde sa femme, & de Philippe son fils, désigné roi. Cependant cette princesse ni son fils ne signerent point non plus que le roi ; il n'y eut que trois des grands officiers de la couronne. Il est dit que l'office de grand-maître n'étoit point rempli, dapifero nullo, & l'on ne fait point mention du chancelier.

Dans des lettres que ce même prince donna en 1134, il dit, annuente Ludovico nostro filio in regem sublimato ; dans celles de 1137, il dit assentiente. Ces dernieres lettres sont faites en présence de deux sortes de personnes ; les unes à l'égard desquelles il est dit in praesentiâ, & qui ne signent point ; savoir, l'évêque de Chartres, légat du saint siége, Etienne évêque de Paris, Sugger abbé de saint Denis, c'étoit le ministre de Louis le Gros, Girard abbé de Josaphat, Algrin qui est qualifié à secretis nostris, c'est-à-dire secrétaire du roi. A l'égard des autres personnes, ce sont les grands officiers de la couronne, qui sont dits astantibus in palatio nostro, & dont les noms & seings se trouvent ensuite. Ceux-ci étoient aux côtés du prince, les autres étoient présens, mais n'approchoient pas si près de la personne du roi ; cette distinction se trouve observée dans plusieurs autres lettres & ordonnances.

L'ordonnance de 1190, connue sous le nom de testament de Philippe-Auguste, ne fait point mention qu'il eût pris l'avis d'aucun des grands ; le roi dit qu'il l'a fait consilio altissimi. Elle est néanmoins signée des grands officiers de la couronne, quoiqu'elle ne soit pas dite faite publicè ; il s'en trouve plusieurs autres semblables, où ils ont pareillement souscrit ; celle-ci est donnée vacante cancellariâ, & est signée du roi.

Plusieurs anciennes ordonnances ne font aucune mention des signatures & seings, soit que cette partie de la piece ait été adhirée, soit parce qu'elles aient été extraites d'autres ordonnances où l'on avoit retranché cette forme comme inutile.

Quelquefois tous les grands qui étoient présens à la confection d'une ordonnance, y apposoient leurs sceaux avec les grands officiers de la couronne ; cela se pratiquoit sur-tout dans les établissemens, comme il paroît par celui de 1223, fait par Louis VIII. touchant les Juifs. Il est dit que tous les comtes, barons, & autres, qui y sont dénommés, y ont fait mettre leurs sceaux. C'étoit ainsi que l'on souscrivoit alors les actes ; car l'ignorance étoit si grande, sur-tout chez les laïcs, que peu de personnes savoient écrire. On faisoit écrire le nom de celui qui vouloit apposer son sceau, en ces termes, signum Hugonis, ou autre nom ; & ensuite celui dont le nom étoit écrit apposoit son sceau à côté de ce nom.

Quand le roi ne se trouvoit pas accompagné des grands officiers de la couronne, à leur défaut on appelloit d'autres personnes à la confection des ordonnances, pour y donner la publicité ; on prenoit ordinairement les personnages les plus notables du lieu ; dans quelques occasions de simples bourgeois furent appellés.

Par exemple, dans l'ordonnance que saint Louis fit à Chartres en 1262 touchant les monnoies, il est dit qu'à la confection de cette ordonnance, assisterent plusieurs bourgeois qui y sont dénommés, & qui sont dits jurati, c'est-à-dire, qui avoient prêté serment ; savoir trois bourgeois de Paris, trois bourgeois de Provins, deux bourgeois d'Orléans, deux de Sens, & deux de Laon. Il paroît assez singulier que l'on eût ainsi rassemblé à Chartres des bourgeois de différentes villes, & qu'il n'y en eût aucuns de la ville même ; on n'avoit apparemment appellé que ceux qui étoient le plus au fait des monnoies.

Au reste, il se trouve fort peu d'ordonnances du tems de saint Louis, qui fassent mention que l'on y ait apposé d'autres sceaux que celui du roi.

La formule de la plûpart des ordonnances de ce regne, de celui de Philippe le Hardy, & de celui de Philippe-le-Bel, énonce qu'elles furent faites au parlement ; le roi étoit présent à ces délibérations, & les ordonnances que l'on y proposoit y étoient corrigées quand il y avoit lieu.

Le roi Jean finit une ordonnance en disant que s'il y a quelque chose à y ôter, ajouter, changer, ou interpréter, cela sera fait par des commissaires qu'il députera à cet effet, & qui en délibéreront avec les gens du parlement ; elles sont relatées dans le registre des enquêtes, ou dans les registres olim dont elles tirent toute leur authenticité.

Ce que l'on trouve de plus remarquable du tems de Philippe-le-Bel par rapport à la maniere dont se faisoient les ordonnances, c'est premierement celle de 1287, qui fut faite au parlement touchant les bourgeoisies ; il est dit qu'elle fut faite par la cour de notre seigneur le roi ; mais il y a tout de suite ces mots, & de son commandement.

On trouve au bas d'une ordonnance de 1288, qu'elle fut registrée inter judicia consilio & arresta expedita in parlamento omnium sanctorum.

Celle de 1291, touchant le parlement, fut faite au parlement même tenu à Paris.

Philippe-le-Bel en fit une autre à Paris en 1295, par laquelle il promit de dédommager ceux qui prendroient de sa nouvelle monnoie ; il y obligea son domaine, ses héritiers & successeurs, & généralement tous ses biens & les leurs, & spécialement tous ses revenus & produits de la province de Normandie, & ce de la volonté & consentement de sa très-chere femme Jeanne reine de France. Il finit en ordonnant l'apposition de son sceau ; ensuite la reine parle à son tour, & ratifie le tout, & y fait mettre son scel avec celui du roi ; il y a encore une ordonnance semblable de la même année.

Celle de 1298, concernant le jugement des hérétiques, fut donnée en présence d'un archevêque, & de trois évêques.

Dans un mandement du 25 Août 1302, il dit qu'il a été accordé ensemblement de plusieurs de ses amés & féaux prélats & barons avec son conseil ; il y en a un semblable de 1303, & deux ordonnances de 1306, qui sont faites de même.

L'ordonnance du mois de Novembre concernant le châtelet, fut faite par le roi & son conseil ; mais il paroît que ce conseil n'étoit autre chose que le parlement que l'on appelloit encore communément le conseil du roi. Dans quelques ordonnances postérieures, il est dit qu'elles furent faites par délibération du grand conseil du roi ; & dans quelques-unes, il ajoute & de ses barons.

Depuis que le parlement eut été rendu sédentaire à Paris, les ordonnances ne se firent plus guere au parlement, mais dans le conseil particulier du roi. Il fut même ordonné en 1359, que dorénavant il ne se feroit plus aucunes ordonnances, que ce ne fût par délibération de ceux du conseil ; quelquefois ce conseil se tenoit en la chambre des comptes ; quelquefois dans la chambre du parlement ; c'est pourquoi l'on trouve encore quelques ordonnances qui furent faites au parlement jusqu'en 1388.

Dans ces premiers tems, le roi envoyoit quelquefois ses ordonnances à la chambre des comptes pour y être registrées ; on en trouve des exemples en 1320, 1323, & 1361 : il chargeoit même aussi quelquefois la chambre d'en envoyer des copies vidimées aux baillifs & sénéchaux. On appelloit vidimus, un transcrit de l'ordonnance qui étoit collationné par quelque officier public.

Le prevôt de Paris faisoit quelquefois des ordonnances pour la police de son siége, lesquelles étoient ensuite adoptées & autorisées par le roi ; témoin l'ordonnance de Philippe-le-Bel, du premier Mai 1313, qui homologue un reglement de cette espece.

Depuis que l'on eut introduit de faire assembler les trois états, ce qui commença sous Philippe, il y eut plusieurs ordonnances faites aux états, ou sur leurs remontrances, doléances, & supplications ; mais dans tous les tems, ç'a toujours été le roi qui a ordonné, les états ne faisoient que requérir. Voyez ÉTATS.

Une grande partie des ordonnances, faites jusqu'au tems de S. Louis, commence par ces mots, in nomine sanctae & individuae trinitatis ; quelques-unes par in nomine domini ; plusieurs commencent par le nom du roi, comme Ludovicus Dei gratiâ Francorum rex ; dans quelques-unes au lieu de Dei gratiâ, il y a Dei misericordiâ. Cet intitulé répond à celui qui est encore usité présentement : Louis, par la grace de Dieu, roi de France & de Navarre.

Les établissemens qui étoient des especes de concordats faits avec les barons, commencent la plûpart comme on l'a déjà dit par ces mots, hoc est stabilimentum.

Les ordonnances qui commencent par ordinatum fuit, sont celles qui avoient été formées dans l'assemblée du parlement.

Il s'en trouve plusieurs autres qui commencent de diverses manieres, soit que l'intitulé en ait été retranché, soit parce que ces pieces sont plutôt une relation des ordonnances que ces ordonnances mêmes. Telle est celle de Philippe-Auguste, du mois de Juillet 1219, qui commence par ces mots, dominus rex statuit, &c.

Pour ce qui est de ceux à qui les ordonnances sont adressées, les plus anciennes sont adressées à tous les fideles présens & à venir : notum fieri volo, dit Henri I. en 1051, cunctis fidelibus sanctae Dei ecclesiae, tam praesentibus quam futuris. Louis le Gros dans plusieurs de ses lettres dit de même, omnibus Christi fidelibus. Mais avant lui Philippe I. adressa des lettres, universis in regno francorum. Louis le Gros adresse un mandement en 1134, tam praesentibus quam futuris : Il y en a beaucoup d'autres semblables. Cette clause est encore d'usage dans les ordonnances & édits, lesquels sont adressés au commencement, à tous présens & à venir.

Au surplus, il faut observer que la différence de l'adresse dépendoit beaucoup de la qualité de l'ordonnance ; quand elle étoit générale, & qu'elle devoit avoir lieu dans tout le royaume, l'adresse étoit plus générale ; quand son objet étoit limité à certains pays ou personnes, elle étoit adressée à ceux qu'elle concernoit.

Ainsi quand Louis le Gros en 1137, abolit dans l'Aquitaine le droit d'hommage & d'investiture, en faveur des archevêques, évêques & autres prélats, ses lettres sont adressées à l'archevêque de Bordeaux, ses suffragans, aux abbés de la province, & à leurs successeurs à perpétuité.

L'ordonnance de 1190, appellée le testament de Philippe-Auguste, ne contient aucune adresse : il se trouve plusieurs autres ordonnances dans lesquelles il n'y en a point non plus.

Les premieres lettres où l'on trouve l'origine de cette forme d'adresse, à nos amés & féaux, ce sont celles de Philippe-Auguste en 1208 ou 1209, pour les patronages de Normandie, l'adresse en est faite, amicis & fidelibus suis, Rothomagensi episcopo, & universis episcopis Normanniae ejus suffragantis ; cette forme est encore usitée présentement dans l'adresse ou mandement qui se met à la fin des ordonnances, édits & déclarations en ces termes : si mandons à nos amés & féaux, &c. clause qui s'adresse aux cours souveraines, & autres officiers auxquels le roi envoie ses nouvelles ordonnances pour les faire exécuter.

Philippe le Bel, dans des lettres du mois de Mars 1299, dit à la fin, damus igitur ballivis nostris.... in mandamentis ; d'où a été imitée cette clause, si donnons en mandement, qui revient au même que la clause si mandons, &c.

On lit aussi dans les lettres de Philippe-Auguste de 1209, après l'adresse qui est au commencement ces mots, salutem & dilectionem, d'où est venu la clause salut savoir faisons, usitée dans les ordonnances & autres lettres, & dans l'intitulé des jugemens.

On trouve deux autres lettres ou ordonnances de Philippe-Auguste, de l'an 1214, adressées universis amicis & fidelibus suis baronibus, & aliis ad quos praesentes litterae pervenerint. C'est de cette adresse qu'est encore venue cette clause usitée dans les déclarations du roi. Le préambule des anciennes ordonnances commençoit ordinairement par notum facimus, ou notum fieri volumus, ou noveritis, noverint universi. Les lettres de S. Louis, en 1234, touchant les Juifs, commencent par sciendum est : on reconnoît encore là ce style de savoir faisons que, &c. usité dans quelques déclarations, & dans les jugemens & actes devant notaires.

S. Louis dans des lettres du mois d'Avril 1250, mande à ses baillifs, & à ceux des seigneurs, de tenir la main à l'exécution ; dans sa pragmatique de l'an 1260, il mande à tous ses juges, officiers & sujets, & lieutenans, chacun en droit soi, de garder cette ordonnance.

L'ordonnance françoise de Philippe III. faite au parlement de la Pentecôte en 1273, est adressée à tous ses amés & féaux.

Présentement toutes les ordonnances, édits & déclarations, sont des lettres intitulées du nom du roi, & signées de lui, contresignées par un sécrétaire d'état, scellées du grand sceau, & visées par le garde des sceaux.

Les ordonnances & édits contiennent d'abord après le nom du roi cette adresse, à tous présens & à venir salut ; ils ne sont datés que du mois & de l'année, & on les scelle en cire verte sur des lacs de soie verte & rouge ; au lieu que dans les déclarations il y a ces mots, à tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut : elles ne sont scellées qu'en cire jaune sur une double queue de parchemin, & sont datées du jour du mois & de l'année.

Il y a pourtant quelques édits rédigés en forme de déclarations, comme l'édit de Cremiere, après le préambule où le roi annonce les motifs de sa loi il dit : " A ces causes, de l'avis de notre conseil, & de notre certaine science, pleine puissance & autorité royale, nous avons dit & déclaré, disons, déclarons, ordonnons, voulons & nous plaît ce qui suit ".

Quand le prince est mineur, il ordonne de l'avis du régent ; on y ajoute quelquefois les princes du sang & quelques autres grands du royaume, pour donner plus de poids à la loi.

A la suite des dispositions des ordonnances, édits & déclarations, est la clause, si mandons, qui contient l'adresse que le roi fait aux cours & autres tribunaux, pour leur enjoindre de tenir la main à l'exécution de la nouvelle ordonnance, & est terminée par cette clause : car tel est notre plaisir, dont on dit que Louis XI. fut le premier qui s'en servit.

Outre la date du jour du mois & de l'année, on marque aussi l'année du regne. Anciennement on marquoit aussi l'année du regne de la reine, & même celle du prince qui étoit désigné pour successeur : il y en a quelques exemples au commencement de la troisieme race ; mais cela ne se pratique plus.

Il y a des ordonnances que le roi fait pour régler certaines choses particulieres, comme pour la police de ses troupes, pour l'expulsion des vagabonds, la défense du port d'armes, &c. celles-ci sont ordinairement en cette forme : De par le roi, sa majesté étant informée, &c. elles sont simplement signées du roi, & contresignées d'un secrétaire d'état.

Depuis que le parlement fut rendu sédentaire à Paris, on ne laisse pas de trouver encore des ordonnances, mandemens & autres lettres, adressés directement au prevôt de Paris, & aussi aux baillifs & sénéchaux du ressort, au maître des forêts, au duc de Bretagne & à d'autres officiers, chacun pour ce qui les concernoit. Philippe de Valois, dans des lettres du mois de Novembre 1329, dit à la fin à tous ducs, comtes, barons, sénéchaux, baillifs, prevôts, viguiers, baillifs, châtelains & à tous autres justiciers de notre royaume, lesdites clauses être gardées, &c. Il se trouve plusieurs adresses semblables faites en divers tems.

Philippe le Bel adresse en 1308 des lettres, " à nos amés & féaux les gens de l'échiquier de Rouen " : dilectis & fidelibus gentibus nostris scacarii Rothomagensis. Il en adresse de semblables en 1310, " à nos amés & féaux les gens de nos comptes ".

Les premieres lettres que nous ayons trouvé qui soient adressées au parlement de Paris, sont celles de Philippe V. dit le Long, de l'an 1318, dont l'adresse est faite au commencement : dilectis & fidelibus gentibus nostri parlamenti. Dans d'autres de 1328, il est dit, parlamenti Parisius ; & dans d'autres encore de la même année, gentibus nostris parlamentum tenentibus, comme on a dit depuis, les gens tenans notre cour de parlement.

Une chose remarquable dans les lettres de Philippe de Valois, du premier Juin 1331, qui sont adressées à nos amés & féaux les gens des comptes, c'est qu'il leur mande que cette présente ordonnance ils fassent signifier & publier à tous les sénéchaux & baillifs du royaume, ce qui depuis long-tems ne se pratique plus ainsi, les nouvelles ordonnances étant envoyées par le procureur-général du parlement aux baillifs & sénéchaux.

Les juges royaux ont toujours eu seuls le droit de faire crier & publier les nouvelles ordonnances dans tout leur district.

Anciennement nos rois faisoient quelquefois jurer aux principaux personnages de leur état, l'observation des ordonnances qui leur paroissoient les plus importantes. C'est ainsi que Charles VI. ayant fait le 7 Janvier 1400, une ordonnance concernant les officiers de justice & des finances, voulant qu'elle fût inviolablement observée, il ordonna que son observation seroit jurée par les princes du sang, les grands officiers étant en son conseil, par les gens du parlement, de la chambre des comptes, les trésoriers & autres semblables.

Le roi faisoit lui-même serment d'observer inviolablement certaines ordonnances, comme fit le même Charles VI. pour l'ordonnance du dernier Février 1401, touchant le domaine ; il fit serment le premier de l'observer inviolablement, & fit faire ensuite le même serment en sa présence, à ses oncles, à son frere, aux autres princes du sang, au connétable, au chancelier, aux gens du grand conseil (qui étoit le conseil du roi), à ceux du parlement & de la chambre des comptes, & aux trésoriers de Paris.

Le serment que faisoit alors le roi, & qui ne se pratique plus, doit paroître d'autant moins extraordinaire que le roi à son sacre fait serment d'observer les lois, ce qui signifie qu'il se conformera en toutes choses à la justice & à l'équité, & aux lois subsistantes.

Il ne s'ensuit pas de-là que le roi soit tellement astreint de se conformer à ses propres ordonnances, ni même à celles de ses prédécesseurs, qu'il ne puisse jamais s'en écarter ; en effet il est certain que le roi peut par de nouvelles ordonnances, édits & déclarations, déroger aux anciennes ordonnances, les abroger, changer ou modifier.

Mais tant qu'elles ne sont point abrogées, elles ont toujours force de loi, le roi lui-même fait gloire de s'y conformer ; elles doivent pareillement être observées par tous les sujets du roi, & les juges sont également obligés de s'y conformer pour leurs jugemens ; c'est ce qui fut ordonné par Clotaire I. en 560, par l'édit de Roussillon, article xxxvj. par l'édit de Louis XIII. du mois de Janvier 1629, article j. 53. & 54. il est enjoint aux cours d'observer les ordonnances anciennes & nouvelles qui n'ont point été abrogées ; & l'édit de Moulins, art. iv. ordonne que les cours de parlement procéderont à rigoureuses punitions des juges & officiers de leur ressort qu'elles trouveroient avoir contrevenu aux ordonnances.

C'est dans cet esprit que l'on a établi de tems immémorial l'usage de faire la lecture des ordonnances à la rentrée du parlement & des autres tribunaux.

Mais les lois ayant été trop multipliées pour pouvoir les lire toutes, la lecture que fait le greffier se borne à quelques articles qui concernent la discipline des tribunaux, & n'est plus qu'une vaine cérémonie ; on suppose que chacun doit les relire en son particulier pour s'en rafraîchir la mémoire.

Il faut néanmoins convenir qu'il y a certaines dispositions d'ordonnances, qui sans avoir été formellement abrogées, sont tombées en désuétude, parce qu'elles ne conviennent plus aux moeurs présentes ; mais il dépend toujours de la volonté du roi de les remettre en vigueur & d'en prescrire l'observation.

Les cours & autres juges doivent tenir la main à l'exécution des ordonnances.

Les principales ordonnances de la troisieme race, & auxquelles le titre d'ordonnance proprement dite convient singulierement, sont celles du roi Jean en 1356 pour le gouvernement du royaume ; celle de Charles VII. en 1446 touchant le style du parlement ; celle que ce même prince fit au Montil-lès-Tours en 1453 ; celle de Louis XII. faite à Blois en 1498 ; l'ordonnance de François I. en 1535 concernant l'administration de la justice ; son ordonnance de Villers-Coterets en 1539 pour l'abréviation des procès ; l'ordonnance donnée par Charles IX. aux états d'Orléans en 1560 ; celle de Roussillon en 1563, qui est une suite de l'ordonnance d'Orléans ; celle de Moulins en 1566 pour la réformation de la justice ; celle de 1579, dite de Blois, faite sur les plaintes des états assemblés à Blois ; celle de 1629, appellée le code Michault.

Sous le regne de Louis XIV. on fit plusieurs grandes ordonnances pour la réformation de la justice, savoir l'ordonnance de 1667 pour la procédure ; celle de 1669 pour les committimus ; une autre pour les eaux & forêts ; une en 1670 pour les matieres criminelles ; une en 1673 pour le commerce ; une en 1676 pour le bureau de la ville ; une en 1680 pour les gabelles ; une autre pour les aides ; une en 1681 pour les fermes ; une autre pour la marine ; & en 1687 une ordonnance pour les cinq grosses fermes.

Nous avons aussi plusieurs ordonnances célebres publiées par Louis XV. savoir l'ordonnance des donations en 1731 ; la déclaration de la même année sur les cas prévotaux & présidiaux ; l'ordonnance des testamens en 1735 ; la déclaration concernant les registres des baptêmes, mariages, sépultures, vêtures, &c. en 1736 ; l'ordonnance du faux & celle des évocations en 1737 ; le reglement de 1738 pour le conseil ; enfin l'ordonnance des substitutions en 1747.

Nous avons déja vû ci-devant que dès le tems de Philippe Auguste il y avoit un dépôt pour les ordonnances ; que ce dépôt étoit le trésor des chartres ; que dès le xij. siecle il y avoit un livre ou registre dans lequel on transcrivoit les ordonnances, afin qu'elles ne se perdissent point.

Mais depuis que le parlement fut rendu sédentaire à Paris, le véritable dépôt des ordonnances a toujours été au greffe de cette cour ; si quelquefois on a négligé de les y envoyer, ou si on les a adressées ailleurs, c'est parce qu'il n'y avoit pas encore d'ordre certain bien établi.

Les registres des enquêtes & registres olim contiennent quelques ordonnances depuis 1252 jusqu'en 1318 ; mais ces registres ne sont pas des livres uniquement composés d'ordonnances, elles y sont mêlées avec des arrêts, des enquêtes, des procédures.

Les quatre plus anciens registres d'ordonnances sont cotés par les lettres A, B, C, D.

Le premier coté, A est intitulé ordinationes antiquae, il comprend depuis 1337 jusqu'en 1415 ; il s'y trouve cependant quelques ordonnances antérieures à 1337. La plus ancienne ce sont des lettres-patentes de saint Louis, données à Fontainebleau au mois d'Août 1229, qui confirment les privileges de l'université de Paris, & la plus moderne est une déclaration donnée à Rouen le 7 Novembre 1415, pour la délivrance de ceux qui avoient été emprisonnés à cause des troubles.

Le second coté B, est le Volume croisé, ainsi appellé parce qu'il y a une croix marquée dessus, il comprend depuis 1415 jusqu'en 1426 : il y a pourtant aussi quelques ordonnances antérieures à 1415. La plus ancienne est un édit fait par Philippe de Valois à Gondreville le 13 Juillet 1342, portant reglement pour le service des maîtres des requêtes ordinaires de l'hôtel du roi ; la plus moderne faite par Charles VI. est une déclaration donnée à Saint-Faron près Meaux le 25 Janvier 1421, portant reglement pour l'alternative dans la collation des bénéfices, le reste de ce registre est rempli des ordonnances d'Henri VI. roi d'Angleterre, soi disant roi de France.

Le troisieme registre coté C, est intitulé liber accordorum ordina. Pictavis ; on l'appelle liber accordarum, parce qu'il contient des accords, lesquels ne pouvoient alors être faits sans être homologués au parlement, il comprend depuis 1418 jusqu'en 1436. Ce sont les ordonnances registrées au parlement de Paris transféré à Poitiers, faites par Charles VII. depuis l'année 1418, qu'il prit la qualité de régent du royaume, & depuis son avénement à la couronne jusqu'au 9 Avril 1434.

Le quatrieme registre coté D, est intitulé ordinationes barbinae ; on croit que ces ordonnances ont été ainsi appellées du nom de celui qui les a recueillies & mises en ordre, il commence en 1427, & contient jusqu'au folio 33, la suite des ordonnances du roi d'Angleterre, & la derniere est du 16 Mars 1436, & ensuite jusqu'au folio 207 sont transcrites celles de Charles VII. depuis la réduction de la ville de Paris à son obéissance jusqu'à son décès arrivé le 22 Juillet 1461 ; la premiere qui est au folio 34, est un édit du 15 Mars 1435, qui confirme les arrêts & jugemens rendus par les officiers tenans le parti du roi d'Angleterre, & ensuite sont les premieres ordonnances faites par Louis XI.

Ces quatre premiers volumes sont suivis de trois volumes des ordonnances de ce roi, d'une de Charles VIII. d'une de Louis XII. de cinq de François I. de sept d'Henri II. de huit de Charles IX. de huit d'Henri III. d'une des ordonnances d'Henri III. & d'Henri IV. registrées au parlement de Paris séant à Tours, de six d'Henri IV. de huit de Louis XIII. & de celles de Louis XIV. dont il y a d'abord quarante-cinq volumes jusques & compris partie de l'année 1705, & le surplus de ses ordonnances jusques & compris 1715.

Les ordonnances du regne de Louis XV. composent déja un très-grand nombre de volumes, sans compter les suivantes qui ne sont encore qu'en minute.

On a fait en divers tems différens recueils imprimés des ordonnances de nos rois de la troisieme race.

Le plus ancien est celui que Guillaume Dubreuil donna vers 1315, & dont il composa les trois parties de son style du parlement de Paris ; il ne remonta qu'au tems de saint Louis, parce que les ordonnances plus anciennes n'étoient pas alors bien connues.

Dumoulin revit ce style vers l'an 1549, & y ajouta plusieurs dispositions d'ordonnances latines de saint Louis & de ses successeurs, jusques & compris Charles VIII. Il divisa cette compilation en cinquante titres, & morcela ainsi les ordonnances pour ranger leurs dispositions par ordre de matieres.

Il parut quelques années après une autre compilation d'ordonnances, rangées par ordre homologique, de l'impression des Etiennes, divisées en deux petits volumes in-folio, dont le premier contient seulement quarante-cinq ordonnances, qui sont presque toutes françoises, entre lesquelles sont les grandes ordonnances du roi Jean, de Charles VI. de Charles VII. de Louis XI. de Louis XII. dont quelques-unes néanmoins ne sont que par extrait ; le second volume ne contient que des ordonnances de François I. tant sur le fait de la guerre que sur d'autres matieres, depuis le 3 Septembre 1514 jusqu'en 1546.

En 1549 Rebuffe donna un recueil des mêmes ordonnances distribuées par ordre de matieres avec des longs commentaires.

Il y eut encore quelques autres collations d'ordonnances ; mais comme il n'y en avoit aucune qui fût complete , Fontanon, avocat au parlement, aidé par Pierre Pithou, Bergeron, & autres jurisconsultes de son tems, donna en 1580 un recueil plus ample d'ordonnances qui ne remonte cependant encore qu'à saint Louis. Il divisa ce recueil en quatre tomes in-folio, reliés en deux volumes : les ordonnances y sont rangées par matieres.

La Rochemaillet revit cet ouvrage par ordre de M. le chancelier de Sillery, & en donna en 1611 une seconde édition en trois volumes in-folio, augmentée d'un grand nombre d'ordonnances anciennes & nouvelles qui n'avoient pas encore été imprimées ; mais au-lieu de les placer suivant l'ordre de Fontanon sous les titres qui leur convenoient, il les mit par forme d'appendice, & avec une telle confusion qu'il n'y a seulement pas observé l'ordre des dates.

Henri III. ayant conçu dès 1579 le dessein de faire, à l'imitation de Justinien, un recueil abrégé de toutes les ordonnances de ses prédécesseurs & des siennes, il chargea de cette commission M. Brisson, avocat général, & ensuite président au parlement de Paris. Le président Brisson s'en acquitta avec autant de soin que de diligence ; il fit une compilation des ordonnances par ordre de matieres, qu'il mit sous le titre de code Henri & de Basiliques. Il comptoit faire autoriser & publier cet ouvrage en 1585, c'est pourquoi il a mis sous cette date toutes les nouvelles dispositions qu'il avoit projettées ; ce code fut imprimé en 1588. Voyez ce qu'on en a dit au mot CODE HENRI.

En 1596 Guenois fit une compilation plus ample des ordonnances par ordre de matieres, qui parut d'abord en deux gros volumes in-folio, & ensuite en trois.

Il parut en 1620 une nouvelle compilation d'ordonnances par ordre chronologique en un volume in-8 °. qui ne contenoit que les ordonnances concernant les matieres dont l'usage est le plus fréquent au palais. Neron & Girard augmenterent ce petit recueil en y joignant d'autres ordonnances avec de petites notes & renvois, desorte qu'ils en formerent un volume in-folio dont il y a eu différentes éditions. M. de Ferrieres y a fait aussi depuis des augmentations dans le même goût, & en a donné en 1720 une édition en deux volumes in-folio.

Ces différens recueils d'ordonnances n'étant point complets ou n'étant point dans l'ordre chronologique, Louis XIV. résolut de faire faire une nouvelle collection des ordonnances, plus ample, plus correcte & mieux ordonnée que toutes celles qui avoient paru jusqu'alors ; il fut réglé qu'on ne remonteroit qu'à Hugues Capet, soit parce que les ordonnances antérieures conviennent peu aujourd'hui à nos moeurs, soit parce qu'on ne pouvoit rien ajouter aux recueils imprimés qui ont été donnés de ces ordonnances, qui ont été données sous le titre de Code des lois antiques, & de Capitulaires des rois de France.

M. le chancelier Pontchartrain que le roi chargea de l'exécution de ce projet, fit faire des recherches dans tous les dépôts, & Mrs Berroyer, de Lauriere & Loger, avocats, qui furent choisis pour travailler sous ses ordres à la collection des ordonnances, donnerent en 1706 un volume in-4 °. contenant une table chronologique des ordonnances depuis Hugues Capet jusqu'en 1400, pour exciter les savans à communiquer leurs observations sur les ordonnances qui auroient été omises.

M. de Lauriere étant resté seul chargé de tout le travail, donna en 1723 le premier volume des ordonnances qui sont imprimées au louvre ; le second a été donné en 1729, après sa mort, sur ses mémoires, par M. Secousse, avocat, qui fut chargé de continuer cette collection, & qui en a donné sept volumes. M. de Vilevaut, conseiller de la cour des aides, que le roi a chargé du même travail après la mort de M. Secousse, a publié en 1755 le neuvieme volume, que l'on achevoit d'imprimer peu de tems avant la mort de M. Secousse.

Les ordonnances comprises dans ces neuf volumes commencent à l'an 1051, & vont jusqu'à la fin de l'année 1411.

Cette collection où les ordonnances sont rangées par ordre chronologique est accompagnée de savantes préfaces qui annoncent les matieres, de notes semblables sur le texte des ordonnances, d'une table chronologique des ordonnances, & des autres tables très-amples, une des matieres, une des noms des personnes dont il est parlé dans les ordonnances, l'autre des noms de provinces, villes & autres lieux.

Plusieurs auteurs ont fait des commentaires, notes & conférences sur les ordonnances, entr'autres Jean Constantin, sur les ordonnances de François I. Bourdin & Dumoulin sur celle de 1539 ; Duret & Boutarie sur celle de Blois ; Rebuffe, Fontanon, Joly, la Rochemaillet, Vrevin, Bagereau, Bornier, Corbin, Blanchard.

On joint souvent au terme d'ordonnance quelque autre dénomination : on va expliquer les principales dans les divisions suivantes.

Ordonnance des aides est une ordonnance de 1680, sur la matiere des aides & droits du roi.

Ordonnances barbines, qu'on appelle aussi barbines simplement, ordinationes barbinae, sont celles qui sont contenues dans le quatrieme registre des ordonnances du parlement, intitulés ordinationes barbinae ; on croit qu'elles furent ainsi appellées du nom de celui qui les a recueillies & mises en ordre. Ce registre commence en 1427, & finit en 1462.

Ordonnance de Blois ; il y en a deux de ce nom, une de Louis XII. en 1498 sur les gradués ; elle adopte le concile de Bâle & la pragmatique ; elle concerne aussi l'administration de la justice & la procédure ; l'autre, qui est celle que l'on entend ordinairement, est dite de Blois, quoique donnée à Paris, parce qu'elle fut faite sur les remontrances des états de Blois : elle concerne le clergé, les hôpitaux, les universités, la justice, la noblesse, le domaine, les tailles.

Ordonnance civile, c'est l'ordonnance de 1667, qui regle la procédure civile.

Ordonnance du commerce, qu'on appelle aussi code marchand, est celle qui fut faite en 1673, pour régler les matieres de commerce.

Ordonnance des committimus est celle du mois d'Août 1669 ; on l'appelle ainsi, parce qu'un des principaux titres est celui des committimus : elle traite ainsi des évocations, réglemens de juges, gardes-gardiennes, lettres d'états & de repi.

Ordonnance de la cour est celle qui est rendue sur requête par quelque cour souveraine.

Ordonnance criminelle est celle de 1670, qui regle la procédure en matiere criminelle.

Ordonnance du domaine ; on appelle quelquefois ainsi l'édit de Février 1566, portant réglement pour le domaine du roi.

Ordonnance des donations est celle du mois de Février 1731, qui fixe la jurisprudence sur la nature, la forme, les charges, ou les conditions des donations.

Ordonnance des eaux & forêts est une ordonnance de 1669, qui contient un réglement général sur toute la matiere des eaux & forêts.

Ordonnance des évocations ; on entend quelquefois par-là l'ordonnance de 1669, dont le premier titre traite des évocations, & les autres des réglemens de juge, committimus & gardes-gardiennes, &c. mais le titre d'ordonnance des évocations convient mieux à celle du mois d'Août 1737, concernant les évocations & les réglemens de juges.

Ordonnance du faux est celle du mois de Juillet 1637, concernant le faux principal, le faux incident, & les reconnoissances des écritures & signatures en matiere criminelle. Voyez FAUX.

Ordonnance des fermes est celle du mois de Juillet 1681, portant réglement sur les droits de toutes les fermes du roi en général : il y a une autre ordonnance du mois de Février 1687 sur le fait des cinq grosses fermes en particulier.

Ordonnance de Fontanon, c'est un recueil de diverses ordonnances de nos rois, rangées par matieres, publié par Fontanon, avocat, en 1580, en 2 vol. fol.

Ordonnances des gabelles est celle du mois de Mai 1680, qui regle tout ce qui concerne l'usage du sel.

Ordonnances générales, on appelloit ainsi autrefois celles qui étoient faites pour avoir lieu dans tout le royaume, à la différence d'autres ordonnances qui n'avoient lieu que dans les terres du domaine du roi.

Ordonnance de l'intendant est un réglement fait par un intendant de province dans une matiere de sa compétence.

Ordonnance du juge est celle qui est rendue par un juge au bas d'une requête, ou dans un procès-verbal, par lequel il permet d'assigner, saisir, ou autre chose semblable.

Au conseil provincial d'Artois on qualifie d'ordonnance tous les jugemens rendus à l'audience. Voyez Maillard sur Artois, art. 37.

Ordonnance de loi signifie la même chose qu'ordonnance du juge. Voyez Loyseau en son traité des seigneuries, ch. xvj. n. 47.

Ordonnance de la marine est celle de 1671, portant réglement pour le commerce maritime : il y en a une autre de 1689 pour les armées navales.

Ordonnance militaire est celle que le roi rend pour régler quelque chose qui touche le service militaire.

Ordonnance de 1539 est celle de Villers-Coterets, qui fut faite par François I. pour l'observation des procès.

Ordonnance de 1667. Voyez ci-devant ordonnance civile.

Ordonnance de 1669. Voyez ordonnance des committimus & ordonnance des eaux & forêts.

Ordonnance de 1670. Voyez ordonnance criminelle.

Ordonnance de 1676. Voyez ordonnance de la ville.

Ordonnance de 1673 est celle qui regle le commerce. Voyez CODE MARCHAND & ordonnance du commerce.

Ordonnance de Moulins, ainsi appellée parce qu'elle fut faite à Moulins, en 1566, concerne la réformation de la justice.

Ordonnance de Néron, c'est un recueil des principales ordonnances de nos rois, rangées par ordre de date, publié par Néron & Girard, avocats ; ce recueil a été augmenté à diverses reprises ; il est présentement en 2 vol. in-fol.

Ordonnance d'Orléans, a pris ce nom de ce qu'elle fut faite à Orléans en 1560, sur les remontrances des états tenus à Orléans ; elle concerne la réformation de la justice.

Ordonnances particulieres. Voyez ordonnances générales.

Ordonnance des quatre mois ; on appelle ainsi la disposition de l'article 48 de l'ordonnance de Moulins, qui permet d'exercer la contrainte par corps pour dettes, quoique purement civile, quatre mois après la condamnation, ce qui a été abrogé par l'ordonnance de 1667, tit. 34, si ce n'est pour dépens, restitution de fruits, ou dommages & intérêts montans à 200 liv. ou au-dessus.

Ordonnance sur requête. Voyez ordonnance du juge.

Ordonnance de Roussillon, ainsi appellée, parce qu'elle fut faite au château de Roussillon en Dauphiné, en 1563, sur l'administration de la justice : c'est celle qui a fixé le commencement de l'année au premier Janvier.

Ordonnance du roi signifie quelquefois une nouvelle loi, intitulée ordonnance : quelquefois on comprend sous ce terme toute loi émanée du prince, soit ordonnance, édit ou déclaration.

Ordonnance du royaume ; on distingue quelquefois les ordonnances du roi des ordonnances du royaume ; les premieres se peuvent changer, selon la volonté du roi : on entend par les autres, certains usages immuables qui regardent la constitution de l'état, tel que l'ordre de succéder à la couronne, suivant la loi salique. On trouve cette distinction dans un discours de M. de Harlay, président, prononcé devant le roi, séant en son lit de justice au parlement, le 15 Juin 1586.

Ordonnances royaux ; on appelle ainsi en style de chancellerie les ordonnances du roi, pour les distinguer de celles des cours & autres juges.

Ordonnance des substitutions est la derniere ordonnance du roi donnée au mois d'Août 1747, concernant les biens qui peuvent être substitués, la forme & la durée des substitutions, les regles à observer par ceux qui en sont grevés, & les juges qui en doivent connoître.

Ordonnance des testamens est celle du mois d'Août 1735, qui regle plusieurs choses à observer dans la confection des testamens.

Ordonnance des transactions est un édit de Charles IX. en 1560, portant que les transactions entre majeurs ne pourront être attaquées pour cause de lésion, telle qu'elle soit ; mais seulement pour cause de dol ou force.

Ordonnance de la troisieme race ; on comprend sous ce nom toutes les ordonnances, édits, déclarations, & même les lettres-patentes qui contiennent quelques réglemens émanés de nos rois, depuis Hugues Capet jusqu'à présent, la collection de ces ordonnances, qui se trouvent dispersées en différens dépôts, a été entreprise par ordre du roi Louis XIV. & continuée sous ce regne. M. de Lauriere, avocat, en a publié le premier volume en 1723 ; M. Secousse, avocat, a donné les sept volumes suivans, & M. de Vilevaut, conseiller de la cour des aides, chargé de la continuation de ce recueil, a publié en 1757 le neuvieme volume, ouvrage posthume de M. Secousse ; ce recueil s'imprime au Louvre. Voyez les préfaces qui sont en tête de chaque volume, & particulierement celles des premier, second & neuvieme volumes.

Ordonnance de la ville ; on donne ce nom à deux ordonnances qui ont été faites pour régler la jurisdiction du bureau de la ville de Paris ; l'une, de Charles VI. en 1415 ; l'autre, de Louis XIV, en 1676.

Ordonnance de Villers-Coterets fut faite par François I. en 1539, pour la réformation & abréviation des procès. Voyez CODE, DECLARATION, ÉDIT, LOI. (A)

ORDONNANCE, (Archit. civile) on entend par ce terme la composition d'un bâtiment, & la disposition de ses parties. On appelle aussi ordonnance l'arrangement & la disposition des parties qui composent les cinq ordres d'architecture. On dit, cette ordonnance est rustique, solide ou élégante, lorsque les principaux membres qui composent sa décoration, sont imités des ordres toscan, dorique, corinthien, &c. Daviler. (D.J.)

ORDONNANCE, (Peint.) on appelle ordonnance en Peinture le premier arrangement des objets qui doivent remplir un tableau, soit par rapport à l'effet général de ce tableau, & c'est ce qu'on nomme composition pittoresque, soit pour rendre l'action que ce tableau représente plus touchante & plus vraisemblable ; & c'est ce qu'on appelle composition poëtique. Voyez donc les mots PITTORESQUE & POETIQUE, composition, & vous entendrez ce qui concerne la meilleure ordonnance d'un tableau.

Nous nous contenterons de remarquer ici que le talent de la composition poëtique, & le talent de la composition pittoresque sont tellement séparés, qu'on connoît des peintres excellens dans l'une, & qui sont grossiers dans l'autre. Paul Véronèse, par exemple, a très-bien réussi dans cette partie de l'ordonnance que nous appellons composition pittoresque. Aucun peintre n'a su mieux que lui bien arranger sur une même scene, un nombre infini de personnages, placer plus heureusement ses figures, en un mot bien remplir une grande toile, sans y mettre la confusion : cependant Paul Véronèse n'a pas réussi dans la composition poëtique ; il n'y a point d'unité d'action dans la plûpart de ses grands tableaux. Un de ses plus magnifiques ouvrages, les nôces de Cana, qu'on voit au fond du réfectoire du couvent de saint Georges à Venise, est chargé de fautes contre la poësie pittoresque. Un petit nombre des personnages sans nombre dont il est rempli, paroît être attentif au miracle de la conversion de l'eau en vin, qui fait le sujet principal ; & personne n'en est touché autant qu'il le faudroit. Paul Véronèse introduit parmi les conviés des religieux bénédictins du couvent pour lequel il travaille. Enfin, ses personnages sont habillés de caprice ; & même il y contredit ce que nous savons positivement des moeurs & des usages du peuple dans lequel il choisit ses acteurs.

Comme les parties d'un tableau sont toujours placées l'une à côté de l'autre, & qu'on en voit l'ensemble du même coup d'oeil, les défauts qui sont dans l'ordonnance nuisent beaucoup à l'effet de ses beautés. Du Bos, réflexion sur la Peinture. (D.J.)

ORDONNANCE, les Artificiers appellent ainsi l'intervalle uniforme du tems qu'on doit laisser entre le jeu des pots-à-feu sur les théâtres d'artifices, ce qui s'exécute par l'égalité de longueur & vivacité des porte-feux ou des étoupilles.


ORDONNÉES. f. (Géom.) c'est le nom qu'on donne aux lignes tirées d'un point de la circonférence d'une courbe à une ligne droite, prise dans le plan de cette courbe, & qu'on prend pour l'axe, ou pour la ligne des abscisses. Il est essentiel aux ordonnées d'être paralleles entr'elles. On les appelle en latin ordinatim applicatae ; telles sont les lignes E M, E M, &c. Pl. coniq. fig. 26.

Quand les ordonnées sont égales de part & d'autre de l'axe, on prend quelquefois la partie comprise entre l'axe & la courbe pour demi- ordonnée, & la somme des deux lignes pour l'ordonnée entiere. On appelle aussi quelquefois ordonnées, des lignes qui partent d'un point donné, & qui se terminent à une courbe ; telles sont (fig. 39. de la Géométrie) les lignes C M, C M, &c. terminées à la spirale C M A, & partant du centre C du cercle A P p. Voyez SPIRALE. Voyez aussi ABSCISSE & COORDONNEES.

Dans une courbe du second genre, si on tire deux lignes paralleles, qui rencontrent la courbe en trois points, & qu'une ligne droite coupe chacune de ces paralleles, de maniere que la somme des deux parties terminées à la courbe d'un côté de la sécante soit égale à l'autre partie terminée à la courbe de l'autre côté, cette ligne droite coupera de la même maniere toutes les autres lignes, qu'on pourra tirer parallelement aux deux premieres, c'est-à-dire, de maniere que la somme des deux parties prises d'un côté de la sécante sera toujours égale à l'autre partie prise de l'autre côté. Voyez COURBE.

Il n'est pas essentiel aux ordonnées d'être perpendiculaires à l'axe, elles peuvent faire avec l'axe un angle quelconque, pourvu que cet angle soit toujours le même ; les ordonnées s'appellent aussi appliquées. Voyez APPLIQUEE.

Ordonnée se prend aussi adjectivement.

Raison ou proportion ordonnée, est une proportion qui résulte de deux ou de plusieurs autres proportions, & qui est telle que l'antécédent du premier rapport de la premiere proportion, est au conséquent du premier rapport de la seconde, comme l'antécédent du second rapport de la premiere proportion est au conséquent du second rapport de la seconde, par exemple, soit a : b : : c. d.

b : e : : d. g.

on aura en proportion ou raison ordonnée a : e : : c. g.

Equation ordonnée est une équation où l'inconnue monte à plusieurs dimensions, & dont les termes sont arrangés de telle sorte, que le terme où l'inconnue monte à la plus haute puissance soit le premier, qu'ensuite le terme où l'inconnue monte à la puissance immédiatement inférieure, soit le second, &c. Par exemple, x 3 + a x x + b x + c = 0 est une équation ordonnée du 3e. degré, parce que le terme x 3 où x monte à la plus haute puissance est le premier, que ce terme où X monte à la seconde puissance, &c. Voyez ÉQUATION. (O)


ORDONNERv. act. (Gram.) ce verbe a plusieurs acceptions diverses. Il commande, il enjoint, il prescrit. Le parlement a ordonné cette année 1761, que les jésuites fermeroient leurs noviciats, leurs colléges, leurs congrégations, jusqu'à ce qu'ils se fussent purgés devant sa majesté du soupçon de la doctrine sacrilege de monarchomachie, qu'ils eussent abjuré la morale abominable de leurs casuistes, & qu'ils eussent reformé leurs constitutions sur un plan plus conforme à nos lois, à la tranquillité publique, à la sureté de nos rois, & au bon ordre de la société. Un médecin ordonne une saignée, la diéte. Un testateur ordonne à l'exécuteur de ses dernieres volontés telle ou telle chose. Un évêque ordonne des prêtres. On ordonne aux subalternes cent écus d'appointement par mois. On ordonne une troupe, un repas, des peines ; le proverbe dit, charité bien ordonnée commence par soi-même. La générosité dit, au contraire, charité bien ordonnée commence par les autres.


ORDOVICESLES (Géog. anc.) anciens peuples de l'île d'Albion, que Ptolémée, liv. II. ch. iij. met sur la côte occidentale, entre les Brigantes au nord, & les Cornavi à l'orient. Le P. Briet explique le pays des Ordovices par les comtés de Flint, de Denbigh, de Caernaervan, de Merioneth & de Montgomeri, toutes contrées du pays de Galles. Ce peuple au reste faisoit partie de la seconde Bretagne. (D.J.)


ORDRES. m. (Métaph.) la notion métaphysique de l'ordre consiste dans le rapport ou la ressemblance qu'il y a, soit dans l'arrangement de plusieurs choses coexistentes, soit dans la suite de plusieurs choses successives. Comment prouveroit-on, par exemple, qu'Euclide a mis de l'ordre dans les élémens de Géométrie ? Il suffit de montrer qu'il a toujours fait précéder ce dont l'intelligence est nécessaire, pour comprendre ce qui suit. Cette regle constante ayant déterminé la place de chaque définition & de chaque proposition, il en résulte une ressemblance entre la maniere dont ces définitions & ces propositions coexistent, & se succedent l'une à l'autre.

Tout ordre détermine donc la place de chacune des choses qu'il comprend, & la maniere dont cette place est déterminée, comprend la raison pourquoi telle place est assignée à chaque chose. Que l'ordre d'une bibliothéque soit chronologique, c'est-à-dire, que les livres se suivent conformément à la date de leur édition, aussi-tôt chacun a sa place marquée, & la raison de la place de l'un, contient celle de la place de l'autre.

Cette raison énoncée par une proposition s'appelle regle. Quand la raison suffisante d'un certain ordre est simple, la regle est unique ; quand elle peut se résoudre en d'autres, il en résulte pluralité de regles à observer. Si je me contente de ranger mes livres suivant leurs formes, cette regle unique dispose de la place de tous les volumes. Mais si je veux avoir égard aux formes, aux reliures, aux matieres, à l'ordre des tems, voilà plusieurs regles qui concourent à déterminer la place de chaque livre. Dans ce dernier cas l'observation des regles les plus importantes doit préceder celle des moins considérables. Les regles qui doivent être observées ensemble, ne sauroient être en contradiction, parce qu'il ne sauroit y avoir deux raisons suffisantes opposées d'une même détermination, qui soient de la même force. Il peut bien y avoir des contrariétés de regles, ou collisions qui produisent les exceptions ; mais dans ce cas, on sent toujours qu'une regle est plus étendue & plus forte que l'autre. Les regles ne doivent pas non plus se déterminer réciproquement ; car alors c'est un embarras superflu. Une regle qui est déja supposée par une autre, reparoît inutilement à part.

L'ordre qui est lié à l'essence des choses, & dont le changement détruiroit cette essence, est un ordre nécessaire : celui dont les regles peuvent varier sans détriment essentiel, est contingent. L'ordre des côtés d'un triangle, ou de toute autre figure est un ordre nécessaire. Il n'en est pas de même de celui des livres d'un cabinet, des meubles d'un appartement. L'ordre qui y regne est contingent ; & plusieurs bibliothéques, appartemens, jardins peuvent être rangés différemment, & se trouver dans un bon ordre.

Il y a défaut dans l'ordre, toutes les fois qu'une chose n'est pas à la place que les regles lui destinent. Mais si certaines choses sont susceptibles d'être rangées de diverses manieres, ce qui est défaut dans un ordre, ne sauroit être censé tel dans un autre ordre.

L'opposé de l'ordre, c'est la confusion, dans laquelle il n'y a ni ressemblance entre l'arrangement, les simultanés, & l'enchaînure des successifs, ni regles qui déterminent les places.

Pour connoître un ordre, il faut être au fait des regles qui déterminent les places. Combien de gens se mêlent de juger du gouvernement d'un état, des opérations d'une compagnie, ou de telle autre manoeuvre, & qui en jugent en aveugles, parce qu'ils ne connoissent point le plan secret, & les vues qui déterminent la place de chaque démarche, & la soumettent à un ordre caché, sans la connoissance duquel, telle circonstance, détachée de tout le systême, peut paroître extraordinaire, & même ridicule. Combien voit-on de gens dont l'audacieuse critique censure le plan physique ou moral de l'univers, & qui prétendent y trouver des désordres. Pour faire sentir ces désordres, qu'ils commencent par étaler la notion de l'ordre qui doit regner dans l'univers, & qu'ils démontrent que celle qu'ils ont conçue est la seule admissible. Et comment pourroient-ils le faire, ne connoissant qu'un petit coin de l'univers, dont ils ne voient même que l'écorce ? Celui-là seul qui est derriere le rideau, & qui connoît les moindres ressorts de la vaste machine du monde, l'Etre suprême qui l'a formé, & qui le soutient, peut seul juger de l'ordre qui y regne.

Quand il reste des déterminations arbitraires qui laissent certaines choses sans place fixe, il y a un mélange d'ordre & de confusion, & l'un ou l'autre domine à proportion du nombre des places déterminées ou à déterminer.

Les choses qui n'ont aucune différence intrinséque peuvent changer de place entr'elles, sans que l'ordre soit altéré, au-lieu que celles qui différent intrinséquement ne sauroient être substituées l'une à l'autre. Quand on dérange une chambre, dans laquelle il n'y a, par exemple, qu'une douzaine de chaises pareilles, il n'est pas nécessaire que chaque chaise retourne précisément à la place où elle étoit. Mais si les meubles de cet appartement sont inégaux, qu'il y ait sopha, lit, ou telle autre piece disproportionnée à d'autres, on ne sauroit mettre le lit où étoit une chaise, &c.

C'est l'ordre qui distingue la veille du sommeil ; c'est que dans celui-ci tout se fait sans raison suffisante. Personne n'ignore les bisarres assemblages qui se forment dans nos songes. Nous changeons de lieu dans un instant. Une personne paroît, disparoît & reparoît. Nous nous entretenons avec des morts, avec des inconnus, sans qu'il y ait aucune raison de toutes ces révolutions. En un mot, les contradictoires y ont lieu. Aussi la fin d'un songe n'a souvent aucun rapport avec le commencement ; & il en résulte que la succession de nos idées en songe, n'ayant point de ressemblance, la notion de l'ordre ne s'y trouve pas ; mais pendant la veille, chaque chose a sa raison suffisante ; la suite des idées & des mouvemens se développe & s'exécute conformément aux lois de l'ordre établi dans l'univers, & la confusion ne s'y trouve jamais au point d'admettre la coexistence des choses contradictoires.

ORDRE, en Géométrie, se dit en parlant des lignes courbes, distinguées par le différent degré de leur équation. Les lignes droites, dont l'équation ne monte qu'au premier degré, composent le premier ordre ; les sections coniques, le second ordre, parce que leur équation monte au second degré, & ainsi des autres.

M. Newton a fait un ouvrage intitulé, énumération des lignes du troisieme ordre. Voyez COURBE.

On se sert quelquefois du mot de degré au lieu de celui d'ordre : ainsi on dit une courbe ou une ligne du troisieme degré, pour une ligne du troisieme ordre. Voyez DEGRE, COURBE & GENRE.

Ordre s'emploie aussi en parlant des infinis & des infiniment petits ; ainsi on dit infini du second ordre, pour dire une quantité infinie par rapport à une autre qui est déja infinie elle-même : infiniment petit du second ordre, pour dire une quantité infiniment petite par rapport à une autre qui est déja infiniment petite elle-même, & ainsi de suite : sur quoi voyez INFINI & DIFFERENCIEL. On dit de même équation différencielle du premier, du second, &c. ordre, pour dire une équation où les différencielles sont du premier, du second ordre, &c. Voyez ÉQUATION. (O)

ORDRE, (Jurisprud. canon.) est le sixieme des sacremens de l'Eglise catholique, qui donne un caractere particulier aux ecclésiastiques lorsqu'ils se consacrent au service de Dieu.

La tonsure cléricale n'est point un ordre, c'est seulement une préparation pour parvenir à se faire promouvoir aux ordres.

L'ordre a été institué par J. C. lorsqu'il dit à ses disciples : Sicut misit me pater, & ego mitto vos.... Insufflavit & dixit eis, accipite Spiritum Sanctum, &c. Joann. xx. v. 21.

Mais comme J. C. & l'Eglise n'ont point donné à tous les clercs un pouvoir égal, il y a dans le clergé différens degrés que l'on nomme ordres ; & ces degrés sont ce qui compose la hiérarchie ecclésiastique.

Suivant l'usage de l'église latine, on distingue deux sortes d'ordres ; savoir les ordres mineurs ou moindres, & les ordres sacrés ou majeurs.

Les ordres mineurs ou moindres sont au nombre de quatre ; savoir l'office de portier, celui de lecteur, celui d'exorciste & celui d'acolythe.

Les ordres majeurs ou sacrés sont le soudiaconat, le diaconat & la prêtrise : l'épiscopat est encore un degré au-dessus de la prêtrise.

Les évêques reçoivent la plénitude du sacerdoce avec le caractere épiscopal, voyez CONSECRATION & EVEQUE. Ils sont aussi les seuls qui puissent donner à l'Eglise des ministres par le sacrement de l'ordre.

L'imposition des mains de l'évêque est la matiere du sacrement de l'ordre ; la priere qui répond à l'imposition des mains en est la forme.

L'ordre imprime sur ceux qui le reçoivent un caractere indélébile, qui les rend ministres de J. C. & de son Eglise d'une maniere irrévocable.

L'ordination d'un prêtre se fait par l'évêque, en mettant les deux mains sur la tête de l'ordinant, & en récitant sur lui des prieres. Les prêtres qui sont présens lui imposent aussi les mains ; l'évêque lui met les ornemens du sacerdoce ; il lui consacre les mains par dedans avec l'huile des cathécumenes ; & après lui avoir fait toucher le calice plein de vin, & la patene avec le pain, il lui donne le pouvoir d'offrir le saint sacrifice. Le nouveau prêtre célebre avec l'évêque ; après la communion l'évêque lui impose une seconde fois les mains, & lui donne le pouvoir de remettre les péchés.

Tous les prêtres reçoivent dans l'ordination le même pouvoir ; cependant ils n'en ont pas toujours l'exercice : ainsi un prêtre qui n'a point de bénéfice à charge d'ames, ne peut confesser & absoudre hors le cas de nécessité, sinon en vertu d'un pouvoir spécial de l'évêque.

Pour l'ordination d'un diacre, l'évêque met seulement la main sur la tête de l'ordinant, en disant recevez le Saint-Esprit ; ensuite il lui donne les ornemens de son ordre, & le livre des Evangiles.

Il n'y a point d'imposition des mains pour le soudiaconat ; l'évêque donne seulement à l'ordinant le calice vuide avec la patene, le revêt des ornemens de son ordre, & lui donne le livre des épîtres.

Ceux qui ont reçu les ordres sacrés ne peuvent plus se marier ; on accorde quelquefois des dispenses à ceux qui n'ont que le soudiaconat, mais ces exemples sont rares.

Les ordres mineurs se conférent sans imposition des mains, & seulement par la tradition de ce qui doit servir aux fonctions de l'ordinant ; ainsi l'évêque donne au portier les clés, au lecteur le livre de l'église, à l'exorciste le livre des exorcismes, à l'acolythe il fait toucher le chandelier, le cierge & les burettes.

Ceux qui ont reçu les ordres mineurs peuvent quitter l'état de cléricature & se marier sans dispense.

Le concile de Trente exhorte les évêques à rétablir les fonctions des ordres mineurs, & à ne les faire remplir que par des clercs qui aient reçu l'ordre auquel elles sont attachées ; mais ce réglement n'a point eu d'exécution. Les fonctions des quatre ordres mineurs sont le plus souvent remplies par de simples clercs, ou même par des laïques revêtus d'habits ecclésiastiques ; desorte qu'on ne regarde plus les ordres mineurs que comme une cérémonie nécessaire pour parvenir aux ordres supérieurs.

Il faut néanmoins excepter la fonction des exorcismes, laquelle par un usage établi depuis longtems dans l'Eglise, est reservée aux prêtres, lesquels ne peuvent même exorciser les possédés du démon, sans un pouvoir spécial de l'évêque, parce qu'il est rare présentement qu'il y ait des possédés, & qu'il y a souvent de l'imposture de la part de ceux qui paroissent l'être.

L'ordination ne se réitere point, si ce n'est quand on doute si celui qui a conféré les ordres à un clerc, étoit véritablement évêque, ou bien s'il avoit ordonné prêtre quelqu'un qui n'auroit point été baptisé ; dans ce dernier cas, on commence par donner le baptême, & ensuite tous les ordres inférieurs au sacerdoce.

Si l'évêque avoit omis l'imposition des mains à l'imposition d'un prêtre ou d'un diacre, on ne réitere pas pour cela toute l'ordination ; mais il faut que celui qui a été ordonné suspende les fonctions de son ordre jusqu'à ce que la cérémonie omise ait été suppléée aux premiers quatre-tems. Mais si l'évêque avoit omis de prononcer lui-même les prieres qu'il doit dire, il faudroit réiterer l'ordination.

Celui qui a reçu les ordres d'un évêque excommunié, ne peut en faire les fonctions jusqu'à ce qu'il en ait obtenu la dispense.

Un évêque qui s'est démis de son évêché, sans renoncer à la dignité épiscopale, peut donner les ordres quand il en est prié par un autre évêque.

Il n'est pas permis à un évêque de donner les ordres hors de son diocese, même à ses diocésains, si ce n'est par la permission de l'ordinaire du lieu : celui qui ordonne autrement est suspens pour un an de la collation des ordres ; & celui qui a été ainsi ordonné, suspens de ses fonctions jusqu'à ce que l'évêque l'ait relevé de la suspense.

Suivant le droit canonique, l'évêque ordinaire d'un clerc pour l'ordination, est celui du diocese où il est né, ou dans le diocese duquel il a son domicile ou un bénéfice.

Le concile de Trente permet aussi à un évêque d'ordonner un clerc qui a demeuré 3 ans avec lui, pourvû qu'il lui confere aussitôt un bénéfice.

Mais les évêques de France, dans les assemblées du clergé de 1635 & 1665, sont convenus de n'ordonner sans démissoire, que les clercs originaires de leur diocese : ce qui s'observe assez exactement, quoiqu'il n'y ait pas de loi qui ait révoqué l'ancien usage.

Les religieux doivent être ordonnés par l'évêque du diocese où est leur monastere ; ce qui ne peut se faire néanmoins sans le consentement de leur supérieur régulier.

En l'absence de l'évêque, son vicaire général, & pendant la vacance de l'évêché, le chapitre de la cathédrale, peuvent donner des démissoires pour les ordres. Voyez DEMISSOIRE.

Le pape est en possession d'ordonner les clercs de quelque diocese que ce soit, sans le consentement de leur évêque.

Les ordres mineurs se peuvent donner tous les dimanches & fêtes ; mais les ordres majeurs ne se donnent qu'aux quatre-tems, le samedi saint, ou le samedi d'avant le dimanche de la Passion : les ordres majeurs ne peuvent être conférés en d'autres tems, si ce n'est par dispense du pape, ce qu'on appelle une dispense extra tempora.

Ceux qui ont reçu les ordres sacrés hors les tems prescrits par l'Eglise, sont suspens des fonctions de leur ordre jusqu'à ce qu'ils aient obtenu une dispense du pape. L'évêque qui a ordonné hors les tems prescrits, est punissable pour cette contravention.

On observoit autrefois des interstices entre chaque ordre mineur ; présentement dans la plûpart des dioceses, l'évêque les donne tous quatre en un même jour, & même souvent en donnant la tonsure.

Pour ce qui est des ordres sacrés, il n'est pas permis d'en conférer deux en un même jour, ni en deux jours consécutifs ; l'évêque qui auroit ainsi ordonné un clerc, demeureroit suspens du droit de conférer les ordres, & le clerc suspens de ses fonctions, jusqu'à ce qu'ils aient été relevés de la suspense.

Ces regles ne furent pas observées par Photius, lequel dans le ix. siecle fut mis à la place du patriarche Ignace ; les évêques le firent passer en six jours par tous les degrés du sacerdoce. Le premier jour, on le fit moine, parce qu'alors l'état monachal faisoit en Orient un degré de la hiérarchie ecclésiastique ; le second jour, on le fit lecteur ; le troisieme, soudiacre, puis diacre, prêtre, & enfin patriarche.

On en usa de même pour Humbert, dauphin de Viennois, auquel Clément VI. donna tous les ordres sacrés en un même jour.

Pour être promû aux ordres il faut avoir les qualités nécessaires, telles que la vertu, la piété, la conduite réguliere, la vocation ; il faut aussi n'être point irrégulier. Voyez IRREGULARITE.

Le concile de Trente veut aussi que l'on ne donne les ordres mineurs qu'à ceux qui entendent le latin, & dont les progrès font espérer qu'ils se rendront dignes des ordres supérieurs.

Quant à l'âge nécessaire, en France les évêques ne donnent les ordres mineurs qu'à ceux qui ont 18 ou 19 ans ; l'âge fixé pour le soudiaconat est de 22 ans commencés, pour le diaconat 23, & pour la prêtrise 24 ans commencés ; le pape accorde quelquefois des dispenses d'âge. Celui qui seroit ordonné avant l'âge nécessaire sans dispense, seroit suspens des fonctions de son ordre jusqu'à ce qu'il eût l'âge légitime.

Avant d'admettre un clerc aux ordres, on lui fait subir un examen sur les choses qu'il doit savoir, selon son âge & le degré auquel il aspire.

On observe aussi en France d'obliger les clercs de demeurer quelque tems au séminaire avant de se présenter à l'ordination.

Il est d'usage de publier au prône de la paroisse, le nom de celui qui se présente pour les ordres sacrés, & l'on ordonne à ceux qui y sauroient quelque empêchement de le venir déclarer.

Autrefois on n'ordonnoit aucun clerc sans lui donner un titre ; présentement pour les ordres sacrés il faut que l'ordinant ait un bénéfice ou un titre clérical. Voyez TITRE CLERICAL.

L'évêque donne à celui qui est ordonné des lettres d'ordres ou ordination, signées de lui ; & l'on tient registre de ces lettres.

Il y a des bénéfices qui requierent dans le titulaire un certain ordre, comme de diaconat ou de prêtrise ; l'ordre peut être requis à lege ou à fundatione, voyez BENEFICE. Voyez la collection des conciles, les mémoires du clergé, les lois ecclésiastiques d 'Hericourt. (A)

ORDRE, (Jurisprud.) qu'on appelle état en Normandie, est un jugement qui fixe le rang dans lequel les créanciers opposans au decret, doivent être payés sur le prix des biens saisis réellement, & sur les deniers provenans des baux judiciaires.

En quelques endroits, comme en Lorraine, au parlement de Bordeaux & en Angoumois, l'ordre se fait avant l'adjudication par decret, afin de ne vendre des biens qu'autant qu'il en faut pour payer les créanciers. A Paris, & presque partout ailleurs, l'ordre ne se fait qu'après l'adjudication.

En Normandie on fait d'abord un état du prix des baux judiciaires, pour voir pareillement s'il y a de quoi payer les créanciers sans vendre le fonds ; ailleurs on ne fait qu'un seul ordre.

En quelques endroits on ne fait l'ordre que quand le prix est consigné ; en d'autres on le commence aussitôt après l'adjudication.

Quand le decret est délivré, le procureur du poursuivant leve au greffe un extrait du nom des opposans, & celui de leur procureur ; il prend ensuite avec eux l'appointement sur l'ordre, qui est un appointement en droit à écrire & produire : il doit bien prendre garde de n'omettre aucun des créanciers opposans ; car s'il en omettoit un qui pût être utilement colloqué, il seroit responsable de sa créance.

Huitaine après la signification de l'appointement, le poursuivant fournit ses causes & moyens d'opposition, & fait sa production.

Le procureur plus ancien des opposans, lequel en cette matiere est regardé comme leur syndic, contredit toutes les productions ; ce qui n'empêche pas que chaque opposant n'ait aussi la liberté de contredire en son particulier.

L'instance d'ordre étant instruite, on juge ; & par le jugement on fait l'ordre, ce que l'on appelle sentence d'ordre, ou arrêt d'ordre, si c'est en cour souveraine.

On colloque dans l'ordre, en premier les créanciers privilegiés, chacun suivant le rang de leur privilege ; en second lieu les créanciers simples hypothécaires, chacun suivant le rang de leur hypothéque ; en troisieme lieu les créanciers chirographaires.

Les créanciers colloqués utilement dans l'ordre, vont toucher leur paiement aux saisies réelles, ou aux consignations, suivant que leur paiement est assigné sur l'un ou sur l'autre.

Au châtelet on nomme un commissaire pour faire l'ordre.

Il y a encore divers usages sur cette matiere dans différens tribunaux. Voyez le traité de la vente des immeubles par decret par M. d 'Hericourt, les questions de Bretonnier, au mot DECRET.

Bénéfice d'ordre ou de discussion, est une exception accordée à la caution pour ne pouvoir être poursuivie avant que le principal obligé ait été discuté. Voyez CAUTION, DISCUSSION, FIDEJUSSEUR. (A)

ORDRE RELIGIEUX, (Hist. ecclésiast.) congrégation, société de religieux, vivans sous un chef, d'une même maniere, & sous un même habit.

On peut réduire les ordres religieux à cinq classes : Moines, Chanoines, Chevaliers, Mendians, & Clercs réguliers. On sait que l'ordre de S. Basile est le plus célebre de l'Orient, & l'ordre de S. Benoît un des plus anciens de l'Occident. L'ordre de S. Augustin se divise en chanoines réguliers & en hermites de S. Augustin. Quant aux quatre ordres des religieux mendians, qui ont été tant multipliés, ils ne parurent que dans le xiij. siecle.

Laissons au P. Helliot tous les détails qui concernent les ordres religieux, & traçons seulement en général leur origine & leurs progrès, non pas néanmoins avec des protestans prévenus, mais avec M. l'abbé Fleury, dont l'impartialité égale les lumieres.

La naissance du monachisme est de la fin du iij siecle. Saint-Paul qui vivoit en CCL, Saint-Antoine & Saint-Pacôme, sont les premiers religieux chrétiens d'Egypte, & on les reconnoît pour les plus parfaits de tous ceux qui leur succéderent. Cassien qui nous a donné une description exacte de leur maniere de vie, nous apprend qu'elle renfermoit quatre principaux articles : la solitude, le travail, le jeûne & la priere. Leur solitude ne consistoit pas seulement à se séparer des autres hommes, mais à s'éloigner des lieux fréquentés, & habiter des deserts. Or, ces deserts n'étoient pas, comme plusieurs s'imaginent, de vastes forêts, ou d'autres terres abandonnées, que l'on pût défricher & cultiver : c'étoient des lieux non-seulement inhabités, mais inhabitables : des plaines immenses de sables arides, des montagnes stériles, des rochers, & des pierres. Ils s'arrêtoient aux endroits où ils trouvoient de l'eau, & y bâtissoient leurs cellules de roseaux ou d'autres matieres légeres ; & pour y arriver, il falloit souvent faire plusieurs journées de chemin dans le desert. Là, personne ne leur disputoit le terrein ; il ne falloit demander à personne la permission de s'y établir.

Le travail des mains étoit regardé comme essentiel à la vie monastique. La vocation générale de tout le genre humain est de passer ses jours à quelques fonctions sérieuses & pénibles. Les plus grands saints de l'ancien testament ont été pâtres, & laboureurs. Le travail de ces premiers religieux tendoit, d'une part, à éviter l'oisiveté & l'ennui qui en est inséparable ; & d'autre part, à gagner de quoi subsister sans être à charge à personne. Ils prenoient à la lettre ce précepte de Saint Paul : " Si quelqu'un ne veut point travailler, qu'il ne mange pas non plus ". Ils ne cherchoient ni glose ni commentaire à ce précepte ; mais ils s'occupoient à des travaux compatibles à leur état : comme de faire des nattes, des corbeilles, de la corde, du papier, ou de la toile. Quelques-uns ne dédaignoient pas de tourner la meule. Ceux qui avoient quelques pieces de terre, les cultivoient eux-mêmes : mais ils aimoient mieux les métiers que les biens en fonds, qui demandent trop de soins, & attirent des procès.

Ces religieux jeûnoient presque toute l'année, ou du moins se contentoient d'une nourriture très-frugale. Ils réglerent la quantité de leur pain à 12 onces par jour, qu'ils distribuoient en deux repas ; l'un à none, l'autre au soir. Ils ne portoient ni cilice ni chaîne ou carcan de fer ; car pour les disciplines & flagellations, elles n'avoient pas encore été imaginées. Leurs austérités consistoient dans la persévérance en une vie uniforme & laborieuse ; ce qui est plus convenable à la nature, que l'alternative des rudes pénitences avec le relâchement.

Leur priere étoit réglée avec la même sagesse. Ils prioient en commun deux fois en 24 heures ; le soir & la nuit. Une partie étant debout, chantoit un pseaume au milieu de l'assemblée ; & les autres écoutoient dans le silence, sans se fatiguer la poitrine ni le reste du corps. Leurs dévotions étoient de même goût, si on ose le dire, que les ouvrages des anciens Egyptiens, grandes, simples & solides. Tels étoient ces premiers moines si fort estimés par S. Basile & S. Jean-Chrysostome.

La vie monastique, en s'étendant par toute la chrétienté, commença à dégénerer de cette premiere perfection. La regle de S. Benoît nous apprend qu'il fut obligé d'accorder aux religieux un peu de vin, & deux mets outre le pain, sans les obliger à jeûner toute l'année. Cependant, voyez combien la ferveur s'est ralentie, depuis qu'on a regardé cette regle comme d'une sévérité impraticable ! Voyez, dis-je, combien ceux qui y ont apporté tant de mitigations, étoient éloignés de l'esprit de leur réelle vocation ; tant il est vrai que la nature corrompue ne cherche qu'à autoriser le relâchement !

On vit bientôt après des communautés de clercs mener une vie approchante de celle des religieux de ce tems-là : on les nomma chanoines ; & vers le milieu du vij. siecle, Chrodegang, évêque de Metz, leur donna une regle : ainsi voilà deux sortes de religieux dans le vij. siecle ; les uns clercs ; les autres laïcs ; on sait quelles en ont été les suites.

Au commencement du ix. siecle, les religieux de S. Benoît se trouverent très-éloignés de l'observance de la regle de leur institut. Vivans indépendans les uns des autres, ils reçurent de nouveaux usages qui n'étoient point écrits, comme la couleur, la figure de l'habit, la qualité de la nourriture, &c. & ces divers usages furent des sources d'orgueil & de relâchement.

Dans le x. siecle, en 910, Guillaume, duc d'Aquitaine, fonda l'ordre de Clugny, qui sous la conduite de l'abbé Bernon, prit la regle de S. Benoît. Cet ordre de Clugny se rendit célebre par la doctrine & les vertus de ses premiers abbés ; mais au bout de deux cent ans, il tomba dans une grande obscurité, & l'on n'y vit plus d'homme distingué depuis Pierre le vénérable.

Les deux principales causes de cette chûte furent les richesses, & la multiplication des prieres vocales. Le mérite singulier des premiers abbés de Clugny leur procura des dons immenses, qu'ils eussent mieux fait de refuser, s'ils avoient sérieusement réfléchi sur les suites de leur opulence. Les moines de Clugny ne tarderent pas de faire la meilleure chere possible en maigre, & de s'habiller des étoffes du plus grand prix. Les abbés marcherent à grand train ; les églises furent bâties magnifiquement, & richement ornées, & les lieux réguliers à proportion.

L'autre cause du relâchement fut la multiplication de la psalmodie & des prieres vocales. Ils ajouterent entr'autres choses, à la regle de S. Benoît l'office des morts, dont ils étoient les auteurs. Cette longue psalmodie leur ôtoit le tems du travail des mains ; & Pierre le vénérable fut trompé par les préjugés de son siecle, en regardant le travail corporel comme une occupation servile. L'antiquité n'en jugeoit pas ainsi ; & sans parler des Israélites, on sait que les Grecs & les Romains s'en faisoient honneur.

Deux cent ans après la fondation de Clugny, saint Bernard fonda l'ordre religieux de Cisteaux ; mais il faut avouer que son zele ne fut pas assez reglé par la discrétion. Il introduisit dans l'observance de Cisteaux une nouveauté, qui dans la suite, contribua beaucoup au relâchement ; je veux dire, la distinction des moines du choeur & des freres lais. Jusqu'au xj. siecle, les moines se rendoient eux-mêmes toutes sortes de services, & s'occupoient tous des mêmes travaux.

Saint Jean-Gualbert institua le premier des freres-lais dans son monastere de Valombreuse, fondé vers l'an 1040. On occupa ces freres-lais des travaux corporels, du ménage de la campagne, & des affaires du dehors. Pour priere, on leur prescrivit un certain nombre de pater ; & afin qu'ils s'en pussent acquiter, ils avoient des grains enfilés, d'où sont venus les chapelets. Ces freres étoient vêtus moins bien que les moines, & portoient la barbe longue, comme les autres laïcs. Les Chartreux, les moines de Grandmont, & ceux de Cisteaux ayant établi des freres-lais, tous les ordres religieux venus depuis, ont suivi leur exemple : il a même passé aux religieuses ; car on distingue chez elles, les filles du choeur, & les soeurs converses.

Cette distinction entre les religieux a fait beaucoup de mal. Les moines du choeur, voyant les freres-lais au-dessous d'eux, les ont regardés comme des hommes grossiers, & se sont regardés eux-mêmes comme des seigneurs ; c'est en effet ce que signifie le titre de dom, abrégé de dominus, qui en Italie & en Espagne, est encore un titre de noblesse que la regle de saint Benoît donnoit à l'abbé seul dans le xj siecle.

D'un autre côté, les freres-convers, qu'on tenoit fort bas & fort soumis, ont voulu souvent dominer, comme étant plus nécessaires pour le temporel que le spirituel supposé ; car il faut vivre avant que de prier & d'étudier.

Depuis ce tems, les moines abandonnerent plus que jamais le travail des mains, & quelques-uns d'eux crurent que l'étude étoit la seule occupation qui pût leur convenir ; mais ils ne se bornerent pas à l'étude de l'Ecriture sainte, ils embrasserent toutes sortes d'études ; celle des canons & du droit civil, qui ne devoient pas être de leur ressort, & celle de la Médecine, encore moins. Rigord, moine de S. Denys étoit physicien, c'est-à-dire médecin du roi Louis-le-Gros, dont il a écrit la vie. Si ces moines commencerent ces sortes d'études par charité, ils les continuerent par intérêt, pour gagner de l'argent, comme auroient fait des séculiers. Le concile de Rheims tenu par le pape Innocent III. en 1131, nous l'apprend, c'est, dit ce concile, au canon VI, l'avarice, qui les engage à se faire avocats, & à plaider des causes justes & injustes sans distinction. C'est l'avarice qui les engage à mépriser le soin des ames, pour entreprendre la guérison des corps, & arrêter leurs yeux sur des objets dont la pudeur défend même de parler.

Le concile de Latran tenu en 1215, voulant remédier à l'extrême relâchement des communautés religieuses de l'un & de l'autre sexe, ordonna la tenue des chapitres généraux tous les trois ans : mais ce remede a eu peu d'effet ; parce que d'ailleurs les chapitres généraux ont de grands inconvéniens. La dissipation inséparable des voyages est plus grande ; & plus ces chapitres sont grands, plus grande est la dépense, qui oblige à faire des impositions sur les monasteres, source de plaintes & de murmures. Enfin, quel a été le fruit de ces chapitres ? de nouveaux réglemens & des députations de visiteurs pour les faire exécuter ; c'est-à-dire, une multiplication odieuse de voyages & de dépenses, comme l'a fait voir l'expérience de quatre siecles.

Le même concile de Latran défendit de nouvelles religions, c'est-à-dire de nouveaux ordres ou congrégations. Cette défense étoit très sage, très-avantageuse à l'état, & conforme à l'esprit de la pure antiquité. Les divers ordres religieux sont autant de petites églises jalouses l'une de l'autre dans l'Eglise universelle. Il est moralement impossible qu'un ordre estime autant un autre institut que le sien, & que l'amour propre ne pousse pas chaque religieux à préférer singulierement l'institut qu'il a choisi, à souhaiter à sa communauté plus de richesses & de réputation qu'à toute autre, & à se dédommager ainsi de ce que la nature souffre à ne rien posséder en propre. Les moines aiment tant leur ordre, parce que leur regle les prive des choses, sur lesquelles les passions ordinaires s'appuient. Reste donc cette passion pour la regle même qui les afflige. De-là tant d'activité, de procès & de disputes si vives entre les ordres religieux sur la préséance & les honneurs.

Le concile de Latran avoit donc très-sagement défendu d'instituer de nouvelles religions ; mais son decret a été si mal observé, ainsi que celui du concile de Lyon, tenu soixante ans après pour en réitérer la défense, que depuis ces deux conciles, il s'est plus établi de nouveaux ordres, que dans tous les siecles précédens.

Si les inventeurs des nouveaux ordres qu'on nomme religieux mendians, n'étoient pas canonisés pour la plûpart, on pourroit les soupçonner de s'être laissé séduire à l'amour propre, & d'avoir voulu se distinguer par leur raffinement au-dessus des autres. Mais sans préjudice de leur sainteté, on peut librement attaquer leurs lumieres ; & le pape Innocent III. avoit raison de faire difficulté d'approuver le nouvel institut de saint François. En effet, il eût été plus utile à l'Eglise que les papes & les évêques se fussent appliqués sérieusement à réformer le clergé séculier, & le rétablir sur le pié des trois premiers siecles, sans appeller au secours ces troupes étrangeres ; ensorte qu'il n'y eût que deux genres de personnes consacrées à Dieu, des clercs destinés à l'instruction & la conduite des fideles, & un petit nombre de moines séparés du monde, & appliqués uniquement à prier & travailler en silence.

Mais comme au xiij. siecle, l'on étoit touché des desordres que l'on avoit devant les yeux, l'avarice du clergé, son luxe, sa vie molle & voluptueuse qui avoit gagné les monasteres rentés, l'on crut devoir admettre des hommes qui renonçoient à la possession des biens temporels en particulier, & en commun. Ainsi l'on goûta beaucoup l'institut des freres Mineurs, & autres nouveaux moines, qui choisirent la mendicité jusques-là rejettée par les plus saints religieux. Le vénérable Guigues traite d'odieuse la nécessité de quêter ; & le concile de Paris tenu en 1212, veut que l'on donne de quoi subsister aux religieux qui voyagent, pour ne les pas réduire à mendier à la honte de leur ordre. Saint François lui-même avoit ordonné le travail à ses disciples, ne leur permettant de mendier qu'à la derniere extrêmité ; & dans son testament, il leur fait une défense expresse de demander au pape aucun privilege, & de donner aucune explication à sa regle. Cependant peu de tems après sa mort, les freres Mineurs assemblés au chapitre de 1230, obtinrent du pape Grégoire IX. une bulle qui déclare qu'ils ne sont point obligés à l'observation de son testament, & qui explique la regle en plusieurs articles. Ainsi le travail des mains si recommandé dans l'Ecriture, & si bien pratiqué par les premiers moines, est devenu odieux, & la mendicité odieuse auparavant, est devenue honorable.

J'avoue que les freres Prêcheurs & les freres Mineurs, négligeant dans l'enfance de leurs ordres, les bénéfices & les dignités ecclésiastiques, se rendirent célebres par leurs études dans les universités naissantes de Paris & de Boulogne ; & sans examiner quel étoit au fond ce genre d'étude qu'ils cultiverent, il suffit qu'ils y réussissoient mieux que les autres. Leur vertu, la modestie, l'amour de la pauvreté, & le zele de la propagation de la foi, contribuerent en même tems à les faire respecter de tout le monde. De-là vient qu'ils furent si-tôt favorisés par les papes, qui leur accorderent tant de priviléges, & chéris par les princes & par les rois. Saint Louis disoit, que s'il pouvoit se partager en deux, il donneroit aux freres Prêcheurs la moitié de sa personne, & l'autre aux freres Mineurs.

Mais sans discuter ici la matiere de la pauvreté évangelique, que les freres Mendians ont fort mal connue, tenons-nous-en à l'expérience. Trente ans après la mort de saint François, on remarquoit déja un relâchement extrême dans les ordres de sa fondation. J'en citerai seulement pour preuve, le témoignage de saint Bonaventure, qui ne peut être suspect. C'est dans la lettre qu'il écrivit en 1257, étant général de l'ordre, à tous les provinciaux & les custodes. Cette lettre est dans ses opuscules, tome II. page 352. Il se plaint de la multitude des affaires pour lesquelles ils requéroient de l'argent, de l'oisiveté de divers freres, de leur vie vagabonde, de leurs importunités à demander, des grands bâtimens qu'ils élevoient ; enfin, de leur avidité des sépultures & des testamens. Je ne dirai qu'un mot sur chacun de ces articles.

Les freres Mendians, sous prétexte de charité, se mêloient de toutes sortes d'affaires publiques & particulieres. Ils entroient dans le secret des familles, & se chargeoient de l'exécution des testamens ; ils prenoient des députations pour négocier la paix entre les villes & les princes. Les papes sur-tout leur donnoient volontiers des commissions, comme à des gens sans conséquence, qui voyageoient à peu de frais, & qui leur étoient entierement dévoués : ils les employoient même quelquefois à des levées de deniers.

Mais une chose plus singuliere que toute autre, c'est le tribunal de l'inquisition dont ils se chargerent. On sait que dans ce tribunal, contraire à toute bonne police, & qui trouva par-tout un soulevement général, il y a capture de criminels, prison, torture, condamnations, confiscations, peines infamantes, & si souvent corporelles par le ministere du bras séculier. Il est sans doute bien étrange de voir des religieux, faisant profession de l'humilité la plus profonde, & de la pauvreté la plus exacte, transformés tout d'un coup en juges criminels, ayant des appariteurs & des familiers armés, c'est-à-dire, des gardes & des trésors à leur disposition, se rendant ainsi terribles à toute la terre.

Je glisse sur le mépris du travail des mains, qui attire l'oisiveté chez les Mendians comme chez les autres religieux. De-là la vie vagabonde de plusieurs, & que saint Bonaventure reproche à ces freres, lesquels, dit-il, sont à charge à leurs hôtes, & scandalisent au lieu d'édifier. Leur importunité à demander, ajoute le même saint, fait craindre la rencontre de nos freres comme celle des voleurs. En effet, cette importunité est une espece de violence, à laquelle peu de gens savent résister, surtout à l'égard de ceux dont l'habit & la profession ont attiré du respect ; & d'ailleurs, c'est une suite naturelle de la mendicité ; car enfin il faut vivre. D'abord, la faim & les autres besoins pressans font vaincre la pudeur d'une éducation honnête ; & quand une fois on a franchi cette barriere, on se fait un mérite & un honneur d'avoir plus d'industrie qu'un autre à attirer les aumônes.

La grandeur & la curiosité des bâtimens incommodent nos amis qui fournissent à la dépense, & nous exposent aux mauvais jugemens des hommes. Ces freres, dit Pierre des Vignes, qui dans la naissance de leur religion, sembloient fouler aux piés la gloire du monde, reprennent le faste qu'ils ont méprisé ; n'ayant rien, ils possedent tout, & sont plus riches que les riches mêmes. Quant à leur avidité des sépultures & des testamens, Matthieu Paris l'a peinte en ces mots : " Ils sont soigneux d'assister à la mort des grands au préjudice des pasteurs ordinaires : ils sont avides de gain, & extorquent des testamens secrets ; ils ne recommandent que leur ordre, & le préferent à tous les autres ".

Le relâchement fit encore dans la suite de plus grands progrès chez les freres Mineurs, par le malheureux schisme qui divisa tout l'ordre, entre les freres spirituels, & ceux de l'observance commune. Le pape Célestin, dont le zele étoit plus grand que la prudence, autorisa cette division, en établissant la congrégation des pauvres hermites, sous la conduite du frere Libérat.

Les anciens religieux étant tombés dans le mépris depuis l'introduction des Mendians, ce mépris les excita à tâcher de relever chez eux les études ; mais comme on n'imaginoit pas alors qu'on pût bien étudier ailleurs que dans les universités, on y envoyoit les moines ; ce qui fut une nouvelle source de dépravation par la dissipation des voyages, la fréquentation inévitable des étudians séculiers, peu réglés dans leurs moeurs pour la plûpart, la vanité du doctorat, & des autres grades, & les distinctions qu'ils donnent dans les monasteres. D'ailleurs, ils recevoient en argent leur nourriture & leur vestiaire ; ils sortoient sans permission, mangeoient en ville chez les séculiers, & s'y cachoient. Ils avoient leur pécule en propre, couchoient dans des chambres particulieres, empruntoient de l'argent en leur nom, & se rendoient caution pour d'autres.

Il seroit trop long d'examiner les sources du relâchement, de la dégradation, & de la multiplication des religieux. Nous dirons seulement qu'une des causes les plus générales du relâchement qui regne chez eux, est la légereté de l'esprit humain, & la rareté d'hommes fermes, qui perséverent long-tems dans une même résolution. On a tâché de fixer l'inquiétude naturelle par le moyen des voeux ; mais ces voeux mêmes sont téméraires, & mal imaginés. Les récréations introduites dans les derniers tems, seroient peut-être convenables, si elles consistoient dans le mouvement du corps, la promenade, ou un travail modéré.

Les austérités corporelles si usitées dans les derniers siecles, ont fait plus de mal que de bien : ce ne sont pas des signes de vertu ; on peut sans humilité & sans charité marcher nud pié, porter la haire, ou se donner la discipline. L'amour propre qui empoisonne tout, persuade à un esprit foible qu'il est un saint, dès qu'il pratique ces dévotions extérieures ; & pour se dédommager de ce qu'il souffre par-là, il s'imagine aisément pouvoir faire une espece de compensation, comme cet italien qui disoit : Que veux-tu, mon frere ? un peu de bien, un peu de mal, le bon Dieu nous fera miséricorde.

Mais les exemptions ne sont pas une des moindres causes du relâchement des religieux ; & les inconvéniens en sont sensibles : le pouvoir du pape à cet égard, n'est fondé que sur les fausses décrétales, que le pontife de Rome peut tout. Les exemptions sont une occasion de mépriser les évêques & le clergé qui leur est soumis. C'est une source de division dans l'Eglise, en formant une hiérarchie particuliere.

L'humilité est entierement tombée par les distinctions entre les freres. Un général d'ordre se regarde comme un prélat & un seigneur ; & quelques-uns en prennent le titre & l'équipage. Un provincial s'imagine presque commander à tout le peuple de sa province ; & en certains ordres, après son tems fini, il garde le titre d'exprovincial.

Depuis que le travail des mains a été méprisé, les religieux rentés se sont abandonnés la plûpart à la paresse dans les pays chauds, & à la crapule dans les pays froids. Tant de relâchemens a nui à tous les Chrétiens catholiques, qui ont cru pouvoir se permettre quelque chose de plus que les moines. L'affoiblissement de la Théologie morale est venu de la même source. Les casuistes qui étoient presque tous religieux, & religieux mendians, gens peu séveres envers ceux dont ils tirent leur subsistance, ont excusé la plûpart des péchés, ou en ont facilité les absolutions. Cette facilité est nécessaire dans les pays d'inquisition, où le pécheur d'habitude, qui ne veut pas se corriger, n'ose toutefois manquer au devoir paschal, de peur d'être dénoncé, excommunié, au bout de l'an déclaré suspect d'hérésie, & comme tel poursuivi en justice : aussi est-ce dans ces pays, qu'ont vécu les casuistes les plus relâchés.

Les nouvelles dévotions introduites par divers religieux, ont concouru au même effet, de diminuer l'horreur du péché, & de faire négliger la correction des moeurs. On peut porter gayement un scapulaire, dire tous les jours le chapelet, ou quelque oraison, sans pardonner à son ennemi, restituer le bien mal acquis, ou quitter sa concubine. Des pratiques qui n'engagent point à être meilleur, sont aisément reçues. De-là vient encore la dévotion simplement extérieure qu'on donne au saint Sacrement. On aime bien mieux s'agenouiller devant lui, ou le suivre en procession, que se disposer à communier dignement.

Nous supprimons les détails de cette jalousie éclatante qui regne entre divers ordres religieux : la division entre les Dominicains & les Franciscains ; la haine entre les moines noirs & les moines blancs ; chaque ordre se rallie sous un étendart opposé. Tous enfin ont l'esprit du corps qui animant leurs sociétés particulieres, ne procure aucun bien à la société générale.

Concluons donc avec saint Benoît, qu'il n'est peut-être pas nécessaire qu'il y ait des ordres religieux dans l'Eglise ; ou du-moins, que ceux qui ont pris le parti de s'y dévouer, bien-loin de se relâcher, doivent tendre nécessairement à une plus grande perfection. Le bienheureux Guigues chartreux, déclare en conséquence, que l'institut religieux qui admet le moins de sujets, est le meilleur ; & que celui qui en admet le plus, est le moins estimable.

Si cette réflexion est juste, que devons-nous penser de leur multiplicité ? Je ne dirai rien de leur opulence, sinon qu'elle commença très-promptement, & qu'elle étoit déja prodigieuse dans les viij. & ix. siecles : ils ont toujours acquis depuis, & ils acquierent encore. Quant au nombre incroyable de sujets qu'ils possedent, c'est assez d'observer que la France en nourrit plus de cent mille dans des monasteres ou couvens ; l'Italie n'en a pas moins ; & les cloîtres en Espagne tiennent lieu d'une mortalité qui détruit insensiblement la nation. Ces familles éternelles où il ne naît personne, dit l'auteur de l'esprit des Lois, & qui subsistent perpétuellement aux dépens du public, ont des maisons toujours ouvertes, comme autant de gouffres, où s'ensevelissent les races futures. (D.J.)

ORDRE D'UN ETAT, (Droit Polit.) on appelle ordres dans un état, différentes classes & assemblées des hommes, avec leurs différens pouvoirs & privileges. Il n'est pas possible de détruire & de changer essentiellement les ordres d'un état, tandis que l'esprit & le caractere du peuple demeurent dans la pureté & la vigueur de son origine ; mais ils seroient essentiellement altérés, si l'esprit & le caractere du peuple étoit perdus ; cette altération des ordres entraîneroit plus certainement la perte de la liberté, que s'ils étoient anéantis. (D.J.)

ORDRE BLANC ; on appelle ordres blancs dans l'église romaine les ordres religieux, dont les membres sont vêtus de blanc, tels que les chanoines réguliers de S. Augustin, autrement Génovefains, les Prémontrés, les Trinitaires ; & par opposition on appelle ordres noirs ceux qui sont tous vêtus de noir, tels que les Bénédictins, les Augustins, &c. Voyez ORDRE.

ORDRES MILITAIRES, (Hist. mod.) les ordres militaires sont certains corps de chevaliers, institués par des rois ou des princes, pour donner des marques d'honneur & faire des distinctions dans leur noblesse.

Il y a eu en France quatre ou cinq ordres de chevalerie purement militaires.

Charles Martel institua l'ordre de la genette, qui ne dura point.

S. Louis fonda en 1269 l'ordre du navire & du croissant, qui fut aussi de courte durée.

En 1350 le roi Jean institua l'ordre de l'étoile, en faveur des plus grands seigneurs ; la devise étoit monstrant regibus astra viam, par allusion à l'étoile des mages : cet ordre dont le siége étoit à Saint-Ouen près Paris, s'avilit dans la suite par le trop grand nombre de chevaliers, & fut abandonné aux chevaliers du guet.

En 1389 Charles VI. fonda l'ordre de la ceinture de l'espérance, dont on ne sait aucun détail.

En 1469 Louis XI. institua l'ordre de S. Michel, parce que celui de l'étoile étoit tombé en discrédit. Il fixa le nombre des chevaliers à trente-six, & ce fut au traité de Noyon, que Charles-Quint & François I. se donnerent mutuellement l'un l'ordre de la toison, l'autre celui de S. Michel ; mais François II. en 1559 ayant créé à la fois dix-huit chevaliers de S. Michel, cette promotion commença à avilir cet ordre. Les marques d'honneur, dit M. de Sainte-Palaye, sont la monnoie de l'état ; il est aussi dangereux de la hausser à l'excès que de la baisser.

Enfin, l'an 1693 est la date de l'institution de l'ordre de S. Louis.

Loin d'entrer dans les détails sur ces divers ordres, je me borne à deux réflexions.

1°. Les ordres militaires de chevalerie, comme ceux du temple, ceux de malthe, l'ordre teutonique & tant d'autres, sont une imitation de l'ancienne chevalerie qui joignoit les cérémonies religieuses aux fonctions de la guerre. Mais cette espece de chevalerie fut absolument différente de l'ancienne. Elle produisit en effet les ordres monastiques & militaires fondés par les papes, possédant des bénéfices, astreints aux trois voeux des moines. De ces ordres singuliers, les uns ont été grands conquérans, les autres ont été abolis pour leurs débauches ou leur puissance ; d'autres ont subsisté avec éclat.

2°. Les souverains ont dans leur main un moyen admirable de payer les services considérables que les sujets ont rendus à l'état, en honneurs, en dignités, & en rubans, plutôt qu'en argent ou autres semblables récompenses. " C'a été, dit Montagne, une belle invention, & reçûe en la plûpart des polices du monde, d'établir certaines marques vaines & sans prix, pour en honorer & récompenser la vertu ; comme sont les couronnes de laurier, de chêne, de myrte, la forme de certain vêtement, le privilege d'aller en coche par ville, ou de nuit avec flambeau, quelque assiette particuliere aux assemblées publiques, la prérogative d'aucuns surnoms & titres, certaines marques aux armoiries, & choses semblables, de quoi l'usage a été diversement reçu, selon l'opinion des nations, & dure encore. Nous avons pour notre part & plusieurs de nos voisins, les ordres de chevalerie qui ne sont établis qu'à cette fin. Il est beau de reconnoître la valeur des hommes, & de les contenter par des payemens qui ne chargent aucunement le public, & qui ne coûtent rien au prince, & ce qui a été toujours connu par expérience ancienne, & que nous avons autrefois aussi pû voir entre nous, que les gens de qualités avoient plus de jalousies de telles récompenses, que de celles où il y avoit du gain & du profit, cela n'est pas sans raison & sans apparence. Si au prix qui doit être simplement d'honneur, on y mêle d'autres commodités & de la richesse, ce mêlange au lieu d'augmenter l'estimation, il la ravale, & en retranche.... La vertu embrasse & aspire plus volontiers à une récompense purement sienne, plutôt glorieuse qu'utile ; car à la vérité les autres dons n'ont pas leur usage si digne, d'autant qu'on les emploie à toutes sortes d'occasions. Par des richesses on satisfait le service d'un valet, la diligence d'un courier ; le danser, le voltiger, le parler, & les plus vils offices qu'on reçoive : voire & le vice s'en paye, la flatterie, le maquerélage, la trahison ; ce n'est pas merveille, si la vertu reçoit & desire moins volontiers cette sorte de monnoie commune, que celle qui lui est propre & particuliere, toute noble & généreuse. " (D.J.)

ORDRE MILITAIRE ; c'est en France l'ordre de S. Louis que Louis XIV. établit en 1693, pour récompenser les officiers de ses troupes, & leur donner une marque de distinction particuliere sur les autres états. Ceux qui sont revêtus de cet ordre sont appellés chevaliers de S. Louis : ils portent à la boutonniere de leur habit & sur l'estomac une croix d'or, sur laquelle il y a l'image de S. Louis, elle y est attachée avec un ruban couleur de feu.

Il y a dans l'ordre de S. Louis huit grands-croix & vingt-quatre commandeurs. Les grands-croix portent leur croix attachée à un ruban large de couleur de feu qu'ils mettent en écharpe ; & outre cela, ils portent une croix en broderie d'or sur leur habit & sur leur manteau. Pour les commandeurs, ils portent aussi leur croix en écharpe, mais ils n'en ont point de brodée sur leurs habits. Le roi est le grand maître de cet ordre, M. le Dauphin en est revêtu, & tous les héritiers présomptifs de la couronne doivent la porter.

Il y a des commandeurs qui ont 4000 l. de pension & d'autres 3000 liv. il y a aussi un nombre de simples chevaliers qui ont des pensions, mais elles sont moins considérables. (Q)

ORDRE DE CALATRAVA, (Hist. des ordres) je n'ajoute qu'un mot ; cet ordre n'est plus aujourd'hui ni religieux ni militaire, puisqu'on peut s'y marier une fois, & qu'il ne consiste que dans la jouissance de plusieurs commanderies en Espagne. Voyez CALATRAVA, ORDRE DE. (D.J.)

ORDRE DU CHARBON ou DE S. ANDRE, (Hist. mod.) est un ordre militaire d'écosse, institué, à ce que disent quelques-uns, par Hungus ou Hungo, roi des Pictes, après la victoire qu'il remporta sur Athelstan. Voyez CHEVALIER.

La légende porte, que pendant la bataille, une croix de S. André, patron d'écosse, apparut à Hungus qui en conçut un bon augure, décora son étendart de la figure de cette croix ; & après le gain de la bataille, institua un ordre de chevaliers, dont le collier est d'or entrelacé de fleurs de chardons & de branches de ruë.

Au bas du collier pend une médaille sur laquelle on voit l'image de S. André, ayant sa croix sur la poitrine avec cette devise, nemo me impunè lacesset, personne ne me défie impunément.

D'autres racontent différemment l'origine de cet ordre, & nous assurent qu'il fut institué après la conclusion d'une paix entre Charles VII, roi de France, d'une part, & le roi d'écosse de l'autre.

L'abbé Justiniani remonte plus haut, & prétend qu'il fut institué par Achaius I, roi d'écosse en 809, lequel après avoir conclu une alliance avec Charlemagne, prit pour sa devise le chardon avec ces mots, nemo me impunè lacesset, laquelle devise est effectivement celle de l'ordre : il ajoute que le roi Jacques IV. renouvella cet ordre, & le mit sous la protection de S. André.

L'ordre n'est composé que de douze chevaliers, & du roi qui en est le chef & le souverain ; ils portent un ruban verd au bas duquel pend un chardon d'or couronné dans un cercle d'or, avec l'inscription de la devise. (H)

ORDRE DE L'ÉLEPHANT, est un des ordres militaires des rois de Danemarck ; on l'appelle ainsi, parce que ses armes sont un éléphant. Il y a bien des sentimens sur l'origine de l'institution de cet ordre. Mennenius & Hocpingius l'attribuent à Christien IV. qui fut élu roi en 1584 ; Selden & Imhoff à Frederic II. élu en 1542 ; Gregorio Leti à Frederic I. qui regna vers 1530 ; Bernard Rebolledus à Jean I. qui commença à regner en 1478 ; Bechman & Janus Bicherodius soutiennent que Canut VI. en est le premier instituteur, & que c'est aux croisades qu'il en faut rapporter l'origine. Il est certain qu'en 1494. l'ordre de l'éléphant subsistoit. Cet ordre s'appella d'abord l'ordre de sainte Marie, & celui de l'éléphant sous Christien I. ce qui donna occasion à son institution, fut une action courageuse de quelques-uns des Danois qui tuerent un éléphant dans une guerre que Canut soutint contre les Sarrasins. Cet ordre a toujours été sous la protection de la sainte Vierge, & s'appelle encore à présent l'ordre de sainte Marie. Au dessous de l'éléphant pend une image de la sainte Vierge, environnée de rayons. Plusieurs princes augmenterent cet ordre. Frederic II. créa beaucoup de chevaliers à la cérémonie de son couronnement. Christien V. en fit autant, & l'orna beaucoup : les chevaliers portent un collier d'où pend un éléphant d'or, émaillé de blanc, le dos chargé d'un château d'argent, maçonné de sable. L'éléphant est porté sur une terrasse de sinople, émaillée de fleurs. Les rois de Danemark ne font point de chevaliers de l'éléphant que le jour de leur couronnement.

ORDRE DU S. ESPRIT, est un ordre de chevalerie institué par Henri III. en 1579, il devoit être composé de cent chevaliers seulement. Pour y être admis, il falloit faire preuve de trois races de noblesse. Le grand maître & les commandeurs sont revétus les jours de cérémonies, de longs manteaux, faits à la façon de ceux qui se portent le jour de S. Michel. Ils sont de velours noir, garnis tout-autour d'une broderie d'or & d'argent qui représente des fleurs de lis, & forme des noeuds d'or entre trois divers chiffres d'argent, & au-dessus de ces chiffres, de ces noeuds & de ces fleurs de lis, il y a des flammes d'or semées de part en part. Ce grand manteau est garni d'un mantelet de toile d'argent verte, couverte d'une broderie semblable à celle du grand manteau, excepté qu'au lieu de chiffres, il y a des colombes d'argent. Ces manteaux & mantelets sont doublés de satin jaune orangé, ils se portent retroussés du côté gauche, & l'ouverture est du côté droit. Le grand maître & les commandeurs portent des chausses & des pourpoints blancs, façonnés à leur discrétion ; ils ont un bonnet noir surmonté d'une plume blanche, & mettent à découvert sur leurs manteaux le grand collier de l'ordre qui leur a été donné lors de leur réception.

Le chancelier est vétu de même que le commandeur, excepté qu'il n'a pas le grand collier, mais seulement la croix cousue sur le devant de son manteau, & celle d'or pendante au col. Le prevôt, le grand trésorier & le greffier ont aussi des manteaux de velours noir & le mantelet de toile d'argent verte, qui ne sont brodés que de quelques flammes d'or. Ils portent aussi la croix de l'ordre cousue & celle d'or pendante au col ; le héraut & huissiers ont des manteaux de satin & le mantelet de velours verd, bordé de flammes comme ceux des autres officiers. Le héraut porte la croix de l'ordre avec son émail pendue au col, & l'huissier une croix de l'ordre, mais plus petite que celle des autres officiers.

Les prélats, commandeurs & officiers portent la croix cousue sur le côté gauche de leurs manteaux, robes & autres habillemens de dessus. Le grand maître, qui est le roi, la porte aux habillemens de dessous, au milieu de l'estomac quand bon lui semble, & en ceux de dessus au côté gauche de même grandeur que les commandeurs. Elle est faite en forme de croix de malthe en broderie d'argent, au milieu il y a une colombe figurée, & aux angles des rais & des fleurs de lis brodées en argent. C'est un des statuts irrévocables de l'ordre, de porter toujours la croix aux habits ordinaires avec celle d'or au col pendante à un ruban de soie, de couleur bleu céleste, & l'habit aux jours destinés. Les cardinaux, prélats, commandeurs & officiers portent aussi une croix de l'ordre pendante au col & au même ruban. La croix est de la forme de celle de malthe, toute d'or, émaillée de blanc par les bords, & le milieu sans émail : dans les angles il y a une fleur de lis ; mais sur le milieu ceux qui sont chevaliers de l'ordre de S. Michel, en portent la marque d'un côté, & de l'autre une colombe. Les cardinaux & les prélats qui ne sont point de cet ordre portent une colombe des deux côtés.

Le collier de l'ordre du S. Esprit est d'or fait à fleurs de lis avec trois différens chiffres entrelacés de noeuds de la façon de la broderie du manteau. Il est toujours du poids de deux cent écus ou environ, sans être enrichi de pierreries ni d'autres choses. Les commandeurs ne le peuvent vendre, engager ni aliéner, pour quelque nécessité ou cause que ce soit, parce qu'il appartient à l'ordre & lui revient après la mort de celui qui le portoit. Avant que de recevoir l'ordre du S. Esprit, les commandeurs reçoivent celui de S. Michel ; c'est pourquoi leurs armes sont entourées de deux colliers. En 1664. le roi fixa le nombre des chevaliers à cent. Les officiers sont le chancelier & garde des sceaux, le prévot & grand maître des cérémonies, le grand trésorier, le greffier, les intendans, le généalogiste de l'ordre, le roi d'armes, les hérauts & les huissiers. Les chevaliers portent le cordon bleu de droite à gauche, & les pairs ecclésiastiques en forme de collier pendant sur l'estomac.

ORDRE DE LA TABLE RONDE, (Histoire de la Chevalerie) ordre de chevalerie célebre dans les ouvrages des écrivains de romans, qui en attribuent l'institution au roi Arthur. Quoiqu'on ait bâti divers récits fabuleux sur ce fondement, il ne s'ensuit point que l'institution de cet ordre doive entierement passer pour chimérique ; il n'est pas contre la vraisemblance, qu'Arthur ait institué un ordre de chevalerie dans la Grande-Bretagne, puisque dans le même siecle, Théodoric, roi des Ostrogoths, en avoit institué un en Italie. Arthur a été sans doute un grand capitaine ; c'est dommage que ses actions ayent servi de base à une infinité de fables qu'on a publiées sur son sujet, au lieu que sa vie méritoit d'être écrite par des historiens sensés. (D.J.)

ORDRE TEUTONIQUE, (Hist. mod.) est un ordre militaire & religieux de chevaliers. Il fut institué vers la fin du xij. siecle, & nommé teutonique, à cause que la plûpart de ses chevaliers sont allemands ou teutons. Voyez CHEVALIER & ORDRE.

Voici l'origine de cet ordre. Pendant que les Chrétiens, sous Guy de Lusignan, faisoient le siege d'Acre, ville de la Syrie, sur les frontieres de la Terre-sainte, auquel siege se trouvoient Philippe-Auguste roi de France, Richard roi d'Angleterre, & quelques seigneurs allemands de Bremen & de Lubec, on fut touché de compassion pour les malades & blessés qui manquoient du nécessaire, & on établit une espece d'hôpital sous une tente faite d'un voile de navire, où l'on exerça la charité envers les pauvres soldats.

C'est ce qui fit naître l'idée d'instituer un troisieme ordre militaire, à l'imitation des templiers & des hospitaliers. Voyez TEMPLIER & HOSPITALIER.

Ce dessein fut approuvé par le patriarche de Jérusalem, par les évêques & archevêques des places voisines, par le roi de Jérusalem, par les maîtres du temple & de l'hôpital, & par les seigneurs & prélats allemands qui se trouvoient pour lors dans la Terre-sainte.

Ce fut du consentement commun de tous ces personnages, que Frédéric duc de Souabe, envoya des ambassadeurs à son frere Henri roi des Romains, pour qu'il sollicitât le pape de confirmer cet ordre nouveau. Celestin III. qui gouvernoit l'Eglise, accorda ce qu'on lui demandoit, par une bulle du 23 Février 1191 ou 1192 ; & le nouvel ordre fut appellé l'ordre des chevaliers teutoniques de l'hospice de sainte-Marie de Jérusalem.

Le pape leur accorda les mêmes privileges qu'aux templiers & aux hospitaliers de S. Jean, excepté qu'il les soumit aux patriarches & autres prélats, & qu'il les chargea de payer la dixme de ce qu'ils possédoient.

Le premier maître de l'ordre, Henri de Walpot, élu pendant le siege d'Acre, acheta, depuis la prise de cette ville, un jardin où il bâtit une église & un hôpital, qui fut la premiere maison de l'ordre teutonique, suivant la relation de Pierre de Duisbourg, prêtre du même ordre. Jacques de Vitry s'éloigne un peu de ce fait historique, en disant que l'ordre teutonique fut établi à Jérusalem, avant le siege de la ville d'Acre.

Hartknoch, dans ses notes sur Duisbourg, concilie ces deux opinions, en prétendant que l'ordre teutonique fut institué d'abord à Jérusalem par un particulier, allemand de nation ; que cet ordre fut confirmé par le pape, par l'empereur & par les princes pendant le siege d'Acre ; & qu'après la prise de cette ville, cet ordre militaire devint considérable & se fit connoître par tout le monde.

S'il est vrai que cet ordre fut institué d'abord par un particulier, auquel se joignirent ceux de Bremen & de Lubec, qui étoient alors dans la ville de Jérusalem, on ne peut savoir au juste l'année de son origine.

L'ordre ne fit pas de grands progrès sous les trois premiers grands-maîtres, mais il devint extrêmement puissant sous le quatrieme, nommé Hermand de Saltz, au point que Conrad, duc de Mazovie & de Cujavie, lui envoya des ambassadeurs pour lui demander son amitié & du secours, & pour lui offrir & à son ordre, les provinces de Culm & de Livonie, avec tous les pays qu'ils pourroient recouvrer sur les Prussiens idolâtres qui désoloient ses états par des incursions continuelles, & auxquels il opposa ces nouveaux chevaliers, parce que ceux de l'ordre de Christ ou de Dobrin, qu'il avoit institués dans la même vue, étoient trop foibles pour exécuter ses desseins.

De Saltz accepta la donation, & Gregoire IX. la confirma. Innocent publia une croisade pour aider les chevaliers teutons à réduire les Prussiens. Avec ce secours l'ordre subjugua, dans l'espace d'un an, les provinces de Warmie, de Natangie & de Barthie, dont les habitans renoncerent au culte des idoles ; & dans le cours de 50 ans, ils conquirent toute la Prusse, la Livonie, la Samogitie, la Poméranie, &c.

En 1204 le duc Albert institua l'ordre des chevaliers porte-glaives, qui fut uni ensuite à l'ordre teutonique, & cette union fut approuvée par le pape Grégoire IX. Voyez PORTE-GLAIVES.

Waldemar III. roi de Danemarck, vendit à l'ordre la province d'Estein, les villes de Nerva & de Wessamberg, avec quelques autres provinces.

Quelque tems après, une nouvelle union mit de grandes divisions dans l'ordre : cette union se fit avec les évêques & les chanoines de Prusse & de Livonie, lesquels en conséquence prirent l'habit de l'ordre, & partagerent la souveraineté avec les chevaliers dans leurs diocèses.

L'ordre se voyant maître de toute la Prusse, il fit bâtir les villes d'Elbing, Marienbourg, Thorn, Dantzic, Konigsberg, & quelques autres. L'empereur Frédéric II. permit à l'ordre de joindre à ses armes l'aigle impérial, & en 1250 S. Louis lui permit d'écarteler de la fleur-de-lis.

Après que la ville d'Acre eût été reprise par les Infideles, le grand-maître de l'ordre teutonique en transfera son siege à Marienbourg. A mesure que l'ordre croissoit en puissance, les chevaliers vouloient croître en titres & dignités ; desorte qu'à la fin, au lieu de se contenter, comme auparavant, du nom de freres, ils voulurent qu'on les traitât de seigneurs ; & quoique le grand-maître Conrad Zolnera de Rotestein se fût opposé à cette innovation, son successeur Conrad Wallerod, non-content de favoriser l'orgueil des chevaliers, se fit rendre à lui-même des honneurs qui ne sont dûs qu'aux princes du premier ordre.

Les rois de Pologne profiterent des divisions qui s'étoient mises dans l'ordre : les Prussiens se revolterent ; & après des guerres continuelles entre les chevaliers & les Polonois, les premiers céderent au roi Casimir la Prusse supérieure, & conserverent l'inférieure, à condition de lui en faire hommage.

Enfin, dans le tems de la réformation, Albert, marquis de Brandebourg, grand-maître de l'ordre, se rendit luthérien, renonça à la dignité de grand-maître, détruisit les commanderies, & chassa les chevaliers de la Prusse.

La plûpart des chevaliers suivirent son exemple, & embrasserent la réformation : les autres transfererent le siege du grand-maître à Margentheim ou Mariendal en Franconie, où le chef-lieu de l'ordre est encore aujourd'hui.

Ils y élurent pour leur grand-maître Walter de Cromberg, intenterent un procès contre Albert, que l'empereur mit au ban de l'empire : cependant l'ordre ne put jamais recouvrer ses domaines ; & aujourd'hui les chevaliers ne sont tout-au-plus que l'ombre de ce qu'ils étoient autrefois, n'ayant que trois ou quatre commanderies, qui suffisent à-peine pour faire subsister le grand-maître & ses chevaliers.

Pendant que l'ordre teutonique étoit dans sa splendeur, ses officiers étoient le grand-maître, qui faisoit son séjour à Mariendal, & qui avoit sous lui le grand-commandeur, le grand-maréchal, résidant à Konigsberg, le grand-hospitalier, résidant à Elbing, le drapier, chargé de fournir les habits, le trésorier vivant à la cour du grand-maître, & plusieurs autres commandeurs, comme ceux de Thorn, de Culm, de Brandebourg, de Konigsberg, d'Elbing, &c.

L'ordre avoit aussi des commandeurs particuliers dans les châteaux & dans les forteresses, des avocats, des pourvoyeurs, des intendans, des moulins, des provisions, &c.

Waisselms, dans ses annales, dit que l'ordre avoit 28 commandeurs de villes, 46 de châteaux, 81 hospitaliers, 35 maîtres de couvens, 40 maîtres-d'hôtels, 37 pourvoyeurs, 93 maîtres de moulins, 700 freres ou chevaliers pour aller à l'armée, 162 freres de choeur ou prêtres, 6200 serviteurs ou domestiques, &c.

Les armes de l'ordre teutonique sont une croix partie de sable chargée d'une croix potencée au champ d'argent. Saint Louis, roi de France, avoit permis d'y joindre quatre fleur-de-lis d'or ; & anciennement elles faisoient partie de leur blason, mais peu-à-peu ils ont négligé & enfin abandonné cette marque d'honneur.

ORDRE DE LA TOISON D'OR, (Hist. mod.) order of the golden fleece, est un ordre militaire institué par Philippe-le-Bon, duc de Bourgogne en 1429. Voyez ORDRE.

Il a pris son nom de la représentation de la toison d'or, que les chevaliers portent au bas d'un collier, composé de fusils & de pierres à feu. Le roi d'Espagne est le chef & grand-maître de l'ordre de la toison, en qualité de duc de Bourgogne. Le nombre des chevaliers est fixé à trente & un. On dit qu'il fut institué à l'occasion d'un gain immense que le duc de Bourgogne fit sur les laines. Les Chimistes prétendent que ce fut pour un mystere de chimie, à l'imitation de cette fameuse toison d'or des anciens, qui, selon les initiés dans cet art, n'étoit autre chose que le secret de l'élixir écrit sur la peau d'un mouton.

Olivier de la Marche dit qu'il remit en mémoire à Philippe I. archiduc d'Autriche, pere de l'empereur Charles V. que Philippe-le-Bon, duc de Bourgogne, son aïeul, avoit institué l'ordre de la toison d'or, dans la vue de celle de Jason, & que Jean Germain, évêque de Châlons sur Saône, & chancelier de l'ordre, étant venu sur ces entrefaites, le fit changer de sentiment, & déclara au jeune prince que cet ordre avoit été institué en mémoire de la toison de Gédéon. Mais Guillaume, évêque de Tournai, qui étoit aussi chancelier de l'ordre, prétend que le duc de Bourgogne eut pour objet la toison d'or de Jason, & celle de Jacob ; c'est-à-dire, ces brebis tachetées de diverses couleurs que ce patriarche eut pour sa part, suivant l'accord qu'il avoit fait avec son beau-pere Laban ; ce qui a donné lieu à ce prélat de faire un gros ouvrage en deux parties. Dans la premiere, sous le symbole de la toison de Jason, il parle de la vertu de magnanimité dont un chevalier doit faire profession ; & sous le symbole de la toison de Jacob, de la vertu de justice.

Paradin a suivi ce sentiment, en disant que le duc voulut insinuer que la conquête fabuleuse que l'on dit que Jason fit de la toison d'or, n'étoit autre chose que la conquête de la vertu, qu'on ne peut acquérir sans vaincre les monstres horribles, qui sont les vices & les affections désordonnées.

Dans la premiere institution, les chevaliers portoient un manteau d'écarlate fourré d'hermine. Maintenant leur habit de cérémonie est une robe de toile d'argent, un manteau de velours cramoisi rouge, & un chaperon de velours violet. La devise est, pretium non vile laborum, qui semble faire allusion aux travaux que Jason & ses compagnons surmonterent pour enlever la toison, & dont elle fut le prix.

ORDRE DE BATAILLE, c'est la disposition ou l'arrangement des troupes de l'armée pour combattre. Voyez ARMEE.

On a donné (article ARMEE) l'ordre ordinaire sur lequel les troupes sont mises en bataille, c'est-à-dire, sur deux lignes avec des reserves, la cavalerie également distribuée aux aîles, & l'infanterie au centre. Dans cet ordre les bataillons & les escadrons forment des lignes tant pleines que vuides ; les troupes de la seconde ligne sont placées derriere ou en face des intervalles de celles de la premiere.

Comme ces intervalles, lorsqu'ils sont égaux au front des bataillons & des escadrons, augmentent considérablement le front de l'armée, M. le maréchal de Puysegur prétend qu'il faut les réduire à dix toises pour les bataillons, & à six pour les escadrons. Voyez INTERVALLE. Dans cet état, toutes les parties de l'armée étant plus réunies, il en résulte plus de force pour l'ordre de bataille. Mais on peut encore le rendre plus formidable en combattant en ligne pleine. Voyez ARMEE & LIGNE PLEINE. Ce dernier ordre a cependant un inconvénient, c'est que si la ligne pleine est rompue, il est presque impossible de rétablir le désordre : mais en formant derriere une seconde ligne, comme une espece de reserve partagée en plusieurs grandes parties propres à soutenir la premiere dans les endroits où elle peut être forcée, on a de cette maniere, l'avantage d'attaquer l'ennemi dans un ordre plus fort, & celui de pouvoir remédier, comme dans l'ordre en lignes tant pleines que vuides, aux accidens qui peuvent arriver à la premiere ligne.

L'usage ordinaire de mettre la cavalerie aux aîles, & l'infanterie au centre, n'est pas généralement approuvé, parce qu'alors chaque armée, ou chaque espece de troupe est abandonnée à sa propre force ; c'est-à-dire que la cavalerie ne soutient point l'infanterie, & celle-ci la cavalerie. Voyez INFANTERIE.

Montecuculli, le chevalier Folard, M. de Santa-Cruz, M. de Puysegur & plusieurs autres militaires habiles, auxquels cet inconvénient n'a point échappé, ont proposé différentes manieres d'y remédier. Suivant le célebre commentateur de Polybe, il faut mêler dans l'ordre de bataille la cavalerie & l'infanterie, de maniere que ces différentes troupes occupent alternativement des parties de chaque ligne ; que la cavalerie de la seconde soit derriere l'infanterie de la premiere, & cette même troupe de la seconde ligne derriere la cavalerie qui est en premiere ligne. Par cet arrangement les deux différentes especes de troupes de l'armée se soutiennent réciproquement. Ce mêlange devient d'autant plus important, que la cavalerie de l'ennemi est en plus grand nombre & meilleure que celle qu'on peut lui opposer. Voyez sur ce sujet les élémens de Tactique, où l'on est entré dans un grand détail sur la maniere de faire le mêlange de la cavalerie & de l'infanterie dans l'ordre de bataille.

Il est difficile de fixer des regles générales & constantes pour l'arrangement des troupes dans l'ordre de bataille. Cet ordre, comme le dit Onosander, doit être relatif à l'espece d'armes, de troupes & des lieux qu'occupe l'ennemi. L'habileté du général consiste à regler ses dispositions selon les circonstances dans lesquelles il trouve l'armée opposée. Le coup d'oeil doit lui faire prendre dans le moment le parti le plus avantageux, suivant la situation de l'ennemi. Si l'on s'apperçoit qu'il ait mis ses principales forces au centre, ou aux aîles, on doit s'arranger pour lui opposer plus de résistance dans ces endroits, & faire ensorte que chaque espece de troupe soit opposée à celles de même nature de l'armée qu'on veut combattre.

Il est aisé de s'appercevoir par le simple exposé de ces principes, que les ordres de bataille doivent varier d'une infinité de manieres. Mais malgré leur nombre & leur diversité, il y a certaines regles qui servent de base à ces différens ordres, & dont on ne peut s'écarter sans inconvénient : voici en quoi elles consistent.

1°. Il faut toujours que les aîles de l'armée soient à l'abri des entreprises de l'ennemi. Une aîle détruite expose le reste à l'être également ; car il est très-difficile de se soutenir contre une attaque de front & de flanc.

Pour éviter cet inconvenient, la méthode ordinaire est d'appuyer les aîles à quelque fortification naturelle qui les garantisse d'être tournées ou enveloppées ; comme par exemple, à un marais reconnu pour impratiquable, à une riviere qu'on ne peut passer à gué, à un bois bien garni d'infanterie, à un village bien fortifié, à des hauteurs dont le sommet est occupé par de bonnes troupes, de l'artillerie, &c.

Il est évident que les aîles de l'armée dans cette disposition, ne peuvent guere éprouver de danger de l'ennemi ; mais comme cette espece de fortification est permanente, & que l'armée peut être obligée d'avancer ou de reculer, il arrive que si elle change de terrein, elle perd la protection de ses aîles. Pour éviter cet inconvenient M. le chevalier de Folard propose de les couvrir par des colonnes d'infanterie ; ces colonnes pouvant suivre tous les mouvemens de l'armée, elles forment une espece de fortification ambulante dont les aîles sont par-tout également protégées. Cette façon de les couvrir est beaucoup plus avantageuse que celle qu'on suit ordinairement, qui ne devroit avoir lieu que lorsqu'on est attaqué par l'ennemi dans un bon poste qu'on ne pourroit abandonner sans s'affoiblir. " La situation naturelle, dit Montecuculli, peut, à la vérité, assurer les flancs ; mais cette situation n'étant pas mobile, & n'étant pas possible de la traîner après soi, elle n'est avantageuse qu'à celui qui veut attendre le choc de l'ennemi, & non à celui qui marche à sa rencontre, ou qui va le chercher dans son poste ".

2°. Il faut éviter d'être débordé par l'armée ennemie, où, ce qui est la même chose, lui opposer un front égal, en observant néanmoins de ne pas trop dégarnir la seconde ligne, & de se conserver des réserves pour soutenir les parties qui peuvent en avoir besoin.

Lorsqu'il n'est pas possible de former un front égal à celui de l'ennemi, il faut encore plus d'attention pour couvrir les aîles : outre les colonnes de M. le chevalier de Folard, qui sont excellentes dans ce cas, on peut y ajouter des chevaux de frise, des chariots, ou quelqu'autre espece de retranchement que l'ennemi ne puisse ni forcer ni tourner.

3°. Chaque troupe doit être placée sur le terrein qui convient à sa maniere de combattre. Ainsi l'infanterie doit occuper les lieux fourrés ou embarrassés, & la cavalerie ceux qui sont libres & ouverts.

4°. Lorsqu'il y a des villages à portée de la ligne que l'ennemi ne peut pas éviter, on doit les fortifier, les bien garnir d'infanterie & de dragons pour rompre les premiers efforts de l'ennemi ; mais ces villages doivent être assez près de la ligne pour en être soutenus, & pour que les troupes puissent la rejoindre, si elles sont obligées de les abandonner.

Si les villages sont trop éloignés pour la communication des troupes avec le reste de l'armée, & que l'ennemi, en s'y établissant, puisse y trouver quelque avantage pour fortifier son armée, on doit les raser de bonne heure ; ne point se contenter d'y mettre le feu, qui ne fait que détruire les portes & les toîts des maisons, mais renverser les murailles qui peuvent servir de couvert & de retranchement aux troupes ennemies.

5°. Observer que toutes les parties de l'armée aient des communications sûres & faciles pour se soutenir réciproquement, & que les réserves puissent se porter par-tout où leur secours pourra être nécessaire : on doit aussi avoir attention de les placer de maniere que les troupes ne puissent point se renverser sur elles, & les mettre en desordre, & qu'il n'y ait point de bagage entre les lignes ni derriere, qui incommode l'armée dans ses mouvemens.

6°. Profiter de toutes les circonstances particulieres du champ de bataille, pour que l'armée ne présente aucune partie foible à l'ennemi : un général doit considérer le terrein qu'occupe son armée, comme une place qu'on veut mettre en état de défense de tous côtés ; l'artillerie doit être placée dans les lieux les plus favorables pour causer la plus grande perte qu'il est possible à l'ennemi.

7°. Comme, malgré la bonne disposition des troupes, il arrive dans les batailles des événemens imprévus qui décident souvent du succès, on doit prendre de bonne heure toutes les précautions convenables pour qu'aucune troupe ne soit abandonnée à elle-même, & se ménager des ressources pour soutenir le combat ; ensorte que, s'il faut céder, on ne le fasse au-moins qu'après avoir fait usage de toutes ses forces. C'est pourquoi on ne sauroit trop insister sur la nécessité des réserves. Si le centre, ou l'une des aîles a plié, la seconde ligne ou les réserves, peuvent rétablir l'affaire ; mais il faut pour cet effet des troupes fermes, valeureuses, bien exercées dans les manoeuvres militaires, & conduites par des officiers habiles & expérimentés. Alors on peut rétablir le premier desordre, & même faire perdre à l'ennemi l'espérance de la victoire qu'un premier succès auroit pû lui donner. Voyez GUERRE. Il est important que le champ de bataille soit bien connu, afin de juger des lieux propres à chaque espece de troupe, selon les différens endroits où l'on peut les employer.

8°. Pour soutenir plus sûrement l'armée & la rendre encore plus respectable à l'ennemi, les redoutes en-avant, fortifiées d'un fossé & placées judicieusement, sont d'un excellent usage. Elles doivent être garnies d'un nombre suffisant d'artillerie & de soldats, pour n'être point emportées par une premiere attaque. Si quelque partie de l'armée se trouve enfoncée, les troupes des redoutes doivent prendre l'ennemi en flanc & de revers, & lui causer une grande perte ; elles ne peuvent guere manquer de le gêner dans ses mouvemens, de les rendre plus lents, & de donner le tems aux corps qui ont plié de se rallier pour le repousser. M. le maréchal de Saxe faisoit grand cas des redoutes dans ces circonstances. M. le marquis de Santa-Cruz, qui a écrit avant cet illustre général, en parle également d'une maniere très-avantageuse dans ses réflexions militaires.

Il est difficile de ne pas penser sur ce sujet comme ces célebres auteurs. Car les redoutes ont cet avantage d'assurer la position de l'armée, de maniere qu'elle a différens points d'appui ou de réunion, capables d'arrêter les premiers efforts de l'ennemi, & de protéger par leur feu l'armée qui les soutient.

9°. S'il y a quelque partie de l'armée qu'on veuille éviter de faire combattre, on doit la couvrir d'une riviere, d'un marais, ou, au défaut de cette fortification naturelle, de chevaux de frise, puits, retranchemens, &c. de maniere que l'ennemi ne puisse pas en approcher. Ainsi supposant qu'on se propose d'attaquer par la droite, & que, pour la fortifier, on soit obligé de dégarnir sa gauche, on la couvre de maniere que l'ennemi ne puisse point en approcher, & l'on fait alors à la droite les plus grands efforts avec l'élite de ses troupes.

Il est évident que de cette maniere un général peut s'arranger pour ne combattre qu'avec telle partie de son armée qu'il juge à-propos.

Il y a des situations où le général peut juger que toutes les parties de la ligne de l'ennemi ne seront pas également en état de combattre. Dans ce cas, son attention doit être de dégarnir les endroits les moins exposés pour fortifier ceux qui le sont plus. Mais ce mouvement doit être caché autant qu'il est possible à l'ennemi ; car, s'il s'apperçoit de cette manoeuvre, il en use de même, & tout devient alors égal de part & d'autre.

On peut voir dans M. de Feuquiere qu'un général voyant l'ennemi dégarnir sa droite pour fortifier sa gauche, ne put être engagé à en user de même pour fortifier sa droite, qu'il garda toûjours la même disposition : d'où il arriva que les troupes de cette droite se trouvant attaquées par la gauche opposée, très-supérieure en nombre, ne put, malgré l'extrême valeur des corps les plus distingués qui y étoient placés, se soutenir contre le grand nombre qu'ils avoient à combattre.

10°. Une attention encore très-importante dans la disposition des troupes en bataille, c'est de conserver toûjours derriere la seconde ligne & les réserves, un espace de terrein assez étendu pour que les troupes ne soient point gênées dans leurs manoeuvres ; que si, par exemple, la premiere ligne est forcée de plier, elle trouve derriere la seconde assez de place pour se rallier & se reformer. Sans cette attention, la déroute de la premiere ligne ne peut guere manquer d'occasionner celle de toute l'armée.

Telles sont en général les principales observations qui peuvent servir de base à la disposition des troupes dans l'ordre de bataille : la nature du terrein doit décider de leur arrangement particulier. C'est pourquoi on ne peut trop s'appliquer à le connoître parfaitement, pour en tirer tous les avantages qu'il peut procurer.

Les anciens comptoient sept dispositions générales des armées pour combattre ; elles sont rapportées par Vegece, liv. III. ch. xx.

La premiere, est celle du quarré long, que nous avons donné à l'article ARMEE. Voyez ce mot. Ceux qui sont habiles dans la science des armes, dit Vegece, ne la jugent point, cette disposition, la meilleure, parce que dans l'étendue que l'armée occupe il ne se rencontre pas toûjours un terrein égal qui lui permette de marcher également ; ayant ainsi des parties plus avancées les unes que les autres, & formant une espece de ligne courbe, il arrive souvent qu'elle est rompue ou percée. D'ailleurs cet ordre a l'inconvenient, si l'ennemi est supérieur, d'exposer l'armée à être prise en flanc & battue à l'une ou l'autre des aîles, ce qui entraîne la défaite du centre ou du corps de bataille. Vegece prétend qu'il ne faut se servir de l'ordre dont il s'agit ici, que lorsque par la bonté & la supériorité des troupes, on est en état de tourner l'ennemi par ses deux aîles & de l'enfermer de tous côtés : il est d'autant plus desavantageux que les troupes en ligne ont de plus grands intervalles entr'elles. L'armée, pour peu qu'elle soit considérable, présente alors un front d'une longueur excessive ; toutes ses différentes parties sont trop éloignées les unes des autres pour se soutenir mutuellement. La seconde ligne qui est dans un ordre aussi foible, répare rarement le desordre de la premiere ; & comme le succès du combat dépend presque toûjours par cette raison de celui de la premiere ligne, il paroît que pour fortifier cet ordre autant qu'il est possible, il faut, comme on l'a déja dit, combattre en ligne pleine & fortifier cette ligne par des réserves de cavalerie & d'infanterie.

La seconde disposition générale est l'ordre oblique ou de biais. Dans cet ordre on engage le combat avec l'aîle droite, pendant que l'autre se refuse à l'ennemi. Cette disposition peut servir à faire remporter la victoire à un petit nombre de bonnes troupes, qui sont obligées d'en combattre de plus nombreuses.

Pour cet effet, les deux armées étant en présence & marchant pour se charger, on tient sa gauche (si l'on veut faire combattre sa droite) hors de la portée des coups de l'ennemi, & l'on tombe sur la gauche de l'armée opposée avec tout ce qu'on a de plus braves troupes, dont on a eu soin de fortifier sa droite.

On tâche de faire plier la gauche de l'ennemi, de la pousser, & même de l'attaquer par-derriere.

Lorsqu'on peut y mettre du desordre & la faire reculer, on parvient aisément avec le reste des troupes qui soutiennent l'aîle qui a engagé le combat, à remporter la victoire, & cela sans que le reste de l'armée ait été exposé.

Si l'ennemi se sert le premier de cette disposition, on fait passer promptement à la gauche la cavalerie & l'infanterie qui est en réserve derriere l'armée, & l'on se met ainsi en état de lui résister.

Cet ordre de bataille est regardé par tous les auteurs militaires comme un des meilleurs moyens de s'assurer de la victoire. C'est, dit M. le chevalier de Folard, tout ce qu'il y a de plus à craindre & de plus rusé dans la Tactique.

On peut voir dans l'art de la guerre de M. le maréchal de Puysegur, le cas qu'il faisoit de cet ordre. Comme la charge des troupes doit se faire de front & non pas obliquement, cet illustre auteur observe que la partie avancée de la ligne oblique, destinée à charger l'ennemi, doit prendre une position parallele au front qu'elle veut attaquer, dans le moment qu'elle se trouve à portée de tomber sur lui. Les autres parties de la ligne doivent alors se mettre en colomne pour soutenir celle qui a commencé l'attaque, & avoir attention de se tenir toûjours hors de la portée du fusil de la ligne ennemie.

Ce même auteur donne dans son livre une disposition pour l'attaque du poste de M. de Mercy à Nordlingen. Montécuculli propose aussi le même ordre dans ses principes sur l'art militaire : " Si l'on veut, dit cet habile général, avec son aîle droite, battre la gauche de l'ennemi, ou au contraire, on mettra sur cette aîle le plus grand nombre & les meilleures de ses troupes, & on marchera à grands pas de ce côté-là, les troupes de la premiere & de la seconde ligne avançant également, au lieu que l'autre aîle marchera lentement, ou ne branlera point du tout ; parce que tandis que l'ennemi sera en suspens, ou avant qu'il s'apperçoive du stratagème, ou qu'il ait songé à y remédier, il verra son côté foible attaqué par le fort de l'ennemi, tandis que sa partie la plus forte demeure oisive, & est au désespoir de ne rien faire ". S'il se rencontre de ce côté-là quelque village, Montécuculli conseille d'y mettre le feu, pour empêcher l'ennemi d'attaquer cette aîle, & lui ôter la connoissance de ce qui se passe.

M. le marquis de Santa-Cruz qui admet dans le cinquieme volume de ses réflexions militaires, cette même disposition de combattre, lorsque l'on a des troupes qui ne sont pas également bonnes, observe trois choses qu'il est bon de rapporter ici en peu de mots.

La premiere, c'est qu'il faut commencer de loin à incliner insensiblement la marche de l'aîle où l'on a mis ses meilleures troupes.

La seconde, qu'il faut toûjours mettre les troupes sur lesquelles on compte le plus vis-à-vis les foibles de l'ennemi.

Et la troisieme, " qu'il faut choisir le terrein le plus avantageux pour l'aîle qui doit attaquer, & couvrir l'autre, si la chose est possible, par un ravin, un canal, un bois, ou une montagne, afin que ces obstacles détournent les ennemis de vouloir vous attaquer par ce côté-là. Lorsque ces avantages ne se rencontrent pas, on peut couvrir cette aîle par des chevaux de frise, des tranchées ou retranchemens de charettes, beaucoup d'artillerie ".

La troisieme disposition ne differe de la précédente, qu'en ce qu'on engage le combat par la gauche, au lieu de le faire par la droite.

La quatrieme disposition consiste à engager le combat par les deux aîles, en tenant le centre éloigné de l'ennemi.

Pour réussir dans cette disposition sans craindre pour l'infanterie, qui se trouve pour ainsi dire abandonnée de la cavalerie : voici ce qu'il faut faire selon M. le maréchal de Puysegur, qui entre à ce sujet dans un détail un peu plus circonstancié que Vegece.

" Quand les armées sont à cinq ou six cent pas au plus l'une de l'autre, il faut que celle qui est supérieure en cavalerie fasse doubler le pas à ses aîles pour aller attaquer celles de l'ennemi, & qu'en marchant, son aîle droite se jette un peu sur sa gauche, pour déborder par les flancs celles qu'elles vont attaquer, en se tenant un peu obliques pour ne pas trop approcher les escadrons qui joignent l'infanterie, afin de les obliger parlà de se déplacer s'ils veulent vous venir attaquer. Alors s'ils le font, il s'ensuivra qu'ils ne seront plus protégés de l'infanterie. Dans ce cas il est constant que tout l'avantage est pour l'armée dont les aîles iront attaquer ; & comme ces charges de cavalerie sont bien-tôt décidées avant que les lignes de l'infanterie en soient venues aux mains, le combat aux aîles sera fini ".

M. de Puysegur ajoute qu'il y a plusieurs exemples de batailles dans lesquelles les aîles de cavalerie se sont ainsi chargées avant l'infanterie : mais il croit que cela est arrivé plutôt par hasard que par dessein, & il en donne une raison bien naturelle, c'est que la cavalerie allant plus vîte que l'infanterie, si ceux qui la conduisent ne la contiennent pas dans sa marche, elle est plutôt aux mains que l'infanterie.

Comme il est assez ordinaire, lorsque la cavalerie a ainsi battu celle de l'ennemi, qu'elle s'emporte toute à la poursuivre, & qu'elle compte le combat fini pour elle, M. de Puysegur observe, " que ceux qui sont habiles & qui ont des troupes dressées n'en laissent aller qu'une partie pour empêcher l'ennemi de se rallier, & qu'avec le surplus ils vont aider leur infanterie à battre celle de l'ennemi en la prenant par les flancs & par derriere ".

La cinquieme disposition ne differe guère de la quatrieme, on couvre seulement le centre par des troupes légeres qui empêchent l'ennemi d'en approcher. Cette précaution le met plus en sureté, & quel que soit l'évenement de l'attaque qui se fait par les aîles, il n'est pas absolument abandonné à lui-même.

Observons à cette occasion que les anciens faisoient de leurs troupes légeres un usage différent de celui que nous faisons des nôtres. Elles consistoient particulierement en archers & en frondeurs : ces troupes couvroient, dans l'ordre de bataille, celles qui étoient destinées à combattre de pié ferme, elles servoient à commencer le combat. Après qu'elles avoient lancé leurs traits sur l'ennemi, elles se retiroient par les intervalles des troupes en bataille, pour aller se placer derriere & agir suivant les différentes occasions : ainsi le centre dans la disposition dont il s'agit étant couvert de ces gens de trait, trouvoit une protection qui le mettoit à couvert d'une attaque brusque.

La sixieme disposition est presque semblable à la seconde & à la troisieme. Dans cet ordre on choque pour ainsi dire l'armée ennemie perpendiculairement avec une aîle fortifiée des meilleures troupes, & on tâche de la percer & de la mettre en désordre. Suivant Vegece & M. le maréchal de Puysegur, cette disposition est la plus avantageuse pour ceux qui étant inférieurs en nombre & en qualité de troupes, sont obligés de combattre.

Pour former cet ordre, l'armée étant en bataille, & s'approchant de l'ennemi, il faut joindre votre aîle droite à celle de la gauche de l'armée opposée, & combattre cette derniere aîle avec vos meilleures troupes, dont vous devez avoir garni votre droite. Pendant ce combat on doit tenir le reste de la ligne à-peu-près perpendiculaire au front de l'armée ennemie : si par ce moyen on peut la prendre en flanc & par derriere, il est difficile qu'elle puisse éviter d'être battue ; car votre position presque perpendiculaire au front de cette armée, l'empêche d'être secourue par son aîle droite & par le centre. Cet ordre est assez souvent celui qu'il convient de prendre, selon Vegece & M. le maréchal de Puysegur, quand il s'agit de combattre dans une armée.

M. le chevalier de Folard prétend que ce fut sur cet ordre qu'Epaminondas combattit à Leuctres & à Mantinée ; mais au-lieu qu'à Leuctres il étoit tombé sur l'une des aîles de l'armée ennemie, à Mantinée il dirigea son attaque sur le centre, assuré, dit Xénophon, qu'avec ses meilleures troupes il enfonceroit l'ennemi, & qu'après avoir fait jour à la bataille, c'est-à-dire au centre, il donneroit l'épouvante au reste.

On peut voir dans le traité de la Colonne de M. le chevalier de Folard, la description & les plans qu'il donne de ces deux batailles.

Enfin la septieme & derniere disposition générale de Vegece, ne consiste guère qu'à se conformer au terrein pour mettre l'armée en état de se soutenir contre l'ennemi en profitant de tout ce qui peut assurer sa position, soit par des fortifications naturelles ou artificielles.

Il est évident que les sept dispositions précédentes peuvent être réduites à cinq, comme nous l'avons déjà observé dans les élémens de Tactique ; car la seconde, la troisieme & la sixieme peuvent être regardées comme la même disposition ou le même ordre. A l'égard de l'usage qu'on peut faire de ces différens ordres, il dépend des circonstances dans lesquelles on se trouve obligé de combattre. Les anciens ne s'attachoient point à les observer scrupuleusement. La science de la guerre leur en fournissoit de particuliers suivant les occasions ; ils savoient suppléer au nombre par la bonté de l'ordre de bataille, & déconcerter l'ennemi par des manoeuvres inattendues, en changeant leur ordre de bataille au moment du combat. Ces manoeuvres dont l'exécution étoit prompte & facile, parce que les généraux prenoient eux-mêmes le soin d'exercer & de discipliner leurs troupes, les faisoient souvent triompher du plus fort ; mais il n'y a que la science & le génie militaire qui puissent produire ces ressources : jamais la simple pratique de la guerre ne fera imaginer ces chefs-d'oeuvres de conduite qu'on admire dans Scipion & Annibal, dans plusieurs autres généraux de l'antiquité, & dans quelques modernes, tels que les Condé, les Turenne, les Luxembourg, les Créqui, &c. La pratique, comme on l'a déjà dit ailleurs, ne peut donner ni le génie ni la science de la guerre ; le premier est à la vérité un don de la nature que l'art ne donne point, mais l'autre est le fruit d'une étude longue, sérieuse & réfléchie. Cette étude fournit des idées qu'il seroit fort difficile de se procurer soi-même ; par son secours on se fait un amas de préceptes & d'exemples qu'on peut appliquer ensuite selon les occasions ; c'est pourquoi nous pensons qu'on peut tirer un très-grand avantage des ordres de bataille qu'on trouve dans les historiens & dans les auteurs militaires, & cela soit qu'ils ayent été exécutés ou qu'ils soient de pure imagination, comme le sont la plûpart de ceux que M. le chevalier de Folard a insérés dans son commentaire sur Polybe. Ce n'est pas dans la vûe d'imiter absolument ces dispositions qu'on doit les étudier, mais pour en saisir l'esprit, & pour examiner la maniere dont ils répondent au but que leurs auteurs se proposoient.

On n'entrera point ici dans un plus grand détail sur ce qui concerne les ordres de bataille : cette matiere pour être traitée avec toute l'étendue dont elle est susceptible, exigeroit une espece de volume. On s'est renfermé dans les observations les plus générales & les plus essentielles. On renvoie ceux qui voudront des détails plus circonstanciés & plus étendus, à Vegece, au commentaire sur Polybe du chevalier de Folard, aux Mémoires militaires de M. Guischard, qu'il faut absolument mettre à la suite du précédent ouvrage, qui le rectifie dans beaucoup d'endroits, & qui donne des idées plus exactes de la Tactique des anciens. A ces ouvrages on fera très-bien de joindre l'Art de la guerre de M. le maréchal de Puysegur, les Mémoires de Montecuculli, les Réflexions militaires de M. le marquis de Santacrux, les Mémoires de M. le marquis de Feuquieres, les Rêveries ou Mémoires sur la guerre de M. le maréchal de Saxe, &c. A l'égard de l'ordre particulier de chaque espece de troupe pour combattre, voyez EVOLUTION ; voyez aussi PHALANGE & LEGION.

ORDRE, dans l'Art militaire, se dit du mot que l'on donne tous les jours aux troupes, voyez MOT. Ainsi aller à l'ordre, c'est aller recevoir ou prendre le mot : c'est aussi aller recevoir du général ou du commandant les ordres qu'il a à donner pour tout ce qu'il juge à propos de faire exécuter concernant le service.

A l'armée le lieutenant général de jour prend l'ordre du général ; il le donne au maréchal de camp de jour, qui le distribue au major général de l'infanterie, au maréchal des logis de la cavalerie, au major général des dragons, au général des vivres, au capitaine des guides, & au prévôt de l'armée.

Les majors de brigade de l'infanterie reçoivent l'ordre du major général, & ceux de cavalerie & de dragons du maréchal des logis de la cavalerie & du major général des dragons. Dans les places le commandant donne l'ordre & le mot au major de la place, qui le donne ensuite aux majors & aides-majors des régimens. Voyez MOT. (Q)

ORDRE DE MARCHE, DE BATAILLE, &c. (Marine) Voyez ÉVOLUTIONS NAVALES.

ORDRE, en terme de Commerce, de billets & de lettres de change, est un endossement ou écrit succinct que l'on met au dos d'un billet ou d'une lettre de change, pour en faire le transport & le rendre payable à un autre.

Quand on dit qu'une lettre ou billet de change est payable à un tel ou à son ordre, c'est-à-dire que cette personne peut, si bon lui semble, recevoir le contenu en cette lettre, ou en faire le transport à un autre en passant son ordre en faveur de cet autre. Voyez ENDOSSEMENT.

Ordre, parmi les négocians, signifie aussi le pouvoir & commission qu'un marchand donne à son correspondant ou commissionnaire de lui faire telles & telles emplettes, à tel ou tel prix, ou sous telle autre condition qu'il lui prescrit ; un commissionnaire ou correspondant qui fait quelque chose sans ordre, ou qui va au-delà de l'ordre que lui a donné son commettant, est sujet à désaveu. Voyez COMMISSIONNAIRE & CORRESPONDANT.

Ordre se dit encore de la bonne regle qu'un marchand tient dans le maniement de ses affaires, écritures &c. les livres d'un marchand qui ne sont pas tenus en bon ordre, ne peuvent faire foi en justice. Diction. de commerce.

ORDRE, s. m. (Archit.) c'est un arrangement régulier de parties saillantes, dont la colomne est la principale pour composer un bel ensemble. Un ordre parfait a trois parties principales, qui sont le piédestal, la colomne & l'entablement. Cependant, suivant que les circonstances le demandent, on fait des colomnes sans piédestal, & on y substitue une plinthe ; cela n'empêche pas qu'on ne dise qu'un bâtiment est construit selon un tel ou tel ordre, quoiqu'il n'y ait point de colomnes, pourvû que sa hauteur & ses membres soient proportionnés aux regles de cet ordre. L. C. Sturm prétend qu'il n'y a eu d'abord que deux ordres, dont le roi Salomon a fait usage du plus beau pour son temple & de l'autre pour son palais, & que les Corinthiens se sont ensuite appropriés le premier & les Doriens le second ; qu'après cela on en a inventé un qui tient le milieu entre ces deux ordres, & qu'on appelle l'ionien ; que les peuples Toscans en Italie ont contrefait l'ordre dorique, quoique d'une maniere plus simple & plus massive, & que c'est de-là que s'est formé l'ordre toscan.

Ces quatre ordres, le toscan, le dorique, l'ionique & le corinthien, sont les seuls que les Grecs ayent connu ; aussi Vitruve ne parle point de cinquieme ordre. Les Romains ont enfin composé un nouvel ordre de l'ionique & du corinthien, qu'on appelle communément le romain ou le composite. Louis XIV. avoit promis une récompense considérable à celui qui inventeroit un sixieme ordre. Cette promesse mit toutes les imaginations en feu ; mais quoiqu'on se soit donné beaucoup de peine, on n'a rien découvert qui mérite l'approbation des connoisseurs ; car ou l'on a avancé des absurdités qu'on ne sauroit admettre dans l'architecture, ou l'on n'a rien présenté qui ne fût déja compris dans les quatre ordres décrits par Vitruve, & qui n'appartînt à l'ordre composé, dont les Romains ont donné le premier exemple. Cela devoit être, selon Vilalpande, puisqu'on avoit voulu trouver un ordre plus beau que le corinthien qui, selon lui, vient de Dieu immédiatement. Prenant sa pieuse conjecture pour une vérité, Sturm, dans la recherche qu'il a faite d'un nouvel ordre, en a trouvé un inférieur au romain & au corinthien, mais plus beau que l'ionique. Voyez ORDRE ALLEMAND.

Parmi les architectes italiens, Vignole, Palladio & Scamozzi se sont particulierement distingués à faciliter l'usage des ordres. Vignole sur-tout a rendu cet usage beaucoup plus facile qu'il n'étoit avant lui par une regle générale, qui sert à déterminer toutes les parties des colomnes. Cette regle est telle, le piédestal est toujours le tiers, & l'entablement le quart de toute la colomne. Ainsi en divisant l'endroit où l'on veut mettre la colomne en dix-neuf parties égales, on en donne quatre au piédestal, douze à la colomne, & trois à l'entablement. Si l'on ne veut point de piédestal, on divise cet endroit en cinq parties, dont on donne une à l'entablement & quatre à la colomne. C'est à cause de cette division facile que la plûpart des ouvriers suivent les regles de cet architecte : mais sur quoi sont-elles fondées ?

Palladio est de tous les Architectes celui qui a su le mieux joindre les membres des ordres ; & Scamozzi est singulierement estimé par la proportion qu'il leur a donnée. Nicolas Goldman dans son traité de stylométris, & dans ses institutions d'Architecture, a tâché de remplir ces trois objets. M. Perrault a donné un très-bel ouvrage sur les ordres, intitulé : Ordonnance des cinq especes de colomnes. Roland Fréard de Chambray, Charles-Philippes Dieussard, François Blondel & Seyler ont publié des éclaircissemens sur les cinq ordres. L'ouvrage de ce dernier auteur peu connu est intitulé : Parallelismus architectorum celebriorum : mais il faut décrire par gradation du simple au composé les ordres que nous avons considérés jusqu'ici sous un point de vûe général.

Ordre toscan. C'est le premier, le plus simple & le plus solide de tous les ordres, la hauteur de sa colomne est de sept diamêtres pris par le bas. Cette solidité ne comporte ni sculpture, ni autre ornement ; aussi son chapiteau & sa base ont peu de moulures, & son piédestal qui est fort simple, n'a qu'un module de hauteur. On n'emploie cet ordre qu'aux bâtimens qui demandent beaucoup de solidité, comme sont les portes des forteresses, des ponts, des arsenaux, des maisons de force, &c. On garnit souvent ses colomnes de bossages ou de pierres entrecoupées, qui sont ou piquées également par-tout, ou trouées comme des pierres rongées, ou du bois vermiculaire, qu'on appelle rustique vermiculé ; mais cet usage n'est pas approuvé par tous les Architectes.

L'ordre, dont nous venons de parler, est de l'invention des Latins, on le nomme toscan, parce qu'il a pris son origine dans la Toscane.

Ordre dorique. Cet ordre est plus ancien que l'ordre toscan, quoiqu'on le place le second, parce qu'il est plus délicat, & en quelque façon plus composé que celui-ci. Vitruve rapporte dans son architecture, liv. IV. chap. iij. que Dorus, roi d'Achaïe, s'en est servi le premier pour un temple qu'il éleva à Argos en l'honneur de Junon ; mais on n'y avoit observé qu'une mesure arbitraire. Les Athéniens ayant voulu employer cet ordre dans un temple qu'ils consacrerent à Apollon, crurent que le rapport de la hauteur d'un homme à la longueur de son pié étoit la proportion la plus convenable. Or la longueur du pié d'un homme étant la sixieme partie de sa hauteur, on donna à la colomne de cet ordre six de ses diamêtres. Le P. Vilalpande le trouve trop beau pour en faire honneur aux hommes ; il croit qu'il vient immédiatement de Dieu. Il en donne les raisons dans son commentaire sur le prophête ézéchiel, tome III. Mais sans nous arrêter à ces puérilités, fixons le caractere de l'ordre dorique.

La hauteur de la colomne est de huit diamêtres ; elle n'a aucun ornement ni dans son chapiteau, ni dans sa base, & la frise est ornée de triglyphes & de métopes.

Les Architectes ont toujours trouvé de grandes difficultés sur la division exacte qu'on doit observer dans cet ordre, parce que l'axe de la colomne doit l'être en même tems du triglyphe qui est au-dessus, & que les entreglyphes ou métopes doivent toujours former un quarré exact. Ces circonstances leur ont paru souvent impossibles dans tous les entre-colonnemens, & sur-tout dans les colomnes accouplées. Le même inconvénient a lieu dans les édifices quarrés. Aussi les plus célebres ont été réduits ou à faire des fautes aux bâtimens dans lesquels ils ont employé cet ordre, ou à omettre tout-à-fait les triglyphes dans la frise ; deux extrêmités fâcheuses, qu'il n'appartient qu'à des habiles gens de concilier.

Les anciens ont consacré cet ordre à l'héroïsme. En conséquence ils en ont fait hommage à leurs divinités mâles, telles que Jupiter, Apollon, Hercule, &c. & ils en ont décoré leurs temples. C'est pourquoi on l'emploie fort convenablement aux monumens, aux bâtimens héroïques, aux portes des villes, aux arsenaux, &c.

Ordre ionique. Cet ordre tire son nom de l'Ionie, province d'Asie. C'est le second des Grecs, qui l'ont inventé pour orner un temple consacré à Diane. Il n'est ni si mâle que le dorique, ni si solide que le toscan : sa colomne a neuf diamêtres de hauteur, son chapiteau est orné de volutes, & sa corniche de denticules.

Dans son origine, cet ordre n'avoit que huit diamêtres de la colomne, parce qu'ils avoient voulu le proportionner selon le corps d'une femme, comme ils avoient proportionné l'ordre toscan suivant le corps d'un homme. Poussant plus loin l'imitation, ils copierent les boucles de leurs cheveux : ce qui donna lieu aux volutes, & enfin ils cannelerent la colomne pour imiter les plis de leurs vêtemens. Voyez l'architecture de Vitruve, liv. IV. chap. j.

Ordre corinthien. C'est, selon les époques de l'invention des ordres, le second ordre, &, selon la proportion la plus délicate, le dernier des quatre. Il fut inventé à Corinthe par Callimaque, sculpteur athénien. Voyez ACANTHE & CHAPITEAU. Son chapiteau est orné de deux rangs de feuilles, & de huit volutes qui en soutiennent le tailloir ; sa colomne a dix diamêtres de hauteur, & sa corniche est ornée de modillons. Vilalpande, toujours pieux dans ses origines, soutient que les Grecs ont pris cet ordre au temple de Jérusalem, & que par conséquent Dieu l'avoit révélé au roi Salomon.

Ordre composite. Cet ordre est ainsi nommé, parce que son chapiteau est composé de deux rangs de feuilles du corinthien, & des volutes de l'ionique ; on l'appelle italique ou romain, parce qu'il a été inventé par les Romains. Ce fut dans le tems qu'Auguste donna la paix à toute la terre : sa colomne a dix diamêtres de hauteur, & sa corniche est ornée de denticules ou modillons simples.

Ordre Allemand. C'est un ordre de l'invention de L. C. Sturm, qui l'appella d'abord ainsi ; mais ayant fait attention qu'il ne lui convenoit point de disposer du nom d'une nation, il lui donna un nom plus modeste, celui d'ordre nouveau : son chapiteau a un seul rang de feuilles, & seize volutes ; ce qui est une nouveauté fort naturelle, car ou les autres chapiteaux sont sans feuilles, ou ils en ont deux rangs ; mais cette simplicité produit-elle un effet agréable ? C'est-ce dont les Architectes jugeront par la lecture des chapitres x. & xj. de la maniere d'inventer toutes sortes de bâtimens de parade du même Sturm, inventeur de l'ordre allemand, où il donne les desseins des parties inférieures & supérieures.

Ordre attique, petit ordre de pilastres de la plus courte proportion, qui a une corniche architravée pour entablement comme l'ordre, par exemple, du château de Versailles au-dessus de l'ionique du côté du jardin.

Telles sont les proportions de l'ordre attique : sa hauteur, en y comprenant son piédestal & sa corniche, a ordinairement la moitié de la hauteur de l'ordre sur lequel il est élevé, soit qu'il y ait des piédestaux ou non. Cette hauteur se divise ainsi : le piédestal a le quart de toute la hauteur : les trois autres quarts se divisent en quatorze parties, qui font autant de modules. On prend deux de ces parties, dont l'une est pour la base y compris le listeau, l'autre pour le chapiteau ; & on donne un module 2/3 à la hauteur de la corniche, desorte qu'il reste dix modules 1/3 pour la hauteur du fût du pilastre, y compris l'astragale du chapiteau. M. Jacques-François Blondel a publié sur ces proportions une dissertation dans l'architecture françoise, t. I. p. 83, qui mérite d'être lue.

L'ordre attique étoit connu des anciens, mais il étoit différent de celui que nous venons de définir. Pline, dans son Histoire naturelle, liv. XXXVI. dit que les colomnes de cet ordre étoient quarrées. M. Perrault, d'après la description de Pline, & sur quelques desseins que M. Demonceaux lui avoit communiqués, & que celui-ci avoit fait d'après plusieurs chapiteaux trouvés dans des ruines ; M. Perrault, dis-je, donne, dans sa traduction de l'architecture de Vitruve, page 133, le dessein de cet ordre qui est tel : le chapiteau a un collier ou gorgerin, avec un rang de feuilles, un rondeau, un ove, une plate-bande, une gueule renversée, & un listeau. Le fût est quarré, & par-tout d'une égale épaisseur. Le bas de la colomne consiste dans une plinthe, un thore, un listeau, une cymaise dorique, & un rondeau.

Ordre caryatique. C'est un ordre qui a des figures de femmes à la place de colomnes. Voyez CARYATIDES. Il y a un ordre de cette espece au gros pavillon du Louvre, dont les caryatides sont de M. Jacques Sarrazin, sculpteur du roi.

Ordre composé. C'est un ordre arbitraire & de pur caprice, qui n'a aucun rapport avec les cinq ordres d'architecture. Tel est l'ordre du dedans dans l'église de S. Nicolas du Chardonnet à Paris : les chapiteaux des huit colomnes dans la chapelle de Gadagne, dans l'église des Jacobins à Lyon, sont d'ordre composé, & ils sont tous différens les uns des autres. On voit encore à Rome des ordres composés dans les ouvrages d'Architecture du Cavalier Baromini.

Ordre françois, ordre dont le chapiteau est composé d'attributs relatifs à la nation françoise, comme des têtes de cocqs, de fleurs de lys, de pieces des ordres militaires, &c. & qui a les proportions corinthiennes. Il y a un ordre françois dans la grande galerie de Versailles ; il est du dessein de M. le Brun, premier peintre du roi.

Ordre gothique. C'est un ordre si éloigné des proportions & des ornemens antiques, que ses colomnes sont ou trop massives en maniere de piliers, ou aussi menues que des perches avec des chapiteaux sans mesures, taillés de feuilles d'acanthe épineuse, de choux, de chardons, &c.

Ordre persique. C'est un ordre dorique qui a des figures d'esclaves persans au lieu de colomnes, pour porter l'entablement. On voit dans le parallele de l'Architecture antique avec la moderne de M. de Chambray, un de ces esclaves qui porte un entablement dorique, & qui est copié d'après l'une des deux statues antiques des rois des Parthes, lesquelles sont aux côtés de la porte du salon du palais Farnese à Rome. Telle est l'origine de l'ordre persique : Pausanias, roi des Lacédémoniens, ayant défait les Perses, les vainqueurs éleverent des trophées des armes de leurs ennemis, qu'ils représenterent ensuite chargés des entablemens de leurs maisons. Voyez l'Archit. de Vitruve, liv. I. chap. j.

Ordre rustique, ordre qui est avec des refends ou bossages. Tels sont les ordres du palais de Luxembourg à Paris.

Je n'ajoute qu'un mot à ce détail de Daviler sur les ordres d'Architecture.

Les curieux voyageurs qui nous ont donné le bel ouvrage des ruines de Palmyre en 1753, remarquent que dans la diversité des ruines qu'ils ont vûes en parcourant l'Orient, ils ont eu occasion d'observer que chacun des trois ordres grecs a eu son période à la mode. Les plus anciens édifices ont été doriques ; à cet ordre a succédé l'ionique, qui semble avoir été l'ordre favori, non-seulement en Ionie, mais par toute l'Asie mineure, le pays de la bonne Architecture dans le tems de la plus grande perfection de cet art. Ensuite le corinthien est venu en vogue, & la plûpart des édifices de cet ordre qui se trouvent en Grece semblent postérieurs à l'établissement des Romains dans ce pays-là : enfin a paru l'ordre composé accompagné de toutes les bisarreries, & alors on sacrifia entierement les proportions à la parure & à la multiplicité mal entendue des ornemens. (D.J.)

ORDRE, ce mot, en Vénerie, signifie l'espece ou les qualités des chiens : on dit un bel ordre de chiens.

ORDRE, la tour d '(Géog.) on appelloit ainsi le phare que les Romains avoient élevé à Boulogne-sur-mer, pour servir de guide aux vaisseaux. M. de Valois l'appelle, je ne sai pourquoi, turris ordinis ; car ni le mot françois ordre, ni le latin ordo, ne sont l'origine d'une pareille dénomination. Ce phare est nommé odraüs pharus dans la vie de saint Folcuin, évêque de Terouanne ; c'est donc d'Odraüs que paroît venir le mot d'ordre, qu'on donne à cette tour ; mais on ignore également & la signification, & l'étymologie de ce mot odraüs. (D.J.)


ORDUNA(Géog.) ville d'Espagne en Biscaye, dans une vallée agréable, entourée de hautes montagnes. Long. 14. 15. lat. 43. 10. (D.J.)


ORDURES. f. (Gram.) il se dit de tout ce qui gâte, salit & corrompt. Les ordures d'une maison, les ordures du corps humain, les ordures de l'ame, les ordures du discours. Dans ce dernier exemple, ordure est synonyme d'obscénité.


ORDURIERS. m. pelle ou auge de bois, dont l'usage dans les communautés est de recevoir les ordures qu'on balaie, pour être transportées.


ORÉADESS. f. (Myth.) nymphes des montagnes ; on donnoit aussi ce nom aux nymphes de la suite de Diane, parce que cette déesse chasseresse fréquentoit beaucoup les montagnes avec un cortege de nymphes. (D.J.)


OREB & SINAÏ(Géogr.) ce sont les Melanimontes que Ptolémée, l. V. c. xvij. place dans l'Arabie pétrée, le long des déserts, depuis le golfe auprès de Pharan, en tirant vers la Judée. Voyez aussi HOREB & SINAÏ. (D.J.)


OREBITESS. m. pl. (Hist. eccl.) hérétiques qui s'éleverent dans la Bohème vers l'an 1418 ou 1420, suivoient les erreurs des Hussites, parce que Zisca & ses partisans s'étoient cantonnés dans un lieu qu'ils nommerent Thabor, & avoient pris le nom de Thaboristes : ceux-ci, conduits par Bedricus, appellerent le lieu de leur retraite le mont d'Oreb, & se firent nommer Orebites. Ils en vouloient sur-tout aux prêtres orthodoxes, qu'ils faisoient mourir cruellement. Enée Sylvius, hist. Bohêm. c. xliij. Cochleus, l. V. Prateole, de haer. Sponde A. C. 1420, num. 4.


OREBRO(Géog.) petite ville de Suede dans la Néricie, sur la Trosa, à 30 lieues S. O. de Stockholm. Long. 33. 30. lat. 59. 12. (D.J.)


ORÉE(Géog. anc.) Oreum, Oreos, Oreus ou Horoeus ; car c'est le même lieu qu'on nommoit auparavant Istiée ou Histiée.

L'Orée étoit une ville maritime & forte de l'Eubée, dont les habitans vivoient sous le gouvernement républicain ; cette ville étoit puissante ; car la quatrieme partie du pays appartenoit à ses habitans. Philippe y établit cinq tyrans pour la gouverner.

Tous les anciens ont fait mention de cette ville ; mais Diodore de Sicile, liv. XV. & Tite-Live, liv. VIII. ch. v. & vj. s'y sont le plus étendus. Pausanias dans ses Achaïques, ch. xxvj. dit, que quoique fort déchue de son ancien éclat, elle gardoit encore un rang de ville dans le tems où il écrivoit. Son nom moderne est Oreo sur la côte orientale de l'île. (D.J.)


ORÉGRUD(Géog.) petite ville de Suede dans l'Uplande, sur la côte du golfe de Bothnie, à 7 lieues d'Upsal, & à 11 de Stockholm. Long. 36. 45. lat. 59. 30. (D.J.)


OREILLARou ORILLARD, adj. (Maréchall.) on appelle ainsi un cheval qui a les oreilles trop longues, placées trop bas & écartées.


OREILLES. f. (Anatom.) organe de l'ouie. Voy. OUIE.

Description générale de l'oreille. Les Anatomistes divisent ordinairement l'oreille en externe & en interne. L'oreille externe comprend non-seulement l'aîle de l'oreille, mais encore le conduit qui lui est continu, & qui est formé par la membrane du tambour, laquelle fait la séparation de l'oreille externe d'avec l'interne. Celui-ci comprend la caisse du tambour & le labyrinthe.

L'aîle de l'oreille est composée principalement d'un cartilage, si l'on excepte sa partie inférieure, qu'on nomme le lobe de l'oreille, qui paroît faite d'une substance en partie graisseuse, & en partie glanduleuse. Le cartilage qui compose l'aîle de l'oreille, forme des replis, des éminences & des cavités. On a nommé le premier de ces replis ou le plus extérieur, helix ; & celui qui est au-dessous a été appellé anthelix : ce dernier se trouve comme partagé en deux dans sa partie antérieure ; & on donne le nom de scapha ou de fosse naviculaire à la cavité qui se remarque entre ces deux portions. Il y a, outre cela, deux éminences formées aussi par le cartilage. On a nommé la plus antérieure tragus ou hircus, & la plus postérieure antitragus : on voit enfin entre ces deux éminences la cavité nommée la conque. Toute cette partie extérieure de l'oreille est couverte de la peau, & d'une membrane qui paroît nerveuse.

Le conduit de l'oreille est, en partie cartilagineux, en partie membraneux, & en partie osseux. Sa portion cartilagineuse est une continuation du cartilage qui a formé l'aîle de l'oreille ; & sa portion membraneuse est faite de la continuation de la peau qui recouvre le conduit, laquelle peau ferme les vuides que la portion cartilagineuse laisse. Cette peau est percée d'une infinité de petits trous, qui répondent à autant de glandes qui sont cachées derriere, & logées dans un réseau particulier ; ce sont ces glandes qui fournissent la cire de l'oreille. Enfin la portion osseuse, laquelle ne se trouve point dans le foetus, acheve de former le conduit, qui est fermé dans son extrêmité par une membrane très-mince & transparente appellée membrane du tambour, qui est posée obliquement, & se trouve comme enchassée dans une rainure gravée intérieurement à l'extrêmité de ce conduit ; la direction de ce conduit est oblique ; & il s'avance de derriere en-devant.

On observe dans le foetus, qu'il n'y a que la portion de ce conduit qui porte la rainure pour la membrane du tambour, qui soit osseuse ; & c'est cette portion que l'on nomme cercle osseux, quoiqu'il ne fasse point un cercle entier. Pendant que le foetus est renfermé dans la matrice, la membrane du tambour se trouve couverte extérieurement d'une substance blanche & mucilagineuse, qui se seche dans la suite, & se divise en plusieurs petites parties, qui sortent avec la cire de l'oreille ; & le conduit qui est comme membraneux, se trouve très-retréci, suivant la remarque de Valsalva.

Les nerfs qui se distribuent à l'oreille externe, lui sont fournis par la portion dure de la septieme paire, & par la seconde cervicale. Les arteres lui viennent de la carotide, & ses veines se déchargent dans les jugulaires.

L'oreille externe a des muscles & des ligamens : on ne compte, pour l'ordinaire, que deux muscles, dont le plus considérable a son point fixe à l'apophyse mastoïde, & l'autre qui est supérieur, semble une continuation du muscle frontal ; les ligamens sont aussi au nombre de deux, dont l'un, qui est antérieur, vient de l'apophyse zygomatique ; & le second, qui est postérieur, vient de l'apophyse mastoïde.

La caisse du tambour est une cavité, dont la surface, qui est fort inégale, se trouve tapissée par une membrane, que plusieurs regardent comme une continuation de celle qui revêt l'intérieur du nez, nommée pituitaire. On considere dans cette caisse deux conduits, deux ouvertures nommées fenêtres, quatre osselets, trois muscles, & une branche de la cinquieme paire de nerfs.

Les conduits sont distingués en antérieur & en postérieur : celui-ci communique dans les cellules de l'apophyse mastoïde ; & l'antérieur établit une communication entre la caisse & le fond de la bouche : on nomme ce conduit trompe d'Eustache ; nom qui lui a été donné, parce qu'il est fort étroit du côté de la caisse, & que sa cavité augmente à mesure qu'il s'en éloigne, ensorte que dans son extrêmité, qui répond dans le fond de la bouche, il forme un pavillon. Le commencement de ce conduit est osseux, & le reste de son étendue est, en partie membraneux, & en partie cartilagineux. On observe aussi dans la caisse du tambour, immédiatement audessus de la trompe, un demi-canal qui loge un des muscles du marteau.

Les fenêtres sont distinguées, eu égard à leur figure, en ovale & en ronde ; c'est par le moyen de ces deux ouvertures, que la caisse communique dans le labyrinthe.

Les osselets sont au nombre de quatre, nommés le marteau, l'enclume, l'étrier & l'orbiculaire. On considere au marteau une tête & un manche ; la tête a deux éminences, & une cavité pour son articulation ginglymoïde avec le corps de l'enclume. Le manche du marteau est collé à la membrane du tambour. Rau a découvert une apophyse au marteau, qu'il a nommé apophyse grêle.

On considere à l'enclume un corps & deux branches : il se trouve dans le corps de l'enclume deux cavités, & une éminence pour son articulation avec le marteau : les branches de l'enclume sont d'inégale longueur ; la plus courte n'a point de connexion avec les autres osselets ; mais la plus longue, qui est un peu courbée, se termine en une cavité superficielle, pour recevoir une des convexités de l'os orbiculaire, tandis que l'autre convexité de cet os est reçue dans une cavité superficielle creusée dans la tête de l'étrier.

L'étrier a une base ovale, & deux branches qui en partent, & qui vont s'unir pour former sa tête. Les branches sont un peu creuses dans leur face interne ; & c'est dans ces rainures que s'attache une membrane très-mince, qui ferme l'espace que ces branches laissent entr'elles. La base de l'étrier ferme la fenêtre ovale, la ronde n'est fermée que par une membrane très-mince & transparente.

Des trois muscles qui se trouvent dans la caisse du tambour, il y en a deux qui appartiennent au marteau ; le troisieme est pour l'étrier. Les muscles du marteau sont distingués en interne & en externe. Le muscle interne a son point fixe à la portion cartilagineuse de la trompe d'Eustache, & au demi-canal qui se remarque à la partie antérieure de la caisse ; son tendon fait un coude en passant derriere un bec osseux, & vient se terminer au commencement du manche du marteau. Le muscle externe a son attache fixe à la portion osseuse de la trompe, se porte un peu de bas en haut, entre la caisse par une sinuosité oblique, & vient se terminer aussi au commencement du manche du marteau, en couvrant dans son chemin l'apophyse grêle de Rau. Casserius admet un second muscle externe, qui a son point fixe à la partie osseuse du conduit extérieur de l'oreille, & vient se terminer au marteau ; mais la difficulté qu'on trouve à découvrir ce muscle, a donné lieu à la plûpart des Anatomistes de douter de son existence.

A l'égard du petit nerf qui se remarque dans la caisse, communément on l'appelle la corde du tambour ; c'est un rameau de la branche de la cinquieme paire, qui va se distribuer à la langue ; ce nerf suit la route du muscle externe du marteau, passe le long de la face interne de la membrane du tambour, & va se perdre dans la portion dure, en pénétrant le conduit osseux qui la renferme.

Le muscle de l'étrier est caché dans une apophyse pyramidale, située à la partie postérieure de la caisse ; & son tendon sort par le trou qui se remarque à la pointe de cette apophyse, pour se terminer à l'étrier immédiatement au-dessous de sa tête.

La seconde partie, & en même tems la plus enfoncée de l'oreille intérieure, est connue sous le nom de labyrinthe ; elle est composée de trois parties, nommées le limaçon, le vestibule, & les canaux demi-circulaires. Le limaçon est situé en-devant, les canaux demi-circulaires en-arriere, & le vestibule au milieu.

Le limaçon est fait principalement d'un conduit osseux, qui fait deux tours & demi en spirale. La cavité de ce conduit va toujours en diminuant, & se trouve partagée dans toute son étendue en deux moitiés appellées rampes, distinguées en externe & en interne par une cloison nommée lame spirale, dont une portion est osseuse, & l'autre membraneuse.

On peut distinguer au limaçon sa base, sa pointe, son noyau & ses deux rampes. Le commencement de ces deux rampes est au vestibule, dans lequel la rampe externe, nommée improprement supérieure par quelques-uns, va s'ouvrir, tandis que l'interne se termine à la fenêtre ronde.

Le vestibule est une petite cavité irrégulierement arrondie ; elle est tapissée intérieurement d'une membrane parsemée de beaucoup de vaisseaux. On y considere six ouvertures, sans compter plusieurs petits trous, qui donnent passage aux vaisseaux sanguins & aux nerfs, qui pénétrent dans cette cavité. De ces six ouvertures, il y en a cinq qui répondent aux trois canaux demi-circulaires, & la sixieme répond à la fenêtre ovale. Il s'en trouve encore une septieme, qui est l'orifice de la rampe externe du limaçon.

Les canaux demi-circulaires ont été distingués en supérieur, en moyen & en inférieur. Le supérieur se joint par une de ses extrêmités à l'inférieur, ensorte que les cavités de ces deux conduits se confondent, & ne forment ensemble qu'une seule ouverture dans le vestibule. C'est dans ces conduits, aussi-bien que dans les rampes du limaçon, que se distribue la portion molle de la septieme paire. On y découvre aussi plusieurs vaisseaux sanguins, soit par le secours des injections, soit par l'inflammation.

L'oreille est placée proche du cerveau, du centre commun des sensations, afin qu'elle reçoive plus promptement l'impression des sons dans la partie destinée particulierement à l'usage des principaux sens, & dans le voisinage de l'oeil, avec lequel elle a un commerce intime par le moyen de ses nerfs.

Si nous examinons en détail la structure & les parties qui la composent, elle nous paroîtra une piece aussi curieuse que travaillée, tant dans les différentes especes d'animaux que dans l'homme.

De l'oreille des animaux. Pour ce qui est de sa structure dans les insectes, les reptiles & les petits animaux aquatiques, au cas qu'ils jouissent de l'ouie, comme il est vraisemblable, nous n'avons ni la vue, ni des instrumens assez fins pour en découvrir l'organe.

Sa forme dans les oiseaux ne porte point d'obstacle à leur mouvement progressif, & est close, afin de leur laisser un passage facile au-travers de l'air.

Leur tympan est composé de deux membranes : l'une intérieure, l'autre extérieure, qui couvre tout le conduit auditif. Du côté de ce conduit s'éleve un cartilage presque au milieu de cette membrane, & qui sert à la relâcher. Au bout de la petite colomne est un autre cartilage divisé en trois branches, dont il y en a deux attachées à l'os pétreux, à quelque distance de la membrane du tambour. Il y a, outre cela, un petit ligament très-fin qui s'étend du côté opposé, & traverse le conduit auditif.

La seconde partie de l'oreille interne des oiseaux est la petite colomne que Schelhammer nomme columella ; c'est un tuyau osseux, très-menu, délicat & leger, dont la base s'élargit & couvre exactement le labyrinthe, ou la chambre de l'ouie.

Le labyrinthe ou limaçon consiste en plusieurs branches, qui ressemblent aux canaux demi-circulaires de l'oreille de l'homme. Il est formé par un os dur & solide. Plusieurs oiseaux ont des canaux demi-circulaires, les uns plus gros, les autres plus minces, se croisant les uns les autres par des angles droits, & s'ouvrant tous dans la chambre de l'ouie, laquelle est tapissée des ramifications du nerf auditif. Il n'en est pas de même dans l'oie, où l'on trouve ces canaux en forme de limaçon, mais différens de ceux des autres oiseaux.

La nature n'a donné qu'un seul osselet aux oiseaux, & un cartilage, qui fait une jointure très-mobile avec l'osselet. Cet osselet est très-dur & très-menu, ayant à un bout une superficie plate, mince & large, suivant les observations du docteur Moulen, insérées dans les Trans. philos. n°. 100. L'ouïe paroît s'opérer tout simplement dans les oiseaux ; & voici comme on peut concevoir la chose ; le son rencontrant dans son mouvement leur tambour, il le frappe ; & ce mouvement, fort ou foible, doux ou perçant, est imprimé sur les cartilages, sur la petite colomne, & de cette maniere est communiqué au nerf auditif, situé dans le labyrinthe, ou la chambre de l'ouïe.

La structure de l'oreille est très-diversifiée dans les quadrupedes ; les uns l'ont large, droite & ouverte ; d'autres cachée bien avant dans le derriere de la tête.

L'oreille externe & interne de la taupe, à laquelle personne n'avoit fait une grande attention avant Derham, est aussi singuliere que la maniere de vivre de cet animal est différente de celle des autres quadrupedes.

Les taupes au lieu d'une oreille longue qui avance en dehors, ont seulement un creux rond entre le cou & l'épaule. Cette situation accompagnée d'une garniture de poil épais & serré qui la couvre, défend cette oreille contre les injures du dehors. Le conduit de leur oreille est long, cartilagineux, avançant jusqu'au dessous de la peau. Autour du côté intérieur regne une espece de filet semblable à celui d'une vis ; dans le fond est une entrée passablement large, qui mene à la caisse du tambour. Cette entrée est formée d'un côté par ledit filet, & de l'autre par un petit cartilage : on y trouve aussi une espece de cire jaune.

L'oreille interne renferme trois petits osselets creux, par le moyen desquels l'action de la membrane du tambour est communiquée au nerf auditif. Un de ces osselets est le marteau ; il a deux productions ou apophyses à peu près de même longueur : la plus longue est attachée au tympan ; l'autre au côté de la caisse, ou à l'os pétreux. La partie postérieure du marteau ressemble à la tête & à la queue d'un petit mousseron. Le second osselet nommé l'enclume, couché sur le dos du marteau, est long, sans apophyse, & ayant en quelque sorte la figure d'une petite écope, dont les Bateliers se servent pour vuider l'eau de leurs bateaux ; son extrêmité est attachée par le moyen d'un petit ligament très-mince au troisieme & dernier osselet, qui tient lieu de l'étrier des autres animaux, mais qui n'est ici qu'une fourche sans base : chaque jambe ou dent de la fourche, se termine à une des deux ouvertures ; ces fourchons sont-ils attachés au nerf auditif ?

Ces ouvertures (qui tiennent là lieu des fenêtres rondes ou ovalaires des autres animaux) forment l'entrée de la conque ou coquille, & des canaux demi-circulaires, où se répand le nerf auditif. Ces canaux sont à quelque distance du tambour ; au lieu d'être renfermés comme chez d'autres animaux dans un corps osseux, dur & épais, ils sortent en dehors, & sont situés en dedans du crâne dans un creux terminé par une espece de voûte, où entre une partie du cerveau. En remuant la membrane du tambour, tous les petits osselets se remuent en même tems, & par conséquent ébranlent le nerf auditif.

Telle est la structure curieuse de l'oreille de la taupe ; & l'on ne soupçonneroit peut-être pas les variétés qu'offre celle des autres animaux, même par rapport au seul conduit qui mene à l'os pétreux. Dans la chouette, par exemple, qui se perche sur les arbres & sur les poutres, & qui guette sa proie en écoutant de haut en bas, ce conduit avance plus en dehors par le côté de dessus, que par celui de dessous, afin de mieux recevoir jusqu'aux moindres impressions du son. Dans le renard, qui découvre de bas en haut sa proie juchée, il est plus avancé vers le bas. Dans le putois qui écoute tout droit devant lui, ce conduit avance par derriere, pour mieux recevoir les sons qui viennent du côté opposé. Dans le cerf, animal fort alerte, & toujours aux écoutes, le conduit en question est garni d'un tuyau osseux, comme d'un véritable instrument acoustique, formé par la nature, & tellement dirigé vers le derriere, qu'il peut recevoir les sons les plus doux & les plus éloignés qui viennent de ce côté-là. On peut consulter la cosmologie sacrée de Grew, liv. I. chap. v. car j'aime mieux m'attacher à l'oreille humaine, qui est encore supérieure en perfections à celle des animaux. Il faut seulement observer en passant, que l'oreille du singe ressemble le plus à celle de l'homme, & qu'elle a les trois osselets un peu cachés & enfoncés vers le sinus de l'apophyse mastoïde.

Description particuliere de l 'oreille de l'homme, & d'abord de l 'oreille externe en général. Il y a bien des choses à remarquer dans la figure de l'oreille externe, qui s'offre d'abord à nos yeux. Son éminence sensible qui s'éleve de part & d'autre sur l'os temporal, fait qu'il n'est guere de rayons qui puissent échapper aux deux oreilles à la fois ; & ses trois bords spiraux, font par leur fabrique, leur position, leur inclination tortueuse, & leurs contours, que les rayons sonores qui partent du point sonore, entrent en assez grande quantité dans l'une ou l'autre oreille, ou dans les deux, sont refléchis tels qu'ils étoient sans aucun changement, s'unissent ensuite, & sont déterminés dans la conque externe.

Ces replis tortueux donnés à l'homme, suppléent à la mobilité de l'oreille, si remarquable dans les autres animaux. Telle est leur disposition, que l'un s'ouvre dans l'autre, & qu'ainsi les rayons sonores sont refléchis jusque dans la conque. Si ces contours caves avoient été perpendiculairement élevés, les rayons eussent été repoussés hors de l'oreille ; mais il est visible que le contraire doit arriver, parce qu'ils sont inclinés vers la cavité interne de l'oreille.

Boerhaave qui savoit voir, & par son génie tirer parti des choses que les autres avoient vues avant lui, ayant un jour sous les yeux le cadavre d'un homme dont l'ouie avoit été excellente, & l'oreille très-bien formée, en prit une parfaite empreinte sur de la cire, & en examinant cette empreinte, il fit cette remarque neuve & singuliere, que si de quelque point sonore que ce soit, à un point quelconque de quelque éminence cartilagineuse de l'oreille, on tire extérieurement des lignes droites, & qu'on mesure l'angle de réflexion égal à l'angle d'incidence, la derniere réflexion conduira toujours les rayons dans le canal de l'ouie, dont l'entrée est comme le foyer commun des courbes que décrivent les diverses éminences de l'oreille.

Telle étoit aussi la structure que Denys, tyran de Sicile, donnoit à ses prisons, afin que celui qu'il plaçoit au centre de la spirale, pût entendre les prisonniers placés dans les spirales convergentes, quelque bas qu'ils pussent parler. Tout le monde sait que les tubes spiraux, larges à leurs bases, & étroits à leurs extrêmités, sont les plus propres à augmenter le son, parce qu'il n'y a point de figure qui occasionne aux rayons plus d'allées & de venues, & plus de seconds sons qui se joignent au premier.

Les brutes n'ont point de pareille fabrique ; la plûpart des quadrupedes ont les oreilles tortueuses, à la vérité inférieurement, mais s'allongeant en une appendice qui varie, en ce que tantôt elle est coupée courte, tantôt elle est pendante ou conique, comme dans le cheval ; mais tous les quadrupedes remuent les oreilles. Presque tous les oiseaux & les poissons n'ont guere d'oreille en dehors, & par conséquent cette analogie ne leur va pas.

Ne négligeons pas d'observer que l'oreille humaine a une surface large, que la conque & le canal de l'ouie s'étrécissent considérablement ; d'où les rayons viennent en foule à la membrane du tympan. De plus, de quelque côté qu'on tourne la tête, on montre l'une ou l'autre oreille, qui par conséquent est toujours prette à recevoir les rayons sonores. On sait de combien de façons ceux qui n'ont qu'une oreille, sont obligés de la tourner pour entendre : telle est l'utilité des deux oreilles.

On sait encore que les personnes qui ont les oreilles avancées en dehors, entendent mieux que celles qui les ont applaties ; & les gens qui d'après Elien, Martial, Ovide, mettent au rang des difformités les grandes oreilles, condamnent (peut-être sans le savoir) une beauté réelle, une perfection de l'organe pour mieux entendre, un avantage pour la finesse de l'ouie.

Des lobes des oreilles. Les Anatomistes modernes n'ont pas été plus heureux que les anciens à découvrir l'utilité des lobes des oreilles ; mais de tems immémorial on a imaginé de les percer pour y pendre les ornemens qu'on a cru propres à relever la beauté, ou à faire parade de son opulence. Les voyageurs nous parlent d'indiens, tant hommes que femmes, dont les uns cherchent à se procurer des oreilles longues, & les tirent par le bas sans les percer, autant qu'il le faut pour attacher des pendans. D'autres en aggrandissent le trou peu-à-peu, en y mettant des morceaux de bois ou de métal, qu'ils remplissent successivement par de plus gros ; cette pratique commencée dès l'enfance, fait avec le tems un trou énorme dans le lobe de l'oreille, qui croît toujours à proportion que le trou s'élargit.

Les habitans du pays de Laos, & les Indiens de l'Amérique méridionale, portent à leurs oreilles de ces morceaux de bois qui, semblables à des dames de trictrac, ont un pouce de diametre. Les sauvages de la Guyane y mettent de gros bouquets de fleurs. La reine de Calicut, qui peut épouser tant de maris qu'elle veut, & les dames de sa suite qui jouissent du même privilege, ont encore celui de porter des pendans d'oreilles qui leur descendent jusque sur le sein. Les négres du Sénégal, hommes & femmes, en portent aussi qui sont faits de coquilles, de corne, de morceaux de bois ou de métal, qui pesent plusieurs onces.

On ne sait sur quoi peut être fondée cette coutume singuliere de tant de peuples, d'allonger ou d'élargir si prodigieusement les oreilles. Il est vrai qu'on ne sait guere mieux d'où peut venir l'usage de quelques autres nations de se percer aussi les narines, pour y porter des boucles, des anneaux, &c. à moins, dit l'auteur ingénieux de l'histoire naturelle de l'homme, d'en attribuer l'origine aux peuples encore sauvages & nuds, qui ont cherché à porter de la maniere la moins incommode, les choses qui leur ont paru les plus précieuses, en les attachant à ces parties ; mais c'en est assez sur le bout des oreilles, passons aux muscles.

Des muscles de l 'oreille externe. Les Anatomistes ne conviennent point du nombre & de la situation des muscles de l'oreille. Schelhammer nie qu'il y en ait aucun, mais il est presque le seul de son avis : les docteurs Keill & Drake en admettent deux ; Cowper en reconnoît trois, l'un qui tire l'oreille en haut, les deux autres qui la tirent en bas & en arriere. Heister & Winslow en comptent aussi trois, l'un postérieur, l'autre supérieur, & un troisieme antérieur.

Le muscle postérieur a été décrit d'une façon douteuse par Colombus, mais clairement par Fallope. Il se divise peut-être assez souvent en deux ou trois, comme Morgagni l'a observé. Eustachi semble marquer la même division dans ses tables anatomiques. Duverney en fait plusieurs muscles fort grêles, division qui n'est cependant qu'artificielle, & occasionnée par la maniere de disséquer.

Le muscle supérieur, plus connu que tous les autres, a été décrit en premier lieu par Fallope. Les bonnes figures sont celles d'Eustachi & d'Albinus ; celles de Duverney sont trop droites. Il faut encore faire moins de cas de celles de Valsalva & de Cowper. Morgagni a fort bien décrit toutes les variétés de ce muscle.

Le muscle antérieur est plus difficile à découvrir, & souvent, de l'aveu de Morgagni, il manque. Ce n'est qu'un petit faisceau de fibres charnues, qui naissent sous le muscle supérieur, & qui en sont une suite.

Valsalva & Santorini ont tellement multiplié les muscles de l'oreille, qu'on a raison de leur en faire des reproches, & de mettre leur multiplication des muscles de cette partie au nombre des productions de leur imagination & de leur scalpel.

Au reste, la diversité qui regne sur le nombre des muscles de l'oreille, & sur leur description, vient de plusieurs causes. 1°. De la dissection des oreilles d'animaux transportée par quelques modernes, & certainement par les anciens aux oreilles humaines. 2°. De la variété qui se rencontre non-seulement dans des sujets différens, mais encore dans le même. 3°. De la diverse méthode de dissection des fibres musculaires. 4°. Du goût de la plûpart des Anatomistes pour les minuties, & de la gloire qu'ils ont cru acquérir en qualifiant ces minuties de nouvelles découvertes : cependant rien n'est moins important que le nombre de ces muscles ; outre qu'ils sont fort petits, minces & grêles dans l'homme, & qu'ils paroissent à peine, nous en ignorons l'utilité. Quelle qu'elle soit, il est certain que presque tous les hommes, par habitude ou autrement, ont l'oreille immobile ; il est fort rare d'en trouver qui les puissent remuer.

Des oreilles mobiles. Il ne faut pas trop compter sur le témoignage d'Epicharme, qui donne à Hercule la propriété des oreilles mobiles. Les Poëtes comme les Peintres, ont eu de tout tems la liberté de feindre & d'imaginer : mais Justinien a été du petit nombre de gens à oreilles mobiles, car Procope le compare à un âne, non-seulement à cause de sa bêtise, mais encore eu égard à la mobilité de ses oreilles. Eustachi cite un prêtre qui étoit dans le même cas. L'abbé de Marolles atteste le même fait du philosophe Crassot, qui redressoit ses oreilles quand il vouloit, sans y toucher. Vésale, l. II. ch. xiij. assure qu'il a vu à Padoue deux hommes dont les oreilles se mouvoient. Valverda, ch. ij de son anat. dit avoir vu la même chose dans un espagnol qui étoit à Rome ; & du Laurent, l. XI. ch. xij. affirme qu'il a vu ce phénomene dans quelques personnes.

Mery, célebre chirurgien de l'Hôtel Dieu, avoit si bien le libre mouvement des muscles de l'oreille, que parlant de cette partie dans un cours public, en 1695, il remua plusieurs fois son oreille droite de devant en arriere, en présence de l'assemblée qui étoit nombreuse, & composée de gens de son art. En mon particulier, je suis étroitement attaché par les liens du sang, plus encore par ceux de la tendresse & de la reconnoissance, à une dame d'un mérite rare, qui dit avec vivacité en plaisantant, & faisant mouvoir ses oreilles de haut en bas, & de bas en haut, qu'elle tient de la nature des bouriques ; & c'est bien à coup sûr, la seule chose qu'elle a de commun avec elles.

Du conduit auditif externe. En avançant vers la partie interne de l'oreille, nous rencontrons le conduit auditif, qui est d'une substance en partie cartilagineuse, & en partie osseuse, tapissée d'une peau polie, qui s'amincit insensiblement, & qui est enduite d'une matiere cérumineuse qu'on nomme ciré d'oreille.

Ce canal auditif est très propre à porter le son au dedans de l'oreille sans l'altérer, & son obliquité en augmentant les surfaces, multiplie les lieux de réflexion. Une languette cartilagineuse, triangulaire, tremblante, élevée, droite sur la cavité de la conque, située principalement au-dessus de l'orifice du conduit auditif, garnie d'un muscle décrit par Valsalva, détermine par une belle méchanique tous les rayons qui y abordent, à entrer dans le canal, sans qu'ils puissent en sortir, de quelque endroit qu'ils aient été refléchis.

Il étoit nécessaire que ce conduit fût d'une substance dure, afin qu'il pût réfléchir le son, & par son insertion oblique, la nature nous fait voir un artifice merveilleux ; car quand on est au milieu d'une chambre couverte d'une voûte ronde, si l'on jette une pomme contre quelque côté que ce soit, elle revient toujours au milieu ; & si l'on se place à un coin de la chambre, la pomme que l'on jettera contre la voûte ira toujours vers l'autre coin opposé. On peut dire la même chose de l'oreille ; si le conduit externe se rendoit en droite ligne, & perpendiculairement au tambour, les rayons sonores reviendroient dans son ouverture ; mais comme il entre obliquement dans cette cavité, les rayons sonores vont heurter contre la partie elliptique supérieure de la caisse, ainsi ils doivent revenir sur l'inférieure, c'est-à-dire vers l'endroit où sont la fenêtre ovale & la fenêtre ronde. Enfin quand il se trouve une trop grande multitude de rayons sonores, la languette triangulaire & tremblotante dont nous venons de parler, & qui est située à l'entrée du canal de l'ouie, peut tellement se dresser au moyen du muscle de Valsalva, qu'elle leur fermera à volonté le passage, comme nous faisons machinalement avec la main dans de trop grands bruits.

Il y a une membrane qui termine le conduit externe de l'oreille, nommée la membrane du tambour ou le tympan. Voyez ce mot, car il mérite un article séparé.

Quant aux poils dont le conduit auditif est garni, leur usage nous est inconnu : seroient-ils eux-mêmes sonores comme les feuilles d'arbres qui augmentent l'écho en été, ou même en forment un qui n'avoit point été apperçu en hiver, suivant l'idée de M. Perrault d'après Kircher ?

Des osselets de la caisse du tambour & de leurs muscles. Je passe à la premiere grotte de l'oreille qu'on appelle la caisse du tambour, cavité irrégulierement demi-sphérique, dans laquelle on trouve d'autres cavités, savoir l'embouchure de la trompe d'Eustachi, le demi-canal osseux, la fenêtre ovale, la fenêtre ronde, & les osselets qui sont au nombre de quatre, l'enclume, le marteau, l'étrier, & l'os orbiculaire ou lenticulaire, qui est le plus petit de tous les os du corps humain.

En général ces quatre osselets sont si petits qu'ils ont été inconnus aux anciens anatomistes, & que leur découverte en est dûe à l'esprit curieux des derniers siecles. Ils different dans les animaux selon la différence de leur espece : par exemple les quadrupedes en ont quatre comme l'homme, & les oiseaux n'en ont qu'un.

L'enclume dont le corps est articulé avec le marteau, ressemble à une dent molaire, & suivant le témoignage de Massa, il a été connu dès le tems d'Alexandre Achillinus, desorte qu'on lui attribue la découverte de ces deux osselets ; du-moins est-il certain qu'il ne faut pas l'attribuer avec Schelhammer, à Jacob de Carpi, puisque lui-même leur assigne les mêmes usages que ceux qu'on leur donnoit avant lui, & qu'il convient de plus que d'autres en avoient déjà fait mention.

L'apophyse grêle du marteau a été connue très-confusément par Vésale, mal représentée par Jérôme Fabrice, & démontrée de nouveau bien exactement par Raw, qui est resté vrai possesseur de la découverte. On dit que Folius a fait mention de cette apophyse grêle du marteau dans une lettre écrite à Bartholin, & imprimée en 1645 ; mais cette lettre est si rare que les plus curieux, Boerhaave même ni Morgagni, ne l'ont jamais vûe, & jusqu'à présent personne n'a ôté à Raw l'honneur de l'invention. Tous nos modernes, Cowper, Cant, Heister, Nichols, Albinus, Nesbit, Cassebohm en ont donné la figure. Le marteau est difficile à préparer, parce qu'il se rompt aisément, comme l'ont éprouvé Duverney, Valsalva & Morgagni.

Ingrassias s'attribue la découverte de l'étrier ; Vésale y prétend aussi, & Colombus s'en vante pareillement ; mais malgré leurs prétentions respectives, cette découverte paroît dûe à Eustachi. " Je puis me rendre ce témoignage, dit-il en parlant de l'étrier, qu'avant que qui que ce fût m'en eût parlé, avant qu'aucuns de ceux qui en ont écrit l'eussent fait, je le connoissois ; je le fis voir à plusieurs personnes à Rome, & je le fis graver en cuivre, cet osselet a véritablement une figure longue & courbée en arc, qui lui a donné le nom d'étrier ". Morgagni a raison de soutenir contre Manfrédi, que la base est solide, par-tout continue, & qu'elle n'est point percée ou ouverte comme nos étriers modernes, mais pleine comme celle des anciens. Quant aux figures de ces deux osselets, c'est à Vésale qu'on doit les premieres.

J'attribuerois volontiers avec Bartholin & Vesling la découverte de l'os orbiculaire à Jacques Sylvius ; car la description qu'en ont donné Arantius & autres prédécesseurs de Sylvius, est d'une obscurité inintelligible.

Venons aux muscles des osselets. On donne trois muscles au marteau, savoir un externe, un antérieur, & un interne. Le muscle externe ou supérieur du marteau attribué à Casserius, a été cependant indiqué & gravé par Fabricius. Je n'ose assurer si c'est un vrai muscle ou non, puisque Valsalva & Winslow soutiennent l'affirmative contre Duverney & Morgagni.

L'étrier n'a qu'un muscle décrit premierement par Varole, mais d'une maniere très-défectueuse, puisqu'il ne décrit que ce seul muscle dans le dedans de l'oreille. Casserius le trouva en 1601, dans le cheval & le chien, le représenta d'après ces animaux, & le prit pour un ligament : personne depuis Duverney n'a douté que ce ne fût un vrai muscle.

Il est bien difficile de décider quelle est l'action de ces muscles, dans quelles occasions ils agissent, s'ils n'agissent que méchaniquement, ou si c'est la volonté qui les fait agir ? Ce dernier n'est pas vraisemblable, car un bruit nous surprend tout-d'un-coup, & le plus souvent sans que nous y songions. Il en est ici comme des mouvemens des yeux, de la déglutition, de la voix, qui s'operent par une infinité de muscles, qui concourent tous entr'eux, & produisent d'ordinaire à notre insu, les fins pour lesquelles ils sont destinés. Peut-être que les muscles des osselets relâchent en partie le tympan dans les sons fort aigus, & en partie le tendent dans les sons foibles ; c'est le sentiment de Willis, de Duverney, de Perrault, de Derham, de Chéselden, de M. de Mairan, & autres.

Il ne faut pas oublier que les osselets de l'oreille ne croissent point, & qu'ils sont aussi considérables dans les enfans que dans les adultes. La membrane qui les couvre est si fine, que l'anatomiste à qui l'on doit le plus de recherches en cette partie, je veux dire Valsalva lui-même, les a cru sans périoste. Mais Ruysch n'a pas seulement démontré le contraire, comme tout le monde le sait, il a été plus loin, il a fait voir à l'Europe, par le moyen de ses injections, les vaisseaux qui se distribuent dans le périoste des osselets, & qui y sont en très-grand nombre, principalement à la plus courte & plus grosse apophyse de l'enclume.

Pour les deux fenêtres, on en doit la connoissance à l'industrie de Fallope.

De la trompe d'Eustachi. Venons au conduit qu'on appelle la trompe d'Eustachi, dite autrement & assez bien, le conduit palatin de l'oreille, mais mal & équivoquement aqueduc, parce qu'on peut très-bien le confondre avec l'aqueduc de Fallope.

On prétend, sans aucune preuve, qu'Alcméon a connu cette trompe ; mais Eustachi a mérité le nom de son inventeur, par l'exacte description qu'il nous en a laissée, sur laquelle Valsalva parmi les modernes, a su néanmoins encore renchérir ; Vésale qui l'avoit vûe avant Eustachius, n'en a point développé l'usage ni la structure.

Ce tuyau porte le nom de trompe, parce qu'il est fort étroit du côté de la caisse, & que sa cavité augmente à mesure qu'il s'en éloigne, ensorte que dans son extrêmité qui répond au fond de la bouche, il forme un pavillon. La trompe est, comme on sait, un canal creusé dans l'apophyse pierreuse, qui va de la caisse vers les ouvertures postérieures des fosses nasales & vers la voûte du palais.

La conque interne de l'oreille, vaste & semblable à un corps elliptique, communique dans les cavités cellulaires de l'apophyse mastoïde, ainsi qu'avec l'air externe qu'on prend par le nez ou par la bouche. L'étui par où se fait cette communication est la trompe d'Eustachi, en partie osseuse, en partie cartilagineuse.

En conséquence de cette structure il arrive, 1°. que l'air peut entrer par le canal d'Eustachi dans ces lieux, y demeurer, s'y raréfier, en sortir, s'y renouveller, y être comprimé, & par conséquent y être ramené à la température de l'air externe. En effet, la trompe se présente tellement au canal des narines, que l'air est forcé d'y entrer, & les expériences de Cheselden prouvent que l'eau injectée, soit par les narines, soit par la bouche dans le canal d'Eustachi, passe dans les oreilles. Quand on retire son haleine, l'air y entre avec bruit, & frappe le tympan ; c'est ce que j'ai quelquefois éprouvé en nageant entre deux eaux. Duverney a vû la membrane du tympan se rompre pour avoir retenu l'air, les narines & la bouche exprès fermées.

L'air qui est reçu dans le tympan se raréfie par la chaleur, dilate la membrane du tympan vers le canal de l'ouie, & resisteroit aux tremblemens externes, ce qui engourdiroit l'ouie s'il n'étoit souvent renouvellé. De plus, il faut que l'air se renouvelle, à proprement parler, puisqu'il est constant que l'air renfermé perd peu-à-peu son ressort, & même assez vîte. L'air ne propageroit donc point les tremblemens s'il ne se renouvelloit avec tout son ressort ; c'est pourquoi, suivant Duverney, l'orifice de la trompe reçoit plutôt l'air des narines que des poumons.

Valsalva a observé qu'on devient sourd lorsque le passage à la trompe d'Eustachi est bouché. Il rapporte là-dessus deux exemples, l'un d'un gentilhomme qui perdit l'ouie par un polype qu'il avoit dans le nez, & qui s'étendoit jusqu'à la luette ; l'autre d'un paysan qui avoit un ulcere au côté gauche de la luette ; quand on y mettoit une tente trempée dans quelque remede, le patient n'entendoit rien du-tout de l'oreille gauche ; mais il recouvroit l'ouie du même côté dès qu'on tiroit la tente. Tulpius parle aussi d'une surdité & d'un tintement d'oreille causés par une tumeur au palais auprès du même canal. Derham fait mention d'un catarrhe qui rendoit l'ouie difficile ; mais lorsque la trompe fut débarrassée par certains mouvemens de la déglutition, ou toute autre cause, il se fit un bruit soudain qui annonça le retour de l'ouie ; tous les Médecins savent que l'esquinancie & les ulcères véroliques endommagent souvent ce sens. La nécessité de l'admission de l'air par la trompe est donc confirmée par une foule de maladies.

En conséquence de la structure dont nous avons parlé, il arrive, 2°. que les rayons sonores qui passent par les narines ou la bouche, entrent dans la conque interne de l'oreille, & suppléent ainsi à la lésion du conduit auditif ; car ceux que l'obstruction du canal auditif rend sourds ou durs à entendre, cessent de l'être quand le son est immédiatement appliqué à la trompe d'Eustachi : c'est l'expérience de Cabrol & de Fabrice ab Aquapendente.

Comme tous ces endroits sont revétus d'une membrane vasculaire, démontrée par Duverney & Ruysch, il suit, 3°. que les parties qui y sont contenues, se conservent molles, flexibles, lubréfiées, & se purgent de leurs impuretés. Effectivement le tympan se nettoie par le moyen de l'éternuëment, & les immondices sortent par le canal d'Eustachi. Morgagni, Schelhammer, Naboth, ont bien des faits pour constater cette vérité ; entr'autres l'un d'eux a vû de petits globules restés dans l'oreille, sortir par la trompe en retenant son haleine. Valsalva parle d'un abscès à l'apophyse mastoïde qui se vuida par la trompe d'Eustachi.

Telle est donc l'utilité de cette trompe, de donner passage à l'air interne, d'en communiquer les vibrations à l'organe immédiat de l'ouie, de modérer les sons trop forts, de suppléer à la lésion du conduit auditif, enfin de purger la caisse, & de fournir une issue à la mucosité qui s'y trouvera.

Boerhaave fait ici deux questions :

Le canal d'Eustachi s'ouvre-t-il par l'action de son muscle interne, en même tems que la membrane du tympan tirée par cette même action, retrécit la cavité de la conque interne ? Cela n'est pas vraisemblable ; l'action de ce muscle doit être peu de chose, car il s'attache en grande partie à l'os de la trompe, & le reste paroît incapable de plier le cartilage.

L'orifice interne du canal d'Eustachi se ferme-t-il par l'application de la valvule cartilagineuse de du Laurent & de Willis ? Non, cette valvule imaginaire a été refutée par Morgagni, qui démontre d'ailleurs que les matieres de la déglutition ne peuvent entrer dans l'oreille, parce que la trompe s'ouvre vers la communication du nez avec la bouche.

Du labyrinthe & de ses parties ; le vestibule, le limaçon, les canaux demi-circulaires. La partie la plus enfoncée de l'oreille intérieure est connue sous le nom de labyrinthe, lequel est renfermé dans l'os pierreux, & est composé de trois parties que les Anatomistes appellent le limaçon, le vestibule, & les canaux demi-circulaires. Les anciens ont donné des descriptions fausses & très-embrouillées de ces parties, dont ils n'ont point connu la structure ; mais dans celle de Duverney, de Valsalva, & de Winslow regnent l'ordre, la netteté, & l'exactitude.

Le labyrinthe est tapissé d'un périoste très-fin ; ce sont apparemment des expansions membraneuses de ce périoste mal observées, dont Valsalva a fait ses zones sonores, & celles qu'il a vûes dans les brebis ne sont que l'effet du déchirement des parties. On découvre aussi dans le labyrinthe plusieurs vaisseaux sanguins, soit par le secours des injections, soit par l'inflammation, comme Winslow dit l'avoir observé. Le sieur May, anatomiste de Strasbourg, a fait voir il y a près de trente ans ces vaisseaux à messieurs de l'académie des Sciences.

Remarquons d'abord que l'os pierreux dont les parois de chaque cavité du labyrinthe sont composées, est blanc, très-dur & compacte. Par cette structure la matiere éthérée chargée des impressions des objets sonores, venant à heurter contre lesdites parois, ne perd rien de son mouvement, ensorte qu'elle le communique tout entier aux ramifications de la portion molle des nerfs de l'oreille.

Remarquons ensuite que le labyrinthe & le limaçon ne croissent pas non-plus que les osselets ; ils sont de la même grandeur dans les enfans & dans les adultes, quoique les os extérieurs de l'oreille grossissent & durcissent considérablement. La cause de cet effet, est que les os extérieurs ont un périoste bien nourri, tandis que l'intérieur est dénué de cette nourriture. D'ailleurs les os sont ici d'une dureté qui refuseroit même cette nourriture quand elle y seroit apportée.

Un de ces auteurs qui se font une étude de trouver du miracle par-tout, Nieuwentit, ne donne d'autres raisons de ce phénomene, que la volonté du créateur, qui, contre les lois ordinaires de la nature, a refusé l'accroissement à ces os de l'oreille, afin que l'organe étant le même dans les enfans & dans les adultes, l'impression des sons fût la même pour les uns & les autres. Il pense que si l'ouïe croissoit comme les autres organes, la voix des enfans, celle des parens, & les autres sons connus des enfans, leur viendroient étranges & sauvages, d'où naîtroient une grande confusion & une infinité d'erreurs. Mais sur quel fondement veut-on que l'accroissement des os de l'oreille changeât la sensation de l'ouïe ? Les organes de la vue, du goût, de l'odorat ne croissent-ils pas sans déranger ses sensations ? Et quoique l'ouïe ne soit pas susceptible d'un pareil accroissement, croit-on que cet organe soit le même dans tous les hommes ? Cela n'est pas probable. Chacun entend à sa façon, comme chacun voit, sent & goûte aussi proportionnellement à la structure particuliere de ses organes.

Dans les canaux demi-circulaires on rencontre deux choses dignes de remarque. 1°. Ils sont tous trois de grandeur différente. Aussi l'un s'appelle le plus grand, le second le moyen, & le troisieme le plus petit. Winslow nomme le premier, vertical supérieur ; le second, vertical postérieur, & le troisieme, canal supérieur horisontal. 2°. Quoiqu'ils different souvent selon les sujets, ils gardent néanmoins les mêmes proportions entr'eux, & sont toujours semblables dans un même sujet. Valsalva rend raison de tout cela, & détermine leurs usages d'une maniere ingénieuse : il croit que comme une partie de la portion molle du nerf auditif est située dans ces canaux, ils ont été faits de grandeur différente pour s'accommoder mieux à toutes les diversités des tons ; & quoiqu'il y ait de la différence par rapport à la longueur & à la grosseur de ces canaux, en les comparant dans différens sujets, ils sont cependant toujours dans une exacte conformité entr'eux dans la même personne, à moins qu'il n'y ait quelque défaut ou discordance dans les organes de l'ouïe. Au reste, Fabricius avoit établi une infinité de canaux demi-circulaires ; mais les autres anciens Anatomistes n'en ont reconnu que trois, & il n'y en a jamais davantage.

Un mot du vestibule : c'est une cavité irrégulierement ronde, décrite par Vésale & Fallope, formée intérieurement dans l'os pierreux, & voisine du tympan. On trouve dans le vestibule, 1°. la pulpe de la portion molle du nerf acoustique ; 2°. une liqueur aqueuse, comme dans le tympan, & 3°. de l'air qui du tympan vient dans cet endroit.

Rien n'est plus admirable que la construction du limaçon, ou de la coquille spirale. C'est un canal osseux, conique, qui fait environ deux tours & demi, suivant une ligne spirale autour d'un cône osseux, qui par sa pointe se termine à celle du cône. On trouve dans toute son étendue l'expansion des petits nerfs acoustiques qui sont de la derniere délicatesse. L'artifice de sa construction fait voir que dans la lame spirale, qui commence par une base déterminée, & finit en un seul point, on peut assigner une infinité de cordes tremblantes également tendues : ainsi parmi ces cordes, dont le nombre peut à peine se compter, il y en aura toujours qui seront à l'unisson avec chaque son, & qui par conséquent pourront le représenter, & le porter sans altération au sensorium commune.

Des nerfs auditifs. Les portions des nerfs auditifs, ou de la septieme paire de nerfs, se distinguent eu égard aux divers degrés de leur consistance, en portion dure, & en portion molle. Les deux portions se portent dans le trou auditif interne ; la molle pénetre dans le labyrinthe par plusieurs petits trous qui y répondent, & va se perdre dans les différentes parties qui le composent. La portion dure s'insinue dans l'aqueduc de Fallope, traverse la glande parotide, lui donne plusieurs filets, & se partage en deux grosses branches, dont l'une est supérieure & l'autre inférieure. Il est difficile d'en suivre le cours.

Les derniers filamens des petits nerfs auditifs, après avoir fait leurs fonctions, & s'être distribués par les labyrinthes de l'oreille, reviennent-ils au cerveau & au sensorium commune, conformément à l'idée d'un chirurgien de Rome, dont on a gravé dans les lettres du sieur des Noues une figure représentant le décours de ces nerfs ?

Le chirurgien de Rome, dont l'ouvrage n'a point été publié, est Simoncelli. Mais son confrere Mistichelli a prétendu, d'après lui, que la portion molle du nerf auditif entre dans le sillon du limaçon, se précipite de la pointe dans sa cavité, la pénetre, forme dans le vestibule une expansion pulpeuse, dégénere ensuite en filament grêle, entoure les canaux demi-circulaires ; enfin de l'orifice propre du plus grand de ces canaux, revient par un trou particulier dans la cavité du crâne, & ramifié, va se distribuer à la dure-mere, à la surface supérieure du cerveau, & autour de la glande pinéale.

C'est dommage que tout cela ne soit qu'un roman. Simoncelli & Mistichelli ont pris pour nerf, un vaisseau sanguin du limaçon, & des canaux demi-circulaires. Le trou du petit nerf qui retourne dans la cavité du crâne, est un trou par lequel le nerf mou se rend au vestibule. Le reste de la description du chirurgien des Noues, est tiré de la distribution de la portion dure à la dure-mere, distribution même que Simoncelli n'avoit vue qu'une seule fois, de l'aveu de Pacchioni & de Valsalva.

Que dirons-nous de la communication de la portion dure du nerf auditif avec les branches de la cinquieme paire qui se distribuent aux parties qui servent à former & à modifier la voix, d'où naît l'accord qu'il y a entre l'ouïe & la parole ? De la communication de la seconde paire vertébrale avec les nerfs de l'oreille externe, au moyen de quoi on tourne la tête au moindre bruit ? Enfin de la communication de ces nerfs avec ceux du coeur & des poumons, qui fait aussi qu'on sent les mêmes altérations dans le pouls & dans la respiration, selon la différence des bruits ? Mais on n'est pas encore d'accord des effets de ces communications ; c'est seulement un système ingénieux pour expliquer les phénomenes de la sympathie qui se rencontre entre toutes les diverses parties de notre corps.

Des jeux de la nature sur l'organe de l'ouïe. Cet organe si composé, est en même tems un de ceux qui fournit le moins de jeux de la nature ; tandis que tous les autres sont imparfaits dans le premier âge, les osselets de l'oreille se trouvent dans les enfans aussi grands & aussi durs que dans les adultes ; & dans l'enfant de neuf mois, ils ont presque acquis leur grandeur, leur forme & leur dureté. Le célebre Ruysch croit avoir vu une fois dans le squelete d'un enfant nouveau-né que ces osselets étoient confusément attachés ensemble contre l'ordre naturel, & c'est une observation rare.

Il arrive plus souvent de rencontrer des enfans qui viennent au monde avec le canal auditif bouché par une petite membrane ; il faut y porter remede, s'il est possible, autrement ces enfans auroient le malheur d'être sourds & muets ; parce que n'entendant pas parler, ils ne pourroient apprendre aucune langue. Quand donc cette membrane est assez en-dehors pour être apperçue, il convient de la percer avec un bistouri, ou l'ouvrir avec la lancette par une incision cruciale ; l'ouverture étant faite, on introduira dans la division une espece de tente pour empêcher qu'elle ne se réunisse. La cure s'exécute ainsi facilement ; mais elle est douloureuse & très-difficile, lorsque cette membrane est située bien avant dans l'oreille, parce qu'il est presque impossible de percer ou d'enlever la membrane qui cause la surdité sans offenser celle du tympan. Je ne sai point d'exemple d'opération heureuse dans ce dernier cas.

Auteurs. Les anciens anatomistes n'ont point connu les parties intérieures de l'oreille humaine, & j'en trouve la raison, 1°. dans la difficulté de découvrir les diverses parties de cet organe, qui sont la plûpart cachées dans des os très-durs ; 2°. parce que cette administration anatomique est fort embarrassée, & demande d'être variée pour appercevoir tantôt une partie, tantôt l'autre : 3°. parce que ces parties sont très-délicates & très-petites. Mais comme les anatomistes modernes ont eu plus de succès, récapitulons par ordre de date leurs travaux & leurs découvertes.

Vésale donna les vraies figures de deux des osselets internes de l'oreille.

Eustachi a depuis fait connoître le premier la trompe dont il est l'inventeur, l'étrier, le muscle nommé muscle d'Eustachi, la corde du tympan ; la portion molle, &c. Voyez son ouvrage de auditûs organis, Romae 1562, in -8°.

Ingrassias (Jean-Philippe) mort en 1580, agé de 70 ans, assure qu'il a de son côté découvert à Naples en 1546, l'étrier, troisieme osselet de l'oreille, & qu'il l'a nommé tantôt scapha, & tantôt l'os deltoïde.

Fallope (Gabriel) a rendu de nouveaux services à l'anatomie de cette partie. Il a décrit dans ses observations, l'étrier, l'aqueduc, les deux fenêtres, les canaux demi-circulaires & le limaçon. Il est mort à Padoue en 1563, âgé de 39 ans.

Albertus (Salomon) a le premier décrit la coquille de l'oreille dans son livre intitulé, historia plerarumque humani corporis partium, Witteb. 1583, in -8°.

Fabricius d'Aquapendente a ajouté peu de choses à ses prédécesseurs. Il en a oublié plusieurs qui appartenoient à la gloire de Fallope, & a fait graver d'assez mauvaises figures.

Casserius a pris beaucoup de ses devanciers ; il paroît cependant avoir représenté le premier les muscles obliques & externes du marteau, & d'avoir tâché de s'instruire par l'anatomie comparée. Son histoire anatomique de auris auditus organo a été imprimée pour la premiere fois à Ferrare en 1600, fol. reg. L'auteur est mort en 1605, âgé de 60 ans, & pendant que son maître Aquapendens vivoit encore.

Folius (Caecilius) passe pour avoir découvert l'apophyse du marteau ; & l'on doit convenir qu'il n'a pas mal décrit les parties du labyrinthe de l'oreille. Son livre intitulé aurium internarum delineatio, a paru Venet. 1645, in-4°.

M. Perrault (Claude) a non-seulement traité physiquement la matiere du son, mais il a décrit encore avec exactitude la fabrique de l'organe de l'ouïe. On ne lui a point rendu toute la justice qu'il méritoit ; cependant il n'a rien avancé dans la description de cet organe, qu'après l'avoir vu distinctement. Ses figures sont belles, & faites sur ses propres desseins. Je ne loue pas ses explications, parce qu'elles sont fondées sur des fausses hypotheses. Il a précédé Méry & Duverney dont nous allons parler.

La description de l'oreille de l'homme par Méry vit le jour à Paris en 1681, in -12. avec fig. mais elle ne renferme rien de nouveau.

Il n'en est pas de même du traité de Duverney (Joseph-Guichard). Cet habile homme a le premier fait connoître parfaitement le muscle de l'étrier, les glandes cérumineuses, le limaçon, la portion molle, les canaux demi-circulaires, & plusieurs autres choses qu'il a mises dans tout leur jour. Son ouvrage a été imprimé à Paris en 1683, in -12. C'est la bonne édition ; & les figures qui sont d'une grande beauté, ont fait desirer la publication de tout ce qu'il avoit composé sur les autres sens.

Schelhammer (Christophorus) a lu avec fruit les auteurs qui l'ont précédé, & a joint dans son ouvrage la Physique à l'Anatomie ; mais il a fait dans ce dernier genre quelques fautes grossieres, entr'autres sur la corde du tambour & les canaux demi-circulaires. Son livre intitulé de auditu liber unus, a été publié à Ley de en 1684, in -8°.

Valsalva, né à Immola en 1666, a fait aussi des merveilles sur cette partie. Il a trouvé les petits muscles de l'oreille, a rétabli la structure & les muscles de la trompe, & y en a ajouté un troisieme nommé le palato-salpingée ; il a pris plus exactement la dimension des canaux demi-circulaires, & a considérablement augmenté la physiologie de l'oreille. Il a relevé quelques fautes de Duverney, & en a fait aussi lui-même ; tant la structure de cet organe est délicate & cachée ! La premiere & la belle édition du traité de Valsalva parut Bonon. 1704, in -4°. avec fig.

Vieussens (Raymond) a mis au jour son traité de la structure du coeur & de l'oreille à Toulouse en 1714, in -4°. avec fig. Ce livre est devenu rare ; cependant l'auteur, dans son traité de l'oreille, n'est guere que le copiste de Duverney ; ses descriptions mêmes sont embrouillées, & de plus ses figures sont obscures & mal gravées.

M. Winslow ne doit pas craindre un tel reproche ; car on trouve dans sa description de l'oreille l'ordre, la netteté, la précision & l'exactitude qui brillent par-tout dans son anatomie.

Cassebohm (Joan. Frid.) est le dernier écrivain qui ait fait un traité exprès sur l'oreille de l'homme. Il est imprimé en latin, Francof. 1734, in -4°. avec fig. c'est un bon recueil, mais qui renferme peu de choses au-delà des découvertes de Duverney & de Valsalva.

A tous ces auteurs, on joindra les observations de Morgagni, de Manfredi, de Santorini & autres, répandues dans les mémoires de l'académ. des Sciences & dans les Transactions philosophiques. Enfin les curieux savent que Ruysch, Albinus, Nichols ont fait de leur côté de belles préparations & injections de diverses parties de l'oreille.

Quelques anatomistes, comme M. Hunauld, ont essayé de faciliter la connoissance de l'organe de l'ouïe en taillant des coupes d'os de grandeur double, triple ou quadruple de toutes les parties de l'oreille. M. Martiani, médecin sicilien, eut l'honneur de présenter en 1743 à l'académie des Sciences de semblables coupes artistement sculptées en bois de tilleul, au nombre de sept, qu'on peut voir au cabinet du roi, & dont M. Daubenton a donné l'explication & les figures dans le troisieme tome de l'explication de ce cabinet.

En un mot, les modernes n'ont rien oublié pour nous procurer des connoissances de l'organe de l'ouïe ; mais s'ils sont parvenus à exciter notre admiration sur son artifice, ils n'ont pas été assez heureux pour le dévoiler un peu complete ment, & selon toute apparence on n'y parviendra jamais. (D.J.)

OREILLE, les maladies chirurgicales de l'oreille ne sont pas en grand nombre, elles méritent cependant une attention particuliere : si elles étoient plus nombreuses, il s'éleveroit sûrement une espece de chirurgiens pour les traiter exclusivement, comme les maladies des yeux. Le conduit de l'oreille peut être bouché par vice de conformation par une membrane. Si cette cloison est profondément située dans le conduit auditif, il faut de la prudence pour y porter l'instrument tranchant. Si elle est superficielle, on la fend sans grand inconvénient. Il faut faire l'incision cruciale, & mettre dans le conduit une tente de charpie pour écarter les lambeaux de la membrane, jusqu'à ce que la consolidation des plaies soit faite.

Il arrive quelquefois à la suite des abscès de l'oreille, des excroissances charnues qu'il faut détruire. Fabrice de Hilden fait mention d'une caroncule de cette nature, qu'il a extirpée en partie. Les racines étoient trop profondes pour pouvoir être saisies avec des pincettes, il se servit de caustiques portés avec la plus grande circonspection au moyen d'une bougie ; & parvint à détruire le principe du mal.

Les corps étrangers qui s'insinuent dans le conduit de l'oreille y causent quelquefois des douleurs extraordinaires, qui excitent même le délire & des convulsions. Le même Fabrice de Hilden a tiré, au bout de huit ans, une boule de verre qui avoit été la cause de symptomes très-formidables. Il se servit d'une curete, après avoir coulé de l'huile dans l'oreille pour graisser le passage. On pourroit se servir de tire-fonds pour l'extraction de corps étrangers qui en permettroient l'usage. Il ne faut point employer des pincettes ni d'autres instrumens contre les insectes qui sont dans les oreilles : on les fait avancer vers la membrane du tambour, où ils excitent par le chatouillement des douleurs excessives. Il est plus convenable d'injecter de l'huile ou de l'esprit-de-vin dans l'oreille pour faire mourir l'animal. On le retire après si l'injection ne le fait pas sortir.

Bien des gens sont sourds par une cause toute naturelle : c'est la réplétion du conduit auditif par l'humeur cérumineuse qu'on y a laissé accumuler, & qui s'y est endurcie. L'huile d'amandes ameres tiede fond peu-à-peu cette matiere, & on la détache avec une curete des parois du conduit. La plûpart des cures de surdité faites par le moyen des injections, n'ont été que l'effet de la désopilation du conduit, & de l'extraction de la matiere cérumineuse, qui semble quelquefois pétrifiée.

On injecte dans l'oreille des liqueurs anodynes, mondifiantes, résolutives, détersives, &c. pour remplir différentes indications dans les ulcérations de l'oreille, avec ou sans carie ; nous parlerons des injections par la trompe d'Eustachi, à la suite du mot anatomique TROMPE.

Nous ne ferons point mention de la cautérisation du cartilage antifrage de l'oreille contre la douleur des dents, parce que c'est un remede très-infidele, qui peut bien dissiper pour un tems très-court l'odontalgie, mais qui ne peut absolument être curatif. Voyez ODONTALGIE.

Nous renvoyons l'explication des instrumens acoustiques au mot SURDITE. (Y)

OREILLE, (Seméiotique) Les signes que les oreilles peuvent fournir, se tirent ou de l'état extérieur de ces parties, ou des phénomenes relatifs à leur usage, c'est-à-dire, à l'ouïe : nous allons détailler les premiers, les autres seront exposés aux articles OUÏE & SURDITE. Les oreilles froides, transparentes & resserrées, annoncent une mort prochaine ; Hippocr. aphor. 14. lib. VIII. L'inversion des lobes est aussi un mauvais signe ; progn. lib. I. n°. 3. Tel est l'état des oreilles dans cette funeste altération du visage, qu'on appelle face hippocratique. Une douleur opiniâtre d'oreille avec une fievre aiguë & quelque autre signe peu favorable, indique la mort dans sept jours pour les jeunes gens, & même plus tôt s'ils sont dans le délire, à moins qu'il ne sorte beaucoup de pus par les oreilles, ou du sang par le nez, ou qu'il ne paroisse quelque bon signe : les vieillards dans qui ces accidens se rencontrent, n'ont pas à craindre une mort si assurée & si prochaine, soit parce que ces douleurs leur sont plus familieres, comme Hippocrate le remarque ailleurs, soit parce que les oreilles leur suppurent plus tôt & qu'ils délirent moins ; cependant plusieurs éprouvent en conséquence des rechûtes auxquelles ils succombent ; coac. praenot. cap. v. n°. 1. & 11. Les rougeurs qui surviennent aux douleurs d'oreille pendant les fievres, dénotent une érésipele future au visage, ou quelquefois elles précedent des convulsions avec exsolution & interception de voix, n °. 12. Les tumeurs aux oreilles, à la suite des excrétions fétides, paroissant trop tard, avec une fievre aiguë & tension des hypocondres, sont un signe mortel ; celles qui viennent dans de légeres paralysies, sont aussi mauvaises : s'il en survient dans le cours des maladies chroniques qui ne suppurent pas, on doit s'attendre à la mort du malade ; il arrive souvent alors que le ventre se lâche ; les douleurs de tête n'accompagnent-elles pas la formation des abscès à l'oreille ? les malades dans ce cas ne suent-ils pas par les parties supérieures ? n'ont-ils pas par-dessus des frissons ? le sommeil ne se joint-il pas au dévoiement ? les urines ne sont-elles pas aqueuses, variées, fétides, remplies de nuages blanchâtres ? coac. praenot. n°. 13. 15. Toutes ces questions qu'Hippocrate paroit faire, & qu'il ne décide pas, sont autant de faits qu'il a vû arriver quelquefois, mais qui ont besoin de nouvelles observations pour être décidées & pour avoir la force d'aphorismes.

Si ces abscès, ou ces tumeurs suppurées qui viennent aux oreilles dans les maladies longues, ne fournissent pas un pus légitime, bien blanc, & entierement dépourvû d'odeur, la mort est assurée & surtout dans les femmes. Ces abscès sont plus familiers dans les maladies aiguës & dans les fievres ardentes ; mais si, lorsqu'ils paroissent, la maladie ne cesse pas, s'ils ne viennent pas tout de suite à maturation, ou s'il n'y a point d'hémorrhagie du nez, ou si les urines ne contiennent pas un sédiment épais, le malade est dans un danger pressant, la plûpart de ces tumeurs s'affaissent ; cependant, pour régler son prognostic, il faut examiner si la maladie augmente ou diminue. Pendant que ces abscès aux oreilles persistent, l'excrétion des urines est mauvaise, & le frisson qui survient est très-dangereux ; la toux qui est accompagnée d'expectoration, survenant à ces abscès, les dissipe plus favorablement. Id. ibid. n°. 16, 19. (m)

OREILLE D'ANE, (Botan.) nom vulgaire de la grande consoude ; voyez CONSOUDE, (Botan.)

OREILLE DE JUDAS, (Botan.) espece de champignon, nommé par Tournefort agaricus auriculae forma, I. R. H. & représenté par Micheli, tab. LXVI. fig. premiere, est une substance fongueuse, qui croît au-bas du tronc des vieux sureaux. Cette substance est unie & n'est percée d'aucun trou. Elle est spongieuse, coriace, membraneuse, repliée comme une oreille ; blanchâtre, grise en-dessous, noirâtre en-dessus, sans odeur, d'un goût de terre, & insipide ; elle est portée sur une queue très-courte, ou plutôt elle n'en a point du tout ; mais elle est attachée à la souche de l'arbre. Quelquefois ce champignon est unique, quelquefois il est double. On lui donne, comme aux autres champignons, des qualités astringentes & dessicatives. (D.J.)

OREILLE DE LIEVRE, (Botan.) par les Botanistes, bupleuron ; voyez PERCE-FEUILLE, (Botan.)

OREILLE D'OURS, (Hist. nat. Botan.) auricula ursi, genre de plante à fleur monopétale, en forme d'entonnoir profondément découpée. Le pistil sort du calice, il est attaché comme un clou à la partie inférieure de la fleur, & il devient dans la suite un fruit rond & enveloppé en partie par le calice de la fleur. Ce fruit s'ouvre par la pointe, & renferme plusieurs semences attachées à un placenta. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Ce genre de plante se nomme en anglois comme en françois bear's-ear. Tournefort en compte vingt-sept especes qui produisent des variétés sans fin ; la plus commune auricula ursi, flore luteo. I. R. H. 120. pousse de sa racine de grandes feuilles, polies, grasses, tantôt dentelées, tantôt entieres, d'un goût amer. Il s'éleve d'entr'elles des tiges qui portent à leurs sommités des fleurs jaunes, exhalant une odeur douce & mielleuse. Chaque fleur est un tuyau évasé en entonnoir, à pavillon découpé en cinq ou six parties. Ses semences sont menues, de couleur brune, renfermées dans un fruit presque rond. Sa racine est grosse, garnie de fibres blanches. Le suc qu'on tire de sa fleur est un bon cosmétique. Elle croît naturellement sur les montagnes dans la Styrie, le Tirol, la Savoie, la Suisse, & autres lieux ; on la cultive beaucoup dans nos jardins. Voyez donc OREILLES D'OURS, Jardin. (D.J.)

Les oreilles d'ours sont très-précieuses aux curieux, tant par leurs variétés, que par l'excellence de leur odeur. Elles fleurissent en Avril, sont pendant ce mois dans toute leur force. Les Hollandois en font leurs délices, & les Anglois ont décoré leurs nombreuses especes par les noms des personnes de la premiere qualité ; mais comme il arrive que telle espece d'oreille d'ours aujourd'hui fort recherchée, le soit peu l'année suivante, à cause qu'il en paroît sans cesse de nouvelles especes, je vais indiquer les marques estimables de cette fleur.

Une belle oreille d'ours doit, selon Miller & Bradley, se connoître à ces marques : 1°. la tige à fleur doit être forte & de résistance ; 2°. les pédicules des fleurs doivent être courts, & capables de soutenir la fleur bien droite ; 3°. le tuyau ou col de chaque fleur doit être bien court ; 4°. les fleurs doivent être grandes & régulieres ; 5°. leurs couleurs doivent être vives & bien mêlées ; 6°. leur oeil doit être grand, rond, & d'un beau blanc ; 7°. leurs fleurs doivent s'étendre à plat, & ne jamais former le godet ; 8°. il faut qu'il y ait une bonne quantité de fleurs également étendues sur la tige.

Une oreille d'ours qui a ces perfections est toûjours belle ; ce n'est que de celles-là dont il s'agit de conserver la graine pour en semer & perpétuer d'autres, si on veut bien réussir. Les graines de cette fleur doivent être recueillies aussi-tôt que les tiges sont jaunes, & les gousses parvenues à leur grosseur. Lorsque l'on veut conserver leurs graines, aussi-bien que celles de toutes les autres plantes, Bradley conseille d'arracher toutes les gousses avec la tige, & de les garder dans cet état jusqu'au moment de les semer. Rien ne contribue tant à la force & à la vigueur des plantes qu'on veut multiplier de graine, que la bonne méthode de conserver les graines jusqu'au tems de la semaille, & rien ne peut nous donner de meilleures instructions, à cet égard, que la nature elle-même.

La graine d'oreille d'ours doit être recueillie dans une matinée seche, & être exposée pendant un couple de mois au soleil, quelques heures par jour, sur des feuilles de papier, jusqu'à ce qu'elle soit hors d'état de moisir. Pour lors on la tient dans des endroits fort secs jusqu'au mois de Février, auquel tems il faut la nettoyer & la semer de la maniere suivante.

Préparez une caisse de bois de chêne ou de sapin de quatre piés de longueur, de deux de largeur, & de six de profondeur, dont le fond soit percé de trous éloignés de six pouces les uns des autres. Mettez dans cette caisse de la terre de potager bien criblée & du terreau de couche, autant de l'un que de l'autre, & mêlez-les bien. Ensuite on seme la graine sans la recouvrir de terre, on se contente de la presser sur la terre avec un bout de planche, afin de l'affaisser de maniere que la terre soit au-dessus des bords de la caisse ; alors, dans les arrosemens, la graine qui est légere ne passe point par-dessus les bords. Cette pépiniere ne doit jamais être seche, car sans une continuelle humidité la graine ne leveroit pas. On couvrira cette caisse avec un réseau, afin que les oiseaux ne viennent pas la détruire. Depuis le tems qu'on la seme jusqu'au commencement d'Avril, il faut placer la caisse dans un endroit à l'ombre, de peur que le soleil ne desseche les jeunes plantes. S'il arrivoit faute d'arroser que la graine ne levât pas la premiere année, il faudroit conserver la caisse jusqu'à l'année suivante, & on aura sûrement une bonne récolte.

Ces plantes venues de graine, seront assez fortes pour être transplantées aux mois de Juillet ou Août suivans, à environ quatre pouces de distance dans des carreaux de terre légere bien criblée, à un endroit où elles n'ayent que le soleil du matin. Il est à propos même de les défendre de la chaleur pendant quinze jours après les avoir plantées. Au mois d'Avril suivant, on peut espérer que quelques-unes commenceront à fleurir. Pour-lors si elles ont les qualités dont on a parlé, on les transplante dans des pots, remplis ou d'une demi-charge de sable de mer, d'une charge de terre franche, & d'une charge de terre à melon, le tout passé par le crible ; ou d'une terre franche sablonneuse à laquelle on ajoute une égale quantité de terre à melon, le tout mêlé ensemble & criblé. Au reste, toutes les terres composées & les mêlanges doivent rester quelque tems en monceaux, afin que leurs différentes parties puissent s'incorporer bien ensemble, avant que l'on en fasse usage. Il nous reste à parler de la maniere de faire fleurir les oreilles d'ours : la voici.

Mettez des pots sur des tablettes les uns au-dessus des autres, dans un endroit du jardin où ils ne puissent avoir que le soleil du matin ; à mesure que ces fleurs se couvrent d'une espece de duvet velouté, qui contribue beaucoup à en augmenter la beauté, il faut les couvrir pendant les pluies, qui seroient capables de détruire ce duvet & de fanner leurs couleurs. La saison favorable pour diviser leurs racines, est lorsqu'elles sont en fleur, ou vers la fin du mois de Juillet.

Les curieux fleuristes sont avertis de ne pas donner trop d'humidité en hiver aux oreilles d'ours, d'en enlever sans cesse les feuilles pourries, de ne pas laisser passer à ces fleurs le mois de Janvier, sans ôter la terre usée d'autour des racines, & de remplir les pots de nouvelle terre préparée. Enfin, on peut consulter dans ce pays un traité fort détaillé sur la culture de l'oreille d'ours. Il est imprimé à Paris, en 1745, en 2 vol. in -12. (D.J.)

OREILLE DE RAT, (Botan.) voyez PILOSELLE, (Botan.)

OREILLE DE SOURIS, myosotis, genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposées en rond. Le pistil sort du calice & devient dans la suite un fruit qui ressemble à une corne de boeuf, & qui s'ouvre par la pointe ; il renferme de petites semences, le plus souvent arrondies & attachées à un placenta. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.

OREILLE DE SOURIS (Mat. médic.) oreille de rat, piloselle, est très-amere ; elle est comptée parmi les plantes astringentes, vulnéraires, & détersives. Les Médecins botanistes vantent beaucoup son extrait & son suc pour la guérison des ulceres internes, & sur-tout de la phthisie & de la dyssenterie. Ils recommandent aussi ce remede comme capable de nettoyer les reins & la vessie des petits graviers qui occasionnent plusieurs maladies graves de ces organes, & pour guérir la jaunisse, les obstructions, les rétentions de regles, &c. Ils donnent pour un remede éprouvé contre la fievre tierce une forte infusion de cette plante dans le vin blanc prise à la dose d'environ huit onces, une heure avant l'accès.

Les feuilles d'oreille de souris entrent dans le baume vulnéraire de la pharmacopée de Paris, en sont un ingrédient inutile. (b)

OREILLE, (Conchyliol.) on appelle oreille en Conchyliologie, une ou deux parties plates & saillantes de celles de la charniere d'une coquille, sur-tout de celle qui est nommée peigne. Il faut distinguer les oreilles des aîles ; car aîles se dit de l'extension d'une des levres de la bouche d'une coquille ; on dit, par exemple, un murex aîlé, & l'on ne doit pas prendre cette aîle pour une oreille. (D.J.)

OREILLE DE MER, (Conchyliol.) nom que l'on a donné à un genre de coquillage de la classe des univalves, à cause de la grande ressemblance qu'il a par sa forme avec l'oreille de l'homme ; on ne le trouve en France que sur les côtes de Bretagne, il se tient de même que le lepas attaché contre les rochers ; sa coquille est percée de sept trous pour l'ordinaire. Tant qu'il est jeune, il y en a moins ; mais à mesure que la coquille augmente il se forme un nouveau trou. Voyez COQUILLAGE & COQUILLES.

Aldrovandus & Rondelet ont appellé l'oreille de mer, patella fera ; ce qui la confond avec la patelle : ils l'ont mise encore parmi les bivalves, quoique rien ne fût plus opposé.

Son nom françois lui vient de sa ressemblance avec l'oreille humaine : il y a des endroits où on l'appelle ormier ; Bélon la nomme le grand bourdin ; & les Hollandois, stockfiche.

Les oreilles de mer donnent quelquefois de petites perles, dont on voit les semences dans le milieu de leur cavité, qui présente un fort bel orient. Cette partie est traversée dessus & dessous par de grandes rides ou des ondes, qui se terminent en-dehors à un oeil formant une espece de volute, avec un rebord applati d'un côté, & de l'autre tout uni. Les oreilles ont un rang de trous ronds, dont il y en a ordinairement six d'ouverts. Quand le poisson veut augmenter sa coquille pour couvrir l'augmentation de sa chair, il fait un nouveau trou & en ferme un autre.

Lister met l'oreille de mer parmi les turbinées ou contournées : il dit, turbinatorum more claviculatim contorquetur, adeò ut ab aliquibus univalvibus malè annumerata est. Sur ce principe, toutes les coquilles seront turbinées, jusqu'à la porcelaine, qui a une pyramide ou clavicule contournée, qui est applatie, & qui rentre en elle-même vers son sommet.

Parmi les diverses especes d'oreille de mer, on compte 1°. l'oreille percée à six trous ; 2°. la polie ; 3°. la verte ; 4°. la rougeâtre ; 5°. celle qui est tachetée de brun & de verd ; 6°. de forme longue ; 7°. l'oreille de mer sans trous & qui n'est point nacrée, ayant une volute en-dedans détachée de son bord.

Ce coquillage n'est pas moins connu que le lepas ; mais il ne se trouve pas si communément, nous ne l'avons en France que sur les côtes de Bretagne. Le poisson de cette coquille est ordinairement attaché au rocher à fleur d'eau, & s'y tient si fortement cramponé, qu'on a encore plus de peine à détacher sa coquille que le lepas. Il meurt incontinent après qu'on l'a détaché du rocher ; il fait quelques mouvemens, en allongeant sa tête & ses barbes qui sont au-haut de sa circonférence. Sa chair est jaunâtre & bonne à manger. On lui remarque une tête ronde, tranchée sur le dessus, avec une bouche garnie de quatre cornes, dont deux plus grandes sont peu distantes des deux autres. Les deux yeux ou points noirs sont placés au sommet des deux plus petites cornes.

Il rend ses excrémens par les trous qui sont sur la superficie de sa coquille ; & ses principaux visceres sont logés sur la bordure. Lorsqu'il est en marche, son pié déborde beaucoup la superficie de sa coquille qui est revêtue de légers sillons, lesquels tournent autour de la robe en forme de deux rangs fraisés, & vont se perdre au sommet. Sa couleur ordinairement très-variée est d'un cendré noir ; mais il y en a de vertes, de rougeâtres, avec une très-belle nacre en-dedans. Dargenville, Conchyliologie. (D.J.)

OREILLE, (Critique sacrée) ce mot se prend d'ordinaire métaphoriquement dans l'Ecriture : il signifie quelquefois exaucer. Verba mea auribus percipe Domine, Ps. v. 1. Seigneur exaucez nos prieres. 2°. Il signifie un entier dévouement : Sacrificium & oblationem noluisti, aures autem perfecisti mihi, Ps. xxxix. 7. Vous n'avez voulu ni sacrifice ni oblation, mais vous m'avez donné des oreilles parfaites. L'hébreu porte fodisti, par allusion à la coutume de percer avec une alêne l'oreille du serviteur, qui renonçoit au privilege de l'année sabbatique, & se consacroit au service de son maître pour toujours. 3°. Aures zeli audit omnia, Sap. j. 10. L'oreille de Dieu, qui s'appelle un Dieu jaloux, entend tout. 4°. Revelare aurem, déclarer une chose inconnue. Si perseveraveris, revelabo aurem tuam, I. Regum, xx. 13. Si le mauvais dessein de mon pere continue toujours contre vous je vous en donnerai avis, dit Jonathas à David. 5°. Erigere aurem, exciter à entendre avec docilité. Erigit mihi aurem, ut audiam quasi magistrum, Is. I. 4. Le Seigneur me touche l'oreille, afin que je l'écoute comme un maître. 6°. Le Seigneur dit à Isaïe ; laissez l'oreille de ce peuple s'appésantir, c'est-à-dire, laissez-le endurcir son coeur. (D.J.)

OREILLES DE L'ANCRE, (Marine) c'est la largeur des pattes de l'ancre. Voyez ANCRE. (Q)

OREILLE DE LIEVRE, (Marine) une voile appareillée en oreille de lievre est une voile latine, ou à tiers point ; ce qui la rend différente des voiles à traits quarrés. (Q)

OREILLE, terme d'Arts & de Métiers ; il y a quantité de choses dans les Arts & Métiers auxquelles les ouvriers donnent ordinairement le nom d'oreilles, soit parce qu'elles ont quelque sorte de ressemblance, bien qu'éloignée, avec les oreilles naturelles, soit seulement à cause qu'elles sont doubles comme elles.

Les oreilles d'un ancre sont les deux bouts plats & pointus faits en langue de chat, qu'on appelle aussi pattes, qui lui servent à mordre & à tenir dans le sable.

Les oreilles d'un minot à mesurer les grains, sont les deux pieces plates qui sont attachées au ceintre pour y affermir la potence.

Les oreilles d'un chauderon, d'un sceau, d'une marmite, sont les morceaux de fer plat, dans lesquels l'anse est mobile.

On dit aussi les oreilles d'une écuelle, les oreilles d'un soulier, les oreilles d'un peigne, les oreilles d'un ballot, & quelques autres. Comme celles du peigne & du ballot semblent plus considérables que les autres par rapport au commerce ; l'on en a fait des articles particuliers. Savary. (D.J.)

OREILLES, (Hydr.) on dit les oreilles ou les oreillons d'une piece d'eau en miroir ; ce sont les petites parties échancrées & en retour, qui se joignent à celles qui sont ceintrées.

OREILLE, terme d'Architecture, est le racord de deux moulures, qui tend à former un angle droit, par une forme circulaire de quart de cercle, soit en-dedans, soit en-dehors.

OREILLE, (Partie du métier à bas.) Voyez à BAS, METIER A BAS.

OREILLE, en terme de Bourserie, ce sont de petits tirans qui tiennent au dos d'un étui à livre, & qui en couvrent la tranche jusque sous la patte de l'étui. Voyez PATTE.

OREILLE DE CHARRUE, (Agriculture) les Laboureurs appellent ainsi la partie de la charrue à laquelle quelle est attaché le soc, & qui sert pour tourner la terre que le soc a fendue. En plusieurs endroits l'oreille de la charrue est un petit ais triangulaire qui s'applique à la partie où se met le soc ; ensorte que par sa pointe il y sort attaché avec un crochet de fer qui est à cette pointe, & que l'on engage dans un anneau qui est proche du soc ; par l'autre bout elle s'en éloigne au moyen d'une cheville de bois, longue d'environ un pié. Ainsi l'oreille fait un angle aigu avec la partie de la charrue qui porte le soc. Cette oreille est mobile, & se met tantôt d'un côté, & tantôt d'un autre. On la change quand le sillon est achevé, & que l'on veut tourner pour en commencer un autre, afin qu'elle soit toujours en-dedans des sillons. Dans d'autres endroits, c'est la partie postérieure du bois même auquel le soc se met, & que l'on peut appeller le manche du soc, qui s'élargit, mais qui est immobile. Alors il faut labourer à deux rangs de sillons, l'un à droite, & l'autre à gauche, afin que cette oreille, qui ne se peut changer, soit toujours en-dedans du sillon, & qu'elle rejette sur les sillons déja tracés, & non pas sur la terre non encore labourée, celle que le soc coupe à mesure qu'il avance. Voyez les Pl. d'Agricul. (D.J.)

OREILLE DE FRISQUETTE, terme d'Imprimerie. voyez LANGUETTE.

OREILLES, terme d'emballeur, ce sont des morceaux de toile qu'on ménage aux quatre coins d'un ballot ou d'une balle, lorsqu'on en fait l'emballage, afin que les crocheteurs, forts, ou gagne-deniers, qui ont coutume de les charger ou décharger, ayent plus de prise pour les remuer & changer de place. On leur a donné le nom d'oreilles, parce qu'en effet ils ont quelque ressemblance avec celles des animaux qui les ont les plus grandes.

OREILLES, (Luth.) ce sont dans les jeux de l'orgue de petites lames de plomb e d, fig. 32. Pl. d'orgue, minces & flexibles, que l'on soude aux deux côtés de la bouche des tuyaux bouchés & à cheminées, & qui servent à les accorder. On fait baisser les tuyaux de ton en inclinant les oreilles vers la bouche ; ce qui allonge le chemin que le vent qui anime le tuyau est obligé de faire avant de frapper l'air extérieur, & diminue la fréquence de ces vibrations. Au contraire, lorsqu'on écarte les oreilles, le chemin que le vent qui remplit le tuyau doit faire est d'autant raccourci, & qu'à vîtesse égale, les tems sont comme les espaces à parcourir. La fréquence des vibrations de l'air est augmentée ; ce qui fait hausser le tuyau de ton. Au moyen de ces deux opérations, il est facile d'accorder tel tuyau que l'on veut ; car s'il est trop bas, en levant les oreilles petit-à-petit, on le fait facilement venir à l'accord qu'il doit faire. Si au contraire il est trop haut, on le fera baisser en ouvrant les oreilles jusqu'à ce qu'il soit d'accord. Voyez PARTITION.

OREILLE, (Maréchallerie) les oreilles du cheval doivent être petites, placées haut & droites. Boiteux de l'oreille, voyez BOITEUX. Redresser les oreilles, voyez REDRESSER. Regarder entre les deux oreilles, voyez REGARDER. Couper les oreilles, voyez COUPER. Aller de l'oreille, voyez ALLER. Le bouquet sur l'oreille, est une marque que l'on met à l'oreille d'un cheval pour marquer qu'il est à vendre.

OREILLES, (Menuiserie) sont les pieces qu'on met dans les angles pour les arrondir.

OREILLE, en terme de Potier, c'est une espece de manche qui ne differe du manche proprement dit, que par sa forme qui est applatie & arrondie sur le bout extérieur ; l'oreille a le même usage que le manche. Voyez MANCHE.

OREILLES, (Serrurerie) parties saillantes qu'on laisse excéder le corps de l'ouvrage, & qui servent de guides à une autre piece, comme dans les cadenats d'Allemagne, les quatre éminences qui sont sur la tête du cadenat, entre lesquelles passent les branches du crampon.

OREILLES, (Blason) ce sont deux petites pointes qui sont au-haut des grandes coquilles, comme à celles de saint Jacques. Ce mot se dit encore des grandes coquilles quand elles ont des oreilles aussi d'émail différent. Menétrier. (D.J.)


OREILLÉadj. en termes de Blason, se dit des dauphins & des coquilles dont les oreilles sont d'un émail différent de celui de leurs corps. Feydeau, à Paris, d'azur au chevron d'or, accompagné de trois coquilles d'or.


OREILLERS. m. (Gram.) espece de sac quarré de grosse toile cirée, qu'on remplit de plumes ou de duvet, & qu'on recouvre d'une autre toile plus fine, qu'on appelle la taye de l'oreiller. L'oreiller se place sur le chevet du lit, & tient la tête élevée.

OREILLER, en Architecture, voyez COUSSINET DE CHAPITEAU.

OREILLER, (Boutonnier) qu'on appelle aussi coussinet, ou carreau, terme de Passementiers Boutonniers, pour désigner une sorte de petit pupitre quarré fait de bois leger plus long que large, & recouvert pour l'ordinaire d'une étoffe verte, rembourrée un peu ferme. L'oreiller se place sur les genoux, & sert à fabriquer à la main avec des fuseaux & des épingles, des dentelles, guippures, & autres ouvrages semblables, dépendans du métier des Boutonniers.

OREILLER, terme de Couteliers, est une espece de coussin de toile, rempli de paille d'avoine ou de bourre, que ces ouvriers mettent sur le chevalet de leur roue à remoudre, afin de n'en être pas incommodés dans la situation contrainte où ils sont en rémoulant.


OREILLEREvoyez PERCE-OREILLE.


OREILLETTES. f. en Anatomie, nom de deux cavités situées à la base du coeur. Voyez COEUR.

Ce mot est dérivé du latin auricula, petite oreille, diminutif de aures, qui signifie les oreilles.

Les oreillettes sont deux sacs musculeux situés à la base du coeur, l'un du côté du ventricule droit, l'autre du côté du ventricule gauche, & unis ensemble par une cloison interne & par des fibres communes externes, à-peu-près comme les ventricules. On appelle aussi l'un l'oreillette droite, & l'autre l'oreillette gauche.

L'oreillette droite est plus ample que l'oreillette gauche, & elle s'abouche avec le ventricule du même côté. Elle a encore deux ouvertures formées par la rencontre de la veine cave ascendante & de la descendante qui y aboutissent.

L'oreillette gauche est un grand sac auquel s'abouchent quatre veines appellées veines pulmonaires. Voyez PULMONAIRE. (L)

OREILLETTE, (Botan.) par les Botanistes, asarum. Voyez CABARET, (Botan.)

OREILLETTE, (Orfévrerie) petit cercle de métal, que les femmes qui ne veulent pas se faire percer les oreilles, y appliquent pour soutenir les boucles & les pendans d'oreilles. (D.J.)


OREILLONSS. m. pl. nom que le vulgaire donne aux tumeurs des parotides, parce qu'elles viennent autour des oreilles. Voyez PAROTIDES.

Les parotides sont ordinairement des tumeurs inflammatoires ou fort dures ; & l'on donne plus particulierement le nom d'oreillons à des engorgemens lymphatiques qui ressemblent plutôt à un oedème qu'à un phlegmon, & dont le siége paroît plutôt dans le tissu cellulaire qui avoisine la glande maxillaire ou la parotide, qu'attaquer le corps même de ces glandes. Les enfans sont sujets aux oreillons ; c'est la lymphe stagnante qui les produit. Les ptisanes purgatives détournent l'humeur des oreillons naissans. Les cataplasmes résolutifs y sont fort convenables, quand l'embarras cause de la douleur par tension ; la laine imbibée de parties égales d'huiles de lis & de camomille calme & détend : ce topique aidé du régime & des purgatifs suffit communément à la cure des oreillons. J'ai vû une constitution épidémique où après quelques accès de fievre, sans aucun mauvais symptome, il survenoit des oreillons ; ceux qu'on différoit de purger se trouvoient attaqués d'une fluxion sur les testicules par la disposition spontanée des oreillons. Les pilules mercurielles parurent le purgatif le mieux indiqué ; il réussissoit mieux que les autres, & procuroit plus promptement la résolution parfaite des engorgemens contre lesquels on les administroit. (Y)

OREILLONS, en Architecture, voyez CROSSETTES & OREILLES.

OREILLONS, (Menuiserie) ce sont des retours aux coins des chambranles de portes ou de croisées ; on les appelle aussi crossettes. (D.J.)

OREILLONS ou OREILLONS, terme de Mégisserie, ce sont les rognures de cuir ou peaux de boeufs, vaches, veaux, moutons, &c. dont on se sert pour faire la colle forte ; on les appelle oreillons, parce que les oreilles de ces animaux se trouvent en quantité parmi ces rognures ; ensorte que le tout a pris sa dénomination d'une partie, ou parce qu'en effet les plus grands morceaux de ces rognures ne le sont pas plus que les oreilles de ces bêtes. (D.J.)


ORELvoyez AIGLE.


OREMBOURG(Géog. mod.) petit pays nouvellement formé, appartenant à la Russie, & qui est situé au sud-est du royaume d'Astracan ; on y a bâti en 1734 sur le bord du fleuve Jaïk, une ville qui porte le nom d'Orembourg ; cette contrée est hérissée des branches du mont-Caucase. Des forteresses élevées de distance en distance, défendent les passages des montagnes & des rivieres qui en descendent. C'est dans cette région, auparavant inhabitée, qu'aujourd'hui les Persans viennent déposer & cacher à la rapacité des brigands, leurs effets échappés aux guerres civiles. La ville d'Orembourg est devenue le refuge des Persans, & de leurs fortunes, & s'est accrue de leurs calamités ; les Indiens, les peuples de la grande Buckarie y viennent trafiquer ; elle devient l'entrepôt de quelques pays désolés de l'Asie. Hist. de Russie, par M. de Voltaire. (D.J.)


ORENOQUE(Géog.) plusieurs géographes écrivent Orinoque, grand fleuve de l'Amérique méridionale dans la terre ferme. Christophe Colomb découvrit le premier cette riviere à son troisieme voyage en 1498, & Diego de Orgas y entra le premier en 1531.

L'Orenoque a sa source dans le Popayan, province de l'Amérique méridionale au nouveau royaume de Grenade entre l'audience de Passama, celle de Quito, & la mer du Sud. Il coule du couchant au levant dans le vaste pays de la nouvelle Andalousie, où il se sépare en deux branches ; l'une descend vers le midi & perd son nom ; l'autre qui le conserve, tourne vers le septentrion, & va se jetter dans la mer du nord. Il forme à son embouchure un tel labyrinthe d'îles, que personne n'est d'accord sur le nombre exact des bouches de ce fleuve. Ce qu'il y a de certain, c'est que la plus grande bouche de l'Orenoque qu'on appelle bouche des vaisseaux, est située à 8 degrés 5'de latitude, & à 318 de longitude.

Il y a soixante-cinq brasses de fond dans certains endroits, & quatre-vingt lorsque les eaux viennent à croître ; son étendue, sa largeur & sa profondeur sont si considérables, qu'il paroît qu'on peut le joindre aux trois fleuves que les géographes nous donnent, comme les trois plus grands du monde connu ; savoir, le fleuve Saint-Laurent dans le Canada, celui de la Plata dans le Paraguay, & le Maragnon dans les confins du Brésil.

Nous avons aujourd'hui des connoissances certaines de la communication de Rio negro ou la riviere Noire, avec l'Orenoque, & par conséquent de l'Orenoque avec le fleuve des Amazones. La communication de l'Orenoque & de la riviere des Amazones avérée en 1743, peut d'autant plus passer pour une découverte en Géographie, que quoique la jonction de ces deux fleuves soit marquée sans aucune équivoque sur les anciennes cartes, tous les géographes modernes l'avoient supprimée dans les nouvelles, comme de concert, & qu'elle étoit traitée de chimérique par ceux qui sembloient devoir être le mieux informés des réalités. Ce n'est pas la premiere fois, dit M. de la Condamine, que les vraisemblances & les conjectures purement plausibles l'ont emporté sur des faits attestés par des relations de témoins oculaires, & que l'esprit de critique poussé trop loin, a fait nier décisivement ce dont il étoit tout au plus permis de douter.

Mais comment se fait cette communication de l'Orenoque avec la riviere des Amazones ? Une carte détaillée de la riviere Noire ou rio Negro, que nous aurons quand il plaira à la cour de Portugal, pourroit seule nous en instruire exactement. En attendant, M. de la Condamine pense que l'Orenoque, la riviere Noire & l'Yutura, ont le Caquétat pour source commune. Voyez les Mém. de l'académie des Sciences, année 1745. p. 450. (D.J.)


ORENSE(Géog.) ancienne ville d'Espagne dans la Galice, avec un évêché suffragant de Compostelle. Elle est renommée par ses bains que les Romains ont connu, & qui ont valu à ce lieu le nom de aquae calidae. Une partie de cette ville qui est au pié d'une montagne éprouve la rigueur des hivers, tandis qu'en un autre quartier on jouit des douceurs du printems. Elle est sur le Minho, que l'on y passe sur un pont à 19 lieues S. E. de Compostelle, 26 N. O. de Bragance, 92 N. O. de Madrid. Long. 10. 8. lat. 42. 16. (D.J.)


OREOLvoyez MAQUEREAU.


OREONS. m. (Botan.) nom donné par les anciens à une plante, que nous avons quelque lieu de supposer être l'equisetum ; ils disent du moins qu'elle croissoit sur les montagnes dans les endroits humides : de plus, leurs descriptions, & les vertus qu'ils lui attribuent conviennent à celles de notre grande prêle. (D.J.)


OREOSELINUM(Botan.) Tournefort compte quatre especes de ce genre de plante, que nous nommons en françois persil de montagne. La plus commune est appellée oreoselinum, apii folio, majus, I. R. H. 318.

Cette plante pousse des feuilles férulacées, à la hauteur de quatre ou cinq piés, divisées en aîles : les feuilles sortent les unes de sa racine, les autres de ses tiges, grandes, amples, ressemblant à celles du persil, attachées à des queues longues. Ses fleurs naissent sur de grands parasols aux sommets des tiges & des branches, petites, blanches, composées chacune de cinq feuilles disposées en rose : quand ces fleurs sont passées, il leur succede des semences jointes deux à deux, larges, ovales, applaties, rayées sur le dos, bordées d'une membrane de couleur rougeâtre. Ses racines sont attachées plusieurs à une tête, longues, grosses comme le petit doigt, s'étendant beaucoup dans la terre, noires en-dehors, blanches en-dedans, empreintes d'un suc mucilagineux d'un goût résineux, mais aromatique & agréable, approchant de celui du panais. Cette plante croît aux lieux montagneux parmi les pâturages ; elle passe pour incisive. (D.J.)


ORESCA(Géog.) ville de l'empire Russien, en Carélie, sur la côte occidentale du lac de Ladoga, dans une île formée par la Neva. Elle a un fort bâti par Pierre le Grand, pour la défense de Saint-Pétersbourg. (D.J.)


ORESTAE(Géog. anc.) ancien peuple de la Grece, dans la Molosside, qui du tems de Strabon faisoit partie de l'Epire ; c'est pour cela qu'il compte ce peuple entre les Epirotes. Leur pays étoit nommé Orestide ou Orestiade. Tite-Live dit, que les Orestiens ou les Orestes, ayant été les premiers à quitter le parti de Philippe, les Romains leur accorderent la liberté de se gouverner par leurs propres lois. (D.J.)


ORESTEPORT D ', (Géog. anc.) en latin Orestis portus ; port de la grande Grece, au pays des Brutiens, sur la côte occidentale de la Calabre ultérieure. Quelques géographes croyent que c'est aujourd'hui Porto Ravaglioso. (D.J.)


ORETAE(Géog. anc.) Denis le Périégete les nomme Oritae ; les Oretes ou Orites étoient des peuples, entre la Perse & les Indes, aux confins de la Carmanie : aussi Lucain, l. III. vers. 249. a joint ces pays ensemble.

Tunc furor extremos movit Romanus Oretas,

Carmanos que duces.

Les Orètes prenoient leur nom de la ville d'Ora, que Ptolémée place dans la Carmanie. (D.J.)


ORÉTAINSLES (Géog. anc.) Oretani ; ancien peuple de l'Espagne Tarragonoise, dont Ptolémée vous indiquera les villes. La capitale nommée Oretum, étoit dans la campagne de Calatrava, sur la Guadiana, & a été épiscopale.

Les Oretana juga de Pline, sont aujourd'hui nommés par les Espagnols la Sierra de Alcaras. (D.J.)


ORÉXIES. f. (Médec.) appétit presque continuel dans l'état de santé, & qui n'est accompagné d'aucun fâcheux symptome, comme dans la faim canine & la boulimie.

Les personnes qui ont cette faim vorace deviendroient même malades si elles ne prenoient souvent de la nourriture. Sennert rapporte l'histoire d'un écolier d'un tempérament mélancholique, qui se portoit d'ailleurs à merveille, mais qui avoit besoin de manger le jour & la nuit. Les mets délicats ne pouvoient pas le rassasier, il lui falloit des mets solides & difficiles à digérer, comme, par exemple, du gros pain dont se nourrissent les paysans.

M. de Thou, hist. t. I. p. 101, cite l'exemple de M. de Beaulne de Samblançay, archevêque de Bourges, son parent & son ami, avec lequel il vivoit. M. de Beaulne avoit besoin d'un aliment presque continuel pour entretenir sa santé. A peine dormoit-il tous les jours quatre heures, au bout desquelles le besoin de manger le réveilloit : à deux heures après minuit il se faisoit apporter à manger, & expédioit ses affaires particulieres jusqu'à quatre heures, qu'il se remettoit à table ; à huit heures, on le servoit pour la troisieme fois. Il rentroit chez lui pour dîner à midi, il mangeoit encore à quatre heures & le soir. Avec tout cela on ne le vit jamais plus assoupi, ni la tête plus embarrassée, que s'il étoit très-petit mangeur.

Cette faim dévorante peut être causée par les vers. On en trouve des exemples dans plusieurs auteurs, & en particulier dans Tralianus & dans Nicolus. L'expérience journaliere confirme leurs observations, & la théorie découvre la cause de cette voracité. 1°. Les vers privent alors le corps d'une partie du suc nourricier que lui auroient fourni les alimens. 2°. Par l'agitation des vers, l'estomac est mis en action, les houpes nerveuses sont chatouillées ; ce sentiment oblige ceux qui ont des vers à prendre continuellement des alimens. 3°. Par cette agitation, l'estomac se vuide, & devient plus exposé aux impressions de la faim.

Mais on trouve aussi dans la construction du corps humain des causes particulieres qui peuvent produire dans certains sujets un appétit dévorant ; comme la grandeur de l'estomac, la grosseur du foie, l'abondance de la bile, & autres jeux de la nature telle que la forme des intestins qui sont plus courts & ont moins de circonvolutions. Il est rapporté par Antoine de Pozzis qu'une femme qui étoit tourmentée d'un appétit dévorant, n'avoit que trois intestins très-courts. Cabrol nous a laissé une semblable observation dans un homme famélique. On peut ajouter à ces observations un fait assez constant, c'est que les animaux sont plus voraces à proportion que leurs intestins sont plus courts, & ont moins de circonvolutions.

La masse du foie peut encore être regardée comme une des causes de voracité. Gemma, Argentier & Bartholin confirment cette théorie par la dissection des cadavres de personnes faméliques, & la théorie s'accorde avec leurs observations ; car lorsque le foie a un grand volume, il s'y filtre beaucoup plus de bile, & une bile plus âcre, parce que la chaleur de ce viscere est plus considérable ; or cette âcreté & la grande quantité de bile forment un aiguillon plus vif, cet aiguillon donne plus de mouvement à l'estomac & aux intestins ; d'où l'on est plutôt affamé. On peut rapporter ici l'observation de Vesale sur un forçat extrêmement vorace, il trouva à l'ouverture du cadavre que par une conformation particuliere la bile se dégorgeoit dans l'estomac ; or, dans ce cas, ce viscere étant exposé à l'action de la bile, devoit se vuider plus promptement.

Nous trouvons dans divers écrits des médecins, que le volume excessif de la rate & la grosseur de la veine splénique avoient produit la voracité. Nous remarquerons aussi que les animaux auxquels on enleve la rate deviennent extrêmement voraces ; cela peut venir de l'action des nerfs qu'on a blessés, & du surplus de sang que reçoit l'artere gastrique, cette action d'excès dans les nerfs s'étend sur le ventricule ; d'ailleurs le sang qui a séjourné dans la rate qui se trouve d'un volume considérable, forme dans le foie une bile plus âcre & plus abondante, l'estomac & les intestins doivent donc se vuider plus promptement.

Il n'est pas étonnant que les mélancholiques ayent beaucoup d'appétit, ou du-moins qu'un appétit dévorant les tourmente quelquefois ; le sang s'accumule dans leurs visceres & il y séjourne long-tems, ils sont donc dans le cas de ceux qui ont le volume de la rate fort gros. C'est pour cela encore qu'on ne doit pas être surpris, si dans des estomacs faméliques on a trouvé des sucs noirâtres, c'est-à-dire des sucs qui sont tels que ceux qu'on trouve dans les visceres des mélancholiques.

L'oréxie, ou la faim immodérée qui vient des vers qui consument le chyle, se guérit en détruisant ces insectes. On peut en connoître la cause par les symptomes qui leur sont propres. Celle qui vient de l'acidité ou âcreté des humeurs se guérit par les remedes qui corrigent cette acidité ou cette âcreté. Villanovanus rapporte qu'un homme se guérit de sa faim dévorante en mangeant du pain chaud trempé dans du marc d'huile. La voracité causée par l'action de la bile sur l'estomac se tempere par les acides. En général l'oréxie naturelle est une maladie fort rare ; il faut bien la distinguer de la boulimie & de la faim canine, avec lesquelles on la confond d'ordinaire. Voyez FAIM CANINE. (D.J.)


ORFA(Géogr.) M. Delisle dit Ourfa, ville d'Asie à l'Orient de l'Euphrate dans le Diarbeck ; Thévenot l'a décrite comme elle étoit de son tems ; nous dirons seulement que c'est l'ancienne ville d'Edesse. Voyez EDESSE. Orfa est située à 33 lieues N. E. d'Alep. Long. 55. 20. latit. 36. 20. (D.J.)


ORFEVRES. m. artiste, fabriquant & marchand tout ensemble, membre d'un des six corps des marchands de la ville de Paris, qui a la faculté de vendre, acheter & fabriquer toutes sortes de vaisselle, ouvrages & bijoux d'or & d'argent.

Le terme d'orfévre a son étymologie dans les deux mots or & fabriquant, procédante & imitée du latin auri faber, fabriquant en or.

Les Orfévres se nomment Orfévres, Jouailliers, Bijoutiers : on entend assez communément par orfévre simple celui qui ne se mêle que de fabriquer ou vendre de la vaisselle d'argent ; par orfevre-bijoutier, celui qui vend ou fabrique les bijoux d'or ; & par orfevre-joyaillier, celui qui vend & met en oeuvre les diamans, perles & pierres précieuses : le droit exclusif à tous autres qu'ont les Orfévres de monter & mettre en oeuvre les diamans, leur a fait donner le surnom de metteur-en-oeuvre.

Cet art a de tous les tems été considéré & protégé : dès que l'or & l'argent ont été connus, des artistes se sont formés pour employer ces précieux métaux, dont on n'a d'abord destiné l'usage qu'au service des temples, sur les autels des dieux, & à augmenter la splendeur des souverains ; mais les richesses s'étant accrûes, & le luxe avec elles, les Orfévres se sont multipliés, leur art s'est perfectionné, & dans le dernier siecle (pour nous conformer à l'expression de l'illustre écrivain qui nous en a tracé le tableau) de simples orfévres ont mérité de faire passer leurs noms à la postérité & de s'immortaliser, tels que les Germains & les Ballins, &c. & c'eût été en effet une injustice de refuser à ces grands hommes le tribut de louange qui leur étoit dû : ni eux, ni les artistes célebres qui les remplacent aujourd'hui, tels que les sieurs Roettiers & Germain, n'ont atteint ce haut degré de perfection où ils sont parvenus, qu'à force d'étude & de travaux : quoique nés avec un génie mâle, il leur a fallu d'abord savoir dessiner & modeler, joindre à ces premieres études celles de l'Architecture & de la Perspective, pour savoir donner à leurs ouvrages & de belles formes & de justes proportions. S'ils n'eussent été consommés dans ces sciences, bases de tous les arts, on n'eût jamais vû sortir de leurs mains ces productions savantes qui ont embelli leur patrie, orné les cours étrangeres, consacré la réputation de l'Orfévrerie de Paris, & décidé sa supériorité sur toutes les Orfevreries de l'univers. A ces connoissances qui eussent suffi pour faire un bon sculpteur, il leur a encore fallu joindre d'autres détails, comme de savoir cizeler, graver, retraindre &c. toutes opérations méchaniques, mais nécessaires pour parvenir à ces brillantes exécutions où se développe tout le goût de l'artiste, comme son génie se déploye dans la composition. La préparation de l'or & de l'argent n'a pas été même pour eux un objet indifférent, en effet ces métaux renferment souvent dans leur sein des parties hétérogenes qui en alterent la pureté & la ductilité ; savoir les en dépouiller & les allier en qualité & quotité convenables sont des fruits de l'étude de la Métallurgie & de la Docimasie, dont il convient qu'un orfévre soit instruit : que tout orfévre qui veut se distinguer sache que la réunion de toutes ces études firent les grands hommes que nous avons cités, ce qu'ils parurent, & que cette carriere épineuse qu'ils remplirent avec honneur, est la seule que doivent courir ceux qui se proposent d'acquérir une gloire semblable à la leur.

Chaque orfévre a un poinçon à lui particulier, composé des lettres initiales de son nom, d'une devise, d'une fleur de lis couronnée, & de deux petits points ; il lui sert comme de signature & de garantie envers celui qui achete les ouvrages de sa fabrique ; lors de sa reception à la cour des monnoies, il est obligé de donner une caution de 1000 liv. pour répondre des amendes qu'il pourroit encourir, s'il étoit surpris en contravention aux réglemens sur le titre des matieres ; ce poinçon est insculpé sur une planche de cuivre déposée au greffe de la cour des monnoies, & sur une autre planche de cuivre déposée au bureau des Orfévres, pour y avoir recours en cas de contestation, soit par voie de comparaison ou de rengrênement. Indépendamment du poinçon de chaque orfévre, il y a encore trois autres poinçons qui doivent être apposés sur les ouvrages de la fabrique de Paris ; savoir, le poinçon de charge, le poinçon de la maison commune, & le poinçon de décharge.

Tous ces poinçons s'appliquent en différens tems, & pour causes différentes : dès qu'un orfévre veut fabriquer une piece d'or ou d'argent, il l'ébauche au marteau ; il met alors son poinçon dessus, qui constate que cette piece est de sa fabrique ; il la porte ainsi revêtue de son poinçon au bureau du fermier des droits du roi, où il signe une soumission de rapporter cette piece lorsqu'elle sera finie, pour acquiter les droits, que le roi préleve dessus en vertu de ses édits & à raison du poids de ladite piece ; le fermier applique alors dessus cette piece un poinçon, que l'on appelle poinçon de charge, parce qu'il charge le fabriquant des obligations ci-dessus expliquées. La piece revêtue de ce second poinçon passe au bureau des Orfévres, appellé maison commune : les gardes orfévres, préposés pour la police du corps, & singulierement pour l'essai des ouvrages, coupent un morceau de cette piece du côté qu'il leur plaît, l'essayent, & si la matiere est trouvée au titre qui est de 11 deniers 12 grains pour l'argent au remede de 2 grains de fin, de 20 karats un quart pour l'or au remede d'un quart de karat, & de 22 karats un quart au remede pareillement d'un quart de karat pour les grands ouvrages d'or, comme chandeliers, lampes &c. ils apposent alors leur poinçon dessus : c'est ce poinçon qui est toujours une lettre de l'alphabet couronnée, laquelle change tous les ans, qui est le garant du titre des ouvrages ; ce poinçon est aussi insculpé sur une planche de cuivre au greffe de la cour des monnoies & au bureau des Orfévres lors de l'élection des gardes, lesquels sont responsables en leurs propres & privés noms de la sûreté de ce poinçon, & s'il y avoit erreur ou contravention, on les poursuivroit extraordinairement : aussi si l'ouvrage n'est pas au titre prescrit, les gardes biffent les deux premiers poinçons, déforment la piece, & la rendent en cet état au fabriquant, en lui délivrant un bordereau du titre auquel sa matiere s'est trouvée, afin qu'il l'allie en la refondant, alors il est obligé de recommencer tout ce que dessus. Dans le premier cas où la piece ayant été trouvée au titre a été revêtue du poinçon de la maison commune, l'orfevre finit sa piece, la rapporte toute finie au bureau du fermier des droits du roi, paye les droits, acquite sa soumission qu'on lui rend acquittée, & on appose pour certificat du payement desdits droits un quatrieme & dernier poinçon, que l'on appelle à cause de cela poinçon de décharge : l'ouvrage en cet état peut être exposé en vente librement & sans crainte.


ORFEVRERIES. f. corps de l'Orfevrerie, sixieme & dernier corps des marchands de la ville de Paris. Le nombre des marchands de ce corps est fixé à trois cent. On l'appelle aussi Orfevrerie-Joyaillerie à cause du négoce, qu'ils sont en possession de faire de tous les tems des joyaux, diamans, perles & pierres précieuses.

Ce corps est très-ancien ; ses premiers statuts sont de l'année 1260, & paroissent avoir été dirigés sur d'autres beaucoup plus anciens. La délicatesse & le goût de l'Orfévrerie de Paris, joints à l'attention scrupuleuse que le gouvernement a toujours eu de veiller à la bonté du titre & à la bonne foi de cette branche de commerce, l'a mise en crédit chez l'étranger, & a fait regarder cette capitale comme supérieure aux autres Orfévreries de l'Europe. Voyez ORFEVRE. Il jouit de toutes les prérogatives des six corps des marchands, & l'on remarque singulierement que dans les entrées des rois, reines, ou légats, où les six corps ont le privilege de porter le dais sur les personnes, rois, reines ou légats, souvent on n'appelloit à ces cérémonies que 3, 4 ou 5 de ces corps, mais que jamais celui de l'Epicerie & de l'Orfévrerie n'ont été omis ; qu'il a fréquemment fourni des sujets pour les places municipales & jurisdictions consulaires, & qu'il est le seul au-moins depuis plus de 300 ans chez lequel on ait pris un prévôt des marchands en l'année 1570, qui se nommoit Claude Marcel, & étoit d'une famille ancienne de l'Orfévrerie ; ce corps a aussi donné des hommes d'un talent rare. Voyez ORFEVRE.

Voici quelques-uns de leurs statuts.

Ils sont obligés d'avoir leurs forges & fourneaux scellés en plâtre dans leurs boutiques à six piés de la rue & en vûe ; il leur est aussi défendu de travailler passé les heures indiquées par la police : l'objet de ce statut est de tenir continuellement les Orfévres en état d'être veillés par les préposés à la police du corps. Les préposés à la police du corps sont les officiers de la cour des monnoies & les gardes Orfévres.

Tous les ans on fait élection de trois Orfévres, d'un qui a déja été garde, & de deux autres qui n'ont point encore passé cette charge : leur exercice est de deux ans ; les trois nouveaux élus avec les trois de l'année précédente forment le college de six gardes, lesquels font les essais, assoyent la capitation, la perçoivent, visitent les atteliers & les ouvrages de leurs confreres, sans assistance d'aucun officier de police, toutesfois & quand ils le jugent à propos, & gerent toutes les affaires du corps : ils prêtent serment pour l'exercice de leurs fonctions à la cour des monnoies, & entre les mains du lieutenant-général de police.

Les contestations sur le fait de l'Orfévrerie se portent en ce qui concerne la police devant le lieutenant-général de police du Châtelet de Paris, & en ce qui concerne le titre des matieres & contraventions sur icelles en la cour des monnoies de Paris.

Les veuves des Orfévres peuvent tenir boutique ouverte, & faire le commerce de l'Orfévrerie : autrefois même elles avoient un poinçon ; mais lors du réglement de 1679, le ministere craignant qu'elles n'en abusassent, ou que n'étant pas assez instruites, elles ne compromissent trop facilement la réputation de leur poinçon, ordonna qu'aussi-tôt le décès d'un orfévre leurs veuves remettroient le poinçon de leurs maris pour être biffé, leur laissant néanmoins la faculté de faire fabriquer chez elles, en faisant marquer leurs ouvrages du poinçon d'un autre maître, lequel demeureroit garant des ouvrages revêtus de son poinçon, comme s'ils étoient de sa fabrique.

Les Orfévres qui ne tiennent pas boutique ouverte sont obligés de déposer leurs poinçons au bureau des Orfévres, pour y être enfermés & scellés jusqu'à ce qu'ils reprennent boutique.

Les Orfévres ont la faculté de graver tous leurs ouvrages, même sceaux, cachets, lames d'acier, en un mot, tout ce dont ils ont besoin pour l'ornement de leur fabrique.

Le commerce d'Orfévrerie est interdit à tous marchands assistans ou commerçans qui ne sont pas du corps, il est seulement permis aux marchands merciers de vendre la vaisselle ou autres ouvrages d'Orfévrerie venant d'Allemagne ou des pays étrangers, à la charge d'en faire la déclaration au bureau, où on met sur ces ouvrages un poinçon à ce destiné.

Il est défendu aux Orfévres d'acheter, fondre ou déformer aucunes especes d'or ou d'argent du royaume ayant cours ou décriées.

Les Orfévres sont aussi tenus, quand ils en sont requis, de donner des bordereaux des marchandises qu'ils vendent, contenant le poids, le titre, le prix de la matiere & de la façon séparés l'un de l'autre.

Les Orfévres sont exempts de toutes créations de maîtrises, aux joyeux avénemens à la couronne, entrées des rois, reines, ou autres grands avénemens. Il n'est point permis aux Orfévres de travailler dans les lieux privilégiés, & il est défendu aux chefs de tous lieux privilégiés quelconques de donner retraite chez eux aux ouvriers d'Orfévrerie sans qualité ou ayant qualité.

Le tems de l'apprentissage est de huit années ; on ne peut être reçu apprentif avant dix ans, & passé seize ans.

Les enfans des maîtres sont dispensés de l'apprentissage, & du compagnonage qui est de deux ans pour les apprentifs. On suppose, ce qui est assez naturel, qu'ils ont dû apprendre dans la maison paternelle l'art qu'ils veulent professer : au surplus ni les uns ni les autres ne sont admis sans chef-d'oeuvre ; il seroit à souhaiter qu'on y tînt une main bien sévere, & qu'on rétablît l'ancienne coutume d'exposer publiquement les chef-d'oeuvres des aspirans, la crainte d'éprouver une juste critique exciteroit l'émulation, effaroucheroit l'ignorance, & produiroit un effet utile au progrès de cet art.

Les Orfévres travaillans à la galerie du Louvre, ont droit de faire des apprentifs de tout âge ; au bout de six années de leur premier apprentif, ils peuvent en prendre un second ; leurs apprentifs sont astreints comme les autres à huit années d'apprentissage, mais ils sont reçus sans faire de chef-d'oeuvre & sans frais ; on suppose qu'ayant appris sous de si excellens maîtres, ils sont suffisamment capables. Les ouvriers qui ont travaillé pendant six ans dans la manufacture royale des Gobelins, sont reçus à la maîtrise d'Orfévrerie sans chef-d'oeuvre & sans frais. L'hôpital de Trinité jouit du droit de donner la maîtrise à deux ouvriers sans qualité tous les huit ans, travaillant l'un en or & l'autre en argent, pourvû qu'ils soient choisis par ledit hôpital, agréés sur leur chef-d'oeuvre par les gardes orfévres, & qu'ils ayent appris le métier à un enfant dudit hôpital : il y a aussi quatre privilégiés du roi, & deux du duc d'Orléans ; mais ces privileges sont à vie, & ne donnent point qualité aux enfans : d'ailleurs ces privilegiés ne font point partie du corps de l'Orfévrerie, & n'en sont point membres ; on voit par ces privileges qu'il y a encore des moyens de parvenir à la maîtrise pour ceux qui n'ont pu l'acquérir à tems.

Quelques personnes dont les vûes pour le bien public & pour l'accroissement du commerce sont respectables & dignes des plus grands éloges, regardent les lois d'apprentissage, du compagnonage & du chef-d'oeuvre comme inutiles : ils pensent aussi qu'il est injuste de fixer le nombre des maîtres du corps de l'Orfévrerie, & de refuser place dans ce corps à des hommes d'un talent décidé, parce qu'ils n'ont point fait d'apprentissage, & qu'ils ne sont point fils de marchands : nous pensons comme eux à quelques égards, mais nous ne sommes point d'accord sur tous les points.

1°. La connoissance que nous avons de toutes les parties d'étude nécessaires pour faire un bon artiste, & dont nous avons tracé l'esquisse au mot ORFEVRE, nous porte à croire que huit années d'apprentissage bien employées ne sont pas trop longues pour acquérir toutes les lumieres nécessaires à cet art, sur-tout quand on réflechit qu'il ne suffit pas d'être bon théoriste, mais qu'il faut y joindre une excellente pratique ; il seroit à souhaiter seulement que tous les maîtres fussent assez habiles pour former de bons éleves : & comment parviendra-t-on à ne remplir le corps que de bons artistes, si on néglige d'éprouver leur capacité ? Quant à moi, j'ai toujours regardé le chef-d'oeuvre comme une chose de premiere nécessité, & d'un intérêt essentiel au bien du corps & de l'état, à qui il importe beaucoup que l'Orfévrerie de Paris conserve sa supériorité. On peut me répondre qu'on peut apprendre sans être gêné par des lois : j'en conviens ; mais comme l'équité est la premiere regle, il faut la consulter, & voir qu'un maître qui perd son tems à montrer à un apprentif, devroit être payé trop cherement, si les lois ne lui avoient pas assigné les dernieres années de l'apprentissage, pour se dédommager sur le travail de son éleve des peines & soins qu'il lui a coûté dans ses premieres années ; & que l'ingratitude & la légereté étant très-communes chez les jeunes gens, on les verroit trop souvent, s'ils n'étoient astreints par les lois, quitter leurs maîtres aussi-tôt qu'ils sauroient quelque chose, & chercher à jouir de leurs talens, sans s'embarrasser de payer de reconnoissance ceux à qui ils doivent ce qu'ils sont.

2°. Quant aux regles du compagnonage, on n'y tient pas assez la main pour qu'on puisse se plaindre de la gêne de cette loi ; & si on l'a quelquefois mise en vigueur, très-souvent c'est parce qu'on cherchoit par tous les moyens possibles à écarter un mauvais sujet. Les bons artistes ne se plaindront jamais de cette loi ; leur intérêt personnel les engage à visiter plusieurs atteliers pour étudier tous les goûts : on ne voit ordinairement que les ignorans, les présomptueux & les indépendans chercher à la franchir.

3°. Il paroît ridicule de fixer le nombre des Orfévres à 300, &, selon les personnes que je prens la liberté de combattre, ce commerce devroit être libre & de la plus grande étendue, parce que le nombre des artistes augmentant, la nécessité d'être employés fait baisser le prix des ouvrages, établit une concurrence de bon marché qui ne peut manquer d'étendre le commerce. Leur principe est juste, & leur conséquence nécessaire : mais ce principe qui peut être vrai pour toutes les autres branches de commerce, cesse de l'être pour celle-ci, à ce que je pense. Si on envisage les sources de l'aggrandissement de l'Orfévrerie de Paris, je crois qu'il est difficile de révoquer en doute que la sûreté du titre des matieres qu'on emploie, & l'excellence du goût des artistes françois soient la seule cause de leur grand crédit chez l'étranger, d'où il est aisé d'inférer que plus le nombre des Orfévres sera resserré, plus ils seront en état d'être veillés, & moins la réputation du poinçon de Paris sera compromise : que moins ils seront en nombre, plus ils seront en état de se faire bien payer, & par conséquent de consacrer plus de tems à l'étude, seul moyen de perpétuer le bon goût, & de l'empêcher de tomber en discrédit : il est vrai que nous sommes totalement contradictoires sur nos principes ; il n'est question que d'examiner lesquels sont les plus vrais & les plus avoués. Fouillons plus avant, & disons, que l'intérêt de l'état est que la main-d'oeuvre se soutienne chere, afin que pour peu de valeur intrinseque l'artiste fasse rentrer beaucoup d'argent dans le royaume. Ce principe constant & jamais nié pourroit-il avoir lieu, si on fait baisser la main-d'oeuvre sur des objets dont la matiere premiere est toute valeur précieuse & indestructible ?

Un voeu que nous oserions former, & qui seroit digne & de la bonté du prince qui regne sur nous & de la sagesse de son gouvernement ; c'est qu'on réduisît presque à rien, si nous l'osons dire, qu'on abolît tout entier les droits qui se prélevent sur les ouvrages de l'Orfévrerie ; l'expérience a prouvé que la cherté de ces droits est ce qui nuit le plus à l'étendue de son commerce : il seroit à souhaiter au moins que toutes les fois que l'étranger vient se fournir chez nous, il n'en payât aucun, & même qu'on lui remît ceux précédemment payés, en justifiant du transport de ces ouvrages hors du royaume.

4°. Ce seroit encore une justice d'ouvrir des portes aux artistes distingués, qui ne peuvent être admis dans le corps, parce qu'ils n'ont point fait d'apprentissage, & ne sont point fils de marchands, &c. il est, ce me semble, un bon moyen d'établir l'émulation & de couronner le talent à cet égard ; c'est d'ordonner que de tems à autre il y auroit un concours où celui dont l'ouvrage seroit jugé supérieur fût reçu gratis, admettant à ce concours apprentif, fils de maître, comme ouvrier sans qualité indistinctement ; & joignant aux gardes de l'Orfévrerie juges nés des chef-d'oeuvres, d'autres artistes, même des membres de l'académie de Peinture & de Sculpture ; ce seroit, il me semble, un bon moyen pour fermer la bouche aux gens à talens sur l'injustice des lois ; car alors leur sort seroit entre leurs mains. Ces sentimens & ces voeux sont le fruit des réflexions d'un citoyen impartial, qui proteste contre tout esprit de parti, de corps ou de compagnie : les seules vûes du bien public sont celles qui l'animent & l'engagent à mettre au jour ce qu'il regarde dans la sincérité de son coeur comme des vérités incontestables.


ORFORD(Géog.) petite ville à marché d'Angleterre, avec titre de comté, & un havre, dans la province de Suffolk, à 24 lieues N. E. de Londres. Elle envoie deux députés au parlement. Long. 18. 54. lat. 52. 10. (D.J.)


ORFRAIES. f. (Hist. nat. Ornithol.) croc-pescherot, ossifrague, aigle de mer, halioetus, aquilae marina, nisus veterum. Wil. oiseau de proie qui est presque aussi gros que l'aigle doré, il a six piés neuf pouces d'envergeure, & trois piés quatre pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue ; les pattes étendues n'excedent pas la queue, dont la longueur est d'un pié ; celle du bec est de quatre pouces depuis la pointe jusqu'aux coins de la bouche ; la tête & le cou sont couverts de plumes longues & étroites. Il y a entre les yeux & les narines & sous la gorge de petites plumes semblables à des poils. Les couleurs dominantes de cet oiseau sont la couleur de rouille, le brun, & le blanchâtre ; les plumes qui recouvrent le dessus de l'origine de la queue sont presque entierement blanches, à l'exception de l'extrêmité qui est noirâtre, le ventre est de couleur blanchâtre & mêlé de larges taches de couleur de rouille ; les plumes des aîles sont d'un brun tirant un peu sur le fauve-maron ; la queue est composée de douze plumes, les deux du milieu sont presque entierement brunes, à l'exception de l'extrêmité qui est noire ; elles ont toutes des taches blanches éparses confusément ; la membrane qui couvre la base du bec est jaune ; les pattes sont couvertes de plumes jusqu'à environ le milieu de leur longueur, le reste est d'un jaune vif, de même que les doigts ; les ongles sont d'un beau noir & très-crochus : on trouve cet oiseau en Europe. Ornith. de M. Brisson, tom. I. Voyez OISEAU.

ORFRAIE. Voyez GLORIEUSE.


ORFROYS. m. terme de Chasublier, ce sont les ornemens de devant les chapes, qui sont d'ordinaire semés de broderies : c'est le milieu des chasubles, qui dans les beaux ornemens est le plus souvent embelli de broderie.

Les anciens ont dit orfray. Borel a rapporté quelques endroits des anciens poëtes pour l'intelligence de ce terme : le roman de la rose.

Si eut le corps bel & dougié,

D'orfrayes eut un chapel mignot.

Un chapel de rose, tout frais

Eut dessus le chapel d 'orfray.

Et ailleurs.

Et un chapeau d 'orfray tout neuf

Le plus beau fut de dix-neuf.

" J'estime, dit Borel, que c'est la broderie d'or broché, ou le bord & parement des autels, écharpes & robes, & qu'il vient non de orfevre, mais de aurum phrygium, comme l'a remarqué Ménage ". (D.J.)


ORGANES. m. (Gramm.) à ne prendre que la signification littérale, signifie tout ce qui est façonné & disposé pour un usage particulier, & pour produire une certaine action ou une certaine opération, en ce sens il est synonyme à instrument. Voyez INSTRUMENT.

Mais dans l'usage ordinaire organe signifie une partie d'un corps animal qui est capable d'exécuter telle ou telle action, ou de produire telle ou telle opération. Voyez PARTIE & CORPS.

En ce sens toutes les parties du corps, même les plus simples, peuvent être dénommées organes ou parties organiques.

Les organes se divisent en premiers & secondaires. Les premiers sont composés de parties toutes similaires & destinées pour une seule & même fonction. Ceux qui sont composés de plusieurs de ceux-là sont appellés organes secondaires. Voyez SIMILAIRE.

Ainsi les veines, les arteres, les nerfs, & les muscles sont des organes, & les mains, les doigts, &c. sont des organes secondaires.

ORGANE DES SENS, est la partie du corps de l'animal, au moyen de laquelle il est affecté par les objets extérieurs. Voyez SENS.

Quelques-uns le divisent en interne, qui est le cerveau, & en externe, qui sont l'oeil, l'oreille, le nez, &c. Voyez CERVEAU, OEIL, OREILLE, NEZ, &c.

ORGANE, (Jardinage) les principaux organes des plantes sont bien différens des parties qui les composent, ils sont les moyens ou les instrumens qui les font agir & qui leur portent la nourriture nécessaire.

Les racines en général fournissent presque toute la nourriture de l'arbre.

Les fibres ligneuses, qui sont les vaisseaux longitudinaux, portent la seve dans les parties les plus élevées.

Les vaisseaux latéraux la portent horisontalement dans les branches.

Les utricules sont de petites vessies, qui, comme des tuyaux descendans à-travers la tige, rapportent vers les racines les sucs les plus grossiers & les plus imparfaits.

Les trachées, qui sont les poumons des végétaux, sont de gros tuyaux passant par la tige, par où la plante respire, & qui fournissent l'air nécessaire à la seve pour se porter dans toutes les parties d'un arbre.

Les creusets & les moules différens qui se trouvent dans les plantes sont encore des organes qui forment l'écorce, le bois, les épines, les poils, la moëlle, le coton, les feuilles, les fleurs, les fruits & les graines.

La nouvelle opinion qui admet la moëlle comme le premier principe de la propagation, & celui de la vie, même des végétaux, la rendoit leur principale organe.


ORGANEAUS. m. (Marine) c'est un gros anneau de fer qui est passé au bout de la vergue de l'ancre, & qui sert à amarrer le cable, ou à étalinguer le cable. Voyez ANCRE. (Q)


ORGANIEVoyez ROUGET.


ORGANIQUEadj. (Gramm.) on appelle Géométrie organique l'art de décrire les courbes par le moyen d'instrumens, & en général par un mouvement continu ; cette maniere de les décrire est plus exacte dans la spéculation, mais presque toujours plus embarrassante & plus sujette à erreur dans la pratique que la maniere de la décrire par plusieurs points. M. Maclaurin a donné un ouvrage sous le titre de Geometria organica. Voyez COURBE.

ORGANIQUE, qui appartient à l'organe. On divise le corps en parties organiques & inorganiques, &c. Voyez CORPS & ORGANE.

ORGANIQUE, employé substantivement, est la partie de la musique ancienne qui s'exécutoit avec les instrumens. Voyez MUSIQUE.

L'organique comprenoit les trois sortes d'instrumens, savoir les instrumens à vent, comme la trompette, la flûte, &c. Les instrumens à corde, comme le lut, la lyre, &c. & les instrumens de percussion ou à batterie, comme le tambour, les tymbales, &c. Voyez chacun de ces instrumens à son article.


ORGANISATIONS. f. arrangement des parties qui constituent les corps animés. Le premier principe de l'organisation se trouve dans les semences. L'organisation d'un corps une fois établie, est l'origine de l'organisation de tous les autres corps. L'organisation des parties solides s'exécute par des mouvemens méchaniques.


ORGANISERv. act. terme d'Organiste, c'est unir une petite orgue à un clavecin, ou à quelque autre instrument semblable, à une épinette, par exemple, ensorte qu'en abaissant les touches de cet instrument, on fasse jouer l'orgue en même-tems. (D.J.)


ORGANISTES. m. (Musique) il se dit & de celui qui sait toucher de l'orgue & de celui qui les construit. Nous avons eu deux grands Organistes, Marchand & Calviere. J'ai entendu celui-ci. Cet homme avoit du génie, & une variété de jeu inépuisable, & ce qui est peut-être encore plus rare, un talent correspondant à l'étendue de son instrument. Au reste, il avoit de commun avec tous les hommes excellens en quelque genre que ce soit, d'être de tems-en-tems fort au-dessous d'eux-mêmes : il n'y a que la médiocrité qui se soutienne & qui soit la même tous les jours.


ORGANOVoyez ROUGET.


ORGANSINS. m. (Soierie) sorte de soie qui s'emploie dans les étoffes de soie. L'organsin est une soie montée ou tordue à deux, trois, à quatre brins ; on l'appelle organsin pour la distinguer d'avec la trame, en ce qu'elle sert communément pour la chaîne des étoffes ; & que pour cet effet on la perfectionne davantage & on lui donne plus de filage & du tord, afin qu'elle ait plus de corps, la chaîne étant ce qui souffre le plus dans la fabrication de l'étoffe. Voyez à l'article SOIE le moulinage de la soie.

L'organsin destiné à la fabrication de l'étoffe unie, doit être sans contredit le plus fin que l'on puisse préparer dans cette qualité de soie ; le fabriquant connoît à l'oeil celui qui est propre à la fabrication de l'étoffe façonnée, tant dans celle qui est riche que dans celle qui ne l'est pas, parce que dans l'autre on n'achete que le goût, qui se trouve ordinairement dans la perfection du dessein, parce que l'un ne peut pas être sans l'autre. L'étoffe de goût ne se paye point relativement à la quantité ou qualité de la soie, mais autant qu'elle plaît. Il n'en est pas de même de l'étoffe unie, dans laquelle la matiere doit être ménagée attendu la modicité de son prix : la matiere premiere dont elle est composée étant celle de l'organsin, il faut savoir le choisir afin de distinguer la légereté qui convient au genre d'étoffe que le fabriquant se propose de faire exécuter ; & pour qu'il ne se trompe pas dans son calcul il en fait un essai, lequel en déterminant la qualité de la matiere détermine également le prix, attendu que plus un organsin est sin plus il est cher.

La qualité des organsins fins est depuis 18 deniers jusqu'à 48. On ne compte pas au-dessus, les organsins même de 18 deniers ne servent que pour les étamines ou camelots mi-soie qui se fabriquent à Amiens ou à Rheims, leur trop grande finesse leur empêchant de résister au travail d'une étoffe unie, c'est pourquoi les fabriquans qui les emploient dans les étamines ou les camelots, les font monter au moulin avec un fil de laine pour qu'ils aient plus de consistance.

Les organsins de 24 deniers, 28, &c. jusqu'à 48 deniers, sont à proprement parler ceux qui sont destinés pour l'étoffe unie ; il s'agit de distinguer le poids pour ne point tomber dans l'erreur.

Chaque ballot d'organsin de tirage (on donnera l'explication d'organsin de tirage dans le moulinage des soies) doit être d'une qualité uniforme quant au poids. Le fabriquant qui a besoin d'un organsin de 24 deniers, par exemple, prend dans un ballot un matteau au hasard pour en faire l'essai, il choisit dans le matteau une flotte ou écheveau qu'il fait dévider ; cette opération faite il fait ourdir une longueur de soixante aunes par vingt fils seulement ; cette partie étant ourdie il la leve de l'ourdissoir & la pese au trébuchet ; si elle pese 3 deniers ou un gros, pour-lors l'organsin est de 24 deniers ; si elle pese 4 deniers, il est de 32 ; si elle pese 6 deniers ou deux gros, l'organsin est de 48 deniers.

Il résulte de cette opération que l'essai forme ordinairement par son poids la huitieme partie de la qualité de l'organsin, & cela parce que les pieces ou chaînes des étoffes unies tirant ordinairement 120 aunes, à l'ourdissage chaque portée dont la chaîne est composée doit peser huit fois le poids de son essai, puisque la portée est de 80 fils, ce qui fait le quart quant à l'essai, & la longueur de 120 aunes, ce qui fait un second quart de diminution sur la longueur, conséquemment une huitieme partie sur le tout.

ORGANSIN DE SAINTE-LUCIE, (Soierie) c'est l'organsin que les marchands françois tirent de Messine en Sicile. Cet organsin est fort estimé, & quantité de fabriques de France ne peuvent s'en passer, particulierement à Paris, celles des ferrandines, des moëres unies, & des grisettes. On en fait aussi les chaînes des ras de S. Maur qui se fabriquent en cette capitale. (D.J.)


ORGASMES. m. (Médec.) les corps vivans dans l'état de santé ont un mouvement perpétuel produit par l'organe vital & particulier, mais indépendant de l'organe animal. Le mouvement vital qui procede d'irritation devient d'autant plus grand, que la cause qui lui donne naissance agit avec plus de force. Il n'en est pas de même du mouvement animal, qui ne peut s'augmenter que par une cause très-violente. Mais si cette loi de la nature change, de façon que par la cause la plus légere, qui, dans un homme en santé n'exciteroit aucun mouvement, il en résulte un considérable qui aille jusqu'au désordre, ou qu'une cause ordinaire augmente ce trouble, ou qu'enfin, sans cause quelconque, les parties souffrent des mouvemens violens & confus, un tel changement de disposition s'appelle orgasme ; d'autres le nomment irritabilité, oscillation violente, mobilité, crispation.

On remarquera très-souvent un tel état dans l'organe vital & particulier, 1°. dans l'âge tendre ; & il est d'autant plus grand, que l'enfant est nouvellement né. 2°. Dans un corps valétudinaire, sur-tout après des évacuations trop abondantes, & de longues maladies. 3°. Dans ceux qui sont accablés de chagrin, & sujets à quelque grande passion de l'ame. 4°. Dans les femmes, & encore plus particulierement dans celles qui ont des fleurs blanches, ou qui sont attaquées d'une suppression de regles, ou qui les ont trop abondantes. 5°. Dans les hommes qui ont les humeurs tenues & âcres. 6°. Dans toutes les parties privées de mucosité ou de l'épiderme, leur tégument naturel. 7°. Dans l'idiosyncrasie, & lorsque les causes qui produisent cet accident surviennent inopinément.

Les effets qui en résultent, varient autant que l'état même. L'affoiblissement succede ordinairement aux paroxysmes. Dans le tems de l'orgasme, on observe des mouvemens déréglés toniques dans le mouvement vital, & même dans le mouvement animal, quand le mal est augmenté. De-là les malades sont attaqués de syncopes, de douleurs de tête, de flatuosités, de borborygmes, de douleurs des lombes, souvent accompagnées de froid, de tension dans les visceres, de constipation, de tympanite qui se dissipe & qui reparoît, de mouvemens épileptiques, de vertiges, de tintemens d'oreilles, du sentiment d'une grosseur qui monte du bas-ventre vers la gorge ; voilà ce qu'on appelle la passion hystérique.

Ce n'est pas tout, on éprouve des commotions dans l'hypocondre droit ou gauche, ou au milieu du ventre, comme si un animal vivant y étoit caché. On souffre des palpitations de coeur, & des anxiétés spontanées dans les parties voisines de ce viscere. Les malades dont nous parlons tombent aisément en syncope, à l'occasion d'une odeur déplaisante, de quelque passion, enfin de quelque mouvement extraordinaire ; le plus léger médicament émétique ou purgatif dérange singulierement toute leur économie animale.

Dans les attaques d'orgasme leur urine est d'abord blanche, épaisse, ensuite aqueuse, limpide, & claire comme de l'eau de roche. S'il arrive une colliquation, on y remarque de petits grains. Assez souvent il survient aux femmes qui sont dans cet état, la suppression de leurs regles. Si elles sont à la fin de leur grossesse, elles sont sujettes à grand nombre de symptomes effrayans. Elles ne digerent point leur nourriture, & pour l'ordinaire elles la vomissent. Enfin, ce mal est un prothée qui revêt toutes sortes de formes. Avant que d'indiquer la méthode curative, il faut rapporter ici quelques observations. 1°. Tous les évacuans augmentent & confirment ce mal. 2°. Les résolutifs & les attenuans le rendent plus fâcheux. 3°. Les martiaux corroborans causent quelquefois au commencement de grands troubles. 4°. Les volatils & les âcres, donnés à une trop forte dose, sont souvent suivis de convulsions. Les relâchans, & sur-tout les anodins, ont coutume de diminuer les symptomes, mais ils ne guérissent point la maladie, & l'usage qu'on en fait fréquemment pour calmer les douleurs, rend d'ordinaire le mal incurable.

La méthode curative change suivant les causes & les tems ; car dans le paroxysme, on doit se proposer pour but de calmer les mouvemens déréglés, en employant les anodins, les volatils, les aromatiques, combinés avec les résineux nervins ; mais hors du paroxysme, la foiblesse qui est survenue peu-à-peu, doit être traitée par les corroborans ; il convient aussi d'y recourir pour empêcher le progrès de la dissolution des humeurs ; il faut les joindre aux antiseptiques échauffans, pour s'opposer à une corruption spontanée ; les mêmes remèdes corrigent la crudité de l'acrimonie ; on recommencera par les plus doux, donnés à petite dose, & on les continuera long-tems : mais de crainte que la nature ne s'accoutume au même remède, il convient de les changer, en conservant toujours la même indication curative. Si la constipation survient aux malades, il faut, pour la guérir, joindre aux remèdes qu'on vient d'indiquer les purgatifs anodins. (D.J.)


ORGES. m. hordeum, (Hist. nat. Bot.) genre de plante dont les fleurs n'ont point de pétales ; elles naissent par bouquets disposés en épi. Chaque fleur est composée de plusieurs étamines qui sortent du calice. Le pistil devient dans la suite une semence oblongue, farineuse, pointue par les deux bouts, renflée dans le milieu & très-adhérente, comme l'a remarqué Spigelius, à la base qui a servi de calice à la fleur. Chaque bouquet est attaché à un axe denté, & forme un épi. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Ce genre de plante a l'épi fort ; il a le calice, l'enveloppe, la cosse, la peau, & la fleur semblables à ceux du froment & du riz, avec cette différence, que son enveloppe est rude. Son grain est ventru, pointu par les deux bouts, & fortement uni à son enveloppe.

Dans le système de Linnaeus, c'est un genre de plante très-distinct, dont voici les caracteres : le calice est composé de six feuilles, & contient trois fleurs. Les feuilles du calice sont droites, pointues, placées au nombre de deux sous chaque fleur. Il n'y a point de bâle dans ce genre de plante. La fleur est à deux levres ; l'inférieure est plus longue que le calice, & se termine par une longue barbe ; la supérieure est plus courte & applatie. Les étamines sont trois filets chevelus, plus courts que la fleur ; les bossettes des étamines sont oblongues ; le germe du pistil est ovale & un peu turbiné ; les stiles sont au nombre de deux, très-déliés, & panchés en arriere ; le stile du pistil est aussi chevelu ; la fleur enveloppe fortement la graine, & tombe avec elle. La graine est oblongue, ventrue, pointue aux deux extrêmités, & marquée d'une raie longitudinale.

Les Botanistes comptent cinq ou six especes d'orge, dont les plus connues sont l'orge d'automne ou d'hiver, & l'orge printanier.

L'orge d'hiver, hordeum polysticon hybernum de C. B. P. 22, a ses racines fibreuses & menues. Sa tige ou son tuyau est moins haut que celui du froment ou du seigle. Il s'éleve quelquefois cependant dans un bon terroir à deux coudées ; il est garni de cinq, six noeuds, & quelquefois davantage. A chacun de ces noeuds naissent des feuilles semblables à celles du chien-dent, longues, étroites, & enveloppant un peu le tuyau ; les inférieures sont plus étroites que celles du froment, & les supérieures plus rudes, & couvertes le plus souvent d'une fine poussiere d'un verd de mer, dans l'endroit qui embrasse sa tige.

Ses épis sont composés de plusieurs paquets de fleurs attachées de deux côtés sur les dents d'un axe commun. Chaque paquet est formé par trois fleurs, dont chacune est garnie à sa base extérieure de deux longs filets barbus, fermes, rudes & piquans. Ces fleurs sont composées de trois étamines, qui s'élevent d'un calice à deux bases, dont l'extérieur se termine en un long filet. L'embryon du fruit est caché dans le fond du calice, & se change en une graine longue de deux ou trois lignes, pâle ou jaunâtre, farineuse, pointue des deux côtés, renflée à son milieu, fort attachée aux bases qui servoient de calice à la fleur. On seme cet orge en automne, & on le moissonne l'année suivante.

L'orge printanier, nommé par Tournefort hordeum polysticum vernum, I. R. H. 513, a ses épis plus courts, mais plus gros que celui du précédent ; il ne differe que par le tems auquel on le seme, c'est au printems.

Les tuyaux d'orge étant mûrs, sont plus mols & moins fragiles que ceux du froment ; c'est pourquoi ils sont plus succulents, & fournissent aux boeufs & aux vaches une meilleure nourriture. Les épis d'orge sont panchés le plus souvent vers la terre, à cause de leur longueur & de leur pesanteur. Ils contiennent quelquefois vingt grains sur chaque côté ; un même grain pousse plusieurs tuyaux. (D.J.)

ORGE, (Mat. méd. Diete méd.) l'orge fait un composé farineux, lequel étant délayé ou bouilli dans l'eau, se change en un mucilage si visqueux, qu'à peine le feu peut-il le détruire ; car environ la troisieme partie d'orge se convertit en charbon, & les cendres, quoique bien calcinées, rendent l'eau mucilagineuse & visqueuse. Cette substance farineuse & mucilagineuse a des principes actifs, lesquels étant agités par le moyen de l'eau, fermentent ; & les parties mucilagineuses se divisent, s'atténuent, & font un composé vineux, comme on l'éprouve dans la biére ; ensuite elles s'aigrissent, & deviennent enfin vapides ou fades, comme presque tous les autres sucs des plantes. On tire de la biére un esprit ardent, qui n'est pas fort différent de l'esprit-de-vin.

L'orge n'a pas les mêmes vertus que le froment, car le froment échauffe, mais de quelque maniere que l'on prépare l'orge, il n'échauffe jamais, il rafraîchit & déterge ; &, selon qu'il est différemment préparé, il humecte & desseche. Etant bouilli en tisane, il humecte ; & étant rôti, il desseche. Il differe encore du froment, en ce qu'il produit un suc tenu ou moins grossier & détersif, au-lieu que celui du froment est grossier, visqueux, & d'une nature un peu obstructive.

Plusieurs nations faisoient autrefois du pain avec la farine d'orge, & on en fait encore à présent ; mais c'est dans la disette de froment, & pour nourrir les pauvres. Nous n'estimons pas beaucoup l'orge, non plus que les anciens Romains, pour faire du pain ; mais il est fort recherché pour faire de la biére, & les peuples du nord en font un grand usage ; il leur est aussi nécessaire pour faire de la boisson, que le froment pour faire du pain. L'orge nourrit moins que le froment ; il se digere plus difficilement, parce qu'il est moins gluant, & qu'il ne peut pas s'attacher au corps, de même que le froment.

On estime l'orge qui est blanc, pur, plein, compacte, & pesant autant qu'il se peut : on rejette celui qui est petit, ridé, léger, spongieux. Il ne faut pas en faire d'usage d'abord après la moisson, & aussi-tôt qu'il est moulu ; mais il faut le conserver dans un lieu sec pendant quelque tems, à cause de son humeur visqueuse & superflue qui veut être évaporée ou atténuée. Quand il est sec, & qu'il commence à se rider, alors il est tems d'en faire usage, & il est salutaire. Son écorce extérieure, ou le son est plus sec que la pulpe ou la farine : il nourrit peu ou point du tout ; il déterge, & il est un peu purgatif à cause du suc de sa bâle, comme Hippocrate en avertit.

On prépare l'orge de différentes manieres, soit pour servir d'aliment, soit pour la Médecine.

1°. On fait du pain avec la farine d'orge, qui est plus friable & inférieur au pain de froment ; il sert de nourriture aux pauvres ; il ne convient qu'à ceux d'entr'eux qui s'exercent à de rudes travaux, & dont l'estomac est robuste : c'est pourquoi, selon Pline, les gladiateurs athéniens, qui avoient coutume de s'en nourrir, étoient surnommés hordearii ; terme qui signifie des gens qui vivent de pain d'orge. Il est meilleur, & a plus de saveur, quand on le mêle avec moitié de froment ou de seigle.

2°. Les anciens faisoient usage d'une sorte de pain d'orge, que les Grecs & les Latins appelloient maza. C'étoit de la farine d'orge rôti, mêlée & pêtrie avec quelque liqueur, comme de l'eau, de l'huile, du lait, du vin cuit, du miel, &c. Voyez MAZA.

3°. Les anciens Grecs faisoient une bouillie avec l'orge, appelloient cette bouillie , & les Latins la nommoient polenta. Voyez POLENTA.

4°. Les anciens faisoient encore avec l'orge de la tisane, nommée par les Grecs ou , & par les Latins ptisana. Voyez TISANE.

Mais de toutes les différentes manieres de préparer l'orge, il nous en reste seulement trois, qui sont encore un peu usitées : la premiere s'appelle dans les boutiques de l'eau d'orge, ou décoction d'orge ; la seconde, qui n'est pas bien différente de la tisane des anciens, est nommée orge mondé ; la troisieme est de la crême d'orge, ou de l'orge passé. Voyez ORGE, décoction d '(Diete), ORGE MONDE, & ORGE PASSE.

On met la farine d'orge au nombre des quatre farines résolutives, qui sont la farine d'orge, celle de fèves, celle de l'orobe, & celle de seigle. On leur substitue quelquefois la farine de froment, de lin, de fénu-grec, & de lentille. Cette farine appliquée en cataplasme est émolliente, résolutive, maturative & anodine ; c'est pourquoi on l'emploie seule en cataplasme, ou avec les autres farines résolutives. (D.J.)

ORGE, décoction d '(Diete) la décoction d'orge, ou, comme on dit communément, l'eau d'orge, est simple ou composée. La simple se fait ou avec de l'orge entier, qui est plus détersif à cause de son écorce, & plus utile dans les obstructions ; ou bien on fait cette décoction avec de l'orge mondé, ou dont on a ôté la peau ; & alors elle est un peu plus rafraîchissante & incrassante. On fait bouillir cet orge avec de l'eau commune très-pure, plus ou moins long-tems, tantôt jusqu'à ce que les grains s'amollissent & se gonflent seulement, tantôt jusqu'à ce qu'ils soient crevés, c'est-à-dire, jusqu'à ce que la pellicule de ces grains se creve par la grande raréfaction de la substance farineuse. On emploie utilement ces décoctions dans les fievres ardentes, & autres maladies, pour délayer les humeurs épaisses & visqueuses, & pour adoucir & tempérer l'acrimonie des humeurs.

La décoction d'orge composée se fait avec les racines de réglisse, de chien-dent, de chicorée, ou autres racines apéritives, avec celles de scorsonere, de patience, de bardane, &c. avec les raisins, les jujubes, les figues, les dattes, les semences, & autres, selon les différentes indications. Ainsi Ettmuller vante dans la pleurésie une boisson faite avec la décoction d'orge, dans laquelle on infuse des fleurs de coquelicot ou de paquerette : dans la rougeole, on fait bouillir de l'orge avec de la corne-de-cerf, & avec la racine de scorsonere dans les fievres pétéchiales. (D.J.)

ORGE GRUE, (Diete) on l'appelle autrement orge mondé. Il se fait avec le plus bel orge dont on ôte la peau sous la meule. On le macere dans de l'eau, on le lave, & on le frotte dans les mains pour enlever toute la peau qui est restée, après qu'il a été écrasé sous la meule. Ensuite on le met dans un vaisseau de terre ; on y verse de nouvelle eau, & on le fait bouillir pendant cinq, six ou sept heures, jusqu'à ce qu'il se change en crême ; & de peur d'interrompre l'ébullition, on verse de l'eau tiéde, quand il est nécessaire, & on le fait cuire à un feu doux ; c'est ce qu'on appelle orge grué, parce que la graine y reste. Pour le rendre meilleur, quelques-uns y ajoutent dans le commencement du beurre frais, & un peu de sel sur la fin. Le peuple le mange préparé de cette façon. D'autres pour le rendre plus agréable, y mêlent des amandes ; pour rafraîchir, des graines de melon, de courge ; & pour la douceur, du sucre. On fait un grand usage de cette préparation : c'est une excellente nourriture qui produit un bon suc dans la santé & dans la maladie. (D.J.)

ORGE MONDE, (Diete médicinale) c'est de l'orge qui a été écrasé sous la meule, & dépouillé de sa premiere peau. On en fait des décoctions, des tisanes, des crêmes, sous le nom d'orge grué & d'orge passé. Voyez ORGE GRUE & ORGE PASSE.

On fait avec l'orge mondé le sucre d'orge & le sucre tors, que les Arabes appellent alphenicum. Le sucre d'orge est une composition jaunâtre, transparente, faite avec le sucre cuit dans une décoction légere d'orge, jusqu'à ce qu'il ait assez de consistance pour en faire des bâtons. Le sucre tors se fait avec de l'eau d'orge & du sucre dans une certaine proportion, & cuits de telle sorte qu'il en résulte une masse solide, qu'on peut manier sans qu'elle s'attache aux doigts frottés d'huile d'amandes, & la réduire en fils très-fins ou grossiers, longs ou courts, & le plus souvent tortillés, mais toujours blancs. Ces deux préparations sont assez bonnes pour la toux, l'enrouement, la sécheresse de la trachée-artere, & dans les maladies légeres du poumon & de la poitrine. (D.J.)

ORGE PASSE, (Diete) c'étoit la crême d'orge des anciens, qui se fait parmi nous de la maniere suivante. On prend de l'orge mondé, on le macere, on le frotte dans les mains, on le fait cuire pendant sept ou huit heures, on le pile dans un mortier avec des amandes douces pelées, & on le passe. Les uns le font plus liquide, d'autres plus épais. Alors on y ajoute du sucre, on le sert dans un plat d'argent ; & on le donne à ceux qui se portent bien, aux malades, & à ceux qui sont exténués : on y mêle des quatre semences froides pour faciliter le sommeil. Quand on le fait cuire derechef, après l'avoir passé, il devient plus épais & plus nourrissant. On ne se contente pas d'en faire prendre une fois le jour à l'heure du sommeil, mais deux, trois fois, & davantage, en maniere de julep. Quelquefois on ajoute du lait sur la fin de l'ébullition. Si le malade a besoin d'une nourriture plus abondante, rafraîchissante & humectante, on fait bouillir de l'orge avec un poulet, ou avec du veau ; ou bien après avoir laissé bouillir long-tems l'orge dans de l'eau, on y ajoute du bouillon de viande, on le passe, & on le prend avec la crême d'orge. (D.J.)

ORGE PERLE, (Agricult.) c'est de l'orge dépouillé de sa premiere enveloppe. Cet orge ne differe de l'orge mondé, qu'en ce qu'il a passé deux ou trois fois par le moulin, pour y être broyé & rendu plus petit. On choisit l'orge perlé le plus blanc, & celui au côté duquel on voit de la fleur attachée. On fait quelquefois l'orge perlé avec le millet ; & d'autres fois avec le froment : de quelque maniere qu'on le fasse il est très-nourrissant.

Cet orge ainsi préparé n'est peut-être pas fort différent de ce que les anciens appelloient crimnus : car , selon Galien, est la partie la plus grossiere de la farine, laquelle se trouve la plus grosse, quand on a brisé l'orge qui a échappé à la meule, & que l'on passe au travers d'un crible dont les trous sont grands. Les Allemands en font des bouillies, tantôt avec de l'eau, tantôt avec du lait, & quelquefois avec du bouillon de viande.

ORGE, grain d ', (Tisserander. Imprim.) on appelle futaine à grains d'orge, une sorte de futaine ouvragée, sur laquelle le tisserand a relevé des façons assez semblables au grain de l'orge. Les Ciseleurs appellent grain d'orge, de petits ciselets dont la pointe est ronde & fort aigue. Les Imprimeurs donnent aussi le nom de grain d'orge, aux caracteres en lozange, qui leur servent à imprimer les notes du plain chant qui doivent être breves.

ORGE, (Géog. anc.) fontaine des Gaules dans la province Narbonnoise. Pline, l. XVIII. ch. xxij. dit qu'il croissoit dans son eau une herbe dont les boeufs étoient si friands, qu'ils y plongeoient la tête pour en attraper. Cette fontaine a presque conservé son nom, car on la nomme aujourd'hui sorque. Voyez SORQUE. (D.J.)


ORGEADES. f. (Diete) hordeatum, est un remede liquide, composé avec de l'orge que l'on fait cuire jusqu'à ce qu'il creve. On y ajoute quelquefois d'autres ingrédiens, comme des semences froides, des amandes & autres choses semblables.


ORGEATS. m. (Diete) dans le langage ordinaire des Limonadiers & de l'office, ce mot signifie la même chose qu'émulsion en langage de Pharmacie. Voyez ÉMULSION.

L'orgeat peut seulement différer de l'émulsion, en ce qu'étant uniquement destiné à flatter le goût, on se propose plutôt de le rendre agréable que salutaire. C'est pourquoi il est ordinairement plus sucré, plus fort ou chargé, & plus parfumé que l'émulsion. On fait entrer aussi dans la composition de l'orgeat environ un huitieme d'amandes ameres ; au lieu que dans l'émulsion on n'emploie que les amandes douces. Mais on peut avancer avec confiance, qu'excepté peut-être le cas d'inflammation actuelle de l'estomac & des intestins, l'orgeat le plus agréable est aussi salutaire qu'une émulsion plus fade, & qu'ainsi on peut accorder aux malades l'innocente consolation d'une boisson plus gracieuse, dans les cas ordinaires où l'émulsion des boutiques est indiquée. Voyez EMULSION. (b)

ORGEAT, syrop d ', (Pharmacie & Mat. med.) prenez amandes douces mondées, une livre ; amandes ameres, demi-once ou une once ; sucre blanc, environ demi-livre : pilez les amandes avec ce sucre dans un mortier de marbre avec le pilon de bois, versant peu-à-peu suffisante quantité d'eau commune pour faire une émulsion très-chargée : passez & exprimez. Vous devez avoir environ une livre & demie de liqueur. Mettez votre colature dans un vaisseau d'argent, de porcelaine ou d'étaim, avec une livre & demie de sucre, que vous ferez fondre au bain-marie ; ajoutez au syrop refroidi, deux gros de bonne eau de fleur d'orange.

Remarquez qu'on n'a employé dans la préparation de ce syrop, que deux livres de sucre, sur une livre & demie de liqueur ; tandis que la proportion du sucre aux liqueurs aqueuses, pour la consistance syrupeuse, ou le point de saturation, est de deux parties de sucre contre une de liqueur. Mais dans le syrop d'orgeat, l'eau est occupée en partie par la matiere émulsive, ensorte que la dose de sucre que nous avons prescrite peut être même plus que suffisante pour charger cette liqueur au point de saturation ; mais il vaut mieux employer trop de sucre, que de n'en point employer assez. L'excès n'a d'autre inconvénient que de laisser du sucre inutile dans le vaisseau où on le fait fondre. Ce sucre superflu se sépare d'ailleurs fort aisément en versant le syrop par inclination, au lieu que la trop petite proportion de sucre rend encore plus sujette à s'altérer cette préparation qui y est dejà fort portée de sa nature.

ORGEAT, syrop d '. Le syrop d'orgeat est ainsi appellé, parce qu'on demande dans les pharmacopées une décoction d'orge au lieu de l'eau commune. Mais cette décoction nuit à l'agrément, sans ajouter à la vertu. Aussi tous les artistes, qui savent évaluer d'après la pratique les lois dictées par la spéculation, se gardent bien d'employer de la décoction d'orge à la préparation du syrop d'orgeat ; & il n'est pas aisé de décider, si cette infidélité est plus blâmable chez le ministre, que la charlatanerie ou la routine chez le législateur.

Une once de syrop d'orgeat étendue dans huit ou dix onces d'eau, fait une émulsion ordinaire. Ce syrop sert donc à préparer une émulsion sur le champ. Or, comme l'émulsion préparée avec le syrop d'orgeat, a exactement les mêmes vertus que l'émulsion tirée immédiatement des semences émulsives, à cela près seulement qu'elle est nécessairement très-sucrée ; on peut user sans scrupule dans la plûpart des cas de la commodité que fournit le syrop d'orgeat. Voyez ÉMULSION. (b)


ORGÉNOMESCI(Géog. anc.) anciens peuples d'Espagne qui faisoient partie des Cantabres, selon Pline, l. IV. ch. xx. Le pere Hardouin leur donne la côte d'Asturie, depuis Santillane, jusqu'à l'Astra qui coule à Oviedo. (D.J.)


ORGEOLEou ORGUEIL, s. m. (Chirurgie) maladie des paupieres. Petite tumeur circonscrite, renitente, qui vient sur le bord des paupieres, tout auprès des cils. Elle s'échauffe, devient rouge, & se termine par suppuration. On l'appelle orgeolet, parce qu'elle est à-peu-près de la grosseur d'un grain d'orge. C'est une espece de clou ou de furoncle, qui vient originairement de l'obstruction des glandes sébacées ; aussi en arrive-t-il plus familierement à ceux qui ont eu des inflammations aux paupieres. Ce bouton est sans danger, il parcourt ordinairement en 15 jours ses différens tems. Une mouche couverte d'emplâtre diachylon gommé accélere la suppuration. Si l'inflammation excitoit beaucoup de douleur, il faudroit bassiner l'oeil plusieurs fois par jour avec une décoction émolliente. Il est rare qu'on soit obligé d'aider par une très-petite incision avec la pointe d'une lancette, la sortie de l'humeur. Cette petite opération d'ailleurs n'a aucun inconvénient, & si elle n'est pas faite prématurément, elle peut empêcher le pus de s'épaissir & de former un durillon, difficile à résoudre à la circonférence du bouton. (Y)


ORGIASTESS. m. pl. (Hist. anc.) nom qu'on donnoit aux prêtresses de Bacchus, ou aux bacchantes qui présidoient aux orgies. Voyez ORGIES.


ORGIESS. f. pl. (Ant. grecq. & rom.) orgia ; nom des fêtes de Bacchus, autrement appellées bacchanales & dionysiaques. Mais le nom d'orgies étoit commun à plusieurs autres fêtes, comme à celle des Muses, à celle de Cérès & à celle de Cybèle. Servius dit qu'au commencement on nommoit en grec orgies, toutes sortes de sacrifices, & que ce terme répondoit à celui de cerémonies chez les Romains.

Les orgies, comme fêtes en l'honneur de Bacchus, sont appellées orgia triterica, dans Virgile, parce qu'on les célebroit une fois en trois ans. Le mot triterica le dit, de , trois, & , année.

Elles prirent naissance en Egypte, où Osiris fut le premier modele du Bacchus grec. Delà elles passerent en Grece, en Italie, chez les Gaulois, & dans presque tout le monde payen. Elles étoient d'abord simples & très-honnêtes ; mais elles furent chargées insensiblement de cérémonies ridicules, & finalement les Historiens nous assurent qu'elles furent portées pendant la nuit à de si grands excès & à des débauches si honteuses, que l'an de Rome 564, le sénat se vit obligé de les abolir dans toute l'étendue de l'empire.

Nous pouvons dire aujourd'hui sans crainte, que ces fêtes de Bacchus, outre leur licence inexcusable, étoient chargées de folies & d'extravagances : mais il en coûta cher à Panthée, pour avoir autrefois tenu ce propos sur les lieux ; car ses tantes mêmes, éprises d'une fureur bacchique, le méconnurent, & le mirent en pieces sur le mont Citheron.

Il y a dans le jardin Justiniani à Rome, un vase de marbre bien précieux, sur lequel on voit une représentation de ces orgies de Bacchus. On pense que ce vase est de la main de Saurus, non seulement par la beauté du travail, mais à cause de la lésardine qui s'y trouve, & qui n'a aucun rapport avec le reste. (D.J.)


ORGIOPHANTESS. m. pl. (Hist. anc.) nom des principaux ministres ou sacrificateurs dans les orgies. Ils étoient subordonnés aux orgiastes ; car parmi les Grecs, c'étoit aux femmes qu'il appartenoit de présider dans les mysteres de Bacchus.


ORGUES. m. (Instrument à vent) c'est le plus grand & le plus harmonieux des instrumens de cette espece ; c'est pourquoi on lui a donné le nom d'orgue, , qui signifie l'instrument par excellence.

L'invention des orgues est aussi ancienne, que leur méchanique est ingénieuse.

L'usage de l'orgue n'a commencé dans nos églises qu'après S. Thomas d'Aquin, en l'année 1250.

Le premier que l'on a eu en France fut donné en présent au roi Pepin par Constantin Copronyme en 1267.

On peut distinguer dans cet instrument deux sortes de parties, les intégrantes & les ministrantes. On traitera des unes & des autres dans la description suivante.

Description de l 'orgue. L'orgue est composé d'un buffet de menuiserie plus ou moins enrichi de sculpture, qu'on appelle fût, voyez FUT ; de deux sommiers sur lesquels sont arrangés les tuyaux ; soit d'étain, de plomb ou de bois, d'un ou de plusieurs claviers. On donne le vent aux tuyaux par plusieurs grands soufflets ; il est conduit aux sommiers par des tuyaux de bois qu'on appelle porte-vents.

Il paroît par ce que nous venons de dire, que les matieres qui composent un orgue sont le bois, l'étain & le plomb, auxquelles on peut ajouter le cuivre pour la fabrique des anches, & le fer qui sert à deux usages, comme dans toutes sortes de machines.

L'ordre de synthèse demande qu'avant de décrire l'orgue, & d'en expliquer la facture, nous expliquions l'apprêt des différentes matieres qui le composent : nous commencerons par le bois.

Le bois dont on se sert dans la fabrique des orgues, est de deux sortes, par rapport aux différens emplois qu'on en fait. Celui qui est destiné pour faire les tuyaux de bois, les sommiers, les claviers, les abrégés, doit être du chêne, connu sous le nom de bois d'Hollande, parce que c'est les Hollandois qui en font commerce. Le plus parfait ne sauroit être trop bon, principalement pour la fabrique des tuyaux & des sommiers. L'autre sorte de bois dont on se sert dans la fabrique des orgues, est connu sous le nom de bois de vauge ; c'est aussi du bois de chêne, mais moins parfait que celui d'Hollande. On s'en sert pour faire le buffet, & quelques parties de l'orgue qui ne demandent point du bois si parfait, comme par exemple, les tables des soufflets, &c.

L'étain dont on se sert dans la fabrique des orgues, est l'étain fin d'Angleterre : on peut cependant, à son défaut, en employer d'autre.

Le plomb est le plomb ordinaire. On réduit ces deux métaux en lames ou feuilles minces, longues & larges autant qu'il est besoin : ce qui se fait de la maniere suivante.

Maniere de couler les tables d'étain ou de plomb qui servent à faire les tuyaux d 'orgue. On prépare une table (fig. 49. Pl. X. d'orgue) de bois de chêne aussi longue & aussi large qu'il est besoin ; on fait en sorte, au moyen de plusieurs barres clouées à la partie inférieure de la table, qu'elle soit inflexible : sur cette table, qui doit être parfaitement plane, on étend une piece de coutil que l'on attache sur les côtés avec des clous d'épingle, ensorte qu'elle soit bien tendue ; sur cette piece de coutil on en met une autre moins parfaite, ou même que l'usage a à-demi-usée, & la table est préparée.

On prépare ensuite le rable représenté, fig. 60. Le rable est une caisse sans fond A B C D E F. Le côté A B du rable ne doit point porter sur la table comme on le voit à la fig. 59. qui représente le rable en situation sur la table ; & le côté E D C F doit être plus élevé, afin de compenser l'inclinaison de cette table, que l'on incline plus ou moins, ainsi que l'on voit dans la figure, en la soutenant à une de ses extrémités par un tréteau G, & dans différens points de sa longueur, par des calles ou chantiers H H I ; & pour empêcher la table de couler sur ses appuis, on la retient par la partie supérieure, au moyen d'une corde K qui est attachée, & qui est liée à un crampon scellé à la muraille de l'attelier.

La table ainsi préparée, & le rable placé dessus à la partie supérieure, on enduit les joints qu'il fait avec la table, d'une ou de plusieurs couches de blanc-d'Espagne détrempé dans de l'eau, afin de fermer parfaitement toutes les ouvertures que les petites inégalités du coutil pourroient laisser entr'elles & les parties du rable qui s'y appliquent.

Pendant toutes ces préparations, le métal que l'on se propose de couler en table, est en fusion dans une chaudiere de fer, semblable en tout à celle des plombiers. Lorsque c'est de l'étain que l'on veut couler, on jette dans la chaudiere un peu de poix-résine & de suif, tant pour purifier le métal, que pour revivifier les parties que l'ardeur du feu auroit pû calciner : on écume ensuite le metal fondu, en sorte qu'il ne reste plus de scories ; & lorsqu'il est refroidi au point qu'un papier ne s'y enflamme plus, on le puise avec une cuillere, & on le verse dans le rable, dont on a couvert le fond d'une feuille de papier pour garantir le coutil. Pendant cette opération, un ouvrier appuie sur le rable pour empêcher que la pesanteur du métal ne le fasse couler avant qu'il en soit suffisamment rempli.

On connoît qu'il est tems de tirer la table d'étain, lorsqu'on s'apperçoit qu'il commence à grainer, c'est-à-dire lorsqu'il se forme de petits grains à sa surface, comme lorsqu'il commence à se figer ; au contraire, le plomb doit être tiré le plus chaud qu'il est possible, sans cependant qu'il puisse enflammer un rouleau de papier que l'on y plongeroit.

Pour tirer la table d'étain ou de plomb, on conduit le rable, rempli de métal fondu, le long de la table couverte de coutil, soit en le tirant en marchant à reculons, ou en le poussant en marchant devant soi, & en appuyant sur le rable. Lorsqu'il est arrivé au bas de la table, on laisse tomber par terre ou dans une auge, qui est placée vis-à-vis, le reste du métal.

Par cette opération le métal fondu que le rable contient, s'attache à la table, & y forme une feuille plus ou moins épaisse, selon que l'on a tiré le rable plus ou moins vîte, ou que la table est moins ou plus inclinée.

Les tables ainsi tirées, on les laisse refroidir. On ébarbe ensuite celles d'étain, dont les bords sont entourés d'un grand nombre d'aiguilles, qui blesseroient les ouvriers sans cette précaution : on les roule pour s'en servir, ainsi qu'il sera dit ci-après. On continue de même jusqu'à ce que la fonte soit épuisée.

Les plus grandes tables que l'on fasse de cette maniere sont de 16 piés de long, sur 3 piés de large, ou seulement de 18 pouces, si les tuyaux sont de deux pieces, ainsi que cela se pratique ordinairement, lorsque les tuyaux ont une certaine grandeur ; on conçoit bien par conséquent que la table & le rable doivent être d'une grandeur proportionnée.

Lorsque le coutil dont la table est couverte est neuf, les tables qui sont coulées dessus sont ordinairement défectueuses, soit parce que l'humidité du coutil cause de petits bouillons, ou parce que les petits poils qui le rendent velu font le même effet, on est obligé de couper les tables, & de les remettre à la fonte.

Après que les tables ont été coulées, ainsi qu'il a été dit, on les forge, on plane sur un tas avec le marteau, représenté fig. 62. Ce marteau est rond, plan par une de ses extrêmités pour planer, & un peu convexe par l'autre pour forger. L'effet de ces deux opérations est d'écrouir le métal, & par conséquent en le rendant plus roide, le rendre plus propre à soutenir la forme que l'on lui donne dans l'emploi qu'on en fait. On saura aussi que l'étain est très-dur à forger, au lieu que le plomb est très-doux.

Après que les tables sont forgées & planées, on les étend sur un établi qui doit être bien uni, en les frappant avec une batte. Voyez BATTE, & la fig. 65. Les tables de plomb ainsi étendues sont brunies avec le brunissoir d'acier, fig. 64. voyez BRUNISSOIR. Après cette opération elles sont entierement achevées : celles d'étain au contraire demandent un peu plus de travail. Après qu'elles sont étendues sur l'établi avec la batte, on les rabote avec la galere, voyez GALERE, & la fig. 63. qui la représente. Cette galere est un rabot dont la semelle est de fer, & dont le fer est presque à-plomb. La raison de cette disposition est que si le fer étoit oblique, il mordroit trop, & emporteroit la piece ; au lieu qu'il faut qu'il ne fasse que racler un peu fort, & emporter des copeaux légers. Par cette opération on égalise les tables d'épaisseur, ce qui s'acheve avec le racloir des ébénistes. Voyez RACLOIR. Cette opération se fait des deux côtés de la table d'étain ; car pour celles de plomb, on ne les rabote que quand elles sont plus épaisses à un endroit qu'à l'autre ; & le côté raboté des tables de plomb se met toujours en-dedans du tuyau.

On doit observer aussi que pour raboter l'étain, on doit graisser un peu la semelle de la galere ; & que pour le plomb on doit le mouiller avec de l'eau, & en remettre souvent ; car plus le plomb est mouillé, plus la galere emporte de forts copeaux.

Après toutes ces opérations, on polit les tables d'étain de cette maniere. On prend de l'eau & du savon ; on met de l'eau sur la table, & on la frotte avec le savon : on brunit ensuite avec le brunissoir, qui doit être très-poli : on enduit pour cela une planche de sapin de potée & d'huile ; on frotte le brunissoir dessus jusqu'à ce qu'il soit bien poli ; on l'essuie avec un morceau de serge, & on brunit ensuite la table d'étain en la frottant dans toute son étendue avec le brunissoir.

Lorsque la table est bien également brunie, on écrase du blanc-d'Espagne que l'on seme dessus ; on frotte ensuite avec un morceau de serge jusqu'à ce que la table soit bien éclaircie : alors elle est entierement achevée de polir. On se doute bien qu'on ne polit ainsi que le côté qui doit se trouver en-dehors du tuyau ; car polir le dedans seroit un travail superflu, & même on ne polit que l'étain qui doit servir à faire les tuyaux de montre, c'est-à-dire ceux qui paroissent au-dehors.

Le cuivre dont on se sert dans la fabrique des orgues, est du laiton réduit en table de différentes épaisseurs, & en fil.

Le fer sert à faire les pattes des rouleaux d'abrégé, & à divers autres usages que nous expliquerons ci-après, en spécifiant de quelles matieres sont les différentes parties de l'orgue.

Après avoir parlé des matieres dont un orgue est composé, & avoir expliqué leur apprêt, nous allons traiter de l'emploi qu'on en fait, en expliquant les différentes parties qui composent un orgue.

Le fût d'orgue ou buffet, est un ouvrage de menuiserie fait de bois vauge ou d'Hollande, si l'on veut, divisé en plusieurs parties. Les parties saillantes arrondies I N, fig. I. Pl. d'orgue, s'appellent tourelles ; les parties K L M N plates, entre les tourelles, s'appellent plates-faces : leur forme & grandeur sont arbitraires : en effet, elles sont autant variées qu'il y a d'orgues dans le monde ; on observe cependant que le nombre des tourelles soit impair, & on en place une dans le milieu, & deux aux extrêmités. On enrichit ce buffet d'autant d'ornemens de sculpture que l'on veut, comme par exemple, de figures de termes, ou de cariatides qui soutiennent les tourelles sur leurs épaules ou leur tête ; de différens grouppes d'enfans placés au-dessus des tourelles, qui tiennent divers instrumens de musique dont ils paroissent jouer ; enfin de tous les différens ornemens que l'imagination peut fournir, & qui sont compatibles avec le lieu où l'orgue doit être placé. Celui qui est représenté dans la premiere Planche est un des plus simples que l'on puisse faire ; mais nous avons préferé de le faire de la sorte, à le charger d'ornemens, parce qu'il s'est trouvé plus convenable pour nos explications ; c'est même la raison pour laquelle nous l'avons représenté comme coupé en deux, afin qu'on pût voir quelques-unes des parties intérieures de l'orgue.

Dans les grandes orgues d'églises, il y a ordinairement au-devant du buffet de l'orgue, un autre petit buffet ou petit orgue, qu'on appelle positif, pour le distinguer de l'autre buffet qu'on appelle grand orgue. Ce positif est ordinairement à trois tourelles, & le grand orgue à cinq, sept, neuf, ou davantage, auquel cas le positif est à cinq. La figure C D F E, qui est le plan du positif, fait voir sa situation par rapport au grand orgue ; & c'est entre ces deux buffets que se place l'organiste.

La situation des orgues dans les églises est sur un lieu élevé, comme par exemple, sur quelque tribune, au-devant du balustre de laquelle, le positif avance en saillie.

Derriere la face du buffet d'orgue sont placés horizontalement deux sommiers a b c, au-dessus desquels sont placés les faux sommiers d e l g, percés d'autant de trous qu'il y en a dans le sommier. Ces trous, au-travers desquels passent les tuyaux dont le pié répond sur le sommier, servent à les maintenir dans la situation verticale qu'ils ont tous. Voyez l'article SOMMIER, où sa construction & son usage sont expliqués fort au long, & les fig. 2. jusqu'à 14. qui en font voir tous les développemens. Nous dirons seulement ici que les gravures ou conduits K L, fig. 2. sont horizontaux, & que leur direction est perpendiculaire à la face du fût d'orgue, que les registres M N, fig. 10. croisent en angles droits les gravures, & par conséquent qu'ils sont paralleles à la face du buffet. Le nombre des gravures est égal à celui des touches du clavier. On saura aussi qu'il y a autant de sommiers qu'il y a de claviers ; ainsi si un orgue a deux, trois, quatre, cinq claviers, le nombre des sommiers est le même, & ils sont placés dans le buffet ainsi que nous dirons ci-après.

Des claviers. Les claviers des orgues n'ont ordinairement que quatre octaves, auxquelles on ajoute quelquefois un d la ré en haut & un a mi la en bas. Voyez l'article CLAVIER, où leur facture & usage est expliqué, & les fig. 15, 16, 17, 18, 19.

Des abrégés. Les claviers communiquent aux sommiers par des abrégés, ainsi leur nombre est égal à celui des claviers. Voyez ABREGE. Il en faut pourtant excepter le clavier & le sommier du positif qui communiquent l'un à l'autre par le moyen des bascules, appellées par cette raison, bascules du positif, & des pilotis. Voyez ces mots à leurs articles ; & celui des cornets qui communiquent ordinairement par des bascules brisées, voyez BASCULES BRISEES.

L'abrégé du grand orgue est placé dans l'intérieur entre le clavier & les sommiers ; sa planche est adossée à la face du buffet, ensorte que les targettes qui descendent de l'abrégé au clavier, & celles qui montent de l'abrégé au sommier soient toutes dans un même plan paralleles à la face du fût d'orgue : l'abrégé du clavier de pédales est entre ce clavier & le clavier du grand orgue ; quelquefois il est double, c'est-à-dire que les rouleaux de cet abrégé font mouvoir les rouleaux d'un autre abrégé qui communique par ses targettes ou fil de fer, aux soupapes des sommiers des pédales.

Le vent sorti des soufflets (voyez SOUFFLETS), est porté aux laies des sommiers par de grands tuyaux de bois, qu'on appelle porte-vents : il ne peut en sortir que lorsque l'on baisse une touche du clavier, qui fait ouvrir la soupape correspondante ; alors il entre dans la gravure du sommier : cependant il ne fera parler aucun tuyau, si aucun des registres n'a du vent. Ainsi l'on voit qu'il est nécessaire d'avoir quelque machine qui puisse ouvrir ou fermer les registres à volonté. La méchanique qui accomplit cette indication s'appelle mouvement, voyez MOUVEMENT, quoiqu'il y ait bien d'autres parties mobiles dans l'orgue.

Il faut bien remarquer que les tuyaux qui couvrent un sommier sont rangés dans deux directions ; l'une, selon celle du registre ; la suite des tuyaux prise en ce sens, constitue ce qu'on appelle un jeu, & que leur nombre est égal à celui des touches du clavier ; que la suite des tuyaux étant prise dans le sens de la gravure, n'est composée que d'un tuyau de chaque jeu ; ainsi sur la même gravure répondent tous les ut des différens jeux ; sous une autre gravure tous les ré des différens jeux, &c.

On a entendu ci-devant comment le vent porté des soufflets dans la laie entre dans une gravure ; on peut entendre à présent qu'il ne fera parler qu'un seul tuyau d'un seul jeu, s'il n'y a qu'un seul registre d'ouvert ; qu'il fera parler deux tuyaux de deux jeux différens, s'il y a deux registres ouverts, ainsi du reste.

De la fabrique des jeux de l 'orgue. Premierement des jeux qui se font de bois. Tous les tuyaux de bois qui entrent dans la composition d'un orgue sont tous semblables ; ils ne different les uns des autres que par leur grandeur, que l'on regle sur le diapason, voyez DIAPASON. Un tuyau de bois, tel que celui qui est représenté, fig. 30. Pl. d'orgue, est composé de quatre planches de bois d'Hollande assemblées, à rainure & languettes, ainsi que la fig. 52. le fait voir. Ces quatre planches sont fortement collées, & d'une épaisseur proportionnée à la grandeur du tuyau : elles doivent former un quarré parfait dans leur intérieur, que l'on ferme par le bas par une piece de bois quarrée 2 2, percée en son milieu d'un trou pour recevoir le pié A, qu'on appelle contre biseau, parce qu'elle est opposée au biseau C, qui est une autre planche qui traverse le tuyau, & qui est ébiselée endessous, comme la figure le fait voir. La piece 3 s'appelle levre inférieure, & le petit vuide qui est entre le biseau & la levre inférieure s'appelle lumiere ; l'ouverture 3 4 entre la levre inférieure & la supérieure 4 5, taillée en biseau, qu'on appelle bouche, doit être le quart de la largeur b b fig. 30. n°. 1. On forme la levre supérieure o par deux traits de scie x y x y, qui vont en diminuant de profondeur de y en x ; on enleve avec le ciseau tout le bois superflu, ensorte que cette levre b x x b soit un quarré parfait, & qu'elle aille en biseau 5 4, comme le profil le fait voir. Cette opération se fait avant que de coller le tuyau, que l'on ferme par le haut avec un tampon E F, qui est une piece de bois quarrée couverte de peau de mouton, le côté velu en-dehors afin de fermer exactement l'ouverture ; ce tampon a un manche ou poignée F, pour pouvoir le retirer ou enfoncer facilement dans le tuyau pour accorder.

Reste maintenant à expliquer la formation du son dans les tuyaux soit ouverts ou fermés : nous commencerons par celle des tuyaux ouverts, en supposant seulement que le son ne consiste que dans les ondulations élastiques des parties de l'air, ainsi que cela est universellement reconnu ; que l'air est un corps qui peut être plus ou moins condensé, & qu'il a une force d'inertie, voyez l'article AIR. L'air chassé par les soufflets, & qui est chargé de tout leur poids, entre dans le tuyau D E par le pié A placé dans le sommier, passe dans la chambre B, sort ensuite par la lumiere 3 c, ensuite se partage en deux parties ; l'une sort hors du tuyau & se perd en F, l'autre entre dedans, passe par D vers E, où nous supposerons que le tuyau est ouvert.

L'air qui vient des soufflets dans le sommier est beaucoup plus condensé que l'air extérieur, en vertu de son élasticité, fait effort en tout sens pour se dilater, mais il ne le peut que par l'ouverture du pié A ; ainsi il sort par cette ouverture & agit sur l'air contenu dans la chambre B, qu'il condense à son tour ; celui-ci condensé fait effort pour se rétablir, mais il ne peut se dilater qu'en sortant par la lumiere en forme de lame très-mince, qui s'épanouit après sa sortie, & va frapper contre la levre supérieure où il se partage, ainsi que nous l'avons dit ci-dessus ; mais ce mouvement de l'air peut être regardé comme une suite infiniment rapide d'explosion, suivant ce que nous avons dit à l'article TREMBLANS DOUX & TREMBLANS FORTS, auxquels nous renvoyons à cet égard, & ce que nous dirons plus bas à l'article de la formation du son dans les jeux d'anche.

La partie d'air qui entre dans le tuyau, n'y entre donc, pour ainsi dire, que par secousses ou explosions ; ainsi elle frappe l'air contenu dans le tuyau de la même maniere, & le condense par degré. Cet air résiste par son inertie jusqu'au point où faisant effort pour se rétablir, sa masse du côté de E, où nous avons supposé le tuyau ouvert, ne fait plus assez de résistance pour le laisser condenser davantage ; alors il se fait une explosion subite de cet air par l'ouverture du tuyau : cette explosion est suivie d'une autre d'autant plus rapidement que le tuyau est plus court, puisque la masse d'air que contient le tuyau, & qui résiste par son inertie, est moins considérable. C'est la raison pour laquelle les plus grands des tuyaux rendent des sons plus graves que les petits, puisqu'il est connu que la différence des uns & des autres ne vient que de la fréquence de leurs vibrations plus ou moins grande dans un même tems.

Quant aux tuyaux bouchés, on observe qu'ils descendent à l'octave, ou presque à l'octave du son qu'ils rendent étant ouverts ; nous supposerons pour un instant qu'ils descendent exactement à l'octave ; nous expliquerons ensuite la raison pour laquelle ils n'y descendent pas exactement. On conçoit bien que le tuyau ne peut parler que par la bouche, puisque son extrêmité supérieure est fermée, c'est ce qui a fait donner le nom de bouche à la partie qui en porte le nom.

Ceux qui ont voulu expliquer ce phénomene, se sont contentés de dire, que l'air qui circule dans le tuyau ayant deux fois plus de chemin à faire, devoit par conséquent faire descendre le son à l'octave par analogie à une corde, qui étant double d'une autre, & également tendue, descend en effet à l'octave. Voyez MONOCORDE. Mais comme ils n'avoient pas expliqué pourquoi une corde double & également tendue descend à l'octave ; ce qui n'étoit qu'une comparaison, qui, en Physique ne conclut point, & qu'on ne voit pas clairement, qu'à cause que l'air qui anime le tuyau fait deux fois plus de chemin, le son doive descendre à l'octave ; il s'ensuit que leur explication est défectueuse, d'autant plus qu'il est connu que les différences des tons, quant au grave & à l'aigu, ne viennent que de la fréquence des vibrations des parties élastiques de l'air. Nous allons tâcher d'expliquer ce phénomene, en suivant les principes que nous avons établis, en expliquant la formation du son dans les tuyaux ouverts.

L'air condensé par les soufflets se divise de même au sortir de la lumiere ; une partie entre dans le tuyau, & c'est cette partie seulement que nous allons considérer ; elle condense l'air contenu dans sa capacité en le poussant vers E, où il se trouve un obstacle invincible, qui est le tampon qui ferme le tuyau. Cet air lorsqu'il est condensé, autant qu'il le peut être, eu égard à son inertie, & à l'obstacle qui empêche ses explosions par la partie supérieure du tuyau, réagit contre celui qui le condense, & le repousse vers la bouche du tuyau : mais comme dans les corps élastiques l'action qui les comprime est égale à la réaction qui les rétablit, ainsi qu'il est expliqué aux articles ELASTICITE & RESSORT ; il suit que les explosions de l'air contenu dans le tuyau par la bouche, doivent être deux fois moins fréquentes ; ainsi le tuyau baissera de ton & descendra à l'octave.

Cependant on observe que les tuyaux fermés ne descendent point exactement à l'octave du ton qu'ils rendent étant ouverts ; que l'intervalle des deux sons qu'ils rendent étant ouverts & bouchés, est toujours moindre que l'octave ; c'est la seconde partie du phénomene qui reste à expliquer.

Cet effet vient de deux causes, dont la premiere est certaine. La premiere, c'est que le chemin que l'air parcourt dans le tuyau depuis qu'il est sorti de la lumiere, jusqu'à ce qu'il sorte par la bouche du tuyau, n'est pas exactement double de celui qui sort de la lumiere, & va frapper contre le tampon qui le ferme, puisque cet air sort en rasant la languette qui forme la levre supérieure du tuyau ; ainsi son chemin est double, moins la hauteur de la bouche, & par conséquent le son ne doit point descendre exactement à l'octave.

On ne doit point insister sur ce que nous feignons de croire, que l'air parcourt deux fois la longueur du tuyau, après avoir établi le contraire ; mais puisque la force élastique peut être considérée comme étant acquise, après que le corps élastique a parcouru un certain espace avec une vîtesse déterminée, cette supposition nous étoit permise.

L'autre cause de cet effet que nous avons dit être moins certaine, est la vîtesse du vent qui est beaucoup moindre dans les tuyaux bouchés, que dans les tuyaux ouverts ; mais il semble que cette cause doit produire en effet tout le contraire, puisque l'air contenu dans le tuyau étant condensé plus lentement, il semble que ses explosions doivent être moins fréquentes, ce qui feroit baisser le ton plus bas que l'octave. Mais peut-être l'effet observé n'est produit que par le plus de la force de la premiere cause ci-devant expliquée sur la seconde ; c'est ce qu'on peut se proposer d'éclaircir par des expériences.

Nous expliquerons la formation du son dans les jeux d'anches, après en avoir expliqué la facture.

On a entendu comment on fabrique les tuyaux de bois, reste à expliquer comment on fabrique ceux d'étain ou de plomb.

Les tables d'étain ou de plomb étendues sur l'établi, sont coupées de la grandeur & forme nécessaires. Les pieces destinées à faire les corps des tuyaux, sont de forme parallelogramme A B 43, fig. 31. On divise l'extrêmité inférieure 34, qui doit former le bas du tuyau en quatre parties égales aux points 1 x 2, & les deux parties du milieu 1 x, x 2, chacune en deux également aux points b c. Au point x on éleve la perpendiculaire x y, sur laquelle on prend x a qui doit contenir un quart, plus un huitieme de la largeur 34 qui est le périmetre du tuyau, ou la distance 62 : du point a, comme centre & rayon, la huitieme partie de la ligne 34 on décrit l'arc m y n, qui forme la partie supérieure de la levre supérieure. On tire ensuite les deux perpendiculaires m b, n c. Voyez l'article BOUCHE, & BOUCHE en POINTE. On arrondit ensuite le tuyau sur un moule qui est un cylindre de bois, si les tuyaux sont cylindriques, & un cône de même matiere, si les tuyaux ont cette figure, on arrondit le tuyau en frappant sur la table d'étain ou de plomb avec une batte ; ensorte que les deux arêtes A 3, B 4 se rejoignent. Le tuyau étant ainsi arrondi, on retire le moule, & on blanchit le tuyau dedans & dehors. Voyez BLANC. On le gratte avec la pointe à gratter ; & on le soude. Voyez SOUDURE.

Lorsque les tuyaux sont grands comme ceux de la montre de 16 piés, dont le plus grand tuyau porte trois piés de circonférence, on les fait de deux pieces qui ont chacune la longueur du tuyau, & la moitié de sa circonférence de large : ainsi on n'en fond les tables d'étain que de la largeur nécessaire.

Après que les tuyaux sont soudés, on les arrondit une seconde fois, ensorte qu'ils n'ayent plus aucune bosse ; ce qui est assez difficile, sur-tout pour l'étain, principalement quand les tuyaux sont épais & grands. Quant aux petits, on les arrondit en tenant le tuyau à la main, en le tournant sur le mandrin que l'on tient entre les jambes, ou qui est fixé sur l'établi au moyen d'un valet, & le frappant doucement avec une batte legere.

Les corps des tuyaux étant préparés, on forme leurs piés c d e, fig. 31, n°. 2. Le pié du tuyau est un cône plus ou moins allongé, dont on trouve le tour en cette maniere. On trace sur une table d'étain ou de plomb, selon que le corps du tuyau est de l'une ou de l'autre de ces deux matieres, un arc de cercle, qui développé, soit égal à la circonférence du tuyau. Le rayon du cercle est le côté e d du cône, qui doit servir de pié : du centre de l'arc, dont nous avons parlé, on tire à ses deux extrêmités, deux rayons ; on coupe la table suivant ces traits, ensorte qu'il en reste un secteur de cercle, qui est le cône développé qu'il ne s'agit plus que d'arrondir, ce qui se fait sur un mandrin de figure conique ; on le blanchit & on le soude, ainsi que l'on a fait le corps du tuyau.

Quoique la longueur des piés des tuyaux soit fort indifférente, on observe cependant de les faire pour les tuyaux de montre de grandeur symmétrique, & proportionnée à celle du tuyau, ce qui fait que l'aspect en est plus agréable, ainsi que nous dirons en parlant de la montre. Après que le pié est arrondi, on y trace la levre inférieure a de la bouche, par un arc de cercle de 60 degrés ou environ ; on ramene en dedans du tuyau le segment que cet arc a formé, ensorte qu'après qu'il est applati il forme une corde à la base du cône ou pié. Cette corde doit être égale au côté du quarré inscriptible au cercle de la base, ensorte que le cône étant vu de ce côté, a la forme d'un .

Le pié du tuyau étant formé, on soude à sa base le biseau a D, qui a la même figure de la lettre , ou grand segment de cercle. On ne soude le biseau au pié que par sa partie circulaire ; celle qui sert de corde au segment s'applique vis-à-vis la levre inférieure, ensorte cependant qu'il reste entredeux une petite fente à laquelle nous avons donné le nom de lumiere. C'est par cette fente que l'air poussé dans le pié du tuyau par les soufflets, passe dans le corps du tuyau. On soude ensuite le corps sur le pié, & le tuyau est entiérement achevé.

Lorsque les tuyaux de plomb sont bouchés, ils le sont par une plaque de même métal soudée sur le haut du corps, ensorte qu'il soit exactement fermé. Voyez PLAQUE, & la fig. 32 B, qui représente un tuyau de cette espece. Les tuyaux à cheminée ne différent de ceux-ci, qu'en ce qu'au milieu de la plaque qui ferme le tuyau, il y a un trou sur lequel on soude un petit tuyau de la même matiere que celui qui le compose, & qui est ordinairement de plomb. Voyez l'article CHEMINEE, & la figure 32 c, qui représente un tuyau à cheminée.

Ces deux especes de tuyaux sont toujours garnis d'oreilles, au moyen desquelles on les accorde. Voyez l'article OREILLES.

Les longueurs & grosseurs relatives des tuyaux se reglent sur le diapason. Voyez DIAPASON. Ensorte que plus les sons qui les rendent sont aigus, plus les tuyaux sont courts, ainsi qu'il est expliqué à cet article. On désigne un orgue par la longueur en piés de son plus grand tuyau, sonnant ut, double octave au-dessous de la clé de C sol ut. Ainsi on dit un orgue de 32 pieds, lorsque ce tuyau en a 32 ; un de 16 pieds, lorsqu'il en a 16 ; un orgue de 8 pieds, lorsqu'il en a 8 ; un orgue de 4 pieds, lorsqu'il en a 4. Ce sont-là toutes les dénominations qu'on peut donner aux orgues.

De la fabrique des jeux d'anches. Tous les jeux d'anches sont semblables pour ce qui regarde les anches, ils ne différent que pour la forme & la grandeur de leur tuyau. Nous expliquerons ces différences, après avoir expliqué ce qui regarde la fabrique des anches. Une anche est composée de trois parties principales ; l'anche proprement dite, qui donne le nom à l'assemblage des trois pieces dont nous allons parler, de la languette, du coin de la noix, & de la rasette ou régulateur. Voyez tous ces mots à leurs articles.

L'anche est un demi-cylindre de cuivre fermé par une de ses extrémités, ainsi que les figures A & C, fig. 53, Pl. IX. le font voir. On donne cette forme aux anches en les étampant dans les gravures de l'étampoir. Voyez ÉTAMPOIR, & la fig. 5 + qui le représente. La languette, représentée en B, fig. 53, est une petite lame de laiton très-mince, & fort élastique, que l'on applique sur la face de l'anche, ensorte qu'elle ferme exactement toute l'ouverture. On place les deux pieces dans le trou de la noix représentée en A ; cette noix a un épaulement, qui sert à soutenir l'anche dans la situation verticale. Ces noix sont de plomb & fondues dans un moule de cuivre de deux pieces, dans lequel on place une cheville qui forme le trou dans le tems de la fonte, ce qui épargne la peine de les percer après qu'elles sont fondues. On observe aussi de ménager un petit trou à la partie de la noix opposée à l'épaulement pour y faire passer la rasette, ainsi que l'on peut voir à la figure 44, & dans la figure 53 A, où le point noir représente le trou par où doit passer la rasette ; on ferme le vuide qui reste dans le trou de la noix, après que l'anche y est placée avec un petit coin de bois D, de figure conique. Ce coin est la moitié d'un cône coupé sur le triangle par l'axe : on applique la face triangulaire de ce cône sur la languette, & sa face convexe s'applique contre celle du trou, ensorte que l'ouverture est exactement fermée, ce qui produit en même tems l'avantage d'affermir l'anche & sa languette dans le corps de la noix.

Les tuyaux des jeux d'anches sont tous de figure conique, excepté celui du cromorne, & ordinairement d'étain. Leur fabrique est la même que celle des tuyaux de mutation ci-devant expliqués, à cette différence qu'on les roule sur un mandrin conique.

Avant de monter les anches sur les noix, on soude ces dernieres à la partie inférieure des tuyaux, qui est toujours le sommet du cône, & sur leur corps on soude l'anneau D, fig. 44, qu'on appelle bague (Voyez BAGUE,) dont l'usage est de servir de guide à la rasette, qui passe par un petit trou fait à cet anneau, ainsi qu'on le voit dans la même figure, & le tuyau est entiérement achevé lorsque la rasette y est placée.

La rasette est un fil de fer recourbé, comme on voit en F f, fig. 53. La partie f de la rasette s'applique sur la languette, fig. 44 ; ensorte qu'en haussant ou baissant la tige de la rasette, sa partie f puisse glisser le long de la languette ; ce mouvement sert à accorder l'anche.

La partie inférieure du tuyau C D fig. 44. se place dans une boîte, voyez BOITE placée au-dessous.

Cette boîte est composée comme les tuyaux de mutation ; d'un corps A qui est cylindrique & d'un pié conique, B, dont l'extrêmité inférieure qui est percée comme celle de tous les piés des tuyaux, se place sur le sommier pour en recevoir le vent & le porter à l'anche : on conçoit bien par conséquent, qu'il est nécessaire que la boîte s'applique exactement contre la bague du tuyau ; ensorte qu'il n'y ait aucune ouverture, puisque sans cela le vent qui vient du sommier dans la boîte au lieu de passer par l'anche, passeroit par les ouvertures, au lieu de redescendre dans la partie conique de la boîte, si la bague en s'appliquant exactement aux parois de la même boîte, ne lui fermoit exactement le passage.

Une attention que l'on doit avoir, est que la languette que nous avons dit être élastique, ne touche point l'anche dans sa partie inférieure lorsqu'elle n'est point comprimée, mais cependant elle doit en être très-peu éloignée.

La construction des jeux d'anches étant expliquée, nous allons faire entendre la formation du son dans ces sortes de tuyaux, en faisant usage des principes établis ci-devant. L'air condensé ou le vent poussé par les soufflets dans le sommier, entre dans la boîte du tuyau d'anche par l'ouverture de son pié, on peut regarder cette boîte comme la chambre des tuyaux de bois, puisqu'elle fait le même effet, il s'y condense & fait effort en tous sens pour sortir, mais il ne le peut que par l'anche, puisque nous avons dit que la boîte étoit exactement fermée ; ainsi il ouvrira davantage l'anche en écartant la languette, il se fera alors une explosion subite de l'air contenu dans la chambre ou boîte ; mais comme la languette qui est élastique a été écartée de son point de repos, elle fera effort pour s'y remettre ; mais après y être revenue, elle ne s'y arrêtera pas, elle continuera jusqu'à ce qu'elle soit appliquée sur la face de l'anche, puisqu'il est connu que les corps élastiques fixes par une de leurs extrémités oscillent comme un pendule. Dans l'instant où la languette sera appliquée sur l'anche, l'air qui vient continuellement dans la boîte s'y condensera de nouveau ; mais dans le même tems, la languette s'écartera de l'anche étant ramenée à son point de repos par sa force élastique, il se fera une seconde explosion, & la languette sera relevée comme la premiere fois, ensuite sa force élastique la ramenera contre l'anche ; ainsi alternativement & d'autant plus fréquemment, que la languette sera plus courte ou qu'elle sera plus élastique, ou que le vent sera plus fort ; cet effet est le même que celui du tremblant fort que l'on peut regarder comme une anche sans tuyau. Voyez TREMBLANT FORT.

Ainsi on voit que le son du tuyau dépend de plusieurs causes variables ; c'est ce qui fait que jusqu'à présent personne n'a donné le vrai diapason des anches, faute de discerner les trois causes dans un seul effet. Nous allons essayer de donner une regle certaine pour trouver le diapason, en supposant les deux dernieres causes constantes.

Tirez la ligne A B, fig. 50. n °. 2. à discrétion ; divisez cette ligne en autant de parties égales qu'il y a de touches au clavier, ou que le jeu dont vous cherchez le diapason, doit avoir de tuyaux ; élevez sur les points de division, autant de perpendiculaires, dont vous marquerez le pié des noms ut, re, mi, fa, &c. selon la suite des touches du clavier.

Ensuite, construisez une anche d'une grandeur & grosseur quelconque que vous monterez d'une languette convenable ; vous pousserez ou tirerez la rasette jusqu'à ce que le son que l'anche rend soit le plus sonore, le plus plein & le plus agréable qu'il est possible, sans vous inquiéter du ton qu'elle rendra ; ce ton étant trouvé, cherchez son unisson au clavecin ; ce sera, par exemple, le sol de l'octave des basses ; démontez le tuyau sans déranger la rasette, & mesurez avec un compas la distance de la rasette à l'extrêmité de la languette, ou la longueur de la partie vibrante de celle-ci que vous porterez sur la ligne E a que je suppose être la perpendiculaire correspondante au sol, & y ferez une marque.

Construisez ensuite une autre anche, mais beaucoup plus petite, que vous monterez, langayerez & ferez parler le mieux qu'il sera possible, ainsi qu'il a été dit ; cherchez son unisson au clavecin, ce sera, par exemple, le mi de l'octave des dessus ; mesurez exactement la longueur de la partie vibrante de la languette de cette anche que vous porterez sur la ligne perpendiculaire correspondante, que je suppose F x, où vous ferez un point. Par les deux marques faites sur les perpendiculaires E a, F x, tirez la ligne C D, elle coupera toutes les autres perpendiculaires aux points y y y y, &c. les parties de ces perpendiculaires interceptées entre leur pié & la ligne C D, seront la longueur de la partie vibrante des languettes d'anches qui rendront les sons correspondans aux touches que les perpendiculaires représentent. Cette méthode qui est certainement ingénieuse, est autant exacte que le peut être une chose où des causes physiques incommensurables concourent à former l'effet ; de cette nature est, par exemple, l'élasticité des languettes, de l'égalité de laquelle il est très-difficile de s'assurer.

Les variétés produites par cette cause sont quelquefois si considérables, qu'il arrive qu'une anche rend un son beaucoup plus grave que celui d'une autre anche, quoique sa languette soit plus courte ; selon notre diapason, ce devroit être tout le contraire ; en ce cas, le meilleur remede est de diminuer l'épaisseur de la languette, ou en mettre une autre, si elle se refuse à toutes les corrections. On doit être assuré qu'un jeu d'anche ne sera parfait, qu'autant qu'il suivra exactement le diapason que nous avons prescrit.

On trouvera les diametres proportionnels des anches en cette maniere ; on mettra sur la perpendiculaire a E le diametre de l'anche qui a donné cette ligne, & sur la perpendiculaire x F celui de l'autre anche ; on tirera par les points une ligne C D qui interceptera dans les perpendiculaires des lignes qui seront prises pour diametres des anches correspondantes : enfin, on ajoutera à chacun une longueur convenable pour que la rasette ait de quoi se placer & remonter, & que l'on puisse assurer l'anche dans sa noix.

Lorsque les tuyaux d'anche sont grands, on les fait de deux pieces, celle d'en-bas qui reçoit la grande s'appelle tube, voyez TUBE. Cette disposition n'ôte ni n'ajoute rien à la perfection du tuyau, elle est seulement une commodité pour le facteur, en ce que de trop grands tuyaux ne sont pas maniables.

Les jeux dont un orgue complet est composé, sont la montre de seize piés ou de huit ; si l'orgue n'a point de seize piés, alors c'est le jeu qu'on appelle le huit piés ouvert qui en tient lieu, le bourdon de seize piés & la bombarde qui est à l'unisson, le plus grand tuyau de ces jeux sonnant l'ut grave de l'octave des basses a seize piés de long.

Les jeux sonnant le huit piés ou l'unisson du clavecin, & dont le plus grand tuyau a huit piés, sont le bourdon de huit ou quatre piés bouché ; car, ainsi qu'il a été dit, les tuyaux bouchés n'ont que la moitié de ceux qui étant à l'unisson seroient ouverts.

Le huit piés ouvert, la trompette, le cromorne & la voix humaine.

Le jeu qui est à la quinte du huit piés est le gros nazard.

Ceux qui sonnent le quatre piés ou l'octave du clavecin, sont le prestant sur lequel on fait la partition de l'orgue, la flûte, le clairon, la voix angélique.

Le jeu qui sonne la tierce au-dessus de ceux-ci s'appelle double tierce.

Celui qui sonne la quinte au-dessus est le nazard, qui sonne par conséquent l'octave au-dessus du gros nazard.

Le jeu à la quarte de celui-ci s'appelle quarte de nazard ; son plus grand tuyau a deux piés.

La doublette est à l'unisson de ce jeu, & sonne par conséquent le deux piés.

La trompette de récit qui n'a que les deux octaves de dessus & quelquefois deux octaves & quinte, sonne le huit piés ; la flûte allemande n'a aussi que les deux mêmes octaves, par conséquent elle sonne l'unisson des dessus du huit piés ou du quatre piés.

Le grand cornet, le cornet de récit, le cornet d'écho qui n'ont ordinairement que deux octaves ou deux octaves & quinte, sont composés des dessus des cinq jeux suivans, bourdon, flûte, nazard, quarte de nazard, tierce.

La fourniture & la cymbale sont composées comme les cornets, mais avec cette différence que quoiqu'elle occupe toute l'étendue du clavier, elle n'est cependant composée que des octaves aiguës, des jeux qui composent les cornets, lesquelles octaves se répetent, ainsi qu'il est expliqué à l'article CYMBALE & FOURNITURE.

La tierce sonne l'octave au-dessus de la double tierce ; ce jeu a quatre octaves.

Le larigot, le plus aigu des jeux de l'orgue, sonne l'octave au-dessus du nazard, & la quinte de la doublette ou des deux piés.

L'intervalle du plus grave son de l'orgue qui est l'ut grave de l'octave des basses du bourdon ou de la montre de trente-deux piés, au plus aigu, qui est l'ut en haut du larigot, est de huit octaves & quinte, mais des sons aussi graves que ceux de l'octave du trente-deux piés, ne s'entendent presque pas audessous de l'F ut fa, aussi on supprime ordinairement les derniers tuyaux, qui par leurs volumes causent un embarras très-considérable ; ceci renverse le préjugé des gens peu instruits, qui s'imaginent que le plus gros tuyau d'un orgue est celui qui fait le plus de bruit.

Dans l'énumération des jeux que nous venons de faire, nous n'avons point marqué quels sont les jeux d'anches ; cette omission est amplement réparée à l'article JEUX où leur matiere est expliquée, & à leurs articles séparés : nous dirons seulement ici que ces jeux sont la bombarde, la trompette, le cromorne, la voix humaine, la voix angélique & la trompette de récit. Voyez tous ces articles.

Les jeux qu'on appelle de pédale, parce que l'on les touche avec les piés sur le clavier de pédale, sont la pédale de bombarde, jeu d'anche, souvent le seize piés, & dont le ravalement, si elle en a, descend dans le trente-deux piés jusqu'à l'F ut fa.

La pédale de trompette, jeu d'anche, sonne l'unisson des basses & des basses-tailles de la trompette sur le huit piés ; si elle a ravalement, elle descend jusqu'à l'F ut fa.

La pédale de huit, jeu de mutation, est à l'unisson de celle-ci.

La pédale de clairon sonne l'unisson des basses du clairon, son ravalement descend dans le huit piés.

La pédale de quatre ou pédale de flûte, jeu de mutation, sonne l'unisson des basses de la flûte ; son ravalement, si elle en a, descend dans le huit piés.

Les pédales ne différent des jeux, dont ils sont les pédales, qu'en ce qu'ils sont de plus grosse taille & qu'ils descendent plus bas, s'ils sont à ravalement. Voyez leurs articles.

Par tout ce que nous venons de dire, on a entendu la facture d'une orgue.

Nous ajouterons seulement ici, renvoyant pour les détails aux articles particuliers répandus dans ce Dictionnaire, une contre récapitulation qui puisse faire entendre la méchanique de cet instrument, après avoir parlé de l'arrangement relatif des jeux dans le buffet d'orgue.

Tous les jeux sont rangés chacun sur son registre particulier, que nous avons dit être parallele à la face du buffet ; ensorte que les plus grands tuyaux soient vers les extrémités, ainsi qu'il est expliqué au mot abrégé ; il faut excepter de cette regle tous les tuyaux de montre, & ceux qui par leur volume occupent trop de place ; en ce cas, le vent leur est porté par un tuyau de plomb, dont une des extrêmités répond au pié du tuyau, & l'autre au trou du sommier où le tuyau auroit dû être placé.

L'orgue ne peut parler que quand les soufflets lui poussent de l'air qui lui sert d'ame ; ainsi il est besoin d'avoir un souffleur qui leve alternativement les soufflets en baissant leurs bascules. Voyez SOUFFLETS. Il doit observer de ne point en lever deux à la fois, & après avoir levé un soufflet, de le laisser tomber doucement sur l'air qu'il contient, qui, tant que le soufflet est tenu élevé n'est point condensé, & par conséquent incapable de résister au poids qui charge la table supérieure, au lieu qu'en lâchant le soufflet par degré, l'air se condense assez pour le pouvoir soutenir ; d'ailleurs les secousses causent un battement désagréable dans les tuyaux qui parlent pour lors, dont les auditeurs s'apperçoivent, joint que les soufflets en sont considérablement endommagés.

L'organiste assis en X, fig. 1. sur un siége d'une hauteur convenable, les piés posés sur la barre de fer o b qu'on appelle marche-pié, commence par tirer les jeux ? Tirer les jeux, est ouvrir leurs registres au moyen des batons quarrés S R placés à sa portée, qui font tourner les rouleaux P Q & tirer la bascule V u qui tire le registre, & fait que ses trous répondent vis-à-vis de ceux de la table & de la chape du sommier, voyez MOUVEMENS. Quand il a tiré tous les jeux dont il veut se servir, tant ceux de pédales, que ceux du grand orgue ou du positif, aucun tuyau ne parle, quoique les soufflets soient levés & les layes des sommiers remplies de vent, jusqu'à ce qu'en baissant une touche du clavier qui communique aux sous-papes contenues dans la laye par le moyen d'un des rouleaux de l'abrégé, il fasse ouvrir cette sous-pape, la sous-pape ouverte laissera passer l'air que la laye contient dans la gravure correspondante ; cet air passera ensuite dans les tuyaux dont les registres sont ouverts, & les fera parler ; c'est la même chose de toutes les touches, tant du clavier de pédale, que des claviers du grand orgue ou du positif. Voyez les articles CLAVIER, ABREGE, SOMMIER, &c.

On conçoit bien qu'on peut varier & mêlanger des jeux, puisqu'on est maître d'ouvrir ou fermer ceux que l'on juge à propos ; mais il y en a par exemple qui ne doivent jamais être seuls, comme la fourniture & la cymbale, d'autres qui ne doivent jamais être ensemble, comme par exemple, la quarte de nazard & le nazard, la même quarte de nazard & le larigot, parce que ces jeux mis ensemble font une quarte. Voyez sur ceci l'art. JEUX, où on trouvera des exemples des différens mêlanges ou combinaisons dont les jeux sont susceptibles.

Quant à la maniere d'accorder un orgue, voyez les articles PARTITION & ACCORD. Articles de MM. THOMAS & GOUSSIER.

ORGUE HYDRAULIQUE, instrument en maniere de buffet d'orgue, fait de métal peint & doré, qui joue par le moyen de l'eau dans une grotte, comme on en voit, par exemple à Tivoli, dans la vigne d'Est : on trouve la description de ces orgues dans l'hydraulica pneumatica de Schot. (D.J.)

ORGUES, dans la Fortification, sont des pieces de bois suspendues à un moulinet sous le milieu des portes, qu'on peut faire tomber pour boucher promptement la porte en cas de surprise. On a substitué les orgues aux herses, parce qu'on pouvoit empêcher la herse de tomber, & que les orgues n'ont pas le même inconvénient. Voyez HERSE. (Q)

ORGUE est aussi, dans l'Artillerie, une machine composée de plusieurs canons de mousquet attachés ensemble, & dont on se sert pour défendre des breches & des retranchemens ; parce que par leur moyen on tire plusieurs coups à-la-fois. Voyez le premier livre des Elémens de la guerre des siéges, seconde édition. (Q)

ORGUES DE MORTS, (Artillerie) machine d'artillerie composée de sept ou huit canons de fusils pour tirer plusieurs coups à-la-fois. On affermit ces canons sur une petite poutre, & leur lumiere passe par une gouttiere de fer-blanc, où l'on met de la poudre, & qu'on couvre jusqu'au moment qu'on veut tirer. Cette machine sert dans les chemins couverts, dans les breches, & dans les retranchemens, souvent même sur les vaisseaux pour empêcher l'abordage. (D.J.)


ORGUEILsub. masc. ORGUEILLEUX, adj. (Morale) L'orgueil est une opinion excessive de son propre mérite ; c'est un sentiment qui consiste à s'estimer soi-même plus que les autres, ou sans raison, ou sans sujet suffisant ; & dans cette prévention à les mépriser mal-à-propos. Je dis sans raison, & c'est alors une folie : j'ajoute & sans sujet suffisant, parce que quand quelqu'un a légitimement acquis un droit qui lui donne une prééminence par-dessus les autres, il est maître de faire valoir ce droit & de le maintenir, pourvu qu'il évite un mépris injurieux vis-à-vis de ses inférieurs. Mais le bon sens, la réflexion, la philosophie, la foiblesse humaine, l'égalité qui est entre les hommes, doivent servir de préservatifs contre l'orgueil, ou du-moins de correctifs de cette passion ; c'est ce qui fait dire spirituellement à l'auteur des maximes, que l'orgueil ne monte dans l'esprit de quelqu'un, que pour lui épargner la douleur de voir ses imperfections. (D.J.)

ORGUEIL, (Architect.) c'est une grosse cale de pierre, ou un coin de bois, que les ouvriers mettent sous le bout d'un levier ou d'une pince, pour servir de point d'appui, ou de centre de mouvement d'une pesée, ou d'un abatage. (D.J.)


ORGUES DE MERtuyaux d'orgues, (Conchiliologie) Pl. XX. fig. 8. On a donné ce nom à une sorte de vermisseaux de mer à tuyaux, qui vivent en société ; parce que ces vermisseaux grouppent ensemble leurs tuyaux, à-peu-près comme ceux de l'instrument de Musique que nous appellons orgue. Chaque vermisseau a son tuyau séparément : ces tuyaux sont d'un beau rouge pourpré. Voyez COQUILLE.


ORGYA(Littérat.) c'étoient de petites idoles que gardoient précieusement les femmes initiées aux mysteres de Bacchus. Dans les jours consacrés à ce dieu, elles prenoient ces petites statues, & les emportoient dans les bois, en hurlant comme des folles. Voyez ORGIES. (D.J.)


ORGYE(Mesure anc.) mesure égyptienne qui, selon Hérodote, étoit de quatre coudées, ou de six piés grecs. En comparant ce qu'en dit cet historien, l. I. n. 149. & l. II. c. vj. il paroît que quatre palmes font un pié grec, six palmes une coudée, & quatre coudées ou six piés grecs, font une orgye. (D.J.)


ORICHALQUES. m. (Littérat.) en latin orichalcum, dans Virgile, métal mixte que nous ne connoissons plus.

L'orichalque des anciens, & le laiton des modernes, sont deux choses bien différentes. L'orichalque des anciens n'a point de nom parmi nous, parce que nous n'en avons aucune connoissance. Outre l'or, l'argent, le cuivre, l'étain, le fer, le plomb, dit Lucrece, l. VI. vers 1241, qui se trouverent séparés dans les creusets de la terre, il se fit en quelques endroits de la terre un mêlange de plusieurs de ces métaux ; & ce métal mixte fut estimé le plus précieux de tous. C'est pourquoi Virgile mêle l'orichalque avec l'or dans la belle cuirasse qu'il donne à Turnus.

Ipse dehinc auro squallentem, alboque orichalco

Circumdat loricam humeris. Aenéid. l. XII. v. 87.

" Il endossa une magnifique cuirasse d'or & d'orichalque blanc ". Plaute dans plusieurs endroits de ses comédies, en parle comme d'une chose de très-grand prix. Pline, l. XXXIV. cap. 2. convient aussi de l'estime générale où étoit ce métal ; mais il ajoute qu'on n'en trouvoit plus de son tems.

Au défaut de la nature, on a eu recours à l'art, & on a fait une espece d'orichalque avec de l'or, du cuivre, & de la calamine. Ce mêlange de l'or & de l'airain donna lieu dans la suite de l'appeller aurichalcum, mot que les copistes postérieurs qui ne connoissoient plus l'orichalque naturel, n'ont pas manqué de mettre par-tout où ils l'ont pu, dans les anciens auteurs.

Enfin, nos Métallurgistes modernes ont composé l'orichalque avec le seul mêlange de cuivre & de pierre calaminaire ; & ils ont continué de nommer ce mêlange aurichalcum, ou orichalcum. Ainsi l'orichalque des modernes est le pur laiton. Voyez LAITON.

L'électrum des anciens, outre l'ambre qu'il désigne dans Virgile, signifie dans Pline, l. XXXIII. c. iv. un mêlange d'or & d'argent, qui est cette espece d'orichalque, qui, selon Homere, brilloit à la lumiere beaucoup plus que l'argent.

Le métal dont il est question dans Ezéchiel, ch. j. v. 4. sous le terme hébreu hachasmal, est l'orichalque des anciens, & non celui des modernes, quoiqu'en dise Bochart, qui a ignoré que notre laiton est d'une invention assez récente. Peut-être enfin, que le caracoli employé par les Caraïbes dans leurs ajustemens, & dont parle le pere Labat dans ses voyages, tome II. est l'orichalque des anciens ; c'est un métal des Indes qui paroît comme de l'argent, surdoré legerement avec quelque chose d'éclatant, comme s'il étoit un peu enflammé. Les Orfévres françois & anglois qui sont aux îles, ont fait quantité d'expériences, pour imiter ce métal. On dit que ceux qui en ont approché de plus près, ont mis dans leur alliage sur six parties d'argent, trois parties de cuivre rouge purifié, & une d'or. On fait des bagues, des boules, des poignées de cannes, & autres ouvrages de ce métal, qui ont une grande beauté, quoiqu'inférieur au caracoli naturel des Indiens. (D.J.)


ORICUMou ORICUS, ou ORICOS, (Géog. anc.) ancienne ville maritime de l'Epire septentrional dans la Chaonie, avec un port fameux, dont il est parlé dans les commentaires de César, de Bello civili, cap. vij. viij. xj. xij. Tite-Live, l. XXVI. en appelle les habitans Oricini.

La ville d'Oricum fut bâtie, au rapport de Pline, par des peuples venus de la Colchide, dans une petite île qui se réunit depuis au continent. Scymnus de Chio dit au contraire, qu'elle fut bâtie par les Eubéens qui revenoient du siége de Troie, & qui furent jettés dans cet endroit par les gros vents. Quoi qu'il en soit, cette ville se nomme aujourd'hui Orto, & elle est dans le canton appellé la Canina, vis-à-vis des côtes de la Pouille. (D.J.)


ORIENTS. m. se dit dans l'Astronomie & dans la Géographie, du point de l'horison qui répond au levant, ou à l'est. Voyez EST & LEVANT. Ce mot vient du latin oriri, se lever, parce que c'est dans le point dont il s'agit, que le soleil paroît se lever. Voyez LEVER.

Orient équinoxial, signifie le point de l'horison où le soleil se leve, quand il est dans l'équateur, c'est-à-dire, quand il entre en aries ou en libra. Voyez PRINTEMS & AUTOMNE.

Orient d'été, est le point où le soleil se leve au commencement de l'été, dans le tems des plus longs jours.

Orient d'hiver, est le point où le soleil se leve au solstice d'hiver, dans les tems des plus courts jours. Chambers. (O)

ORIENT, (Critique sacrée) les Hébreux désignoient l'orient par kedem, qui signifie le devant ; ils l'entendoient souvent par rapport à la Judée ; magi ab oriente venerunt, Matth. ij. 1. les mages vinrent de l'Arabie ou de la Chaldée, pays qui sont à l'orient de la Judée. Ils l'entendoient aussi à l'égard de la ville de Jérusalem ; qui mons est contra Jerusalem ad orientem. Zach. xiv. 4. la montagne des oliviers est vis-à-vis de Jérusalem vers l'orient. Ils l'entendoient encore par rapport au tabernacle, asperget digito septies ad orientem, Levit. xvj. 14. Ils prenoient même ce mot absolument, sicut fulgur exit ab oriente, Marc, xxiv. 27. Orient signifie quelquefois en général un pays éloigné, qui suscitavit ab oriente justum. Is. xlj. 2. qui a fait sortir le juste de l'orient. Enfin, il se prend pour J. C. le soleil de justice, visitavit nos oriens ex alto, Luc, j. 78. Jesus-Christ nous est venu visiter d'en-haut. (D.J.)

ORIENT, empire d '(Hist.) c'est ainsi qu'on appella l'empire romain, lorsque Constantin par la vanité de faire une ville nouvelle, & de lui donner son nom, transporta le trône à Byzance. Alors on vit Rome presque entiere passer en orient ; les grands y menerent leurs esclaves, c'est-à-dire presque tout le peuple, & l'Italie fut privée de ses habitans. Par cette division du sceptre les richesses allerent à Constantinople, & l'empire d'occident se trouva ruiné. Toutes les nations barbares y firent des invasions consécutives ; il alla de degré en degré de la décadence à la chûte, jusqu'à ce qu'il s'affaissa tout-à-coup sous Arcadius & sous Honorius.

Justinien reconquit à la vérité l'Afrique & l'Italie par la valeur de Bélisaire ; mais à peine furent-elles subjuguées, qu'il fallut les perdre. D'ailleurs Justinien désola ses sujets par des impôts excessifs, & finalement par un zele aveugle sur les matieres de religion. Animé de cette fureur, il dépeupla son pays, rendit incultes les provinces, & crut avoir augmenté le nombre des fideles, lorsqu'il n'avoit fait que diminuer celui des hommes. Par la seule destruction des Samaritains, la Palestine devint déserte, & il affoiblit justement l'empire par zele pour la Religion, du côté par où quelques regnes après, les Arabes pénétrerent pour la détruire.

Bien-tôt toutes les voies furent bonnes pour monter sur le trône : un centenier nommé Phocas, y fut élevé par le meurtre. On y alla par les présages, par les soldats, par le clergé, par le sénat, par les paysans, par le peuple de Constantinople, par celui des villes, des provinces, par le brigandage, par l'assassinat ; en un mot, par toutes sortes de crimes.

Les malheurs de l'empire croissant de jour en jour, on fut naturellement porté à attribuer les mauvais succès de la guerre, & les traités honteux dans la paix, à la conduite de ceux qui gouvernoient. Les révolutions firent les révolutions ; & l'effet devint lui-même la cause. Comme les Grecs avoient vu passer successivement tant de diverses familles sur le trône, ils n'étoient attachés à aucune ; & la fortune ayant pris des empereurs dans toutes les conditions, il n'y avoit pas de naissance assez basse, ni de mérite si mince, qui pût ôter l'espérance.

Phocas dans la confusion étant mal affermi, Héraclius vint d'Afrique, & le fit mourir ; il trouva les provinces envahies, & les légions détruites.

A peine avoit-il donné quelque remede à ces maux, que les Arabes sortirent de leurs pays pour étendre la religion & l'empire que Mahomet avoit fondés d'une même main. Apôtres conquérans, comme avoit été leur chef, animés d'un zele ambitieux pour leur nouvelle doctrine, endurcis aux fatigues de la guerre, sobres par habitude, par superstition, & par politique, ils conduisoient sous l'étendart de leur prophete des troupes d'enthousiastes, avides de carnage & de butin, contre des peuples mal gouvernés, amollis par le luxe, livrés à tous les vices qu'entraîne l'opulence, & depuis long-tems épuisés par les guerres continuelles de leurs souverains. Aussi jamais progrès ne furent plus rapides que ceux des premiers successeurs de Mahomet.

Enfin, on vit s'élever en 1300 une nouvelle tempête imprévue qui accabla la Grece entiere. Semblables à cette nuée que vit le prophete, qui petite dans sa naissance, vint bien-tôt à couvrir le ciel, les Turcs méprisables en apparence dans leur origine, fondirent comme un tourbillon sur les états des empereurs grecs, passerent le Bosphore, se rendirent maîtres de l'Asie, & pousserent encore leurs conquêtes jusques dans les plus belles parties de l'Europe ; mais il suffit de dire ici, que Mahomet II. prit Constantinople en 1453, fit sa mosquée de l'église de sainte Sophie, & mit fin à l'empire d'orient, qui avoit duré 1123 années. Telle est la révolution des états. (D.J.)

ORIENT, (Commerce) ce terme s'entend de toutes les parties du monde qui sont situées à notre égard vers les lieux où nous voyons lever le soleil. Il ne se dit néanmoins communément que de celles qui sont les plus éloignées de nous, comme la Chine, le Japon, le Mogol, & le reste de l'Inde, l'Arabie, & la Perse. Les autres dont nous sommes plus voisins, comme les îles de l'Archipel, & les côtes de la Méditerranée, où sont Constantinople, Smyrne, Alep, Seyde, &c. même le Caire, ne sont connues dans le Commerce que sous le nom du Levant. (D.J.)

ORIENT, port de l '(Géog.) ou simplement Orient, port de France en Bretagne, au fond de la baie du Port-Louis, à l'embouchure de la riviere de Scorf, qui vient du pont Scorf. On y a bâti depuis environ 35 ans une ville, où la compagnie des Indes tient ordinairement ses gros magasins. Long. suivant Cassini, 14 d. 8'. 40''. lat. 47 d. 44'. 50''. (D.J.)


ORIENTALadj. (Ast. & Géog.) se dit proprement de quelque chose qui est située à l'est ou au levant par rapport à nous ; il est opposé à occidental ; mais on dit plus généralement oriental de tout ce qui a rapport aux pays situés à l'orient par rapport à nous. Voyez EST, LEVANT & OCCIDENTAL.

C'est dans ce sens qu'on dit, perles orientales, lorsqu'on parle des perles qui se trouvent dans les Indes orientales. Voyez PERLE. On dit encore langues orientales, en parlant de l'hébreu, du syriaque, du chaldéen, & du cophte. Voyez LANGUE.

Dans l'Astronomie on dit qu'une planete est orientale lorsqu'elle paroît précéder le soleil vers le levant. Voyez LEVANT, voyez LUCIFER. Chambers. (O)

ORIENTALE, Philosophie, (Hist. de la Philosoph.) peu de tems après la naissance de Jesus-Christ, il se forma une secte de philosophes assez singuliere dans les contrées les plus connues de l'Asie & de l'Afrique. Ils se piquoient d'une intelligence extraordinaire dans les choses divines, ou celles sur lesquelles on croit le plus parce qu'on y entend le moins, & où il ne faut pas raisonner, mais soumettre sa raison, faire des actes de foi & non des systèmes ou des syllogismes. Ils donnoient leur doctrine pour celle des plus anciens philosophes, qu'ils prétendoient leur avoir été transmise dans sa pureté ; & plusieurs d'entr'eux ayant embrassé la religion chrétienne, & travaillé à concilier leurs idées avec ses préceptes, on vit tout-à-coup éclorre cet essaim d'hérésies dont il est parlé dans l'histoire de l'Eglise sous le nom fastueux de Gnostiques. Ces Gnostiques corrompirent la simplicité de l'Evangile par les inepties les plus frivoles ; se répandirent parmi les Juifs & les Gentils, & défigurerent de la maniere la plus ridicule leur philosophie, imaginerent les opinions les plus monstrueuses, fortifierent le fanatisme dominant, supposerent une foule de livres sous les noms les plus respectables, & remplirent une partie du monde de leur misérable & détestable science.

Il seroit à souhaiter qu'on approfondît l'origine & les progrès des sectes : les découvertes qu'on feroit sur ce point éclaireroient l'histoire sacrée & philosophique des deux premiers siecles de l'Eglise ; période qui ne sera sans obscurité, que quand quelque homme d'une érudition & d'une pénétration peu commune aura achevé ce travail.

Nous n'avons plus les livres de ces sectaires, il ne nous en reste qu'un petit nombre de fragmens peu considérables. En supprimant leurs ouvrages, les premiers peres de l'Eglise, par un zele plus ardent qu'éclairé, nous ont privé de la lumiere dont nous avons besoin, & presque coupé le fil de notre histoire.

On ne peut révoquer en doute l'existence de ces philosophes. Porphyre en fait mention, il dit dans la vie de Plotin : . Il y avoit alors plusieurs chrétiens, hérétiques, & autres professant une doctrine émanée de l'ancienne philosophie, & marchant à la suite d'Adelphius & d'Aquilinus, &c. Ils méprisoient Platon ; ils ne parloient que de Zoroastre, de Zostrian, de Nicothée, & de Melus, & ils se regardoient comme les restaurateurs de la sagesse orientale : nous pourrions ajouter au témoignage de Porphyre, celui de Théodote & d'Eunape.

Ces philosophes prirent le nom de Gnostiques, parce qu'ils s'attribuoient une connoissance plus sublime & plus étendue de Dieu, & de ses puissances ou émanations, qui faisoient le fond de leur doctrine.

Ils avoient pris ce nom long-tems avant que d'entrer dans l'Eglise. Les Gnostiques furent d'abord certains philosophes spéculatifs ; on étendit ensuite cette dénomination à une foule d'hérétiques dont les sentimens avoient quelque affinité avec leur doctrine. Irenée dit que Ménandre disciple de Simon, fut un gnostique ; Basilide fut un gnostique selon Jerôme ; Epiphane met Saturnin au nombre des Gnostiques ; Philastrius appelle Nicolas chef des Gnostiques.

Ce titre de gnostique a donc passé des écoles de la philosophie des Gentils dans l'Eglise de J. C. & il est très-vraisemblable que c'est de cette doctrine trompeuse que Paul a parlé dans son épître à Timothée, & qu'il désigne par les mots de ; d'où l'on peut conclure que le gnosisme n'a pas pris naissance parmi les Chrétiens.

Le terme de gnosis est grec ; il étoit en usage dans l'école de Pythagore & de Platon, & il se prenoit pour la contemplation des choses immatérielles & intellectuelles.

On peut donc conjecturer que les philosophes orientaux prirent le nom de Gnostiques, lorsque la philosophie pythagorico-platonicienne passa de la Grece dans leur contrée, ce qui arriva peu de tems avant la naissance de Jesus-Christ ; alors la Chaldée, la Perse, la Syrie, la Phénicie, & la Palestine étoient pleines de Gnostiques. Cette secte pénétra en Europe. L'Egypte en fut infectée ; mais elle s'enracina particulierement dans la Chaldée & dans la Perse. Ces contrées furent le centre du gnosisme ; c'est-là que les idées des Gnostiques se mêlerent avec les visions des peuples, & que leur doctrine s'amalgama avec celle de Zoroastre.

Les Perses qui étoient imbus du platonisme, trompés par l'affinité qu'ils remarquerent entre les dogmes de cette école dont ils sortoient & la doctrine des gnostiques orientaux, qui n'étoit qu'un pythagorico-platonisme défiguré par des chimeres chaldéennes & zoroastriques, se méprirent sur l'origine de cette secte. Bien-loin de se dire Platoniciens, les gnostiques orientaux reprochoient à Platon de n'avoir rien entendu à ce qu'il y a de secret & de profond sur la nature divine, Platonem in profonditatem intelligibilis essentiae non penetrasse. Porphyre Ennéad. II. l. IX. c. vj. Plotin indigné de ce jugement des Gnostiques, leur dit : quasi ipsi quidem intelligibilem naturam cognoscendo attingentes, Plato autem reliquique beati viri minimè ? " Comme si vous saviez de la nature intelligible ce que Platon & les autres hommes de sa trempe céleste ont ignoré ", Plot. ibid. Il revient encore aux Gnostiques en d'autres endroits, & toujours avec la même véhémence. " Vous vous faites un mérite, ajoute-t-il, de ce qui doit vous être reproché sans cesse ; vous vous croyez plus instruits, parce qu'en ajoutant vos extravagances aux choses sensées que vous avez empruntées, vous avez tout corrompu ".

D'où il s'ensuit qu'à-travers le système de la philosophie orientale, quel qu'il fût, on reconnoissoit des vestiges de pythagorico-platonisme. Ils avoient changé les dénominations. Ils admettoient la transmigration des ames d'un corps dans un autre. Ils professoient la Trinité de Platon, l'être, l'entendement, & un troisieme architecte ; & ces conformités, quoique moins marquées peut être qu'elles ne le paroissoient à Plotin, n'étoient pas les seules qu'il y eût entre le gnosisme & le platonico-pythagorisme.

Le platonico-pythagorisme passa de la Grece à Alexandrie. Les Egyptiens avides de tout ce qui concernoit la divinité, accoururent dans cette ville fameuse par ses philosophes. Ils brouillerent leur doctrine avec celle qu'ils y puiserent. Ce mêlange passa dans la Chaldée, où il s'accrut encore des chimeres de Zoroastre, & c'est ce cahos d'opinions qu'il faut regarder comme la philosophie orientale, ou le gnosisme, qui introduit avec ses sectateurs dans l'Eglise de Jesus-Christ, s'empara de ses dogmes, les corrompit, & y produisit une multitude incroyable d'hérésies qui retinrent le nom de gnosisme.

Leur système de théologie consistoit à supposer des émanations, & à appliquer ces émanations aux phenomenes du monde visible. C'étoit une espece d'échelle où des puissances moins parfaites placées les unes au-dessous des autres, formoient autant de degrés depuis Dieu jusqu'à l'homme, où commençoit le mal moral. Toute la portion de la chaîne comprise entre le grand abyme incompréhensible ou Dieu jusqu'au monde étoit bonne, d'une bonté qui alloit à la vérité en dégénérant ; le reste étoit mauvais, d'une dépravation qui alloit toujours en augmentant. De Dieu au monde visible, la bonté étoit en raison inverse de la distance ; du monde au dernier degré de la chaîne, la méchanceté étoit en raison directe de la distance.

Il y avoit aussi beaucoup de rapport entre cette théorie & celle de la cabale judaïque.

Les principes de Zoroastre ; les sephiroths des Juifs ; les éons des Gnostiques ne sont qu'une même doctrine d'émanations, sous des expressions différentes. Il y a dans ces systèmes des sexes différens de principes, de sephiroths, d'éons, parce qu'il y falloit expliquer la génération d'une émanation, & la propagation successive de toutes.

Les principes de Zoroastre, les sephirots de la cabale, les éons perdent de leur perfection à mesure qu'ils s'éloignent de Dieu dans tous ces systèmes, parce qu'il y falloit expliquer l'origine du bien & du mal physique & moral.

Quels moyens l'homme avoit-il de sortir de sa place, de changer sa condition misérable, & de s'approcher du principe premier des émanations ? C'étoit de prendre son corps en aversion ; d'affoiblir en lui les passions ; d'y fortifier la raison ; de méditer ; d'exercer des oeuvres de pénitence ; de se purger ; de faire le bien ; d'éviter le mal, &c.

Mais il n'acquéroit qu'à la longue, & après de longues transmigrations de son ame dans une longue succession de corps, cette perfection qui l'élevoit au-dessus de la chaîne de ce monde visible. Parvenu à ce degré, il étoit encore loin de la source divine ; mais en s'attachant constamment à ses devoirs, enfin il y arrivoit ; c'étoit-là qu'il jouissoit de la félicité complete .

Plus une doctrine est imaginaire, plus il est facile de l'altérer ; aussi les Gnostiques se diviserent-ils en une infinité de sectes différentes.

L'éclat des miracles & la sainteté de la morale du christianisme les frapperent ; ils embrasserent notre religion, mais sans renoncer à leur philosophie, & bien-tôt Jesus-Christ ne fut pour eux qu'un bon très-parfait, & le Saint-Esprit un autre.

Comme ils avoient une langue toute particuliere, on les entendoit peu. On voyoit en gros qu'ils s'écartoient de la simplicité du dogme, & on les condamnoit sous une infinité de faces diverses.

On peut voir à l'article CABALE, ce qu'il y a de commun entre la philosophie orientale & la philosophie judaïque ; à l'article PYTHAGORE, ce que ces sectaires avoient emprunté de ce philosophe ; à l'article PLATONISME, ce qu'ils devoient à Platon ; à l'article JESUS-CHRIST & GNOSTIQUE, ce qu'ils avoient reçu du christianisme ; & l'extrait abrégé qui va suivre de la doctrine de Zoroastre, montrera la conformités de leurs idées avec celle de cet homme célebre dans l'antiquité.

Selon Zoroastre, il y a un principe premier, infini & éternel.

De ce premier principe éternel & infini, il en est émané deux autres.

Cette premiere émanation est pure, active & parfaite.

Son origine, ou son principe, est le feu intellectuel.

Ce feu est très-parfait & très-pur.

Il est la source de tous les êtres, immatériels & matériels.

Les êtres immatériels forment un monde. Les matériels en forment un autre.

Le premier a conservé la lumiere pure de son origine ; le second l'a perdue. Il est dans les ténèbres, & les ténèbres s'accroissent à mesure que la distance du premier principe est plus grande.

Les dieux & les esprits voisins du principe lumineux, sont ignés & lumineux.

Le feu & la lumiere vont toujours en s'affoiblissant ; où cessent la chaleur & la lumiere, commencent la matiere, les ténèbres & le mal, qu'il faut attribuer à Arimane & non à Orosmade.

La lumiere est d'Orosmade ; les ténèbres sont d'Arimane : ces principes & leurs effets sont incompatibles.

La matiere dans une agitation perpétuelle tend sans cesse à se spiritualiser, à devenir lucide & active.

Spiritualisée, active & lucide, elle retourne à sa source, au feu pur, à mithras, où son imperfection finit, & où elle jouit de la suprème félicité.

On voit que dans ce système, l'homme confondu avec tous les êtres du monde visible, est compris sous le nom commun de matiere.

Ce que nous venons d'exposer de la philosophie orientale y laisse encore beaucoup d'obscurité. Nous connoîtrions mieux l'histoire des hérésies comprises sous le nom de gnosisme ; nous aurions les livres des Gnostiques ; ceux qu'on attribue à Zoroastre, Zostrian, Mesus, Allogene ne seroient pas supposés, que nous ne serions pas encore fort instruits. Comment se tirer de leur nomenclature ? comment apprécier la juste valeur de leurs métaphores ? comment interpreter leurs symboles ? comment suivre le fil de leurs abstractions ? comment exalter son imagination au point d'atteindre à la leur ? comment s'enivrer & se rendre fou assez pour les entendre ? comment débrouiller le cahos de leurs opinions ? Contentons-nous donc du peu que nous en savons, & jugeons assez sainement de ce que nous avons, pour ne pas regretter ce qui nous manque.

ORIENTAL, (Commerce & Hist. nat.) nom donné par la plûpart des jouailliers à des pierres précieuses. Cette épithete est fondée sur la dureté de ces pierres, qui est beaucoup plus grande, dit-on, que celle des mêmes pierres trouvées en occident ; mais cette regle n'est point sûre, & il se trouve en Europe quelques pierres qui ont tout autant de dureté & de pureté que celles d'orient. On prétend aussi que les pierres qui viennent d'orient, ont des couleurs plus vives & plus belles que celles qu'on trouve en occident. Voyez PIERRES PRECIEUSES. (-)


ORIENTERv. act. (Astr. & Gnom.) se dit principalement d'un cadran mobile, que l'on place dans la situation où il doit être par rapport aux points cardinaux, ensorte que la méridienne tracée sur ce cadran, tombe dans le plan du méridien. Voyez CADRAN, MERIDIEN, &c.

ORIENTER, S ', à la lettre, c'est examiner de quel côté on a l'orient, & par conséquent les trois autres points cardinaux. Mais en général on appelle s'orienter, s'assurer précisément, soit sur terre, soit sur mer, de l'endroit où l'on est. (O)

ORIENTER, (Archit.) c'est marquer sur le terrein, avec la boussole, ou sur le dessein, avec une rose des vents, la disposition d'un bâtiment par rapport aux points cardinaux de l'horison. On dit aussi s'orienter, pour se reconnoître dans un lieu, d'après quelque endroit remarquable, pour en lever le plan. (D.J.)

ORIENTER LES VOILES, (Marine) c'est les brasser & situer de maniere qu'elles reçoivent le vent. (Z)


ORIFICES. m. (Gramm.) la bouche ou l'ouverture d'un tube, d'un tuyau, ou autre cavité. Voyez TUBE.

ORIFICE, en Anatomie, se dit singulierement de l'embouchure de plusieurs conduits, vaisseaux, ou autres cavités du corps ; comme de la vessie, de l'uterus, de l'estomac, &c.

L'orifice supérieur de l'estomac est la partie où l'on sent la faim. Son orifice inférieur s'appelle pylore. Voyez FAIM & PYLORE.

Il y a quelques opérations en Chimie pour lesquelles il faut que les orifices des vaisseaux soient scellés hermétiquement. Voyez HERMETIQUE.

Orifice se dit aussi quelquefois par extension, de l'ouverture d'une plaie ou d'un ulcere.

ORIFICE, (Hydr.) On entend par l'orifice d'un ajutage, d'un canon, d'une jauge, la sortie de son ouverture circulaire, ou sa superficie entiere qui est comme le quarré de son diametre : ainsi lorsqu'on dit qu'un jet a trois lignes, cela signifie trois lignes de diametre, & le même jet de trois lignes en aura pour son orifice, ou superficie, neuf lignes & un septieme qu'on néglige. Voyez AJUTAGE. (K)


ORIFICIENsenatus-consulte, (Jurisprud.) ainsi appellé du nom du consul Orificius qui le fit passer au sénat. Il portoit que les enfans succéderoient à leur mere préférablement à tous autres, soit cognats ou agnats de leur mere. Les empereurs Arcadius & Théodosius étendirent cette disposition aux petits-enfans.


ORIFLAMMES. f. (Hist. de France) nos anciens historiens font ce mot masculin, & écrivent tantôt oriflamme, tantôt oriflambe, tantôt auriflamme, tantôt auriflambe ou oriflande : étendard de l'abbaye de Saint-Denis ; c'étoit une espece de gonfanon ou de banniere, comme en avoient toutes les autres églises ; cette banniere étoit faite d'un tissu de soie couleur de feu, qu'on nommoit cendal ou saint vermeil, qui avoit trois fanons, & étoit entourée de houpes de soie. L'oriflamme de Saint-Denis étoit attachée au bout d'une lance, d'un fust, d'un bâton, que Raoul de Presles nomme le glaive de l'oriflamme.

Louis le Gros, prince recommandable par la douceur de ses moeurs, & par les vertus qui font un bon prince, est le premier de nos rois qui ait été prendre l'oriflamme à Saint-Denis en 1124, lorsqu'il marcha contre l'empereur Henri V. Depuis lors, ses successeurs allerent prendre en grande cérémonie cette espece de banniere à Saint-Denis, lorsqu'ils marchoient dans quelque expédition de guerre ; ils la recevoient des mains de l'abbé, &, après la victoire, l'oriflamme étoit rapportée dans l'église de Saint-Denis, & remise sur son autel. C'étoit un chevalier qui étoit chargé de porter l'oriflamme à la guerre ; & cet honneur appartint pendant longtems au comte de Vexin, en sa qualité de premier vassal de Saint Denis.

Il est assez vraisemblable qu'il y avoit deux oriflammes, dont l'une restoit toûjours en dépôt à Saint-Denis, & que, lorsqu'il se présentoit une occasion de guerre, on en faisoit une seconde toute semblable ; on consacroit cette derniere, & on la levoit de dessus l'autel avec de grandes cérémonies. Si on la conservoit exempte d'accidens pendant le cours de la guerre, on la rapportoit dans l'église ; quand on la perdoit, on en faisoit une autre sur l'original, pour l'employer dans l'occasion.

Guillaume Martel seigneur de Bacqueville, est le dernier chevalier qui fut chargé de la garde de l'oriflamme le 28 Mars 1414, dans la guerre contre les Anglois ; mais il fut tué l'année suivante à la bataille d'Azincourt, & c'est la derniere fois que l'oriflamme ait paru dans nos armées, suivant du Tillet, Sponde, dom Félibien, & le pere Simplicien. Cependant, suivant une chronique manuscrite, Louis XI. prit encore l'oriflamme en 1465, mais les historiens du tems n'en disent rien.

Les Bollandistes dérivent le mot oriflamme du celtique & tudesque flan, fan ou van, qui signifie une banniere, un étendard, & d'où l'on a fait flanon ou fanon, qui veut dire la même chose ; la premiere syllabe ori vient du latin aurum, c'est donc à dire étendard doré, parce qu'il étoit enrichi d'or.

Le lecteur peut consulter Galant, traité de l'oriflamme ; Borel, du Tillet, & les mémoires des Inscriptions. (D.J.)


ORIGANS. m. (Hist. nat. Bot.) origanum, genre de plante à fleur monopétale, labiée, dont la levre supérieure est relevée, arrondie & divisée en deux parties, & l'inférieure en trois. Le pistil sort du calice, il est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & entouré de quatre embryons qui deviennent dans la suite autant de semences arrondies & renfermées dans une capsule qui a servi de calice à la fleur. Ajoutez aux caracteres de ce genre, que les fleurs naissent dans des épis écailleux qui forment des bouquets au haut des branches & des tiges. Tournefort, inst, rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Tournefort compte quatorze especes de ce genre de plante, dont il faut me borner ici à ne décrire que la sauvage commune : origanum sylvestre, spicis laxis, erectis, consertis, paniculatis. Hort. Cliff. 305. Elle a ses racines menues, ligneuses, fibreuses, traçantes obliquement en terre. Elles poussent plusieurs tiges qui s'élevent à la hauteur de deux ou trois piés, dures, quarrées, velues. Ses feuilles sortent opposées des noeuds des tiges ; les plus grandes ressemblent à celles du calament vulgaire, & les plus petites à celles de la marjolaine ; elles sont velues, odorantes, d'un goût âcre & aromatique. Ses fleurs naissent comme en parasol aux sommités des tiges, dans des épis grêles & écailleux, qui composent de gros bouquets ; chacune de ces fleurs est en gueule, ou en tuyau découpé par le haut en deux levres de couleur incarnate. Lorsque les fleurs sont passées, il leur succede des semences très-menues, presque rondes, enfermées dans une capsule oblongue qui a servi de calice à la fleur.

Cette plante croît non-seulement dans les pays chauds, mais aussi dans les pays froids, comme en Allemagne, en Angleterre, en France. On la trouve aux lieux champêtres, montagneux, secs, exposés au soleil ; & elle se plaît principalement sur les collines & les montagnes. Elle fleurit en été.

Au reste, l'origan sauvage varie beaucoup & par ses feuilles, & par ses fleurs. Tragus observe que ses fleurs sont de trois sortes ; l'une ponceau, l'autre rouge-blanchâtre, & la derniere toute blanche. Il y en a qui prétendent que celui d'Espagne & d'Italie vaut mieux que le nôtre, & je crois qu'ils ont raison.

Le petit origan, ou la petite marjolaine sauvage, origanum sylvestre, humile, de nos Botanistes, a sa racine ligneuse, roussâtre, fibreuse. Elle pousse une petite tige, ordinairement unique, ronde, roussâtre, un peu rude, haute de six à sept pouces, laquelle se divise au sommet en plusieurs rameaux, qui soutiennent des fleurs en maniere de parasol, mêlées de bleu & de purpurin ; elles sont garnies de feuilles opposées, petites, oblongues, velues, un peu fermes, assez souvent disposées sans ordre, d'une odeur aromatique & suave, comme celle de l'origan vulgaire.

Quand les fleurs sont passées, il leur succede des semences très-menues, arrondies, de bonne odeur, & d'un goût âcre. Cette plante se trouve dans les forêts : on peut la substituer à la précédente ; elle fleurit dans le même tems. (D.J.)

ORIGAN, (Pharm. & Mat. méd.) grand origan, marjolaine sauvage ou bâtarde, marjolaine d'Angleterre, & petit origan ou petite marjolaine sauvage.

Ces plantes possedent à-peu-près les mêmes vertus que la marjolaine, à laquelle on peut les substituer.

La poudre de leurs feuilles & de leurs fleurs sechées est un assez bon errhin. Voyez ERRHIN.

On emploie principalement ces plantes pour l'usage extérieur. On les fait entrer dans les demi-bains, les pédiluves, & sur-tout dans la composition des vins aromatiques, qu'on applique aussi-bien que leur marc sur les membres attaqués de paralysie, d'oedeme, &c.

Les feuilles d'origan entrent dans l'eau générale & le syrop d'armoise ; les sommités fleuries dans l'eau vulnéraire & l'huile de petits chiens ; les fleurs dans le syrop de stoechas, &c. (b)


ORIGÈNEhexaples d ', (Critiq. sacrée) c'est ainsi qu'on nomme différentes versions des livres sacrés, rassemblés par Origène en plusieurs colonnes.

Pour comprendre ce que c'étoit que les hexaples d'Origène, il faut savoir qu'outre la traduction des Septante, l'Ecriture avoit depuis été traduite en grec par d'autres interpretes. La premiere de ces versions (ou plutôt la deuxieme en comptant les Septante), étoit celle d'Aquila. La troisieme, étoit celle de Symmaque. La quatrieme, étoit celle que Théodotion donna sous Commode. La cinquieme, fut trouvée à Jéricho. La sixieme, fut découverte à Nicopolis.

Origène entreprit de réduire toutes ces versions en un corps avec le texte hébreu, ensorte qu'on pût aisément & d'un coup d'oeil confronter ces versions & ce texte. Pour cela il mit d'abord en huit colonnes le texte hébreu en caracteres hébreux, puis le même texte en caracteres grecs ; & ensuite les versions dont nous avons parlé. Tout cela se répondoit verset par verset, ou phrase par phrase, vis-à-vis l'une de l'autre, chacune dans sa colonne. Les versions étoient placées en cet ordre : Aquila, Symmaque, les Septante, Théodotion, la cinquieme, & la sixieme ; ces dernieres marquées chacune par chiffre de leur nombre. Dans les Pseaumes, il y avoit une neuvieme colonne pour la septieme version. Origène appella cet ouvrage hexaples, , c'est-à-dire sextuples, ou ouvrage à six colonnes, parce qu'il n'avoit égard qu'aux six premieres versions grecques.

Il faut encore savoir qu'Origène ne rassembla d'abord en un volume que quatre versions, en les mettant en quatre colonnes, l'une à côté de l'autre, dans la même page ; ce qui fit donner à cette édition le nom de tétraple. La premiere de ces colonnes étoit la version d'Aquila ; dans la seconde, celle de Symmachus ; dans la troisieme, les Septante ; & dans la derniere, celle de Théodotion.

Quelque tems après il fit une autre édition, où il ajouta deux autres colonnes ; & cette édition portoit tantôt le nom d'hexaple, & tantôt celui d'octaple. Dans celle-ci, la premiere colonne étoit le texte hébreu en lettres hébraïques ; dans la seconde, le même texte en lettres grecques. Puis venoient les quatre versions de sa tétraple dans le même ordre ; dans la septieme, étoit ce qu'on appelloit la cinquieme version grecque ; & dans la huitieme & derniere, ce qu'on appelloit la sixieme. En quelques endroits il avoit ajouté une neuvieme colonne, où il avoit mis ce qu'on appelle la septieme version. La cinquieme & la sixieme n'étoient pas de tout le vieux-Testament : ni l'une ni l'autre, par exemple, n'avoit la loi, de sorte qu'elle commençoit par six colonnes. Le nombre s'augmentoit ensuite à mesure que ces versions s'augmentoient. C'est pourquoi aussi tantôt on l'appelle hexaple, & tantôt octaple, selon qu'on envisageoit ses six, ou ses huit colonnes ; car c'est la même édition, & il ne faut pas s'y tromper. Quoiqu'en quelques endroits elle en eût jusqu'à neuf, on ne lui donna pourtant jamais le nom d'ennéaple, parce que cette neuvieme étoit en peu d'endroits ; quelques-uns même prétendent qu'elle n'étoit qu'aux Pseaumes ; on n'y eut aucun égard pour le nom de tout l'ouvrage.

Dans cette édition, Origène, changea l'ordre de plusieurs endroits des Septante, où il se trouve différent de celui de l'hébreu. Car comme dans cette version il y avoit plusieurs passages transposés, surtout dans Jérémie, son dessein demandoit absolument qu'ils fussent remis dans le même ordre que l'original hébreu pour pouvoir les comparer. Son but, en rassemblant toutes ces versions avec l'original, étoit de faire voir la différence qui se trouvoit entr'elles & l'original, afin d'y changer ce qu'il pouvoit y avoir encore de défectueux, & de faire avec tous ces secours une version plus correcte & plus parfaite pour l'usage des églises grecques. Pour en juger, il falloit donc que l'on trouvât en chaque colonne le même passage sous ses yeux, & qu'une ligne ou un verset répondît à l'autre ; & puisqu'il se trouvoit des transpositions dans quelques versions, il étoit naturel dans ce plan de les ramener à l'ordre de l'original.

La cinquieme & la sixieme version dont on vient de parler furent trouvées, l'une à Nicopolis près d'Actium en Epire, sous le regne de Caracalla ; & l'autre à Jéricho en Judée, sous celui d'Alexandre Severe. Pour la septieme, on ne sait pas d'où elle venoit, ni qui en étoit l'auteur, non plus que ceux des deux autres. La premiere de ces trois contenoit les petits Prophetes, les Pseaumes, le Cantique des cantiques, & le livre de Job. La seconde, les petits Prophetes & le Cantique des cantiques. La troisieme, selon quelques auteurs, n'avoit que les Pseaumes. Mais comme ce qu'on nous dit de ces trois versions est fort incertain, & se contre dit même quelquefois, & que d'ailleurs la chose n'est d'aucune conséquence puisqu'elles sont perdues, il n'est pas nécessaire de nous en embarrasser. La figure suivante peut donner une idée juste de la maniere dont Origène avoit disposé le tout dans cette édition.

Origène donna les trois dernieres versions, & celles d'Aquila, de Symmachus & de Théodotion, telles qu'il les rencontra, sans y apporter beaucoup de façon. Mais pour celle des Septante qui étoit dans la cinquieme colonne, comme c'étoit pour elle qu'il publioit toutes les autres, il y apporta tous ses soins pour la donner aussi correcte & aussi achevée qu'il lui étoit possible.

Les exemplaires qu'on en avoit communément alors parmi les Juifs hellénistes & les Chrétiens, & qui se lisoient parmi les uns & les autres dans leurs assemblées publiques, aussi-bien qu'en particulier, étoient pleins de fautes qui s'y étoient glissées insensiblement, & accumulées par la négligence des copistes, dans une si longue suite d'années où cette version avoit passé par tant de mains différentes. Pour lui rendre donc sa pureté naturelle, il prit la peine de collationner plusieurs copies & de les examiner attentivement, pour corriger l'une par l'autre. Ce fut une copie ainsi revûe & corrigée, qu'il mit dans son hexaple à la cinquieme colonne. Elle fut tellement estimée, qu'on la regarda toûjours depuis ce tems-là comme la seule bonne & véritable version des Septante ; & toutes les autres qui couroient, sans avoir été revûes & faites sur la sienne, prirent le nom de commune ou vulgaire pour les distinguer de celle-ci.

Cependant Origène ne borna pas là son travail : non-seulement il déchargea son édition des fautes de copistes, mais il voulut encore la perfectionner & corriger les fautes des traducteurs eux-mêmes, par la comparaison qu'il en faisoit avec l'original hébreu. Il s'y en trouvoit beaucoup de ces dernieres ; il y avoit des omissions, des additions, & des endroits très-mal traduits. La loi elle-même, qui étoit pourtant ce qui avoit été traduit avec le plus de soin dans cette version, avoit plusieurs de ces défauts. Le reste en avoit encore bien davantage. Il vouloit donc remédier à tout cela, sans rien changer au texte original des Septante.

Pour cet effet, il se servit de quatre différentes especes de marques, déja en usage alors parmi les Grammairiens : l'obélisque, l'astérisque, le lemnisque, & l'hypolemnisque. L'obélisque étoit une ligne droite, comme une petite broche (-) ou comme une lame d'épée ; & c'est aussi de-là qu'elle prend son nom. L'astérisque étoit une petite étoile (*) ; le lemnisque étoit une ligne entre deux points (:) ; & l'hypolemnisque, une ligne droite avec seulement un point dessous (.).

L'obélisque lui servoit à marquer ce qu'il falloit retrancher dans les Septante, parce qu'il ne se trouvoit pas dans l'hébreu. L'étoile étoit pour ce qu'il y falloit ajouter, tiré de l'hébreu, & ces additions il les prenoit presque toûjours de la version de Théodotion ; ce n'étoit que quand il ne la trouvoit pas juste, qu'il avoit recours aux autres. Pour les lemnisques & les hypolemnisques, il s'en servoit, à ce qu'on croit, pour marquer les endroits où les traducteurs n'avoient pas attrapé le sens de l'original. Mais on n'a pas trop bien éclairci jusqu'à présent à quoi ces deux marques servoient précisément.

Enfin, pour montrer jusqu'où s'étendoit le retranchement d'un obélisque, ou l'addition d'une étoile, il avoit une autre marque qui, dans quelques exemplaires, sont deux points (:), &, dans quelques autres, un dard la pointe en bas (). Avec le secours de ces marques, on voyoit où finissoit ce qu'il y avoit de trop ou de trop peu, comme avec l'obélisque & l'étoile on voyoit où cela commençoit. Mais tout cela se fit sans rien changer dans la version originale des Septante. Car, en retranchant toutes ces marques & les additions des étoiles, vous aviez l'édition des Septante pure & simple, telle qu'elle étoit sortie des mains des traducteurs.

Voilà ce qu'on appelloit l'édition d'Origène, à cause des soins qu'il s'étoit donnés pour la corriger & la réformer. C'étoit un travail immense ; aussi lui fit-il donner le surnom d'Adamantius, qui veut dire infatigable ; & qui a été d'une grande utilité à l'Eglise. On ne sait pas au juste quand il mit la derniere main à cet ouvrage ; mais il y a apparence que ce fut l'an 250, quatre ans avant sa mort.

L'original de cette traduction fut mis dans la bibliotheque de l'église de Césarée en Palestine, où saint Jérôme le trouva encore long-tems après, & en tira une copie. Mais apparemment que les troubles & les persécutions que l'Eglise eut à essuyer dans ce tems-là furent cause qu'elle y fut bien cinquante ans, sans qu'il paroisse qu'on y songeât, jusqu'à-ce que Pamphile & Eusebe l'y déterrerent, en prirent des copies, & firent connoître cette édition. Depuis lors on en connut le prix & l'excellence ; les copies s'en multiplierent, & se répandirent dans les autres églises. Enfin, elle fut reçue par-tout avec une approbation générale & de grands applaudissemens. Il arriva néanmoins que la grosseur de l'ouvrage, & la peine & la dépense qu'il falloit pour en avoir des copies complete s, la firent bien-tôt tomber ; outre la dépense, il étoit embarrassant de faire copier tant de volumes, & très-difficile de trouver parmi les Chrétiens des copistes assez habiles pour écrire l'hébreu avec ses caracteres propres. Tout cela fut cause que la plûpart se contenterent de faire copier simplement la cinquieme colonne, ou les Septante, avec les étoiles, &c. qu'Origène y avoit mises ; parce qu'avec cela on avoit en quelque maniere l'abrégé de tout l'ouvrage. Ainsi il se fit très-peu de copies du grand ouvrage, & beaucoup de cette espece d'abrégé. Et comme en copiant il arrivoit souvent de ne pas marquer avec exactitude les étoiles, il s'est trouvé dans quantité de copies des Septante faites dans la suite, bien des choses supposées de cette version qui n'y étoient pas d'abord, & qui n'y sont entrées que par voie de supplément avec cette marque.

Cependant il y avoit encore plusieurs copies de l'ouvrage entier, tant de la tétraple que de l'hexaple, dans les bibliotheques, où on alloit les consulter, jusqu'à-ce que, vers le milieu du septieme siecle, l'inondation des Sarrasins dans l'orient ayant détruit les bibliotheques par-tout où ils passoient, on n'en a plus entendu parler. Il n'en est parvenu jusqu'à nous que quelques fragmens qu'ont recueillis Flaminius Nobilius, Drusius, & le pere Bernard de Montfaucon. Ce dernier dans un livre qu'il a publié, presqu'aussi gros que l'étoit l'hexaple, & d'une impression magnifique, nous avoit fait espérer beaucoup, & nous a donné fort peu de choses.

Pamphile & Eusebe qui découvrirent, vers la fin du troisieme siecle, l'hexaple d'Origène dans la bibliotheque de Césarée (ou, selon d'autres auteurs, qui l'apporterent de Tyr & la mirent dans cette bibliotheque) corrigerent sur cette édition la version des Septante telle qu'on l'avoit communément. Voyez SEPTANTE. (D.J.)


ORIGENISTESS. m. pl. (Hist. ecclés.) anciens hérétiques dont les abominations surpasserent celles des Gnostiques.

Saint Epiphane en parle comme d'une secte qui subsistoit encore de son tems, mais en très-petit nombre. Il semble qu'il fixe leur origine au tems du grand Origène ; mais il ne dit pas que c'est de lui qu'ils ont tiré leur nom : au contraire il les distingue d'autres origénistes, auxquels il donne pour chef Origenes Adamantius. Il ajoute qu'à la vérité les premiers tiroient leur nom d'un certain Origène, & par-là il fait connoître que ce n'étoit pas du grand Origène. D'ailleurs S. Augustin dit expressément que c'en étoit un autre.

A l'égard de leur doctrine, tout ce que la modestie nous permet d'en dire, c'est qu'ils condamnoient le mariage ; qu'ils se servoient de plusieurs livres apocryphes, comme les actes de S. André, &c. & que pour excuser la publicité & l'énormité de leurs crimes, ils accusoient les Catholiques de faire la même chose en particulier.

Origénistes, suivant l'histoire ecclésiastique, étoient les sectateurs d'Origène, qui soutenoient que J. C. n'étoit fils de Dieu que par adoption ; que l'ame des hommes existe, & a péché dans le ciel avant la création de leur corps ; que les tourmens des damnés ne seront point éternels, & que les démons seront enfin délivrés eux-mêmes des peines de l'enfer.

Saint Epiphane réfute amplement les erreurs de ce pere de l'Eglise ; mais il le fait, comme il en convient lui-même, avec trop de chaleur ; desorte qu'il peut bien y avoir de l'exagération dans ce qu'il a dit du grand Origène. Il paroît même que S. Jérôme & Théophile d'Alexandrie parlant de ce grand homme, n'ont point donné à leur zele les bornes convenables ; & sans doute, c'est la raison pour laquelle S. Jean Chrysostome fut accusé lui-même d'être origéniste, comme n'ayant point déclamé avec assez de véhémence contre Origène.

L'Origénisme fut adopté principalement parmi les moines d'Egypte & de Nitrie, qui avoient tiré diverses opinions erronées ou singulieres, de la lecture d'un traité d'Origène intitulé, des principes. On peut compter parmi ces opinions bisarres que le soleil, la lune, les étoiles & les eaux, qui sont audessus du firmament, ont des ames, & qu'à la résurrection tous les corps auront une forme ronde. Les livres d'Origène furent condamnés, & la lecture en fut défendue dans le cinquieme concile général, qui est le deuxieme de Constantinople, tenu en 553. Divers auteurs se sont attachés depuis à justifier la doctrine d'Origène, & d'autres à prouver la réalité de ses erreurs ; mais on ne peut disconvenir qu'il ne se soit égaré sur bien des chefs.


ORIGINAIREadj. (Gramm.) qui a pris son origine en quelque endroit. Exemple, c'est une famille originaire de Flandres. Il se dit aussi de ce qui nous vient d'origine ; c'est un vice originaire dans cette maison.

ORIGINAIRE, quelques marchands appellent marchandise originaire, celle qui croît ou qui se fabrique dans un pays avec des matieres mêmes du pays ; mais ce terme est peu usité. Dictionn. de Com, tom. III. pag. 644.


ORIGINALS. m. est le premier dessein, ou instrument authentique de quelque chose, & qui doit servir comme de modele ou d'exemple à être copié ou imité. Voyez DESSEIN, MODELE, &c.

Aujourd'hui l'on trouve à peine aucun titre ancien de possession, inféodation, &c. qui soit original ; ce ne sont que des vidimus, ou copies collationnées sur les originaux.

ORIGINAL, s. m. (Gramm.) Voyez ORIGINALITE.


ORIGINALITÉS. f. (Gramm.) maniere d'exécuter une chose commune, d'une maniere singuliere & distinguée ; l'originalité est très-rare. La plûpart des hommes ne sont en tous genres, que des copies les uns des autres. Le titre d'original se donne en bonne & en mauvaise part.


ORIGINAUXécrits ; ce terme peut se prendre en différens sens. 1°. Pour le manuscrit authentique d'un ouvrage, tel qu'il est sorti des mains de son auteur. Ainsi, quoique nous ayons plusieurs manuscrits de la bible, on ne peut pas assurer que nous en ayons les originaux : pour faire une copie exacte, il faut la collationner sur les originaux.

2°. On peut appeller écrits originaux ceux mêmes qui ayant été transcrits ou imprimés, l'ont été avec tant de fidélité qu'ils n'ont souffert aucune altération, changement, addition ou suppression de quelque partie. Pouvons-nous nous flatter d'avoir les originaux de Cicéron, de Tite-Live, après que d'habiles commentateurs ont tenté de restituer les leçons fautives, & d'éclaircir les passages obscurs, qu'il y reste encore beaucoup de lacunes ?

3°. On appelle écrits originaux, des pieces uniques dont on n'a jamais tiré de copies. Ainsi l'on rapporte que les originaux du procès de Ravaillac furent brûlés avec ce régicide, par des raisons d'état sur lesquelles on a débité bien de fausses conjectures.

ORIGINAL, se dit en Peinture, des choses d'après lesquelles on copie : on dit la nature est mon original, ce dessein, ce tableau, quoique copie, est mon original.

Original se dit encore d'un dessein, d'un tableau qu'un peintre fait d'imagination, de génie, quoique chacune de leurs parties soient copiées d'après nature. Peinture, tableau original, se prend en bonne & en mauvaise part ; en bonne, lorsque dans un tableau tout y est grand, singulierement nouveau ; & en mauvaise, lorsqu'on n'y rencontre qu'une singularité bisarrement grotesque. Les Peintres répetent quelquefois les mêmes sujets, & à peu près de la même façon, sans qu'aucune de ces répétitions soient appellées copies. On appelle encore original des estampes faites d'après des desseins ou des tableaux originaux. Il est très-difficile de distinguer les tableaux originaux d'avec de bonnes copies. Voyez COPIES.

ORIGINAUX, en termes de l'Echiquier, signifient les mémoires ou extraits que l'on envoie au bureau des secrétaires de la chancellerie.

Ils sont différens des actes enregistrés, qui contiennent les jugemens & plaidoyers des procès jugés par les barons.


ORIGINES. f. (Gramm.) commencement, naissance, germe, principe de quelque chose. L'origine des plus grandes maisons a d'abord été fort obscure. Les pratiques religieuses de nos jours ont presque toutes leur origine dans le paganisme. Une mauvaise plaisanterie a été l'origine d'un traité fatal à la nation, & d'une guerre sanglante où plusieurs milliers d'hommes ont perdu la vie. Menage a écrit des origines de notre langue.

ORIGINE, en Géométrie, se dit du point par lequel on commence à décrire une courbe, lorsqu'on la décrit par un mouvement continu. Voyez DECRIRE & ENGENDRER.

On appelle aussi assez souvent origine de la courbe son sommet, c'est-à-dire le point A (fig. 11. analys.) où l'on suppose que commencent les ordonnées & les abscisses. Voyez ABSCISSE, ORDONNEE, &c. (O)


ORIGINELadj. qu'on a d'origine : péché originel, est le crime qui nous rend coupables dès le moment de notre naissance, par imputation de la désobéissance d'Adam. Voyez PECHE & IMPUTATION.

La nature du péché originel est aussi difficile à sonder que son existence est facile à établir, selon la remarque de S. Augustin : eo nihil ad praedicandum notius, nihil ad intelligendum secretius. Aussi est-il peu de questions sur laquelle les Théologiens aient été plus partagés.

Illyricus, un des centuriateurs de Magdebourg, a prétendu que le péché originel est une substance produite par le démon, & qui est imprimée à l'ame de chaque homme, à cause de la désobéissance du premier homme : sentiment qui approche du Manichéisme, & que d'ailleurs Illyricus ne prouve nullement.

On lit dans la confession d'Augsbourg, que le péché originel n'est autre chose que la corruption de notre nature, répandue dans toutes les parties de notre ame ; & que cette corruption qui exclut toute justice intérieure, se réduit à la concupiscence habituelle, qui se révolte sans cesse contre l'esprit, & qui sollicite continuellement au mal. Mais cette concupiscence est l'effet du péché d'Adam, & non pas le péché même d'Adam. Quoique mauvaise en elle-même, elle n'est criminelle aux yeux de Dieu que quand on acquiesce aux mauvais desirs qu'elle suggere, & qu'on en suit les impressions déréglées. Mais où est ce consentement libre & cet acquiescement dans les enfans ?

Henri de Gand, & Grégoire de Rimini, regardent le péché originel comme une qualité maladive qui a infecté la chair d'Adam en mangeant du fruit défendu, & qu'il a communiquée à ses descendans par la voie de la génération. Ce sentiment péche par les mêmes raisons que le précédent, & n'a d'ailleurs aucun fondement dans l'écriture ou dans les peres.

Saint Anselme a avancé que le péché originel est la privation de la justice qu'Adam avoit reçue de Dieu en sortant de ses mains, ou au moins quelques momens avant sa chûte ; mais cette privation est la peine de la désobéissance d'Adam, elle en est la suite, & par conséquent elle n'en peut former la nature ou l'essence.

Le sentiment le plus commun parmi les théologiens catholiques, est que le péché originel n'est autre chose que la prévarication même d'Adam, qui nous est imputée intrinséquement, c'est-à-dire dont nous sommes réellement coupables, parce que nous l'avons commis en lui, en ce que toutes nos volontés étoient renfermées dans la sienne.

On n'est guere moins partagé sur la maniere dont se communique le péché originel.

Le pere Malebranche déduit le péché originel de causes naturelles, & prétend que les hommes conservent dans leur cerveau toutes les traces & impressions de leurs premiers parens. Comme les animaux produisent leur semblable avec les mêmes traces dans le cerveau, & que ceux de la même espece sont sujets aux mêmes sympathies & antipathies, & qu'ils font les mêmes choses dans les mêmes occasions, de même, dit ce pere, nos premiers parens, après avoir transgressé le commandement de Dieu, reçurent dans leur cerveau des traces profondes par l'impression des objets sensibles, desorte qu'il y a beaucoup d'apparence qu'ils aient communiqué ces impressions à leurs enfans.

Or, comme suivant l'ordre établi par la nature, les pensées de l'ame sont nécessairement conformes aux traces du cerveau, on peut dire qu'aussitôt que nous sommes formés dans le sein de notre mere, nous devenons infectés de la corruption de nos parens, puisqu' ayant dans notre cerveau des traces semblables à celles des personnes qui nous donnent l'être, il faut nécessairement que nous ayons les mêmes pensées & les mêmes inclinations par rapport aux objets sensibles ; par conséquent nous devons naître avec la concupiscence & le péché originel. Avec la concupiscence, supposé qu'elle ne consiste que dans l'effort naturel que les traces du cerveau font sur l'ame de l'homme pour l'attacher aux choses sensibles ; & avec le péché originel, supposé que ce péché ne soit autre chose que l'efficacité de la concupiscence, comme en effet, ce n'est autre chose que les effets de la concupiscence, considerés comme victorieux & maîtres de l'esprit & du coeur des enfans. Et il y a grande apparence, ajoute cet auteur, que le regne de la concupiscence, ou la victoire de la concupiscence, est ce qu'on appelle péché originel dans les enfans, & péché actuel dans les hommes libres. Recherch. de la vérité, l. II. c. vij. n. v.

Ce sentiment paroît fondé sur ce qu'enseigne S. Augustin, l. I. de nupt. ch. xxiv. Ex hac concupiscentiâ carnis tanquam filia peccati, & quando illi ad turpia consentitur, etiam peccatorum matre multorum, quaecumque nascitur proles originali est obligata peccato.

Parmi les anciens, quelques-uns, comme Tertullien, Apollinaire & d'autres, au rapport de S. Augustin, epist. lxxxij ad Marcellin. ont cru que dans la génération l'ame des enfans provenant de celle de leurs parens, comme le corps des enfans provient de celui de leurs peres & meres, ceux-ci communiquoient aux premiers une ame souillée du péché originel.

D'autres ont pensé que le péché originel se communique, parce que l'ame que Dieu crée est par sa destination unie à un corps infecté de ce péché, à-peu-près comme une liqueur se gâte quand on la verse dans un vase infecté. On trouve quelques traces de cette opinion dans S. Augustin, l. V. contr. Julian. c. iv. ut ergo, dit ce pere, & anima caro pariter utrumque puniatur, nisi quod nascitur, renascendo emendetur, profecto aut utrumque vitiatum ex homine trahitur, aut alterum in altero, tanquam in vitiato vase corrumpitur : ubi occulta justitia divinae legis includitur. Mais il n'approuve ni ne désapprouve ce sentiment, & se contente de dire qu'il n'est pas contraire à la foi.

Enfin les théologiens catholiques, qui font consister la nature du péché originel en ce que celui d'Adam est imputé à ses descendans, parce que toutes leurs volontés étoient contenues dans la sienne, en expliquent la propagation en disant que Dieu, par sa suprême volonté, a statué que toutes les volontés étant contenues dans celle d'Adam, elles se trouveroient toutes coupables du péché de ce premier homme, de même qu'elles auroient été justes, s'il n'eut point prévariqué.

Les effets du péché originel sont l'ignorance, la concupiscence ou l'inclination au mal, les miseres de cette vie, & la nécessité de mourir.


ORIGNAL(Hist. nat.) grand animal quadrupede qui se trouve dans les parties septentrionales de l'Amérique. Quelques auteurs ont confondu cet animal avec celui qu'on appelle renne ; mais de meilleurs observateurs nous disent qu'il ne differe de l'élan que par la grosseur qui égale celle d'un cheval. L'orignal a la croupe large, sa queue n'a qu'un pouce de longueur ; il a les jambes & les piés d'un cerf. Un long poil lui couvre le cou, le garrot & le haut du jarret. Sa tête a environ 2 piés de long ; son muffle est gros & rabattu par le haut ; ses naseaux sont fort larges : son bois est beaucoup plus large que celui d'un cerf ; mais il est fourchu comme celui d'un daim : ce bois se renouvelle tous les ans. On prétend que cet animal est sujet à l'épilepsie, & comme dans ses accès il se gratte l'oreille de son pié de derriere, on en a conclu que sa corne étoit un spécifique contre cette maladie : on en vante les vertus contre les palpitations, les vertiges, la pleurésie, le cours-de-ventre, &c. Le poil de l'orignal est mêlé de gris blanc & de rouge noir ; il conserve toujours une certaine élasticité, ce qui le rend très-propre à faire des matelas, &c. Sa chair est d'un très-bon goût : sa peau préparée est douce, forte & moëlleuse.


ORIGUÉLA(Géog.) ou ORIHUELA, comme écrivent les Espagnols ; ville d'Espagne au royaume de Valence, avec un évêché suffragant de Valence. Elle est dans une campagne fertile, sur la riviere de Ségura, à 14 lieues N. E. de Carthagene, 14 S. O. de Valence. Long. 17. 2. lat. 37. 58.

Cette ville est ancienne, à ce que prétendent les Géographes, qui croient que c'est l'Orcelis de Ptolémée. En tout cas son évêché est moderne ; car il n'en est fait aucune mention dans les trois anciennes notices ecclésiastiques d'Espagne. Il y a lieu de penser que l'église d'Origuela fut fondée en collégiale l'an 1414, & erigée en cathédrale par Alphonse, cinquieme roi d'Aragon. Son gouvernement est indépendant de Valence, & sa jurisdiction s'étend sur environ 12 lieues de longueur & 6 de largeur. (D.J.)


ORILLONS. m. en terme de Fortification, c'est une partie avancée du flanc vers l'épaule du bastion, qui est arrondie, & qui sert à couvrir le reste du flanc. Lorsque cette partie avancée est terminée par une ligne droite, on la nomme épaulement. Voyez éPAULEMENT.

On fait des orillons arrondis, afin de couvrir davantage le flanc, de rendre les angles qui sont exposés aux batteries des ennemis plus forts, & qu'il y ait moins de parties qui puissent être battues perpendiculairement par une même batterie. On ne fait des orillons qu'aux places revêtues de maçonnerie, parce que la terre a trop peu de solidité pour qu'ils puissent se soutenir long-tems.

Les Ingénieurs avancent plus ou moins leur orillon. M. de Vauban l'avance de 5 toises, & M. de Coéhorn de 24, devant son flanc haut, pour le mieux garantir des coups croisés. L'orillon de cet illustre ingénieur est une tour de pierre, avec un souterrein où il fait des casemates pour 6 pieces de canon, lesquelles défendent le fossé & la face du retranchement de maçonnerie qu'il fait dans son bastion.

Pour tracer l'orillon, suivant M. le maréchal de Vauban, il faut diviser le flanc C D C Pl. I. de Fortif. fig. 7. en trois parties égales. Sur le milieu C I du tiers du flanc, vers l'épaule du bastion, on élévera une perpendiculaire O K indéfinie, en dedans le bastion, & au point C, extrémité de la face A C, une autre perpendiculaire C K, qui coupe la premiere dans un point K. De ce point pris pour centre, & de l'intervalle K C, on décrira un arc C I qui donnera la partie antérieure de l'orillon. On posera ensuite l'angle à l'angle flanqué & au point I, & l'on tirera dans cette position en dedans le bastion, la ligne I H, à laquelle on donnera 5 toises : cette ligne se nomme le revers de l'orillon, ou la droiture de l'épaule. Si l'on veut ensuite décrire le flanc couvert, on prolongera la ligne de défense A O de 5 toises, jusqu'en G, on tirera H G, sur laquelle on décrira un triangle équilatéral L G H, puis du point L pris pour centre, & de l'intervalle L G ou L H, on décrira l'arc G P H, qui sera le flanc couvert.

Le parapet de l'orillon doit être plus épais que les autres parapets, & il doit être en ligne droite en dedans, à moins que l'orillon ne soit extrêmement grand, comme celui de M. de Coéhorn. A l'égard de la droiture de l'épaule, elle ne doit avoir qu'un petit parapet de maçonnerie d'un pié d'épaisseur.

On pratique dans le revers de l'orillon, des portes secrettes appellées poternes, qui conduisent les soldats de la ville dans le fossé, par un souterrein pratiqué dans l'intérieur du rempart. Voyez POTERNES.

Par la construction de l'orillon il y a une partie du flanc couvert, proche le point H, qui ne peut être vue de la contrescarpe de la place. Elle est suffisante pour y pratiquer une embrasure, dont le canon sert beaucoup à la défense du passage du fossé & du pié de la breche. (Q)

ORILLON, en terme d'Eguilletier, sont des bouffettes de soie ou de laine, prises au bout d'un ruban de laine, par le moyen d'un ferret à embrasser. Voyez FERRET & EMBRASSER. Les orillons, ainsi nommés de l'endroit où ils se placent, servent à orner les oreilles des chevaux.

ORILLONS, s. m. pl. (Soierie) machines mouvantes au moyen d'une coulisse, qui sert à élever ou baisser la banquette ; on appelle ces orillons, orillons de dessus ; les orillons de derriere sont des especes de tasseaux creusés, qui supportent les ensuples de chaîne & de poil.


ORIou HOIRIN, s. m. (Marine) c'est une grosse corde attachée à la croisée de l'ancre par un de ses bouts, & qui tient par l'autre bout à une bouée, qui marque l'endroit précis où est l'ancre. (Z)


ORINE(Géog. sacrée) Pline, l. V. c. xiv, nomme ainsi la contrée de la Palestine où étoit Jérusalem. C'est ce que S. Luc, c. j. v. 39, appelle montana Judea, lorsqu'il parle de la sainte Vierge qui alla visiter Elisabeth. Il y avoit plusieurs villes dans ces montagnes, Jérusalem, Rama, Bethléhem, &c. Le grec de S. Luc porte , d'où a pu aisément s'écrire en lettres latines Oriné. (D.J.)


ORIOvoyez LORIOT.

ORIO, (Géog.) riviere ou plutôt torrent impétueux d'Espagne, dans la principauté de Biscaye. Il a sa source à Santander, & se perd dans la mer au couchant de S. Sébastien. (D.J.)


ORIOLvoyez LORIOT.


ORIONS. m. (Astron.) c'est le nom qu'on donne dans l'Astronomie à une constellation de l'hémisphere austral. Voyez CONSTELLATION. Les anciens croyoient que cette constellation excitoit les tempêtes lorsqu'elle se levoit, assurgens nimbosus orion ; aujourd'hui on est revenu de cette erreur, & on ne croit plus à l'effet des constellations, ni à celui des étoiles. Voyez CANICULE & CANICULAIRES.

Les étoiles de la constellation d'orion sont au nombre de 37 dans le catalogue de Ptolémée, de 62 dans celui de Tycho, & de 80 dans celui de Flamsteed. (O)

ORION, (Mythologie) fils de Neptune, & l'un des plus beaux hommes de son tems. Il se rendit fameux par son savoir en astronomie qu'il avoit apprise d'Atlas, par son goût pour la chasse, & par sa mort que les Mythologues attribuent à la main de Diane. Cette déesse affligée d'avoir ôté la vie au bel Orion, obtint de Jupiter qu'il fût placé dans le ciel, où il forme une des plus brillantes constellations composée de 38 étoiles. Comme elle y occupe un grand espace, selon cette expression du poëte Manilius, magni pars maxima coeli, ce phénomene pourroit avoir fourni l'idée de cette taille avantageuse que Virgile donne à Orion, qui marchant au milieu de la mer, avoit sa tête & ses épaules élevées au-dessus des eaux, parce que cette constellation est à moitié sous l'équateur, & l'autre audessus.

Les Arabes font dans leurs fables de cette constellation une femme très-délicate, tandis que les Grecs en font un héros vainqueur des bêtes féroces, & qui dans ses galanteries s'étoit rendu redoutable aux sages nymphes, & aux séveres déesses. Diane, dit Hygin, eut peine à se sauver de ses mains ; & lorsqu'il eut été transporté dans le ciel auprès des pleyades, son voisinage parut encore si redoutable à la divine Electra, que ce fut pour échapper à ses poursuites qu'elle abandonna ses soeurs, & s'alla cacher au pole Arctique.

M. Fourmont a donné dans l'acad. des Inscript. tome XIV. in 4 °. un mémoire où il rappelle la fable d'Orion, à l'histoire corrompue du patriarche Abraham. Le discours dont je parle est plein d'érudition, mais aussi de conjectures & de suppositions si recherchées, qu'elle ne peut contrebalancer le sentiment de ceux qui pensent que l'ancienne Grece ne tenoit rien des patriarches du peuple de Dieu, & qu'elle ne les connoissoit point. (D.J.)


ORIPEAUS. m. (Métal) lame de laiton fort mince & fort battu, qu'on employoit autrefois dans les étoffes de faux or. On ne s'en sert plus ; & le nom n'en est resté que pour mépriser les vieilles étoffes ou galons d'or qui ne sont plus de mode, & pour tourner en ridicule ceux qui en portent.


ORISSAVA(Géogr.) ville de l'Amérique au Méxique sur le chemin de Vera-Crux à México, entre Cordoua & la Puebla de los Angelès. Elle est auprès d'une haute montagne qui porte son nom, & dont le sommet est toujours couvert de neige, quoique sous la zone torride. Longit. 277. 20. latit. 19. 10.


ORISTAGNI(Géog.) ancienne ville de l'île de Sardaigne, avec un archevêché sur le golfe de même nom, à 17 lieues N. O. de Cagliari, 12 S. de Boza. Long. 26. 33. latit. 39. 55.

Cette ville est l'Usellis de Ptolomée, dont les habitans ont été appellés Usellitani. Le nom d'Oristagni ou Oristagne lui vient vraisemblablement d'un étang formé par la riviere Sacro, dans un lieu nommé Orès, d'où est venu le nom latin Ori-Stagnum, qui a formé le nom Oristagni. Cette ville est dans une plaine à peu de distance de la mer, mais dans un air très-mal-sain, ce qui fait qu'elle est dépeuplée. (D.J.)


ORITES(Hist. nat.) pierre dont parle Pline, & dont il ne nous apprend rien, sinon qu'elle est ronde, & ne souffroit aucune altération dans le feu. Les auteurs modernes ont attribué plusieurs vertus extraordinaires à cette pierre inconnue, & ils nous apprennent qu'il y en a trois especes ; la premiere est ronde & noire, on la vante comme un remede puissant contre les morsures des bêtes venimeuses, après avoir été frottée avec de l'huile de rose ; la seconde étoit verte & mouchetée de blanc, ou traversée par des veines blanches ; la troisieme étoit composée de couches paralleles ; on prétend qu'elle faisoit avorter lorsqu'on la portoit sur soi. (-)


ORITHYE(Mythologie) fille de Pandion, ou, selon d'autres, d'Ericthée, sixieme roi d'Athènes, fut enlevée sur les bords de l'Ilissus par Borée qui l'emmena en Thrace, l'épousa & la rendit mere de deux fils, Calaïs & Zéthès. Ce prince, dans la suite, en reconnoissance de cette alliance avec les Athéniens, leur rendit le bon office de couler à fond plusieurs galeres des Barbares.

Je n'ignore pas que ce trait d'histoire passe pour une fable, parce que Borée a souvent été confondu avec le vent du nord. Je connois aussi ce passage de Platon dans le Phoedrus, tome III. page 229. " Que pensez-vous, dit Phoedrus à Socrate, de l'enlevement de l'Orithye par Borée ? l'histoire qu'on nous en débite est-elle vraie ? Quand je la soutiendrai fausse, répond Socrate, je ne ferois rien d'étrange, & dont les savans ne me donnent l'exemple ; ensuite examinant la chose de près, , je dirois qu'Orithye jouant avec Pharmacée sa compagne, fut précipitée par un coup de vent du nord de dessus ces rochers prochains, & que pour cacher sa mort & en adoucir les regrets, on publia que le dieu Borée amoureux d'elle l'avoit enlevée ".

Mais, malgré tous ces témoignages, je sais aussi que dans l'antiquité Borée a été regardé comme un prince de Thrace, & que les allégories qu'on a forgées ne se trouvent fondées que sur ce que le vent du nord souffloit dans la Grece en passant par la Thrace où régnoit Borée.

Quoi qu'il en soit, les Peintres & les Sculpteurs se sont plûs à représenter l'enlevement d'Orithye par le vent Borée. Tel est le beau grouppe de la main d'Anselme Flamen, qu'on voit au jardin des Tuileries. (D.J.)


ORITORIENNEPIERRE, lapis oritorius, (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs à une espece de pierre d'aigle ou d'étite, brune & lisse à la surface, qui est composée de petites couches minces & cassantes, & qui renferme un noyau d'une marne grisâtre. (-)


ORIXS. m. (Gramm. & Hist. nat.) animal cruel & farouche ; fabuleux vraisemblablement. Appian qui n'en avoit point vû, l'a décrit. Aristote qui n'en avoit pas vû davantage, lui place une corne au milieu du front. Pline lui rebrousse le poil de la queue à la tête. Albert le grand lui met de la barbe au menton. Appian le rend supérieur aux tigres & aux lions. Belon prétend que c'est la gazelle.


ORIXA(Géog.) royaume de l'Indoustan, sur le golfe de Bengale, à l'extrêmité septentrionale de la côte de Coromandel, entre le Bengale & le royaume de Golconde. Il est borné au nord par la riviere de Ganga, qui le sépare des terres du Raia-Rotas, depuis les 98d. 20'. de longit. jusqu'à 102d. 20'.

Cet état peut avoir environ 29 lieues de côtes qui courent du sud-ouest au nord-est. En allant du nord-est au sud-ouest, on y trouve Baram pour ville, Ganjam autre ville, où les Anglois ont un comptoir, & quelques bourgades ; mais la ville d'Orixa, que Mrs Sanson, Baudrand & autres mettent dans ce royaume comme sa capitale, est une ville chimérique. (D.J.)


ORLE(Architect.) mot dérivé de l'italien orlo, ourlet ; c'est un filet sous l'ove d'un chapiteau : lorsqu'il est dans le bas ou dans le haut du fût d'une colonne, on l'appelle aussi ceinture. (D.J.)

ORLE, (Marine) ourlet autour des voiles.

ORLE, s. m. terme de Blason, ce mot se dit d'un filet qui est vers le bord de l'écu. Il est de moitié plus étroit que la bordure qui contient la sixieme partie de l'écu, & celui-ci la douzieme seulement ; l'orle est éloigné du bord de l'écu à pareille distance que sa largeur contient. On en met quelquefois un, deux ou trois ; & quand il y en a trois & plus, ils occupent tout l'écu. L'orle a le même trait que l'écu. En général l'orle est une espece de ceinture qui ne touche point les bords. Les latins l'ont appellée orula.


ORLÉANOIS(Géog.) il ne faut pas confondre le gouvernement d'Orléanois avec l'Orléanois propre. Le gouvernement contient outre l'Orléanois la Sologne, la Beauce, le Dunois, le Vendomois, le Blaisois, la plus grande partie du Gâtinois, & le Perche-Gouet. Tout l'Orléanois est du ressort du parlement de Paris. L'Orléanois propre est une province de France, bornée au N. par la haute Beauce, E. par le Gâtinois, S. par la Sologne, O. par le Dunois & le Vendomois. La Loire le divise en haut & en bas Orléanois. Le haut est au N. & le bas est au S. de cette riviere. Orléans en est la capitale. La forêt qui est au nord de la ville, est une des plus grandes du royaume ; elle passe pour contenir 94 mille arpens en bois plein, mais elle renferme des plaines fort étendues & des villages, desorte qu'on lui donne 15 lieues de longueur. Sa largeur est différente, ici d'une ou de deux lieues, & dans quelques endroits de cinq à six lieues. Le prix des ventes de cette forêt qui peut monter chaque année à 80 mille livres, est de l'apanage du duc d'Orléans. (D.J.)


ORLÉANS(Géog.) ancienne ville de France, capitale de l'Orléanois, avec titre de duché, possédé par le premier prince du sang, & un évêché suffragant de Paris. Il s'y fait un grand commerce en vins, blés & eaux-de-vie, commerce qui est occasionné par la situation avantageuse de cette ville sur la Loire, à 13 lieues de Blois, 30 N. E. de Tours, 27 S. O. de Paris. Long. 19d. 25'. 45''. lat. 47d. 54'. suivant Cassini.

On croit qu'Orléans fut erigée en cité par Aurélien, & en reçut le nom de Aureliana civitas, ou Aurelianum, en sous-entendant oppidum ; elle devint alors indépendante des peuples chartrains, & fut l'une des plus considérables des Gaules. Elle tomba au pouvoir des François après que Clovis eut vaincu Siagrius, & eut détruit le reste de l'empire romain dans les Gaules. Il s'est tenu à Orléans plusieurs conciles & synodes. On compte onze conciles & quatre synodes d'Orléans. Son école de droit civil & canonique est fort ancienne ; & le pape Clément V. lui accorda, en 1305, divers privileges, que Philippe le Bel confirma en 1312.

Son évêché est un des plus illustres de France. Ses évêques furent attribués sous l'empereur Honorius à la quatrieme lyonnoise & à la métropole de Sens, dont Orléans n'a été détaché que l'an 1623, lorsque Paris fut érigé en archevêché, auquel on donna pour suffragant les évêques d'Orléans, de Chartres, & de Meaux. Celui d'Orléans prétend avoir le droit, le jour de son entrée dans l'église d'Orléans, d'absoudre un certain nombre de criminels qui sont dans les prisons ; mais le parlement de Paris ne reconnoît point les absolutions & abolitions de cette espece.

Le diocese de cet évêché renferme 272 paroisses, 10 chapitres, 5 abbayes d'hommes, & 3 de filles.

Le chapitre de la cathédrale est dédié à Jesus-Christ crucifié. Il est remarquable que notre Sauveur est regardé comme premier chanoine de ce chapitre ; car il est mis à la tête de toutes les distributions, pour une double portion, qui est donnée par forme d'aumône à l'hôtel-dieu, dont le chapitre a la jurisdiction spirituelle & temporelle.

Je supprime tous les détails qui concernent la généralité, l'élection, & le bailliage d'Orléans ; j'aime mieux rappeller aux lecteurs françois, que c'est dans cette ville que naquit le roi Robert en 971. Il y fut couronné en 996, & mourut à Melun en 1031. Il étoit humain, débonnaire, & savant pour son tems. Il fit plusieurs hymnes, que l'on chante encore à l'église. Enfin, il eut la sagesse de refuser l'empire & le royaume d'Italie, que les Italiens lui offroient, & qu'il n'eût jamais gardé.

On sait encore que François II. mourut à Orléans le 5 Décembre 1560 dans sa 18e année. Son regne, qui ne fut que de 17 mois, vit éclorre tous les maux, qui depuis désolerent la France, & dont la cause principale fut le nombre d'hommes puissans & ambitieux qui vivoient alors. Les Guises abuserent de l'autorité dont ils jouissoient. Le roi de Navarre & le prince de Condé eurent assez de ressources pour soutenir un parti contr'eux, & les grands du royaume assez d'ambition pour chercher à profiter des troubles de l'état. Dans ces conjonctures, les querelles de religion devinrent un prétexte trop spécieux pour n'être pas employé par les deux partis. Orléans éprouva bientôt les tristes effets de leur rage ; François, duc de Guise, en fit le siége en 1563, & y fut assassiné. Mais il faut détourner nos yeux de ces horreurs, pour nommer quelques savans illustres dont Orléans a été la patrie, car je crains que le tems de sa splendeur en ce genre ne soit passé.

Amelot de la Houssaye (Nicolas) y naquit en 1634. Ses traductions & ses histoires sont encore recherchées. Il est le premier qui ait fait connoître le gouvernement de Venise aux François. S'il se montra grand politique, ce fut par son esprit, & non par son caractere, car il n'en suivit jamais les artifices, & mourut fort pauvre en 1706.

Bongars (Jacques) Bourgasius, protestant, a été un des savans hommes du seizieme siecle. Il s'attacha à l'étude de la critique, qui étoit le goût dominant de son tems ; s'il n'alla pas aussi loin que les Lipse & les Casaubon, il ne laissa pas d'y acquérir beaucoup de gloire, & peut-être il les eut atteints dans ce genre d'érudition, sans les affaires d'état qui l'occuperent, & l'empêcherent d'y donner, comme eux, toutes ses veilles. Il fut employé près de 30 années dans les plus importantes négociations d'Henri IV. & acquit cependant de grandes connoissances en livres, soit manuscrits, soit imprimés, dont il se fit une très-belle bibliothèque. Il procura une bonne édition de Justin, imprimée à Paris en 1581, in -8°. avec des notes pleines d'érudition ; mais on estime sur-tout les lettres qu'il écrivit pendant les emplois dont il fut revêtu ; elles ont été traduites de latin en françois par M. l'abbé de Brianville, qui en a donné la meilleure édition à la Haye en 1695. Bongars mourut à Paris en 1612 à 58 ans.

Dolet (Etienne) né vers l'an 1509, étoit imprimeur, poëte & grammairien. Il fut brûlé à Paris à la place Maubert le 3 Août 1546 à 37 ans, pour ses opinions sur la religion calviniste. Les ouvrages qu'il mit au jour sont 1°. commentarii linguae latinae, 2 vol. in-fol. rares. 2°. De re navali. 3°. Carminum, lib. IV. 4°. Des lettres qui sont rares, & d'un goût singulier.

Dubois (Gerard) compatriote de Dolet, prêtre de l'oratoire, a donné l'histoire de l'Eglise de Paris ; il mourut en 1696 âgé de 67 ans.

Gédoyn (Nicolas) naquit à Orléans en 1667. Il a été jésuite, ensuite chanoine de la Sainte-Chapelle à Paris, & enfin abbé commendataire de N. D. à Beaujency ; mais ce qui vaut beaucoup mieux, il est auteur d'une excellente traduction de Quintilien & de Pausanias, outre plusieurs mémoires insérés dans le recueil de l'acad. des belles-lettres. Il est mort en 1744.

Muis (Siméon de) savant interprete de l'Ecriture sainte, mort en 1644. Son commentaire sur les psaumes est un des meilleurs qu'on ait sur ce livre de l'Ecriture.

Petau (Denis) Petavius, jésuite, un des meilleurs critiques & des plus savans de son siecle. Outre qu'il a reformé la chronologie, on a de lui un grand nombre d'ouvrages sur d'autres sujets, de belles éditions des oeuvres de Synésius, de Thémistius, de Nicéphore, de S. Epiphane, de l'empereur Julien, &c. sur lesquels on trouvera tous les détails qui y ont rapport dans le 37 tome des mémoires du P. Niceron. Le P. Pétau est mort en 1652 âgé de 69 ans.

Thoynard (Nicolas) savant dans les langues, dans l'histoire, dans les antiquités, & dans la chronologie, mourut en 1706 âgé de 77 ans. On prétend qu'il a eu grande part au traité du cardinal Noris sur les époques syriennes. Sa concordance des quatre évangelistes en grec, passe pour un ouvrage vraiment curieux.

Vassor (Michel le) de l'oratoire, se réfugia en Angleterre où il obtint une pension du roi Guillaume, à la sollicitation de Burnet, évêque de Salisbury, & y mourut en 1718, âgé de plus de 70 ans. Son histoire de Louis XIII. est trop diffuse, car elle forme 20 v. in -12, elle est cependant très-recherchée, c'est qu'il ne se trompe que sur un petit nombre de faits.

Orléans est encore la patrie d'une dame, Marie Touchet, qui a fait grand bruit dans ce royaume. Elle donna des enfans à Charles IX. & épousa ensuite un homme de qualité. Son esprit, dit le Laboureur, étoit aussi incomparable que sa beauté, & l'anagramme de son nom je charme tout, fut trouvée fort juste. Les historiens racontent qu'après avoir bien examiné le portrait d'Elizabeth d'Autriche, dans le tems qu'on traitoit du mariage du roi avec cette princesse, elle le rendit en disant, je n'ai pas peur de cette allemande. Elle eut deux filles légitimes, dont l'une (Henriette de Balzac, marquise de Verneuil) fut maîtresse d'Henri IV. & l'autre du maréchal de Bassompierre. (D.J.)

ORLEANS, la nouvelle (Géog.) ville de l'Amérique, capitale de la Louisiane. Elle fut bâtie sous la régence du duc d'Orléans. C'est la résidence du gouverneur. Elle est sur le bord oriental du Mississipi. Lat. nord 28. 26. (D.J.)


ORMAYES. f. (Gram.) lieu planté d'ormes.


ORMEulmus, s. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur monopétale en forme de parasol, & garnie d'étamines. Le pistil sort du fond de cette fleur, & devient dans la suite un fruit membraneux, ou semblable a une feuille qui à la figure d'un coeur ; ce fruit a dans son milieu une capsule membraneuse en forme de poire, dans laquelle on trouve une semence de la même forme. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

ORME, (Jardinage) grand arbre qui vient naturellement dans plusieurs cantons de l'Europe, dans une partie de l'Asie, & dans l'Amérique septentrionale ; mais qui se trouve placé de main d'homme presque partout dans ces différens pays, par le grand cas que l'on en fait. L'orme devient un très-gros & très-grand arbre, d'une tige droite, dont la tête est garnie de beaucoup de rameaux, dont les racines s'étendent au loin entre deux terres. Son écorce, qui est roussâtre, se couvre, dès sa jeunesse, de rides & d'inégalités qui augmentent avec l'âge. Sa fleur, qui n'a nul agrément, paroît au mois de Mars, & bientôt elle est remplacée par une follicule arrondie, membraneuse, plate & fort legere, qui contient dans son milieu une petite graine, dont la maturité s'accomplit dès le commencement de Mai : circonstance particuliere & remarquable dans l'orme, dont on recueille les graines avant la venue des feuilles. En effet, elles ne commencent à se développer que dans le tems de la chûte des semences. Ses feuilles sont ovales, dentelées, sillonnées en-dessus, & relevées de fortes nervures en-dessous : elles sont fermes, rudes au toucher, & d'un verd brun.

Cet arbre, par la stature, par le volume & l'utilité de son bois, a mérité d'être mis au nombre des arbres qui tiennent le premier rang dans les forêts. On convient que le chêne & le chataigner lui sont supérieurs à juste titre ; mais le bois de l'orme convenant particulierement à certains ouvrages, il est d'un plus grand prix que le bois de chêne & de chataigner, ce qui fait que ces trois sortes d'arbres sont à-peu-près dans un même degré d'estime.

L'orme se plaît dans un terrein plat & découvert, bas & aqueux ; dans les lames noires & humides, dans les glaises mêlées de limon, & sur-tout dans les terres douces & fertiles, pénétrables & humides, où le pâturage est bon, & particulierement le long des chemins, des ruisseaux & des rivieres. On le voit aussi réussir souvent dans les craies humides mêlées de glaise, dans les terres mêlées de sable & de gravier où il y a des suintemens d'eau. Il se contente d'un sol médiocre & de peu de profondeur, & il vient assez bien dans toute sorte de terreins ; mais il ne profite pas dans les terres trop séches, trop sablonneuses & trop chaudes, ni dans celles qui sont trop froides & trop spongieuses, & il croît bien lentement dans la glaise pure, & dans les terres trop fortes & trop dures.

Il est très-aisé de multiplier cet arbre. On peut le faire venir de graine, de rejetton, de branche couchée, de bouture & de racine : on peut aussi le greffer. Ce dernier expédient ne s'emploie que pour multiplier les especes d'ormes rares & curieuses. Si l'on veut se servir des racines, c'est une foible ressource qui exige beaucoup de travail. Les boutures demandent aussi des préparations sans pouvoir remplir l'objet en grand. Les branches couchées supposent des arrangemens donnés. Les rejettons sont la voie la plus courte, quand on se trouve à portée de s'en procurer. Mais la semence, quoique le moyen le plus long, est cependant le plus convenable pour fournir une pépiniere, & obtenir un grand nombre de plants.

Si l'on prend le parti de semer, il faut recueillir la graine lorsqu'elle commence à tomber, ce qui arrive ordinairement entre le 10 & le 20 de Mai. Elle est plus parfaite, & il vaut beaucoup mieux la ramasser après sa chûte : mais on ne peut se servir de cet expédient que quand on est à portée d'un assez grand nombre d'ormes rassemblés ; car quand il n'y en a qu'une petite quantité, le vent disperse les graines de façon, qu'il est presqu'impossible de les amasser. Il faudra l'étendre & la laisser sécher à l'ombre pendant quelques jours. On disposera des planches de quatre piés de largeur dans une bonne terre de potager, grasse, meuble & cultivée de longue main. On y formera sur la longueur avec la pioche des rayons à-peu-près comme si l'on vouloit sémer des épinards. On espacera ces rayons de six ou huit pouces les uns des autres, afin d'avoir la facilité de sarcler avec la binette. On y répandra la graine d'orme uniformément & assez épais. On la recouvrira ensuite légerement avec la main d'un terreau très-fin, très-léger & bien criblé, d'un doigt d'épaisseur au plus : puis on humectera largement toute la planche, mais avec tel ménagement que la terre ne soit pas battue : car ici l'objet principal est de donner à cette graine toutes les facilités pour lever : elle est petite, & d'ailleurs entravée par une membrane, ensorte qu'on ne sauroit apporter trop de soin à ce premier arrangement qui décide du succès. Enfin on laissera la planche en cet état sans la niveller, afin que les sillons, en retenant l'eau des pluies ou des arrosemens, puissent conserver plus de fraîcheur. Il faudra répéter deux fois par semaines les arrosemens, selon la sécheresse, & sarcler au besoin. Les graines leveront en moins de quinze jours, & la plûpart auront en automne depuis un pié jusqu'à deux de hauteur. On pourra dès cette premiere année tirer à la main les plants les plus forts pour les mettre en pépiniere ; mais ce ne sera qu'après la seconde année qu'il faudra tout transplanter. L'ormille aura alors trois ou quatre piés de haut. On pourra y travailler dès l'autonne, ou bien attendre le printems, si la terre est grasse & humide. Il faut qu'elle soit meuble & en bon état de culture. On réduit l'ormille à un pié, & on accourcit les racines. On la plante avec un gros piquet en rangée de deux piés, où les plants sont espacés à quatorze ou quinze pouces. Rien à y faire cette premiere année qu'une légere culture pour détruire les mauvaises herbes. L'année suivante on retranchera avec beaucoup de ménagement les branches latérales, c'est-à-dire, en bien petite quantité, & à proportion que l'arbre se soutient de lui-même ; mais il ne faut faire cette petite taille qu'à ceux qui marqueront de la disposition à former une tige droite. Quant à ceux qui se chiffonnent, ce qui n'arrive que trop, il faudra les laisser aller jusqu'au printems de la troisieme année. Alors point de meilleur parti à prendre que de les couper entierement jusqu'à un pouce de terre : c'est le seul moyen de les faire profiter. Ils s'éleveront dès cette même année au double de la hauteur qu'ils avoient, & prendront naturellement une tige droite. Au bout de trois autres années, ils auront communément deux pouces de diametre, & seront en état d'être transplantés à demeure.

En se servant des rejettons mis en pépiniere, & conduits comme on vient de le dire, on gagnera deux années ; ensorte qu'au bout de cinq ans ils seront propres à la transplantation. Ces rejettons se trouvent soit au pié des vieux ormes, soit dans les places où l'on a arraché de gros arbres de cette espece, ou bien on pourra s'en procurer en faisant ouvrir la terre sur les racines des gros arbres.

Si l'on veut multiplier l'orme en couchant ses branches, cette méthode prendra autant de tems que si on les faisoit venir de graine. Les branches couchées n'auront qu'au bout de deux ans des racines suffisantes pour être mises en pépiniere, où on les conduira comme les plants venus de semence. Voyez MARCOTTER.

Pour faire venir l'orme de bouture, il faut autant de tems que de semence ; mais le double de travail. On ne doit se servir de cet expédient que quand on ne peut faire autrement. Voyez sur la façon de faire ces boutures le mot MEURIER.

On peut élever des ormes par le moyen des racines. Il faut les couper de huit ou dix pouces de longueur, les choisir de la grosseur du doigt pour le moins, les planter en pépiniere comme les plants venus de semence, si ce n'est qu'il faut mettre ces racines du double plus proche, parce qu'il en manque beaucoup. C'est une bien foible ressource.

Enfin, on peut greffer les ormes à larges feuilles sur l'espece commune. On se sert pour cela de la greffe en écusson à oeil dormant. Ces greffes réussissent aisément, & poussent l'année suivante d'une force étonnante. Souvent elles s'élevent à plus de neuf piés ; ainsi, il faut les soigner habituellement. Voyez GREFFER.

De tous les arbres forestiers l'orme est celui qui réussit le mieux à la transplantation. Fût-il âgé de vingt-ans, il reprendra pourvu qu'il ait été arraché avec soin. Dans ce cas il ne faut point les étêter, mais couper toutes les branches latérales, & ne leur conserver qu'un sommet fort petit. Cependant les arbres de deux à trois pouces de diametre sont les plus propres à transplanter. Il faudra s'y prendre de bonne heure en automne, & même dès la fin d'Octobre, si le terrein est humide & gras ; car les racines de cet arbre sont sujettes à se pourrir, quand elles n'ont pas eu le tems de s'affermir, & de se lier à la terre. On risquera moins d'attendre les jours sereins qui annoncent le printems. On se gardera de planter cet arbre profondement : il veut vivre des sucs les plus qualifiés de la surface ; d'où il arrive qu'il envahit le terrein circonvoisin, & qu'il est très-nuisible aux plantes qu'on veut y faire venir. Presque tous les jardiniers ont la fureur de couper à sept piés tous les arbres qu'ils transplantent : il semble que ce soit un point absolu au-delà duquel la nature soit dans l'épuisement. Ils ne voyent pas que cette misérable routine de planter des arbres si courts retarde leur accroissement, & les prépare à une défectuosité qui n'est pas réparable. De tels arbres font toujours à la hauteur de sept piés un genou difforme, d'un aspect très-désagréable. Il faut donc planter les ormes avec quatorze piés de tige, pourvu qu'ils aient deux ou trois pouces de diametre. On les laisse pousser & s'amuser pendant quelques années au-dessous de dix piés, ensuite on les élague peu-à-peu pour ne leur laisser que les principales tiges qui s'élancent en tête. C'est ainsi qu'on en peut jouir promptement, & qu'on leur voit faire des progrès que l'agrément accompagne toujours.

On peut tailler l'orme autant que l'on veut sans inconvénient ; l'élaguer, le palissader, l'étêter, au ciseau, à la serpe, au croissant ; il souffre la tonte en tout tems, pourvu que la seve ne soit pas en plein mouvement. Il croît même aussi promptement lorsqu'on le restraint à une petite tête, que quand on le laisse aller avec toutes ses branches : je donne ce dernier fait sur le rapport de M. Ellis, auteur anglois, aussi versé qu'accrédité sur cette matiere.

Il est assez difficile de régler la distance qu'on doit donner aux ormes pour les planter en avenue, en quinconce, &c. Cela doit dépendre principalement de la qualité du terrein, ensuite de la largeur qu'on veut donner aux lignes ; enfin, du plus ou moins d'empressement que l'on a de jouir. La moindre distance pour les grands arbres est de douze piés : cependant on peut encore réduire cet arbre à un moindre éloignement, & même le planter aussi serré que l'on voudra. Les ormes, dit encore M. Ellis, sont de tous les arbres ceux qui se nuisent le moins, & qui dans le moindre espace deviennent les plus gros arbres ; & cela, ajoute-t-il, parce qu'on peut leur former & qu'ils ont naturellement une petite tête. Il en donne encore d'autres raisons physiques, que l'étendue de cet ouvrage ne permet pas de rapporter. L'orme, dit-il, arrive à sa perfection en 70 ans. Ses racines n'épuisent pas la terre comme celles du chêne & du frêne. Son ombre est saine tant pour les hommes que pour le bétail, au-lieu que le chêne, le frêne & le noyer donnent un ombrage pernicieux. L'orme est excellent à mettre dans les haies autour des héritages : on en coupera les grosses branches pour le chauffage. Ce retranchement ne lui laissant qu'une petite tête, empêchera ses racines de s'étendre & de nuire aux grains. Lorsque ces arbres seront trop âgés, il faudra les étêter pour les renouveller ; mais avoir grand soin de faire la coupe tout près du tronc, & de couvrir le sommet de terre grasse pour empêcher la pourriture. La racine de l'orme pénétre aussi profondément dans la terre que celle du chêne ; elle a souvent une fourchette au-lieu d'un pivot, & quelquefois deux & trois ; mais il n'appauvrit pas la terre comme le frêne.

L'orme est d'une grande ressource pour la décoration des jardins. Il se prête & se plie à toutes les formes. On en peut faire des allées, des quinconces, des salles de verdures, &c. mais il convient surtout à former de grandes avenues par rapport à sa vaste étendue & à son grand étalage. Cet arbre est très-propre à faire des portiques en maniere de galerie, tels qu'on les voit d'une exécution admirable dans les jardins du château de Marly. On en peut faire aussi de très-hautes palissades qui réussiront dans des endroits où la charmille & le petit érable refusent de venir. On l'admet encore dans les parties de jardin les mieux tenues & les plus chargées de détail, où par le moyen d'une taille réguliere & suivie, on fait paroître l'orme sous la forme d'un oranger, dont le pié semble sortir d'une caisse de charmille ; mais cet arbre réunit encore l'utilité aux agrémens les plus variés.

Le bois de l'orme est jaunâtre, ferme, liant, très-fort & de longue durée. Il est excellent pour le charronnage. Ce bois seul peut servir à former tous les différens ouvrages de ce métier. C'est le meilleur bois qu'on puisse employer pour les canaux, les pompes, les moulins, & généralement pour toutes les pieces qu'on veut faire servir sous terre & dans l'eau. On peut laisser les ormes en grume pendant deux ou trois ans après qu'ils sont abattus sans qu'il y ait à craindre que le ver ne s'y mette, ni que la trop vive ardeur du soleil les fasse fendre. Durant ce tems même l'aubier deviendra aussi jaune que le coeur. Ce bois n'est sujet ni à se gerser, ni à se rompre, ni à se tourmenter, ce qui le rend d'autant plus propre à faire des moyeux, des tuyaux, des pompes & tous autres ouvrages percés, qui seront de plus longue durée que le hêtre ni le frêne : mais on observe que le bois des ormes qui sont venus dans un terrein graveleux est cassant, que les Charrons le dédaignent, & préférent au contraire les arbres qui ont pris leur accroissement dans la glaise. Les Carrossiers, les Menuisiers, les Tourneurs, &c. font usage de ce bois. Il est aussi dans la construction des vaisseaux pour les parties qui touchent l'eau. On peut mettre en oeuvre des planches d'ormes fraîchement travaillées sans aucun risque de les voir se gerser, se dejetter ou se tourmenter, si l'on prend la précaution de les faire tremper pendant un mois dans l'eau. Enfin le bois de l'orme fait un très-bon chauffage.

On prétend que ses fleurs sont nuisibles aux abeilles, & ses graines aux pigeons : mais ces feuilles sont une excellente nourriture en hiver pour les moutons, les chévres, & sur-tout pour les boeufs, qui en sont aussi friands que d'avoine. Pour conserver ces feuilles, on coupe le menu branchage d'orme à la fin d'Août, & on le fait sécher au soleil.

Par la piquure des insectes auxquels l'orme est sujet, il se forme assez souvent des vessies creuses, dans lesquelles on trouve un suc visqueux & balsamique, qui est de quelqu'usage en Médecine. Mais on lui donne de plus la propriété d'enlever les taches du visage & d'embellir le teint.

On connoît différentes especes d'orme, dont voici les principales.

1°. L'orme champêtre : sa feuille est petite & rude au toucher ; son écorce est ridée, même sur les jeunes rejettons. C'est à cette espece qu'on doit principalement appliquer ce qui a été dit ci-dessus.

2°. L'orme champêtre à feuilles très-joliment panachées.

3°. L'orme de montagne : sa feuille est grande & très-rude au toucher. Il donne quantité de rejettons. Ses racines s'étendent à la surface de la terre comme celles du frêne. Il croît aussi promptement que le marceau. Il est très-propre à faire du bois taillis. Il est très-convenable à mettre dans les haies. On peut le tailler & l'étêter sans inconvénient, il y poussera toujours vigoureusement. Son bois est encore plus dur, plus ferme & plus durable que celui de l'orme champêtre ; il est excellent pour les ouvrages de charonnage, & on le préfere généralement au bois de toutes les autres especes d'ormes.

4°. L'orme-teille : sa feuille est plus large que celle du précédent ; mais elle n'est pas si rude au toucher, & elle a beaucoup de ressemblance avec celle de noisettier. Cet arbre pousse vigoureusement, & son accroissement est très-prompt. Il ne donne point de rejettons du pié. Son bois est tendre, & presque aussi doux que celui du noyer.

5°. L'orme à feuilles lisses : cet arbre étend peu ses branches.

6°. L'orme à feuilles lisses, joliment panachées.

7°. Le petit orme à feuilles jaunâtres.

8°. L'orme d'Hollande : sa feuille est rude au toucher, très-grande & très-belle. La membrane de ses graines est plus étroite & plus pointue que dans les ormes précédens. Il croît si vîte dans sa jeunesse, qu'il surpasse pendant plusieurs années toutes les autres especes d'ormes de son âge. Mais au bout de vingt ou trente ans, les autres le gagnent de vîtesse, & viennent de mieux en mieux. Son bois n'est pas si bon. Son écorce tant de la tige que des branches est toujours éraillée, gersée & pendante par lambeau, ce qui lui donne un aspect désagréable. Il donne ses feuilles fort tard & les quitte de bonne heure.

9°. L'orme d'Hollande à feuilles panachées : il croît plus lentement que le précédent, & vaut encore moins.

10°. Le petit orme à feuilles lisses & étroites ou l'orme d'Angleterre : il fait un bel arbre très-droit, & dont la tête prend une forme assez réguliere. Ses feuilles ne tombent que tard en automne.

11°. L'orme à graine étroite : on le nomme en Angleterre l'orme de France. Sa feuille est grande & rude au toucher. On en fait très-peu de cas, & on le dédaigne autant que celui d'Hollande ; cependant il est très-vivace, car il réussit dans des terreins où toutes les autres especes d'ormes se refusent.

12°. L'orme à écorce blanche : sa feuille est grande, rude au toucher, & d'un verd très-vif. Son écorce est très-lisse & de couleur de cendres. On préfére cet orme à beaucoup d'autres, à cause de la belle régularité de son accroissement. Il fait une tige droite, & il garde ses feuilles plus long-tems qu'aucune autre espece d'orme.

13°. L'orme de Virginie : sa feuille est uniformément dentelée. C'est tout ce qu'on sait encore de cet arbre.

14°. L'orme de Sibérie : ses feuilles ont aussi une dentelure uniforme, mais leur base est égale, aulieu que dans toutes les autres especes ci-dessus la base est inégale ; c'est-à-dire que vers la queue, l'un des côtés de la feuille s'allonge plus que l'autre. Cet orme est très-petit : c'est un arbre nain : sa feuille est lisse, & son écorce est spongieuse.

ORME, fécondité de l '(Physico-Botanique) une merveille exposée aux yeux de tout le monde, & que l'on a long-tems négligé d'observer, dit M. de Fontenelle, est la fécondité des plantes, non pas seulement la fécondité naturelle des plantes abandonnées à elles-mêmes, mais encore plus leur fécondité artificielle procurée par la taille & par le retranchement de quelques-unes de leurs parties ; cette fécondité artificielle n'est au fond que naturelle : car enfin l'art du jardinier ne donne pas aux plantes ce qu'elles n'avoient point, il ne fait que leur aider à développer & à mettre au jour ce qu'elles avoient. L'orme fournit un exemple de la fécondité, dont peut être un arbre, en fait de graines seulement, qui sont le dernier terme, & l'objet de toutes les productions de l'arbre.

On sait que tous les rameaux de l'orme ne sont que des glanes de bouquets de graines extrêmement pressées l'une contre l'autre. M. Dodart ayant pris au hasard un orme de 6 pouces de diamêtre, de 20 pieds de haut jusqu'à la naissance des branches, & qui pouvoit avoir douze ans, en fit abattre avec un croissant, & par la chûte de la branche, fit compter ce qui en restoit.

Il se trouva sur cette branche seize mille quatre cent cinquante, ci, 16450 graines.

Il y a sur un orme de 6 pouces de diamêtre, plus de 10 branches de 8 pieds ; mais supposé qu'il n'y en ait que 10, ce sont pour ces 10 branches cent soixante-quatre mille cinq cent, ci, 164500.

Toutes les branches qui n'ont pas 8 pieds, prises ensemble, font une surface qui est beaucoup plus que double de la surface des dix branches de 8 pieds ; mais en ne la supposant que double, parce que peut être ces branches moindres sont moins fécondes, ce sont pour toutes les branches prises ensemble, trois cent vingt-neuf mille, ci, 329000.

Un orme peut aisément vivre 100 ans, & l'âge où il a sa fécondité moyenne, n'est assurément pas celui de 12 ans. On peut donc compter pour une année de fécondité moyenne, plus de 329000 graines, & n'en mettre, au lieu de ce nombre, que 33000, c'est bien peu ; mais il faut multiplier ces 33000 par les cent années de la vie de l'orme. Ce sont donc (trente-trois millions).... 3300000 graines qu'un orme produit en toute sa vie, en mettant tout au plus-bas pié, & ces trente-trois millions sont venus d'une seule graine.

Ce n'est-là que la fécondité naturelle de l'arbre, qui n'a pas fait paroître tout ce qu'il renfermoit.

Si on l'avoit étêté, il auroit repoussé de son tronc autant de branches qu'il en avoit auparavant dans son état naturel, & ces nouveaux jets seroient sortis dans l'espace de 6 lignes de hauteur ou environ, à l'extrêmité du tronc étêté.

A quelqu'endroit & à quelque hauteur qu'on l'eût étêté, il auroit toujours repoussé également, ce qui paroît constant par l'exemple des arbres nains qui sont coupés presque rès-pié, rès-terre.

Tout le tronc, depuis la terre jusqu'à la naissance des branches, est donc tout plein de principes ou de petits embryons de branches, qui à la vérité ne peuvent jamais paroître à la fois, mais qui étant conçus, comme partagés par petits anneaux circulaires de 6 lignes de hauteur, composent autant d'anneaux, dont chacun en particulier est prêt à paroître, & paroîtra réellement, dès que le retranchement se fera précisément au-dessus de celui-là.

Toutes ces branches invisibles & cachées, n'existent pas moins que celles qui se manifestent ; & si elles se manifestoient, elles auroient un nombre égal de graines, qu'il faut par conséquent qu'elles contiennent déja en petit.

Donc en suivant l'exemple proposé, il y a dans cet orme autant de fois 33 millions de graines, que 6 lignes sont contenues dans la hauteur de 20 pieds, c'est-à-dire qu'il y a (quinze milliars huit cent quarante millions) 15840000000 graines ; & que cet arbre contient actuellement en lui-même dequoi se multiplier, & se reproduire un nombre de fois si étonnant. L'imagination est épouvantée de se voir conduite jusque-là par la raison.

Et que sera-ce, si l'on vient à penser que chaque graine d'un arbre contient elle-même un second arbre qui contient le même nombre de graines ; que l'on ne peut jamais arriver ni à une graine qui ne contienne plus d'arbre, ni à un arbre qui ne contienne plus de graines, ou qui en contienne moins que le précédent, & que par conséquent voilà une progression géométrique croissante dont le premier terme est un, le second 15 milliards 8 cent 40 millions, le troisieme, le quarré de 15 milliards 8 cent 40 millions, le quatrieme son cube, & ainsi de suite à l'infini ? La raison & l'imagination sont également perdues & abîmées dans ce calcul immense, & en quelque sorte plus qu'immense. Hist. de l'acad. des Sciences, ann. 1700. (D.J.)

ORME, vessie d '(Hist. nat.) tubérosité formée sur la feuille de cet arbre par la piquûre d'un insecte : entrons dans le détail. Ces vessies membraneuses, dont quelquefois les ormes se trouvent chargés en certains endroits, comme des pommiers le seroient de fruit en automne, sont de différentes grosseur & couleur ; les unes vertes, plus ou moins pâles, les autres panachées de rouge & de jaune. Elles prennent naissance de l'endroit de la feuille où elle a été piquée par l'insecte. Tous les auteurs en parlent, mais Malpighi est le premier qui les ait observées en Physicien, ensuite Tournefort, & finalement M. Geoffroy dans les mémoires de l'académie des Sciences, ann. 1724.

Suivant les observations de Malpighi, ces vessies ne forment d'abord qu'un petit enfoncement qui se fait en-dessous de la feuille, & qui s'accroît toujours de plus en plus, jusqu'à devenir quelquefois de la grosseur du poing. Cette excroissance ne détruit pas entiérement la feuille, mais elle en dérange considérablement la configuration. Le petit enfoncement qui en a été la premiere origine, se conserve à la base de la vessie ; mais il se retrécit quelquefois si fort, qu'il ne laisse point d'ouverture sensible.

M. Geoffroy a remarqué qu'à mesure que la vessie grossit, elle prend sa pente comme une figue qui se mûrit, & elle se gerse à-peu-près de même en différens endroits. La superficie est inégale, irréguliere, & hérissée d'un duvet très-serré par ses différentes ouvertures, ainsi que par l'orifice inférieur ; il en tombe une poussiere assez blanche, fine, avec des gouttes d'une eau mucilagineuse. Ces gouttes se séparent en tombant, sans mouiller le papier sur lequel on les reçoit, à cause de la poussiere dont elles sont mêlées. On ne remarque dans cette eau qu'une odeur de seve très-légere, & une couleur roussâtre qu'elle prend en s'épaississant ; en se desséchant elle durcit comme de la gomme de cerisier.

Plusieurs auteurs attribuent à l'eau des vessies d'orme, une vertu balsamique & vulnéraire, dont ils vantent les effets pour la réunion des plaies récentes, & sur-tout de celles des yeux. Camérarius s'est donné de grands soins pour enseigner la maniere de la recueillir. Fallope dit avoir vu des merveilles de ses effets : Mathiole n'en parle pas avec moins d'éloge ; mais tous les gens éclairés se moquent de ces fadaises.

Si l'on ouvre une vessie d'orme, on y trouve avec cette eau beaucoup de cette poussiere dont j'ai parlé. On y voit aussi, comme dans un duvet, remuer plusieurs petits insectes non-aîlés oblongs, d'une couleur tannée. Ils ont six pattes avec deux cornes sur la tête, & sont chargés sur le dos comme de petits flocons de duvet blanc. Cet insecte prend en se dépouillant la forme d'un moucheron qu'on appelle puceron d'orme. Sa dépouille reste toute entiere comme un fourreau ouvert en deux dans sa longueur. On voit voler ces pucerons autour de la vessie. Ils ont quatre aîles transparentes, deux courtes & deux longues ; celles-ci sont assez larges, & ont au bord extérieur un filet noir, qui s'étend depuis leur naissance jusqu'environ les deux tiers de leur longueur, & se termine en forme de palette. Ces moucherons qui sont du nombre des vivipares, enfermés sous une cloche de verre, déposent au bout de quelques jours d'autres petits insectes roussâtres qu'on apperçoit remuer peu après leur naissance ; en un mot il est plaisant, dit M. de Tournefort, que ces pucerons soient comme autant de marques qui couvrent de nouveaux moucherons.

Après la sortie de cette espece d'essain, les vessies se flétrissent & se dessechent ; alors en les ouvrant, on y trouve, sur-tout dans celles qui se sont le mieux conservées, comme un monceau des dépouilles d'où sont sortis les moucherons dont on a parlé, & la liqueur mucilagineuse se trouve réduite comme de la colle séche. (D.J.)

ORME, (Mat. méd.) la décoction des feuilles, & de l'écorce, & des racines de cet arbre, est regardée comme vulnéraire, astringente, tant pour l'usage intérieur, que pour l'usage extérieur. Ce reméde pris pendant plusieurs jours à grande dose, sous forme de tisane, a été recommandé aussi comme un diurétique très-utile contre l'ascite.

Une substance balsamique qu'on trouve dans ces excroissances ou vessies qui se forment sur ses feuilles, est vanté par plusieurs auteurs comme un excellent cicatrisant. (b)


ORMENIUM(Géog. anc.) ou plûtôt Orminium, village qui étoit au pied du mont Pélion derriere le golfe Pagaséen ; c'est-à-dire, le golfe Pélasgique, au nord & au levant duquel étoit la Magnésie, dont le mont Pélion occupoit une partie. (D.J.)


ORMINHorminum, s. m. (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur monopétale labiée ; la levre supérieure est petite & en forme de casque ; l'inférieure est découpée en trois parties, dont celle du milieu est concave comme une milliere. Le pistil sort du calice, il est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & entouré de quatre embryons qui deviennent dans la suite autant de semences arrondies, & renfermées dans une capsule qui a servi de calice à la fleur. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)


ORMUS(Géog.) petite île d'Asie au fond du golfe de même nom, à l'entrée du golfe Persique. C'est un amas de rochers couverts de pierres de sel. La chaleur y est si grande, que les habitans sont obligés, pour pouvoir reposer, de se retirer dans les bois voisins, & de se mettre dans l'eau jusqu'au cou. Les Portugais la prirent en 1507 ; mais en 1622 Schach-Abas, roi de Perse, s'en empara. On sait qu'Ormus ne subsiste plus aujourd'hui. Long. 79. 21. 30. lat. 27. 30. (D.J.)


ORNANS(Géog.) petite ville de France dans la Franche-Comté, sur la Louve, à trois lieues de Besançon, au pied des montagnes. Long. 23. 42. lat. 47. 17.


ORNEL '(Géog.) riviere de France en Normandie. Elle prend sa source au village d'Aunont, & après avoir fait beaucoup de détours, se jette dans la mer à trois lieues au-dessous de Caën. Elle a été nommée Olena par les anciens.

Il y a une autre riviere dans le Maine qu'on nomme aussi l'Orne. Cette derniere a sa source aux frontieres du Perche, & tombe dans la Sarte.

ORNE, s. m. (Botan.) espece de frêne nommé fraxinus humilior, sive altera Theophrasti, minore & tenuiore folio C. B. P. Voyez FRENE.


ORNÉE(Antiq. Grecq.) surnom que les Corinthiens donnerent autrefois au dieu Priape, en l'honneur duquel ils célébroient des fêtes, & faisoient des sacrifices qu'on appelloit semblablement ornées ; mais c'est à Colophon, ville d'Ionie, qu'on les solemnisoit avec plus d'éclat. Le dieu n'avoit alors pour ministres que des femmes mariées.

ORNEES, (Géog. anc.) Orneae, au génit. Ornaearum, ville du Péloponnèse, fameuse par la bataille qui s'y donna entre les Argiens & les Lacédemoniens. Diodore de Sicile, Pausanias, & Thucydide en font mention. Ce dernier en particulier, l. VI. nous instruit de la destruction de cette ville par les Argiens. (D.J.)


ORNEMENTS. m. (Gram.) ce qui sert à parer une chose, quelle qu'elle soit. Le grand principe c'est que les parties essentielles & principales se tournent en ornemens ; car alors le spectateur qui voit l'utile servir de base à l'agréable, est affecté le plus doucement qu'il est possible. Les belles personnes n'ont pas besoin d'ornemens. Les habits dont les prêtres se vêtissent en officiant, s'appellent des ornemens. L'Architecture demande un grand choix d'ornemens. On dit d'un grand homme, qu'il sera la gloire de sa nation, & qu'il est l'ornement de son siecle. Les figures de la Rhétorique sont les ornemens du discours. La science est l'ornement de l'esprit.

ORNEMENS FUNEBRES, (Littérat.) ce sont en général le lit, les habits, les marques de dignité, & autres choses de cette espece, dont les anciens paroient un corps mort, & l'exposoient à la vue du public, avant que de le mettre en terre, ou de le brûler ; à cet usage répond en partie ce que nous nommons le lit de parade des princes & princesses avant leur enterrement. Le mot grec qui désigne ces ornemens funebres des anciens, est , ou , dont l'action d'embaumer faisoit une partie chez les Egyptiens. Ptolomée voulant donner une effigie d'Alexandre qu'il avoit fait faire à la place de son véritable corps, mit à cette effigie un manteau royal, & l'enrichit de divers autres ornemens, , qu'il jugea propres à son dessein. Apollodore porta à Socrate, dans sa prison, une tunique & un manteau fort riche, & le priant de s'en revêtir avant que de boire la ciguë, lui dit qu'il en usoit de la sorte, afin qu'il ne fût pas privé des ornemens funebres ; mais sa mort glorieuse n'étoit-elle pas le plus bel ornement funebre, le plus beau mausolée, la plus honorable sépulture, comme dit Oelian ? (D.J.)

ORNEMENT DES ARMES, (Hist. milit.) les ornemens des armes ont été inventés pour donner aux armes de la beauté, du relief & de l'agrément, comme étoient autrefois les cimiers qu'on ajoutoit aux heaumes, & qu'on mettoit sur les casques. Les lambrequins étoient encore un ornement de casque.

Cet ornement a passé dans les armoiries, aussi-bien que le casque. On mettoit quelquefois des pierres précieuses au casque ; mais il étoit de la prudence de celui qui le portoit, de les ôter pour sa sûreté, quand il alloit au combat. Aux cimiers succéderent les panaches ou bouquets de plumes en touffe au haut du casque. C'étoit un ornement de l'armure de tête des soldats romains. Les panaches furent aussi mis sur la tête des chevaux au-dessus du chamfrain. Un autre ornement des armes étoit la cotte d'armes. Dans la suite des tems on se contenta d'orner la cuirasse d'une écharpe, qui tantôt fut portée en baudrier, tantôt en ceinturon. Ce qui distinguoit encore nos anciens chevaliers, étoient les éperons dorés. Les écuyers en portoient d'argent. Les armoiries du chevalier, ou de l'écuyer étoient sur son bouclier, ce qui faisoit encore un ornement. Tout ce qu'on voit aujourd'hui d'ornement, c'est le plumet au chapeau des officiers, & des chevaux richement caparaçonnés, mais plus ou moins, suivant le rang & la dignité de ceux qui les montent. (D.J.)

ORNEMENT, (Archit. & Sculpt.) mot général qu'on donne à la sculpture qui décore l'architecture. Vitruve & Vignole comprennent sous ce nom l'entablement.

Ornement de coins. Ornemens qu'on met au coin des chambranles, autour des portes ou des fenêtres formés des membres de l'architecture, lorsqu'on ne les fait pas unis & paralleles aux côtés, mais qu'on les brise aux coins. On distingue ces ornemens en simples & en doubles. Leur module est communément de 1/5 à 1/6 de largeur.

Ornemens de relief. Ornemens taillés sur les contours des moulures, comme les feuilles d'eau & de refend, les joncs, les coquilles, &c.

Ornemens en creux. Ornemens fouillés dans les moulures, comme les oves, rais-de-coeur, &c.

Ornemens maritimes. On appelle ainsi les glaçons, mascarons, poissons, festons, coquillages, &c. qui servent à décorer les grottes & les fontaines.

Vitruve gémit sur la corruption du goût en fait d'ornemens d'architecture ; ce goût s'est encore bien plus dépravé depuis cet écrivain, soit par les grotesques que Morto peintre a mis en usage, soit par d'autres idées de caprice qui ne sont pas mieux raisonnées. Des trophées & des armures employés à décorer une maison de chasse sont aussi déplacés, que Ganimede & l'aigle, Jupiter & Léda qu'on voit sur les reliefs des portes de S. Pierre de Rome. Les colifichets & les coquillages de fantaisie dont on croit aujourd'hui décorer les appartemens, sont aussi peu naturels, que les lustres du tems de Vitruve, que l'on chargeoit de petits châteaux & de petits palais.

ORNEMENT, (terme de Peinture) ce mot se dit en général des peintures dont on orne nos appartemens, & en particulier de celui d'une galerie pour servir d'accompagnement au sujet principal, au tableau principal, sans en faire cependant partie. Notre goût d'ornemens en peinture n'est pas moins gâté qu'en architecture. Dans nos plafonds, par exemple, & dans nos dessus de portes, on ne se propose ordinairement d'autre but, que celui de couvrir des places vuides, qui ne pouvoient pas être entierement chargées de dorures. Non-seulement ces peintures n'ont aucun rapport à l'état & à la situation du possesseur, mais souvent même elles présentent des idées qui lui sont préjudiciables ; cependant l'horreur du vuide remplit les murs de peintures vuides de sens. (D.J.)

ORNEMENS, distribution d '(Archit. Décor.) c'est l'espacement égal des ornemens, & figures pareilles & répétées dans quelque partie d'architecture, comme dans la frise dorique, la distribution des triglyphes & métopes ; dans la corniche corinthienne, celle des modillons, &c. Daviler.

ORNEMENS, (Hydraul.) ce sont les figures, les vases, les consoles, les pilastres, les arcades, les masques, les glaçons, les coquillages & autres morceaux d'architecture qui décorent les fontaines & les cascades. (K)

ORNEMENT, terme de Blason, se dit de tout ce qui est hors de l'écu, comme les timbres, les bourlets, les lambrequins, les cimiers, les suppots, colliers, manteaux, pavillons, &c.


ORNERv. act. (Gramm.) embellir par le secours de l'art. Voyez l'article ORNEMENT.


ORNEYL '(Géog.) riviere de France en Champagne ; elle prend sa source dans le Vallage, & va se joindre à la Marne, au couchant de Vitri-le-brûlé, où elle passe.


ORNICUS LAPIS(Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs à une pierre qui est, dit-on, le lapis lazuli.


ORNISS. m. toile des Indes, (Comm.) sortes de toiles de coton ou de mousseline, qui se font à Brampour ville de l'Indoustan, entre Surate & Agra. Ces toiles sont par bandes, moitié coton & moitié or & argent. Il y en a depuis quinze jusqu'à vingt aunes.


ORNITHIES(Géog. anc.) ornithiae, les Grecs nommoient ornithies, les vents du printems, avec lesquels arrivent les hirondelles & les autres oiseaux de passage. Pline dit que ces vents soufflent de l'occident ; quelques autres les appellent vents étésiens ; d'autres au contraire pensent que ces vents soufflent du nord, ou du nord-est.


ORNITHOGALUMS. m. (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur en lis, composée de six pétales disposés en rond. Le pistil occupe le milieu de cette fleur, & devient dans la suite un fruit arrondi, qui est divisé en trois loges, & qui renferme des semences arrondies. Ajoutez aux caracteres de ce genre, qu'il differe du phalangium en ce qu'il a la racine bulbeuse ou tubereuse. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Ce genre de plante établi par Tournefort, est des plus étendu, car il renferme, selon lui, 59 especes différentes par leurs fleurs ou leurs oignons ; de ce nombre on en connoît deux principales dans les boutiques, qu'on nomme squille rouge & squille blanche. Voyez SQUILLE, Botan.


ORNITHOLOGUEou ORNITHOLOGISTE, s. m. (Hist. nat.) physicien qui cultive, qui traite par écrit de la partie de l'histoire naturelle concernant les oiseaux. Voici ceux que je connois, avec l'indication de leurs ouvrages ; mais voyez en même-tems le mot OISEAU.

Aristoteles, de animalibus, graecè & latinè, Basileae, 1534. in-fol. édit. précieuse. Item. ex interpretat. & cum notis Scaligeri, Tolosae, 1619. in-fol.

Aldrovandus, (Ulysses) Ornithologia, Bonon. 1599, 1600 & 1603. trois vol. in-fol.

Albins, (Eléazar) A natural history of birds, Lond. 1731. fol. avec figures 101.

Belon, (Pierre) Histoire de la nature des oiseaux avec leurs portraits, Paris, 1551. fol. figures. Item, Portraits d'oiseaux & autres animaux d'Arabie & d'Egypte, Paris, 1557. in-4 °.

Blasius, (Gerhardus) Anatome animalium volatilium, aquatilium, &c. Amstael. 1681. in-4°. fig.

Catesby, (Marc) dans son histoire naturelle, of Carolina, Florida, and the Bahama, Lond. 1731. fol. fig. C de la plus grande beauté.

Cavalerius, (Joh. Bapt.) Aves aeneis typis incisae, Romae, 1595. form. obs. in-4 °.

Cortes, (Geronimo) Tratado de los animales terrestres y volatiles, Valencia, 1672. in-8 °.

Edward's, Natural history of birds, London, 1743. in-4 °. & 1751. in-4°. fig.

Ericius (Ericus) Epistola de avibus, Haffn. 1671. in-8 °.

Gesnerus, (Conradus) Libri tres de avibus, Tiguri, 1555. fol. edit. prim. Francofurti, 1585. edit. secunda.

Jonstonus, (Johannes) De avibus libri sex, Francof. 1650. fol. fig.

Klein, (Jac. Theodor.) Historia avium, Lubecae, 1750. in-4°. fig.

Langolius, (Gisbert) Dialogus de avibus, cum nominibus graecis, latinis & germanicis, Coloniae, 1544. in-8 °.

Lonicerus, (Adamus) Historia naturalis ubi de volatilibus, &c. Francof. 1551. fol. fig.

Marschaleus, (Nicolaus) Aquatilium & piscium historia, Rostochii, 1520. fol. fig.

Mochringius (Philippus-Henric.) Avium genera, Aaricae, 1752. in-8 °.

Marsigli, (comte de) dans son Danube & son Histoire physique de la mer, deux ouvrages magnifiques.

Olina, (Gio-Pietro) Occeliera, overo Discorso della natura di diversi uccelli, Romae, 1622. in-4 °. Ibid. 1684. fol. fig.

Perrault, dans ses Mémoires sur l'histoire des animaux, Paris 1676. imp. royal. fol. fig. & Paris, 1722. in-4°. fig.

Petiver, (Jacob.) dans son ouvrage intitulé, Gazophylacium naturae & artis, Lond. 1702. fol. fig. Item, Aquatilium animalium amboinae, &c. icones & nomina, xx. tabulis, Lond. 1713. &c.

Raius, (Johan.) Synopsis methodica avium & piscium, Lond. 1713. in-8 °.

Turnerus, (Guillelm.) Historia avium quarum apud Plinium & Aristotelem fit mentio, Coloniae, 1543. in-8 °.

Willughby, (Francis.) Ornithologia, Lond. 1676. fol. fig. C'est le meilleur de tous les ouvrages sur l'Ornithologie.

Zinanni (Comte Giuseppe) Delle vove e dei nidi de gli uccelli, in Venezia, 1737. in-4 °. cum tavole xxij.

Description philosophale de la nature des oiseaux, Rouen, 1541. in-12. L'auteur est resté anonyme, & son livre rare est très-mauvais.

A ces ouvrages, il faut ajouter ce qui se trouve sur les oiseaux dans les Musaea, dans les relations des célebres voyageurs, comme l'histoire de la Jamaïque du chevalier Hans Sloane, Marggrave & autres ; ainsi que dans les Trans. philosop. les mémoires de l'acad. des Sciences, &c. les différentes tailles douces qui ont été gravées sur les oiseaux rares, & entr'autres celles de Robert, qui sont à la bibliotheque du roi, méritent encore d'être connues des Ornithologues. (D.J.)


ORNITHOMANCIES. f. (Art. de divin.) divination qu'on tiroit de la langue, du vol, du cri ou du chant des oiseaux. , oiseau, & , devin, nom que les Grecs donnoient à ce qui s'appelloit chez les Romains, un augure. Ils tiroient des présages heureux ou malheureux des oiseaux, & cela de deux manieres ; ou de leur cri, de leur chant ou de leur vol. Les oiseaux dont on consultoit le cri, le chant, étoient proprement nommés oscines, comme le corbeau, la corneille, le hibou ; ceux dont on ne consultoit que le vol, étoient appellés alites & praepetes, comme l'aigle, le busard, le vautour. Il y en avoit qui étoient oscines & alites ; tels étoient le pivert, le corbeau, &c.

Mais tous les gens un peu sensés se moquoient de ces présages & des augures qui les tiroient. Pacuve parloit très-bien d'eux.

Istis qui linguam avium intelligunt

Plusque ex alieno jecore sapiunt quam ex suo,

Magis audiendum quam auscultandum censeo.

" Pour ces devins qui se piquent d'entendre le langage des oiseaux, & qui tirent plus de sens du coeur des animaux que de leur propre coeur, je suis d'avis qu'il vaudroit mieux leur prêter l'oreille que notre confiance ".

Ces trois vers de Pacuve contiennent une réflexion digne des siecles éclairés. Cependant comme les maladies de l'esprit ne se guérissent guere parmi les hommes, l'Astrologie, & l'art de prédire par les objets vus dans l'eau, succederent chez les Chrétiens aux extispices, c'est-à-dire, aux divinations par les entrailles des victimes & à l'Ornithomancie.

Je voudrois bien n'avoir pas à reprocher à Montagne un discours pitoyable, où, selon lui, de toutes les prédictions, les plus certaines étoient celles qui se tiroient du vol des oiseaux. " Nous n'avons rien, dit-il, de si admirable : cette regle, cet ordre du branler de leurs aîles dont on tire des conséquences des choses futures, il faut bien qu'il soit conduit par quelque excellent moyen à cette noble opération ; car l'attribuer à une ordonnance naturelle, ce seroit une idée évidemment fausse ".

Il est plaisant de voir un pyrrhonien, qui se joue de l'histoire, traiter d'idée évidemment fausse, celle des Physiciens de tous les âges. Montagne devoit bien être physicien autant que Virgile, qui n'attribue qu'à la diversité de l'air les changemens réglés du mouvement de leurs aîles, dont on peut tirer quelques conjectures pour la pluie & le tems serein ; Montagne, dis-je, devoit connoître aussi-bien que moi, ces beaux vers des Géorgiques.

Haud equidem credo, quia sit divinitus illis

Ingenium, aut rerum fato prudentia major ;

Verùm ubi tempestas & coeli mobilis humor

Mutavere vias, & Jupiter humidus austris

Densat, erant quae rara modo, & quae densa relaxat ;

Vertuntur species animorum, & pectora motus

Nunc hos, nunc alios, dùm nubila ventus agebat,

Concipiam, hinc ille avium concentus in agris,

Et laetae pecudes, & ovantes gutture corvi.

Enfin, si Montagne n'a pas cru un mot de ce qu'il disoit, il est inexcusable de s'être joué ainsi de ses lecteurs, en leur inspirant de fausses & de puériles opinions. (D.J.)


ORNITHOPODE(Botan.) entre les six especes d'ornithopode, ou de pié d'oiseau que compte Tournefort, arrêtons-nous à la principale, la grande ornithopodium majus ; sa racine est blanche, simple, fibreuse, chevelue, accompagnée de tubercules. Elle pousse plusieurs petites tiges, menues, foibles, rameuses, presque couchées à terre, longues d'environ un demi-pié, rondes & velues. Ses feuilles sont plus petites que celles de la lentille, rangées à l'opposite l'une de l'autre le long d'une côte, dont l'extrêmité est occupée par une seule feuille. Ses fleurs sont petites, légumineuses, jointes plusieurs ensemble en maniere de parasol au sommet des rameaux sur des courts pédicules, de couleur jaune mêlée de purpurin & de blanc. Leur calice est un cornet dentelé.

Lorsque les fleurs sont passées, il leur succede autant de siliques applaties, courbées en faucille, & réfléchies en en-haut, composées chacune de cinq, six ou sept pieces attachées bout-à-bout, terminées par une sorte de petit ongle pointu ; ces siliques naissent deux ou trois ensemble, disposées comme les serres d'un oiseau, d'où lui vient son nom. On trouve dans chacune de leurs pieces une semence menue, presque ronde, ressemblante à celle du navet.

Cette plante fleurit l'été, ordinairement en Juin ; elle croît dans les champs aux lieux secs & incultes, sur les collines, dans les prés arides, dans les sables & le long des chemins. (D.J.)


ORNITHOSCOPES. m. (Divinat.) les Grecs nommoient ornithoscopes, , ornithomantes, ornéoscopes, ceux qui se mêloient de former des prédictions & de tirer des présages des oiseaux. Potter, Archaeol. graec. l. II. c. xv. t. I. pag. 321. (D.J.)


ORNITOLITES(Hist. nat.) nom donné par quelques naturalistes à des oiseaux, à quelques-unes de leurs parties, à leurs oeufs, leurs os, ou à leurs nids, que l'on suppose avoir été pétrifiés, ce qui demanderoit à être sérieusement examiné pour s'assurer de la réalité de ces pétrifications. On fait quelquefois passer pour des nids d'oiseaux pétrifiés ceux qui ont été artificiellement revétus d'une croûte semblable à de la pierre, ce qui se fait en les plaçant dans les chambres graduées des salines, où l'eau chargée de sel, en passant continuellement par-dessus , dépose sur ces nids un enduit qui les enveloppe & qui les incruste. Voyez INCRUSTATION. (-)


ORNTAU(Géog.) pays d'Allemagne dans la Souabe, le long du Rhin qui le sépare de l'Alsace. Il est borné S. par le Brisgaw ; N. par le marggraviat de Bade ; E. par le duché de Wirtemberg : il contient trois villes impériales ; Offenbourg, Gengenbach & Zell. Il appartient en partie à la maison d'Autriche, en partie à l'évêque de Spire, & en partie au comte de Hanau.


OROANDA(Géog. anc.) ville d'Asie, dans la Pisidie. Tite-Live en parle, liv. XXXVIII. ch. vij. mais il paroît que cette ville ne subsistoit plus du tems de Ptolémée, qui se contente d'en nommer le peuple Orondici. (D.J.)


OROATIS(Géog. anc.) riviere de Perse, dans la Susiane. Pline, liv. VI. ch. xxv. dit qu'elle séparoit la Perside de l'Elymaïde. Saumaise croit, avec assez de vraisemblance, que c'est la même riviere que le Pasitigris.


OROBA(Géog. anc.) nom de deux villes de la Syrie, l'une près du Tigre, l'autre dans les terres. Selon Ptolémée, liv. VI. ch. j. la long. d'Oroba près du Tigre est 79 d. 20'. lat. 30 d. 20'. La long. d'Oroba dans les terres est 79 d. 20'. lat. 38 d. 10'. (D.J.)


OROBANCHEOrobanche, s. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur monopétale, anomale, en masque, & divisée en deux lèvres, dont la supérieure a la forme d'un casque, & l'inférieure est partagée en trois pieces. Le pistil s'éleve du fond de la fleur, & devient dans la suite un fruit oblong qui n'a qu'une seule capsule, qui s'ouvre en deux loges, & qui renferme des semences très-menues pour l'ordinaire. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Il suffira de caractériser l'orobanche sans entrer dans ses détails. Sa racine est écailleuse ; la plante paroît comme dépouillée de feuilles ; l'extrêmité du pédicule forme en se dilatant un calice à plusieurs segmens ; sa fleur est monopétale, irréguliere, bilabiée, en casque creux, & dont la barbe à trois divisions est en épi, & embrasse un ovaire long garni d'un long tube monocapsulaire à deux valvules ; les deux valvules s'ouvrent dans le tems de la maturité, & la capsule est pleine de semences très-petites.

La principale espece d'orobanche est nommée orobanche major caryophyllum olens par Tourn. Inst. 175. Elle croît fréquemment attachée aux racines du genet d'Espagne : on en fait un syrop d'usage dans les douleurs de coliques & d'hypocondres. (D.J.)


OROBANCHOIDESS. f. (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur en rose, composée ordinairement de huit feuilles, dont quatre sont pliées en gouttiere, & creusées en sabot à leur base, les autres quatre sont toutes simples : du milieu de ces feuilles s'éleve un pistil qui dans la suite devient un fruit oblong, divisé en quatre loges, lequel s'ouvre de la pointe à la base en autant de parties ; ces loges sont remplies d'une semence très-menue. Tournefort, Mémoire de l'acad. royale des Sciences, année 1706. Voyez PLANTE.


OROBES. m. (Hist. nat. Botan.) orobus, genre de plante à fleur papillonée, dont la piece supérieure ressemble à un pavillon, & les latérales à la forme de la carene d'un vaisseau. Il sort du calice un pistil enveloppé d'une membrane, qui devient dans la suite une silique ronde qui renferme des semences le plus souvent ovoides : ajoutez aux caracteres de ce genre que les feuilles sont attachées par paires à une côte terminée en pointe. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

On distingue quatre especes d'orobe ou d'ers : la principale nommée par Tournefort ervum verum, I. R. H. 398, a la racine menue, délicate & blanchâtre. Elle pousse plusieurs tiges à la hauteur d'environ un pié, qui s'étendent au large. Ses feuilles sont semblables à celles de la lentille, rangées par paires le long d'une côte. Ses fleurs sont légumineuses, petites, purpurines, quelquefois blanches, rayées de pourpre bleu, soutenues par des calices formés en cornets dentelés. Lorsque les fleurs sont passées, il leur succede des gousses longues d'un pouce, menues, pendantes, ondées de chaque côté, & blanchâtres dans la maturité. Ces gousses renferment des semences presque rondes, semblables à de petits pois d'un rouge-brun, & d'un goût de légume qui n'est ni amer ni désagréable.

Cette plante se seme dans les champs en plusieurs provinces pour la nourriture des bestiaux ; elle croît naturellement parmi les blés en Espagne & en Italie. Elle fleurit en Avril, Mai & Juin. Sa semence est mûre en Juillet. C'est une nourriture très-agréable aux pigeons. L'orobe se plaît en terre maigre, légere, & sablonneuse.

La petite espece qu'on appelle communément orobe de Candie, n'est qu'une variété de la précédente, suivant le sentiment de J. Bauhin, de Parkinson & de Ray.

L'orobe sauvage, orobus sylvaticus nostras de Ray, a été décrit premierement & suffisamment par cet habile botaniste, ensuite inutilement & fort au long dans les Mémoires de l'académie des Sciences année 1706.

La semence d'orobe est la seule partie de cette plante qu'on emploie en Médecine ; elle est résolutive, détersive, & apéritive. Les anciens médecins la réduisoient en poudre, & la donnoient incorporée avec le miel dans l'asthme humide, pour faciliter l'expectoration : on en a fait du pain dans des années de disette, mais de mauvais goût & qui fournissoit peu de nourriture. Aujourd'hui cette semence est une des quatre farines résolutives qu'on emploie communément en Chirurgie, & c'est son principal usage. (D.J.)

OROBE, (Botan. & Mat. méd.) Voyez ERS.


OROBIASS. m. (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs à la pierre appellée ammite ou hammite ou oolite. Voyez OOLITE.


OROBIENS LES(Géog. anc.) Orobii, peuples de la Gaule cisalpine, selon Pline, liv. III. c. xvij. Ils avoient une ville située dans les montagnes, qui tomboit en ruine du tems de Caton, & qui ne subsistoit déja plus du tems de Pline. (D.J.)


OROCONITES(Mat. méd.) nom donné par Hippocrate, & autres médecins grecs, à une racine bulbeuse qu'ils recommandent comme un excellent aliment. Il paroît que ce terme est composé du grec , montagne, & , figure conique ; cette étymologie nous apprend bien que c'étoit une racine de cette forme qui croissoit dans les montagnes ; mais les savans ont fait de vains efforts pour découvrir quelle étoit cette racine.


ORONTE L '(Géog. anc.) fleuve de Syrie ; Pline, liv. V. chap. xxij. le fait naître entre le Liban & l'Anti-liban, auprès d'Héliopolis, qui est aujourd'hui Balbec ; mais cet auteur a été mal informé. M. de la Roque dans son voyage de Syrie, nous apprend que la source de l'Oronte est dans une plaine à 4 ou 5 lieues de distance du mont Liban, entre l'orient & le midi, & à un éloignement considérable de toutes les montagnes qu'on peut appeller Anti-liban. C'est à environ 14 lieues de Balbec que sont les sources de l'Oronte ; il court d'abord en serpentant vers le nord, passe à 2 lieues d'Emese, traverse Apamée, arrose ensuite les murs d'Antioche, & se jette enfin dans la mer. (D.J.)


OROPE(Géog. anc.) Oropus ; il y a plusieurs villes de ce nom ; nous parlerons d'abord de la principale dans l'histoire de la Grece.

Elle étoit dans la Béotie, aux confins de l'Attique, auprès de la mer. Etant si voisine de l'Attique son territoire fut mis en litige par les Athéniens, à qui Philippe l'adjugea ; mais les Athéniens prétendoient aussi d'être en possession de la ville, & ils trouverent le moyen de se l'approprier : de-là vient qu'elle est nommée ville de l'Attique par Tite-Live, liv. XLV. chap. xxvij.

Mais il faut savoir que Themesion, tyran d'Eritrie, l'avoit prise sur les Athéniens la troisieme année de la ciij. olympiade, & que les Athéniens ne la recouvrerent que par la liberalité de Philippe qui la leur rendit après la bataille de Chéronée.

Je dois encore remarquer que nous avons en partie l'obligation à Orope d'avoir fait Démosthène orateur ; car ce fut après avoir entendu les applaudissemens infinis qu'eut un discours de Callistrate sur Orope, que Démosthène dit un dernier adieu à l'école de Platon, se détacha entierement de la philosophie, & résolut de se vouer à l'éloquence.

La même ville, dans la suite des tems, fournit aux Grecs une occasion d'apprendre à leurs vainqueurs, que la force & l'autorité de la parole résidoient encore dans les vaincus. Les Athéniens pressés d'une extrême disette négligerent les bienséances, & pillerent sans façon Orope leur alliée ; Orope se plaint au sénat de Rome. La cause des Athéniens avoit besoin d'un bon avocat, ils le trouverent en la personne de Carnéades, chef de leur ambassade. Cet excellent orateur, par ses tons & par ses figures, suppléa si merveilleusement aux raisons, & fascina si bien l'esprit des Romains, que le sénat disoit : " Athenes nous envoie des ambassadeurs, non pour se justifier, ou pour nous persuader, mais pour nous contraindre de faire ce qu'il lui plaît & ce qui lui convient "

Le nom moderne d'Orope est Ropo, village de Grece, à 2 milles de la mer, & à 6 d'un autre village nommé Marcopoulo ; à une lieue plus loin est une petite riviere, que M. Spon croit être l'Asopus ; au-delà de cette riviere est un autre grand village appellé Sycuimo, qui est vraisemblablement la petite ville de Béotie, qu'on nommoit anciennement Sycaminum.

Venons aux autres lieux qui portoient le nom d'Orope. Il y avoit une ville de ce nom en Syrie ; une autre en Macédoine ; une troisieme en Eubée ; une quatrieme dans la Thesprotie ; enfin une cinquieme au Péloponnèse dans l'Argie. (D.J.)


OROPESA(Géog.) ville d'Espagne, dans la nouvelle Castille, près des frontieres de l'Estramadure, avec titre de comté. Elle est entre Talavera & Plazencia, à 9 lieues de la derniere, au nord du Tage. Elle appartient à la famille royale de Portugal. Long. 13. 6. lat. 39. 40.


OROSANGES. m. (Littérat.) titre que les Perses donnoient à leurs bienfaiteurs ; ils écrivoient leurs bienfaits dans les registres publics, comme nous l'apprenons par le témoignage des historiens. Josephe interprete orosange par le mot grec évergète, qui veut dire sauveur.


OROSPEDA(Géog. anc.) ancien nom d'une chaîne de montagnes de l'Espagne. Strabon, l. III. comprend sous ce nom les diverses branches de montagnes qui courent depuis l'Aragon par les deux Castilles jusques dans l'Andalousie ; toutes ces montagnes ne sont qu'une extension des Pyrénées. (D.J.)


ORPAILLEURS(Hist. nat.) c'est ainsi qu'on nomme en France ceux qui s'occupent à retirer par le lavage les paillettes d'or qui se trouvent dans le sable de certaines rivieres qui en charrient, telles que le Rhône, l'Ariége, &c. Voyez la maniere dont on fait ce travail dans l'article OR. (-)


ORPHANUS LAPIS(Hist. nat.) nom donné par quelques anciens naturalistes, à une pierre laiteuse & de couleur de vin, que l'on croit être le girasol ou une fausse opale : on dit qu'il s'en trouve en Hongrie. Voyez GIRASOL.


ORPHEorpheus veterum, s. m. (Hist. nat. Icht.) poisson de mer qui ressemble au pagre par le nombre & par la position des nageoires, & par sa couleur rouge pourprée. Voyez PAGRE. Les dents de la mâchoire supérieure se trouvent entre celles de la mâchoire inférieure quand la bouche est fermée ; les yeux sont grands ; l'anus est fort petit, & il n'est apparent que lorsqu'on presse le ventre. L'orphe vit de poisson, & il prend son accroissement en très-peu de tems. Rondelet, Hist. des poiss. part. I. l. V. chap. xxv. Voyez POISSON.


ORPHÉE(Mythol. Hist. Litt.) nom des plus fameux & des plus anciens dans la musique & dans la poësie des Grecs. C'est peu de dire que les bêtes les plus féroces se rendoient sensibles à sa mélodie, les vents se tournoient de ce côté-là, & les arbres dansoient aux doux accords de sa lyre : les vers suivans en font la brillante peinture.

Orphée au bord de l'Hebre en suspendit le cours ;

Ses chants apprivoisoient les tigres & les ours ;

Les zéphirs retenoient leur souffle pour l'entendre,

Et les chênes des monts s'empressoient de descendre.

Ainsi la Fable nous figure

Les rochers émus de ses sons,

Et jusqu'en sa caverne obscure

L'ours attendri par ses chansons :

Ainsi du chantre de la Grece

Jadis la lyre enchanteresse

éleva les murs des Thébains ;

Toutes symboliques images,

Qui nous peignent les avantages

D'un art le maître des humains !

Cet art aux plus sages maximes

Joint les accens mélodieux ;

Ses accords sont touchans, sublimes,

C'est ainsi que parlent les dieux.

Sa douceur enchante l'oreille,

Chatouille le coeur, le réveille,

Répand par-tout l'aménité ;

Tandis que ses doctes mysteres

Sous des fictions salutaires,

Nous font briller la vérité.

Je ne m'amuserai point à rassembler tout ce que les Poëtes & les Mythologistes ont débité de fabuleux au sujet de ce musicien : ce sont des faits trop connus de tout le monde pour les répéter ici. Je me bornerai à rapporter seulement ce que quelques auteurs grecs, tels que Diodore, Pausanias, & Plutarque nous en ont conservé d'historique.

Orphée étoit fils d'Oeagre, roi de Thrace, & de la muse Calliope, & on le fait pere de Musée. Il excella dans la Poësie, & sur-tout dans la Musique ; ayant cultivé la cithare par préférence à tous les autres instrumens. Aussi ceux qui vinrent après lui prirent-ils à tâche de l'imiter en cette partie, aulieu qu'il ne se proposa personne pour modele, dit Plutarque, puisqu'avant lui on ne trouve que des compositeurs d'airs pour la flûte. On dit qu'il reçut de Mercure ou d'Apollon même la lyre ou la cithare à sept cordes, auxquelles il en ajouta deux nouvelles ; & qu'il fut l'inventeur du vers hexametre. La grande liaison de la Poësie dans ces premiers tems avec les sciences les plus sublimes, fit d'Orphée nonseulement un philosophe, mais un théologien.

Il s'abstenoit de manger de la chair, & il avoit en horreur les oeufs en qualité d'alimens, étant persuadé que l'oeuf étoit plus ancien que la poule, & le principe de tous les êtres. A l'égard de la théologie, son pere Oeagre lui en donna les premieres leçons, en l'instruisant des mysteres de Bacchus, tels qu'on les pratiquoit alors dans la Thrace. Il devint ensuite le disciple des dactyles du mont Ida en Crête, & il puisa dans leur commerce de nouvelles idées sur les cérémonies de la religion ; mais rien ne contribua davantage à le perfectionner en ce genre que son voyage en Egypte. Ce fut là que s'étant fait initier dans les mysteres d'Isis ou Cérès, & d'Osiris ou Bacchus, il acquit sur les initiations, sur les expiations, sur les funérailles, & sur d'autres points du culte religieux, des lumieres fort supérieures à celles qu'il avoit eues jusqu'alors.

De retour chez les Grecs il les leur communiqua en les accommodant à leurs notions ; & il se rendit respectable parmi eux, en leur persuadant qu'il avoit découvert le secret d'expier les crimes, de purifier les criminels, de guérir les malades, & de fléchir les dieux irrités. Sur les cérémonies funebres des Egyptiens il imagina un enfer dont l'idée se répandit dans toute la Grece. Il institua les mysteres & le culte d'Hécate chez les Eginetes, & celui de Cérès à Sparte. Sa femme étant morte il alla dans un lieu de la Thesprotie nommé Aornos, où un ancien oracle rendoit ses réponses en évoquant les morts. Il y revit sa chere Euridice, & croyant l'avoir enfin retrouvée, il se flatta qu'elle le suivoit ; mais ayant regardé derriere lui & ne la voyant plus, il en fut si affligé qu'il se tua lui-même de désespoir.

Quelques auteurs le font périr d'un coup de foudre, en punition d'avoir revélé à des profanes les mysteres les plus secrets : suivant une autre tradition, les femmes de Thrace fâchées de ce que leurs maris les abandonnoient pour le suivre, lui dresserent des embuches ; & malgré la crainte qui les retint pendant quelque tems, elles s'enivrerent pour s'encourager, & le tuerent. Plutarque assure que jusqu'à son tems les Thraces stigmatisoient leurs femmes pour venger cette mort.

D'autres le font tuer encore par des femmes, mais en Macédoine près de la ville de Dion où l'on voyoit son sépulchre, qui consistoit en une urne de marbre posée sur une colonne. On dit pourtant que cette sépulture étoit d'abord près de Libêthre, où naquit Orphée, sur le mont Olympe, d'où elle fut transférée à Dion par les Macédoniens, après la ruine de Libêthre ensevelie sous les eaux dans un débordement subit, causé par un orage effroyable : Pausanias raconte au long cet événement.

Quant aux poësies d'Orphée, ses hymnes, dit le même historien, étoient fort courtes & en petit nombre. Les Lycomides, famille athénienne, les savoient par coeur, & les chantoient en célébrant leurs mysteres. Du côté de l'élégance, continue Pausanias, ces hymnes le cedent à celles d'Homere ; cependant la religion ayant adopté les premieres, n'a pas fait le même honneur aux dernieres.

Il faut consulter M. Fabricius dans sa Bibliotheque grecque, sur le jugement qu'on doit faire des hymnes qui nous restent aujourd'hui sous le nom d'Orphée, ainsi que de plusieurs autres poësies attribuées à lui, ou à Onomacrite, contemporain de Pisistrate, telles que les Argonautiques, le Poëme sur les pierres, & divers fragmens qui ne se trouvent nulle part en si grand nombre que dans le recueil publié par Henri Etienne, sous le nom de Poesis philosophica. Il faut lire aussi au sujet d'Orphée la Dissertation d'André-Christien Eschenbach, intitulée Epignesis de poesi, ac philosophiâ orphicâ, & imprimée à Nuremberg en 1702, in-4 °.

Le célebre Cudworth dans son ouvrage anglois du systême intellectuel, a de son côté traité assez au long & fort bien tout ce qui regarde Orphée ; voyez enfin le Recueil de l'acad. des Inscript. tom. X. & XVI. in-4 °.

Je n'ignore pas que quelques littérateurs ont révoqué en doute, si Orphée a jamais existé. Pour moi je n'imagine pas comment Pindare, Euripide, Aristophane, Platon, tous écrivains d'une autorité respectable, auxquels je puis ajouter Isocrate, Pausanias, & plusieurs autres s'accordent à citer un poëte, un auteur de religion, un fondateur de secte ; & que ce poëte, cet auteur de religion, ce fondateur de secte, soit un personnage imaginaire. Hérodote après Homere & Hésiode, nous parle d'Orphée comme d'un personnage très-réel. Diodore nous apprend qu'il voyagea en Egypte, qu'il en apporta dans la Grece tout ce qui l'y rendit si fameux dans la suite, la théologie, la poësie, la musique ; & que sur le plan des mysteres égyptiens d'Isis & d'Osiris, il institua à Athènes les orgies de Bacchus & de Cérès, connues sous le nom de dionysiaques & d'éléusiennes. Pythagore fait mention des ouvrages d'Orphée. Epigenes que Pline cite avec éloge, Epigenes entr'autres les avoit lus ; tous les anciens enfin attestent d'une voix unanime qu'Orphée a existé.

Aristote seroit peut-être le seul qui en eût fait un personnage imaginaire, s'il falloit prendre au sens littéral ce passage de Ciceron : Orpheum poetam docet Aristoteles nunquam fuisse. Mais outre que l'autorité d'Aristote ne peut rien ici contre une foule de témoins dont la plûpart lui sont antérieurs ; le même Aristote, dans un de ses ouvrages qui s'est perdu, reconnoissoit qu'il avoit existé un Orphée. Ainsi, lorsqu'il l'a nié quelque part (car Ciceron ne cite point l'ouvrage), il faut l'entendre, non dans un sens absolu, mais en ce sens qu'il n'y eut jamais d'Orphée, tel que les Poëtes l'ont représenté, traînant après lui les arbres & les rochers, & pénétrant jusqu'aux enfers, à la faveur de ses chants harmonieux(D.J.)


ORPHELINS. m. (Gramm. & Antiq. grecq.) enfant mineur qui a perdu son pere & sa mere. On prenoit un soin particulier des orphelins dans plusieurs villes de Grece, mais sur-tout à Athènes, tant que cet état fut bien gouverné. Les enfans dont les peres avoient été tués à la guerre étoient élevés aux dépens du public, jusqu'à ce qu'ils fussent parvenus à l'adolescence, alors on les produisoit sur le théâtre pendant les fêtes de Bacchus ; & après leur avoir donné une armure complete , on les renvoyoit dans leurs maisons. Eschine nous a conservé la belle formule dont le héraut se servoit pour les congédier : paroissant avec eux sur la scene, il disoit à haute voix : " Que ces jeunes orphelins, à qui une mort prématurée avoit ravi au milieu des hasards leurs peres illustrés par des exploits guerriers, ont retrouvé dans le peuple un pere qui a pris soin d'eux jusqu'à la fin de leur enfance ; que maintenant il les renvoie armés de pié en cap, pour vaquer sous d'heureux auspices à leurs affaires, & les convie de mériter chacun à l'envi les premieres places de la république ". On n'a point imité dans nos gouvernemens modernes de si nobles institutions politiques. (D.J.)


ORPHEOTÉLISTES. m. (Antiq. grecq.) les Grecs nommoient orphéotelistes, , ceux qui étoient initiés aux mysteres d'Orphée. On leur promettoit le bonheur après la mort, & cependant on ne requéroit d'eux presqu'autre chose que le serment du secret. Potter, Archaeol. graec. tome I. page 497. (D.J.)


ORPHIESterme de Pêche, espece de poisson ; voici la maniere d'en faire la pêche à la ligne & à pié.

On plante deux ou trois hautes perches de 15 à 18 piés, le plus à la basse eau qu'il est possible, éloignées les unes des autres à volonté, selon la longueur de la tissure qu'on veut former. Il faut que ces perches soient unies & sans aucun noeud.

On prend une ligne un peu forte, de la nature des appelets, que l'on nomme petites cordes. On y met de distance en distance des piles ou empiles éloignées les unes des autres environ de demi-brasse, avec un ain à orphies, semblable à ceux dont se servent les pêcheurs bas Normands, qui font la pêche des mêmes poissons passagers, à la ligne flottante avec appât de vers marins. On peut aussi employer des piles roulantes ; on les frappe sur un petit morceau de bois, tel qu'on le voit ici percé par le milieu, large d'un pouce au plus, arrondi par un bout, & de l'autre venant en pointe émoussée où la pile est amarrée. La grosse ligne passe au-travers du trou, ce qui rend les piles volages, libres & plus à la portée des orphies qui sont toujours à fleur d'eau ; d'espace en espace on frappe sur la grosse ligne, quelques fortes flottes de liege pour la soutenir élevée : à chaque bout de cette ligne, il y a un organeau fait de bois tors, bien uni, ou à sa place un morceau de bois troué, & pareillement bien uni & beaucoup plus ouvert que de la grosseur de la perche sur laquelle cet organeau sera passé, de maniere qu'elle y soit libre. Quand la marée commence à monter, on frappera les deux bouts de la ligne sur les organeaux des perches ; la ligne se levera avec le flot, & les piles qui seront garnies chacune d'un petit corseron de liege, flotteront à fleur d'eau, comme les lignes flottantes. Les orphies qui n'approchent de la côte que de pleine mer, se prendront de même que celles qui se pêchent avec bateau. Les pêcheurs viennent à la basse eau relever leurs lignes, & détacher le poisson qui a mordu aux hameçons.

Les orphilieres de pié peuvent se tendre de la même maniere, avec cet avantage qu'elles ne se déchireront pas. La manoeuvre de cette pêche est représentée dans nos Planches de Pêche.


ORPHILIEREou HARANGUIERES, terme de Pêche, filets ainsi nommés, parce qu'ils servent également à la pêche des orphies & des harengs.

La maille de l'orphiliere est composée d'un fil très-fin & non retors. Elle n'a que douze lignes au plus en quarré. Le rêt est flotté, plombe & pêche à la dérive, comme les manets à maquereaux, dont on prend aussi quelques-uns à l'orphiliere, mais petits, & de ceux que les Normands appellent sansonnets, & les Picards roblots.

On pêche encore les orphies, que les Bretons nomment éguillettes, au feu & pendant la nuit, avec le dard ou la fouanne.

Pour cette pêche, qui dure depuis le mois de Mars jusqu'au mois de Juin, plus ou moins, suivant l'établissement & l'exposition des côtes que le poisson vient ranger, les pêcheurs se mettent la nuit quatre dans un bateau ; il y en a un placé à l'avant, avec un brandon de paille, dont l'éclat attire les orphies ; les trois autres avec leurs dards ou fouannes faites en rateaux, avec une douille de fer & un manche ; les frappent. La fouanne qui sert à cette pêche, a au-moins 20 tiges ou branches corbelées de 6 pouces de haut & fort pressées. La tête du rateau n'a au plus que 13 à 14 pouces de long, & le manche est de la longueur de 8 à 12 piés. Quand les pêcheurs voient les orphies ou éguillettes attroupées, ils lancent leurs dards, & en prennent quelquefois plusieurs d'un seul coup ; comme le bateau devire doucement, la manoeuvre de la pêche n'effarouche point les poissons. Dans les pêches heureuses, on en prend de 12 à 1500 dans une nuit. Pour cet effet, il faut que l'obscurité soit grande & le tems très-calme, deux conditions requises pour toutes les pêches au feu. Cette manoeuvre est la même que la pêche au farillon, expliquée à ce mot, & représentée dans nos Planches.


ORPHIQUEVIE (Littér.) , sorte de vie pure, religieuse, & dont une des pratiques consistoit à ne point manger la chair des animaux.

Orphée, dit Eschyle dans Aristophane, nous a montré les cérémonies, & nous a enseigné à nous abstenir de tout meurtre. Horace exprime la même idée encore plus élégamment :

Sylvestres homines sacer interpresque deorum

Coedibus & victu faedo deterruit Orpheus.

" Le divin Orphée, l'interprete des dieux, détourna les hommes du meurtre, & leur fit quitter le genre de vie brutal qu'ils menoient ". Il composa des hymnes en l'honneur des dieux, & apprit aux mortels les cérémonies de la religion. Les poëtes furent les premiers prêtres, les premiers philosophes, & les premiers législateurs.

Platon, après avoir raisonné dans le VI. livre de ses lois, de la brutalité de plusieurs peuples, & de l'usage que quelques-uns avoient encore d'immoler des hommes, ajoute que les anciens Grecs tout au contraire n'auroient pas osé tuer un boeuf ; & qu'alors on ne sacrifioit point d'animaux aux dieux. Les gâteaux, dit-il, les fruits trempés dans le miel, & telles autres offrandes pures étoient ce qu'on leur présentoit. On s'abstenoit de la chair, & c'eût été un acte impie que d'en manger, ou de souiller de sang les autels. Alors se forma parmi-nous, continue-t-il, une sorte de vie, nommée vie orphique, où l'usage des choses inanimées étoit libre & permis, au lieu que l'usage de celles qui avoient eu vie, étoit défendu.

Cette pratique d'austérité mérite le nom d'orphique, & parce qu'Orphée en étoit l'instituteur, & parce que le même Orphée, le plus ancien des sages, pouvoit avoir donné son nom à tous ceux qui faisoient profession de vertu & de lettres. C'est ce que l'on voit clairement dans un passage d'Euripide ; car Thésée, à-peu-près contemporain d'Orphée, reprochant à son fils Hippolite le peu de rapport qu'il y a entre l'action infâme dont il le croit coupable, & l'austere sagesse dont ce jeune homme faisoit profession : " Voilà donc cet homme, lui dit-il, qui est en commerce avec les dieux, comme un personnage d'éminente vertu : voilà cet exemple de tempérance, & d'une conduite irreprochable. N'espere pas m'imposer plus long-tems par ce vain éclat, ni que j'attribue aux dieux un commerce qui seroit une preuve de leur folie. Trompe-nous, si tu peux, maintenant par ton affectation de ne rien manger qui ait eu vie ; & soumis à ton Orphée, joue l'inspiré, & te remplis de la fumée du vain savoir, puisque te voilà pris dans le crime ".

On trouve dans ce passage les trois points qui constituoient la vie orphique, savoir la religion, l'abstinence de ce qui avoit eu vie, & la science.

Les Livres d'Orphée, qui justifioient sa science, sont cités par tous les anciens auteurs. Euripide, dans un choeur de son Alceste, après avoir dit que la nécessité est insurmontable, ajoute que les livres d'Orphée n'indiquent aucun remede contre ce mal. C'est de l'étude de ces livres & de leur intelligence, autant que de l'attachement pour la chasse & pour la déesse qui y préside, dont Thésée veut parler lorsqu'il reproche à Hippolite son prétendu commerce avec les dieux.

En un mot, Orphée fut une espece de réformateur, qui, à l'aide de la poësie & de la musique, ayant adouci des hommes féroces, donna naissance à une secte distinguée par son attachement à l'étude de la religion, & par une austérité de vie, dont la pratique éloignant les hommes des plaisirs sensuels, si funestes à la vertu, les portoit à une haute perfection. Témoin l'Hippolite d'Euripide, qui, libre de toute passion, aima mieux perdre la vie, que de manquer au secret qu'il avoit promis.

Il fait lui-même au commencement de la piece une peinture charmante de la vie orphique sous l'allégorie d'une prairie, conservée contre tout ce qui peut en altérer la fraîcheur, dans laquelle il vient de cueillir la couronne qu'il offre à Diane. " Recevez, lui dit-il, de ma main, déesse respectable, la couronne de fleurs que j'ai cueillie dans une prairie, où la fraîcheur de l'herbe n'a jamais été livrée à l'avidité des troupeaux, ni au tranchant d'une faux sacrilege ; la seule abeille en suce les fleurs, que la Pudeur elle-même prend soin d'arroser d'une eau toujours pure. Ceux en qui la tempérance est un don du ciel, ont seuls le droit d'en cueillir : l'accès en est défendu aux méchans. Ornez-en vos beaux cheveux, & soyez propice à la main pleine d'innocence qui vous l'offre. Seul entre les mortels, j'ai l'avantage de vivre avec vous, de vous entendre & de vous répondre. Quoique privé de votre vûe, accordez-moi, grande déesse, de terminer ma carriere comme je l'ai commencée " !

Il la termina en effet par une action de vertu, & fit voir en sa personne ce que la justice peut sur une ame, qui ayant reçu de la naissance de grandes dispositions au bien, les a nourries par la pratique d'une vie pure, qu'on appelloit alors & qu'on a appellé depuis la vie orphique. (D.J.)

ORPHIQUES, adject. (Littérat.) surnom des orgies de Bacchus ; il leur fut donné, les uns disent en mémoire de ce qu'Orphée avoit perdu la vie dans la célébration des orgies, d'autres parce qu'il avoit introduit dans la Grece la pratique de ces fêtes singulieres dont l'Egypte étoit le berceau. (D.J.)


ORPHITIENsenatus consulte, (Jurisprud.) voy. au mot SENATUS CONSULTE.


ORPIMENou ORPIN, (Hist. nat. Minéralog.) en latin auripigmentum, sandaracha, risigallum, realgar, arsenicum flavum, arsenicum rubrum, &c. substance minérale d'un jaune plus ou moins vif, en feuillets luisans comme ceux du talc, composé d'arsenic, & d'une quantité tantôt plus tantôt moins grande de soufre, qui lui donne la couleur, soit d'un jaune de citron, soit d'un jaune orangé, soit d'un rouge vif comme le cinnabre que l'on y remarque. L'orpiment naturel est un minéral très-rare, cependant on le trouve soit en masses, soit en petites venules, soit attaché à la surface des fentes des mines en Hongrie, en Turquie, à Kremnitz, à Neusol & Coronsay.

Quelques auteurs ont confondu l'orpiment, dont on vient de donner la description avec l'arsenic jaune, ou l'orpiment factice, qui est un produit de l'art, comme nous le ferons voir dans cet article, mais il differe de ce dernier par la beauté de sa couleur & même par son tissu ; celui de l'orpiment naturel est communément par lames ou feuillets, tandis que l'orpiment factice n'a jamais ce tissu. Aussi les Peintres donnent-ils la préférence à l'orpiment naturel, ils s'en servent pour peindre ; en le mêlant avec de l'indigo, ils en font du verd.

L'orpiment étoit le seul arsenic que connussent les anciens, il ne paroît point qu'ils eussent connoissance de l'arsenic que nous connoissons dans différens états. Comme à l'article ARSENIC dans le premier volume de cet ouvrage on n'a donné qu'une description très-incomplete de cette substance, nous allons tâcher d'y suppléer & d'entrer dans quelques détails sur une des substances les plus importantes du regne minéral.

L'arsenic est un demi-métal d'un gris luisant, à-peu-près comme le fer, mais composé d'un amas de lames ou de feuillets. Il perd son éclat & se noircit à l'air, il se dissout dans tous les dissolvans & les liqueurs, il entre en fusion dans le feu, & il s'y dissipe sous la forme d'une fumée blanche, épaisse, accompagnée d'une odeur d'ail très-forte, c'est surtout à cette odeur que l'on peut reconnoître sa présence : c'est un poison très-violent.

On voit par ces propriétés de l'arsenic qu'il est un vrai prothée, qui à de certains égards, approche de la nature des sels, tandis que par d'autres il a des caracteres qui conviennent aux métaux & aux demi-métaux, c'est ce qu'on verra encore plus clairement par les détails que nous donnerons de ses effets. M. Brandt, savant chimiste suédois, est le premier qui a fait voir que l'arsenic étoit un demi-métal ; avant lui on ne savoit point dans quel rang on devoit le placer. Voyez Acta litteraria Upsaliensia anni 1733.

L'arsenic se trouve sous différentes formes dans le sein de la terre. 1°. Il se trouve tout pur, c'est ce qu'on nomme arsenic natif ; alors il n'est combiné avec aucune autre substance du genre minéral ; on le reconnoît à sa couleur grise, à la fumée blanche qu'il répand dans le feu, & à son odeur d'ail : cet arsenic exposé au feu se sublime entierement sans laisser aucun résidu. On le trouve aussi tout pur sous la forme d'un crystal blanc & transparent, semblable à du verre blanc ; enfin on le trouve encore tout pur sous la forme d'une poudre blanche ou d'une farine.

2°. L'arsenic se trouve combiné avec du soufre, & alors il est ou jaune citron, ou d'un jaune orangé, ou d'un rouge quelquefois aussi vif que celui d'un rubis ; alors on le nomme arsenic jaune, orpiment, risigallum ; sa couleur plus ou moins rouge vient du plus ou du moins de soufre avec lequel il est combiné. On a trouvé que l'arsenic d'un jaune de citron pouvoit contenir un dixieme de soufre, & que l'arsenic rouge en contenoit un cinquieme. Wallerius donne le nom d'orpiment à de l'arsenic jaune, renfermé dans une pierre talqueuse ou par feuillets comme le mica ; il paroît que cela ne change point la nature de cette mine.

3°. L'arsenic se trouve dans une pierre noire, mêlée de bitume, que l'on nomme pierre arsenicale, il paroît qu'il y est tout pur, puisque cette pierre cassée est luisante comme du plomb fraîchement coupé. Les Allemands l'appellent fliegen stein, pierre aux mouches, parce qu'on la pulvérise, on la mêle avec de l'eau & du sucre, & on la met sur une assiette, & ces insectes vont en manger, ce qui les fait périr. C'est à cette mine d'arsenic que l'on donne quelquefois le nom de cobalt écailleux ou cobalt testacé, parce qu'elle a la forme d'écailles. En général il faut observer que les mineurs d'Allemagne, peu exacts dans leurs dénominations, donnent le nom de cobalt à presque toutes les mines d'arsenic.

4°. L'arsenic se trouve dans la pyrite blanche, que les Saxons nomment mispikkel ou pyrite arsenicale. Cette mine est composée d'un assemblage de lames ou de feuillets blancs comme de l'étain ou de l'argent. L'arsenic y est combiné avec le fer & le soufre.

5°. L'arsenic se trouve dans une mine que les Allemands appellent kupfernikkel, qui est d'un rouge semblable à celui du cuivre, & que l'on doit nommer mine d'arsenic d'un rouge cuivreux.

6°. Il se trouve mêlé ou combiné avec de la terre que l'on nomme terre arsenicale ; on peut la reconnoître à la fumée qu'elle répand dans le feu & à son odeur d'ail.

Voilà les principales mines de l'arsenic ; mais outre cela, il se trouve dans un nombre infini de mines des autres métaux, & sur-tout dans les mines d'argent, dans les mines de cuivre, dans les mines de plomb, de fer & d'étain ; il joue aussi-bien que le soufre le principal rôle dans la minéralisation des métaux, c'est-à-dire qu'il leur fait prendre des formes tout-à-fait étrangeres. C'est ainsi que l'arsenic combiné avec de l'argent le change en crystaux rouges & transparens, que l'on nomme mine d'argent rouge. Il fait prendre à l'étain une forme crystallisée, voyez ETAIN ; il change le plomb en crystaux blancs & verds, voyez PLOMB, d'où l'on voit que l'arsenic a la propriété de s'unir très-intimement avec les substances métalliques, desquelles on a beaucoup de peine de le dégager par le grillage & par les travaux de la Métallurgie. Voyez MINE, MINERALISATION, METALLURGIE.

L'arsenic est très-volatil, & il s'éleve très-facilement sous la forme de vapeurs dans les souterreins des mines ; c'est à lui que sont dûes en partie les effets funestes des exhalaisons minérales. Voyez cet article. Toutes ces propriétés de l'arsenic l'ont fait regarder comme un générateur des métaux & comme un mercure coagulé. Le célebre Henckel dit avoir obtenu de l'argent en traitant un mêlange de craie & d'arsenic. Les Alchimistes ont cherché la pierre philosophale dans cette substance, & lui ont attribué des vertus tout-à-fait extraordinaires.

Pour séparer l'arsenic des substances auxquelles il est joint dans le sein de la terre, on calcine ces substances dans un fourneau de réverbere, que Kunckel a décrit le premier, & la fumée qui s'en éleve est reçue dans une cheminée horisontale, qui est faite de planches & soutenue par des piliers : cette cheminée a quelquefois plusieurs centaines de piés de longueur, on en peut voir la représentation dans celle des Planches de Minéralogie & de Métallurgie, qui représente le grillage du cobalt ; A B représente la perspective du fourneau, G montre sa coupe. Par la calcination, l'arsenic se dégage sous la forme d'une fumée blanche épaisse ; cette fumée est reçue dans la cheminée C D, ou dans le boyau horisontal, aux parois duquel elle s'attache & se condense sous la forme d'une farine légere, que des ouvriers vont balayer & ramasser lorsqu'il s'y en est accumulé une certaine quantité. Ces ouvriers entrent dans la cheminée par des portes marquées E E E, que l'on tient fermées dans le tems que la fumée arsenicale est reçue : H montre la coupe de cette cheminée ; les ouvriers ont la précaution de se mettre un linge devant le nez & la bouche lorsqu'ils vont balayer cette poudre arsenicale, qui est un poison très-subtil.

Quand on a recueilli l'arsenic qui s'étoit amassé dans la cheminée qui vient d'être décrite, on porte cette poudre dans un autre attelier représenté au bas de la même Planche. Là on a un fourneau, que l'on verra dans cette Planche aux lettres A & B ; C C C sont des capsules de tôle ou de fer, dans lesquelles on met l'arsenic en poudre, on place audessus de ces capsules ou écuelles des tuyaux de tôle ou de fer mince battu, marqués D D D ; on couvre ces tuyaux avec des calottes de fer E, qui les ferment bien exactement, alors on fait aller le feu, & l'arsenic se sublime & s'attache dans l'intérieur de la calotte sous la forme d'une masse de verre blanc & transparent, c'est-là ce qu'on appelle arsenic crystallin.

Quand on veut faire de l'arsenic jaune ou de l'orpiment factice, on joint à l'arsenic en poudre environ un dixieme de soufre, que l'on mêle bien exactement avec lui, & l'on sublime ce mêlange qui forme une masse opaque & jaune, qui n'est jamais d'une combinaison aussi parfaite que celle de l'orpiment naturel. Si on veut avoir de l'arsenic rouge, on augmente la dose de soufre, & l'on en mêle un cinquieme avec l'arsenic en poudre pour le faire sublimer. Mais pour que la combinaison du soufre & de l'arsenic se fasse plus intimement, il sera bon de faire fondre de nouveau ce qui se sera sublimé, alors l'arsenic rouge deviendra transparent comme un rubis.

On voit par-là que l'arsenic a la propriété de se combiner avec le soufre ; il a aussi celle de se combiner avec les métaux. Si on le joint avec du cuivre, il formera un alliage blanc comme de l'argent, mais il rend le cuivre aigre & cassant, & cet alliage noircit à l'air ; l'arsenic rend l'or & l'argent très-cassant, mais il a sur-tout beaucoup de disposition à s'unir avec le fer ; il s'unit aussi avec le plomb, mais il ne s'unit point avec le mercure. L'arsenic fondu avec le soufre & le régule d'antimoine fait une masse vitrifiée, que l'on nomme aimant d'arsenic ou magnes arsenicalis, on lui donne aussi le nom de lapis pyrmieson ou lapis de tribus. Pour le faire, on fond ensemble parties égales d'arsenic jaune ou d'orpiment, & d'antimoine crud qui contiennent l'un & l'autre du soufre. On prétend que la masse vitreuse qui résulte de cette opération, est propre à décomposer ou à détruire les métaux. Cet aimant d'arsenic est un puissant escarotique, il fait entrer en suppuration les bubons pestilentiels & empêche leur propagation, il entre dans l'emplâtre magnétique.

M. Meuder, médecin de Dresde, a fait un pyrophore en sublimant ensemble parties égales d'arsenic & de limaille de fer, & en mêlant dix parties de ce sublimé avec douze parties de vitriol de lune, c'est-à-dire avec le sel qui résulte de la combinaison de l'argent avec l'acide nitreux ; on triture ce mêlange sur un porphyre, & on l'échauffe sur un poële ou de quelqu'autre maniere, & il s'enflamme sur le champ. Voyez la Pyritologie de Henckel, chapitre x.

Pour essayer si une substance contient de l'arsenic, il n'y aura qu'à la mettre dans une cornue de terre au fourneau de réverbere ; on donnera le feu par degrés, & il passera dans le récipient des fleurs ou une poudre blanche qui n'est autre chose qu'une chaux d'arsenic ; on trouvera dans le cul de la cornue une poudre grise, qui est une chaux d'arsenic qui n'est point encore entierement privée de son phlogistique ; enfin on y trouve aussi du régule d'arsenic en forme de crystaux prismatiques, dont les angles sont arrondis.

La chaux d'arsenic est extrêmement volatile, elle se sublime à une chaleur médiocre, & forme des crystaux qui sont solubles dans l'eau. Pour réduire la chaux d'arsenic & lui rendre l'état de régule, on n'aura qu'à mêler ensemble parties égales de chaux d'arsenic & de savon noir, & là moitié d'alkali fixe, on mettra le tout dans un creuset fermé d'un couvercle, au milieu duquel il y aura un petit trou, on lutera bien ce couvercle avec de la terre glaise, le régule d'arsenic se sublimera sur le couvercle du creuset.

Quand on veut essayer une mine d'arsenic dans un vaisseau ouvert, on lui joint de la limaille de fer pour servir d'intermede ; alors l'arsenic s'unit au fer, & il résiste au feu le plus violent sans se volatiliser.

Pour séparer le soufre de l'arsenic dans l'orpiment, on n'a qu'à le triturer avec du mercure, & ensuite on met ce mêlange en sublimation, l'arsenic se leve tout seul, & le soufre uni avec le mercure se sublime ensuite, & forme du cinnabre au-dessous de l'arsenic qui s'étoit sublimé.

Le régule d'arsenic détone avec le nitre, il s'unit avec la base de ce sel, & forme ce qu'on appelle l'arsenic fixé. Dans cette détonation, le nitre se gonfle, & il en part une flamme claire & très-blanche, mais la chaux d'arsenic ne détone & ne s'embrase point avec le nitre. Si l'on broie ensemble deux parties de chaux d'arsenic & une partie de nitre dans un mortier de verre ou de marbre, & qu'on mette ce mêlange en distillation dans une cornue de terre ou de grais, à laquelle on adaptera un ballon, on aura un acide nitreux de couleur bleue, dont les vapeurs briseroient les vaisseaux avec explosion, si les jointures étoient bien bouchées. Cette couleur bleue disparoît très-promptement à l'air. Le célebre Stahl croit qu'elle est dûe à une portion de cobalt, qui étoit uni à l'arsenic. Il s'agiroit d'observer si la même chose arriveroit avec de l'arsenic qui n'auroit été uni avec aucune portion de cobalt, comme il y en a beaucoup ; & M. Rouelle, à qui ces observations sont dûes, remarque avec raison que la couleur bleue peut aussi venir du fer & du cuivre.

L'arsenic combiné avec l'acide du sel marin forme ce qu'on appelle le beurre d'arsenic ; c'est une liqueur extrêmement volatile, & qui se dissipe à l'air sous la forme d'une fumée : il faut pour cela que l'acide du sel marin soit très-concentré.

En mêlant ensemble deux parties de chaux vive, & une partie d'orpiment, & en versant par-dessus cinq ou six parties d'eau bouillante, il se fait une effervescence ; lorsqu'elle sera finie, on remuera le mêlange, on le laissera reposer, on décantera ensuite la liqueur claire qui surnagera, & l'on aura ce qu'on appelle le foie de soufre arsénical, ou l'encre de sympathie. La vapeur seule de cette liqueur fait paroître en noir les caracteres qui ont été tracés avec une dissolution de sel de Saturne. Cette liqueur s'appelle aussi liquor vini probatorius, parce qu'elle peut servir à découvrir si du vin a été frelaté ou adouci avec de la litharge ou avec du plomb ; car en y versant de cette encre de sympathie, le vin noircira sur le champ pour peu qu'il contienne de plomb.

L'orpiment mêlé avec de la chaux vive est un dépilatoire, c'est-à-dire, que ce mêlange fait tomber les poils du corps ; mais il faut avoir soin de ne pas le laisser séjourner trop long-tems, de peur qu'il n'endommage la peau.

Nous avons déja suffisamment averti que l'arsenic, sous quelque forme qu'il se trouve, est un poison très-vif ; sa grande volatilité fait que l'on ne doit jamais le traiter qu'avec la plus grande précaution ; & l'on doit toujours se défier même de son usage extérieur. Les Peintres qui employent l'orpiment en sont souvent très-incommodés. Quelques gens avoient proposé une préparation d'arsenic comme un remede extérieur pour la guérison du cancer ; mais M. Rouelle rejette cet usage comme dangereux. Rien n'est donc plus téméraire que de donner sous quelque prétexte que ce soit, l'arsenic intérieurement ; la moindre quantité est infiniment dangereuse. En effet, c'est un violent corrosif d'un goût acerbe & austere ; ceux qui ont été empoisonnés par de l'arsenic, éprouvent d'abord de grandes envies de vomir, & sentent une espece d'étranglement à la gorge ; ensuite le malade est agité ; il vomit avec effort ; puis il tombe dans un sommeil, qui est suivi de violentes convulsions, & qui terminent enfin sa vie. En ouvrant les cadavres de ceux qui sont morts empoisonnés par l'arsenic, on leur trouve l'estomac sphacélé & cautérisé.

Il faudra faire avaler du lait chaud au malade, l'arsenic le caille, & on le rend en caillots ; à ce signe on reconnoîtra que le malade a été empoisonné par de l'arsenic. Pour y remédier, s'il en est encore tems, il faudra faire vomir le malade en lui donnant un peu de tartre émétique avec de l'huile, du beurre fondu, ou telle matiere grasse que l'on aura sous sa main, ou même du suif, pour ne point perdre de tems ; ensuite on lui donnera des émulsions pour varier & pour prévenir le dégoût que causent les matieres grasses : il est très-important de ne pas laisser dormir le malade qui y est fort enclin. Lorsqu'on a employé le lait, il faut sur la fin de l'action du poison faire donner des lavemens pour faire sortir des intestins le lait qui s'y sera caillé. Lorsque tous les accidens auront disparu, on donnera au malade des calmans & des infusions legeres de plantes cordiales. Telle est, suivant M. Rouelle, la maniere de traiter ceux qui ont pris de l'arsenic.

C'est à cette substance dangereuse qu'est dûe la phthisie, & ces exulcérations des poumons qui font périr à la fleur de l'âge les ouvriers qui travaillent aux mines, sur-tout en Saxe où elles sont très-arsénicales. Parmi eux un homme de trente cinq ou quarante ans est déja dans la décrépitude ; ce qui doit être sur-tout attribué aux mines qu'ils détachent avec le ciseau & le maillet, & qu'ils respirent perpétuellement par le nez & par la bouche ; il paroît que si dans ces mines on faisoit plus d'usage de la poudre à canon pour détacher le minerai, les jours de ces malheureux ouvriers ne seroient point si indignement prodigués. (-)


ORPINS. m. anacampseros, (Hist. nat. Bot.) genre de plante qui ressemble à la joubarbe par la fleur & par le fruit ; mais l'orpin pousse des tiges dès qu'il est germé, au lieu que les feuilles de la joubarbe sont rassemblées en globules qui ressemblent à des yeux de boeuf. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Il y a treize especes de ce genre de plante, dont la plus commune est nommée par les Botanistes anacampseros, I. R. H. 264. Cette plante a la racine formée de tubercules charnus & blancs ; ses tiges sont droites, cylindriques, solides, partagées en rameaux, hautes d'une ou de deux palmes, revêtues de beaucoup de feuilles droites, charnues, épaisses, succulentes, plus longues que celles du pourpier, de couleur d'un verd-pâle, souvent mêlées d'un peu de rouge, le plus souvent crenelées à leur bord, quoiqu'elles soient quelquefois entieres.

Ses fleurs naissent aux sommets des tiges en gros bouquets, disposées en maniere de parasol ; elles sont en rose à cinq pétales, de couleur rougeâtre, & assez souvent blanchâtre, garnies de plusieurs étamines. Du calice de la fleur il s'éleve un pistil qui se change en un fruit composé comme de cinq capsules, en maniere de gaines, ramassées en une tête remplie de graines très-menues.

L'orpin ressemble à la joubarbe par sa fleur, son fruit, & ses feuilles, qui sont épaisses & succulentes. On l'en distingue cependant, parce qu'aussi-tôt qu'elle pousse, elle monte en tige, au lieu que les feuilles de la joubarbe se ramassent en des globules qui ressemblent à des yeux de boeuf.

L'orpin croît dans les lieux ombrageux & humides, sur-tout le long des haies. On fait usage de ses racines & de ses feuilles. (I)

ORPIN, (Mat. Méd.) reprise, grassette, joubarbe des vignes, cette plante n'est employée qu'extérieurement ; elle est comptée parmi les vulnéraires calmans & rafraîchissans. Etant pilée, réduite en cataplasme, & appliquée sur les tumeurs & sur les hémorrhoïdes très-douloureuses, elle passe pour calmer efficacement les douleurs. On recommande aussi dans le même cas les racines cuites & réduites avec du beurre frais à la consistance d'onguent.

On garde dans quelques boutiques une eau distillée de cette plante ; cette eau est de la classe des parfaitement inutiles. Voyez EAU DISTILLEE.

L'orpin entre dans l'eau vulnéraire, & en est un ingrédient fort inutile. (b)

ORPIN-ROSE, (Mat. Méd.) on n'emploie que la racine de cette plante qui a l'odeur & le goût de rose, & qui est céphalique & astringente. On l'emploie quelquefois dans les décoctions astringentes ; on la pile & on la fait bouillir avec l'eau rose ou de verveine, & on l'applique sur le front pour guérir les maux de tête qui viennent de coups de soleil. Geoffroi, Mat. Méd.

Supposé que ce dernier remede possede véritablement quelque vertu, il seroit beaucoup meilleur sans doute, si au lieu de la décoction dont on parle, on n'employoit que la macération ou l'infusion ; car il n'est pas bien de soumettre à l'ébullition une racine aromatique & une eau aromatique. Voyez DECOCTION, INFUSION, ORANTRANT, principe. (b)


ORRUS(Botan.) nom donné par plusieurs anciens au pin cultivé, parce qu'il est rempli de séve. Le premier auteur qui a nommé cet arbre orrus, est Théophraste ; & en cela il n'a pas seulement été imité par les autres grecs, mais aussi par les Latins. (D.J.)


ORSE(Marine) c'est un terme du levant, pour dire bas bord, ou la gauche.

Orse, terme de commandement parmi les Levantins, pour dire au laf, quand on a besoin de serrer & de tenir le vent.

Orser, c'est aller contre le vent, aller à vent contraire par le moyen des rames. Ces termes ne sont en usage que parmi les navigateurs provençaux. (Q)


ORSEILLES. f. (Teint.) l'orseille est une pâte molle, d'un rouge foncé, qui étant simplement délayée dans l'eau chaude, fournit un grand nombre de nuances : il y en a de deux sortes ; l'une se fabrique en Auvergne ; elle est la moins belle, & se nomme orseille de terre ou d'Auvergne ; l'autre qui est la plus belle, se tire des îles Canaries, ou de celles du cap Verd ; on la nomme orseille d'herbe. Elle est préférable à celle d'Auvergne en ce qu'elle donne tant sur la laine que sur la soie, une couleur beaucoup plus belle & plus vive, résiste mieux aux épreuves du débouilli, contient plus de matiere colorante, & foisonne davantage.

L'orseille d'Auvergne, qu'on nomme aussi perelle, se fait avec une espece de lichen ou mousse très-commune sur les rochers de cette province ; celle des Canaries est le lichen graecus polypoïdes, tinctorius, saxatilis, ou le fucus verrucosus tinctorius de J. Bauhin. L'une & l'autre de ces plantes se préparent avec la chaux & l'urine fermentée, avec lesquelles on les mêle après les avoir pulvérisées : ce mêlange prend au bout de quelque tems, par la fermentation, une couleur rouge foncée, & pour lors elle est en état de servir à la teinture. D'autres lichens ou mousses, peuvent être employés aussi avec succès à faire de l'orseille, & M. Hellot enseigne les moyens de reconnoître facilement ceux qui sont propres à cet usage.

L'une & l'autre orseille s'employent en les délayant dans de l'eau tiede ; on augmente ensuite la chaleur jusqu'à ce que le bain soit prêt à bouillir, & on y plonge l'étoffe, sans autre préparation que d'y tenir plus long-tems celle à laquelle on veut donner une nuance plus foncée. La couleur naturelle de l'orseille est un beau gris-de-lin tirant sur le violet ; mais en donnant précédemment à l'étoffe une couleur bleue plus ou moins foncée, on en tire la couleur de pensée, d'amaranthe, de violet, & de quelques autres semblables. Ces couleurs sont belles, mais elles n'ont aucune solidité ; on tenteroit même inutilement de les assurer, en préparant l'étoffe dans le bouillon de tartre & d'alun. Il est vrai qu'on peut tirer de l'orseille une couleur presqu'aussi solide que celles du bon teint, en l'employant comme on fait la cochenille, avec la dissolution d'étain par l'esprit de nitre régalisé ; mais cette couleur ne sera plus celle de l'orseille ; au lieu du gris-de-lin, on aura une couleur semblable à la demi-écarlate ; la chaux d'étain, blanche par elle-même, s'est mêlée avec la matiere colorante, & en a éclairci la nuance.

L'orseille des Canaries simplement délayée dans l'eau, & appliquée à froid sur le marbre blanc, lui communique une belle couleur bleue plus ou moins foncée, en la laissant plus ou moins de tems sur le marbre, & en y en remettant à mesure qu'elle se séche ; la couleur devient très-belle en moins de 24 heures, & pénetre très-avant.

Si l'on se sert de l'orseille d'herbe ou des Canaries préparée à l'ordinaire, c'est-à-dire avec la chaux & l'urine, ou quelques autres ingrédiens semblables, la couleur sera plutôt violette que bleue ; mais pour avoir un vrai bleu, il faut qu'elle soit préparée avec du jus de citron, & il n'y a point à craindre que cet acide endommage le marbre, parce qu'il est entierement émoussé & absorbé, lorsqu'il a été travaillé avec l'orseille assez long-tems pour la faire venir en couleur.

Pour employer cette couleur, il faut que le marbre soit entierement froid ; on la met avec le pinceau ; mais comme elle s'étend beaucoup, on ne la peut employer qu'à faire de grandes veines qui ne sont pas bien exactement terminées, à-moins qu'elles ne touchent immédiatement des parties colorées avec le sang de dragon ou la gomme gutte ; auquel cas elle s'arrête. On la contient aussi avec la cire, soit colorée, si l'on veut les veines colorées, soit blanche, si l'on veut que les veines demeurent blanches ; ce qui se peut exécuter avec assez de précision.

Si cette couleur a l'inconvénient de s'étendre plus qu'on ne veut, elle a deux avantages très-considérables ; le premier est qu'elle est d'une grande beauté, & même au-dessus de tout ce qui se peut rencontrer naturellement dans le marbre ; l'autre est qu'on peut la passer sur les veines de rouge, de brun, & de jaune, sans qu'elle les endommage, & qu'ainsi elle est extrêmement facile à employer. Il semble qu'on pourroit soupçonner cette couleur de n'être pas des plus solides, parce que le tournesol & l'orseille changent fort vîte, & pâlissent à l'air ; cependant M. du Fay a vu des morceaux de marbre teints de la sorte depuis plus de deux ans, sans qu'ils ayent souffert aucune altération sensible ; au lieu que le safran, le rocou, & quelques autres matieres, perdoient en peu de jours une grande partie de leur couleur ; d'où l'on peut conclure, que si cette teinture n'est pas aussi solide que le rouge & le jaune ; elle ne laissera pas de conserver fort longtems sa beauté & son éclat.

M. du Fay fait encore une observation, c'est que cette couleur qui pénetre extraordinairement le marbre, & quelquefois de plus d'un pouce, le rend un peu plus tendre & plus friable qu'il n'étoit auparavant, lorsqu'on se sert de la lessive de chaux & d'urine. Cet inconvénient ne mérite aucune attention, lorsqu'on ne veut faire que des taches ou quelques veines bleues ; mais si l'on vouloit teindre toute une table de cette couleur, & la rendre extrêmement foncée, en y remettant plusieurs couches, il seroit à craindre qu'on ne la rendît par-là plus facile à rompre en la chargeant ; car il semble à l'expérience que le marbre extrêmement pénétré de cette teinture, se casse plus facilement qu'auparavant : mais cela ne peut arriver dans des pieces solides, comme des cheminées, ou lorsqu'on ne voudra pas les teindre entierement de cette couleur, ou lorsqu'on n'employera que l'orseille simplement dissoute avec l'eau commune. (D.J.)


ORSOY(Géog.) petite ville d'Allemagne au pays de Cleves, sur le Rhin, au-dessus de Rhinberg, à distance presque égale de Wesel & de Duisbourg, & au nord du comté de Meurs. Le prince d'Orange la prit en 1634 ; Philippe de France la reprit en 1672, & enfin démolit les fortifications. Elle appartient au roi de Prusse. Long. 24. 18. lat. 51. 28.


ORSSA(Géog.) ville de Pologne, dans le grand duché de Lithuanie, au palatinat de Witespk, sur un ruisseau, proche le Niéper. Long. 49. 8. lat. 54. 38. (D.J.)


ORTterme de Douanne ; peser ort, signifie peser les marchandises avec les emballages. Le tarif de 1664, & l'ordonnance des cinq grosses fermes de 1684, portent que toutes marchandises qui payent les droits au poids, à la reserve de celles d'or & d'argent, & des épiceries, seront pesées avec leur emballage.


ORTA-JAMI(Hist. mod.) c'est une mosquée ou un oratoire dans le quartier des janissaires à Constantinople, où ils vont faire leurs prieres ; c'est aussi dans cet endroit qu'ils complotent pour se révolter, & faire de ces séditions souvent si funestes aux sultans. Voyez Cantemir, Hist. ottomane.


ORTEILSS. m. (Anat.) est le nom que l'on donne aux doigts du pié. Voyez PIE.

Les orteils de chaque pié sont composés de quatorze os ; le gros orteil en ayant deux, & les autres chacun trois. Ces os ressemblent à ceux des doigts de la main, sinon qu'ils sont plus courts. Voyez DOIGT.

Les orteils, de même que les doigts de la main, ont douze os sesamoïdes. Voyez SESAMOÏDES. La goutte attaque principalement le gros orteil. Voyez GOUTTE. (L)


ORTEZ(Géog.) petite ville de France en Béarn, sur le Gave de Pau, à 7 lieues au-dessous de Pau, au penchant d'une colline : l'illustre Jeanne d'Albret, reine de Navarre, fonda dans cette ville, en faveur des protestans, une université qui a subsisté jusqu'au regne de Louis XIV. Long. 16. 54. lat. 43. 30. (D.J.)


ORTHIENNou ORTHIA, (Mythol.) surnom de Diane, qui avoit un temple à Lacédémone. Il est vraisemblable qu'elle eut ce surnom, à cause de sa sévérité ; car les Grecs appelloient , tout ce qui est dur, fâcheux & difficile ; on sait que les enfans de Lacédémone se fouettoient quelquefois cruellement sans se plaindre, devant l'autel de cette déesse, mais on y faisoit aussi des danses ; car Plutarque rapporte que Thésée devint amoureux d'Helene en la voyant danser avec les autres filles de Sparte devant l'autel de Diane Orthia, & que ce fut après cette danse qu'elle fut enlevée pour la premiere fois. Cette belle créature l'emportoit encore sur toutes ses compagnes par ses graces supérieures, dans les exercices du corps. (D.J.)


ORTHOCERATITES. f. (Hist. nat.) nom donné par les naturalistes à une coquille, dont l'analogue vivant nous est inconnu, ou qui ne se trouve que fossile ou pétrifiée ; on la nomme aussi tubulus concameratus polythalamium, ou tuyau chambré ; elle est droite, d'une figure conique, sans spirales, & son intérieur est partagé en cellules ou chambres, comme celles de la corne d'Ammon ou du Nautile, au travers desquelles passe un syphon ou tuyau. Quelquefois, mais rarement sa pointe est recourbée. Cette coquille se trouve dans un marbre brun des environs de Berlin ; on en trouve aussi dans un marbre nouvellement découvert en Provence.

Wallerius compte trois especes d'orthoceratites : 1°. Celles qui sont toutes droites, recti ; 2°. celles qui sont recourbées à leur sommet qu'on nomme lituites, parce qu'ils ressemblent à une crosse ou bâton pastoral ; 3°. celles qui sont applaties ou comprimées, comme la queue d'une écrevisse, compressis. Voyez MINERALOGIE, tom. II. (-).


ORTHODORONS. m. (Mesur. anc.) , mesure grecque qui formoit la longueur de onze travers de doigt, suivant Arbuthnot. (D.J.)


ORTHODOXEadj. (Gram.) celui qui se conforme aux décisions de l'église. Voyez ORTHODOXE.

ORTHODOXE Botaniste, (Botan.) Linnaeus appelle Botanistes orthodoxes, les seuls écrivains systématiques, qui ont formé leurs méthodes en botanique sur les vrais fondemens de la nature, & qui en conséquence ont partagé les plantes en classes & en genres, conformément aux caracteres de leurs parties de fructification. (D.J.)


ORTHODOXIES. f. (Théol.) pureté de doctrine ou de croyance, par rapport aux points & articles de foi ; ce mot est formé du grec , droit, & , opinion ou jugement.

On se sert de ce terme par opposition à hétérodoxie ou hérésie. Voyez HERESIE.

ORTHODOXIE signifie aussi une fête solemnelle de l'église grecque, instituée par l'impératrice Théodora ; on la célebre encore aujourd'hui le premier dimanche de carême, en mémoire du rétablissement des images dans les églises, que les Iconoclastes en avoient fait enlever. Voyez ICONOCLASTES.


ORTHODOXOGRAPHES. m. (Gram.) auteur qui a écrit sur les dogmes catholiques & sur les ouvrages de cette classe d'écrivains.


ORTHODROMIQUES. f. (Navigat.) est l'art de naviger dans l'arc de quelque grand cercle : l'arc de chaque grand cercle est , c'est-à-dire, la distance la plus courte entre deux points quelconques sur la surface de la terre.

Ce mot est formé des deux mots grecs , droit, & , je cours. Voyez NAVIGATION CIRCULAIRE au mot NAVIGATION ; au reste ce mot est peu usité, & l'art qu'il exprime l'est encore moins. (O)


ORTHOGONALadj. (Géom.) se dit de ce qui est perpendiculaire ou à angles droits ; ainsi une courbe qui a des coordonnées orthogonales, est une courbe dont les abscisses & les ordonnées font entr'elles des angles droits. Voyez ABSCISSE, ORDONNE & COURBE. (O)

ORTHOGONAL signifie aussi, en Géométrie, la même chose que rectangle, ou qui a des angles droits. Voyez RECTANGLE.

Quand ce mot se rapporte à une figure plane, il signifie qu'un des côtés de la figure est supposé perpendiculaire à l'autre. Quand on l'applique aux solides, il signifie que leur axe est supposé perpendiculaire à l'horison. Chambers. (O)


ORTHOGRAPHES. f. ce mot est grec d'origine : , de l'adjectif , rectus, & du verbe , scribo ou pingo. Ce nom par sa valeur étymologique, signifie donc peinture ou représentation réguliere. Dans le langage des Grammairiens, qui se sont approprié ce terme, c'est ou la représentation réguliere de la parole, ou l'art de représenter regulierement la parole.

Il ne peut y avoir qu'un seul système de principes pour peindre la parole, qui soit le meilleur & le véritable ; car il y auroit trop d'inconvéniens à trouver bons tous ceux que l'on peut imaginer. Cependant on donne également le nom d'orthographe à tous les systêmes d'écriture que différens auteurs ont publiés ; & l'on dit l'orthographe de Dubois, de Meigret, de Pelletier, de Ramus, de Rambaud, de Lesclache, de Lartigaut, de l'abbé de Saint-Pierre, de M. du Marsais, de M. Duclos, de M. de Voltaire, &c. pour désigner les systêmes particuliers que ces écrivains ont publiés ou suivis. C'est que la régularité indiquée par l'étymologie du mot, n'est autre chose que celle qui suit nécessairement de tout corps systématique de principes, qui réunit tous les cas pareils sous la même loi.

Aussi n'honore-t-on point du nom d'orthographe, la maniere d'écrire des gens non instruits, qui se rapprochent tant qu'ils peuvent de la valeur alphabétique des lettres, qui s'en écartent en quelques cas, lorsqu'ils se rappellent la maniere dont ils ont vû écrire quelques mots ; qui n'ont & ne peuvent avoir aucun égard aux différentes manieres d'écrire qui résultent de la différence des genres, des nombres, des personnes, & autres accidens grammaticaux ; en un mot, qui n'ont aucun principe stable, & qui donnent tout au hasard : on dit simplement qu'ils ne savent pas l'orthographe ; qu'ils n'ont point d'orthographe ; qu'il n'y en a point dans leurs écrits.

Si tout systême d'orthographe n'est pas admissible, s'il en est un qui mérite sur tous les autres une préférence exclusive ; seroit-il possible d'en assigner ici le fondement, & d'indiquer les caracteres qui le rendent reconnoissable ?

Une langue est la totalité des usages propres à une nation pour exprimer les pensées par la voix. C'est la notion la plus précise & la plus vraie que l'on puisse donner des langues, parce que l'usage seul en est le législateur naturel, nécessaire & exclusif. Voyez LANGUE, au comm. D'où vient cette nécessité, de ne reconnoître dans les langues que les décisions de l'usage ? C'est qu'on ne parle que pour être entendu ; que l'on ne peut être entendu, qu'en employant les signes dont la signification est connue de ceux pour qui on les emploie ; qu'y ayant une nécessité indispensable d'employer les mêmes signes pour tous ceux avec qui l'on a les mêmes liaisons, afin de ne pas être surchargé par le grand nombre, ou embarrassé par la distinction qu'il faudroit en faire, il est également nécessaire d'user des signes connus & autorisés par la multitude ; & que pour y parvenir, il n'y a pas d'autre moyen que d'employer ceux qu'emploie la multitude elle-même, c'est-à-dire, ceux qui sont autorisés par l'usage.

Tout ce qui a la même fin & la même universalité, doit avoir le même fondement, & l'écriture est dans ce cas. C'est un autre moyen de communiquer ses pensées, par la peinture des sons usuels qui en constituent l'expression orale. La pensée étant purement intellectuelle, ne peut être représentée par aucun signe matériel ou sensible qui en soit le type naturel : elle ne peut l'être que par des signes conventionnels, & la convention ne peut être autorisée ni connue que par l'usage. Les productions de la voix ne pouvant être que du ressort de l'ouie, ne peuvent pareillement être représentées par aucune des choses qui ressortissent au tribunal des autres sens, à moins d'une convention qui établisse entre les élémens de la voix & certaines figures visibles, par exemple, la relation nécessaire pour fonder cette signification. Or, cette convention est de même nature que la premiere ; c'est l'usage qui doit l'autoriser & la faire connoître.

Il y aura peut-être des articles de cette convention qui auroient pû être plus généraux, plus analogues à d'autres articles antécédens, plus aisés à saisir, plus faciles & plus simples à exécuter. Qu'importe ? Vous devez vous conformer aux décisions de l'usage, quelque capricieuses & quelque inconséquentes qu'elles puissent vous paroître. Vous pouvez, sans contredit, proposer vos projets en réforme, sur-tout si vous avez soin en en démontrant les avantages, de ménager néanmoins avec respect l'autorité de l'usage national, & de soumettre vos idées à ce qu'il lui plaira d'en ordonner : tout ce qui est raisonné & qui peut étendre la sphere des idées, soit en en proposant de neuves, soit en donnant aux anciennes des combinaisons nouvelles, doit être regardé comme louable & reçu avec reconnoissance.

Mais si l'empressement de voir votre systême exécuté, vous fait abandonner l'orthographe usuelle pour la vôtre ; je crains bien que vous ne couriez les risques d'être censuré par le grand nombre. Vous imitez celui qui viendroit vous parler une langue que vous n'entendriez pas, sous prétexte qu'elle est plus parfaite que celle que vous entendez. Que feriez-vous ? Vous ririez d'abord ; puis vous lui diriez qu'une langue que vous n'entendez pas n'a pour vous nulle perfection, parce que rien n'est parfait, qu'autant qu'il remplit bien sa destination. appliquez-vous cette réponse ; c'est la même chose en fait d'orthographe ; c'est pour les yeux un systême de signes représentatifs de la parole, & ce systême ne peut avoir pour la nation qu'il concerne aucune perfection, qu'autant qu'il sera autorisé & connu par l'usage national, parce que la perfection des signes dépend de la connoissance de leur signification.

Nul particulier ne doit se flatter d'opérer subitement une révolution dans les choses qui intéressent toute une grande société, sur-tout si ces choses ont une existence permanente ; & il ne doit pas plus se promettre d'altérer le cours des variations des choses dont l'existence est passagere & dépendante de la multitude. Or, l'expression de la pensée par la voix est nécessairement variable, parce qu'elle est passagere, & que par-là elle fixe moins les traces sensibles qu'elle peut mettre dans l'imagination : verba volant. Au contraire, l'expression de la parole par l'écriture est permanente, parce qu'elle offre aux yeux une image durable, que l'on se représente aussi souvent & aussi long-tems qu'on le juge à-propos, & qui par conséquent fait dans l'imagination des traces plus profondes ; & scripta manent. C'est donc une prétention chimérique, que de vouloir mener l'écriture parallelement avec la parole ; c'est vouloir pervertir la nature des choses, donner de la mobilité à celles qui sont essentiellement permanentes, & de la stabilité à celles qui sont essentiellement changeantes & variables.

Devons-nous nous plaindre de l'incompatibilité des natures des deux choses qui ont d'ailleurs entr'elles d'autres relations si intimes ? Applaudissons-nous au contraire, des avantages réels qui en résultent. Si l'orthographe est moins sujette que la voix à subir des changemens de forme, elle devient parlà même dépositaire & témoin de l'ancienne prononciation des mots ; elle facilite ainsi la connoissance des étymologies, dont on a démontré ailleurs l'importance. Voyez ÉTYMOLOGIE.

" Ainsi, dit M. le Président de Brosses, lors même qu'on ne retrouve plus rien dans le son, on retrouve tout dans la figure avec un peu d'examen.... Exemple. Si je dis que le mot françois sceau vient du latin sigillum, l'identité de signification me porte d'abord à croire que je dis vrai ; l'oreille au contraire, me doit faire juger que je dis faux, n'y ayant aucune ressemblance entre le son so que nous prononçons & le latin sigillum. Entre ces deux juges qui sont d'opinion contraire, je sais que le premier est le meilleur que je puisse avoir en pareille matiere, pourvû qu'il soit appuyé d'ailleurs ; car il ne prouveroit rien seul. Consultons donc la figure, & sachant que l'ancienne terminaison françoise en el a été récemment changée en eau dans plusieurs termes, que l'on disoit scel, au lieu de sceau, & que cette terminaison ancienne s'est même conservée dans les composés du mot que j'examine, puisque l'on dit contre scel & non pas contre sceau ; je retrouve alors dans le latin & dans le françois la même suite de consonnes ou d'articulation : sgl en latin, scl en françois, prouvent que les mêmes organes ont agi dans le même ordre en formant les deux mots : par où je vois que j'ai eu raison de déférer à l'identité du sens, plutôt qu'à la contrariété des sons ".

Ce raisonnement étymologique me paroît d'autant mieux fondé & d'autant plus propre à devenir universel, que l'on doit regarder les articulations comme la partie essentielle des langues, & les consonnes comme la partie essentielle de leur orthographe. Une articulation differe d'une autre par un mouvement différent du même organe, ou par le mouvement d'un autre organe ; cela est distinct & distinctif : mais un son differe à-peine d'un autre, parce que c'est toûjours une simple émission de l'air par l'ouverture de la bouche, variée à la vérité selon les circonstances ; mais ces variations sont si peu marquées, qu'elles ne peuvent opérer que des distinctions fort légeres. De-là le mot de Wachter dans son glossaire germanique : praef. ad Germ. §. X. not. k. linguas à dialectis sic distinguo, ut differentia linguarum sit à consonantibus, dialectorum à vocalibus. De-là aussi l'ancienne maniere d'écrire des Hébreux, des Chaldéens, des Syriens, des Samaritains, qui ne peignoient guere que les consonnes, & qui sembloient ainsi abandonner au gré du lecteur le choix des sons & des voyelles ; ce qui a occasionné le systême des points massorétiques, & depuis, le systême beaucoup plus simple de Masclef.

On pourroit augmenter cet article de plusieurs autres observations aussi concluantes pour l'orthographe usuelle & contre le néographisme : mais il suffit, ce me semble, en renvoyant aux articles NEOGRAPHE & NEOGRAPHISME, d'avertir que l'on peut trouver de fort bonnes choses sur cette matiere dans les grammaires françoises de M. l'abbé Régnier & du pere Buffier. Le premier rapporte historiquement les efforts successifs des néographes françois pendant deux siecles, & met dans un si grand jour l'inutilité, le ridicule & les inconvéniens de leurs systêmes, que l'on sent bien qu'il n'y a de sûr & de raisonnable que celui de l'orthographe usuelle : traité de l'orthogr. pag. 71. Le second discute, avec une impartialité louable & avec beaucoup de justesse, les raisons pour & contre les droits de l'usage en fait d'orthographe ; & en permettant aux novateurs de courir tous les risques du néographisme, il indique avec assez de circonspection les cas où les écrivains sages peuvent abandonner l'usage ancien, pour se conformer à un autre plus approchant de la prononciation : n°. 185, 209.

Le traité dogmatique de l'orthographe peut se diviser en deux parties : la lexicographie, dont l'office est de fixer les caracteres élémentaires & prosodiques qui doivent représenter les mots considérés dans leur état primitif, & avant qu'ils entrent dans l'ensemble de l'élocution ; & la logographie, dont l'office est de déterminer les caracteres élémentaires qui doivent marquer les relations des mots dans l'ensemble de l'énonciation, & les ponctuations qui doivent désigner les différens degrés de la dépendance mutuelle des sens particuliers, nécessaires à l'intégrité d'un discours. Voyez GRAMMAIRE.

Si l'on trouvoit la chose plus commode, on pourroit diviser ce même traité en trois parties : la premiere exposeroit l'usage des caracteres élémentaires ou des lettres, tant par rapport à la partie principale du matériel des mots, que par rapport aux variations qu'y introduisent les diverses relations qu'ils peuvent avoir dans la phrase ; la seconde expliqueroit l'usage des caracteres prosodiques ; & la troisieme établiroit les principes si délicats, mais si sensibles de la ponctuation.

La premiere de ces deux formes me paroît plus propre à faciliter le coup d'oeil philosophique sur l'empire grammatical : c'est comme la carte de la région orthographique, réduite à la même échelle que celle de la région orthologique ; c'est pourquoi l'on en a fait usage dans le tableau général que l'on a donné de la Grammaire en son lieu.

La seconde forme me semble en effet plus convenable pour le détail des principes de l'orthographe ; les divisions en sont plus distinctes, & le danger des redites ou de la confusion y est moins à craindre. C'est une carte détaillée ; on peut en changer l'échelle : il n'est pas question ici de voir les relations extérieures de cette région, il ne s'agit que d'en connoître les relations intérieures.

L'Encyclopédie ne doit se charger d'aucun détail propre à quelque langue que ce soit en particulier, fût-ce même à la nôtre. Ainsi l'on ne doit pas s'attendre à trouver ici un traité de l'orthographe françoise. Cependant on peut trouver dans les différens volumes de cet ouvrage les principaux matériaux qui doivent y entrer.

Sur les lettres, on peut consulter les articles ALPHABET, CARACTERES, LETTRES, VOYELLES, CONSONNES, INITIAL, & sur-tout les articles de chaque lettre en particulier. Ajoutez-y ce qui peut se trouver de relatif à l'orthographe sous les mots GENRE, NOMBRE, PERSONNE, &c.

Sur les caracteres prosodiques, on peut consulter les articles ACCENT, APOSTROPHE, CEDILLE, DIVISION, & sur-tout PROSODIQUE.

Sur les ponctuations, comme la chose est commune à toutes les langues, on trouvera à l'article PONCTUATION tout ce qui peut convenir à cette partie. (B. E. R. M.)


ORTHOGRAPHIES. f. (Perspect.) se dit de l'art de représenter la partie antérieure d'un objet, comme la façade d'un bâtiment, en marquant les hauteurs & les élévations de chaque partie par des lignes perpendiculaires au tableau.

Ce mot vient du grec , droit, & , je décris, parce que dans l'orthographie chaque chose se marque par des lignes tirées perpendiculairement, ou plutôt parce que toutes les lignes horisontales y sont droites & paralleles, & non obliques comme dans la perspective. Chambers. (E)

ORTHOGRAPHIE, en Architecture, est le plan ou le dessein d'un bâtiment, qui en montre toutes les parties dans leurs véritables proportions.

Il y a orthographie externe & orthographie interne.

L'orthographie externe, qu'on appelle aussi élévation, est le dessein de la face ou du frontispice d'un bâtiment, lequel présente son principal mur, avec ses ouvertures, son toît, ses ornemens, & tout ce qu'on peut appercevoir étant placé vis-à-vis du bâtiment.

L'orthographie interne, qu'on appelle aussi coupe ou section, est le plan ou le dessein d'un bâtiment, tel qu'il paroîtroit si toute la partie du frontispice étoit ôtée ; c'est proprement ce qu'on appelle le plan, ou, en terme de l'art, l'ichnographie. Voyez ICHNOGRAPHIE.

Pour décrire l'orthographie externe d'un bâtiment, tirez une ligne A B pour base (Pl. Persp. fig. 13.) & à l'un des bouts élevez la perpendiculaire A D. Sur A B, marquez les largeurs & les intervalles des portes, des fenêtres, &c. sur la ligne droite A D, marquez la hauteur des principales parties visibles dans la face du bâtiment, par exemple, les portes, les fenêtres, le toît, les cheminées, &c. & appliquez la regle à chaque point de division. Les intersections communes des lignes droites, paralleles aux lignes A B & A D, détermineront l'orthographie externe du bâtiment. Pour décrire l'orthographie interne, on procédera de la même maniere. L'intérieur de la figure 13. représente l'orthographie interne, ou ichnographie, qu'on appelle autrement plan ; & les chiffres qu'on y voit expriment la longueur & la largeur des différentes pieces. Ces longueurs & largeurs sont rapportées sur les lignes A B, A D, par des lignes ponctuées. Voyez PERSPECTIVE. Chambers.

ORTHOGRAPHIE, en terme de Fortification, est le dessein de la coupe d'un ouvrage, faite verticalement ou du haut en-bas. Il sert à faire connoître les hauteurs, les largeurs des ouvrages, l'épaisseur des murs, la profondeur des fossés, &c. Voyez PROFIL. (Q)


ORTHOGRAPHIQUE(Astr.) projection orthographique de la sphere, est la représentation des différens points de la surface de la sphere, sur un plan qui la coupe par son milieu, en supposant l'oeil à une distance infinie, & dans une ligne verticale au plan qui sépare les deux hémispheres ; c'est-à-dire, en supposant que chaque point de la surface de la sphere se projette sur le plan dont il s'agit par une ligne perpendiculaire à ce plan.

On appelle cette projection, orthographique, parce que les lignes de projection, menées des points de la surface sphérique sur le plan de projection, tombent toutes au-dedans de ce même plan, & que toutes ces lignes font avec le plan de projection des angles droits : car le mot orthographique vient des deux mots grecs, , droit, & , je décris. Voyez PROJECTION.

ORTHOGRAPHIQUE, adj. (Perspect.) se dit de tout ce qui a rapport à l'orthographie ; ainsi on dit représentation orthographique, projection orthographique, c'est-à-dire, celle qui se fait par des lignes menées de l'objet perpendiculairement au tableau. Voy. ORTHOGRAPHIE & PROJECTION.


ORTHOLOGIES. f. Ce mot est l'un de ceux que l'on a cru devoir risquer dans le prospectus général que l'on a donné de la Grammaire, sous le mot GRAMMAIRE : on y a expliqué celui-ci par son étymologie, pour justifier le sens qu'on y a attaché.

La Grammaire considere la parole dans deux états, ou comme prononcée ou comme écrite : voilà un motif bien naturel de diviser en deux classes le corps entier des observations grammaticales. Toutes celles qui concernent la parole prononcée sont de la premiere classe, à laquelle on peut donner le nom d'Orthologie, parce que c'est elle qui apprend tout ce qui appartient à l'art de parler. Toutes celles qui regardent la parole écrite sont de la seconde classe, qui est de tout tems appellée Orthographe, parce que c'est elle qui apprend l'art d'écrire.

On peut voir (art. GRAMMAIRE) les premieres divisions de l'Orthologie, & en suivant les renvois qui y sont indiqués, descendre à toutes les sous-divisions. Mais ce qu'on a dit du traité de l'Orthographe (art. ORTHOGRAPHE), on peut le dire ici de l'Orthologie. La maniere de la traiter qui a été exposée dans le prospectus général de la Grammaire, étoit plus propre à faire embrasser d'un coup d'oeil toute l'étendue des vûes grammaticales, qu'à les exposer en détail : & peut-être que les principes dogmatiques s'accommoderont plutôt de la division que j'ai indiquée au mot METHODE, en esquissant les livres élémentaires qu'exige celle que j'y expose. (B. E. R. M.)


ORTHON(Géog.) grande riviere d'Asie dans la Tartarie. Elle a sa source dans le pays des Mongules, vers les 45 d. 40'. de latitude, & court du sud-sud-est au Nord-Nord-Ouest. Elle vient ensuite se jetter dans la Selinga, à 50 d. de latitude. C'est sur ses bords que le kam des Kalcka-Mongules fait ordinairement son séjour. C'est encore aux environs de cette riviere que le kutuchta, ou grand-prêtre des Mongules de l'Ouest, se tient à-présent. Il étoit autrefois accoutumé de camper vers Norzinskoi & aux bords de la riviere d'Amur ; mais depuis que les Russes se sont établis en ces quartiers, il ne passe plus en-deçà de Selingiskoi. C'est aux environs de la riviere d'Orthon, & même vers la Selinga du côté de Selingiskoi, qu'on trouve abondamment la rhubarbe : & tout ce que la Russie en fournit aux pays étrangers vient des environs de cette ville. Comme cette racine est fort estimée en Europe, le trésor de la Sibérie n'a pas manqué de s'emparer de ce commerce qui pourroit être fort avantageux à la Russie, s'il étoit fidelement administré. Car la rhubarbe croît en si grande abondance dans le territoire de Selingiskoi, qu'on dit que le trésor de Sibérie en vend jusqu'à dix mille livres à la fois. (D.J.)


ORTHOPNÉES. f. (Médec.) respiration courte, laborieuse, bruyante, laquelle ne se peut faire que la tête & le thorax élevés. Ces attaques sont différentes les unes des autres & périodiques.

Le mot orthopnoea, , orthopnée, vient de , droit ou élevé, & de , respirer ; en effet, c'est une maladie dans laquelle on est obligé d'avoir le cou dans une situation droite & élevée pour respirer. La nécessité de cette posture vient de la grande difficulté de la respiration : dans toute autre situation, le malade risqueroit d'être suffoqué.

Cette difficulté de respirer a pour cause ordinaire l'étroitesse des poumons & de leurs vaisseaux, occasionnée par une inflammation, ou par quelque humeur contenue dans les cavités de ce viscere. Galien dit, comm. II. in Proreht. qu'Hippocrate & tous les autres Médecins entendent par l'orthopnée, cette espece de dyspnée dans laquelle les malades se sentent suffoqués, lorsqu'ils sont couchés à plat, & ne peuvent toutefois se tenir la poitrine élevée, sans avoir quelque appui sous leur dos. La trachée artere, continue-t-il, qui commence au larynx, & qui se distribue dans les poumons, se dilate ainsi que le cou, lorsque la poitrine est dans une posture élevée. Toutes ses branches dispersées dans la substance des poumons, partagent en même tems cette dilatation, & la capacité intérieure de ce viscere en est nécessairement augmentée.

De-là vient qu'il y a dans la péripneumonie, & dans toutes les affections nommées asthmatiques, une orthopnée. Elle arrive aussi nécessairement dans l'esquinancie violente, & lorsque les muscles internes du larynx, étant enflammés, gênent le passage de la respiration. Dans cette maladie, l'étroitesse des parties étant augmentée par la situation horisontale, la respiration se fait avec plus de peine.

Galien expliquant, comm. IV. in lib. de ratione vict. in acut. ce qu'Hippocrate entend par orthopnée seche, dit que c'est une forte de dyspnée dans laquelle le malade ne tousse ni ne crache, mais respire avec tant de peine, qu'il risqueroit d'être suffoqué s'il étoit couché horisontalement. Nous lisons, lib. VII. Epid. que la soeur d'Harpalide, grosse de quatre ou cinq mois, fut tourmentée d'une toux seche, d'une orthopnée, & de tems à autre d'une suffocation si dangereuse, qu'elle étoit obligée de se tenir toûjours assise sur son lit, & de dormir dans cette posture ; que cette indisposition dura environ deux mois, au bout desquels elle guérit par des crachats d'une grande quantité de matiere cuite & blanchâtre ; & qu'elle fut dans la suite heureusement délivrée d'une fille.

L'orthopnée peut naître de toute maladie capable d'affecter quelque partie de la poitrine, sur-tout le coeur, les grosses arteres, & les poumons. Entre ces maladies, on peut compter l'inflammation du poumon, les tubercules, les vomiques, les différentes matieres polypeuses, plâtreuses, pituiteuses, purulentes, toute tumeur inflammatoire, érésipélateuse, suppurante, skirrheuse, dans le larynx, dans les poumons, dans la poitrine, l'adhérence des poumons avec la plevre, &c. Ces causes notables se manifestent seulement dans la dissection des cadavres ; on tâchera néanmoins pendant la vie d'adoucir les maux de ce genre, dont l'orthopnée résulte infailliblement.

Il arrive quelquefois que dans les maladies aigues, putrides, varioleuses, scarlatines, l'orthopnée annonce une crise ; alors il faut aider la respiration par la saignée, par une abondante boisson antiphlogistique, par la dérivation de la matiere qui lese la respiration.

L'orthopnée qui procede d'une surabondance d'humeurs visqueuses, pituiteuses, cacochymes, scorbutiques, &c. exige l'évacuation de ces humeurs, & leur correction par les résineux, les balsamiques, & les pectoraux appropriés.

Quand l'orthopnée vient par métastase dans le rhumatisme, la goutte arthritique, les maladies de la peau, la suppression de quelqu'humeur morbifique, il s'agit de procurer la dérivation aux parties ordinaires, ou former des émonctoires artificiels.

L'orthopnée qui doit sa naissance à la sympathie dans les maux de nerfs, dans la passion hystérique & hypocondriaque, requiert qu'on appaise les spasmes, & qu'on facilite la respiration par les anodins, les nervins, & les adoucissans. (D.J.)


ORTHOSIADE(Géog. anc.) ancienne ville de Phénicie située au bord de la mer, vis-à-vis de l'île d'Arade, pas loin de Tripoli. Il en est fait mention au liv. des Macchabées, c. xv. . 35 & 37. Strabon, Pline & Ptolémée parlent d'un autre Orthosiade, qui étoit une ville d'Asie dans la Carie. (D.J.)


ORTHUS(Mythol.) voilà le nom du chien fidele de Géryon tué par Hercule. Il falloit que ce chien en valût plusieurs à tous égards, puisqu' Hésiode n'a pas dédaigné de rapporter fort au long sa généalogie & sa parenté. Il étoit fils de Cerbere, ce cruel gardien des enfers, & de l'effroyable hydre de Lerne. Tous trois étoient nés de Typhon, le plus impétueux des vents, & d'Echidne, nymphe monstrueuse, moitié femme & moitié vipere. Hésiode nous conte, en de très-beaux vers, toutes ces sornettes. Que veut-il donc nous apprendre par cette absurde fiction ? Je l'ignore, & ce n'est pas à le chercher que je me casserai la tête. (D.J.)


ORTI(Géog.) ville d'Italie dans le patrimoine de S. Pierre, avec un évêché suffragant du pape, & uni à celui de Citta-Castellana. Elle est près du Tibre, à 34 milles de Rome, 9 de Citta-Castellana, & à 14 de Viterbe. On croit que c'est l'Hortanum de Pline. Long. 30. 2. lat. 42. 22. (D.J.)


ORTIEurtica, s. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur sans pétales, & composée d'étamines soutenues par un calice ; cette fleur est stérile. Les embryons naissent sur des individus qui ne portent point de fleurs, & ils deviennent dans la suite chacun une capsule composée de deux pieces qui renferme une semence. Dans quelques especes les capsules sont réunies en forme de boucle ; enfin il y en a d'autres dont les embryons deviennent un fruit qui ressemble à une pince entre les branches, de laquelle on trouve une semence. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

ORTIE-MORTE, lamium. Genre de plante à fleur monopétale, labiée, dont la levre supérieure est en forme de cuillere, & l'inférieure en forme de coeur, & divisée en deux parties ; elles aboutissent toutes les deux à une sorte de gorge frangée. Le pistil sort du calice qui est fait en tuyau & partagé en cinq parties. Il est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & entouré de quatre embryons. Ils deviennent dans la suite autant de semences triangulaires, renfermées dans une capsule qui a servi de calice à la fleur. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Entre les orties mortes connues des Botanistes sous le nom de lamium, il y en a quatre especes employées dans les boutiques ; savoir, la blanche, la rouge, la jaune & la puante.

L'ortie morte à fleur blanche, lamium vulgare album, sive archangelica flore albo, I. R. H. 183, a ses racines nombreuses & fibreuses. Elles s'étend beaucoup par un grand nombre de rejettons qui rampent obliquement sur terre, presque comme la menthe. Ses tiges sont hautes d'un pied ou d'une coudée, quarrées, grosses, cependant foibles, creuses, un peu vélues, branchues, & entrecoupées de quelques noeuds, purpurins vers la terre dans les lieux exposés au soleil.

Ses feuilles sont deux à deux & opposées, semblables à celles de l'ortie commune ; mais celles du haut des tiges sont couvertes d'un duvet court, & non piquant.

Ses fleurs naissent des noeuds & par anneaux autour des tiges ; elles sont assez grandes, d'une seule piece, en gueule, blanches, & plus pâles en dehors que jaunes. La levre supérieure ou le casque est creusé en maniere de cuillere garnie de poils, renfermant en dedans quatre petites étamines, deux plus longues, & deux plus courtes. La levre inférieure est échancrée en coeur ; elles sont terminées l'une & l'autre en maniere de gorge, bordée d'un feuillet.

Les sommets des étamines sont bordés de noir, & représentent en quelque sorte un 8 de chiffre. Leur pistil est un filet fourchu placé entre les étamines ; il s'éleve du fond du calice, & est attaché à la partie postérieure en maniere de clou. Le calice est ample, évasé en tuyau, cannelé, partagé en cinq segmens, oblongs, étroits, terminés par cinq petites épines pointues, mais qui ne font point de mal. Le pistil est accompagné au fond du calice de quatre embryons, qui se changent ensuite en autant de graines angulaires, unies ensemble, cachées dans une capsule qui servoit de calice à la fleur.

L'odeur de cette plante est un peu forte ; on la trouve le long des haies, des chemins, des murailles, dans les décombres, les buissons, & assez dans les jardins qui ne sont pas bien cultivés.

L'ortie morte à fleur rouge, ou à fleur purpurine, lamium folio oblongo, flore purpureo, I. R. H. 183, ne differe de la précédente que par sa couleur purpurine.

L'ortie morte à fleur jaune, lamium luteum, folio oblongo, C. B. P. 231. Galeopsis, sive urtica iners flore luteo, I. R. H. 185, a ses fleurs d'une seule piece en gueule & jaunes.

L'ortie morte puante, est nommée par Tournefort, lamium purpureum, foetidum, folio subrotundo, sive galeopsis Dioscoridis, I. R. H. 183. Sa racine est menue, fibreuse, non rampante ; ses tiges sont nombreuses, quarrées, creuses, presque lisses, assez hautes, branchues près la terre, ensuite garnies d'une ou de deux paires de feuilles, presque nues vers le sommet, & hautes d'un demi-pié. Ses fleurs sont au sommet des branches en grand nombre, & par anneaux, d'une seule piece en gueule, petites, purpurines, ayant la levre inférieure marquée de taches d'un noir foncé.

Les calices des fleurs sont courts, évasés, cannelés, sans pédicules, partagés en cinq parties ; ils contiennent dans leur fond quatre graines oblongues, triangulaires, brunes & luisantes quand elles sont mûres. Ses feuilles ressemblent à celles de l'ortie, mais elles sont plus petites & plus courtes, molles, crénelées à leur bord, portées sur des queues d'un demi pouce. Toute cette plante a une odeur fétide & désagréable ; elle vient dans les haies & sur les masures, dans les décombres & dans les lieux incultes des jardins. (D.J.)

ORTIE MORTE, (Mat. méd.) ortie blanche, ortie qui ne pique point. Les Médecins modernes recommandent cette plante pour les fleurs blanches, les maladies du poumon, les tumeurs & les duretés de la rate, & sur-tout pour arrêter les hémorrhagies de la matrice, & pour consolider les playes. L'expérience journaliere fait voir que ces vertus sont en effet très-réelles, quant aux fleurs blanches & aux pertes des femmes. On fait macérer ses sommités fleuries dans de l'eau bouillante en guise de thé, & on donne un ou deux verres de cette infusion deux ou trois fois le jour. On en fait des bouillons, ou bien on fait une conserve de ses feuilles, dont on prend une once tous les jours.

L'ortie morte à fleurs rouges ne differe de la précédente que par la couleur de ses fleurs. On dit qu'elle est utile comme la précédente, mais elle est moins employée. L'ortie morte puante est aussi quelquefois substituée aux deux autres, mais rarement. On en recommande d'ailleurs la décoction contre la dissenterie. On dit encore qu'étant pilée & appliquée extérieurement, elle est propre à dissiper toutes sortes de tumeurs, & même à appaiser les inflammations, déterger les ulceres putrides, & faire cicatriser les playes. Geoffroi, mat. méd. C'est encore ici une des mille plantes exaltées par tous les Botanistes, & que personne n'emploie. (B)

ORTIE PIQUANTE, (Botan.) Entre les neuf especes d'ortie piquante que distingue M. de Tournefort, il nous convient de décrire ici la grande, la petite, & la romaine ou la grecque.

La grande ortie piquante ou l'ortie commune, en anglois the common stinging-nettle, est nommée urtica urens maxima, C. B. P. 232. I. R. H. 534. Urtica vulgaris major. J. B. 3. 445. Raii hist. 160.

Sa racine est menue, fibrée, serpentante au loin, de couleur jaunâtre. Elle pousse des tiges à la hauteur de trois piés, quarrées, cannelées, trouées, couvertes d'un poil piquant, creuses, rameuses, revêtues de feuilles opposées deux à deux, oblongues, larges, pointues, dentelées en leurs bords, garnies de poils fort piquans & brûlans, attachées à des queues un peu longues. Ses fleurs naissent aux sommités des tiges & des rameaux dans les aisselles des feuilles, disposées en grappes branchues, composées chacune de plusieurs étamines soutenues par un calice à quatre feuilles de couleur herbeuse ; ces fleurs ne laissent aucune graine après elles.

Ainsi l'on distingue comme dans le chanvre, les orties en mâle & en femelle. L'ortie mâle porte sur des piés qui ne fleurissent point, des capsules pointues, formées en fer de pique, brûlantes au toucher, qui contiennent chacune une semence ovale applatie, luisante. L'ortie femelle ne porte que des fleurs, & ne produit aucun fruit ; ce qui est une maniere de parler usitée seulement chez le vulgaire : car les Botanistes appellent proprement fleurs mâles celles qui ne sont point suivies de graines, & leurs femelles celles qui en sont suivies.

Cette plante croît presque par-tout en abondance, particuliérement aux lieux incultes & sabloneux, dans les hayes, dans les fossés, contre les murailles, dans les bois mêmes & dans les jardins ; elle fleurit en Juin, & la graine mûrit en Juillet & Août. Ses feuilles se flétrissent ordinairement tous les ans en hiver ; mais sa racine ne périt point, & repousse de nouvelles feuilles dès le premier printems. On fait usage en médecine de ses racines, de ses feuilles & de ses semences. On peut aussi faire de la toile de ses tiges, comme l'on en fait de celles de chanvre. L'ortie commune varie quelquefois pour la couleur de ses tiges, de ses racines & de ses feuilles ; on l'appelle alors ortie rouge, ortie jaune ou panachée.

La petite ortie, ou l'ortie griesche, est nommée urtica urens minor, par C. B. P. 232, & par Tournefort. Inst. R. H. 535. Sa racine est simple, assez grosse, blanche, garnie de petites fibres, annuelle. Elle pousse des tiges hautes d'un demi pié, assez grosses, quarrées, dures, cannelées, rameuses, piquantes, moins droites que celle de la précédente. Ses feuilles naissent opposées deux à deux, plus courtes & plus obtuses que celles de la grande ortie, profondément dentelées le long des bords, fort brûlantes au toucher, d'un verd-brun ou foncé, attachées à de longues queues. Ses fleurs sont à étamines disposées par petites grappes en forme de croix dans les aisselles des feuilles, de couleur herbeuse, les unes mâles ou stériles, les autres femelles ou stériles, toutes sur le même pied. Lorsque ces dernieres sont passées, il leur succede de petites capsules formées à deux feuillets appliqués l'un contre l'autre, qui enveloppent chacune une semence menue, oblongue, applatie, luisante, roussâtre. Cette plante croît fréquemment le long des maisons, parmi les décombres des bâtimens, dans les jardins potagers, où elle se renouvelle tous les ans de graine, ne pouvant endurer la rigueur de l'hiver. L'herbe est sur-tout d'usage en Médecine.

L'ortie romaine, autrement l'ortie grecque, ou l'ortie mâle, est nommée urtica urens, pilulas ferens, prima Dioscoridis, semine lini, par C. B. P. 232, & par Tournefort, I. R. H. 535. Ses feuilles sont larges, pointues, profondément dentelées en leur bord, couvertes d'un poil rude, brillant & brûlant. Ses fleurs naissent des aisselles des feuilles vers les sommités de la tige & des branches, semblables à celles des deux especes précédentes. Quand ces fleurs sont passées, il leur succede des globules ou pilules vertes, qui sont autant de petits fruits ronds gros comme des pois, tout hérissés de piquans, attachés à de longs pédicules, composés de plusieurs capsules qui s'ouvrent en deux parties, & renferment chacune une semence ovale, pointue, applatie, lisse, glissante & douce au toucher comme de la graine de lin. Cette plante croît aux pays froids, comme aux pays chauds, dans les hayes, dans les prés, dans les bois taillis & ombrageux, est plus rare que les deux autres, & on la seme pour le plaisir dans les jardins ; elle fleurit en été, & sa graine mûrit en Juillet & Août ; elle ne soutient point l'hiver, & périt tous les ans. Sa semence est sur-tout en usage.

J'ai répété continuellement, que les feuilles d'orties piquantes sont chargées de pointes aiguës qui pénétrent la peau quand on les touche, & causent de la chaleur, de la douleur & de l'enflure. On croyoit autrefois que ces symptômes devoient s'attribuer aux piquans qui restoient dans la blessure qu'ils faisoient, mais le microscope a découvert quelque chose de bien plus étonnant dans cette plante. Il montre que ces piquans sont formés pour agir de la même maniere que les aiguillons des animaux. En effet chacun de ces piquans est un corps roide, creux, & terminé dans une pointe très-aigue, avec une ouverture à son extrêmité. Au fond de cette pointe est une vésicule pellucide contenant une liqueur limpide, qui lors qu'on touche le moins du monde, coule à l'extrêmité ; & si cette liqueur entre dans la peau, elle produit les accidens ci-dessus mentionnés par la pointe de ses sels, de-là vient que les feuilles d'ortie, quand elles ont été un peu séchées au soleil, ne piquent presque point du tout. (D.J.)

ORTIE, (Méd.) On emploie indifféremment en médecine trois especes d'ortie ; la grande ortie piquante, ou ortie commune ; la petite ortie ou ortie griesche ; & l'ortie romaine, ortie grecque, ou ortie mâle.

On croit que l'ortie en latin urtica, a été ainsi nommée du mot latin urere, brûler, parce que cette plante est courte, d'un poil fin, aigu & roide, qui étant appliquée à la peau fait éprouver un sentiment de brûlure, & excite en effet de la chaleur, de la rougeur, de la démangeaison & des pustules. Ces accidens sont passagers, & on peut les adoucir chez ceux qui sont très-délicats ou très-impatiens, en frottant legerement la partie avec de l'huile d'olive, d'autres disent le suc de tabac, une feuille d'ortie pilée, ou le suc exprimé de la même plante ; mais ce dernier secours a quelque chose de mystérieux, d'occulte, capable d'ébranler la confiance des personnes raisonnables, & celles qui sont versées dans ces matieres peuvent conjecturer avec vraisemblance qu'un suc purement extractif quelconque, feroit ici tout aussi-bien que le suc d'ortie. Au reste cet effet de l'ortie appliquée à la peau, a été procuré à dessein par les anciens Médecins & par quelques modernes, & mis au rang des ressources thérapeutiques ou des remedes. Ce secours est connu dans l'art sous le nom d'urtication. Voyez URTICATION.

Les feuilles & les racines d'ortie ont un goût fade, gluant & legérement stiptique. Le suc de ces parties dépuré par le repos ou à l'aide d'une courte ébullition, est employé fort communément à la dose de deux jusqu'à quatre onces dans le crachement de sang, l'hémorragie habituelle du nez, & le flux trop abondant des hémorrhoïdes. On le donne aussi pour les fleurs blanches, mais ordinairement avec beaucoup moins de succès.

L'infusion théïforme des feuilles d'ortie est d'ailleurs recommandée contre le rhumatisme, la goutte, la gravelle, &c. & sa décoction pour boisson ordinaire pour les fievres malignes, la petite-verole & la rougeole ; ses feuilles pilées & réduites en cataplasme, & appliquées sur le côté contre la pleurésie, &c. mais tous ces éloges sont peu confirmés par l'expérience, & l'ortie est peu employée dans tous ces cas.

On emploie aussi quelquefois cette plante réduite sous forme de cataplasme pour les affections inflammatoires extérieures, & c'est encore-là un secours peu usité.

La semence d'ortie qui est peu ou point employée dans les prescriptions magistrales, entre dans quelques compositions officinales, telles que le syrop de guimauve composé, l'onguent martiatum, &c.

ORTIE PUANTE, (Botan.) genre de plante nommée par Tournefort galeopsis. Voyez ce mot.

Les deux principales especes de ce genre de plante, sont la grande & la petite ortie puante.

La grande ortie puante, galeopsis procerior, foetida, sulcata, I. R. H. 185, pousse une racine qui rampe sur terre, & donne quelques fibres grêles qui sortent de ses noeuds. Ses tiges sont hautes d'une coudée ou d'une coudée & demie, quarrées, velues, creuses, branchues. Ses feuilles sont deux-à-deux, opposées, un peu plus larges que celles de la grande ortie ordinaire, pointues, couvertes d'un duvet mol, dentelées à leur bord, portées sur de longues queues, mêmes celles qui naissent des tiges. Ses fleurs naissent à l'extrêmité des tiges & des rameaux, disposées par anneaux écartés, & forment des épis longs & grêles : elles sont d'une seule piece, en gueule, purpurines ; la levre supérieure est creusée en cuilleron, & marquée en dessus de lignes blanches ; & l'inférieure est partagée en trois, dont le segment du milieu est obtus, long, large, réfléchi des deux côtés, & les deux autres sont petits & courts. Les étamines sont purpurines, & répandent une odeur fétide & forte. Le calice est découpé en cinq parties, court, évasé ; il en sort un pistil attaché à la partie postérieure de la fleur en maniere de clou, & comme accompagné de quatre embryons qui se changent en autant de graines oblongues, d'une grandeur médiocre, noires quand elles sont mûres, cachées dans le fond du calice. Toute cette plante a une odeur fétide & fort désagréable : elle est d'usage. Elle vient communément aux environs de Paris. Cette ortie a une odeur fétide de bitume, avec un goût d'herbe un peu salé & astringent. On met cette plante au rang des vulnéraires, & on emploie l'huile dans laquelle on a macéré ses feuilles & ses fleurs pour la brûlure.

La petite ortie puante, galeopsis palustris betonicae folio, flore variegato, I. R. H. 185, jette une racine noueuse, rampante, inégale & bosselée. Ses tiges sont hautes de deux ou trois coudées, un peu rougeâtres, velues, rudes, quarrées, creuses. Ses feuilles naissent des noeuds, opposées, étroites, pointues, velues, molles, traversées en-dessous par une côte rougeâtre, un peu rudes, dentelées à leurs bords, d'une odeur forte, d'une saveur un peu amere. Ses fleurs sont disposées en épi & par anneaux, d'une seule piece, en gueule, purpurines, ayant les lévres panachées : leur calice est court, partagé en cinq quartiers : les graines sont au nombre de quatre, noires, luisantes, presque triangulaires. Cette plante vient naturellement dans les forêts humides, & sur le bord des ruisseaux.

Les feuilles de petite ortie puante sont ameres & fétides ; leur suc ne change presque point le papier bleu : elles paroissent contenir un sel essentiel ammoniacal, enveloppé dans beaucoup d'huile. On donne à cette plante les mêmes vertus qu'à la précédente. (D.J.)

ORTIES DE MER, poissons-fleurs, urticae, (Hist. nat. Ichtyolog.) insectes de mer dont il y a un grand nombre d'especes qui different entr'elles par la forme, par la couleur & par la nature de leur substance. Les anciens auteurs, tels qu'Aristote, Pline, &c. prétendoient que la plûpart des orties de mer restoient toujours attachées aux rochers, comme les plantes marines. M. de Réaumur a reconnu qu'elles avoient toutes un mouvement progressif. Il les a divisées en deux classes ; la premiere comprend toutes les especes d'orties qui restent toujours appliquées contre les rochers ; la seconde classe renferme les orties errantes, c'est-à-dire, celles que l'on trouve flottantes. M. de Réaumur a donné à celles-ci le nom de gelée de mer. La plûpart des orties de la premiere classe, se meuvent avec une telle lenteur, qu'on ne peut reconnoître leur mouvement progressif, qu'en marquant l'endroit où la partie de l'ortie la plus allongée est à une certaine heure, & celui où cette même partie se trouve quelque tems après ; elles parcourent à peine la longueur d'un pouce en une heure. Rondelet dit qu'on a donné à ces corps marins le nom d'orties, parce qu'ils causent une démangeaison cuisante, & semblable à celle que l'on ressent quand on touche la plante qui porte le même nom. M. de Réaumur n'a pas éprouvé cet effet dans les especes d'orties de mer qu'il a eu occasion de voir sur les côtes du Poitou & d'Aunis.

Il n'est guere possible de déterminer la figure de ces orties de mer, parce qu'elles changent très-souvent de forme ; la figure extérieure de leur corps approche de celle d'un cône tronqué, dont la base est appliquée contre les rochers : cette base qui paroît souvent circulaire, est aussi elliptique, ou de figure irréguliere ; quelquefois le cône est perpendiculaire à sa base, & d'autres fois oblique. Sa hauteur diminue ou augmente à mesure que la base a plus ou moins d'étendue ; la surface supérieure est ordinairement convexe ; il y a au milieu de cette surface une ouverture que l'ortie rend plus ou moins grande à sa volonté : pour prendre une idée plus juste de ce méchanisme, on peut comparer l'ortie à une bourse à jettons ; elle se ferme de même ; mais l'extérieur ne forme point de plis comme la bourse. Plus l'ouverture est grande, & plus on voit de parties intérieures. Si l'ortie replie en-dehors la partie qui correspond au contour d'une bourse, la surface intérieure se trouve alors à l'extérieur, & l'on voit toutes les cornes de cet insecte, qui ressemble dans cet état à une fleur épanouie, ce qui lui a fait donner le nom de poisson-fleur. Les contours varient nonseulement dans les différentes especes d'orties de mer, mais encore dans les individus de la même espece. Il y en a de verdâtres, de blanchâtres, d'autres de couleur de rose, ou d'un brun de différentes teintes. Il y a quelques orties dont toute la surface est d'une seule couleur ; d'autres ont plusieurs couleurs par taches ou par raies qui sont distribuées ou régulierement, ou irrégulierement. Les orties vertes ont ordinairement une bande bleue qui a une ligne de largeur, & qui s'étend tout-autour de leur base. Les orties de mer paroissent sensibles lorsqu'on les touche. Elles se nourrissent de la chair de petits poissons & de différens coquillages qu'elles font entrer tout entiers dans l'ouverture dont nous avons parlé plus haut, & qu'elles élargissent à mesure de la grosseur du coquillage ; alors elles rétrecissent cette ouverture, & sucent l'animal de la coquille bivalve ou autre ; ensuite elles rejettent la coquille par la même ouverture. Les orties sont des animaux vivipares ; car les petites sortent du corps de leur mere aussi-bien formées qu'elle.

Les orties que M. de Réaumur appelle gelée de mer, différent à tous égards de celles dont nous venons de parler ; elles sont d'une substance très-molle, qui a ordinairement la couleur & toûjours la consistance d'une vraie gelée : si on en prend un morceau avec les doigts, la chaleur seule de la main suffit pour dissoudre cette substance, comme une gelée de bouillon qu'on mettroit sur le feu. Ces gelées sont de vrais animaux dont il y a plusieurs especes très-différentes les unes des autres par leur conformation. Les individus de la même espece ont exactement la même figure : il y a de ces gelées qui sont d'une couleur verdâtre, semblable à celle de la mer ; d'autres ont tout-autour de leur circonférence une bande de deux ou trois lignes de largeur & de couleur de pourpre ; enfin on en voit aussi qui sont verdâtres, & qui ont des taches brunes éparses.

Les orties errantes ont l'une des faces convexe, & l'autre concave à-peu-près comme un champignon. On distingue sur la surface convexe une infinité de grains ou de petits mamelons qui sont de la même couleur que le reste de l'ortie, & on voit sur l'autre surface des parties organisées. Il y a un peu au-delà de son bord, qui est mince & découpé, des cercles concentriques, qui ne regnent cependant pas tout-autour de la circonférence. Les plus près du centre sont divisés en seize arcs, & les extérieurs seulement en huit. Ces séparations sont des especes de canaux, ou reservoirs toujours pleins d'eau. M. de Réaumur a fait bouillir dans de l'eau une gelée de mer dont la base avoit plus de deux piés de diamêtre ; elle a conservé sa figure, mais son diamêtre n'étoit plus que d'un demi-pié ; sa substance étoit devenue plus solide.

Les gelées de mer jettées par les vagues sur la côte, n'ont plus de mouvement : les chocs qu'elles éprouvent contre les pierres & le sable suffisent sans doute pour leur ôter la vie ; alors elles vont au fond de l'eau. Celles qui sont vivantes se soutiennent sur l'eau par une espece de mouvement de contraction & de dilatation de leur corps. Elles battent l'eau de tems en tems par le moyen de ces deux mouvemens répétés alternativement, qui suffit pour les empêcher d'aller au fond de l'eau. Mém. de l'acad. royale des Sciences, année 1710. par M. de Réaumur.

ORTIE toile d ', (Comm.) on appelle toile d'ortie, la toile qui est faite de la filasse qui se tire de cette plante ; elle est un peu grisâtre, & l'on s'en sert le plus souvent en écru.


ORTIVEadject. f. (terme d'Astronomie) l'amplitude ortive ou orientale d'une étoile, est l'arc de l'horison compris entre le point où cette étoile se leve, & le point est de l'horison, c'est-à-dire, le point où l'horison coupe l'équateur. Voyez AMPLITUDE & HORISON. (O)


ORTOLANortolanus s. m. (Hist. nat. Ornithol.) oiseau qui ressemble beaucoup à la bergeronnette. Le bec est court & rougeâtre dans les mâles ; la gorge & la poitrine sont cendrées ; tout le reste de la face inférieure de l'oiseau jusqu'à la queue est roux. Les mâles ont la poitrine un peu roussâtre ; le croupion a une couleur rousse foncée : il y a une tache jaune sur le bec. La tête est d'une couleur cendrée verdâtre. Les plumes du dos ont le milieu noir, & les bords extérieurs roussâtres ou d'un cendré verdâtre.

L'ortolan differe du moineau à collier, en ce qu'il est plus roux, & en ce qu'il a une tache jaune sur la gorge. Il ne reste pas, comme le moineau à collier, dans les endroits plantés de jonc, & il n'a pas de collier. Raii, Synops. meth. avium. Voyez OISEAU. (I)

ORTOLAN, (Diete & Cuis.) on ne mange ordinairement cet oiseau qu'après l'avoir engraissé dans des volieres. Lorsqu'il y a été nourri un certain tems, il ne paroît plus qu'un petit peloton de graisse. On le met rôti, ou après l'avoir fait tremper pendant une ou deux minutes, dans du bouillon ou du jus bouillant ; car il est si délicat, que cette courte application d'une chaleur légere suffit pour le cuire parfaitement. On pourroit aussi facilement l'enfermer dans des coques d'oeufs de poule bien réunies, le cuire dans l'eau ou sous la cendre, & répéter à peu de frais, une des magnificences de Trimalcion, qui est un jeu de festin assez plaisant. On l'assaisonne avec le sel, le poivre & le jus de citron : malgré ce correctif, il est peu de personnes qui puissent en manger une certaine quantité sans les trouver fastidieux : mais si on n'en mange que deux ou trois, on les digere communément assez bien, c'est-à-dire pourtant les estomacs accoutumés aux viandes délicates ; car l'ortolan est éminemment & exclusivement consacré aux sujets de cet ordre. Les manoeuvres & les paysans ne sauroient s'en accommoder. V. GRAISSE, Diete.

On doit ranger avec l'ortolan dans le même ordre des sujets diététiques, plusieurs autres petits oiseaux très-gras, que nous avons coutume de manger ; tels que le bequefigue, le rouge-gorge, les meuriers de Gascogne, la fauvette & le rossignol, qui sont très-gras en automne, le guignard de Beauce, &c. (b)


ORTONE(Géog. anc.) , ville du Latium, située au-delà de l'Algidum, fort près de Corbion, aux environs de Préneste & de Labicum. C'est aujourd'hui Ortone-sur-mer, qui a été érigé en évêché en 1570. par le pape Pie V.


ORTUGUES. f. (Comm.) monnoie de Danemarck, de la valeur de deux oboles.


ORTYGIE(Géog. anc.) petite île sur la côte orientale de Sicile, jointe à Syracuse par un pont, & à l'embouchure de l'Alphée. La fontaine d'Aréthuse l'arrosoit. Virgile nous apprend toutes ces choses :

Sicanio praetenta sinu jacet insula contra

Plemmyrium undosum, nomen dixere priores

Ortygiam. Alpheum fama est huc Elidis amnem

Occultas egisse vias subter mare : qui nunc

Ore, Arethusa, tuo siculis confunditur undis.

Numina magna loci jussi veneramur.

Aeneid. l. III. v. 692.

" Vis-à-vis des rochers de Plemmyre est une île que les premiers habitans de la Sicile ont nommé Ortygie. On dit que le fleuve Alphée, qui arrose les champs d'Elide, amoureux de vous, ô fontaine d'Aréthuse, se fraie une route secrette sous la mer, & se rend dans l'Ortygie pour y mêler ses eaux avec les vôtres. Lorsque nous fumes près de cette île, nous adressâmes des voeux aux divinités qu'on y revere ".

Cette île d'Ortygie se nomme aujourd'hui l'île de san Marciano, qui est devant le port de Syracuse.

On sait que l'île de Délos est quelquefois appellée Ortygie, à cause de l'abondance des cailles qu'elle nourrissoit. (D.J.)


ORULA(Hist. nat. Bot.) arbre de l'île de Ceylan, qui est de la grandeur d'un pommier. Il porte un fruit assez semblable à une olive, mais qui se termine en pointe par les deux bouts ; sa peau est d'un verd rougeâtre, & couvre un noyau fort dur qui est purgatif, & propre à teindre en noir. Si on écrase ce noyau, & qu'on le laisse tremper dans de l'eau, cette liqueur devient propre à emporter la rouille du fer, & elle prend une couleur aussi noire que l'encre.


ORUSS. m. (Mythol. égypt.) ou Horus, fils d'Osiris & d'Isis, fut le dernier des dieux qui regnerent en Egypte. Il déclara la guerre au titan Typhon, qui avoit fait périr Osiris ; & après l'avoir vaincu & tué de sa main, il monta sur le trône de son pere : mais il succomba dans la suite sous la puissance des princes titans, qui le mirent à mort. Isis sa mere, qui possédoit les secrets les plus rares, ayant trouvé le corps d'Orus dans le Nil, lui redonna la vie & lui procura l'immortalité, en lui apprenant, dit Diodore, la Médecine & l'art de la divination. Orus en fit un bel usage ; rendit son nom à jamais célebre, & combla l'univers de ses bienfaits. Les figures de ce dieu accompagnent souvent celles d'Isis dans les monumens égyptiens. Il est ordinairement représenté sous l'apparence d'un jeune enfant, tantôt vêtu d'une tunique, tantôt emmaillotté & couvert d'un habit bigarré en losange. Il tient de ses deux mains un bâton dont le bout est terminé par la tête d'un oiseau & par un fouet. Plusieurs savans croient qu'Orus est le même qu'Harpocrate, & que l'un & l'autre ne sont que des symboles du soleil. (D.J.)


ORVALA(Botan.) nom donné par Linnaeus à un genre de plante, que Micheli appelle papia. En voici les caracteres. Le calice particulier de la fleur est en forme d'entonnoir évasé au sommet, tortu & partagé en cinq segmens, dont les deux inférieurs sont plus courts que les autres. La fleur est monopétale, & n'est pas du genre des labiées. Le tuyau est de la longueur du calice ; il est droit, long & séparé en quatre parties. Les étamines sont quatre filets de la longueur de la fleur. Les bossettes des étamines sont au nombre de deux. Le germe du pistil est divisé en quatre ; le stile est simple, & de la même longueur que les étamines ; le stygma est fendu en deux, & pointu. Les grains sont au nombre de quatre, & d'une forme ovale, coupée en maniere de rein. Linnaei gen. plant. p. 278.


ORVALE(Botan.) c'est la principale espece du genre des sclarées de Tournefort, & c'est celle qu'il désigne sous le nom de sclarea pratensis, flore caeruleo. Sa racine est unique, ligneuse, garnie de plusieurs fibres papillaires, brune, d'une saveur qui n'est pas désagréable & qui échauffe le palais & la gorge. Sa tige est haute de deux coudées, de la grosseur du petit doigt, quadrangulaire, velue, noueuse, partagée en des rameaux conjugués & en sautoir, remplie d'une moëlle blanche. Ses feuilles sont deux-à-deux, opposées, portées sur des longues queues ; elles sont velues, ridées, gluantes, puantes, ovalaires, longues d'un empan, larges d'une palme & demie, amples à leur base, terminées en pointe, dentelées en quelque maniere, & crenelées tout-au-tour.

Ses fleurs sortent des aisselles des feuilles. Elles sont disposées en longs épis, & comme par anneaux d'une seule piece, en gueule, bleuâtres ; la levre supérieure est longue, coupée en feuille, & cache un pistil grêle, recourbé, un peu saillant, fourchu, accompagné de quatre embryons, & de deux étamines garnies de sommets oblongs ; la levre inférieure est divisée en trois parties, dont celle du milieu est creusée en cueilleron.

Le calice est un godet, en tuyau cannelé, gluant, partagé en cinq petites pointes. Les embryons sont cachés au fond du calice à l'origine du pistil ; ils se changent en quatre grosses graines arrondies, convexes d'un côté, anguleuses de l'autre, de couleur roussâtre, lisses & polies.

Au sommet de chaque tige sont deux feuilles opposées, d'une figure & d'une texture bien différente des feuilles inférieures ; car elles sont petites, creuses, larges à leur base, sans queue, terminées par une pointe, & d'une couleur purpurine. Cette plante a une odeur forte, puante & une saveur amere ; elle se seme dans les jardins & dans les vergers. Elle est toute d'usage. (D.J.)

ORVALE, (Mat. médec.) toute-bonne ; les feuilles d'orvale ont une odeur qui approche de celle du citron, vive, pénétrante, qui porte à la tête, & une saveur amere aromatique.

L'orvale est connue sur-tout des cabaretiers allemands, dit Ettmuller, pour falsifier leurs vins ; car ils ont coutume de changer le vin du Rhin en un vin muscat par l'infusion des fleurs d'orvale & de sureau.

On en fait beaucoup d'usage dans les pays du nord pour faire de la biere, quand le houblon est rare, ou quand on veut faire la biere plus forte : la biere ainsi préparée est fort enivrante, & inspire de la gaieté qui tient de la folie.

L'orvale est sur-tout recommandée contre la stérilité de cause froide, ou l'intempérie froide de la matrice, contre les fleurs blanches & les vapeurs, soit employée intérieurement, soit employée extérieurement. F. Hoffman compte l'orvale parmi les remedes anti-spasmodiques spécifiques. On en fait boire l'eau distillée ou l'infusion, ou bien on les fait prendre en lavement. Ces remedes calment efficacement les coliques intestinales. J. Ray prétend que des gâteaux frits, ou des especes de beignets préparés avec les fleurs d'orvale guérissent la foiblesse des lombes, & portent à l'amour. Ce même auteur dit, d'après Schwenckfeld, que cette plante réduite en poudre & prise en guise de tabac, guérit l'épilepsie ; elle fait éternuer.

La graine d'orvale est très-mucilagineuse. Le mucilage qu'on en retire est fort recommandé pour les maladies des yeux. On dit même que cette graine entiere introduite dans l'oeil, en fait sortir les corps étrangers qui y sont tombés. Extrait de la mat. méd. de Geoffroi. Le suc d'orvale entre dans l'emplâtre diabotanum.


ORVETORVERT, ANVOYE, (Hist. nat.) serpent aveugle, coecilia ; serpent dont la morsure n'est point dangereuse. On lui a donné le nom de serpent aveugle parce qu'il a les yeux fort petits. On le trouve dans les trous & dans les fentes des rochers. Il a ordinairement douze ou quinze pouces de longueur, il est de forme cylindrique ; il a la tête petite & l'ouverture de la bouche fort grande. Le corps est couvert en entier de petites écailles, qui sont en partie brunes, en partie blanches & en partie jaunes. La couleur de l'orvet varie comme celle des autres serpens, selon leur âge & selon la saison. On voit des orvets qui ont une couleur jaune cendrée, ou même blanchâtre ; d'autres sont d'un gris mêlé de brun noirâtre. Le dos est toujours plus foncé que les autres parties du corps. Les couleurs des serpens sont toujours claires & brillantes immédiatement après la mue, qui est le tems où ils changent de peau. Ce renouvellement arrive au printems. A mesure qu'ils s'éloignent du tems de la mue, leurs couleurs deviennent de plus en plus foncées & plus obscures. Voyez SERPENT.


ORVIETANS. m. (Pharmacie) fameux antidote ou contre-poison, ainsi appellé parce qu'il fut inventé & débité par un opérateur qui étoit d'Orviete en Italie, qui en fit des expériences publiques sur lui-même, en prenant différentes doses de poison. Voyez ANTIDOTE & POISON.

Dans la pharmacopée de Charas, il y a une méthode de faire l'orvietan, où il paroît que la thériaque de Venise est un des principaux ingrédiens qui y entrent. Voyez THERIAQUE.


ORVIETE(Géog. mod.) ancienne ville d'Italie, capitale d'un petit pays de même nom, au patrimoine de S. Pierre, avec un évêché suffragant du pape. Cette ville est sur un rocher escarpé, près du confluent de la Paglia & de la Chiana, à 60 milles de Rome, 6 de Bolsena, & 20 de Viterbe. Long. 29. 45. lat. 42. 42.

Orviete est l'Urbiventum des anciens. Ludovico Monaldelco, qui fleurissoit dans le xiij. & le xiv. siecle, étoit natif d'Orviete. Il est célebre pour avoir écrit des mémoires de son tems à l'âge de cent quinze ans.


ORVINIE(Géogr. anc.) en latin Orvinium ; ville d'Italie dans le territoire d'Orviete. Elle devoit être entre Rieti, Norcia, & les frontieres de l'Abruzze ultérieure.

Denys d'Halicarnasse, l. I. c. vj. dit que cette ville étoit autrefois la plus grande & la plus renommée de tout le pays. Il ajoute : on découvre encore les fondemens de ses murs, anciens restes de sa magnificence, & l'enceinte de plusieurs sépulchres qui s'étendent fort loin sur les hauteurs : on y voit même un temple antique de Minerve bâti dans l'endroit le plus élevé de la ville.


ORVIUMou ORUBIUM, (Géog. anc.) promontoire de l'Espagne tarragonoise, au pays des Callaici lucenses, selon Ptolémée, l. II. ch. vj. Ce promontoire doit être entre le cap de Finisterre & l'embouchure du Minho. (D.J.)


ORYCTOGRAPHIou ORYCTOLOGIE, (Hist. nat.) c'est la partie de l'histoire naturelle qui s'occupe de la description des fossiles ; ces mots viennent du grec , fodio. Ce sont des synonymes de Minéralogie, voyez cet article.


ORYCTOLOGIES. f. (Hist. nat.) l'oryctologie ou l'oryctographie, est cette partie de l'histoire naturelle qui traite & décrit les fossiles ; car les fossiles s'appellent en grec orycta. Sous ce terme générique, est comprise la doctrine des sels, des soufres, des marbres, des pierres communes, des pierres précieuses, & des métaux. (D.J.)


ORYGMA(Antiq. d'Athènes) ; nom donné à la fosse qu'on appelloit le plus communément barathron. C'étoit une sorte de précipice ténébreux, hérissé de pointes au sommet & au fond, afin de percer de toutes parts ceux qu'on y jettoit, pour les faire périr. Le maître des oeuvres chargé de cette exécution, en prenoit le nom, . Potter, archaeol. graec. l. I. c. xxv. t. I. pag. 134. (D.J.)


ORYX(Géog. anc.) ancienne ville d'Espagne dans la Bétique. Elle étoit très-riche, dans un terroir fertile, & aux confins des Méleces selon Tite-Live, l. XXVIII. c. iij. qui raconte de quelle maniere elle fut prise par L. Scipion, frere du grand Scipion.


ORZILvoyez AIGLE.


OSS. m. (Anatomie) c'est une des parties solides du corps, la plus dure, la plus cassante, laquelle est faite pour la défense des parties molles, & pour le support de toute la machine. Voyez CORPS, PARTIE.

Tous les os sont couverts d'une membrane particuliere que l'on appelle le périoste ; & plusieurs d'entr'eux sont creux & remplis d'une substance huileuse, que l'on appelle la moëlle. Voyez PERIOSTE & MOËLLE. Le docteur Havers dans sa description des os, remarque qu'ils consistent en petites bandes placées les unes sur les autres, qui ont des fibres qui courent en long d'un bout des os jusqu'à l'autre, & qui dans quelques-uns d'entr'eux, ne vont pas si loin ; quoique quelques-unes n'aient point leur fin absolument marquée comme elles semblent l'avoir : mais au lieu de cela, elles continuent transversalement, & selon que les os sont couchés, les fibres d'un côté se rencontrant & s'unissant avec celles de l'autre à chaque extrêmité ; desorte que chaque fibre est une continuation l'une de l'autre, quoique cette continuation ne se fasse point uniformément, mais en ellipses très-longues, puisqu'elles ne sont pas toutes d'une même longueur continue, mais qu'elles sont placées par bandes plus courtes les unes que les autres. Ces petites bandes sont différemment disposées selon les différens os : par exemple, dans ceux qui ont une grande cavité, elles sont contiguës les unes aux autres de chaque côté, & très-serrées les unes contre les autres. Dans les os dont les cavités sont plus petites, ou dont l'intérieur est spongieux, plusieurs des bandes internes sont placées à quelque distance les unes des autres, & ont entr'elles de petites cellules osseuses ; & même dans les os dont la cavité est grande, on trouve quelques-unes de ces petites cellules à leurs extrêmités. Les os dont les bandes sont contigues, ont des pores à-travers & entre ces mêmes bandes, outre ceux qui servent au passage des vaisseaux sanguins : les premiers pores pénétrent transversalement les bandes, & sont sur la cavité de la surface extérieure de l'os. Les seconds couvrent longitudinalement les bandes. Les premiers sont situés entre chaque bande, quoique le plus grand nombre en soit plus proche de la cavité ; mais ils ne sont pas directement les uns sur les autres, ensorte qu'ils forment un passage continué de la cavité à la surface. Les seconds s'apperçoivent à l'aide de bons microscopes. C'est par leur moyen que l'huile médullaire coule à-travers les bandes ; & les pores de la premiere sorte semblent leur être subordonnés en ce qu'ils servent à leur porter l'huile.

M. Morgagni, adv. ij. page 55. observe que le docteur Havers ne parle point de fibres perpendiculaires qui se détachent de chaque lame, & que Malpighi avoit déjà observées, comme Gagliard en convient lui-même, d'où il conjecture que les pores que Clopton Havers dit avoir observés dans les lames les plus compactes, peuvent bien avoir été fermés, parce que c'est dans un filet perpendiculaire qu'il ne connoissoit pas, qu'ils s'étoient rompus ; & cela est d'autant plus probable, continue notre auteur, que Gagliard dans sa préface, avertit que cela lui est arrivé dans ses premieres recherches lorsqu'il y faisoit moins d'attention, mais qu'il avoit enfin découvert que ces filets passoient par ces trous.

Les os sont en général plus gros à leurs extrêmités que dans le milieu, afin que leurs articulations soient plus fermes, & qu'ils ne puissent pas se disloquer si facilement : mais afin que ce milieu, qui est le plus mince, soit néanmoins assez fort pour porter sa charge, & pour être en état de résister aux accidens, les fibres de cet endroit sont plus serrées les unes contre les autres, & elles se soutiennent réciproquement. On peut remarquer aussi que l'os étant creux n'est pas si facile à être brisé que s'il eût été plein & plus petit : car de deux os de longueur égale, & qui ont le même nombre de fibres, la force de l'un est à celle de l'autre en raison de leur diamêtre. Voyez GEANT.

Les os sont différemment liés & attachés ensemble, selon leurs différens usages. Quelques-uns sont formés pour être mis en mouvement, & d'autres pour le repos, & pour supporter seulement les parties qui y sont attachées. Les os sont unis & articulés. L'articulation est de deux sortes, la diarthrose & synarthrose ; & chacune de ces sortes se subdivise en plusieurs autres. Voyez ARTICULATION, DIARTHROSE. Il y a trois sortes d'union ou de symphise, la syssarcose, la synchondrose, la synévrose. Voyez SIMPHISE, &c.

Le nombre des os est ordinairement de 242, quelques-uns disent 300, d'autres 307, d'autres 318 ; mais les Anatomistes modernes le fixent à 248 environ. Il y en a 62 dans la tête, 56 dans le tronc, 64 dans les bras & les mains, & 62 dans les jambes & les piés. Les différences des nombres des os, sont dans les sésamoïdes, les dents & le sternum. Nous allons donner les noms des différens os, voyez leur figure & le lieu où ils sont placés dans nos Planches d'Anat. & leur description sous leur article. Le coronal ou l'os du front 1 ; l'occipital 1 ; les os pariétaux 2 ; les os des tempes 2 ; les petits os de l'ouie 8 ; l'os ethmoïde 1 ; l'os sphénoïde 1 ; les os des joues 2 ; les os maxillaires 2 ; les os unguis 2 ; les os du nez 2 ; les cornets inférieurs du nez 2 ; les os du palais 2 ; le vomer 1 ; l'os de la machoire inférieure 1 ; les dents incisives 8 ; canines 4, molaires 20 ; l'os hyoïde 1 ; les vertebres du col 7 ; du dos 12 ; des lombes 5 ; l'os sacrum 1 ; le coccyx 1 ; les omoplates 2 ; les clavicules 2 ; les côtes 24 ; le sternum 1 ; les pieces des os des hanches 6 ; les omoplates 2 ; les radius 2 ; les cubitus 2 ; les os du carpe 16 ; du métacarpe 18 ; des doigts 30 ; les os de la cuisse 2 ; les rotules 2 ; les tibia 2 ; les péronés 2 ; les os du tarse 14 ; du métatarse 10 ; des doigts 28 : 248. Voyez -en la description à leur article particulier.

Outre les os sésamoïdes, que l'on dit être au nombre de 48, le moindre de tous les os est l'orbiculaire, & le plus gros est le fémur. Quant à la maniere dont les os s'ossifient, voyez OSSIFICATION.

On remarque sur les os outre leurs cavités internes, des cavités externes, qui servent à leur articulation ; telles sont la cavité cotyloïde des os des isles, la cavité glénoïde de l'omoplate, &c. D'autres servent à défendre les parties molles, comme sont les fosses orbitaires, dans lesquelles les yeux sont placés, le crâne qui contient le cerveau. Voyez COTYLOÏDE, GLENOÏDE, &c.

Il y a aussi sur les os différentes éminences qui, en donnant attache aux muscles, servent à étendre leur action en les éloignant du centre du mouvement. Entre ces éminences les unes sont contiguës à l'os, & s'appellent épiphyses ; les autres sont continues, & on les nomme apophyse. Voyez ÉMINENCE, APOPHYSE & éPIPHYSE.

OS SURNUMERAIRES, (Anatomie) les os nommés surnuméraires, clefs ou ossa Wormiana, suivent, quand ils se trouvent, la même analogie que les autres os du crâne. Comme ils font partie de la voûte du crâne, ils semblent plus grands au dehors qu'au dedans ; & plus le crâne où ils se trouvent est épais, plus leur surface interne est petite à l'égard de l'externe. Les dents qu'ils avoient d'abord gravées dans les deux tables, disparoissent peu-à-peu de la table interne ; & leur union, avec les autres os, ne s'y remarque que comme une ligne. Il leur arrive encore avec l'âge, ce qui arrive aux autres os du crâne, c'est de s'unir avec eux en dedans, pendant qu'à la surface convexe ils en paroissent distingués, desorte qu'on jugeroit d'abord qu'ils ne pénétrent pas, & qu'ils n'ont jamais pénétré dans la concavité du crâne.

Je ne nie point pour cela qu'il n'y ait de petits os surnuméraires, qui ne s'étendent jusqu'au dedans du crâne. M. Hunauld dit avoir vu des os surnuméraires tout-à-fait différens de ces derniers. Ils étoient à l'intérieur du crâne, ne s'étendoient pas jusqu'à la table externe, & étoient à l'endroit des sutures. Ils tombent ordinairement quand on démonte les piéces du crâne ; & lorsqu'on remonte ces pieces, on croit sans faire trop d'attention, que le vuide qu'ils ont laissé en se détachant, est causé par la rupture d'une dent. (D.J.)

OS, (Chimie) Voyez SUBSTANCES ANIMALES.

OS, (Critiq. sacrée) la loi de l'Exode, xij. 46. défendoit de rompre les os de l'agneau que l'on mangeoit à Pâques. Os signifie les forces du corps : dispersa sunt omnia ossa mea, Ps. xxj. 15. mes forces se sont dispersées. Il se prend pour un corps mort : adsportate ossa mea vobiscum, Gen. l. 24. Jacob & Joseph ordonnerent qu'on transportât leurs corps pour être ensévelis dans la terre de Chanaan, avec ceux de leurs peres. Ce mot veut dire aussi parenté, os meum es, & caro mea, II. Reg. xix. 13. je vous suis étroitement uni par la naissance. (D.J.)

OS DE CERF, DAIM & CHEVREUIL, (Vénerie) ce sont les ergots des bêtes privées, & ce qui forme la jambe aux bêtes fauves ; d'abord que le cerf fuit, il donne des os en terre.

OS DE SECHE, (Commerce) Ce qu'on appelle os de seche, n'est autre chose qu'une espece d'os qui se rencontre sur le dos d'un poisson qui porte ce nom. Cet os est fort en usage chez les Orfévres & chez les Fondeurs, pour faire des moules.


OSACA(Géog.) grande & commerçante ville du Japon, l'une des cinq impériales dans l'île de Niphon, sur la riviere de Jedogawa. Kaempfer en a donné une description détaillée. Long. suivant Harris, 150. 31. 15. lat. 35. 5.


OSCA(Géog. anc.) ancienne ville de l'Espagne Tarragonoise, au pays des Ilergetes, dans les terres, selon Ptolémée, liv. III. c. vj. Plutarque en fournit ici un beau passage dans la vie de Sertorius ; il dit : " Parmi les nations qui lui étoient soumises, il fit choisir les enfans des plus nobles maisons, les mit tous ensemble dans Osca, belle & grande ville, & leur donna des maîtres pour leur enseigner les Lettres grecques & romaines. C'est sans doute cette institution de Sertorius, qui jetta en Espagne les semences de cet amour des Belles-Lettres, qui y produisit ensuite tant d'hommes illustres, entr'autres Columelle, Pomponius Mela, les Séneques, Lucain, Martial, Florus, Quintilien, & tant d'autres espagnols célebres, qui se sont fait un grand nom entre les écrivains de l'ancienne Rome ". Cette ville d'Osca est aujourd'hui Huesca, & elle auroit bien besoin d'un nouveau Sertorius.

Ptolémée, liv. II. c. iv. parle d'un autre Osca, qui étoit une ville d'Espagne dans la Bétique, chez les Turditains. Il les distingue ainsi pour leur position. Osca Ilergetum. Long. 16. 1. lat. 42. 20. Osca Turditanorum. Long. 5. 37. lat. 42. 15.


OSCABRIONS. m. (Conchyliol.) coquillage de la classe des multivalves. Ce coquillage dont peu d'auteurs ont fait mention, a reçu différens noms. Petiver l'appelle oscabrion carolinum perelegans ; d'autres le nomment cimex marina, punaise de mer. Il y en a qui lui donnent le nom de nacelle ou chenille de mer ; quelques-uns, de cloporte ou chaloupe de mer. Il paroît que c'est plutôt une espece de lépas oblong à huit côtes séparées, qui s'attache aux rochers ainsi que les autres ; ses huit côtes séparées semblent l'exclure de la classe des univalves, & le porter naturellement dans celle des multivalves.

L'oscabrion carolinum vient de l'Amérique, & se prend sur les côtes de la grande anse, île de Saint-Domingue.

L'oscabrion gallicum vient de Dieppe, & montre quelque différence avec le premier, en ce que ses côtes, quoiqu'en même nombre, ont à chaque extrêmité de petits crans qui s'élevent & se réunissent sur les contours de la coquille.

L'animal qui habite le coquillage, a une tête formant un trou ovale à une de ses extrêmités ; & à l'autre est l'anus ou la sortie des excrémens. Cet animal n'a point de cornes, point de yeux ni de pattes ; il rampe sur le rocher comme le lépas.


OSCELLEISLE D ', (Géog.) en latin du moyen âge Oscellus, nom d'une petite île ou peninsule située proche de Rouen, & d'une autre presqu'île à trois lieues & demie de Paris. M. l'abbé Lebeuf a donné un mémoire sur cette petite île d'Oscelle, dans le Recueil de Littérature. Je voudrois qu'on n'écrivît que quatre lignes sur des objets de si petite importance.


OSCHENFURT(Géog.) petite ville d'Allemagne en Franconie, à six lieues au-dessus de Wurtzbourg sur le Mein qu'on y passe sur un pont de pierre. Long. 27. 36. lat. 49. 35. (D.J.)


OSCHÉOCELES. f. terme de Chirurgie ; c'est une hernie complete , dans laquelle l'épiploon ou l'intestin, ensemble ou séparément, passent par l'anneau du muscle oblique externe du bas-ventre pour former une tumeur dans le scrotum aux hommes, & dans la grande levre aux femmes.


OSCHOPHORIES. f. (Antiquit. grecques) fêtes en l'honneur de Bacchus & de Minerve. Cette fête qu'on peut nommer fête des rameaux, avoit été instituée par Thésée ; aussi dans la procession il se trouvoit toujours deux jeunes garçons habillés en filles, pour représenter ceux que ce héros conduisit à Candie dans ce déguisement.

Cette fête s'appelloit oschophorie, oschophoria, du mot grec osche, qui signifie proprement une branche de vigne chargée de raisins mûrs, parce que tous ceux qui assistoient à la procession y portoient de semblables branches.

On choisissoit au sort un certain nombre de jeunes garçons des plus nobles familles de chaque tribu, qui avoient tous leur pere & leur mere vivans. Ils tenoient à la main des branches de vigne, & couroient à l'envi depuis le temple de Bacchus jusqu'au temple de Minerve Scirade, qui étoit au port de Phalèse. Ils étoient suivis d'un choeur, conduits par deux jeunes hommes habillés en filles, & qui chantoient les louanges de ces jeunes garçons. De vraies femmes les accompagnoient, portant sur leur tête des corbeilles ; & l'on choisissoit pour cet emploi les plus riches de la ville ; toute la troupe étoit précédée par un héraut.

On associoit aux sacrifices d'autres femmes, qu'on appelloit déipnophores, parce qu'elles portoient toutes sortes de provisions de bouche à la troupe des jeunes gens qui avoient été nommés par le sort pour se rendre en course au temple de Minerve. Cette fête se célebroit dans toute l'Attique le quatrieme ou le cinquieme mois des Athéniens, c'est-à-dire en Octobre ou en Novembre, parce qu'alors on vit cesser la stérilité dont l'Attique avoit été affligée.

Le refrein des hymnes qu'on chantoit à diverses reprises dans cette fête, étoit ces deux mots , pour faire comprendre aux Grecs ce dont toutes les nations devroient être convaincues par expérience, que la prospérité & l'adversité se suivent, & par conséquent qu'il faut se défier de la premiere, & ne pas désesperer avec la seconde. (D.J.)


OSCILLATIONS. f. terme de Méchanique, qui signifie la même chose que vibration ; c'est-à-dire le mouvement d'un pendule en descendant & en montant, ou, si on peut parler ainsi, sa descente & sa remontée consécutives & prises ensemble.

Axe d'oscillation est une ligne droite parallele à l'horison, qui passe, ou qui est supposée passer par le centre ou point fixe autour duquel le pendule oscille, & qui est perpendiculaire au plan où se fait l'oscillation. Voyez AXE.

Si on suspend un pendule simple entre deux demi-cycloïdes, dont les cercles générateurs aient leur diametre égal à la moitié de la longueur du fil, toutes les oscillations de ce pendule, grandes & petites, seront isocrones, c'est-à-dire, se feront en tems égal. Voyez CYCLOÏDE & ISOCRONE.

Le tems d'une oscillation entiere dans un arc de cycloïde quelconque est au tems de la descente perpendiculaire par le diamétre du cercle générateur, comme la circonférence du cercle est au diamétre.

Si deux pendules décrivent des arcs semblables, les tems de leurs oscillations seront en raison soudoublée de leurs longueurs.

Les nombres d'oscillations isocrones, faites par deux pendules dans le même tems sont entr'eux en raison inverse du tems que durent les oscillations prises séparément.

On trouve plus au long dans l'article PENDULE les lois du mouvement & des oscillations du pendule simple, c'est-à-dire, du pendule composé d'un seul poids A fort petit, & qu'on regarde comme un point, & d'une verge ou fil C A (fig. 36. Méchan.) dont on considere la pesanteur ou la masse comme nulle. Il est beaucoup plus difficile de déterminer les lois d'un pendule composé, c'est-à-dire, les oscillations d'une verge B A (fig. 22.), que l'on regarde comme sans pesanteur & sans masse, & qui est chargée de plusieurs poids D, F, H, B ; il est certain que cette verge ne fait pas ses oscillations de la même maniere que s'il n'y avoit qu'un seul poids ; par exemple B, car supposons qu'il n'y ait en effet qu'un poids B, ce poids tendra à décrire la petite ligne B N au premier instant : or, s'il y avoit d'autres poids en H, F, D, ces poids tendroient à décrire dans le même instant les lignes H M, F L, D K, égales à B N, desorte que la portion D B de la verge devroit se trouver en K N ; & par conséquent la portion A D se trouveroit dans la situation A K ; or cela ne se pourroit faire sans que la verge A D B se brisât en D ; & comme on la suppose inflexible, il est donc impossible que les poids B, H, F, D, décrivent les lignes B N, H M, F L, D K, &c. mais il faut que ces poids décrivent des lignes B C, H I, F G, D E, qui soient telles que la verge A D B conserve toujours sans se plier la forme d'une droite A E C. Or on peut imaginer un pendule simple d'une certaine longueur, qui fasse ses oscillations dans le tems que le pendule composé A D B fait les siennes. Ainsi la difficulté se réduit à trouver la longueur de ce pendule simple, & trouver la longueur de ce pendule simple, est la même chose que ce que les Géometres appellent trouver le centre d'oscillation.

Le célebre M. Huyghens est le premier qui ait résolu ce problême dans son excellent ouvrage de horologio oscillatorio. Mais la méthode dont il s'est servi pour le résoudre, quoique bonne & exacte, étoit susceptible de quelques difficultés.

Toute la doctrine de ce grand géometre sur le centre d'oscillation est fondée sur l'hypothèse suivante ; que le centre de gravité commun de plusieurs corps doit remonter à la même hauteur d'où il est tombé, soit que ces corps soient unis, ou separés l'un de l'autre en remontant, pourvu qu'ils commencent à remonter chacun avec la vîtesse acquise par sa chûte. Voyez CENTRE DE GRAVITE.

Cette hypothèse a été combattue par quelques auteurs, & regardée par d'autres comme fort douteuse. Ceux même qui convenoient de la vérité ne pouvoient s'empêcher de reconnoître qu'elle étoit trop hardie pour être admise sans preuve dans une science où l'on démontre tout.

Ce même principe a été démontré depuis par plusieurs géometres, & il n'est autre chose que le fameux principe connu autrement sous le nom de conservation des forces vives, dont les Géometres se sont servis depuis avec tant de succès dans la solution des problêmes de dynamique. Voyez DYNAMIQUE & FORCES VIVES.

Cependant, comme le principe de M. Huyghens avoit paru incertain & indirect à plusieurs géometres ; ces considérations engagerent M. Jacques Bernoulli, professeur de Mathématique à Bâle, mort en 1705, à chercher une solution du problême dont il s'agit. Il en trouva une assez simple, tirée de la nature du levier, & la fit paroître dans les mémoires de l'Acad. des Sciences de Paris, année 1703. Après sa mort, son frere Jean Bernoulli fit imprimer dans les mémoires de la même académie, année 1714, une autre solution du même problême, encore plus facile & plus simple. Nous ne devons point oublier de dire, qu'environ dans le même tems M. Taylor, célebre géometre anglois, trouva une solution à-peu près semblable à celle de M. Bernoulli, & la fit paroître dans son livre intitulé methodus incrementorum ; ce qui fut le sujet d'une dispute entre les deux géometres qui s'accuserent réciproquement de s'être pillés. On peut voir les pieces de ce procès dans les actes de Leipsic de 1716 ; & dans les oeuvres de M. Bernoulli, imprimées à Lausanne in -4°. en 1743. Quoi qu'il en soit, voici le précis de la théorie de M. Jean Bernoulli ; elle consiste en général à chercher d'abord quelle devroit être la gravité dans un pendule simple, de même longueur que le composé, pour que les deux pendules fissent leurs oscillations dans un tems égal. Il faut pour cela que le moment des deux pendules soit le même ; ensuite au-lieu de ce pendule simple d'une longueur connue, & d'une pesanteur supposée, M. Bernoulli substitue un pendule simple animé par la gravité naturelle, & il trouve aisément par une simple proportion la longueur que ce nouveau pendule doit avoir pour faire les vibrations en même tems que l'autre.

Quoique la méthode de M. Bernoulli soit assez simple, elle peut encore être simplifiée, même en faisant usage de son principe, comme je l'ai démontré dans mon traité de dynamique, l. II. c. iij. probl. 1. & j'ai d'ailleurs donné en même tems une méthode particuliere extrêmement simple pour résoudre ce problème. Voici une idée de cette méthode.

Il est certain que les corps B, H, F, D, ne pouvant décrire les lignes B N, H M, F L, D K, décrivent des lignes B C, H I, F G, D E, qui sont entr'elles comme les distances A B, A H, A F, A D, au point de suspension A ; d'où il s'ensuit que toute la difficulté se réduit à connoître une de ces lignes comme B C ; or au lieu de supposer que les corps B, H, F, D, tendent à se mouvoir avec les vîtesses B N, H M, F L, D K, on peut supposer, ce qui revient au même, qu'ils tendent à se mouvoir avec les vîtesses B C - C N, H I - I M, F G + G L, D E + E K, & comme de ces vîtesses il ne reste que les vîtesses B C, H I, F G, D E, il s'ensuit que si les corps B, H, F, D, n'avoient eu que les vîtesses - C N, - I M, G L, E K, la verge A B seroit demeurée en repos. Voyez DYNAMIQUE. Donc par la nature du levier on aura - B x C N x A B - H x I M x A H + F x G L x A F + D x E K x A D = 0. Or dans cette équation il n'y a qu'une seule inconnue, puisqu'en supposant B C donnée, tout le reste est donné ; on aura donc par cette équation la valeur de B C, & par le rapport de B C à E N, on connoîtra le rapport de la vîtesse du pendule composé à celle d'un pendule simple qui seroit de la longueur de B A ; d'où il s'ensuit qu'on trouvera facilement la longueur du pendule simple isocrone au pendule composé ; en cherchant un pendule dont la longueur soit à A C comme B N est à B C. Voyez sur cela mon traité de dynamique, l. II. ch. iij. probl. 1. vous y trouverez d'autres remarques curieuses sur le problême dont il s'agit ici.

Centre d'oscillation d'un pendule, est donc proprement, suivant ce qu'on vient de dire, un certain point pris dans ce pendule, prolongé, s'il est nécessaire, & dont chaque vibration se fait de la même maniere que si ce point seul & isolé étoit suspendu à la distance où il est du point de suspension.

Ou bien, c'est un point tel, que si on y suppose ramassée toute la gravité du pendule composé, ses différentes oscillations se feront dans le même tems qu'auparavant.

Ainsi la distance de ce point au point de suspension est égale, comme on vient de le dire, à la longueur du pendule simple, dont les oscillations seroient isocrones à celle du corps suspendu. Voyez CENTRE. Chambers.

On appelle aussi en général oscillation le mouvement d'un corps qui va & vient alternativement en sens contraire comme un pendule. Ainsi, par exemple, un corps solide placé sur un fluide peut y faire des oscillations, lorsque ce solide n'est pas en repos parfait ; sur quoi voyez l'article FLOTTER. (O)

OSCILLATION, (Antiquit. grecq. & rom.) espece de balancement que les anciens avoient imaginé pour donner une apparence de sépulture à ceux qui se défaisoient eux-mêmes ; car on croyoit que leurs manes ne pouvoient jouir d'aucun repos, & l'on y remédioit par l'oscillation, qui consistoit à attacher à une corde, une petite figure qui représentoit le mort ; on balançoit ensuite cette figure dans l'air, & enfin on lui faisoit des funérailles. Dans le beau tableau de la prise de Troye par Polygnote, on voit, dit Pausanias, Ariadne assise sur une roche. Elle jette les yeux sur Phèdre sa soeur, qui, élevée de terre, & suspendue à une corde qu'elle tient des deux mains, semble se balancer dans les airs. C'est ainsi, continue l'historien, que le peintre a voulu couvrir le genre de mort, dont on dit que la malheureuse Phèdre finit ses jours. (D.J.)


OSCITATIONS. f. mot francisé du latin oscitatio, qu'on emploie quelquefois en Médecine pour bâillement. Voyez BAILLEMENT.


OSCLAGES. m. (Jurisprud.) & par corruption, oclage, ousclage, ouclage, & onclage, du latin osculum, est le nom que l'on donne au douaire dans quelques coûtumes, comme celle de la Rochelle.

Ce terme paroît venir de ce qui se pratiquoit autrefois chez les Romains. Après que les futurs conjoints avoient été accordés, ils se donnoient réciproquement un baiser, qui faisoit partie de la cérémonie, ce baiser étoit nommé osculum. Cette cérémonie étoit suivie des présens que les futurs époux se faisoient l'un à l'autre, & comme le baiser, osculum, étoit regardé comme le gage du mariage, les dons faits de la part du futur époux étoient censés faits pro osculo, ce qui leur a apparemment fait donner le nom d'osclage, dans les coûtumes dont on a parlé.

Le droit d'osclage tient lieu du douaire, & ressemble plus particulierement à l'augment de dot.

Dans la coûtume de la Rochelle l'osclage est de la moitié de la dot qui entre en communauté, ce qui s'appelle tiers en montant.

Il n'est pas dû sans stipulation, laquelle ne peut être faite que par contrat de mariage ; il n'a lieu qu'en cas de renonciation à la communauté.

De droit il ne se regle qu'à proportion de la partie de la dot actuelle qui entre en communauté, mais on peut par convention le rendre plus fort.

Il est toujours dû à la femme sans retour.

La femme peut toujours le demander, quoique la dot n'ait pas été payée, pourvû qu'elle fût réelle.

Le douaire & l'osclage peuvent concourir ensemble lorsqu'on est ainsi convenu par le contrat de mariage.

Il n'est pas ordinaire de stipuler un osclage en cas de secondes nôces de la femme ; cependant cette convention n'est pas prohibée.

Enfin l'osclage n'est dû que par le décès du mari.

Sur ce qui concerne ce droit, voyez le Glossaire de Lauriere, & M. Valin en son Comment. sur la coût. de la Rochelle, tom. II. pag. 531. (A)


OSCOPHORIESS. f. pl. (Hist. anc.) fêtes instituées par Thesée, en mémoire de sa victoire sur le minotaure, par laquelle il avoit délivré les Athéniens du tribut de sept jeunes gens qu'ils envoyoient tous les ans en Crete, pour être dévorés par ce monstre. Voyez MINOTAURE.

Le nom d'oscophories vient des mots grecs , branche de vigne chargée de grappes, & , je porte. Plutarque dit que ces fêtes furent ainsi nommées, parce que Thesée les institua à son retour à Athenes, & qu'on étoit alors dans le tems des vendanges ; & d'autres parce qu'elles furent instituées en l'honneur de Minerve & de Bacchus qui avoient assisté Thesée dans cette entreprise ; quelques-uns veulent qu'on y honorât Bacchus & Ariadne.

Dans les oscophories tous les jeunes gens qui avoient leur pere & leur mere, prenoient des habits de fille & couroient au temple de Bacchus & à celui de Minerve, ayant des grappes de raisin dans leurs mains. Celui qui y arrivoit le premier étoit déclaré vainqueur, & offroit un sacrifice en versant une liqueur qui étoit contenue dans une phiole, & composée de vin, de miel, de fromage, de fleurs, & d'huile. Voyez l'article OSCHOPHORIES.


OSCULATEURadj. en Géométrie, rayon osculateur d'une courbe, est le rayon de la developpée de cette courbe ; & cercle osculateur est le cercle qui a pour rayon le rayon de la développée. Voyez OSCULATION & DEVELOPPEE.

On appelle ce cercle osculateur, parce qu'il embrasse pour-ainsi-dire la developpée en la touchant ; car il la touche & il la coupe tout-à-la-fois, étant d'un côté à la partie concave de la courbe, & de l'autre à la partie convexe.

Dans le cercle tous les rayons osculateurs sont égaux, & sont le rayon même du cercle ; la développée du cercle n'étant qu'un point.

Lorsque la courbure est finie, le rayon osculateur est fini, lorsqu'elle est infiniment petite, le rayon osculateur est infini, & enfin lorsqu'elle est infiniment grande, le rayon osculateur est = 0. Voyez COURBURE.

Nous avons promis au mot ENGENDRER, que nous donnerions ici de nouvelles remarques sur les courbes, qui en se développant s'engendrent en elles-mêmes ; mais ayant vû depuis que le savant M. Euler a traité profondément ce sujet dans le tom. XII. des anciens Mémoires de Petersbourg, nous y renvoyons le lecteur. (O)


OSCULATIONS. f. ou baisement, terme en usage dans la théorie des développées. Soit P C la développée d'une courbe ; un cercle décrit du point C comme centre (Pl. analys. fig. 12.) & du rayon de la développée M C, est dit baiser, en M, la developpée, & M. Huyghens, inventeur des développées, a appellé ce point M, point d'osculation, ou point baisant. Voyez DEVELOPPEE.

La ligne M C est appellée rayon osculateur, & le cercle décrit du rayon M C, cercle osculateur ou cercle baisant, Voyez OSCULATEUR.

La développante P C F, est le lieu des centres de tous les cercles qui baisent la développante A M, décrite par le développement de la courbe B C F. Voyez DEVELOPPEMENT & DEVELOPPANTE.

La théorie de l'osculation est dûe à M. Leibnitz, qui a le premier enseigné la maniere de se servir des développées de M. Huyghens, pour mesurer la courbure des courbes. Voyez COURBURE.

On appelle aussi osculation en Géométrie, le point d'attouchement de deux branches d'une courbe qui se touchent. Par exemple, si on a y = x + x3, il est aisé de voir que la courbe a deux branches qui se touchent au point où x = 0, à cause que les radicaux emportent chacun le signe + & -. Voyez BRANCHE & COURBE.

Le point d'osculation differe du point de rebroussement (qui est aussi un point d'attouchement de deux branches), en ce que dans celui-ci les deux branches finissent au point de rebroussement, & ne passent point au-delà, au-lieu que dans le point d'osculation les deux branches existent de part & d'autre de ce point. Dans la fig. 14. n °. 1. d'analyse, D est un point d'osculation ; & dans la fig. 5. G ou C est un point de rebroussement. Voyez REBROUSSEMENT. L'osculation s'appelle embrassement quand la concavité d'une des branches embrasse la convexité de l'autre, c'est-à-dire quand les deux branches qui se touchent sont concaves ou convexes du même côté. (O)


OSCULUM PACISS. n. (Théologie) baiser de paix ; c'étoit autrefois la coûtume dans l'Eglise, que pendant la célébration de la messe, après que le prêtre avoit fait la consécration & proferé ces paroles, pax Domini vobiscum, la paix du Seigneur soit avec vous, les fideles s'embrassoient les uns & les autres, ce qui s'appelloit le baiser de paix.

Après que cette coûtume eut été abrogée, on en introduisit une autre qui est, que le prêtre ayant proferé les paroles ci-dessus, le diacre ou sous-diacre donnoit à baiser au peuple une image qu'on appelloit la paix, c'est ce qui se pratique encore en partie dans l'église de Paris, où après l'agnus Dei, deux acolythes ou enfans de choeur vont présenter à baiser au clergé une espece de reliquaire.

Dans d'autres diocèses, aux messes solemnelles, le célébrant, après l'agnus Dei, donne le baiser de paix au diacre en lui disant, pax tibi frater & Ecclesiae sanctae Dei. Celui-ci répond, & cum spiritu tuo. Le diacre la donne ensuite au soudiacre, puis au premier choriste, celui-ci au second, & ceux-ci donnent chacun de leur côté le baiser de paix à l'ecclésiastique qui occupe la premiere stale, celui-ci à son voisin, & ainsi de suite en répétant les mêmes paroles. On voit que cette cérémonie retient l'idée de l'union & de la charité que la primitive église exigeoit entre ses enfans.


OSÉparticipe d'OSER.


OSÉE(Théol.) le premier des douze petits prophêtes : on regarde ses livres comme les plus anciens, les plus prophétiques que nous ayons. Quoiqu' Amos & Isaïe ayent paru sous le regne d'Osias, ainsi qu'Osée ; celui-ci les a précédés de quelques années. Il est pathétique, court, vif, & sentencieux. Le prophête, quoiqu'inspiré, a toujours le caractere de l'homme ; en parlant par sa bouche, Dieu lui laisse ses préjugés, ses idées, ses passions, ses expressions, son métier, s'il en a un.


OSEILLES. f. (Hist. nat. Bot.) acetosa, genre de plante à fleur sans pétales, composée de plusieurs étamines soutenues par un calice à six feuilles. Le pistil devient dans la suite une semence triangulaire, enveloppée d'une capsule formée par trois feuilles du calice, les trois autres se flétrissent. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Parmi les trente-une especes d'oseille que comptent les Botanistes, il y en a deux principales qui sont en usage dans la Médecine & dans les cuisines, savoir l'oseille ordinaire & la ronde.

L'oseille ordinaire, acetosa vulgaris, acetosa pratensis, oxalis pratensis, a la racine fibreuse, longue, jaunâtre, amere, & styptique ; ses feuilles sont alternes, grandes d'une palme & plus, pointues, échancrées, & à oreilles du côté qu'elles tiennent à leur queue, d'un verd foncé, acides, & succulentes. Sa tige est cannelée, longue d'une coudée, & branchue ; elle porte des fleurs sans pétales, chargées d'étamines garnies de sommets jaunâtres, & qui s'élevent d'un calice composé de six feuilles.

Ray observe que dans cette espece de plante il y a des fleurs stériles ou incomplete s, & d'autres fertiles ou complete s. Les fleurs stériles ne portent point de fruit, & le pistil de celles qui sont fertiles se change en une graine triangulaire, de couleur de châtaigne, luisante, enveloppée dans une capsule feuillée, composée de trois feuilles du calice, & dont les trois autres se fannent.

L'oseille ronde, acetosa & oxalis rotundifolia, seu hortensis, a la racine menue, rampante, d'une saveur astringente ; elle pousse des tiges longues d'une coudée & plus, menues, rampantes. Ses feuilles varient quelquefois ; elles sont presque rondes ; d'autres fois elles sont à oreilles, & d'autres fois elles sont pointues comme une lance, de couleur verd de mer, un peu grasses, d'une saveur aigrelette & délicate : les fleurs & les graines ne sont pas différentes de celles de l'oseille ordinaire.

On cultive beaucoup ces deux especes d'oseille dont les feuilles, la racine, & la graine sont d'usage médicinal.

Le suc des racines donne la couleur de pourpre au papier bleu ; mais cette couleur disparoît bien-tôt après, & il reste une tache brune à cause de la grande quantité d'huile qu'elles contiennent, laquelle tache s'étend peu-à-peu sur les parties qui ont été développées par l'acide.

Les racines contiennent en effet presque trois fois autant d'huile & de terre que les feuilles : elles enveloppent un sel essentiel ammoniacal, nitreux, tel que celui que l'on découvre dans les feuilles : c'est de-là que vient ce goût stiptique & amer des racines ; c'est aussi de-là que vient la vertu qu'elles ont d'ouvrir & de lever les obstructions. Au contraire on découvre dans les feuilles qui contiennent un acide plus développé, la vertu de rafraîchir & de calmer le mouvement de fermentation du sang & de la bile.

La vertu cardiaque des graines est entierement différente de celle des feuilles & des racines, car elle dépend d'une huile abondante, mêlée avec une grande portion de sel ammoniacal, les graines ont encore par leurs parties huileuses la qualité d'adoucir les humeurs âcres, d'amollir les fibres des parties, & de les rendre plus flexibles.

Il résulte de ces détails, que le suc d'oseille s'emploie avec succès dans les fievres bilieuses, soit simples, soit pestilentielles, & que c'est en particulier un excellent remede dans le scorbut alkalin. La racine d'oseille étant amere & astringente, convient dans les décoctions apéritives : les feuilles d'oseille pilées ou bouillies, appliquées extérieurement, sont puissamment résolutives & maturatives. (D.J.)

OSEILLE, (Diete, Mat. méd.) oseille ordinaire, oseille longue, vinette, & oseille ronde.

On prend indifféremment l'une & l'autre oseille, soit pour les usages de la Cuisine, soit pour ceux de la Pharmacie. Ce n'est que les feuilles de ces plantes qu'on emploie à titre d'aliment ; & l'on se sert comme remede de leurs feuilles, de leurs racines, & de leurs semences.

Les feuilles d'oseille dont tout le monde connoît le goût très-acide, se mangent dans les potages avec les viandes, le poisson, les oeufs, &c. Cet assaisonnement est regardé avec raison comme très-salutaire, & sur-tout en été, tems auquel il est principalement en usage, parce que c'est-là la saison de l'oseille. Il tempere, rafraîchit, donne de l'appétit, & réveille le jeu des parties relâchées par la chaleur. Il n'est cependant utile qu'aux sujets vraiment sains ; car on ne doit point le permettre à ceux qui sont sujets aux aigreurs de l'estomac, aux hypocondriaques, aux personnes du sexe qui sont attaquées des pâles couleurs ; à ceux qui sont sujets à la toux, à l'asthme, au crachement de sang, car ce sont-là les affections principales dans lesquelles les alimens & les assaisonnemens acides sont pernicieux.

L'oseille soit en substance accommodée à la maniere des épinards, & mêlée avec cette derniere plante peut tempérer convenablement son acidité ; la décoction & le suc de cette plante, sont regardés par tous les Médecins comme un spécifique dans le scorbut : ces mêmes remedes sont très-utiles aussi, lorsqu'on en combine l'usage avec celui des plantes alkalines, telles que le cochlearia, le cresson, &c. Le célebre Thomas Bartholin a même observé que l'oseille & le cochlearia croissoient en abondance l'un à côté de l'autre dans le Groenland où le scorbut est endémique ; comme si la nature avoit fait naître ces deux plantes ensemble pour que les hommes de ces contrées pussent commodément les tempérer l'une par l'autre, & qu'ils trouvassent dans leur mêlange un remede facile & assuré. Cette observation botanique a été vérifiée par les Naturalistes qui ont voyagé postérieurement dans la plûpart des pays du nord.

Les remedes tirés des feuilles d'oseille dont nous venons de parler, possedent toutes les propriétés communes des acides végétaux spontanés. Ils sont rafraîchissans, anti-putrides, utiles dans les coliques bilieuses, les chaleurs d'entrailles, les digestions languissantes, les fievres ardentes, continues, les fievres tierces, intermittentes, printanieres, &c.

On distille une eau des feuilles d'oseille, qui est de la classe des eaux distillées dépouillées de toute vertu (voyez EAU DISTILLEE), & qu'il est bien singulier de voir donner encore par Géoffroi comme analogue au suc & à la décoction de cette plante, & seulement comme un peu plus foible que ces remedes.

La racine d'oseille n'est point acide ; elle a un goût amer & légérement stiptique. On la compte parmi les remedes apéritifs & diurétiques, & on l'emploie communément à ce titre dans les bouillons & les apozèmes apéritifs. Elle a la propriété singuliere, lorsqu'elle est seche, de donner à l'eau dans laquelle on la fait bouillir une belle couleur rouge délayée. On peut profiter de cette propriété pour faire une tisane dont la couleur imite celle du vin, & tromper avec cette boisson certains malades qui demandent opiniâtrement du vin, & à qui il pourroit être dangereux d'en accorder. Il ne faut pas se mettre en peine dans ce cas qu'ils puissent découvrir la fraude par la différence du goût, parce que ce n'est communément que de la part des malades en délire qu'on a à se délivrer de cette sorte d'importunités ; & qu'au surplus on peut toûjours leur faire entendre que la maladie leur a perverti le goût. Un apozème apéritif, fort usité sous le nom de bouillon rouge, doit sa couleur à la racine d'oseille & à celle de fraisier.

La semence d'oseille qui est émulsive, est comptée parmi les remedes cordiaux & astringens, mais elle est fort peu employée ; & certes il est très-vraisemblable qu'elle est négligée avec raison, surtout à ces titres, & qu'elle ne possede que les qualités très-communes des substances émulsives. Voyez ÉMULSION.

Les feuilles d'oseille appliquées extérieurement en forme de cataplasme sur des tumeurs inflammatoires, sont puissamment résolutives & maturatives. Ce remede est employé très-communément & avec beaucoup de succès.

On fait avec les feuilles d'oseille une conserve & un syrop simple avec leur suc. Le sucre ne fait que tempérer l'acidité de ces feuilles & de ce suc, mais ne la détruit point. Ainsi ces remedes ont les mêmes usages, & à-peu-près les mêmes vertus que les feuilles & que le suc.

La conserve d'oseille entre dans l'opiate de Salomon, la graine dans la confection d'hyacinthe, la poudre diamargariti frigidi, le diascordium, &c. de la plûpart des pharmacopées ; car ces ingrédiens sont bannis de toutes ces compositions dans la pharmacopée de Paris. On ne sait trop par quelle préférence. (b)


OSERv. act. (Gram.) avoir le courage d'entreprendre une chose hardie, périlleuse, difficile. Qu'il ose ? Celui qui ose a mesuré en lui-même ses forces avec son entreprise.


OSERAIES. f. (Jardinage) est une portion de terrein, plantée en osiers. Voyez OSIER.


OSÉRIÉTA(Géog. anc.) île que Pline, liv. XXXVII. c. ij. met sur la côte de Germanie. Il dit qu'elle contenoit une forêt, dont les arbres étoient une espece de cedre, & qu'il en couloit de l'ambre sur les rochers. Quelques géographes prennent cette île pour être l'île d'Oésel. (D.J.)


OSI(Géog. anc.) ancien peuple d'Allemagne. Tacite insinue qu'il n'étoit séparé des Avarisques que par le Danube, & que ces deux peuples étoient également pauvres & également libres ; mais il ne décide point si les Osi étoient des Germains naturels, ou des étrangers établis en Pannonie. Entre les conjectureurs, les uns mettent les Osi en Silésie, les autres aux environs d'Oppel & de Naissa, & d'autres encore à Osenbourg en Westphalie. (D.J.)


OSIANDRIENSS. m. pl. (Hist. ecclés.) secte de Luthériens, qui tirent leur nom d'André Osiander, fameux théologien allemand. Voyez LUTHERIENS.

La doctrine qui les distingue des autres Luthériens, consiste à soutenir que l'homme est justifié formellement par la justice essentielle de Dieu, & non pas par la foi ou l'imputation de la justice de Jesus-Christ, comme le prétendoient Luther & Calvin. Voyez JUSTIFICATION.

Les demi Osiandriens ne reçoivent l'opinion d'Osiander qu'à l'égard de l'autre vie, & prétendent que l'homme étant sur la terre est justifié par l'imputation de la justice de Jesus-Christ, & dans le ciel par la justice essentielle de Dieu. Voyez IMPUTATION.


OSICERDA(Géog. anc.) ancienne ville de l'Espagne tarragonoise chez les Hédetains, selon Ptolomée, liv. II. c. vj. On croit que c'est Ossera. (D.J.)


OSIERS. m. (Jardinage) cette espece de saule vient dans toutes sortes de terroirs, & principalement dans les terres fortes & humides : on le plante souvent en bordure sur des vignes ou vergers ; & pour en tirer plus de profit, on fait des oseraies. On met ces plans dans un endroit frappé du soleil & moins bas que le saule ; car s'ils avoient le pié continuellement humide, ils ne feroient que languir.

Pour en élever, on laboure bien la terre, on en casse avec soin toutes les mottes, & on la met en rayons pour y pouvoir tenir l'eau tant & si peu qu'on voudra. On choisit sur de beaux osiers des boutures bien vives d'un pié & demi de long. On les aiguise par le gros bout ; & après qu'elles ont trempé pendant quatre jours dans l'eau fraîche, mais non pas crue, on les pique un pié en terre entre deux raies, si le champ est bien labouré à raies. On met chaque plan à deux piés l'un de l'autre, sur des lignes droites éloignées entr'elles de trois piés. On garantit les osiers du dégât des bestiaux, parce qu'ils s'élevent en menus sions fort tendres, dont le bétail est très-friand.

On tond les osiers chaque année, quand la feuille en est tombée ; plus ils sont mûrs, mieux ils valent. En coupant les osiers, on en fait des bottes ; ensuite on les trie, on les separe en trois rangs suivant leur grandeur & grosseur. Au premier rang sont les sions les plus longs & les plus gros ; ils servent entr'autres à lier des cercles. Ceux de trois à quatre piés de long composent le second rang ; ils servent à lier de gros treillages, & à d'autres ouvrages ; on les estime selon qu'ils sont minces. On fait le troisieme rang de petits brins, qui n'ont pas plus de deux piés & demi de long, & on met au rebut ceux qui n'ont pas un pié & demi. Les osiers étant triés & épluchés, on les lie par poignées pour ne les pas mêler, & on les fend à loisir avec le fendoir. Voyez FENDOIR (outil de Vannier).

Les Vignerons se servent des osiers pour attacher la vigne ; les Jardiniers, pour palisser les arbres & faire des berceaux ; les Tonneliers, pour lier leurs cercles à tonneaux ; les Vanniers employent les plus fins pour faire des paniers, des corbeilles, &c. (D.J.)

OSIER FRANC, (Botan.) c'est l'espece de saule nommé par Tournefort, salix vulgaris, rubens. Voyez SAULE.

OSIER, (Art méch.) L'osier sert aux ouvrages des Vanniers & des Tonneliers. Ceux-ci fendent les baguettes d'osier en trois, & s'en servent à lier les cercles & cerceaux qu'ils mettent aux cuves, cuviers, tonneaux, & autres sortes d'ouvrages de leur métier.

L'osier se vend par botte ou mole, qui sont des paquets de quatre piés de long, contenant trois cent brins quand il est fendu.


OSIMO(Géog.) ancienne ville d'Italie dans la Marche d'Ancone, avec un évêché suffragant du pape. Elle est sur une montagne près du Musone, à 7 milles de Lorette, 10 S. O. d'Ancone, 120 N. E. de Rome. Long. 31. 12. lat. 43. 20.

Les Latins l'ont nommée Auximum & Auxumum ; c'est une des cinq villes de la Pentapole, mentionnée dans les donations de Pépin & de Charlemagne. Les revenus du siege d'Osimo sont considérables, & c'est ordinairement un cardinal qui en est évêque. Procope parle beaucoup de cette ville à l'occasion des Goths qui s'y retranchoient contre Bélisaire. (D.J.)


OSIRISS. m. (Mytholog.) un des grands dieux des Egyptiens, & le plus generalement honoré dans tout le pays.

Je ne rapporterai point tout ce qu'en disent les historiens, je n'y trouve que des contradictions, & d'ailleurs les merveilleuses conquêtes qu'on attribue à Osiris, ne me paroissent guere moins imaginaires que les longs voyages qu'on lui fait entreprendre. Il y a même tant de conformité entre les exploits que la fable prête à Osiris, & les exploits que l'histoire raconte de Sésostris, que l'on est porté à penser que ceux là ont été copiés sur ceux-ci pour relever davantage la gloire de la principale divinité des Egyptiens. Quoi qu'il en soit, les voyages supposés d'Osiris & d'Isis dans la plus grande partie du monde, donnerent lieu aux Poëtes & aux Mythologues de feindre que l'art de naviger avoit été trouvé sous le regne de ces deux divinités. Ils publierent que le navire sur lequel Osiris courut le monde, avoit été le premier vaisseau long qui eût paru sur mer ; & même pour en laisser un monument éternel à la postérité, au-dessus de l'injure des tems, les astronomes égyptiens mirent le navire d'Osiris au rang des constellations célestes ; c'est celle que les Grecs nommerent dans la suite la constellation du vaisseau d'Argo près de la canicule, appellée en Egypte Sothis ou l'étoile d'Isis.

Osiris & Isis sont dans la Mythologie égyptienne deux divinités étroitement unies ensemble, le soleil & la lune. Les habits d'Osiris étoient d'une seule couleur, de la couleur de la lumiere ; on les gardoit précieusement, & on ne les exposoit qu'une seule fois chaque année à la vûe de tout le monde.

Comme les Egyptiens prétendoient qu'Osiris leur avoit enseigné l'Agriculture, ils lui donnerent le boeuf pour symbole. On représentoit ce dieu différemment de même qu'Isis dont il étoit le frere & le mari. On le trouve quelquefois sur des marbres égyptiens avec la tête d'un épervier, & le corps d'un homme ; à son dos est une table qui descend jusqu'à la base qui soutient sa figure, & qui est pleine de lettres hiéroglyphiques. Quelquefois il est représenté presque emmaillotté, comme les momies d'Egypte, portant sur la tête un ornement des plus singuliers, au bas duquel sortent deux cornes. Il tient d'une main un fouet, & de l'autre une verge courbée qui ressemble à un bâton augural. Comme Osiris étoit pris pour le soleil, on lui donnoit un fouet pour animer les chevaux qui tiroient le char dont il se servoit pour faire sa course. Quelques Mythologues prétendent que toutes les divinités du paganisme n'étoient que des attributs d'Isis & d'Osiris. (D.J.)


OSISMIENS(Géog. anc.) Osismii ; ancien peuple de la Gaule. César, l. II. c. xxxiv. en parle dans ses commentaires, & les nomme pêle-mêle avec des peuples de la Normandie & de la Bretagne. On a employé bien des conjectures pour trouver ces Osismiens, & on ne les a point encore découverts. Sanson qui les met en Bretagne, croit que les habitans des trois diocèses de Saint-Paul-de-Léon, Tréguier & Saint-Brieux, répondent aux Osismiens. Ceux qui mettent ce peuple en basse-Normandie, croient le trouver dans l'Hiémois ou l'Eximois. (D.J.)


OSMA(Géog.) ancienne petite ville d'Espagne dans la vieille Castille, avec un évêché suffragant de Tolede. Elle est sur le Duero dans une plaine abondante en tout ce qui est nécessaire à la vie, à 45 lieues N. E. de Tolede, 32 N. E. de Madrid. Long. 15. 2. lat. 41. 34.

La cité d'Osma étoit connue des Romains sous le nom d'Uxama. Elle est nommée Oxoma dans les trois notices ecclésiastiques d'Espagne. Alphonse d'Aragon la conquit sur les Maures l'an 755. Les infideles la reprirent ensuite. Le roi Alphonse VI. s'en rendit le maître sur les Maures, & elle est restée au roi de Castille ; mais ce n'est plus qu'un gros bourg à-demi-ruiné. (D.J.)


OSMONDES. f. (Hist. nat. Bot.) osmunda, genre de plante qui n'a point de fleurs, & dont les fruits sont rassemblés en grappe. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

Ce genre de plante, dans le système de Linnaeus, est ainsi caractérisé. Les graines sont produites dans des capsules rondes, distinctes, mais rassemblées en grappes sur la branche, & s'ouvrent horisontalement quand elles sont mûres. Ces graines sont très-menues, en grand nombre, & de forme ovale.

Tournefort compte quinze especes d'osmondes, entre lesquelles il nous suffira de décrire la plus commune, celle qu'il nomme vulgaris & palustris, I. R. H. 547. Elle a pour racine un amas de fibres longues & noirâtres, entortillées les unes dans les autres ; ses tiges sont nombreuses, hautes de deux coudées, vertes, lisses, cannelées, & garnies de branches feuillées qui s'étendent de tous côtés, composées de huit ou neuf paires de feuilles, terminées par une feuille impaire.

Chaque feuille est entiere, droite, longue de trois ou quatre pouces, large d'un demi-pouce, terminée par une pointe mousse, & ayant au milieu une côte sur toute sa longueur.

Le haut de la tige est partagé en quelques pédicules, qui soutiennent chacun de petites grappes longues d'un pouce, chargées de graines : cette plante n'a point de fleurs ; car ce que les Herboristes appellent fleur n'est autre chose, selon Ray, que les feuilles non-développées, & qui étant réfléchies cachent les graines naissantes. Les fruits ramassés comme en grappes, sont des capsules sphériques, semblables à celles des fougeres, qui se rompent par la contraction de leurs fibres, & qui jettent une poussiere très fine, comme on l'observe par le moyen du microscope.

L'osmonde prospere dans les endroits humides, dans les fondrieres, dans les marais ; ses feuilles se fannent en hiver. (D.J.)

OSMONDE, (Mat. méd.) fougere fleurie. La racine de cette plante a été vantée comme un remede spécifique du rachitis. Elle a été célébrée aussi comme un très-puissant vulnéraire, capable de dissoudre le sang arrêté & grumelé dans les parties internes, par les chûtes, les plaies profondes, &c. On s'en est aussi quelquefois servi pour les mêmes usages auxquels on emploie les autres fougeres. L'osmonde est un remede fort peu usité. (b)


OSNABRUCou OSNABRUG, ou, comme d'autres écrivent, OSENBRUCK, (Géog.) ville d'Allemagne au cercle de Westphalie, avec un évêché fondé par Charlemagne vers l'an 780, dont l'évêque est souverain. Elle est remarquable par le traité qui s'y conclut en 1648 entre les Suédois & l'empereur. La religion catholique & la protestante y sont également souffertes. Elle est sur la riviere de Hase, à 8 milles N. E. de Munster, 5 d'Hervorden, 9 S. O. de Brême. Long. 25. 48. lat. 52. 28.

Il est vraisemblable que le nom d'Osnabruck vient de la situation de cette ville, & que la riviere de Hase s'appelloit anciennement Osen, ce qui joint au mot bruck, qui signifie un pont, marque un pont sur l'Osen.

Charlemagne ne se contenta pas d'y établir un évêché, il y fonda en outre une école pour y enseigner la langue grecque & la latine. Cet acte répond à l'an 804, & est fort curieux ; on le trouve dans le Dictionnaire de la Martiniere. (D.J.)


OSNABRUCKévêché d ', (Géog.) siege épiscopal & principauté d'Allemagne, dans le cercle de Westphalie, borné N. par le bas Munster, E. par la principauté de Minden, S. par le haut Munster, O. partie par le même, & partie par le comté de Lingen. C'est un pays abondant en bons pâturages. A la paix de Westphalie, on convint qu'il seroit possédé alternativement par un prince de la maison d'Hanover qui est luthérienne, & par un prince catholique, ce qui s'est toujours pratiqué depuis.


OSORNO(Géog.) ville de l'Amérique méridionale au Chili, sur la rive septentrionale de Rio-Bueno à 15 lieues de Baldivia. Long. 306. 32. latit. méridionale 40. 40. &, selon de Noort, par les 42 d. de latit. méridionale.


OSORou OSERO, (Géog.) petite ville d'Italie, capitale d'une petite île de même nom du golfe de Venise, au S. de l'île de Cherzo, dont elle n'est séparée que par un petit détroit, qui n'a que cinq pas de large. Il y a un évêché suffragant de Zara. Elle est presque deserte, quoique l'île abonde en bois, miel, bestiaux & sardines. Long. 32. 22. lat. 44. 54.


OSQUESLES, (Géogr. anc.) ancien peuple d'Italie dans la Campanie entre Capoue & Naples. On les appelloit également Osci, Opsgi, Opici, Obsci. Le mot d'obscène, obscenus, vient de ce peuple dont la corruption étoit extrême, & le langage conforme aux moeurs ; il s'abandonnoit à de honteuses débauches, & c'est ce qu'Horace appelle morbus campanus. Personne n'ignore la description que nous ont laissée les anciens des délices de Naples & de Capoue, qui étoient les principales villes du pays des Osques, & le séjour de la volupté. Oscè loqui signifioit également chez les Latins parler d'une maniere dissolue & employer de vieux mots.

Silius Italicus donne aux Osques toutes les places qui sont le long de la côte de la Campanie, entre Terracine & Cumes. (D.J.)

OSQUES, jeux, (Théâtre des Romains) les jeux osques, osci ludi, étoient des jeux scéniques qu'on représentoit sur les théâtres des Romains. On les nommoit osci, non parce qu'on y parloit la langue osque, mais parce que c'étoient des farces empruntées de celles des anciens peuples. Ces jeux, ainsi que les satyriques, se représentoient le matin avant qu'on jouât la grande piece.


OSRHOÈNE(Géog. anc.) les Grecs disent Osrhoène & les Latins Osrhoène, contrée de la Mésopotamie le long de l'Euphrate, depuis le mont Taurus au N. jusqu'au Chaborras au Midi & à l'Orient ; c'est là le sentiment de Cellarius, qui croit que l'Anthemusia de Ptolémée est la même que l'Osrhoène.

L'Osrhoène & l'Adiabene furent soumis à l'empire romain par Lucius Vérus ; & ce royaume fut éteint l'an de l'ére chrétienne 216 par Caracalla, qui mit une colonie à Edesse capitale du pays.

Comme l'Osrhoène devint une grande province ecclésiastique, les notices nous ont détaillé le nom des lieux qui reconnoissoient Edesse pour métropole ; mais elles ne s'accordent ni sur le nombre, ni sur le rang des sieges qu'elles mettent dans cette province. (D.J.)


OSRUSHNA(Géog.) ville d'Asie dans la Tartarie, au Mawaralnahe, au-delà de Samarcande, & l'une des métropoles de la province du nom d'Osrushnah. Abulféda dit que cette province est terminée à l'orient par une partie du Fergan, au couchant par les limites de Samarcande, au N. par une autre partie du Fergan, au M. par les confins de Cash. La ville d'Osrushna est à cinq journées de chemin de Samarcande. Long. selon Alfaras, 90d. latit. 40d.


OSS(Géog.) bourg du Brabant hollandois, dans la Mairie de Bois-le-Duc, au quartier de Maesland. Je parle de ce bourg, parce qu'il est aussi considérable que bien des villes, qu'il est le chef-lieu du quartier, qu'il jouit des privileges d'avoir des foires & marchés, que les habitans forment quatre confrairies, & qu'ils ont un tribunal d'échevins & de jurés, avec d'autres prérogatives. Long. 22. 45. latit. 51. 44.


OSSA(Géog. anc.) montagne de Thessalie dans la Magnésie, au midi oriental du Pénée, & au S. E. de la vallée de Tempé. Pline, l. IV. c. viij. & Ptolomée, l. III. c. xiij. font mention de cette montagne si fameuse dans les fables des poëtes ; témoin ce que Virgile dit des Titans : " Trois fois ils s'efforcerent de mettre l'Ossa sur le Pélion, & le mont Olympe sur l'Ossa ; & trois fois la foudre de Jupiter renversa ces montagnes vainement entassées ".

Ter sunt conati imponere Pelio Ossa ;

Scilicet atque Ossae frondosum involvere Olympum, &c.

Georg. l. I. v. 281.

Strabon met un mont Ossa dans le Péloponnèse ; 2° Ossa est le nom d'une ville de Macédoine à l'orient du Strymon ; 3° Ossa est le nom d'une riviere d'Italie dans la Toscane. (D.J.)


OSSA-POLLA-MAUPS(Hist. mod. culte) c'est le nom sous lequel les habitans de l'île de Ceylan désignent l'Etre suprême, c'est-à-dire le Dieu qui a créé le ciel & la terre ; mais ils ne font pas difficulté de lui associer d'autres dieux qu'ils lui croient subordonnés, & qui sont les ministres de ses volontés ; le principal d'entr'eux est buddon, qui est le même que le budsdo des Japonois, ou le fohi des Chinois ; son emploi est de sauver les hommes, & de les introduire après leur mort dans le séjour de la félicité.


OSSECsentine, s. m. (Marine) c'est l'endroit au-bas de la pompe où se reçoivent toutes les eaux. Voyez SENTINE.

On appelle aussi ossec sur les rivieres l'endroit où s'amassent les eaux du bateau qu'on vuide avec l'escope. (Z)


OSSÉEou OSSÉNIEN, s. m. (Gram. Hist. eccl.) juifs à demi-chrétiens ; on les confond avec les Esséens. Voyez ESSEENS. Ils habitoient les environs de la mer Morte. On dit que sous Trajan, vers la fin du premier siecle, un juif d'origine, appellé Ebraxi, leur enseigna ses erreurs. Voyez ELCESAÏTE.


OSSELETS. m. (Gram.) petit os.

OSSELETS de l'oreille, (Anatomie) ce sont les quatre petits os que l'on trouve dans la caisse du tambour, & que l'on appelle le marteau, l'enclume, l'étrier & le lenticulaire, ou l'orbiculaire. Voyez -en les articles, ainsi que le mot OREILLE.

Je voudrois bien faire comprendre au lecteur comment ces osselets sont situés & articulés les uns avec les autres ; mais je suis convaincu qu'il est impossible de se former une juste idée de leur situation, de leur connexion & de leurs attaches, si on ne les voit tous articulés dans la cavité du tambour.

Ruysch a non-seulement prouvé que les osselets de l'oreille étoient revêtus de périoste, mais il a fait voir encore par le moyen de ses injections les vaisseaux nombreux qui se distribuent dans leur périoste.

Nous avons remarqué ailleurs que les osselets de l'oreille, de même que la coquille & les trois canaux demi-circulaires sont dans les enfans presque aussi grands & aussi durs que dans les adultes, au lieu que tous les autres os sont encore très-imparfaits dans le premier âge.

La découverte des osselets appartient aux modernes. Jacobus Carpensis découvrit le marteau & l'enclume. Eustache à Rome & Ingrassias à Naples trouverent presqu'en même tems l'étrier. La découverte du quatrieme est généralement attribuée à François Sylvius.

Ces osselets articulés curieusement ensemble ont un muscle externe, & un autre interne, qui servent à les mettre en action. Cette action paroît être de bander la membrane du tambour & de la relâcher.

Dans les animaux, ces osselets different selon la différence de leur espece ; les quadrupedes ont quatre osselets, ainsi que les hommes ; mais personne ne s'est occupé à en examiner les variétés : pour ce qui regarde les oiseaux, la nature ne leur a donné qu'un seul osselet, très-subtil & très-menu, appuyé sur une base plus large & ronde. A cette base est joint un cartilage très-mobile, qui paroît se terminer au tympan, selon les observations du docteur Moulen, insérées dans les Trans. philos. n °. 100. (D.J.)

OSSELETS, terme d'Archer du guet, petit bâton au travers duquel on passe une corde où il y a un noeud coulant qu'on passe au col ou au poignet de celui qu'on mene en prison. (D.J.)

OSSELET, (Maréch.) on appelle ainsi une espece de sur-os plat qui vient aux boulets des chevaux. Voyez SUR-OS.

OSSELETS, jeu des, (Littérat.) en latin ludus talorum, ou simplement tali ; Horace dit : Nec regna vini sortiere talis, tu ne joueras plus aux osselets la royauté des festins.

Suivant Homere, le jeu des osselets étoit connu des Grecs dès le tems de la guerre de Troye. Ils lui donnoient le nom d', d'un os qui est dans le pié des animaux, & qu'ils employoient à cet usage ; cet os est le premier des os du tarse ; il est gros, inégal, convexe en certains endroits, concave en d'autres, & nous le nommons encore astragale.

Les osselets n'avoient proprement que quatre côtés, sur lesquels ils pussent aisément s'arrêter, les deux extrêmités étant trop arrondies pour cela, cependant la chose n'étoit pas impossible ; on appelloit ce coup extraordinaire talus rectus. De ces quatre côtés, il y en avoit deux plats & deux larges, dont l'un valoit six, & étoit appellé seniò par les Latins, & par les Grecs ; l'autre opposé ne valoit qu'un, & on lui donnoit le nom canis ou vulturius ; c'est le même que les Grecs appelloient ou , d'où étoit venu le proverbe , un à six. Des deux côtés plus étroits, l'un étoit convexe, appellé suppum ou supinum, qui valoit trois ; l'autre concave, appellé pronum, valoit quatre. Il n'y avoit ni deux, ni cinq dans les osselets.

On jouoit ordinairement avec quatre osselets, qui ne pouvoient produire que 35 coups ; savoir 4 dans lesquels les quatre faces étoient semblables, 18 dans lesquels il y en avoit deux de pareil nombre, 12 dans lesquels il y en avoit trois égaux, & un coup unique lorsque les osselets étoient différens, j'entends de différens nombres, c'est-à-dire qu'il falloit faire un as, un 3, un 4, & un 6, c'étoit le coup le plus favorable, appellé vénus, en grec . Les Grecs avoient donné les noms des dieux, des héros, des hommes illustres, & même des courtisannes fameuses à ces coups différens.

Le coup de vénus étoit aussi nommé basilicus, parce qu'il falloit l'amener pour être le roi de la table. Le coup opposé étoit les quatre as, appellés damnosi canes. Entre les autres coups, il y en avoit d'heureux, de malheureux & d'indifférens. C'étoit un usage reçu parmi les joueurs d'invoquer les dieux ou leurs maîtresses avant que de jetter les osselets.

Pour empêcher les tours de main, on se servoit de cornets, par lesquels on les faisoit passer. Ils étoient ronds en forme de petites tours, plus larges en-bas que par le haut, dont le col étoit étroit. On les appelloit turris, turricula, orca, pyrgus, phimus. Ils n'avoient point de fond, mais plusieurs degrés au-dedans, qui faisoient faire aux osselets plusieurs cascades, avant que de tomber sur la table,

Alternis vicibus quos praecipitante rotatu

Fundunt excisi per cava buxa gradus.

cela se faisoit avec grand bruit ; & ce bruit faisoit encore donner au cornet le nom de fritellus.

Les osselets n'étoient au commencement qu'un jeu d'enfans chez les Grecs ; c'est pourquoi Phraates, roi des Parthes, envoya des osselets d'or à Démétrius, roi de Syrie, pour lui reprocher sa légereté : cet amusement devenoit cependant une affaire sérieuse dans les divinations qui se faisoient au sort des dez ou des osselets : c'est ainsi qu'on consultoit Hercule dans un temple qu'il avoit en Achaïe, & c'est ainsi que se rendoient les oracles de Geryon à la fontaine d'Apone, proche de Padoue.

Il ne faut pas confondre le jeu des osselets, ludum talorum, avec le jeu de dez, ludum tesserarum ; car on jouoit le premier avec quatre osselets, & l'autre avec trois dez : les osselets, comme on l'a dit, n'avoient que quatre côtés qui étoient marqués de quatre nombres toujours opposés l'un à l'autre ; savoir du 3 qui avoit 4 pour côté opposé, & d'un as dont le côté opposé étoit six. Les dez avoient six faces, dont quatre étoient marquées de la même maniere que les quatre des osselets ; & dans deux autres, l'une avoit un 2, & l'autre un 5, mais toujours opposés, de sorte que dans l'un & l'autre jeu le nombre du côté inférieur & celui du côté supérieur faisoient toujours 7, comme cela s'observe encore aujourd'hui. Les coups des osselets ne pouvoient être variés que de trente-cinq manieres ; les dez ayant six faces, produisoient cinquante-six manieres, savoir 6 rafles, 30 où il y a deux dez semblables, & 20 où les trois dez sont différens : mais tout ce qui regarde les jeux de dez & des osselets chez les anciens a été épuisé par Meursius dans son livre de ludis graecorum, & par Daniel Souterius dans son Palamede. (D.J.)


OSSEMENSS. m. pl. os décharnés des animaux qui sont morts. Les cimetieres sont pleins d'ossemens.

OSSEMENS FOSSILES, (Hist. nat. Minéralogie) on rencontre en plusieurs pays des ossemens, tant de quadrupedes que de poissons enfouis dans le sein de la terre, & qui n'y ont souvent éprouvé aucune altération ; de cette espece sont les dents d'éléphant que l'on a rencontrées en Sibérie, en Pologne, en France & en Angleterre, &c. les os de mammoth que l'on trouve en Sibérie, la licorne fossile qui a été trouvée près de Quedlimbourg, suivant le rapport de M. Leibnitz, &c. Voyez IVOIRE FOSSILE & LICORNE FOSSILE.

Ces endroits ne sont point les seuls où ces sortes d'ossemens se rencontrent, on trouve en France aux environs de Dax au pié des pyrénées un amas très-considérable d'ossemens de poissons, de vertebres d'une grosseur prodigieuse, & depuis quelque-tems M. de Borda qui cultive l'histoire naturelle dans ce pays, a envoyé à l'académie des Sciences la mâchoire d'un crocodile, trouvée dans ce même canton, & que M. Bernard de Jussieu regarde comme de la même espece que le crocodile, appellé garial, qui se trouve dans le Gange. On voit au même endroit des palais de poissons, des glossopetres d'une grosseur prodigieuse, & une infinité de dépouilles de poissons. Le même M. Bernard de Jussieu a vû près de Montpellier en Languedoc des ossemens de poissons cétacés d'une grandeur demesurée, qui étoient mêlés avec des coquilles. On a trouvé près de Mary, village des environs de Meaux, un os de la tête de l'hippopotame. Toutes ces choses semblent prouver d'une maniere incontestable des révolutions, par lesquelles la mer qui couvroit le continent que nous habitons, s'en est retirée pour aller occuper d'autres lieux. Voyez l'article FOSSILES.

Parmi le grand nombre d'ossemens d'animaux que l'on rencontre dans le sein de la terre, il n'y en a guere de plus singuliers, & dont l'origine soit plus difficile à expliquer que ceux que l'on trouve à Canstadt, à une lieue de Stutgard, dans le duché de Wirtemberg. Il y a en cet endroit une colline composée d'une pierre à chaux, sur laquelle on trouve les restes d'un bâtiment antique de forme hexagone, que quelques-uns croient avoir été un temple, & d'autres un fort des Romains. Le duc de Wirtemberg ayant fait fouiller dans cette colline en 1700, on y trouva un amas prodigieux d'ossemens de différentes grandeurs ; on y trouva d'abord dans une espece de limon plus de soixante cornes ou dents courbées, depuis un pié jusqu'à dix piés de longueur ; ces dents se trouvoient confondues 1° avec des mâchoires, des dents molaires encore dans leurs alvéoles & d'autres détachées, des omoplates, des os fémur, des crânes, des vertebres d'animaux de la taille des éléphans ; 2° des dents, des mâchoires, des vertebres & d'autres os d'animaux d'une moindre grandeur, tels que sont des bêtes sauvages, des chiens, &c. 3° enfin des os de petits animaux, tels que des souris, des mulots, &c. Tous ces ossemens étoient comme calcinés ou comme ayant un commencement de pétrification, la plûpart étoient en fragmens, cependant quelques-uns étoient restés dans leur état naturel. On a aussi trouvé dans la roche des environs que l'on fit sauter avec de la poudre des ossemens qui y étoient renfermés, ainsi que des petites coquilles. Voyez une dissertation latine qui a pour titre : Oedipus Osteolithologicus, seu dissertatio de cornibus & ossibus fossilibus Canstadiensibus, par David Spleiss.

Quelques auteurs ont eu la simplicité de croire que ces ossemens avoient appartenu à des géans : d'autres ont conjecturé que les Romains avoient amené autrefois des éléphans en Germanie, & que ces ossemens en étoient les débris : d'autres enfin ont imaginé que ces os étoient les restes des animaux qui avoient été immolés dans les sacrifices des anciens Celtes. Mais tous ces sentimens n'ont guere de probabilité ; & il y a lieu de croire que les animaux à qui ces ossemens ont appartenu, ont été ensevelis en terre par quelque révolution arrivée à cette partie du continent.

Près d'Etampes il se trouve un amas d'ossemens de différentes grandeurs, très-semblable à celui de Canstadt qui vient d'être décrit.

Les ouvrages des Naturalistes sont remplis d'exemples de pareils ossemens qui se sont trouvés enfouis dans la terre à différentes profondeurs, & dans différens pays. En 1672 on trouva à Cambourg en Thuringe, & en 1685, près de Hildbourghausen, quelques dents d'éléphans ; & même en 1695 on déterra près de Tonna en Thuringe, un squelete entier d'éléphant, avec quatre dents molaires, & deux défenses chacune de huit piés de longueur. Les Miscellanea Berolinensia parlent du squelete d'un crocodile qui fut trouvé dans les mines de la Thuringe. Dans la grotte de Baumann, & dans celle de Schartzfeld, près du Hartz, on rencontre des vertebres, des côtes, des omoplates, & une grande quantité d'ossemens de toute espece. A l'égard des os de mammoth, nous en avons parlé assez au long à l'article Ivoire fossile.

On voit dans l'Histoire de l'Académie des Sciences de l'année 1719, qu'on trouva en Gascogne un amas considérable d'ossemens de différentes grandeurs, qui furent mis à découvert par la chûte d'un rocher ; il y avoit des dents, des os de cuisses & de jambes, & même un fragment de bois de cerf ou d'élan. On verra une énumération assez longue des différens ossemens d'éléphans & d'autres animaux, trouvés en Angleterre & dans beaucoup d'autres pays, dans un mémoire du célebre chevalier Hans Sloane, inséré dans les Mémoires de l'Académie royale des Sciences, année 1727.

En Angleterre, dans la province de Derbyshire, en fouillant pour découvrir une mine de plomb, on trouva en 1744 un squelete humain, ainsi que des bois de cerf. Ces ossemens étoient recouverts d'une pierre très-dure, au point de faire feu contre les outils des ouvriers ; desorte qu'ils paroissoient avoir été logés dans une cavité qui étoit dans cette pierre. Voyez les Transactions philosoph. n. 475. On voit aussi à Rome, dans la villa Ludovisia un amas d'ossemens humains, qui sont recouverts d'une incrustation pierreuse, sans être eux-mêmes changés en pierre. Voyez les Transactions philosoph. n. 477.

On a trouvé en Champagne, dans une carriere qui est auprès du village de Lieucoton, distant de trois lieues de Langres, un squelete humain entier, d'une grandeur extraordinaire, dont le femur ou l'os de la cuisse avoit près de deux piés de longueur ; ce squelete se trouva pris entre deux bancs de pierre dont il étoit enveloppé. (-)


OSSERou OSSERI, (Géog.) petite contrée d'Irlande, dans la province de Leinster, partagée en deux par la riviere de Nure.


OSSEUXEUSE, adj. qui est de la nature de l'os.


OSSICULEVoyez NOYAU.


OSSIFICATIONS. f. S 'OSSIFIER, v. neut. (Physiolog.) c'est la formation des os en longueur, en grosseur, & en solidité, par le secours des sucs nourriciers qui y arrivent, les développent, les allongent, augmentent leur épaississement & leur dureté, jusqu'à-ce qu'enfin n'étant plus capables d'admettre les sucs nécessaires à leur nutrition, ils s'alterent dans leur substance, & rendent inévitable le dépérissement de la machine. Mais comment se fait l'ossification ? c'est un mystere dont la connoissance nous est cachée, & sur lequel on n'a donné que des conjectures ; voici celles que je crois les plus vraisemblables.

On peut considérer les os dans leur origine comme autant de petits tuyaux creux revêtus d'une fine pellicule en-dehors & en-dedans. Cette double pellicule ou membrane fournit la substance qui doit devenir osseuse, ou le devient elle-même en partie ; car le petit intervalle qui est entre ces deux membranes, c'est-à-dire, entre le périoste intérieur & le périoste extérieur, devient bien-tôt une lame osseuse.

Dans les premiers tems les os du foetus ne sont encore que des filets d'une matiere ductile, que l'on apperçoit aisément & distinctement à-travers la peau & les autres parties extérieures, qui sont alors extrêmement minces, & presque transparentes. L'os de la cuisse, par exemple, n'est qu'un petit filet fort court, qui contient une cavité. Ce petit tuyau creux est fermé aux deux bouts par une matiere ductile, & il est revêtu à sa surface extérieure & à l'intérieure de sa cavité de deux membranes composées dans leur épaisseur de plusieurs plans de fibres toutes molles & ductiles ; à mesure que ce petit tuyau reçoit des sucs nourriciers, les deux extrémités s'éloignent de la partie du milieu ; cette partie reste toujours à la même place, tandis que toutes les autres s'en éloignent peu-à-peu des deux côtés ; elles ne peuvent s'éloigner dans cette direction opposée sans réagir sur cette partie du milieu : les parties qui environnent ce point du milieu prennent donc plus de consistance, plus de solidité, & commencent à s'ossifier les premieres.

L'intervalle des deux périostes devient osseux dans la partie du milieu de la longueur de l'os ; ensuite les parties qui avoisinent le milieu sont celles qui s'ossifient, tandis que les extrémités de l'os, & les parties qui avoisinent ces extrémités, restent ductiles & spongieuses. Et comme la partie du milieu est celle qui est la premiere ossifiée, elle ne peut plus s'étendre ; il n'est pas possible qu'elle prenne autant de grosseur que les autres. La partie du milieu doit donc être la partie la plus menue de l'os ; car les autres parties & les extrémités ne se durcissant qu'après celle du milieu, elles doivent prendre plus d'accroissement & de volume ; c'est par cette raison que la partie du milieu des os est plus menue que toutes les autres parties, & que les têtes des os qui se durcissent les dernieres, & qui sont les parties les plus éloignées du milieu sont aussi les plus grosses de l'os.

Indépendamment de cet accroissement en longueur, l'os prend en même tems un accroissement en grosseur qui se fait ainsi ; la premiere lame osseuse est produite par la partie intérieure & le périoste extérieur. Il s'en forme bien-tôt deux autres qui se collent de chaque côté de la premiere, & en même tems la circonférence & le diametre de la cavité. Les parties intérieures des deux périostes continuent ainsi à s'ossifier, & l'os continue à grossir par l'addition de toutes ces couches osseuses produites par les périostes.

Mais l'ossification est encore produite par plusieurs autres causes qu'il faut développer. Elle se fait, suivant l'illustre Monro, dans son ostéogonie, 1°. à l'aide de la suppression considérable qu'exercent sur les os, plus que sur aucune partie, les grands poids qu'ils ont à supporter ; 2°. par la violente contraction des muscles qui y sont attachés ; 3°. par la force des parties qui les constituent, & qui font des efforts continuels pour s'étendre & s'accroître.

C'est en conséquence de toutes ces actions réunies, que les fibres solides & les vaisseaux des os sont tenus plus serrés, & que les particules des fluides portées dans ces vaisseaux, deviennent propres à s'unir à ces fibres, & s'y incorporent plus promptement & plus fortement, tandis que le reste continue son chemin par les veines, & rentre dans la masse du sang. Une observation qu'il importe de faire, c'est qu'à mesure que les os se durcissent, en même proportion & le nombre & le diametre des vaisseaux diminuent. Ce qui nous montre la raison pour laquelle les os des jeunes gens se réunissent plus promptement après une fracture que ceux des vieillards, & celle pour laquelle les chevaux, les boeufs, les gros bestiaux perdent de leur grosseur & de leur force lorsqu'on les fait travailler trop tôt.

Les exemples fréquens que nous avons de l'ossification de quelques autres parties, lorsqu'elles ont été long-tems exposées à la compression des parties environnantes, ou lorsqu'elles se sont trouvées dans des conjonctures semblables, en conséquence de leur contraction violente & fréquente, comme il arrive aux parties situées proche les orifices du coeur dans quelques vieillards, & dans quelques animaux ; ces exemples, dis-je, ne nous permettent point de douter que l'ossification ne vienne d'une compression telle que nous l'avons indiquée : témoin la substance musculaire du coeur, qu'on a trouvée osseuse dans plusieurs personnes, ainsi que nous l'assurent Cheselden & autres : témoin encore l'ossification des arteres dans les vieillards, celle des cartilages du larynx dans les adultes, celle des cartilages situés entre les vertèbres du dos & les reins ; dans les bêtes de somme, ces cartilages se changent en os parfaits, & s'unissent intimement aux vertébres ; ensorte que le tout ne paroît qu'un os continué. Le périoste n'est pas même exempt de cette métamorphose, & Peyer nous dit avoir séparé cette membrane en plusieurs lames osseuses.

Une observation qui tend à appuyer l'opinion de M. Monro, c'est que les os commencent à s'ossifier dans les endroits où l'action de ces causes est plus sensible ; savoir, dans les os cylindriques par un anneau au milieu ; & dans les larges au centre, ou proche le centre, par un point, ou par plusieurs points distincts. La raison de ces effets, c'est que ces parties sont contiguës aux ventres des muscles qui sont attachés à ces os ; & que c'est en conséquence du gonflement qui se fait à ces ventres, que la pression sur les os est plus grande en ces endroits. Nous faisons juges de cette action ceux qui ont examiné avec attention certains os, comme celui de l'épaule & des îles, qui sont couverts de muscles d'un & d'autre côté ; combien ne sont-ils pas minces & compactes dans les adultes, sur-tout dans les endroits où les ventres des muscles étant appliqués, la pression étoit la plus grande, au-lieu qu'ils sont plus épais dans les enfans : mais le nombre des fibres étant le plus grand dans le milieu de ces os, il est évident que cet endroit auroit été plus épais tant dans les adultes que les enfans, s'il n'y avoit eu dans les premiers une compression qui n'étoit point dans les seconds ; en effet, les muscles n'ont presque point encore d'exercice dans les enfans, au lieu qu'ils agissent fortement dans les adultes.

D'ailleurs, si nous admettons que toutes les parties d'un os sont uniformément augmentées par l'accès du fluide destiné à la nutrition ; chaque fibre & chaque particule d'une fibre tendront à s'étendre, & pousseront leurs voisins : conséquemment la pression sera beaucoup plus grande vers le milieu où les particules seront beaucoup plus fermes ; c'est donc là que commencera l'ossification. Enfin, la pulsation des arteres médullaires qui entrent dans les os, à-peu-près vers leur milieu, pourroit bien aussi, ainsi que les auteurs l'ont conjecturé, contribuer à leur endurcissement.

C'est des effets de la pression seule que nous pouvons déduire la raison pour laquelle les os des vieillards ont leurs parois beaucoup plus minces, & sont toutefois plus forts & plus solides, tandis que les cavités y sont plus grandes que dans les os des jeunes gens ; & celle pour laquelle l'impression des muscles & des vaisseaux, &c. est beaucoup plus forte sur la surface des os, selon l'âge & l'état des personnes, & selon le travail & les exercices entre les personnes d'un même âge & d'un même état. Cette impression est beaucoup plus profonde dans les vieillards, & dans ceux qui sont accoutumés au travail, que dans les jeunes gens, & dans ceux qui ne prennent aucun exercice, & qui menent une vie indolente.

Il est encore vraisemblable que l'ossification dépend des vaisseaux des os, dont la situation & les diametres sont tels, qu'ils séparent une liqueur qui, privée de ses parties les plus fluides, se convertit facilement en une substance osseuse, ainsi qu'il est démontré par la matiere calleuse qui se sépare dans les fractures & dans les ulceres, lorsqu'une partie de quelqu'os a été emportée. Dans ces cas cette liqueur se durcit, & cimente quelquefois les deux extrêmités d'un os, quoique la distance à laquelle elles sont placées soit assez considérable. Il se trouve un grand nombre d'exemples de ce phénomene dans les auteurs. M. Laing, chirurgien écossois, fit l'extraction du tibia à un enfant, & il ne laissa de cet os presque que les épiphyses de chaque extrêmité ; une substance osseuse prit la place de l'os qu'il avoit ôté, & suppléa à tout ce qui manquoit ; ensorte que le malade marcha dans la suite avec facilité & fermeté.

Peut-être aussi que les causes de l'ossification dont nous venons de faire mention, agissent plus ou moins puissamment, selon la nature du climat, & les alimens dont on fait usage. C'est peut-être aussi par la même raison que les peuples qui habitent des pays chauds, acquierent plus promptement toutes leurs forces & toute leur grandeur, que ceux qui vivent dans des contrées froides & septentrionales. De-là vient encore la pratique connue parmi les dames de faire boire aux jeunes chiens de l'eau-de-vie ou de l'esprit de vin, & de les baigner dans ces liqueurs pour les empêcher de grossir. On a observé que l'usage excessif de ces esprits avoit fait pétrifier dans quelques personnes, & ossifier dans d'autres, des parties naturellement molles à leur âge. Voyez les exemples qu'en rapportent Littre & Geoffroy.

Ceux qui seront curieux de savoir en quel tems & dans quel ordre chaque os, & chaque partie des os commencent à s'ossifier, n'ont qu'à consulter Kerkringius ; cet auteur a poussé ses observations depuis le foetus de trois jours après la conception, & depuis trois semaines & un mois jusqu'à neuf. Qu'ils parcourent aussi Coiterus & Eyssonius. Enfin on trouvera dans les ouvrages de Ruysch, qui a corrigé quelques-unes des erreurs des auteurs que nous venons de citer, un traité complet d'Ostéogonie, en y ajoutant quelques particularités que Nesbitt & Albinus ont remarqué depuis.

Quand l'os a acquis toute sa densité & sa solidité, sa substance devient avec le tems si compacte, qu'elle ne peut plus admettre les sucs nourriciers qui étoient auparavant employés à augmenter sa densité, & qui étoient nécessaires à cette espece de circulation qui fait la nutrition de ces parties. Dès-lors cette substance de l'os doit s'altérer, puisqu'elle cesse d'être nourrie, & cette altération dans la substance même des os est une des premieres causes qui rendent nécessaire le dépérissement de notre corps. Ainsi la vie s'éteint par nuances successives, & la mort n'est que la derniere nuance de la vie.

Le changement qui ossifie insensiblement toutes les parties molles, est encore produit par de fréquens & violens exercices, par l'application des astringens, par le desséchement & par la vieillesse. Ce changement est suivi de roideur dans les parties qui étoient auparavant mobiles, & les effets qui en résultent, varient autant que les parties elles-mêmes sujettes à ces accidens. Il est totalement impossible de changer l'état d'une partie ossifiée ; mais quelquefois à la faveur des fomentations laxatives, mucilagineuses, humectantes, onctueuses, tiédes, jointes à une douce friction de la partie, on vient à bout de lui procurer un certain degré de flexibilité.

Ce degré de flexibilité est très-peu de chose, & ne réussit qu'à l'égard de quelques muscles externes ; car il n'est point de moyen d'empêcher l'ossification des parties solides internes ; ainsi l'a voulu l'auteur de la nature. Tous les observateurs nous parlent d'ossifications, je ne dis pas seulement de membranes & de cartilages, mais de visceres & de vaisseaux. On a trouvé le cerveau, la dure-mere, le conduit auditif, l'oesophage, le coeur, le péricarde, les poumons, les reins, la rate, le foie, le pancréas, l'épiploon, l'artere carotide, l'aorte ossifiés. J'avois rassemblé plus de deux cent observations choisies sur ce sujet ; mon recueil a péri dans un naufrage avec mes autres manuscrits physiologiques. (D.J.)


OSSIFRAGEVoyez ORFRAIE.

OSSIFRAGE, PIERRE (Hist. nat.) lapis ossifragus ; nom donné par quelques auteurs à la substance nommée plus communément ostéocolle. Voyez cet article.


OSSIFRAGNEVoyez ORFRAIE.


OSSIGI(Géog. anc.) ancienne ville d'Espagne dans la Bétique. La contrée qui renfermoit cette ville est nommée dans Pline, liv. III. ch. j. Ossigitania ; on croit qu'Ossigi est présentement Mégibar, au royaume de Jaen, entre Anduxar & Lixaarez. (D.J.)


OSSILAGOS. f. (Myth.) déesse qui donnoit aux os des enfans de la force & de la vigueur.


OSSILEGIUM(Littér.) ce mot latin signifioit proprement les os calcinés que le feu n'avoit point entierement consumés, & que l'on tiroit des cendres du bucher ; ensuite on les enfermoit dans des urnes. Ce pieux devoir de tirer du bucher les os du défunt, étoit rendu par les parens, qui éteignoient le reste du feu avec du vin ; & les petites urnes dans lesquelles on mettoit les os calcinés, se nommoient ossuaria. (D.J.)


OSSONOBA(Géog. anc.) ancienne ville d'Espagne dans la Lusitanie. Ptolémée la nomme Ossonaba, & la met au pays des Turdetains. Rodericus Carus croit que c'est présentement Estonbar ; Colmenar pense que c'est le petit village nommé Estoi, & que la ville de Faro s'est formée des ruines d'Ossonaba ; ce dernier paroît avoir raison. (D.J.)


OSSUUE, adj. qui a de gros os. Cet homme est ossu.


OSSUNou OSSONA, (Géog.) les François disent Ossune ou Ossone ; petite ville d'Espagne dans l'Andalousie avec titre de duché. Elle est à 6 lieues de Hardalès, 5 d'Ecija. Longit. 12. 30. lat. 37. 8. (D.J.)


OSTS. m. (Lang. franç.) Ce terme est fort commun dans nos anciens auteurs françois. Villehardouin, pag. 102. " Et ils respondirent que il nel poient faire par le commun de l'ost non, & cil en parleroient à cils de l'ost ". Nos anciennes coutumes se servent de ce terme ; elles font mention du service de l'ost, que le vassal doit en armes & chevaux, selon la condition de son fief, dit Ragueau. On ne peut pas douter que nos peres n'aient fait ost du latin hostis, dont les auteurs de la basse latinité se sont servi pour exprimer une armée. Ainsi on lit dans Grégoire de Tours, lib. II. Quo consilio accepto, hostem patriae redire jubet ad propria. Et dans le ch. xxxvij. du même livre, sed quoniam pars hostium per territorium Turonicum transibat.


OSTABARÈS(Géog.) petite contrée de France dans la basse-Navarre, & qui n'a aucune ville. Ce n'est en effet qu'une vallée où le Bidouze, ruisseau, prend sa source. Le bourg d'Ostabac qui est sur la route de S. Jean-pié-de-port, donne le nom d'Ostabarès à ce petit pays. (D.J.)


OSTADES. f. (Commerce) espece d'étoffe ancienne & grossiere. Henri Etienne parle de manches de deux paroisses, moitié ostade, moitié velours ; velours d'un pourpoint de trois paroisses, le corps de demi- ostade, le bout des manches de cuir, le bas de velours.


OSTAGEVoyez OTAGE.


OSTAGERS. m. (Jurisprudence) est le débiteur forain qui est arrêté prisonnier pour sureté de ce qu'il doit, on l'appelle ostager parce qu'il est retenu par forme d'ostage. Voyez le glossaire de Lauriere, au mot ostager. (A)


OSTALRIC(Géog.) petite ville d'Espagne dans la Catalogne sur la riviere de Tordera, à 5 lieues de Girone, 8 de Barcelone, & à 4 de la mer. Long. 20. 20. lat. 41. 44. (D.J.)


OSTARDEVoyez OUTARDE.


OSTEITou OSTÉOLITE, (Hist. nat.) Voyez OSTEOCOLLE.


OSTENDou OOSTENDE, (Géog.) forte & considérable ville maritime des Pays bas dans la Flandre autrichienne, au quartier de Bruges, avec un bon port. Elle est sur la mer, à 4 lieues de Bruges, 3 de Nieuport, 6 de Dunkerque, & 3 de Bruxelles. Long. selon Cassini, 20. 21'. 33''. lat. 51. 10'. 36''.

Ostende n'étoit qu'un petit village en 814. Il devint bourg en 1072. Des pêcheurs l'entourerent d'une palissade en 1372. Philippe le Bon l'environna de murailles en 1445. Enfin Ostende fut régulierement fortifiée en 1583 par le prince d'Orange, lorsqu'il étoit maître de Gand & de Bruges. Les Etats-Généraux l'ont cédée à l'empereur par le traité de Barriere conclu en 1715.

Entre les événemens qui regardent cette ville, il n'en est point de plus fameux que son siége par les Espagnols. Il leur en couta plus de 80 mille hommes, & les assiégés, dont la garnison fut renouvellée plusieurs fois, perdirent au-delà de 50 mille hommes. Le siege dura plus de trois ans ; car il commença le 5 Juillet 1601, & Ambroise Spinola prit la place le 14 Septembre 1604. Tout le monde ne sait pas les beaux vers que Grotius composa sur cette malheureuse ville avant la capitulation ; les voici.

Area parva ducum, totus quam respicit orbis,

Celsior una malis, & quam damnare ruinae,

Nunc quoque fata timent ; alieno in littore resto.

Tertius annus abit : toties mutavimus hostem,

Saevit hyems pelago, morbisque furentibus aestas :

Et minimum est quod fecit iber. Crudelior armis,

In nos orta lues : nullum est sine funere funus :

Nec perimit mors una semel. Fortuna, quid haeres ?

Quâ mercede tenes mistos in sanguine manes ?

Quis tumulos moriens hos occupet, hoste perempto

Quaeritur, & sterili tantum de pulvere pugna est.

Ces vers furent traduits en françois par Duvair, par Nicolas Rapin & par Malherbe, mais aucune de ces traductions ne vaut l'original. (D.J.)

OSTENDE, compagnie d ', (Com. marit.) fameuse compagnie des Pays-bas autrichiens qui se forma en 1718, & dont personne un peu instruit des affaires de commerce, n'ignore le sort.

Rien n'étoit mieux conçu que le plan de cette société. Le fonds fut arrêté à six millions de florins argent de change, divisé en 6 mille actions, de mille florins chacune. Les directeurs fixés au nombre de 8, furent choisis parmi les plus riches & les plus habiles négocians du pays, pour rester seulement six ans en direction. Le principal établissement aux Indes devoit être à Sandraspatan, frontiere des royaumes de Gingi & de Carnate, sur la côte de Coromandel, & l'empereur du Mogol avoit permis à la compagnie de bâtir un fort dans ses états. Le retour des marchandises devoit aborder à Bruges ou à Ostende, & être vendu dans une de ces deux villes.

Cette société formée dans l'espérance assurée d'obtenir la concession du prince, arma d'abord quelques vaisseaux pour l'Orient. Son crédit augmentant, elle multiplia le nombre de ses vaisseaux, elle en envoya cinq en 1720, six autres en 1721, & fit une vente en 1722, qui la mit en état de continuer son commerce avec succès. En 1723 elle eut son octroi gratis de l'empereur pour trente ans, avec les privileges les plus nobles & les plus amples qu'aucune compagnie de commerce ait encore reçue de son souverain. Non-seulement S. M. I. fit pour trois années la remise des droits d'entrée & de sortie, mais elle y ajouta un don gratuit de 300 mille écus pour favoriser ses premiers commencemens. Aussi-tôt après l'enregistrement des lettres patentes, les livres furent ouverts pour les souscriptions, & elles furent remplies en un seul jour ; sur la fin du même mois elles gagnoient déja 12 à 15 pour cent.

Ces brillans avantages causerent la chûte de cette compagnie ; car en même tems qu'ils enflerent le coeur de toutes les personnes qui y étoient intéressées, ils augmenterent la jalousie des compagnies hollandoises des Indes orientales & occidentales, qui ne pouvant plus voir de si puissans & de si voisins compétiteurs, prêts à partager leur commerce, demanderent aux Etats-Généraux la liberté de le maintenir par la force, assurés du succès de leur requête, du soutien de l'Angleterre, & tout au-moins de la neutralité de la France.

Lorsque l'empereur gagna la bataille de Belgrade, on ne fut point inquiet des conquêtes qui pouvoient en être la suite ; mais quand on le vit disposé à soutenir la compagnie d'Ostende, on en fut allarmé : la France même défendit à ses sujets de s'intéresser dans cette compagnie. Ce fut bien pis après l'expédition des lettres patentes, revêtues de toutes les graces qui pouvoient leur donner du poids ; alors les puissances maritimes ne garderent plus de ménagement ; elles menacerent l'empereur de la guerre la plus opiniâtre, & leurs menaces devinrent l'objet de l'agitation de l'Europe en 1725 ; enfin, comme tout étoit prêt à s'armer, l'empereur prit le parti qu'impose la nécessité, celui de céder à la force, & de suspendre son octroi. On comprend bien que l'inaction de la compagnie d'Ostende depuis ce tems-là jusqu'à ce jour 1760, est une suppression réelle sous un nom plus adouci ; & les négocians des Pays-bas autrichiens ne sauroient encore s'en consoler.

Il est vrai que l'empereur n'étoit pas trop fondé dans ses prétentions. On avoit stipulé dans les traités d'Utrecht, & dans celui de la Barriere, conclu à Anvers en 1715, qu'il ne posséderoit les Pays-bas espagnols, qu'avec les mêmes droits & les mêmes prérogatives que Charles II. les avoit possédés. Or ce prince ne pouvoit pas établir dans ses domaines une compagnie pour le commerce des Indes ; d'où il résulte que son successeur étoit astreint à la même clause ; mais quand Charles VI. auroit pu, avec justice, défendre sa compagnie d'Ostende, il est vraisemblable que cet établissement auroit allumé le feu d'une guerre ruineuse, & que sa nouvelle compagnie n'auroit jamais pû se soutenir. (D.J.)


OSTENSIFadj. (Gram.) qui peut être montré. Il y a des lettres secrettes qui ne sont que pour celui à qui elles sont adressées ; & des lettres ostensives, qu'il faut montrer comme les seules qu'on ait reçues.


OSTENTATIONS. f. (Morale) parade de ses qualités, de ses talens, ou de ses actions. Si cette parade est fausse, elle nous rend le jouet de nos folies, & nous couvre de ridicule. Si elle est fondée, mais sans faste injurieux pour les autres, c'est un vernis qui a la propriété d'embellir & de conserver ce qui en est digne. La vertu, faut-il le dire, a quelquefois besoin de se faire valoir pour être remarquée. Cicéron se trouva dans des conjonctures où il lui convenoit de parler de lui-même & de ses services avec quelque ostentation. Elle réussit d'ordinaire dans les républiques, rarement à la cour des rois, ou dans un corps de sénateurs aristocratiques. Elle ne sied pas mal à un général couronné de lauriers. Pour faire aimer la belle gloire aux troupes, il y faut mêler un peu de la fausse. La bravoure des soldats est toute dans les yeux ou dans la voix de celui qui les commande. Ils ont besoin pour marcher qu'on leur enfle le coeur de vaines promesses & de magnifiques projets. (D.J.)


OSTEOCOLLES. f. (Hist. nat.) c'est ainsi qu'on nomme une substance fossile, qui ressemble parfaitement à des racines d'arbres pétrifiées. Elle est ordinairement inégale & raboteuse, d'un blanc jaunâtre, cependant dans quelques parties elle est quelquefois blanche comme de la neige, tandis que d'autres parties sont grises ou noirâtres. Cette substance ne se trouve que dans des terreins arides & sablonneux ; elle est d'une forme cylindrique ; on en trouve depuis la grosseur d'une plume, jusqu'à celle du bras ou de la cuisse. Le tissu de cette substance est moins compacte au centre que vers l'extérieur ou l'écorce : quelques morceaux paroissent avoir leur centre rempli de petits trous comme l'intérieur des os. Les gros morceaux ou racines ont moins de consistance & de solidité que les petits. En général l'ostéocolle est tendre & fragile tant qu'elle est en terre, ce qui fait qu'on a beaucoup de peine à la tirer en grands morceaux, mais elle acquiert de la consistance lorsqu'elle a été exposée à l'air.

Les naturalistes ont été très-embarrassés pour connoître la nature & l'origine de l'ostéocolle, quelques-uns l'ont pris pour une concrétion spathique, d'autres l'ont regardé comme une espece de tuf ou d'incrustation ; d'autres ont cru que c'étoit des ossemens calcinés ou pétrifiés à cause de sa forme & de son tissu. Ferrante Imperato en a très-bien jugé lorsqu'il a dit que c'étoit une racine changée en une pierre tendre & mêlée de sable. En effet cela est conforme aux observations & aux expériences les plus récentes qui ont été faites sur l'ostéocolle ; elles sont dûes à M. Gleditsch de l'académie de Berlin ; il a examiné cette substance qui se trouve très-communément dans la Marche de Brandebourg, & le célebre M. Marggraf en a fait l'analyse chimique. Voyez les mémoires de l'académie royale de Berlin, année 1748.

D'après ces observations il paroît constant que l'ostéocolle a été formée par des racines d'arbres, qui, après s'être pourries dans le sable par l'humidité, ont été remplies peu-à-peu d'une terre calcaire, semblable à de la craie ou à de la marne mêlée de sable, à qui ces racines pourries ont servi de moule. Ce qui constate ce sentiment d'une maniere indubitable, c'est un fait rapporté par M. Gleditsch. Lorsqu'il s'occupoit à chercher de l'ostéocolle, il vit un pin placé sur un lieu élevé, les eaux avoient entraîné une partie du terrein sablonneux qui couvroit ses racines, dont plusieurs étoient à nud par un côté ; ayant eu la curiosité d'examiner ses racines par le côté où elles étoient encore enfoncées dans le sable, il trouva qu'une de ces racines de la grosseur du bras, & tenant encore au tronc, étoit changée en ostéocolle, & que la partie ligneuse pourrie & changée en terre étoit restée au centre. Ce fait est propre à lever toutes les objections, puisqu'il prouve la pétrification d'une racine ensevelie dans le sable, & qui tenoit encore à l'arbre vivant. D'autres observations ont convaincu M. Gleditsch de plus en plus de cette vérité, il a trouvé des ostéocolles, dans lesquelles la substance ligneuse étoit encore mêlée avec la substance terreuse ou pierreuse.

Toutes ces observations sont confirmées par les expériences que M. Marggraf a faites sur l'ostéocolle ; elles prouvent qu'elle est composée d'une pierre calcaire, d'un sable fin, & de particules de végétaux pourris. Voyez les mémoires de l'académie de Berlin, année 1748. pag. 35-59.

M. Beurer de Nuremberg a aussi examiné l'ostéocolle avec beaucoup d'attention ; ses observations s'accordent parfaitement avec celles de M. Gleditsch, excepté qu'il soupçonne que cette substance est produite par les racines du peuplier noir, vu qu'il apperçut une branche desséchée de cet arbre & un rameau encore verd adhérent à un peuplier noir, dont la partie supérieure étoit encore du bois, & dont la partie inférieure étoit changée en ostéocolle. Voyez les transact. philosoph. n °. 476.

Les Naturalistes ont donné une infinité de noms différens à cette substance qu'ils connoissoient si peu ; il est à-propos de les rapporter pour pouvoir entendre les différens ouvrages qui en ont parlé ; ils l'ont appellé ostéocolla, ostéites, lapis ossifragus, ossina, ossisana, lapis morochius, hammosteus, enosteos, holosteus, ostéolithus, stelechites, lapis asiaticus, lapis sabulosus, lapis spongiae, cysteolithus, fossile arborescens. La plûpart de ces dénominations sont fondées sur la ressemblance que cette substance a avec les os, ou sur la prétendue vertu qu'on lui a attribuée de servir à consolider & à faire reprendre les os fracturés ; c'est pour cela qu'on l'appelle aussi pierre des rompus, ou pierre des os rompus. On sent aisément que ces vertus sont imaginaires, cependant l'ostéocolle occupe encore une place dans la boutique des apoticaires d'Allemagne, qui souvent lui substituent du gypse ou du spath.

OSTEOCOLLE, on assure que l'ostéocolle est un spécifique pour la génération du cal dans les fractures. Fabrice de Hildan en dit des merveilles dans ses observations de chirurgie. Il prétend que par l'usage intérieur & extérieur de cette pierre, il a obtenu bien plus promptement que d'ordinaire la consolidation des os fracturés. Il a des observations par lesquelles il semble que le cal étoit difforme, parce qu'il se faisoit avec trop de précipitation, comme si la nature avoit porté, par l'opération de cette pierre, une trop grande quantité de sucs osseux à la partie fracturée. L'auteur assure avoir été obligé de s'abstenir de l'usage de l'ostéocolle, & d'employer des moyens pour réprimer le cal, tels que des remedes repercussifs, & une plaque de plomb bien serrée : de-là il conclut qu'on ne peut se servir utilement de ce secours que pour des vieillards en qui les sucs nourriciers manquent ; mais que sur un jeune homme, tel que celui qui étoit le sujet de son observation, il falloit en user bien modérément. Il y a bien de l'apparence qu'il en a été de ce remede, comme de toutes les nouveautés qu'on accueille d'abord avec enthousiasme contre toute raison, & qu'on abandonne souvent tout-à-fait avec aussi peu de fondement, parce qu'il pourroit y avoir un point d'utilité, en-delà & en-deçà duquel on se porte trop communément. (Y)

OSTEOCOLLE, (Mat. med.) les pharmacologistes ont encore attribué à cette substance pierreuse des qualités spécifiques contre les fleurs blanches & la gonorrhée ; ces vertus sont purement imaginaires : & même quoique l'ostéocolle soit formée en partie d'une certaine quantité de terre soluble par les acides, elle n'est pas même utile à titre d'absorbant, parce que, selon Cartheuser, qui l'appelle avec raison rude, crassum, & ignobile concretum, elle est encore composée d'une autre matiere qui n'est nullement médicamenteuse, savoir de sable. Une petite quantité d'huile empireumatique & de phlegme alkali volatil qu'on en retire par la violence du feu, & quelques foibles vapeurs d'esprit de sel qui s'en élevent par l'application de l'acide vitriolique, peuvent indiquer l'origine végétale de l'ostéocolle, mais non pas des vertus médicinales. (b)


OSTEOCOPES. m. (Médec.) se dit de certaines douleurs aiguës dans lesquelles il semble à ceux qui en sont attaqués qu'on leur brise les os.

Ce mot vient du grec , os, & de , couper, rompre, briser.

Elle vient d'une humeur âcre, qui picote la membrane dont les os sont revétus. Ceux que l'ostéocope affecte le plus ordinairement sont les scorbutiques & les vérolés.


OSTÉOGONIES. f. (Anat.) la partie de l'Ostéologie qui donne la description de tous les changemens qui arrivent aux os depuis leur commencement jusqu'à leur état de perfection. Ce mot est formé du grec , os, & , génération. Nesbit human osteogonie, Lond. 1736. 8°.


OSTÉOGRAPHIES. f. (Anat.) c'est une partie de l'Ostéologie, qui décrit les os tels qu'ils sont dans leur état de perfection. Le mot est formé du grec , os, & , description.

Cheselden osteography, à Lond. 1733, in-fol.

Douglas of cheselden's osteography, Lond. 1735. in-fol.


OSTÉOLOGIES. f. (Anat.) la partie de l'Anatomie qui a pour objet la nature & la fabrique des os du corps humain, leur forme, leur disposition, leur articulation, leur usage, &c. Voyez aussi l'article ANATOMIE.

Ce mot est composé d', os, & , discours.


OSTÉOTOMIES. f. (Anat.) partie de l'Anatomie qui traite de la dissection des os.

Ce mot est composé de deux mots grecs, , os, & de , je coupe, je disseque.


OSTERLANDL '(Géog.) ce mot veut dire le pays oriental. C'est un canton d'Allemagne dans l'électorat de Saxe ; il se termine au N. par le duché de Naumbourg, & par la Misnie, qui le borne aussi à l'E. Il est terminé au S. par le Voigtland, & au N. O. par le duché de Weymar. Altembourg en est la capitale.


OSTERLINSMAISON DES, (Comm.) on appelle à Anvers, ville du Brabant, la maison des osterlins, un vaste & superbe bâtiment composé de quatre grands corps de logis, avec une cour dans le milieu, & une grande tour sur la partie d'entrée, qui servoit autrefois de comptoir aux villes anséatiques du tems qu'elles en avoient dans les principales villes de commerce de l'Europe.

C'étoit dans cette espece de palais que résidoit le directeur consul de cette célebre société de marchands, & qu'étoient d'immenses magasins de toute sorte de marchandises, non-seulement du nord où avoit commencé la confédération, mais encore de toutes les parties du monde alors connues, où ces villes fameuses portoient leur commerce.

Les plus considérables comptoirs, après celui d'Anvers, étoient ceux de Londres, de Novogorod en Russie, & de Berghen en Norwege. On voit encore dans cette derniere ville une pareille maison de celle des osterlins d'Anvers, qui sert de demeure à des marchands qui y vivent sous de certaines lois, dont une des principales est de ne se point marier tant qu'on y veut avoir son habitation, ce qui lui a fait donner le nom de cloître. Savary. (D.J.)


OSTÉRODE(Géog.) petite ville d'Allemagne de l'électorat d'Hanovre, dans la principauté de Grubenhagen. Long. 27. 32. lat. 51. 50.


OSTFALESLES (Géog.) partie considérable des anciens Saxons établie entre l'Elbe & le Weser. Les Ostfales confinoient aux Slaves, peuples situés audelà de l'Elbe. Les Westfales s'étendoient presque jusqu'au Rhin ; entr'eux & les Ostfales étoient les Angariens, dont Engeru qui subsiste encore, étoit la capitale. Ces Ostfales ou Ostfaliens, sont nommés ailleurs Osterlings, Austrelings, Austrelins & Austrasiens. On peut dériver le mot d'Ostfales & d'Ostfelders, des mots feld, campagne, & ost orientale.

Dans le sixieme siecle les Ostfales s'étendirent aux parties septentrionales de la Thuringe ; ensuite avec le tems ils se reculerent, & ce qui avoit été la Saxe fut abandonné aux Fales occidentaux, qui donnerent à ce pays le nom de Westphalie qu'il porte encore. (D.J.)


OSTFRISou OOSTFRISE, (Géog.) ce mot est équivoque, & a signifié en divers tems des pays fort différens. Quelquefois il s'est dit par opposition au mot de Westfrise, alors il ne signifioit que le pays situé entre le Flevus & le Lauwers. C'est de ce canton qu'étoit souverain Guillaume, comte d'Ostfrise, dont parle Beka, historien de l'église d'Utrecht, in Balduino II. Dans l'usage présent ce canton est compris dans la Frise proprement dite, qui est une des sept Provinces-Unies. Il est borné au nord par la mer d'Allemagne, à l'orient par le comté d'Oldenbourg, au midi par l'évêché de Munster, au couchant par la province de Groningue, ou par l'embouchure de l'Embs. On le nomme aussi quelquefois le comté d'Embden, du nom de sa capitale.

Ce pays marécageux est divisé en dix quartiers, dont les uns sont sur les côtes de la mer, & les autres dans les terres. Il a eu depuis 1654 son souverain particulier, sous la protection des Provinces-Unies. Enfin en 1744, il est tombé entre les mains du roi de Prusse. (D.J.)


OSTIA(Géog.) ce mot dans les cartes géographiques dressées en latin, veut dire les embouchures d'un fleuve qui entre dans la mer par plusieurs ouvertures. Ostium au singulier, veut dire l'entrée, la porte d'un pays, d'un lieu ; & à l'égard des détroits & des rivieres, il signifie leur embouchure. Les anciens ont nommé le bosphore de Thrace Ostium cyaneum, à cause des îles cyanées qui sont voisines de l'entrée de ce détroit.


OSTIAKS(Hist. mod. & Géographie) au-dessous de la contrée des Samoyédes est celle des Ostiaks, le long du fleuve Oby. Ils ne tiennent en rien des Samoyédes, sinon qu'ils sont comme eux & comme tous les premiers hommes, chasseurs, pasteurs & pêcheurs ; les uns sans religion, parce qu'ils ne sont pas rassemblés ; les autres qui composent des hordes, ayant une espece de culte, faisant des voeux au principal objet de leurs besoins ; ils adorent une peau de mouton, parce que rien ne leur est plus nécessaire que ce bétail ; de même que les anciens Egyptiens agriculteurs choisissoient un boeuf, pour adorer dans l'emblême de cet animal la divinité qui l'a fait naître pour l'homme.

Les Ostiaks ont aussi d'autres idoles, dont ni l'origine, ni le culte ne méritent pas plus notre attention que leurs adorateurs. On a fait chez eux quelques chrétiens vers l'an 1712. Ceux-là sont chrétiens comme nos paysans les plus grossiers, sans savoir ce qu'ils sont. Plusieurs auteurs prétendent que ce peuple est originaire de la grande Permie : mais cette grande Permie est presque déserte ! Pourquoi ses habitans se seroient-ils établis si loin & si mal ? Ces absurdités ne valent pas nos recherches. Tout peuple qui n'a point cultivé les arts doit être condamné à être inconnu.

C'est sur-tout chez ces Ostiaks, chez les Burattes & les Jakutes leurs voisins, qu'on trouve souvent dans la terre de cet ivoire dont on n'a pu jamais savoir l'origine : les uns le croient un ivoire fossile, les autres les dents d'une espece d'éléphant dont la race est détruite. Dans quel pays ne trouve-t-on pas des productions de la nature qui étonnent, qui confondent la Philosophie ? descript. de Russie, p. 42. (D.J.)


OSTIAQUES(Géog.) peuple d'Asie dans la Sibérie, aux environs de l'Oby, d'où il s'étend jusqu'au Jénisca qui le termine à l'E. Il est borné au N. par le cercle polaire, & au S. par les Calmoucks. Il fait partie de la Tartarie russienne.

Les Ostiaques habitent sous le 60 degré de latitude. Ils sont petits & mal faits ; ils vivent de poisson ou de viande crue ; ils mangent la chair de toutes les especes d'animaux sans aucun apprêt ; ils boivent plus volontiers du sang que de l'eau ; ils sont idolâtres, & errans comme les Lapons & les Samoyédes. Ils ne veulent pour femmes que des filles qui ont eu commerce avec d'autres hommes, &c.

Cet exposé n'est qu'un échantillon des usages & de la stupidité de ce peuple. On trouvera de plus grands détails dans les mémoires sur l'état de la Russie, imprimés à Amsterdam en 1725. On dit qu'on a amené plusieurs de ces idolâtres à la connoissance de l'Evangile sur la fin du regne de Pierre le grand. (D.J.) Voyez OSTIAKS.


OSTIARIUMS. m. (Hist. anc.) tribut qu'on faisoit payer de porte en porte. Il étoit très-injuste, puisqu'il étoit égal pour le pauvre & pour le riche.


OSTIE(Géog.) ancienne ville d'Italie dans la campagne de Rome, avec un évêché qui est uni à celui de Vélétri. Cette ville si fameuse du tems des Romains, est entierement détruite & ne consiste que dans une église, autour de laquelle il y a quelques misérables maisons en partie ruinées. Cet endroit est au milieu de l'isthme, borné au couchant par l'ancienne branche du Tibre, & à l'orient par un marais, à 5 lieues S. O. de Rome. Long. 29. 58. lat. 41. 47.

Denys d'Halicarnasse, l. III. ch. xlij. donne une longue description de la fondation d'Ostie, & Tite-Live, liv. I. ch. xxxiij. l'a faite en deux mots : Anco Martio regnante, in ore Tiberis Ostia urbs condita, salinae circa factae. Elle fut saccagée par Marius, mais elle se rétablit promptement. L'empereur Claude en fit un port fermé avec une haute tour, sur le modele de celle d'Alexandrie, pour servir de phare aux vaisseaux.

Une seule chose contribua à ruiner la grandeur de cette ville, son ancien canal se combla peu-à-peu, & rendit son port inutile. Malgré le nouveau port qu'y fit Trajan, Ostie tomba dans le dépérissement, à la chûte de l'empire romain. Les barbares acheverent de la ruiner, & les Sarrazins n'y laisserent pierre sur pierre. Les habitans furent emmenés en esclavage, & ceux qui échapperent au fer ou à la servitude, se retirerent bien loin de ce funeste lieu. En vain le pape Grégoire IV. voulut rétablir en 830 cette ancienne ville, les Corses qu'il y envoya périrent par le mauvais air de cet endroit inculte. Enfin le nom même de cette ville seroit perdu, si elle n'avoit été le titre du premier suffragant de Rome.


OSTIENNEPORTE (Topographie de Rome, Ostiensis porta, porte de la ville de Rome du côté d'Ostie : on la nommoit aussi porta trigencina, c'est aujourd'hui la porte de S. Paul.

OSTIENNE, VOIE (Topograph. de Rome) via ostiensis, grande route qui menoit de Rome à Ostie. Dans le tems que ce port étoit florissant, toute cette route longue de douze mille pas, étoit bordée de maisons de plaisance & d'hôtelleries.


OSTIPPO(Géog. anc.) ancienne ville d'Espagne dans la Bétique : elle est nommée Astupa par Tite-Live, liv. xxviij. ch. xxij. c'est présentement Estepa en Andalousie, à près de trois lieues d'Ecija. (D.J.)


OSTISE(Jurisprud.) signifie demeure, & peut venir du latin ostium, qui veut dire l'entrée de la maison ; ou plutôt du latin hospes, dont on a fait en françois hoste & hostise, & par corruption ostise. Droit d'ostise est le droit de demeurer quelque part : on entend aussi par-là le devoir annuel que le sujet paye à son seigneur pour le fouage ou tenement. Voyez Galland, traité du Franc-aleu, & Lauriere en son glossaire, au mot Ostise. (A)


OSTRACINE(Géog. anc.) nom d'une ancienne ville d'Egypte, d'une montagne du Péloponnèse dans l'Arcadie, & d'un quartier de la ville d'Antioche de Syrie.


OSTRACISMES. m. (Polit. d'Athènes) loi par laquelle le peuple athénien condamnoit sans flétrissure ni deshonneur, à dix ans d'exil, les citoyens dont il craignoit la trop grande puissance, & qu'il soupçonnoit de vouloir aspirer à la tyrannie.

Cette loi fut appellée ostracisme, du mot grec , qui signifie proprement une écaille, ou une coquille ; mais qui dans cette occasion, est pris pour le bulletin, s'il m'est permis de me servir de ce terme, sur lequel les Athéniens écrivoient le nom du citoyen qu'ils vouloient bannir. Peut-être que désignoit un morceau de terre cuite faite en forme d'écaille ou de coquille, du-moins les Latins ont traduit le mot grec par testula.

Le ban de l'ostracisme n'avoit d'usage que dans les occasions où la liberté étoit en danger ; s'il arrivoit par exemple, que la jalousie ou l'ambition mît la discorde parmi les chefs de la république, & qu'il se formât différens partis qui fissent craindre quelque révolution dans l'état, le peuple alors s'assembloit, & délibéroit sur les moyens qu'il y avoit à prendre pour prévenir les suites d'une division qui pouvoit devenir funeste à la liberté. L'ostracisme étoit le remede ordinaire auquel on avoit recours dans ces sortes d'occasions ; les délibérations du peuple se terminoient le plus souvent par un decret, qui indiquoit à certain jour, une assemblée particuliere pour procéder au ban de l'ostracisme. Alors ceux qui étoient ménacés du bannissement, ne négligeoient rien de ce qui pouvoit leur concilier la faveur du peuple, & le persuader de l'injustice qu'il y auroit à les bannir.

Quelque tems avant l'assemblée, on formoit au milieu de la place publique, un enclos de planches dans lequel on pratiquoit dix portes, c'est-à-dire autant de portes qu'il y avoit de tribus dans la république ; & lorsque le jour marqué étoit venu, les citoyens de chaque tribu entroient par leur porte particuliere, & jettoient au milieu de cet enclos, la petite coquille de terre sur laquelle étoit écrit le nom du citoyen qu'ils vouloient bannir. Les archontes & le sénat présidoient à cette assemblée, & comptoient les bulletins. Celui qui étoit condamné par six mille de ses concitoyens, étoit obligé de sortir de la ville dans l'espace de dix jours ; car il falloit au-moins six mille voix contre un athénien pour qu'il fût banni par l'ostracisme.

Quoique nous n'ayons point de lumieres sur l'époque précise de l'institution de l'ostracisme, il est vraisemblable qu'il s'établit après la tyrannie des Pisistratides, tems où le peuple athénien ayant eu le bonheur de secouer le joug de la tyrannie, commençoit à goûter les douceurs de la liberté. Extrêmement jaloux de cette liberté, c'est alors sans doute qu'il dut redoubler son attention pour prévenir & éloigner tout ce qui pourroit y donner la moindre atteinte. Quoique Pisistrate eût gouverné la république avec beaucoup de douceur & d'équité, cependant la seule idée d'un maître causoit une telle horreur à ce peuple, qu'il crut ne pouvoir prendre d'assez fortes précautions, pour ne plus retomber sous un joug qui lui paroissoit insupportable. Attaché par goût à la démocratie, il jugea que l'unique moyen d'affermir & de conserver cette espece de gouvernement, étoit de maintenir tous les citoyens dans une parfaite égalité ; & c'est sur cette égalité qu'il fondoit le bonheur de l'état.

Ce fut sur de tels motifs que les Athéniens établirent l'ostracisme, au rapport d'Androtion cité par Harpocration : " Hipparchus, dit-il, étoit parent du tyran Pisistrate, & il fut le premier que l'on condamna au ban de l'ostracisme ; cette loi venoit d'être établie, à cause du soupçon & de la crainte qu'on avoit, qu'il ne se trouvât des gens qui voulussent imiter Pisistrate, qui ayant été à la tête des affaires de la république, & général d'armée, s'étoit fait tyran de la patrie ".

Les Athéniens prévirent sans doute les inconvéniens de cette loi ; mais ils aimerent mieux, comme l'a remarqué Cornélius Népos, s'exposer à punir des innocens, que de vivre dans des allarmes continuelles ; cependant, comme ils sentirent que l'injustice auroit été trop criante, s'ils avoient condamné le mérite aux mêmes peines dont on avoit coutume de punir le crime, ils adoucirent autant qu'ils purent, la rigueur de l'ostracisme ; ils en retrancherent ce que le bannissement ordinaire avoit d'odieux & de deshonorant par lui-même. On ne confisquoit pas les biens de ceux qui étoient mis au ban de l'ostracisme ; ils en jouissoient dans le lieu où ils étoient rélégués ; on ne les éloignoit que pour un tems limité, au-lieu que le bannissement ordinaire étoit toujours suivi de la confiscation des biens des exilés, & qu'on leur ôtoit toute espérance de retour.

Malgré les adoucissemens que les Athéniens apporterent à la rigueur de leur loi, il est aisé de voir, que si d'un côté elle étoit favorable à la liberté, de l'autre elle étoit odieuse, en ce qu'elle condamnoit des citoyens sans entendre leur défense, & qu'elle abandonnoit le sort des grands hommes à la délation artificieuse, & au caprice d'un peuple inconstant & capricieux. Il est vrai que cette loi auroit été avantageuse à l'état, si le même peuple qui l'avoit établie, eût toujours eu assez de discernement & d'équité, pour n'en faire usage que dans les occasions où la liberté auroit été réellement en danger ; mais l'histoire de la république d'Athènes ne justifia que par trop d'exemples, l'abus que le peuple fit de l'ostracisme.

Cet abus ne fut jamais plus marqué que dans le bannissement d'Aristide. On en peut juger par l'aventure qui lui arriva dans l'assemblée du peuple, le jour même de son bannissement. Un citoyen qui ne savoit pas écrire, s'adressa à lui comme au premier venu, pour le prier d'écrire le nom d'Aristide. Aristide étonné, lui demanda quel mal cet homme lui avoit fait, pour le bannir. Il ne m'a point fait de mal, répondit-il ; je ne le connois même pas, mais je suis las de l'entendre par-tout nommer le juste. Aristide écrivit son nom sans lui répondre.

Ce sage fut banni par les intrigues de Thémistocle, qui débarrassé de ce vertueux rival, demeura maître du gouvernement de la république, avec plus d'autorité qu'auparavant ; mais il ne jouit pas longtems de l'avantage qu'il avoit remporté sur son émule ; il devint à son tour l'objet de l'envie publique ; & malgré ses victoires & les grands services qu'il avoit rendus à l'état, il fut condamné au ban de l'ostracisme.

Il est certain que la liberté n'avoit pas de plus dangereux écueil à craindre, que la réunion de l'autorité dans la main d'un seul homme ; & c'est cependant ce que produisit l'ostracisme, en augmentant le crédit & la puissance d'un citoyen, par l'éloignement de ses concurrens. Périclès en sut tirer avantage contre Cimon & Thucydide, les deux seuls rivaux de gloire qui restoient à éloigner, pour tenir le timon de l'état.

Sentant qu'il ne pouvoit élever sa puissance que sur les débris de celle de Cimon qui étoit en crédit auprès des grands, il excita l'envie du peuple contre ce rival, & le fit bannir par la loi de l'ostracisme, comme ennemi de la démocratie, & fauteur de Lacédémone. En vain Thucydide forma un puissant parti pour l'opposer à celui de Périclès ; tous ses efforts hâterent sa propre ruine. Le peuple tint l'assemblée de l'ostracisme, pour reléguer l'un de ces deux chefs. Thucydide fut banni, & laissa Périclès tyran désarmé, comme un ancien écrivain l'appelle, en possession de gouverner la république avec une autorité absolue, qu'il conserva jusqu'à la fin de sa vie. Il trouva le moyen par son habileté de subjuguer ce peuple envieux & jaloux, ennemi plus redoutable à celui qui le gouvernoit, que les Perses & les Lacédémoniens.

Il faut pourtant convenir, que ce même peuple très-éclairé sur les inconvéniens de l'ostracisme, sentit plus d'une fois le tort que son abus avoit fait à la république ; le rappel d'Aristide & de Cimon, avant que le terme des dix ans fût expiré, en est une preuve éclatante. Mais quelques raisons que les Athéniens eussent de rejetter une loi, qui avoit causé plusieurs fois un grand préjudice à l'état, ce ne furent pas ces motifs qui les déterminerent à l'abolir ; ce fut une raison opposée, & qui est vraiement singuliere : nous en devons la connoissance à Plutarque.

Il s'étoit élevé, dit cet auteur, un grand différend entre Alcibiade & Nicias ; leur mésintelligence croissoit de jour en jour, & le peuple eut recours à l'ostracisme : il n'étoit pas douteux que le sort ne dût tomber sur l'un ou l'autre de ces chefs. On détestoit les moeurs dissolues d'Alcibiade, & l'on craignoit sa hardiesse ; on envioit à Nicias les grandes richesses qu'il possédoit, & on n'aimoit point son humeur austere. Les jeunes gens qui désiroient la guerre, vouloient faire tomber le sort de l'ostracisme sur Nicias ; les vieillards qui aimoient la paix, sollicitoient contre Alcibiade. Le peuple étant ainsi partagé, Hyperbolus, homme bas & méprisable, mais ambitieux & entreprenant, crut que cette division étoit pour lui une occasion favorable de parvenir aux premiers honneurs. Cet homme avoit acquis parmi le peuple une espece d'autorité ; mais il ne la devoit qu'à son impudence. Il n'avoit pas lieu de croire que l'ostracisme pût le regarder ; il sentoit bien que la bassesse de son extraction le rendoit indigne de cet honneur ; mais il espéroit que si Alcibiade ou Nicias étoit banni, il pourroit devenir le concurrent de celui qui resteroit en place. Flatté de cette espérance, il témoignoit publiquement la joie qu'il avoit de les voir en discorde, & il animoit le peuple contr'eux. Les partisans d'Alcibiade & de Nicias ayant remarqué l'insolence & la lâcheté de cet homme, se donnerent le mot secrettement, se réunirent, & firent ensorte que le sort de l'ostracisme tomba sur Hyperbolus.

Le peuple ne fit d'abord que rire de cet événement ; mais il en eut bien-tôt après tant de honte & de dépit, qu'il abolit la loi de l'ostracisme, la regardant comme deshonorée par la condamnation d'un homme si méprisable. Par l'abolition de cette loi, les Athéniens voulurent marquer le répentir qu'ils avoient d'avoir confondu un vil délateur, & de condition servile, avec les Aristides, les Cimons, & les Thucydides : ce qui a fait dire à Platon le comique, parlant d'Hyperbolus, que ce méchant avoit bien mérité d'être puni à cause de ses mauvaises moeurs ; mais que le genre de supplice étoit trop honorable pour lui, & trop au dessus de sa basse extraction, & que l'ostracisme n'avoit point été établi pour les gens de sa sorte.

Finissons par quelques courtes réflexions : je remarque d'abord que l'ostracisme ne fut point particulier à Athènes, mais que toutes les villes où le gouvernement étoit démocratique, l'adopterent ; c'est Aristote qui le dit ; on sait qu'à l'imitation des Athéniens, la ville de Syracuse établit le Pétalisme. Voyez PETALISME.

Le bill appellé d'atteinder en Angleterre, se rapporte beaucoup à l'ostracisme ; il viole la liberté contre un seul, pour la garder à tous. L'ostracisme conservoit la liberté ; mais il eût été à souhaiter qu'elle se fût maintenue par quelque autre moyen. Quoiqu'il en soit, si les Athéniens ont mal pourvu au soutien de leur liberté, cela ne peut préjudicier aux droits de toutes les autres nations du monde. Le pis qu'on puisse dire, c'est que par leur loi de l'ostracisme, ils n'ont fait de mal qu'à eux-mêmes, en se privant pour un tems des bénéfices qu'ils pouvoient se promettre des vertus éclatantes des personnes qu'ils condamnoient pour dix ans à cette espece d'exil. (D.J.)


OSTRACITES(Hist. nat. Minéral.) c'est ainsi que les Naturalistes ont nommé les différentes especes d'huitres qui se trouvent dans le sein de la terre. Les ostracites, ainsi que les autres coquilles, se trouvent ou parfaitement conservées & dans leur état naturel, ou elles sont pétrifiées, c'est-à-dire, qu'il est venu se joindre des particules terreuses & lapidifiques à celles qui constituoient l'huitre ; & parlà elles ont augmenté son poids & son volume ; ou bien on les trouve dans un état de destruction & de décomposition, & quelquefois percé de trous & comme vermoulues. Les ostracites varient pour la grandeur & pour la forme, ainsi que les huitres naturelles ; il y en a quelques-unes que l'on trouve dans le sein de la terre, & dont on ne connoît point les analogues vivans ; telles sont sur-tout certaines ostracites d'une grandeur prodigieuse que l'on rencontre en quelques endroits de la terre, comme dans le duché de Wirtemberg, dans le canton de Berne, &c. Voyez HUITRE.

Boece de Boot, & quelques autres naturalistes, ont donné le nom d'ostracite à la pierre ollaire, ou pierre dont on fait des pots. Voyez OLLAIRE pierre.

Quelques auteurs ont aussi donné le nom d'ostracite à une espece d'enduit ou de suie par écailles, qui s'attache aux parois intérieurs de certains fourneaux où l'on traite des mines qui contiennent du zinc. Voyez CADMIR. (-)


OSTREOPECTINITES(Hist. nat.) c'est le nom donné à une coquille fossile appellée aussi anomie, conchae anomiae, en françois poulettes. Ces coquilles sont ou plates ou arrondies, ou allongées, ou en trois parties, trilobi, ou sillonnées. On les nomme aussi térébratulites. Ce qui les caracterise, c'est qu'elles ont toutes comme une espece de bec recourbé, formé ainsi, parce qu'une des valves de la coquille excede l'autre.

On a appellé cette coquille anomie, parce que l'on ne connoissoit point son analogue vivant, mais actuellement on sait qu'il s'en trouve une espece sur les côtes de Provence. Voyez TEREBRATULITE. (-)


OSTREVANTL '(Géog.) en latin Austerbatensis pagus, Austerbatensis pagus & Austerbantum ; contrée des Pays-bas, entre l'Artois & le Hainault, auxquels elle a appartenu successivement. Elle est nommée Osterban dans l'acte de Louis le Débonnaire pour le partage de son royaume entre ses enfans. L'Ostrevant a eu le titre de Comté, & faisoit partie de l'Artois. Bouchain est la capitale ; la Scarpe le borne au nord, & le ruisseau de Senset le borne au couchant. (D.J.)


OSTROGOTHIou OSTROGOTHLAND, (Géog.) la premiere terminaison est françoise, & l'autre allemande : on distingue l'Ostrogothie hors, & dans la Suede. L'Ostrogothie hors de la Suede, c'est le pays que les Ostrogoths ont habité dans la décadence de l'empire. L'Ostrogothie dans la Suede est la partie orientale de la Gothie, grande contrée de la Suéde qui est bornée par le Schager-Rak au couchant, & par la mer Baltique à l'orient. Ce pays est coupé en deux par le lac de Veter ; on n'y compte que deux villes, Lindkoping & Nordkoping : c'est aussi dans l'Ostrogothie que sont les mines d'Atned.


OSTROGOTHS(Hist. anc.) nation qui faisoit partie de celle des Goths ; elle descendoit des Scandinaves, & habitoit la partie orientale de la Suede bornée par la mer Baltique, qui s'appelle encore aujourd'hui Ostrogothie ou Gothie orientale. Ce peuple partit de-là pour aller faire des conquêtes & s'établit d'abord en Poméranie ; de-là les Ostrogoths allerent vers l'orient & se rendirent maîtres d'une partie de la Sarmatie ou Scythie, & du pays qui est entre le Danube & le Borysthène, connu aujourd'hui sous le nom de Podolie, où ils furent vaincus par les Huns, qui les forcerent de quitter leur pays & d'aller chercher des établissemens en Thrace. De-là ils firent des incursions fréquentes sur les terres de l'Empire romain. Enfin, l'an 488. de J. C. ils marcherent sous la conduite de leur roi Théodoric, & après avoir défait Odoacre qui avoit pris le titre de roi d'Italie, ils s'emparerent de ce pays, dont Théodoric fut reconnu souverain par les empereurs de Constantinople. Ce conquérant adopta les lois romaines, & gouverna ses conquêtes avec beaucoup de sagesse & de gloire. La puissance des Ostrogoths se maintint en Italie jusqu'à l'an 553, où Totila leur dernier roi fut tué dans une bataille qui décida du sort de son royaume, qui fut de nouveau réuni à l'empire romain par le fameux Narsès, sous le regne de l'empereur Justinien.


OSTUNI(Géog.) ville d'Italie au royaume de Naples, dans la terre d'Otrante, avec un évêché suffragant de Brindes. Elle est sur une montagne près du golfe de Venise, à 16 milles de Brindes, & à 22 de Tarente. Long. 35. 24. lat. 40. 48. (D.J.)


OSWIECZIN(Géog.) en latin moderne Oswecimia ou Oswecinia, ville de Pologne, avec titre de duché, au Palatinat de Cracovie. Elle est sur la Vistule, à 7 milles au-dessus de Cracovie. Les maisons n'y sont que de bois & de terre, & c'est un château de bois qui sert de logement au gouverneur. Les Allemands nomment cette ville ainsi que le canton Aushwitz. Long. 37. 22. lat. 50. 1. (D.J.)


OSYRIS(Botan.) nom donné par Linnaeus à un genre de plante qui renferme le Casia de Tournefort & des autres Botanistes. Voici les caracteres de ce genre de plante. Il produit des fleurs mâles & femelles : dans les fleurs mâles leur calice particulier est creux, d'une seule feuille, divisée en trois segmens d'une même grandeur, & d'une forme ovale pointue. Il n'y a point de pétale, & les étamines sont trois filets courts. Les bossettes des étamines sont simples. Dans les fleurs femelles le calice est de la même figure que dans les fleurs mâles, mais il est très-petit, & demeure long-tems attaché au germe du pistil, il n'y a point de pétale ; le germe ou l'embryon du pistil est rond ; le stile est applati & le stigma arrondi. Le fruit est une baye sphérique, formant une loge qui contient une seule semence osseuse. Linnaei, gen. plant. pag. 472. Tourn. 448.


OTACOUSTIQUEadj. (Acoust.) terme qui se dit d'instrumens qui aident ou perfectionnent le sens de l'ouie. Voyez OUIE.

Ce mot qui est peu usité est formé du grec , oreille, , entendre. Voyez PORTEVOIX, CORNETS, ÉCHO & CABINETS SECRETS.


OTAGES. m. (Droit polit.) un ôtage est un gage de la sureté d'une convention ; l'on joint quelquefois aux traités de paix, pour sureté de leur exécution, des ôtages, des gages ou des garants. Les ôtages sont de plusieurs sortes ; car ou ils se donnent eux mêmes volontairement, ou c'est par ordre de leur souverain, ou bien ils sont pris de force par l'ennemi : rien n'est plus commun aujourd'hui, par exemple, que d'enlever des ôtages de force pour la sureté des contributions.

Le souverain peut, en vertu de son autorité, contraindre quelques-uns de ses sujets à se mettre entre les mains de l'ennemi pour ôtage ; car s'il est en droit quand la nécessité le requiert, de les exposer à un péril de mort, à plus forte raison peut-il engager leur liberté corporelle ; mais d'un autre côté, l'état doit assurément indemniser les ôtages de tout ce qu'ils peuvent souffrir pour le bien de la société.

L'on demande, & l'on donne des ôtages pour la sureté de l'exécution de quelque engagement ; il faut donc pour cela que l'on puisse garder les ôtages comme on le juge à-propos, jusqu'à l'accomplissement de ce dont on est convenu.

Il suit de-là qu'un ôtage qui s'est constitué tel volontairement, ou celui qui a été donné par le souverain, ne peut pas se sauver ; cependant Grotius accorde cette liberté aux derniers : mais il faudroit pour cela, ou que l'intention de l'état fût que l'ôtage ne demeurât point entre les mains de l'ennemi, ou qu'il n'eût pas le pouvoir d'obliger l'ôtage à y demeurer. Le premier est manifestement faux ; car autrement l'ôtage ne serviroit point de sureté, & la convention seroit illusoire ; l'autre n'est pas plus vrai, car si l'état en vertu de son domaine éminent, peut exposer la vie même des citoyens, pourquoi ne pourroit-il pas engager leur liberté ? aussi Grotius convient-il lui-même, que les Romains étoient obligés de rendre Clelie à Porsenna ; mais il n'en est pas de même à l'égard des ôtages qui ont été pris par force ; car ils sont toujours en droit de se sauver, tant qu'ils n'ont pas donné leur parole qu'ils ne le feroient pas.

On demande, si celui à qui l'on a donné des ôtages peut les faire mourir, au cas que l'on n'exécute pas ses engagemens ? Je réponds que les ôtages eux-mêmes n'ont pû donner à l'ennemi aucun pouvoir sur leur propre vie dont ils ne sont pas les maîtres. Pour ce qui est de l'état, il a bien le pouvoir d'exposer au péril de la mort la vie de ses sujets, lorsque le bien public le demande ; mais ici tout ce que le bien public exige, c'est qu'il engage la liberté corporelle de ceux qu'il donne en ôtage, & il ne peut pas plus les rendre responsables de son infidélité au péril de leur vie, qu'il ne peut faire que l'innocent soit criminel ; ainsi l'état n'engage nullement la vie des ôtages : celui à qui on les donne est censé les recevoir à ces conditions ; & quoique par l'infraction du traité, ils se trouvent à sa merci, il ne s'ensuit pas qu'il ait droit en conséquence de les faire mourir pour ce sujet seul ; il peut seulement les retenir désormais comme prisonniers de guerre.

Les ôtages donnés pour un certain sujet sont libres, dès qu'on y a satisfait, & par conséquent ne peuvent pas être retenus pour une autre cause pour laquelle on n'avoit point promis d'ôtages. Que si l'on a manqué de parole en quelqu'autre chose ou contracté quelque nouvelle dette, les ôtages donnés peuvent alors être retenus, non comme ôtages, mais en conséquence de cette regle du droit des gens, qui autorise à arrêter la personne des sujets pour le fait de leur souverain.

Un ôtage est-il en liberté, par la mort du prince qui l'avoit donné ? Cela dépend de la nature du traité, pour la sureté duquel on avoit livré l'ôtage, c'est-à-dire qu'il faut examiner s'il est personnel ou réel.

Que si l'ôtage devient l'héritier & successeur du prince qui l'avoit donné, il n'est plus tenu alors de demeurer en ôtage, quoique le traité soit réel ; il doit seulement mettre quelqu'un à sa place, si l'autre partie le demande. Le cas dont il s'agit étoit tacitement excepté ; car on ne sauroit présumer qu'un prince, par exemple, qui auroit donné pour ôtage son propre fils, son héritier présomptif, ait prétendu qu'au cas qu'il vînt à mourir lui-même, l'état fût privé de son chef. (D.J.)


OTALGIES. f. (Médec.) Une douleur d'oreille quelconque peut s'appeller otalgie, mais sur-tout si celle qu'on ressent à cette partie est intérieure & violente.

La douleur interne de l'oreille qui vient à la suite de quelque inflammation, est dangereuse ; on la diminue par la saignée, & ensuite par l'évacuation du pus ; il faut y appliquer les émolliens antiphlogistiques, & relâcher le ventre.

Il faut dessécher l'érésipele à la faveur des absorbans secs, & de l'application des doux astringens.

Si c'est un catarrhe ou l'écoulement de quelqu'humeur tenue & âcre, qui produit la douleur d'oreille, il faut détremper cette humeur & l'adoucir par des lotions émollientes, chasser la matiere par les vésicatoires, les ventouses, & en faire la dérivation sur une autre partie en lâchant le ventre. (D.J.)


OTARDEvoyez OUTARDE.


OTELLESterme de Blason. Bouts de fer & piques assez larges par derriere, qu'on a appellés amandes pelées, à cause qu'ils en ont la figure ; on charge quelquefois l'écu de ces bouts de fer : quelques-uns font venir ce mot de hassulae ou hassilae, pique ou lance.


OTENE(Géog. anc.) contrée de l'Arménie, selon Pline, liv. XII. c. xiij. Etienne place le peuple Oteni vers le fleuve Cyrus avec les Obaréniens. (D.J.)


OTERv. act. (Gram.) c'est ou séparer, ou priver, ou transporter, ou éloigner, ou déplacer, ou diminuer, ou arracher, ou perdre, &c. ôtez cet enfant de la voie des carosses : qui de 9 ôte 5, reste 4 ; on lui a ôté jusqu'à ses souliers ; la violence de sa passion lui a ôté & la raison, &c.

OTER, (Jardin.) on dit ôter une branche à un arbre ; ôter le trop de fruit noué pour que le reste vienne plus beau ; ôter un chancre, de la mousse ; ôter le trop de chevelu, de racines & autres.

OTER SES DENTS, se dit d'un poulain, lorsque quelques-unes de ses dents de lait tombent pour faire place à d'autres ; ce cheval ôte ses dents de trois ans.


OTEVENTS. m. (Charpenter.) c'est un assemblage de cinq ou six planches qu'on met au-dessus d'une boutique pour la garantir du vent, de la pluie & du soleil ; on a fait de ce terme celui d'auvent, dont on se sert aujourd'hui. (D.J.)


OTHINS. m. (Mythol.) ce mot s'écrit encore Otin & Odin, nom propre d'un dieu des anciens Danois. Leurs principaux dieux étoient Othin, Thor & Freyus ; c'étoient de grands hommes ou des conquérans qu'on avoit mis au nombre des dieux, comme Sturlaesonius l'a prouvé. Voyez aussi Bartholin, Antiquit. Danicae, & Saxo-Grammaticus, Hist. Dan. (D.J.)


OTHOMAou OTTOMAN, (Gram.) on dit l'empire Ottoman, l'empereur Ottoman ; cette dénomination vient d'Othoman ou Osman, premier empereur des Turcs. Osman n'étoit que le fils d'un paysan nommé Orthogule : voilà l'origine de tous ces potentats jusqu'à ce jour. Voyez MUSULMAN, TURC.


OTHONA(Géog. anc.) ancienne ville de l'île de la grande-Bretagne, sur le rivage Saxon. Le savant Bauter pense que cette ville a été engloutie par la mer, & que Maeldon est Othona nova. (D.J.)


OTHONNA(Hist. nat.) pierre connue des anciens, qui se trouvoit en Egypte & qui étoit d'une couleur d'airain, on croit que c'est la pyrite. (-)


OTHRYS(Géog. anc.) montagne de Thessalie ; c'est là, dit Strabon, que prend sa source l'Enipée, grossi par l'Apidan, riviere qui vient de Pharsale. Stace dit dans son Achilleide, l. I.

Jam tristis Pholoe, jam nubilus ingemis Othrys.

Virgile y met des Centaures, & dit Aeneid. l. VII. vers. 675.

Descendunt Centauri omolen Otrynque nivalem

Linquentes cursu rapido. (D.J.)


OTOURAKterme de relation, c'est le nom que l'on donne dans les troupes Ottomanes aux soldats que l'on paie sans qu'ils aillent servir en campagne : l'aga des janissaires a sous lui plusieurs milliers de janissaires à morte-payes, qu'ils appellent otourak, c'est-à-dire gens de repos. Du Loir. (D.J.)


OTRANTE(Géog.) province d'Italie au royaume de Naples, bornée N. par la terre de Bari & par le golfe de Venise, E. par le même golfe, S. O. par un grand golfe qui est entr'elle & la Basilicate. Cette contrée montagneuse abonde en olives, en figues & en vin. Elle est fort exposée aux courses des corsaires Turcs. C'est du cap d'Otrante que Pyrrhus conçut autrefois le dessein extravagant de joindre par un pont l'Italie à la Grece : il auroit eu 13 lieues de quatre mille pas chacune.

La terre d'Otrante comprend l'ancienne Calabre & la Messapie où étoient les peuples Tarentini, Calabri, Salentini & Japyges. Elle a près de 120 milles de côtes, & est souvent broutée par les cavalettes, sorte de sauterelles ; mais les corsaires Turcs y sont bien plus à craindre : car quand ils y font des descentes, ils pillent la campagne & emmenent en esclavage tous les habitans qu'ils peuvent surprendre ; cependant malgré de si grands inconvéniens, la terre d'Otrante est peuplée, & compte au nombre de ses villes quatre archevêchés & dix evêchés. (D.J.)

OTRANTE, (Géog.) ancienne ville d'Italie au royaume de Naples, capitale de la terre d'Otrante, avec un archevêché & un port. Les Turcs la prirent sous Mahomet II. Ferdinand, roi de Naples, la reprit. Elle est à l'embouchure du golfe de Venise, à 24 milles S. de Tarente, 16 S. E. de Brindisi. Long. 36. 10. lat. 41. 21.

Les Latins ont connu cette ville sous le nom d'Hydrus, au genit. Hydruntis, ville de la Pouille la plus proche de la côte d'Epire. Son port qui est à 40 milles du cap de Leuca, étoit beaucoup meilleur avant que les Vénitiens l'eussent gâté, & l'on doit être surpris qu'il n'ait point été réparé, puisqu'étant bien entretenu, il rendroit un roi de Naples maître de l'entrée du golfe, en cas de mésintelligence entre lui & les Vénitiens. (D.J.)


OTRARE(Géog.) ville d'Asie dans le Turquestan. Elle est arrosée par la riviere de Schaseh, & n'est pas loin de celle de Balassagoon. Alfaras & Albirani, suivis par Abulfeda, lui donnent 88. 30 de longitude, & 44 de latitude.


OTRICOLI(Géog.) en latin Otriculum ou Obriculum dans Tite-Live ; autrefois ville célebre de l'Ombrie, à présent village d'Italie dans l'état de l'Eglise, au duché de Spolete, & aux confins de la Sabine. Les ruines de l'ancienne Otriculum sont dans la plaine, assez près de la hauteur sur laquelle est le village présent Otricoli.


OTRUCHES. f. (Botan.) nom que le peuple donne à l'impératoire. Voyez IMPERATOIRE, Botan. (D.J.)


OTTENWALD(Géog.) c'est-à-dire la forêt d'Otton, en latin Ottonia sylva ; petit pays d'Allemagne au palatinat du Rhin, entre le Mein & le Necker, aux confins de la Franconie & de l'électorat de Mayence. Il appartient à l'électeur Palatin, & n'a ni villes ni bourgs.


OTTESUNDE(Géog.) en latin moderne Ottonis fretum ; détroit ou bras de mer du Jutland septentrional, entre l'île de Thyholm au Nord, & le pays de Lemwick au Midi : ce détroit sépare le diocese d'Alborg au Nord, de ceux de Rypen & de Vibourg. On lui a donné le nom d'Otton, parce qu'un empereur de ce nom alla dans le Jutland jusque-là. (D.J.)


OTTONA(Hist. mod.) les Japonois donnent ce nom à un magistrat chargé de l'inspection de chaque rue dans les villes. Ce sont des especes de commissaires qui veillent à la police de leur district ; ils ont soin que l'on y fasse exactement la garde pendant la nuit, & que les ordres des gouverneurs soient exécutés. L'ottona est élu par les notables de chaque rue, & approuvé par le gouverneur ; il a sous lui des lieutenans qui l'assistent dans ses fonctions, ainsi qu'un greffier.


OU-ANGOUS. m. mets dont les habitans des îles Antilles font usage : il se fait avec de la farine de manioc bouillie dans de l'eau jusqu'à la consistance d'une pâte molle, mais assez solide pour pouvoir en former des boulettes entre les doigts : on y ajoute avant la cuisson, un peu de sel & du piment.

Le ou-angou se mange rarement seul : on s'en sert par préférence au pain, lorsqu'on veut se régaler de calalou, sorte de farce composée d'herbes potageres, de crabes & de poisson. Voyez CALALOU. (M. LE ROMAIN. )


OU-ARACABAS. m. c'est un morceau de bois en forme de planche fort épaisse, d'environ 3 piés de hauteur, sur autant de largeur à sa partie supérieure, & d'un pié & demi à deux piés par le bas, ayant la figure d'un trapeze élevé debout sur le plus petit de ses côtés, & posé en travers sur la proue d'une pirogue caraïbe. Cette piece est ordinairement sculptée sur sa surface extérieure, d'une espece de bas-relief, représentant une grosse tête hideuse, de figure ovale, plate, & vue de face, dont les yeux & la bouche sont formés avec des morceaux de coquillages incrustés dans le bois. La grandeur énorme de cette tête ne laisse vers le bas de la planche qu'un espace d'environ un pié au plus, dans lequel est peint à plat, & sans relief, le corps disproportionné du monstre, représentant à-peu-près celui d'un lésard à queue courte ; le tout barbouillé de blanc & de noir d'une façon bizarre : c'est une espece de maboya ou idole caraïbe. Voyez MABOYA. (M. LE ROMAIN. )


OU-AROULYS. m. corbeille très-proprement ouvragée, & tissue de brins de latanier & de roseau, serrés & passés les uns entre les autres.

Le fonds de cette corbeille est parfaitement quarré, d'environ un pié de largeur ; mais ses bords de cinq à six pouces de hauteur, s'évasent à mesure qu'ils s'élevent, & se terminent en rond autour d'un cercle, lequel est surmonté d'une balustrade à jour, de 2 à 3 pouces de hauteur ; le tout est supporté sur 4 petits piés, hauts de 4 à 5 pouces & peints en rouge. Les sauvages emploient le ou-arouly à-peu-près aux mêmes usages que le matatou. Voyez MATATOU. (M. LE ROMAIN. )


OU-ATREGANS. m. (Hydr.) canal que l'on coupe dans un terrein afin d'en faire écouler l'eau. Voyez CANAL, &c. Ce mot, qui n'est pas fort usité, vient de l'anglois water, qu'on prononce ouaitre, & qui signifie eau, & gang, amas.


OU-AYCOUS. m. morceau d'étoffe de coton, de 8 à 10 pouces de largeur, sur 4 à 5 de hauteur, très-proprement travaillé, & brodé de petits grains d'émail, de dents de poisson, de morceaux de corail, & de petits cocos noirs, & bordé d'une frange brune.

Le ou-aycou sert aux femmes caraybes pour couvrir leurs parties naturelles, au moyen de deux petites cordes de coton, attachées aux deux coins d'en-haut de cette piece, & passées autour des reins en forme de ceinture : quelques-uns le nomment camisa ; mais ce mot est espagnol.


OUABACHE(Géog.) grande riviere de l'Amérique septentrionale dans la Nouvelle France, à laquelle M. Delisle donne aussi le nom ridicule de S. Jérôme. Cette riviere est formée par l'Ohio, & la riviere des Miamis. Le pays qu'elle arrose sont de vastes prairies à perte de vûe, où se trouve une quantité prodigieuse de ces boeufs sauvages, qu'on appelle boeufs illinois. (D.J.)


OUAGou OUAICHE, s. f. (Marine) c'est le sillage ou la trace que le vaisseau fait à la mer. Tirer un vaisseau en ouaiche, ou le touer ou remorquer, c'est secourir un vaisseau qui est incommodé, ou qui marche mal, en le touant ou remorquant par l'arriere d'un autre vaisseau, ce qui se fait ainsi. Le vaisseau qui remorque, ou tire en ouaiche, attache le bout d'un cable, ou d'une haussiere, au pié de son grand mât, & faisant passer l'autre bout par un sabord de l'arriere ; il fait porter ce bout à bord du vaisseau incommodé, & l'y ayant fait amarrer au pié du mât de misaine, il tire & remorque ce vaisseau.

Traîner un pavillon ennemi en ouaiche, c'est mettre à l'arriere de son navire le pavillon qu'on a pris sur l'ennemi, & on le laisse pendre en bas jusqu'à fleur d'eau ; c'est pour marquer qu'on revient victorieux.


OUAILLES. f. (Gramm.) troupeau de brebis. Il ne se dit guere qu'en figure : ce qui rend plaisant le mot d'une femme de campagne, qui disoit à son curé : " Il faut que j'aille à mes ouailles, comme vous aux vôtres ".


OUATES. f. (Comm.) espece de coton très-fin & un peu lustré. Quoique quelques auteurs prétendent que la véritable ouate se trouve en orient, autour de quelques fruits à qui elle sert de premiere enveloppe ; il est néanmoins certain que l'ouate est produite dans les gousses d'une plante qui croît communément en Egypte, & que quelques curieux cultivent par rareté.

Cette plante se plaît dans des lieux humides & marécageux ; ses feuilles sont assez larges, rondes & arrondies par le bout ; ses fleurs sortent en bouquets qui forment une maniere d'ombelle, & elles ont leurs feuilles renversées comme celles du martagon. L'ouate est renfermée dans des gousses qui s'ouvrent quand elles sont en maturité ; la semence qui s'y trouve mêlée est petite, ronde, plate, tirant sur le gris-brun. C'est d'Alexandrie que l'on tire cette marchandise, & elle vient en France par la voie de Marseille.

Il y a encore une sorte de coton que l'on nomme aussi ouate, quoiqu'improprement ; ce n'est autre chose que la bourre ou premiere soie qui couvre la coque des vers à soie : on la fait bouillir, & après cette seule préparation, on la vend pour la véritable ouate, quoiqu'elle n'en approche en aucune maniere, ni pour la finesse, ni pour la beauté.

Les ouates ne servent que pour fourrer des robes de chambre, des courtepointes, & autres meubles ou habillemens qu'elles rendent très-chauds sans les rendre pesans. Elles ont communiqué leur nom à presque toutes les autres fourrures qui se mettent entre deux étoffes ; & l'on appelle communément ouatée, une robe fourrée, un jupon, &c. quoique le plus souvent on n'y emploie simplement que du coton ordinaire ou de la laine. Savary. (D.J.)


OUAYNE L'(Géog.) petite riviere de France dans le Puisaye. Elle a sa source à un bourg du même nom, qui est situé dans l'élection de Gien ; & elle tombe dans le Loin au N. E. de Montargis. (D.J.)


OUBLIS. m. (Gramm.) terme relatif à la mémoire. Tomber dans l'oubli, c'est passer de la mémoire des hommes. Ce sont les hommes de génie qui envient les grandes actions à l'oubli. Il y eut, dit Horace, des héros avant le regne d'Agamemnon ; mais leurs noms sont tombés dans l'oubli ; une nuit éternelle ensévelit leurs actions ; on ignore leurs travaux ; on ne les regrette point ; on ne donne point de larmes à leurs malheurs, parce qu'il ne s'est point trouvé un homme inspiré des dieux, qui les ait chantés. Le poëte, au défaut d'un héros, peut chanter les dieux, la nature, & celle que son coeur adore, & s'immortaliser lui-même. Les autres hommes au contraire ne tiennent l'immortalité que de lui. Comparaison de la gloire qui s'acquiert par les lettres, & de celle qui s'acquiert par tout autre moyen ; beau sujet de discours académique, où l'on n'auroit pas de peine à faire entrer l'éloge du fondateur de l'académie, du Roi, du cardinal de Richelieu, des gens de lettres, des académiciens, de tous les hommes illustres qui ont été honorés de ce titre ; où l'homme lettré ne perdroit rien de son importance, pesé dans la balance avec le grand politique, le grand capitaine, le grand monarque ; & où il ne seroit pas difficile de prouver qu'une belle ode est bien une chose aussi rare, aussi grande, aussi précieuse, qu'une bataille gagnée.


OUBLIEterme de Pâtissier, sorte de pâte déliée & légere, mêlée de sucre, d'oeufs, & quelquefois de miel, qui se cuit entre deux fers.

Il y a trois especes d'oublies ; les grandes oublies, qui sont celles que les Pâtissiers ou leurs garçons vont crier la nuit dans Paris, à commencer le jour de S. Michel ; elles s'appellent autrement oublies plates. Les oublies de supplications, ce sont les gaufres ; & les oublies qu'on nomme d'étriers, ce sont les petits métiers.

Les Pâtissiers sont qualifiés dans leurs statuts, maîtres de l'art de pâtissier & oublayeur ; & sont obligés de faire chef-d'oeuvre d'oublayerie aussi bien que de pâtisserie. On appelle une main d'oublies, cinq oublies ; c'est ordinairement à la main que se jouent les oublies. On joue quelquefois tout le coffin ou corbillon. Savary. (D.J.)

OUBLIE, (Jurisprud.) droit d'oublie, redevance seigneuriale qui consistoit autrefois en une certaine quantité de pains ronds & plats. On donna aussi le nom d'oublie à toute rédevance en général, soit en grain, volaille, ou autre chose. Voyez ci-devant OBLIAGE. (A)


OUBLIERv. act. (Gramm.) perdre la mémoire ; on oublie une langue qu'on a apprise ; on oublie quelquefois ses amis dans l'absence ou dans le besoin ; on oublie une injure ; on n'oublie rien pour pallier ses torts ; on oublie de faire une visite utile ; on oublie le respect qu'on doit à un magistrat ; on s'oublie quand on perd de vûe ce qu'on est ; l'homme s'oublie dans le plaisir ; il y a des occasions où il ne faut pas s'oublier &c. D'où l'on voit combien de formes diverses le besoin fait prendre à ces expressions, & combien la langue est pauvre, comparée à la nature & à l'entendement.


OUBLIETTES. f. (Hist. mod.) lieu ou cachot dans certaines prisons de France, où l'on renfermoit autrefois ceux qui étoient condamnés à une prison perpétuelle. On l'appelloit ainsi, parce que ceux qui y étoient renfermés, étant retranchés de la société, en étoient ou devoient être entierement oubliés. Bonfons dans ses antiquités de Paris, parlant d'Hugues Aubriot, prevôt de cette ville, qui fut condamné à cette peine, dit " qu'il fut prêché & mîtré publiquement au parvis Notre - Dame, & qu'après cela, il fut condamné à être en l'oubliette, au pain & à l'eau ".


OUCHE L'(Géog.) en latin moderne Uticensis pagus ; pays de France dans la haute Normandie, au diocèse d'Evreux. Il comprend les territoires de Conches, de Breteuil & de l'Aigle, & s'étend jusqu'à la forêt d'Ouche. Le territoire produit des grains, du bois à brûler, & quelques mines de fer. (D.J.)

OUCHE L ', (Géog.) en latin Oscarus ; riviere de France en Bourgogne. Elle traverse le Dijonois, passe à Dijon, & se jette dans la Saone. Elle a autrefois donné le nom de pagus Oscarensis au pays où elle coule. (D.J.)


OUDS. m. terme de Calendrier, nom d'un des douze mois, d'un des douze signes, d'une des douze années du cycle duodénaire, chez les Turcs orientaux, & chez quelques peuples Tartares. (D.J.)


OUDANS. m. terme de Calendrier, onzieme mois de l'année des Arméniens de Guelfa, fauxbourg d'Ispahan ; leur année commençant au mois d'Octobre, l'oudan répond à-peu-près à notre mois d'Août.


OUDAZOU(Géog.) ville du Japon, dont nous avons parlé sous le nom que Kaempfer lui donne, & qui est ODOWARA. (D.J.)


OUDENARDE(Géog.) forte ville des Pays-Bas, dans la Flandre autrichienne, capitale de la châtellenie du même nom ; Louis XIV. la prit en 1667, & la rendit au roi d'Espagne Charles II. par la paix de Nimegue. Le maréchal d'Humieres la bombarda en 1684. Les François y furent battus par les alliés en 1708. Elle est sur l'Escaut, dans une vallée, à 5 lieues S. de Gand, 6 N. E. de Tournai, 12 N. O. de Mons, 11 O. de Bruxelles. Long. 21. 16. lat. 50. 49.

Quoi que disent les auteurs flamands de l'antiquité d'Oudenarde, il paroit qu'elle ne doit son origine qu'aux comtes de Flandres. Elle s'est distinguée dans le dernier siecle par sa manufacture de tapisserie d'haute-lisse.

Cette ville est la patrie de Drusius (Jean), un des savans théologiens du xvj. siecle, & d'ailleurs très-versé dans les langues orientales. Son recueil des fragmens des Hexaples ; ses notes critiques sur l'Ecriture, & d'autres ouvrages de sa plume, lui ont fait une grande réputation. Il mourut en 1616, âgé de 66 ans. (D.J.)


OUDENBORG(Géog.) petite ville des Pays-Bas, dans la Flandre teutone, à 1 lieue d'Ostende, & à 2 de Bruges. Long. 20. 35. lat. 51. 8.


OUDEWATER(Géog.) petite ville des Pays-Bas, dans la province de Hollande, sur l'Yssel, entre Gouda & Montfort, aux confins de la seigneurie d'Utrecht. Long. 22. 12. lat. 52. 2.

Cette petite ville a acquis plus de célébrité pour avoir donné la naissance à Arminius (Jacques), que par aucune autre particularité qui la concerne. Il y vit le jour l'an 1560, & devint professeur en théologie à Leiden l'an 1603. Ses écrits théologiques ont fait bien du bruit dans les sept Provinces-Unies, non-seulement il y condamne le supralapsaire Beze, mais de plus il établit qu'il ne faut reconnoître d'autre élection que celle qui a pour fondement l'obéissance des pécheurs à la vocation de Dieu par Jesus-Christ. Il se fit un grand nombre de partisans qui furent condamnés par le synode national ; mais leur condamnation n'a servi qu'à étendre leur secte, qui a finalement triomphé de ses adversaires ensevelis. Arminius est mort en 1609, avec tous les sentimens d'un homme dont la piété étoit véritablement éclairée. (D.J.)


OUDONL '(Géog.) en latin Oldo ou Odo, nom de deux petites rivieres de France, en Normandie, dont l'une coule dans le diocèse de Bayeux, & l'autre sépare les diocèses de Lizieux & de Séez : toutes les deux se jettent dans l'Orne.


OUDRon a donné ce nom au dauphin & à l'épaulard. Voyez DAUPHIN & éPAULARD.


OUESSANT(Géog. mod.) île de France dans l'Océan, sur les côtes de Bretagne, à l'opposite du Conquêt. Elle a trois lieues de tour, & renferme plusieurs hameaux & un château. Elle est entourée par quelques autres îles moins grandes, qu'on appelle les îles d'Ouessant. Long. 12. 28. lat. 48. 30.

L'âge d'or, cette chimere ingénieuse plus propre à exciter nos regrets que nos espérances, que l'imagination chérit & dont le sentiment de la misere humaine s'irrite ; ce contraste de l'âge véritable qui déchire l'ame après avoir amusé l'esprit ; ce conte philosophique enfin échappé à la bienfaisance & à la vertu dans l'ardeur de ses souhaits pour la félicité des hommes ; l'âge d'or s'est presque réalisé dans ce petit coin de la terre. La loi de tous les coeurs, la loi naturelle d'un côté & la loi des coeurs choisis, le christianisme de l'autre forment les liens d'une harmonie éternelle entre ses habitans, & dissipent sans aigreur & sans bruit par la voix de l'âge ces petits nuages inséparables du tien & du mien. La probité y est une richesse commune, mais si nécessaire que celui qui ne la possede pas est proscrit sans retour par un arrêt général. La chasteté n'est pas l'unique dot, mais l'essentiel de la dot des filles dans ce canton ignoré. Celle qui se seroit mise hors d'état de la porter à son époux, seroit bannie avec la même sévérité que le voleur ; car ces hommes simples, c'est-à-dire, sages, pensent que la perte de la chasteté est un vol fait à la société conjugale. Quand les Philosophes ont voulu faire un peuple d'hommes vertueux, ils ont étalé des spéculations pompeuses, édifices majestueux élevés par le génie, mais roseaux fragiles qui n'ont pû soutenir les tempêtes des grandes sociétés. La simplicité de la nature est un cercle étroit qui ne convient qu'à un petit nombre d'hommes qui s'imposent à tous la pratique de la vertu, parce qu'ils sont sans cesse observés par tous ; ils y goûtent un bonheur que les colifichets philosophiques de Platon & de l'Utopie ne procurent point. Le peuple obscur & conséquemment heureux dont je parle, a dans son sein, depuis le commencement de cette guerre, des défenseurs qui pourroient bien lui faire acheter leur protection ; les troupes.... je tremble pour lui quand je songe que la licence militaire est le tombeau des moeurs.


OUESTS. m. en termes de Cosmographie, est un des points cardinaux de l'horison, & celui qui est diamétralement opposé à l'est. Voyez POINTS CARDINAUX, EST, &c.

L'ouest, à proprement parler, est l'intersection du premier vertical & de l'horison, du côté où le soleil se couche. Voyez COUCHANT.

Le point où le soleil se couche, lorsqu'il est dans l'équateur, est nommé l'ouest équinoxial ou vrai point de l'ouest.

Le mot d'ouest est principalement employé par les Marins pour désigner le couchant ou l'occident, & les vents qui viennent de ce côté-là. Ainsi ils disent un vent d'ouest, faire route à l'ouest, telle île est à l'ouest de telle autre. Mais, dans l'usage ordinaire, on se sert plus communément du mot de couchant pour déterminer les positions des lieux. Ainsi on dit qu'une telle maison est exposée au couchant, que la France a la mer au couchant, &c. (O)


OUGLY(Géog.) ville d'Asie dans l'Indoustan, au royaume de Bengale. Elle est située sur le bord occidental du Gange, à 18 lieues de son embouchure. Long. 105. 30. lat. 22. (D.J.)


OUI-POU(Diete) c'est le nom que les habitans sauvages du Brésil donnent à une espece de farine fort nourrissante, qu'ils font avec la racine d'épi & avec celle de manioc. On fait sécher ces racines au feu, après quoi on les ratisse avec des cailloux tranchans, on fait cuire ces raclures dans un pot avec de l'eau jusqu'à ce que le mêlange s'épaississe ; lorsqu'il est refroidi, son goût est assez semblable à celui du pain blanc de froment. En mêlant cette farine avec du jus de viande, on fait un mets qui ressemble à du ris bouilli. Ces mêmes racines pilées lorsqu'elles sont fraîches donnent un jus blanc comme du lait, qui, exposé au soleil, se coagule comme du fromage, & qui cuit au feu fait un aliment assez agréable. Voyez CASSAVE.


OUICOUS. m. boisson composée par les Caraïbes avec des patates coupées, des bananes bien mûres, de la cassave rompue par morceaux, du gros syrop de sucre, ou, à son défaut, des cannes à sucre, le tout bien écrasé & mis en fermentation avec une suffisante quantité d'eau claire dans de grands vases de terre cuite qu'ils nomment canaris : cette boisson, à l'amertume près, ressemble à de la biere ; elle est très-forte & enivre facilement.

Lorsque les Caraïbes se rassemblent pour quelque réjouissance publique, ils font un oüicou général ; ces fêtes tumultueuses, ou plutôt ces especes d'orgies, ne se passent guere sans desordre & sans quelque événement tragique.

Les habitans blancs & noirs des îles Antilles ont beaucoup perfectionné la composition du oüicou ; ils ajoutent à une quantité d'eau suffisante & de beau syrop de sucre mêlés ensemble, des patates & des bananes coupées par morceaux, quelques racines de gingembre fraîches & écrasées, le suc & l'écorce d'un certain nombre de citrons & un morceau de cassave grillée, ou une croute de pain rôtie sur les charbons ; ils laissent fermenter ces substances pendant deux ou trois jours dans un grand pot de terre non-verni & uniquement destiné à cet usage, plus il a servi mieux il vaut. La force de la fermentation fait monter le marc vers l'orifice du pot, c'est alors qu'il faut l'écumer bien proprement, après quoi on passe la liqueur à deux ou trois reprises au-travers d'une chausse de laine, & on l'enferme dans des bouteilles bien bouchées, dans chacune desquelles on a eu soin de mettre un ou deux clous de gerofle. Il est dommage que cette boisson ne puisse pas se conserver plus de trois ou quatre jours, elle est infiniment plus agréable que du cidre mousseux, à quoi elle ressemble beaucoup par la couleur & le pétillement, & même un peu par le goût. On l'estime rafraîchissante en supprimant les épices ; mais comme elle occasionne des flatuosités, & qu'un long usage pourroit nuire à l'estomac, on y ajoute comme correctifs le gingembre & le gerofle en quantité modérée par l'expérience. (M. LE ROMAIN. )


OUIES. f. (Physiologie) L'ouïe est une sensation excitée par les sons reçus dans l'oreille ; ou, si l'on aime mieux, c'est une perception du son qui se fait dans l'ame par le secours de tout l'organe nommé auditif.

La nature libérale a pris soin d'étendre notre commerce avec les autres êtres au-delà de ceux qui nous environnent, par l'ouïe, & même au-delà du monde où nous vivons, par la vûe. Ce commerce se fait toûjours par une matiere qui affecte un organe ; mais dans l'ouïe cette matiere est plus subtile, plus répandue loin de nous que dans le tact, le goût & l'odorat.

Ici nous commençons à sortir de notre athmosphere, car l'objet de l'ouïe est le bruit en général ; or le bruit consiste dans un vif trémoussement de l'air communiqué jusqu'à l'organe de cette sensation, & cette communication, comme on sait, se fait de fort loin. Le bruit dans lequel les vibrations de l'air sont plus amples, plus régulieres, & par-là plus agréables à l'oreille, s'appelle le son. Voyez SON.

C'est en-vain que l'air remué par les corps bruyans ou sonores nous frapperoit de toutes parts, si nous n'avions des organes particuliers pour recevoir son impression. Le vent se sent au toucher, mais la partie de l'air qui fait le son, est trop subtile pour affecter ce sens grossier, il n'y fait pas la moindre impression.

L'oreille est l'organe propre à cette sensation : son entonnoir ou son pavillon est capable de ramasser un grand nombre de rayons sonores & de les réunir : cet entonnoir est beaucoup plus grand dans certains animaux, comme dans l'âne & le lievre ; il y a des muscles qui le redressent & l'ouvrent quand l'animal écoute, c'est pourquoi ces animaux ont l'ouïe très-fine. Cet entonnoir extérieur est suivi d'un canal aboutissant à une membrane qui est comme la premiere porte des grottes de l'ouïe.

Cette membrane est tendue comme celle d'un tambour, & elle porte aussi ce nom : son centre s'enfonce un peu vers la premiere grotte qui est derriere & qu'on appelle la caisse. Dans cette grotte, il y a des ressorts qui font l'office des bascules qu'on met aux sonnettes, & qui aboutissent d'une part au centre de cette membrane, & de l'autre à l'entrée d'une seconde grotte. Ces bascules sont tirées par des muscles. Cette membrane & ses ressorts paroissent avoir dans l'ouïe le même usage que la prunelle semble avoir dans l'oeil. La prunelle se resserre ou se dilate pour recevoir une image plus parfaite, & qui ne blesse point l'organe ; le tympan se tend, ou se relâche de même, pour transmettre à l'ouïe des vibrations plus parfaites & proportionnées à cet organe. Quand l'oreille est frappée d'un son trop violent, cette membrane, dont le centre est enfoncé vers sa grotte, est repoussée vers le dehors par la bascule qui aboutit à son centre ; par-là, cette même membrane est relâchée, & ce relâchement diminue d'autant l'impétuosité du son qui pourroit blesser l'organe ; dans le même tems, & par le même mouvement, la bascule opposée à celle-ci ferme l'entrée de la seconde grotte, & affoiblit encore par-là l'impression de l'air dans cette seconde grotte.

Au contraire quand le son est trop foible, la premiere bascule ramene le tympan en-dedans, le rend plus tendu & plus susceptible d'ébranlement ; l'autre bascule ouvre la seconde grotte, & facilite l'action des ondulations de l'air intérieur.

Dans les sons moyens entre les deux extrêmes précédens, le tympan garde aussi une tension moyenne, par laquelle il est proportionné à ces sons, & comme à l'unisson des vibrations de l'air : par-là, le tremoussement de cette membrane communique le son au-dedans de cet organe d'une façon plus complete & plus juste, comme la prunelle, dans un juste degré de dilatation, transmet au fond de l'oeil une image nette & précise.

La premiere bascule destinée à tendre & relâcher le tympan, est faite des petits os qu'on appelle marteau & enclume ; la seconde est composée de la même enclume & de l'étrier, joints ensemble par l'os orbiculaire ; c'est la base de l'étrier qui fait la porte de la seconde grotte. Peut-être que la justesse de l'oreille en Musique, dépend en partie de la justesse du mouvement des muscles de ces osselets, à mettre exactement & promptement la membrane du tambour à l'unisson des tons qu'elle reçoit. On trouve quelquefois à cette membrane une petite fente, découverte par Rivinus.

Cependant la membrane du tambour & les osselets ne sont pas absolument nécessaires pour entendre ; mais pour bien entendre, ou pour entendre juste, c'est autre chose.

La premiere caverne de l'oreille contient outre cela un air subtil, qu'elle reçoit du fond du gosier par un canal appellé la trompe d'Eustache, dont le pavillon s'ouvre vers l'endroit de la communication du nez avec la bouche : c'est par ce passage de l'air, & par le trou que Rivinus a observé au tympan, que certains fumeurs font sortir par leur oreille la fumée, en fermant exactement le nez & la bouche. Cet air intérieur, introduit par la trompe d'Eustache, soutient la membrane du tambour ; c'est lui qui étant remué par l'air extérieur, communique ses vibrations à l'organe immédiat de l'ouïe.

Cet organe immédiat est contenu dans deux autres appartemens, qui ont chacun une porte dans la caisse ou premiere caverne ; celle-ci est comme leur anti-chambre, & ils ont entr'eux une autre porte de communication : ces portes sont aussi garnies de membranes. Rien n'est si propre à remuer tout l'air contenu dans ces grottes, que les membranes tendues à leur entrée ; le tambour & la timbale en sont des preuves.

L'un de ces appartemens est nommé le labyrinthe, & l'autre, le limaçon.

Le labyrinthe est fait d'un vestibule d'où partent trois canaux, appellés demi-circulaires, lesquels font un peu plus d'un demi-cercle, & reviennent se rendre dans le même vestibule. Ces trois canaux portent le nom particulier de labyrinthe. On conçoit que l'air étant poussé dans le vestibule & dans les embouchures de ces canaux, les vibrations d'air qui ont enfilé chaque embouchure doivent se rencontrer au milieu de chaque canal, & là il se doit faire une collision toute propre à exciter un frémissement, ou des vibrations dans ces canaux & dans la membrane nerveuse qui les tapisse ; c'est cette impression qui produit la sensation de l'ouïe.

Comme ce labyrinthe est simple & uniforme, on peut le regarder comme l'organe général de l'ouïe, c'est-à-dire, l'organe remué indifféremment par toutes sortes de sons ou de bruits, ou, si vous voulez, c'est l'organe général du bruit.

Mais le limaçon a, ce me semble, une construction & un usage plus recherché. Sa figure est vraiment celle d'une coquille de limaçon. L'intérieur est composé de deux rampes, ou de deux especes de canaux en spirale, & séparés l'un de l'autre par une membrane fine & nerveuse, soutenue par des avances de lames osseuses.

L'artifice de cette construction est de la plus parfaite méchanique. L'office essentiel d'un organe des sens, est d'être proportionné à son objet ; &, pour l'organe de l'ouïe, c'est de pouvoir être à l'unisson avec les différentes vibrations de l'air : ces vibrations ont des différences infinies ; leur progression est susceptible de degrés infiniment petits : il faut donc que l'organe fait pour être à l'unisson de toutes ces vibrations, & pour les recevoir distinctement, soit composé de parties dont l'élasticité suive cette même progression, cette même gradation insensible, ou infiniment petite. Or la spirale est dans les méchaniques la seule machine propre à donner cette gradation insensible.

On voit clairement que la lame spirale du limaçon est toute faite pour être trémoussée par l'impulsion de l'air intérieur qui l'environne. On voit de plus qu'à la base de la spirale, la lame faisant un plus grand contour, elle a des vibrations plus longues ; elle les a très-courtes au sommet par la raison contraire. Tournez un fil d'archal en limaçon, vous verrez combien les grands contours seront mous, & combien au contraire les petits contours du sommet ou du centre seront roides. Or, depuis le commencement de la base de la spirale, où la lame est plus souple, jusqu'à l'extrémité de son sommet, où est son dernier degré de roideur, il y a une gradation insensible ou infiniment petite d'élasticité, ensorte que quelque division que l'on conçoive dans les tons, il n'y en a point qui ne rencontre dans les points de cette spirale son unisson, ou sa vibration égale ; ainsi il n'y a point de ton qui ne puisse imprimer distinctement sa vibration à cette spirale, & voilà en quoi consiste le grand artifice du limaçon. C'est pourquoi nous regardons avec la plus grande partie des physiciens le limaçon comme le sanctuaire de l'ouïe, comme l'organe particulier de l'harmonie ou des sensations les plus distinctes & les plus délicates en ce genre.

Les oiseaux, direz-vous, n'ont point de limaçon, & cependant ce sont les plus musiciens de tous les animaux. Les oiseaux ont l'ouïe très-fine, quoique sans limaçon, parce qu'ils ont la tête presque toute sonore comme un timbre ; & la raison en est qu'elle n'est pas matelassée de muscles comme la tête des autres animaux. Par-là, ils doivent être très-ébranlés par les sons qu'on leur fait entendre ; leur labyrinthe très-sonore suffit pour cela ; la grotte la plus simple répete bien en écho un air musical.

Mais si à cette excellente disposition de l'ouïe des oiseaux, la nature y avoit ajouté le limaçon, ils auroient été beaucoup plus sensibles aux modulations harmonieuses, ils auroient eu la passion de l'harmonie, comme presque tous les animaux ont celle de la gourmandise ; ce qui n'est point, car il faut prendre garde que la qualité de musiciens qu'ont les oiseaux, vient moins de la finesse & du goût de leur oreille, que de la disposition de leur gosier ; ils ressemblent encore en ceci à bien des musiciens qui donnent du plaisir & qui n'en prennent pas.

On voit un chien crier, on le voit pleurer, pour ainsi dire, à un air joué sur une flûte ; on le voit s'animer à la chasse au son du cors ; on voit le cheval plein de feu par le son de la trompette, malgré les matelats musculeux qui environnent en lui l'organe de l'ouïe : sans le limaçon qu'ont ces animaux, on ne leur verroit pas cette sensibilité à l'harmonie, on les verroit stupides en ce genre, comme les poissons qui manquent de limaçon aussi-bien que les oiseaux, mais qui n'ont pas comme ceux-ci l'avantage d'avoir une tête assez dégagée, assez sonore, pour suppléer à ce défaut.

Dans tous les organes des sens, il arrive que leur objet les pénetre & y porte son impression pour y faire une sensation plus parfaite ; cette même méchanique se trouve encore dans l'organe de l'ouïe. Tout concourt à y faire entrer & à y retenir l'impression des vibrations sonores.

L'entonnoir extérieur ramasse ces vibrations ; le conduit suivant qui se charge de cet air trémoussé, se trouve coupé obliquement dans son fonds par la membrane du tambour ; cette obliquité fait que quand l'air extérieur rebondit de dessus le tympan, il va heurter contre la paroi opposée du conduit, d'où il est encore réfléchi sur le tympan auquel il communique toutes ses vibrations.

Si ce conduit eût été droit, perpendiculaire au tympan, l'air extérieur auroit été réfléchi de dessus ce tympan hors du conduit de l'oreille, & ainsi il auroit eu bien moins d'effet.

De même, l'air intérieur est renfermé dans les grottes par des membranes ; les vibrations qu'il reçoit du dehors enfilent d'une part les embouchures du labyrinthe, & de l'autre celles du limaçon ; les vibrations qui enfilent les embouchures du labyrinthe vont se briser l'une contre l'autre au milieu des canaux demi-circulaires, & par-là tout leur effet est comme absorbé dans ces canaux.

Les embouchures du limaçon sont au nombre de deux : une qui communique avec le labyrinthe ou son vestibule, & qui est l'entrée de la rampe interne ; l'autre, qui s'ouvre droit dans la caisse, ou premiere grotte, & qui est l'entrée de la rampe externe. Les vibrations qui suivent ces ouvertures, se cotoyent tout le long de la spirale ; mais parvenues au sommet, au cul-de-sac du limaçon, elles se brisent aussi & contre ce cul-de-sac, & l'une contre l'autre ; & par-là elles donnent une secousse à tout cet organe, sur-tout à la lame spirale, & plus encore à la portion de cette lame, qui est à l'unisson avec la vibration. Ainsi de toutes parts, les vibrations sonores laissent toute leur impression dans l'intérieur de l'oreille ; portées par diverses collisions aux nerfs qui s'y répandent, elles les ébranlent diversement jusqu'au sensorium commune, & y excitent la sensation des divers sons, soit qu'ils viennent de près ou de loin ; car le sens de l'ouïe, semblable à celui de la vue, nous donne aussi la sensation des corps sonores éloignés.

Mais ce sens est sujet à bien des erreurs ; & il doit nous tromper, toutes les fois que nous ne pouvons pas rectifier par le toucher les idées qu'il produit. De même que le sens de la vûe ne nous donne aucune idée de la distance des objets, le sens de l'ouïe ne nous donne aucune idée de la distance des corps qui produisent le son. Un grand bruit fort éloigné, & un petit bruit fort voisin, excitent la même sensation ; & à moins qu'on n'ait déterminé la distance par les autres sens, & à force d'habitude, on ne sait point si ce qu'on a entendu est en effet un grand ou un petit bruit.

Toutes les fois qu'on entend un son inconnu, on ne peut donc pas juger par ce son de la distance, non plus que de la quantité d'action du corps qui le produit ; mais dès que nous pouvons rapporter ce son à une unité connue, c'est-à-dire, dès que nous pouvons savoir que ce bruit est de telle ou telle espece, nous pouvons juger alors à-peu-près non-seulement de la distance, mais encore de la quantité d'action. Par exemple, si l'on entend un coup de canon ou le son d'une cloche, comme ces effets sont des bruits qu'on peut comparer avec des bruits de même espece qu'on a autrefois entendus, on pourra juger grossierement de la distance à laquelle on se trouve du canon ou de la cloche, & aussi de leur grosseur, c'est-à-dire, de la quantité d'action. Tel est, autant qu'on peut l'imaginer, le méchanisme de l'ouïe, méchanisme aussi composé que caché à nos yeux. Les instrumens des sens extérieurs sont peu connus, & les moins connus de tous sont les instrumens de l'ouïe.

Les anciens, ignorant la structure de l'oreille, n'ont rien pû nous en apprendre. Vesale qui pénétra plus avant que ses prédécesseurs, a commencé à nous dévoiler cette machine admirable, mais il a laissé beaucoup de recherches à faire ; en général, il croyoit que l'oreille étoit comme un instrument de musique. On ignore quel étoit le sentiment de Columbus, lui-même ne le savoit guere, puisque dans le tems qui lui a fallu pour aller du premier au septieme livre de son anatomie, il a oublié ce qu'il avoit avancé, & s'est contredit formellement. Fallope n'a point rempli la promesse qu'il avoit donnée.

Eustachi a cru que l'air interne agité par les osselets, portant son agitation sur le nerf auditif, formoit l'ouïe ; Piccolhomini a eu une opinion singuliere ; il disoit qu'il y avoit une vésicule remplie d'air & attachée à l'étrier ; les nerfs, selon lui, aboutissent à cette vésicule, qui, étant agitée par les osselets, transmet son agitation au nerf, de même que le crystallin transmet les rayons au fond de l'oeil. Fabricius d'Aquapendente avoit à-peu-près le même sentiment que Eustachi ; il s'étoit imaginé que les osselets portoient leur agitation dans l'air interne, de même qu'une poutre frappée à un bout, porte le coup à l'autre extrémité : la fenêtre ronde, selon lui, servoit au son grave, & l'ovale au son aigu ; il ne donnoit d'autre usage à la coquille & au labyrinthe, que d'empêcher les réflexions du son. Casserius a nié qu'il y eût un air interne, & lui a substitué un nerf ; tous les autres auteurs anciens ont suivi ces sentimens, qui ne méritent pas d'être réfutés.

Les nouvelles découvertes des Anatomistes ont augmenté l'embarras, & nous ont confirmé dans le doute, en développant à nos yeux un organe si compliqué, qu'il faut employer un tems considérable, les recherches les plus délicates & les plus assidues, pour connoître les détours de cet organe. Après qu'on est venu à bout d'en déterminer l'usage général, sçavoir la perception du son, on trouve de grandes difficultés sur l'usage particulier de chaque partie, & finalement sur l'explication de ce phénomene embarrassant, je veux dire la susceptibilité de l'oreille à recevoir des impressions agréables qui se font en elle suivant une proportion particuliere. L'on peut donc assurer que ce sujet servira d'occupation infructueuse aux siecles à venir, jusqu'à ce qu'il plaise au créateur d'introduire nos neveux dans le labyrinthe de cet organe, & leur en découvrir le mystere.

Mais il faut convenir que, quoique l'industrie humaine ne suffise pas pour le dévoiler, ce que nous en savons suffit pour nous prouver la beauté de l'ouvrage d'un excellent artiste, & pour exciter notre admiration.

La perfection de l'oreille est supérieure à celle des yeux ; ce sens est plus parfait dans son genre, que le sens de la vue ne l'est dans le sien, & même comme M. Auzout l'a jadis remarqué, de tous les sens il n'y a que l'ouïe qui juge non-seulement de la différence, mais encore de la quantité & de la raison de son objet. En effet, l'ouie distingue parfaitement toutes les gradations des tons ; elle les détermine, elle les soumet au calcul, elle en fait un art ; les yeux ne peuvent nous en dire autant de la lumiere ; ils apperçoivent en gros, & à-peu-près, qu'une lumiere, une couleur est plus ou moins claire ou foncée qu'une autre, & voilà tout ; ils ne pourront jamais déterminer la quantité de ce plus ou moins.

Il faut encore convenir que les travaux de nos physiciens ont porté beaucoup de clarté pour l'intelligence de plusieurs phénomenes de l'ouie. Voici les principaux dont on peut donner des explications certaines ou vraisemblables.

1°. Si l'on applique le creux de la main à l'oreille externe, desorte qu'il regarde le corps sonore, on entend beaucoup mieux ; parce qu'alors on ramasse plus de rayons, ainsi il doit se faire dans l'oreille une impression plus forte.

2°. L'oreille externe étant coupée, on entend plus difficilement ; cela vient de ce que l'entonnoir qui ramassoit beaucoup de rayons est enlevé : on pourroit suppléer à ce défaut par un tuyau évasé qu'on appliqueroit au trou auditif.

3°. Si l'on présente obliquement le plan de l'oreille externe à un corps sonore, en tournant la tête vers le côté opposé, on entend beaucoup mieux, la cause en est que le conduit auditif marche en devant ; ainsi quand on tourne la tête, on reçoit directement les rayons sonores.

4°. L'ouie est beaucoup plus fine quand on écoute la bouche étant ouverte ; cela vient non-seulement de ce que les vibrations de l'air se communiquent par la bouche, & par la trompe d'Eustache, à l'intérieur de l'oreille, mais encore de ce que la charniere de la mâchoire appliquée contre le conduit de l'oreille, s'en éloigne quand on ouvre la bouche, & par-là elle laisse ce conduit plus libre ; quand la bouche est fermée, la mâchoire inférieure comprime un peu le conduit auditif, & empêche par-là qu'il n'y entre une aussi grande quantité de rayons sonores que lorsqu'elle est ouverte.

5°. Pourquoi entend-t-on des bruits sourds, & pourquoi l'ouie est-elle émoussée quand on souffle, qu'on bâille, qu'on parle ou qu'on chante sur un ton fort aigu ? Parce que la trompe d'Eustache étant comprimée à diverses reprises, l'air est poussé dans la caisse du tambour, & cause des bruits sourds en tombant sur les corps qu'il rencontre.

6°. Il y a des sourds qui entendent quand on leur parle à la bouche ; l'air communique alors ses vibrations par la trompe d'Eustache.

7°. S'il arrive une obstruction à cette trompe d'Eustache, on devient sourd ; la raison en est évidente, parce que cette trompe étant bouchée, il se ramasse dans la caisse du tambour des matieres qui peuvent éteindre le son, & qui sortiroient si cette issue ne leur étoit pas interdite.

8°. Si la membrane du tambour vient à se rompre, la surdité succede quelque tems après. On en doit attribuer la cause aux matieres qui s'introduisent alors dans la caisse, & aux impressions de l'air externe ; outre que cette membrane sert à transmettre à l'ouie des vibrations plus parfaites, & proportionnées à cet organe.

9°. Par quelle ouverture la fumée d'une pipe de tabac qu'on fume dans la bouche, peut-elle sortir par les oreilles, comme on le voit dans quelques personnes. Cette fumée entre alors par les trompes, & sort par le trou de Rivinus, qui se trouve ouvert dans quelques sujets, au moyen duquel ils pourront encore éteindre une bougie en faisant sortir de l'air par le conduit de l'oreille. Ce trou se rencontre à l'interruption du cercle osseux où s'attache la membrane du tambour.

10°. Quoique le son frappe les deux oreilles, on n'entend cependant qu'un seul son, égal & sans confusion ; c'est parce que la fabrique de l'oreille par rapport à l'organe immédiat de l'ouie, est entierement la même, toujours, en tout tems, à tout âge, & que s'il y a quelque défaut naturel dans une oreille d'un côté, le même défaut se trouve dans la même partie à l'autre oreille, & au côté opposé ; ce sont les observations curieuses de Valsalva qui méritent bien d'être vérifiées ; car si l'anatomiste d'Immola ne se trompe point, sa découverte est très-singuliere.

11°. Mais comment entend-on comme simple, un son qui est évidemment infiniment multiplié dans l'oreille, puisque dans le canal de l'ouie, comme dans une trompette, le son est poussé & repoussé une infinité de fois, & que cependant l'ame se représente tous ces sons comme n'en formant qu'un seul.

La raison qu'en donne M. Boerhaave, c'est que l'oreille ne peut distinguer tous les échos ou résonnemens qu'on fait naître, soit en parlant, soit en jouant de quelque instrument que ce soit, parce qu'on ne distingue l'écho qu'à une certaine distance. Quoi que nous entendions distinctement une syllabe dans moins d'une seconde ; ce tems est fort long comparé à la vîtesse du tems qui se passe entre le son primitif & le son réflêchi, elle est telle sans doute, que la perception du premier dure encore, quand celle du second arrive, ce qui empêche l'ame de la distinguer. Donc tous les résonnemens du son primitif ne laisseront appercevoir qu'un son. Tous les corps qui sonnent harmoniquement au son primitif, se joignent en un dans notre oreille, parce qu'ils sont de même espece, & ne se distinguent pas facilement, sans quoi nous aurions le malheur d'entendre un grand nombre de sons discordans au-lieu d'un seul.

12°. D'où vient la grande communication qu'il y a entre l'ouie & la parole ? Par la correspondance de la portion dure du nerf auditif avec les branches de la cinquieme paire, qui se distribuent aux parties qui servent à former & à modifier la voix.

13°. D'où viennent les tintemens, les sifflemens & bruits confus qui se font quelquefois dans l'oreille ? Ils viennent des maladies de cet organe ou des maladies du cerveau, qui produisent un mouvement irrégulier & déréglé des esprits, & qui ébranlent les nerfs auditifs.

14°. Le bourdonnement qu'on sent lorsqu'on se bouche les oreilles a-t-il la même cause ? Non, il vient du frottement de la main, de la compression qui froisse la peau & les cartilages, lesquels étant élastiques, causent un ébranlement dans l'oreille ; la vertu du ressort de l'air resserré, peut encore y contribuer, & former par ses réflexions un son qui devient sensible, à cause de la proximité & de la continuité des parties qu'il frappe.

15°. Quand la matiere cérumineuse vient à boucher le conduit auditif externe, on devient sourd, parce que l'air ne peut pas communiquer ses vibrations intérieurement. De même s'il se ramassoit des liqueurs épaisses dans la caisse du tambour, les vibrations de l'air ne pourroient pas se communiquer par les fenêtres ; alors si l'on faisoit quelqu'injection par la trompe, on pourroit enlever cette matiere, mais en tentant ce moyen, il faut que ce soit par le nez.

16°. D'où vient que certains sourds entendent beaucoup mieux quand on leur parle par-dessus la tête ? C'est qu'apparemment tout le crâne étant ébranlé, les os pierreux & tous les autres le sont aussi successivement.

17°. Pourquoi entend-on mieux la bouche ouverte & en retenant son haleine, secret que la nature a dévoilé à tout le monde ? Parce que d'un côté l'air communique ses vibrations à l'organe auditif par la trompe d'Eustache, & que de l'autre côté, en retenant notre haleine, nous empêchons qu'un torrent d'air n'entre avec bruit dans la trompe, & ne pousse en-dehors la membrane du tympan.

Mais la sensation de l'ouie peut être lésée de différentes manieres, dans son augmentation, sa diminution, sa dépravation, & sa destruction. Montrons en peu de mots comment ces accidens de l'organe de l'ouie peuvent arriver.

Dans certaines maladies très-aiguës du cerveau, des nerfs, des membranes, l'extrême tension de ces parties fait que le moindre son affecte si vivement le cerveau, qu'il en résulte quelquefois des mouvemens convulsifs. Ce genre de mal se nomme ouie aiguë.

Quand la perception du son est moindre qu'elle seroit dans l'état sain relativement à sa grandeur, c'est ce qu'on nomme ouie dure ; or ce mal procéde de plusieurs causes d'une nature fort différente, qu'il est facile d'exposer par l'énumération des divers lieux affectés, tels que l'oreille externe, trop plate ou emportée ; le conduit auditif trop droit, étroit, obstrué par une tumeur quelconque, par des insectes, par des ordures, par du pus, par la matiere cérumineuse épaissie ; la membrane du tympan lésée, lâche, devenue épaisse, dense, calleuse, par l'adhérence d'une croute fongueuse ; la couche interne remplie d'ichorosité, de pus, de pituite ; le canal d'Eustache empêché ou obstrué ; les osselets détachés, & qui sortent quelquefois par le conduit de l'ouie, quand la petite membrane qui les lie tombe en suppuration, comme il arrive après de cruelles douleurs inflammatoires de l'oreille externe, ou l'absence des osselets, par défaut de conformation ; par le desséchement, le relâchement, l'épaississement, l'inondation, la trop grande tension, la corruption, l'érosion, l'endurcissement de la petite membrane de la fenêtre ronde & ovale ; par différens vices du vestibule, du labyrinthe, du limaçon, des conduits de l'os pétreux, comme l'inflammation, l'obstruction, la paralysie, & les effets qui peuvent s'ensuivre ; enfin, par la mauvaise structure de ces parties, & tout ce qui gêne la portion molle du nerf auditif, depuis son entrée dans l'os pétreux, jusqu'à son origine dans la moëlle du cerveau, comme l'inflammation, les tumeurs, la fonction du cerveau lésée, & plusieurs autres maux : on conçoit de tout ce détail le peu d'espérance de guérir les maux dont il s'agit.

L'ouie s'altere encore par les vices de l'air externe, sur-tout par l'air humide & nébuleux, ou parce que l'air interne ne peut entrer ni sortir librement. Mais ce qui nuit principalement ici, ce sont les maladies de ces artérioles qui rampent sur les petites membranes dispersées dans tout l'organe de l'ouie : de-là on comprend facilement l'origine des tintemens, des sons graves, des échos, des murmures.

Enfin, si tous ces vices augmentent & persistent long-tems, on devient tout à-fait sourd, & en conséquence on ne sait point parler, ou on l'oublie. La cause de ce mal est souvent la concrétion de la trompe d'Eustache.

Voilà tout ce qui regarde la sensation de l'ouie & sa lésion dans l'homme ; le détail de cet organe dans les bêtes nous conduiroit trop loin ; c'est assez pour prouver la différence de remarquer que la seule couverture extérieure de l'organe de l'ouie est différente dans les diverses classes d'animaux, jugez ce que ce doit être des parties internes ! Les taupes qui sont enterrées toute leur vie, n'ont point le conduit de l'oreille ouvert à l'ordinaire ; car pour empêcher la terre d'y entrer, elles l'ont fermé par la peau qui leur couvre la tête, & qui se peut ouvrir & fermer en se dilatant ou en s'étrécissant. Plusieurs animaux ont ce trou absolument bouché, comme la tortue, le caméléon, & la plûpart des poissons. Il y a une espece de baleine qui ne l'a pas fermé ; mais elle a cette ouverture sur les épaules. Presque tous les animaux à quatre piés ont ce trou ouvert par des oreilles longues & mobiles, qu'ils levent & tournent du côté d'où vient le bruit. Quelques-uns ont les oreilles plus courtes, quoique mobiles, comme les lions, les tigres, les léopards. D'autres comme le singe, le porc-épic, les ont applaties contre la tête ; d'autres n'ont point du tout d'oreilles externes, comme le veau marin, & toutes les especes de lésards & de serpens. D'autres ont le trou couvert seulement ou de poils, comme l'homme, ou de plumes comme les oiseaux : enfin, il y en a peu comme l'outarde, le casuel, le poulet-d'Inde, le méléagris ou pintade, qui l'aient découvert. (D.J.)

OUIES, ORGANES DES POISSONS, qui leur servent de poumons. Ce qui se présente à l'examen, c'est leur structure, la distribution de leurs vaisseaux, & les usages de ces parties.

Les recherches dont nous allons rendre compte sont du célebre M. du Verney, qui en fit part à l'académie au commencement de ce siecle. Il les a faites sur la carpe. La charpente des ouies est composée de quatre côtes de chaque côté, qui se meuvent tant sur elles-mêmes en s'ouvrant & se resserrant, qu'à l'égard de leurs deux appuis, supérieur & inférieur, en s'écartant l'un de l'autre, & en s'en rapprochant. Le côté convexe de chaque côté est chargé sur les bords de deux especes de feuillets, chacun desquels est composé d'un rang de lames étroites rangées & serrées l'une contre l'autre, qui forment comme autant de barbes ou franges, semblables à celles d'une plume à écrire, &c. sous ces franges, qu'on peut appeller proprement le poumon des poissons. Voilà une situation de partie fort extraordinaire & fort singuliere. La poitrine est dans la bouche aussi bien que le poumon : les côtes portent le poumon, & l'animal respire l'eau : les extrémités de ces côtes qui regardent la gorge, sont jointes ensemble par plusieurs petits os, qui forment une espece de sternum ; ensorte néanmoins que les côtes ont un jeu beaucoup plus libre sur ce sternum, & peuvent s'écarter l'une de l'autre beaucoup plus facilement que celles de l'homme, & que ce sternum peut être soulevé & abaissé. Les autres extrémités qui regardent la base du crane, sont aussi jointes par quelques osselets qui s'articulent avec cette même base, & qui peuvent s'en éloigner ou s'en approcher. Chaque côté est composé de deux pieces jointes par un cartilage fort souple, qui est dans chacune de ces parties, ce que les charnieres sont dans les ouvrages des artisans ; chacune des lames, dont les feuillets sont composés, a la figure du fer d'une faux, & à sa naissance elle a comme un pié ou talon qui ne pose que par son extrémité sur le bord de la côte. Chacun de ses feuillets est composé de 135 lames ; ainsi les seize contiennent 8640 surfaces, & les deux surfaces de chaque lame sont revétues dans toute leur étendue d'une membrane très-fine, sur lesquelles se font les ramifications presque innombrables des vaisseaux capillaires de ces sortes de poumons : il y a 46 muscles employés au mouvement de ces côtes, 8 qui en dilatent l'intervalle, 16 qui les resserrent, 6 qui les élargissent, le centre de chaque côte, 12 qui les retrécissent, & qui en même tems abaissent le sternum, & 4 qui le soulevent.

Les ouies ont une large ouverture sur laquelle est posé un couvercle composé de plusieurs pieces d'assemblages, qui a le même usage que le panneau d'un soufflet, & chaque couvercle est formé avec un tel artifice qu'en s'écartant l'un de l'autre, ils se voutent en-dehors pour augmenter la capacité de la bouche, tandis qu'une de leurs pieces qui joue sur une espece de genou, tient fermées les ouvertures des ouies, & ne les ouvre que pour donner passage à l'eau que l'animal a respiré, ce qui se fait dans le tems que le couvercle s'abat & se resserre : il y a deux muscles qui servent à soulever le couvercle, & trois qui servent à l'abattre & à le resserrer. On vient de dire que l'assemblage qui compose la charpente des couvercles, les rend capables de se trouver en-dehors ; il ne reste plus que deux circonstances à ajouter : la premiere est que la partie de ce couvercle, qui aide à former le dessous de la gorge, est plié en éventail sur de petites lames d'os, pour servir, en se déployant, à la dilatation de la gorge dans l'inspiration de l'eau : la seconde, que chaque couvercle est revétu par-dehors & par-dedans d'une peau qui lui est fort adhérente. Ces deux peaux s'unissant ensemble, se prolongent audelà de la circonférence du couvercle d'environ deux à trois lignes, & vont toujours en diminuant d'épaisseur. Ce prolongement est beaucoup plus ample vers la gorge que vers le haut de la tête. Il est extrêmement souple pour s'appliquer plus exactement à l'ouverture sur laquelle il porte, & pour la tenir fermée au premier moment de la dilatation de la bouche pour la respiration.

L'artere qui sort du coeur se dilate de telle maniere, qu'elle en couvre toute la base. Ensuite se rétrécissant peu-à-peu, elle forme une espece de cone ; à l'endroit où elle est ainsi dilatée, elle est garnie en-dedans de plusieurs colomnes charnues qu'on peut considérer comme autant de muscles qui font de cet endroit de l'aorte un second coeur, ou du moins comme un second ventricule, lequel joignant sa compression à celle du coeur, double la force nécessaire à la distribution du sang pour la circulation. Cette artere montant par l'intervalle que les ouies laissent entr'elles, jette vis-à-vis de chaque paire de côtes de chaque côté une grosse branche qui est couchée dans la gouttiere creusée sur la surface extérieure de chaque côte, & qui s'étend le long de cette gouttiere d'une extrémité à l'autre du feuillet : voilà tout le cours de l'aorte dans ce genre d'animaux ; l'aorte, qui dans les autres animaux porte le sang du centre à la circonférence de tout le corps, ne parcourt de chemin dans ceux-ci que depuis le coeur jusqu'à l'extrémité des ouies, où elle finit. Cette branche fournit autant de rameaux qu'il y a de lames sur l'un & sur l'autre bord de la côte ; la grosse branche se termine à l'extrémité de la côte, & les rameaux finissent à l'extrémité des lames, auxquelles chacun d'eux se distribue. Pour peu que l'on soit instruit de la circulation & des vaisseaux qui y servent, on sera en peine de savoir par quels autres vaisseaux on a trouvé un expédient pour animer & nourrir tout le corps, depuis le bout d'en-bas des ouies jusqu'à l'extrémité de la queue : cet expédient paroîtra clairement, dès qu'on aura conduit le sang jusqu'à l'extrémité des ouies. Chaque rameau d'arteres monte le long du bord intérieur de chaque lame des deux feuillets posée sur chaque côte ; c'est-à-dire, le long des deux tranchans des lames qui se regardent. Ces deux rameaux s'abouchent au milieu de leur longueur ; & continuant leur route, parviennent à la pointe de chaque lame. Là chaque rameau de l'extrémité de l'artere trouve l'embouchure d'une veine ; & ces deux embouchures, appliquées l'une à l'autre immédiatement, ne faisant qu'un même canal, malgré la différente consistance des deux vaisseaux, la veine s'abat sur le tranchant extérieur de chaque lame, & parvenue au bas de la lame, elle verse son sang dans un gros vaisseau veineux, couché près de la branche d'artere dans toute l'étendue de la gouttiere de la côte ; mais ce n'est pas seulement par cet abouchement immédiat des deux extrémités de l'artere & de la veine, que l'artere se décharge dans la veine ; c'est encore par toute sa route : c'est ainsi donc que le rameau d'artere dressé sur le tranchant de chaque lame, jette dans toute sa route sur le plat de chaque lame de part & d'autre une multitude infinie de vaisseaux, qui, partant deux à deux de ces rameaux, l'un d'un côté & l'autre de l'autre, chacun de son côté va droit à la veine, qui descend sur le tranchant opposé de la lame, & s'y abouche par un contact immédiat. Dans ce genre d'animaux le sang passe donc des arteres de leur poumon dans leurs veines d'un bout à l'autre. Les arteres y sont de vraies arteres, & par leur corps, & par leur fonction de porter le sang. Les veines y sont de vraies veines, & par leur fonction de recevoir le sang des arteres, & par la délicatesse extrême de leur consistance. Il n'y a jusque-là rien qui ne soit dans l'économie ordinaire. Mais ce qu'il y a de singulier, c'est l'abouchement immédiat des arteres avec les veines, qui se trouve à la vérité dans les poumons d'autres animaux, sur-tout dans ceux des grenouilles & des tortues ; mais qui n'est pas si manifeste que dans les ouies des poissons. Voyez la régularité de la distribution qui rend cet abouchement plus visible dans ce genre d'animaux ; car toutes les branches d'arteres montant le long des lames dressées sur les côtes, sont aussi droites & aussi également distantes l'une de l'autre que les lames, & en général la direction & les intervalles des vaisseaux tant montant que descendant, est aussi réguliere que s'ils avoient été dressés à la régle & espacés au compas ; on les suit à l'oeil & au microscope. Cette distribution est fort singuliere, ce qui suit l'est encore davantage. On est en peine, avons-nous dit, de la distribution du sang, pour la nourriture & la vie des autres parties du corps de ces animaux. Nous avons conduit le sang du coeur par les arteres du poumon dans les veines du poumon ; le coeur ne jettant point d'autres arteres que celles du poumon, que deviendront les autres parties, le cerveau, les organes des sens, & tout le reste du corps ? Ce qui suit le fera voir. Ces troncs de veines pleins de sang artériel, sortant de chaque côté par leurs extrémités qui regardent la base du crâne, prennent la consistance & l'épaisseur d'artere, & viennent se réunir deux à deux de chaque côté. Celle de la premiere côte fournit avant sa réunion des branches qui distribuent le sang aux organes des sens, au cerveau & aux parties voisines, & fait par ce moyen les fonctions qui appartiennent à l'aorte ascendante dans les animaux à quatre piés ; ensuite elle se rejoint à celle de la seconde côte, & ces deux ensemble ne font plus qu'un tronc, lequel coulant le long de la base du crâne, reçoit encore de chaque côté une autre branche formée par la réunion des veines de la troisieme & quatrieme paires de côtes, & tout ensemble ne font plus qu'un tronc. Après cela ce tronc, dont toutes les racines étoient veines dans le poumon, devenant artere par sa tunique & par son office, continue son cours le long des vertébres en distribuant le sang artériel à toutes les autres parties, fait la fonction d'aorte descendante, & le sang artériel est distribué également par ce moyen à toutes les parties, pour les nourrir & les animer, & il rencontre par-tout des racines de veines, qui reprennent le résidu, & le portent par plusieurs troncs formés de l'union de toutes ces racines, au réservoir commun, qui doit le rendre au coeur. C'est ainsi que s'acheve la circulation dans ces animaux : voilà comment les veines du poumon deviennent arteres, pour animer & nourrir la tête & le reste du corps ; mais ce qui augmente la singularité, c'est que ces veines mêmes des poumons, sortant de la gouttiere des côtes par leur extrémité qui regarde la paroi, conservent la tunique & la fonction des veines, en rapportant dans le réservoir de tout le sang veinal une portion du sang artériel qu'elles ont reçue des arteres du poumon. Comme le mouvement des machoires contribue aussi à la respiration des poissons, il ne sera pas hors de propos de faire remarquer que la supérieure est mobile, qu'elle est composée de plusieurs pieces, qui sont naturellement engagées les unes dans les autres, de telle maniere qu'elles peuvent, en se déployant, dilater & allonger la machoire supérieure. Toutes les pieces qui servent à la respiration de la carpe, montent à un nombre si surprenant, qu'on ne sera pas faché d'en voir ici le dénombrement. Les parties osseuses sont au nombre de 4386 ; il y a 69 muscles : les arteres des ouies, outre leurs huit branches principales, jettent 4320 rameaux, & chaque rameau jette de chaque lame une infinité d'arteres capillaires transversales, dont le compte passe de beaucoup tous ces nombres ensemble. Il y a autant de nerfs que d'arteres ; les ramifications des premiers suivent exactement celles des autres ; les veines, ainsi que les arteres, outre leurs huit branches principales, en jettent 4320, qui sont des simples tuyaux, & qui, à la différence des rameaux des arteres, ne jettent point de vaisseaux capillaires transversaux. Quelque longue que soit la description que nous venons de transcrire, elle est si intéressante, que nous espérons n'avoir pas fatigué le lecteur.

Le sang qui est rapporté de toutes ces parties du corps des poissons, entre du réservoir où se dégorgent toutes les veines, dans l'oreillette, de-là dans le coeur, qui par sa contraction le pousse dans l'aorte, & dans toutes les ramifications qu'elles jettent sur les lames de l'ouie, & comme à sa naissance elle est garnie de plusieurs colonnes charnues fort épaisses, qui se resserrent immédiatement après ; elle seconde & fortifie par sa contraction l'action du coeur, qui est de pousser avec beaucoup de force le sang dans les rameaux capillaires transversaux situés de part & d'autre sur toutes les lames des ouies. On a déja observé que cette artere & ses branches ne parcouroient de chemin que depuis le coeur jusqu'à l'extrémité des ouies, où elles finissent ; ainsi, ce coup de piston redoublé doit suffire pour pousser le sang avec impétuosité dans un nombre infini d'artérioles, si droites & si régulieres, où le sang ne trouve point d'autre obstacle que le simple contact, & non le choc & les reflexions, comme dans les autres animaux, où les arteres se ramifient en mille manieres, sur-tout dans leur derniere subdivision : voilà pour ce qui concerne le sang dans le poumon. Voici comment s'en fait la préparation : les particules d'air qui sont dans l'eau, comme l'eau est dans une éponge, peuvent s'en dégager en plusieurs manieres. 1. Par la chaleur, ainsi qu'on le voit dans l'eau qui bout sur le feu. 2. Par l'affoiblissement du ressort de l'air qui presse l'eau où les particules d'air sont engagées, comme on le voit dans la machine du vuide. 3. Par le froissement & l'extrême division de l'eau, sur-tout quand elle a quelque degré de chaleur. On ne peut douter qu'il n'y ait beaucoup d'air dans tout le corps des poissons, & que cet air ne leur soit fort nécessaire. Diverses expériences faites dans la machine du vuide le prouvent, & montrent en même tems que l'air qui est mêlé dans l'eau a la principale part à la respiration des poissons ; on remarque aussi que lorsque la surface des étangs est gelée, les poissons qui sont dedans meurent plus ou moins vîte, suivant que l'étang a plus ou moins d'étendue ou de profondeur ; & quand on casse la glace dans quelque endroit, les poissons s'y présentent avec empressement pour respirer cette eau impregnée d'un nouvel air. Ces expériences prouvent manifestement la nécessité de l'air pour la respiration des poissons. Voyons maintenant ce qui se passe dans le tems de cette respiration. La bouche s'ouvre, les levres s'avancent ; par-là la concavité de la bouche est allongée, la gorge s'enfle ; les couvercles des ouies, qui ont le même mouvement que les panneaux d'un soufflet, s'écartant l'un de l'autre, se voutent en-dehors par leur milieu seulement, tandis qu'une de leurs pieces qui joue sur une espece de genou tient fermées les ouvertures des ouies, en se soulevant toutefois un peu, sans permettre cependant à l'eau d'entrer, parce que la petite peau qui borde chaque couvercle, fermant exactement l'ouverture des ouies, tout cela augmente & élargit en tous sens la capacité de la bouche, & détermine l'eau à entrer dans sa cavité, de même que l'air entre par la bouche & les narines, dans la trachée artere & les poumons ; par la dilatation de la poitrine dans ce même tems, les côtés des ouies s'ouvrent en s'écartant les uns des autres, leur ceintre est élargi, le sternum est écarté en s'éloignant du palais, ainsi tout conspire à faire entrer l'eau en plus grande quantité dans la bouche. C'est ainsi que se fait l'inspiration des poissons ; ensuite la bouche se ferme, les levres, auparavant allongées, s'accourcissent, sur-tout la supérieure, qui se plie en éventail, la levre inférieure se colle à la supérieure, par le moyen d'une petite peau en forme de croissant, qui s'abat comme un rideau de haut en bas qui empêche l'eau de sortir, le couvercle s'applatit sur la baie de l'ouverture des ouies. Dans le même tems les côtes se serrent les unes contre les autres, leur ceintre se retrécit, & le sternum s'abat sur le palais ; tout cela contribue à comprimer l'eau qui est entrée par la bouche, elle se présente alors pour sortir par tous les intervalles des côtés, & par ceux de leurs lames, & elle y passe comme par autant de filieres ; par ce mouvement la bordure membraneuse des couvercles est relevée, & l'eau pressée s'échappe par cette ouverture. C'est ainsi que se fait l'expiration dans les poissons ; on voit donc par-là que l'eau entre par la bouche, & qu'elle sort par les ouies par une espece de circulation, entrant toujours par la bouche, & sortant toujours par les ouies, tout au contraire de ce qui arrive aux animaux à quatre piés, dans lesquels l'air en sort alternativement par la même ouverture de la trachée-artere. Il y a encore divers usages des ouies par rapport à la route du sang, & à la préparation qu'il y reçoit, sur lesquels nous renvoyons à la piece d'où cet article est tiré, & qui se trouve dans les mémoires de l'acad. roy. des Sciences, an. 1704. p. 294. édit. d'Amst.

OUÏE, (Séméiotiq.) les dérangemens qui arrivent dans l'exercice de ce sens sont souvent l'effet d'une maladie plus grave, ou de quelque altération survenue dans toute l'économie animale ; cet effet peut servir dans certains cas de signe pour remonter à la connoissance des causes. L'ouie peut cesser d'être dans l'étant naturel, ou par une augmentation excessive, ou par une abolition totale, ou par une dépravation quelconque ; la perte absolue ou la très-grande diminution de l'ouïe est connue sous le nom particulier de surdité ; nous renvoyons à cet article l'exposition des signes que cet état fournit dans le cours des maladies aiguës. Voyez SURDITE. Nous allons indiquer en peu de mots les lumieres qu'on peut tirer des autres vices de ce sens sans entrer dans aucune discussion théorique sur l'enchaînement qu'il y a entre ces signes & les choses signifiées.

Suivant une observation généralement connue, l'extrême finesse de l'ouïe est un très-mauvais signe ; la dureté d'oreille est beaucoup moins défavorable, il y a même bien des cas où elle est d'un heureux présage, quoiqu'elle soit poussée au degré de surdité. Ce n'est que dans le cas de grande foiblesse & d'affaissement que la diminution ou la perte d'ouïe est un signe mortel, Hippocr. aph. 73. lib. VII. La dépravation de l'ouïe a lieu lorsque l'oreille entend des sons autrement qu'ils ne sont produits, & dans le tems même où il n'y en a point d'excité par les corps extérieurs : c'est ce qui arrive dans le tintement d'oreille & le bourdonnement ; voyez ces mots, & dans quelques especes de délire où le malade croit entendre des personnes qui parlent, ou le son des instrumens, sans que pourtant ces objets soient réels ; ce vice de l'ouïe peut alors être regardé comme un signe de délire présent ou prochainement futur.

Le bourdonnement & le tintement d'oreille sont dans les maladies aiguës des signes avant-coureurs de la mort. Coac. praenot. cap. v. n°. 5. Waldschmid a remarqué que ces mêmes signes étoient très-fâcheux dans les nouvelles accouchées. Les tintemens d'oreille joints à des douleurs de tête, vertige, engourdissement des mains, lenteur de la voix sans fievre, font craindre, suivant cet auteur & Hippocrate, la paralysie, ou l'épilepsie, ou la perte de mémoire ; les ébranlemens de la tête avec tintement d'oreille annoncent une hémorrhagie par le nez, ou l'éruption des regles, sur-tout s'il y a une chaleur extraordinaire répandue le long de l'épine du dos, ibid. cap. iv. n°. 8. on doit s'attendre au délire & à l'hémorrhagie du nez lorsque ce tintement se rencontre avec l'obscurcissement de la vûe & une pesanteur à la racine du nez, ibid. cap. v. n°. 6. En général, remarque Hippocrate, de insom. cap. xij. 11. la lésion de l'ouïe, de même que celle de la vûe, dénotent l'affection de la tête. (m)

OUÏES, s. f. (Musiq.) les ouvriers nomment ainsi les deux ouvertures qui sont sur la table des violes, & de quelques autres instrumens de Musique. Ces ouvertures, qu'on pourroit appeller écheia, ont différentes figures, & ce sont les endroits par où sort le son harmonieux ; mais quand il s'agit de poche de violon, de basse de violon, on appelle ordinairement leurs ouvertures des effes, parce qu'elles ont la figure d'une f. (D.J.)


OUILLEoleo ou oglio, (Cuisine) un mets délicieux, ou ragoût composé d'une grande variété d'ingrédiens, & que l'on sert principalement sur les bonnes tables en Espagne.

Il y a différentes manieres de faire des ouilles ; mais pour donner une idée de cet assemblage étrange, nous insérerons ici la recette qui vient d'un maître qui a fait ses preuves.

Prenez de la culotte & des langues de boeufs bouillies & séchées, avec des saucisses de Boulogne ; faites bouillir le tout ensemble pendant deux heures, & pour-lors ajoutez-y du mouton, du porc-frais, de la venaison & du lard, comme aussi des navets, des carottes, des oignons, des choux, de la bourache, de la chicorée blanche, des soucis, de l'oseille & des épinars ; ensuite les épices, comme du safran, des clous-de-girofle, du macis & de la noix de muscade, &c.

Cela fait, mettez dans une autre marmite un dindon ou une oie, avec des chapons, faisans, butors, canards sauvages, perdrix, sarcelles, bisets, becasses, cailles & alouettes, & faites-les bouillir dans de l'eau avec du sel. Dans un troisieme vaisseau, préparez une sauce de vin blanc, de consommé, de beurre, de culs d'artichaux, de marrons, de choux-fleurs, de chapelure de pain, de moëlle, de jaunes d'oeufs, de macis & de safran : enfin dressez l'ouille dans un plat proportionné à la quantité des choses dont elle est composée : tirez d'abord de la marmite le boeuf & le veau, ensuite la venaison, le mouton, les langues & les saucisses ; dispersez par-tout les racines & légumes ; arrangez autour le plus gros gibier, entremêlez du petit, & versez votre sauce sur le tout.


OUIRv. act. (Gram.) entendre, ouir la messe. Assigné pour être ouï, ouir à confesse.


OUJON(Géog.) petite ville d'Asie dans la Perse, selon Tavernier, qui lui donne 61 d. 35'. de longit. & 32 d. 24'. de latit. (D.J.)


OUKCK(Géog.) ville d'Asie en Tartarie dans le Capschac, sur le Volga, à 15 lieues de Bulgares. Long. 84. lat. 57.


OULANSS. m. plur. (Milice polon.) nom d'une troupe de cavalerie légere, composée de Polonois & de Tartares, montés sur des chevaux de ces deux nations ; ils font un service pareil à celui des hussarts qu'ils surpassent en bonté, soit par l'armure, soit par la vîtesse de leurs chevaux, qui, quoiqu'à-peu-près de la même taille, leur sont supérieurs en légereté, & beaucoup plus durs à la fatigue.


OULICESTENONS A, (Charpentier) ce sont des tenons coupés en quarré, & en à-bout auprès des paremens de bois pour les revêtir ensuite ; & quand l'ouvrage est fini, les tenons faits de cette maniere sont aussi appellés tenons à tournices.


OUPORUM(Géog. anc.) ancienne ville de la Liburnie dans les terres, selon Ptolémée, l. II. c. xvij. Quelques-uns conjecturent que c'est présentement Obroazo en Dalmatie. (D.J.)


OURAGANS. m. (Physiq.) vent très-violent, qui s'éleve promptement & qui se dissipe bientôt après. Voyez VENT.

Il y a différentes sortes d'ouragans ou de tourbillons, distingués par les noms de prester, typho, vortex ou vorbex, exhydria & ecnephis.

Le prester est un vent violent qui lance des éclairs, il s'observe rarement, & ne va presque jamais sans ecnephis. Séneque dit que c'est un typho ou trombe. Voyez TROMBE.

L'ecnephis est un vent impétueux qui s'élance d'un nuage. Il est fréquent dans la mer d'Ethiopie, principalement vers le cap de Bonne-Espérance ; les marins l'appellent travados.

L'exhydria est un vent qui sort avec violence d'un nuage, & est accompagné d'une grande pluie : il ne paroît guere différer que par le degré de force de l'ecnephis, qui ne va guere non plus sans ondée.

Le typho ou vortex est proprement le tourbillon ou l'ouragan, c'est un vent impétueux qui tourne rapidement en tout sens, & semble balayer autour de lui. Il souffle fréquemment de haut en-bas ; les Indiens l'appellent orancan, les Turcs oliphant. Il est fréquent dans les mers orientales, principalement vers Siam, la Chine, &c. & rend la navigation de ces mers très-dangereuse. Chambers.

" Les premiers navigateurs qui ont approché du cap de Bonne-Espérance ignoroient les effets de ces nuages funestes, qui semblent se former tranquillement, & qui tout-d'un-coup lancent la tempête. Près de la côte de Guinée, il se fait quelquefois trois ou quatre de ces orages en un jour, ils sont causés & annoncés par de petits nuages noirs, le reste du ciel est ordinairement fort serein, & la mer tranquille ; c'est principalement aux mois d'Avril, de Mai & de Juin qu'on éprouve ces tempêtes sur la mer de Guinée.

Il y a d'autres especes de tempêtes, que l'on appelle proprement des ouragans, qui sont encore plus violentes que celles-ci, & dans lesquelles les vents semblent venir de tous côtés. Il y a des endroits dans la mer où l'on ne peut pas aborder, parce qu'alternativement il y a toujours ou des calmes, ou des ouragans de cette espece ; les plus considérables sont auprès de la Guinée à 2 ou 3 degrés latitude nord.

Lorsque les vents contraires arrivent à-la-fois dans le même endroit comme à un centre, ils produisent ces tourbillons ; mais lorsque ces vents trouvent en opposition d'autres vents qui contrebalancent de loin leur action, alors ils tournent autour d'un grand espace, dans lequel il regne un calme perpétuel, & c'est ce qui forme les calmes dont nous parlons, & desquels il est souvent impossible de sortir. Ces endroits de la mer sont marqués sur les globes de Senex, aussi-bien que les directions des différens vents qui regnent ordinairement dans toutes les mers ". Hist. nat. gén. & partic. tome I.


OURAou URAN SOANGUR, (Hist. mod.) est le nom d'une certaine secte de magiciens de l'île Grombocannose dans les Indes orientales.

Ce nom renferme les mots d'homme & de diable ; ces magiciens ayant la réputation de se rendre invisibles quand il leur plaît, & de se transporter où ils veulent pour faire du mal : aussi le peuple les craint fort, & les hait mortellement, & quand il peut en attraper quelqu'un, il le tue sans miséricorde.

Dans l'histoire de Portugal in-folio, imprimée en 1581, il est parlé d'un roi de l'île Grombocannose, qui fit présent à un officier portugais, nommé Brittio, de douze de ces ourans ; cet officier s'en servit dans ses courses chez les peuples de Tidore, où il fit périr beaucoup de monde par leur moyen, &c.

Pour s'assûrer si en effet ces magiciens avoient tout le pouvoir qu'on leur attribuoit, il fit attacher un d'entr'eux par le col avec une corde, de maniere qu'il ne pouvoit se débarrasser par aucun moyen naturel ; on assûre que le lendemain matin cet homme fut trouvé libre & dégagé.

Cependant Brittio ne voulant pas que le roi de Tidore pût lui reprocher qu'il se servoit de diables pour lui faire la guerre, renvoya, dit-on, tous ces magiciens dans leur pays.


OURANG-OUTANGS. m. (Hist. nat.) on rencontre dans plusieurs provinces de l'intérieur de la Guinée & dans les contrées voisines, cet animal appellé par les habitans quoja marrow. On en voit plus communément dans le pays d'Angola, où on les nomme ourang-outang ; c'est de-là que venoit celui qui fut amené au commencement de ce siecle en Angleterre, & que tout le peuple de Londres vit. Cet animal n'est autre chose qu'une espece de singe semblable à ceux de Bornéo ; le docteur Tyson en a publié une description très-exacte. (D.J.)


OURANIAS. f. (Hist. anc.) partie de la sphéristique des anciens, ou jeu de balle très-usité parmi eux, & dont Homere fait une description au VIII. livre de l'Odyssée. Le jeu, suivant M. Burette dans sa dissertation sur cette matiere, consistoit en ce que l'un des joueurs se courbant en arriere, jettoit en l'air une balle qu'un autre joueur tâchoit d'attraper en sautant avant qu'elle retombât à terre, & avant que lui-même se retrouvât sur ses piés, ce qui demandoit une grande justesse de la part de celui qui recevoit cette balle, & qui devoit pour sauter prendre précisément l'instant que la balle qui retomboit pût être à une juste portée de sa main. Mém. de l'acad. t. I.


OURAQUES. f. en Anatomie, est un conduit membraneux du foetus, qui vient du fond de la vessie & se rend au placenta, en passant par le nombril, conjointement avec les vaisseaux umbilicaux, dont on le regarde comme faisant partie. Voyez aussi VAISSEAUX UMBILICAUX & FOETUS.

L'ouraque en se terminant au placenta, forme une petite vessie qui sert à recevoir l'urine qui s'est séparée dans les reins du foetus, & qui ne pouvoit passer par l'urethre, à cause de la résistance du sphincter de la vessie, laquelle ne peut être surmontée que par l'inspiration.

La liqueur qui se trouve dans la vessie de l'ouraque est toujours en plus grande quantité, plus haute en couleur, & plus ressemblante à l'urine, à mesure que l'accouchement est plus proche.

L'ouraque ne se reconnoît clairement que dans les brutes ; mais il n'y a pas de doute qu'il n'existe dans le foetus humain. Voyez FOETUS.

Drelincourt, célébre professeur d'anatomie à Leyde, & quelques autres après lui, nient que l'ouraque soit creux. Dans ce cas-là, il ne seroit pas aisé d'en montrer l'usage, à-moins que ce ne soit de tenir la vessie suspendue au nombril ; mais la premiere opinion semble la mieux appuyée. Voyez URINE.


OURATURE(Géog.) petite île annexée à celle de Ceylan, à la pointe de Jafnapatan ; les Hollandois l'appellent l'île de Leyden. Long. 98. 30. lat. 9. 50. (D.J.)


OURCL '(Géog.) petite riviere de France, qui a sa source au-dessus de Fere en Tardenois, & devient navigable au-dessus de la Ferté-Milon, jusqu'à Mans, où elle se jette dans la Marne. (D.J.)


OURCEL '(Géog.) petite riviere de France ; elle a sa source en Champagne, & se décharge dans la Seine près de Bar-sur-Seine. (D.J.)


OURCHA(Géog.) ville d'Asie dans l'Indoustan, sur le fleuve Jamad : Timur-Bec lui donne 117 deg. de long. & 30. de latitude. (D.J.)


OURDIRterme de Manufacture, ce mot signifie préparer ou disposer sur une machine faite exprès, les fils de la chaîne d'une étoffe, d'une toile, d'une futaine, d'un basin, &c. pour la mettre en état d'être montée sur le métier, afin de la tisser en faisant passer à-travers avec la navette le fil de la trame : après que la chaîne d'une étoffe de laine a été ourdie, on la colle, & on la fait sécher, sans quoi il seroit difficile de la pouvoir bien travailler. (D.J.)

OURDIR UNE CORDE, terme de Corderie, qui signifie disposer le long de la corderie autant de fils qu'il en faut pour former la corde qu'on se propose de faire, & leur donner une longueur & une tension égale.

Quand le cordier a étendu un nombre suffisant de fils, il les divise en autant de parties, qu'il veut que sa corde ait de cordons ; il fait un noeud au bout de chacun de ces faisceaux pour réunir tous les fils qui les composent, puis il divise chaque faisceau en deux pour passer dans le milieu l'extrémité des manivelles, où il les assujettit par le moyen d'une clavette. Voyez l'article CORDERIE.

OURDIR, terme de Maçons ; les maçons disent ourdir un mur, pour signifier qu'ils y mettent le premier enduit ; ainsi ourdir en terme de maçon, c'est faire un grossier enduit avec de la chaux ou du plâtre sur un mur de moëllon, par-dessus lequel on en met un autre fin qu'on unit proprement avec la truelle. (D.J.)

OURDIR A LA TRINGLE, terme de Nattier en paille ; c'est bâtir & arrêter les cordons de la natte sur les clous de deux grosses & longues pieces de bois que les Nattiers nomment des tringles.

OURDIR, (Rubanier) est l'action d'assembler une quantité plus ou moins considérable de brins de soie pour en former un tout qui composera la chaîne telle qu'elle soit. Nous supposerons dans tout cet article une piece ourdie à seize rochets pour nous fixer à une idée déterminée, ce que nous dirons relativement à cette quantité devant s'entendre de toute autre ; outre que c'est la façon la plus ordinaire, sur-tout pour le ruban, que nous envisagerons spécialement dans cette explication : je suppose même que ce ruban est à vingt portées, qui formeront six cent quarante brins de soie dont cette chaîne sera composée ; expliquons tout ceci séparément. Les rochets sont placés dans les broches de la banque, ces banques varient quant à la forme chez plusieurs ouvriers, mais reviennent toutes à un même but ; les rochets sont placés, dis-je, à cette banque, huit d'un côté & huit de l'autre, de façon qu'il y ait sept déroulemens en-dessus & en-dessous, & cela pour la facilité de l'encroix, & alternativement depuis le premier rochet jusqu'au dernier ; ce qui étant fait, l'ourdisseur prend les seize bouts de soie qu'il noue ensemble, & en les ouvrant à-peu-près en égale quantité, il fixe ce noeud sur la cheville du moulin qui est en-haut, puis il encroise par deux brins. Voyez ENCROIX. Il décharge ses doigts qui sont le pouce & l'index de la main droite, de ces seize brins de soie ainsi encroisés sur deux autres chevilles qui avoisinent celle dont on vient de parler ; puis au moyen de la manivelle du banc à ourdir sur lequel il est assis qu'il tourne de droite à gauche, l'ourdissoir tourne dans le même sens & les soies par la descente continuelle & mesurée du blin, voyez BLIN, s'arrangent sur le moulin & prennent la figure spirale que le blin leur impose, étant parvenu à la longueur qu'il veut donner à la piece (& qui se connoît par la quantité de tours de la spirale, puisque sachant ce qu'un tour contient, on saura ce qu'une quantité en doit contenir) il arrête & encroise par portée à cet endroit, ce qui se fait en prenant à la fois les seize brins, & les passant dessus puis dessous les chevilles de l'encroix d'en-bas, & revenant sur ses pas de maniere qu'il passe ces seize brins dessus puis dessous les mêmes chevilles ; il remonte en tournant la manivelle en sens contraire, c'est-à-dire, qu'il tourne à présent de gauche à droite ; il remonte jusqu'en haut où étant arrivé, il encroise de nouveau par deux brins comme la premiere fois, & voilà ce qu'on appelle portée ; on voit que par cette opération il y a trente-deux brins sur l'ourdissoir, c'est ce qui constitue une portée, & que pour faire une piece de vingt portées, il faut vingt descentes & vingt remontées, ce qui formera les six cent quarante brins requis, en multipliant trente-deux par vingt. Si l'on vouloit qu'il y eût une demi-portée avec un nombre de portées complete s, on comprend assez que pour lors, il ne faudroit qu'arrêter au bas de la derniere descente : pour savoir si on a le nombre de portées que l'on souhaite, on les peut compter sur l'encroix d'en bas, en amenant la totalité auprès des boutons des chevilles de l'encroix, & les repoussant une à une dans le fond, ce qui se fait aisément, puisque chaque demi-portée se distingue de sa voisine, parce qu'ayant été encroisée en totalité, c'est-à-dire, les seize brins à la fois, & tournée dessus une cheville puis sous l'autre, ensuite sur cette derniere & sous la premiere, comme il a été déja dit dans cet article, ce sont les doigts index des deux mains qui font cette opération en les amenant un peu à soi ; ils attirent un peu en-devant toutes les portées, on lâche l'un ou l'autre de ces deux doigts, mais non pas tous deux à la fois ; il se détache par ce moyen une demi-portée qui est reçue sur le doigt mitoyen de la main vacante qui s'introduit entr'elle & toutes les autres, puis donnant le même mouvement avec l'index de cette même main, l'autre demi-portée est de même reçue sur le mitoyen de l'autre main. Voilà donc ces deux doigts introduits entre une portée entiere & la totalité des autres, cette portée est poussée au fond des chevilles par le dos de ces deux doigts, & ainsi des autres jusqu'au bout. Lorsqu'on veut ourdir de plusieurs couleurs à côté les unes des autres pour faire du ruban rayé, il n'y a pour cela qu'à changer les seize rochets de la premiere & y en substituer un autre nombre de différente couleur, & cela pour autant de portées que l'on voudra, puis reprendre encore les premiers ou même d'autres encore de différentes couleurs, prenant garde d'observer l'égalité des couleurs dans les distances des rayeures, c'est-à-dire qu'il y ait pareille quantité d'une couleur à un bord qu'à l'autre, le contraire étant dérangeroit la symmétrie, à-moins qu'on ne voulût faire du ruban appellé boiteux, voyez BOITEUX. Pour les ouvrages nuancés, c'est-à-dire dont la couleur va en diminuant par gradation, il ne s'agit que de mettre à la banque les deux rochets de la couleur la plus foncée de celle que l'on traite, par exemple, la couleur de rose ; les deux rochets seront presque de couleur de cerise ou au moins de couleur de rose foncée ; les deux autres rochets seront de couleur de rose tant soit peu plus clair, les deux suivans encore un peu plus clair que les derniers & toujours de même, jusqu'à deux rochets qui se trouveront être de couleur de chair, étant encroisés deux à deux, comme il a été dit plus haut ; ces différentes nuances se trouveront distinguées chacune à leur place dans le fil de l'encroix. Après que la piece quelle qu'elle soit a été ainsi ourdie ; il est question de se préparer pour l'ôter de dessus l'ourdissoir, voici comme il faut s'y prendre pour y parvenir ; il faut commencer par passer le bout d'un fil (pendant que l'on tient l'autre dans la main), à-travers le premier vuide que laissent entr'elles les soies sur les chevilles de l'encroix, puis ramenant ce bout de fil par-devant, après qu'il a passé par le second vuide des mêmes chevilles ; ce bout est noué avec celui qui étoit resté dans la main, ce noeud doit être exactement fait pour n'être point sujet à se dénouer ou à se casser, ce qui perdroit totalement tout ce qui vient d'être fait, puisque le tout se confondroit pêle-mêle, & deviendroit impossible à débrouiller ; ce fil conserve les soies dans le même arrangement où elles étoient sur les chevilles de l'encroix, il doit être un peu long ; cette longueur lui est nécessaire pour pouvoir débrouiller chaque brin qui est à présent composé de deux (puisqu'il a été ainsi encroisé) pour le pouvoir passer dans les lisses & ensuite dans le peigne chacun à sa place & dans l'ordre de l'ourdissage. Ce qui vient d'être fait à l'encroix d'enhaut doit être fait aussi à l'encroix d'en-bas, où l'on a encroisé par demi-portée, ce qui distinguera encore chaque portée pour pouvoir être mise chacune à part dans les dents de l'escalette, lorsqu'il s'agira de ployer la piece en large pour la mettre sur le métier, voyez PLOYOIR ; ce bout de fil est d'une telle conséquence, qu'il y a quantité d'ourdisseurs qui encroisent par deux, en-bas comme en-haut, afin que si par malheur un des deux fils d'encroix venoit à se rompre, on pût avoir recours à l'autre en retournant la piece, étant sûrs de recouvrer cet encroix à l'autre bout, précaution louable & qui devroit être généralement suivie ; étant assuré par ce moyen de la solidité de ces encroix, il faut ôter cette piece de dessus l'ourdissoir ; si les deux encroix sont encroisés par deux, il n'importera par lequel bout commencer ; mais si l'un étoit par portée, il faudroit commencer par l'autre, c'est-à-dire par celui qui est encroisé par deux, afin que le bout encroisé par portées se trouvât sur le billot où le tout va être mis, & qui se trouvera par ce moyen dessus lorsqu'il faudra plier la piece en large ; ce bout quel qu'il soit par lequel on veut commencer, est dépassé de dessus les chevilles de l'encroix, & passé au moyen de plusieurs tours qu'on lui fait faire à l'entour du billot, dont on tient les deux bouts dans les deux paumes des mains, en le faisant tourner entr'elles par le moyen des pouces qui posent sur les bords ; il tourne de dedans en-dehors, en enroulant avec lui la piece contenue sur l'ourdissoir ; mais cet ourdissoir libre déroulera trop vîte & fera relever trop lâche, il y a plusieurs moyens pour obvier à cet inconvénient ; premierement, lorsque l'ourdissoir a un plancher ; après avoir dépassé la corde de dessus la grande poulie d'en-bas, on attache au moyen d'un petit clou qui est sur le bord de cette poulie, une boîte remplie de ferrailles ou de pierres, laquelle boîte s'appelle charrette ; cette charge qui est à plat sur le plancher dont on parle, & qu'il faut que l'ourdissoir fasse tourner avec lui le fait aller doucement, & il ne cede que conséquemment au tirage du billot ; si ce plancher n'y étoit pas, ainsi qu'à beaucoup d'ourdissoirs où il manque, il faut en ce cas approcher le pié gauche & le poser de façon qu'il puisse recevoir sur le bout l'extrémité de chaque aîle du moulin, on est maître par-là de diriger le mouvement de ce moulin, ou même de l'arrêter tout-à-fait lorsqu'il est nécessaire. J'ai parlé plus haut du banc à ourdir, il y a beaucoup d'ourdissoirs où cette partie manque, pour éviter, disent ceux qui n'en veulent pas, l'embarras qu'il cause n'y ayant jamais trop de place pour tout ce métier ; pour lors il faut y suppléer en faisant tourner ce moulin par l'impulsion de la main gauche contre l'aîle du moulin où elle le rencontre ; il suffit d'une chaise pour être assis auprès de l'ourdissoir, il y en a même qui se tiennent debout, chacun fait à sa façon : quelquefois l'ourdissoir devient rude à tourner, ce qui nuit à l'ourdissage, sur-tout si ce sont des soies extrêmement fines ; on y remédie en faisant sortir le moulin de sa situation suffisamment pour découvrir la petite crapaudine qui lui sert de centre, & y mettre de l'huile, puis le moulin est remis en son lieu & tourne avec plus de douceur : j'ai dit dans cet article, que les rochets étoient mis à la banque alternativement en sens contraire, c'est-à-dire que le déroulement se fait en-dessus & en-dessous alternativement, voici à quoi je destine cet usage ; lorsqu'il s'agira d'encroiser par deux, les deux brins qui doivent être encroisés ensemble se seront plus approchés par la différence de leur mouvement ; ensorte que l'ourdisseur les trouvera sous ses doigts presque comme il les lui faut pour les encroiser ; il doit être encore dit ici, qu'il faut que l'ourdisseur ait presque toujours les yeux sur la banque, pour être en état de renouer sur le champ les brins qui viennent à casser, ce qu'il apperçoit par la cessation du mouvement du rochet.

OURDIR, (Soierie) c'est distribuer la quantité de fils qui doivent former la chaîne sur l'ourdissoir.

Pour cet effet, on prend les quarante fils qui composent la cantre, & après les avoir fait passer chacun dans une boule de verre, attachée au-dessus de chaque rochet sur lequel la soie est devidée, on noue tous ces fils ensemble ; ensuite on les met sur une premiere cheville qui est à une traverse au haut de l'ourdissoir ; après quoi on les enverge par l'insertion des doigts, voyez ENVERGER. Envergées, on les place sur deux autres chevilles à quelque distance de la premiere, puis on passe tous les fils ensemble sur une tringle de fer bien polie, la moitié de ces mêmes fils étant séparée par une autre tringle également polie. Les deux tringles de fer étant attachées au plot de l'ourdissoir qui, au moyen d'une mortaise quarrée & de la grandeur d'un des quatre montans qui sont arrêtés en-haut & en-bas des deux croisées, dont celle d'en-bas ayant une crapaudine de cuivre dans le milieu où entre le tourillon de l'arbre de l'ourdissoir, leur donne la liberté de tourner, a la liberté de monter & de descendre. A la croisée d'en-haut est passée une broche de fer, sur laquelle s'enroule & déroule une corde de boyau, passée sur une poulie du plot, & arrêtée à un tourniquet posé perpendiculairement à la poulie du plot.

Quand l'ouvrier met l'ourdissoir en mouvement, la corde qui se déroule laisse descendre le plot ; ce plot conduit tous les fils qu'il tient arrêtés entre deux poulies, de même que par la tringle supérieure, jusqu'à ce que le nombre de tours qui indique la quantité d'aunes qu'on veut ourdir soit complet.

Quand on a le nombre de tours desiré, on prend la demi-portée avec la main droite, & la passant sur une cheville, on la fait passer dessous une seconde, & la ramenant par le dessus, on la passe ensuite dessous la premiere ; de maniere que la demi-portée ou la brassée placée alternativement dessus & dessous les deux chevilles, forme une espece d'envergeure pour les portées seulement ; ce qui donne la facilité de les compter.

Quand cette opération est faite, on fait tourner l'ourdissoir en sens contraire ; de maniere que la corde du plot s'enroule & le fait monter jusqu'à l'endroit d'où il étoit descendu. Alors on enverge de nouveau, fil par fil, & l'on mêle les fils envergés sur les chevilles où ont été posés les premiers ; & faisant passer la brassée sur la premiere, on enverge de nouveau, on descend comme la premiere fois & on remonte de même, jusqu'à ce que la quantité de portées qui doivent former la chaîne soient ourdies.

La piece ourdie, on passe des envergeures en-bas & en-haut ; celle d'en-bas servant à séparer les portées pour les mettre au rateau, quand on plie la piece sur l'ensuple de dessus. L'envergeure d'en-haut sert à prendre les fils de suite & de la même façon qu'ils ont été ourdis ; pour tendre la piece on la remonte.

Les envergeures passées & arrêtées, on tire les chevilles d'en-bas, & on leve la piece en chaînette, & pour lors on lui donne le nom de chaîne. Voyez l'article CHAINE & OURDISSAGE.

OURDIR, terme de Vannier, signifie tourner & placer l'osier autour d'un moule, pour commencer à monter l'ouvrage.


OURDISSAGEOURDISSAGE

La cantre est composée de trois bandes de bois, larges d'environ 3 pouces, sur 1 pouce d'épaisseur, ajustées sur quatre piliers, & asservies sur deux traverses égales, pour en faire une espece de table à jouer, d'environ 2 piés de haut & 6 piés de long ; ces barres sont éloignées les unes des autres d'un pié. Chacune de ces bandes de bois sont percées de côté, directement les unes devant les autres, dans la distance de 2 pouces d'éloignement : il y a 20 trous sur toute la longueur. On passe au-travers de chacun de ces trous une broche de fer chargée de deux roquets garnis de soie, l'un d'un côté de la barre du milieu, & l'autre de l'autre ; au-dessus de chacune des barres des roquets qui se trouvent dans les deux côtés de la cantre, est élevé sur deux montans de bois une barre qui les traverse dans la longueur ; l'une a 1 pié d'hauteur, & l'autre a 1 pié. A chacune de ces bandes sont attachées par des ficelles, autant de petits anneaux de verre, qui correspondent directement à chacun des roquets.

On prend à chaque roquet le bout de la soie qui y est dévidée, & le passant par l'anneau qui y correspond on les assemble, en les nouant ensemble par le bout pour n'en faire qu'un seul corps des 40 bouts.

L'ourdissoir est une grande cage, d'environ 6 piés de haut, de forme cylindrique de 3, autant de circonférence environ, tournant dans une grenouille, sur un pivot qui est attaché au pilier du centre de la cage, au haut du pilier de la cage est une broche de fer, autour de laquelle tourne une corde.

Cette cage est enfermée dans quatre piliers, fixés par deux morceaux de bois mis en croix au-dessus & au-dessous de la cage ; la croix du dessous porte la grenouille au point de sa réunion dans laquelle tourne le pivot qui porte toute la cage. La broche de fer passe au-travers du centre de la croix d'en-haut ; à cette broche de fer est attachée une grosse corde-à-boyau tournée autour, laquelle en se développant par les tours de la cage, va se rendre à un anneau de bois suspendu directement au haut de l'un des piliers qui enferme la cage, & va chercher un morceau de bois quarré qui monte & descend le long de ce même pilier, appellé plot, à fur & mesure que la cage déploie ou reploie la corde ; à ce plot sont attachées deux broches de fer très-polies, d'environ 9 à 10 pouces de long, servant à diriger la soie qui se distribue à mesure que la cage tourne en montant ou descendant. Au milieu de ce plot est une poulie en bois, fixée par une cheville de verre. Au bas du pilier gauche de la fermeture de la cage sont attachés deux morceaux de bois, d'environ 2 piés, à un pié & demi de distance, liés à leur extrémité par un autre morceau de bois qui les assujettit : le morceau de bois supérieur est percé d'un trou, au travers duquel passe l'axe d'une roue qui appuie sur le morceau de bois d'en bas, au haut duquel axe est une manivelle qui sert à faire tourner la roue, autour de laquelle est une corde de laine, qui embrassant toute la cage, sert à la faire tourner en tous sens par le moyen de la manivelle.

Il y a de plus au haut de la cage, une des traverses qui est amovible, au milieu de laquelle, à l'extérieur, est placée une cheville ; la traverse de côté en tournant est encore amovible, & porte aussi deux chevilles. Dans la partie inférieure de la cage il y a de même une autre traverse qui est encore amovible, qui porte aussi deux chevilles : cette traverse peut se transporter plus haut ou plus bas, suivant le desir de l'ourdisseuse. Ces chevilles servent comme nous l'allons dire, à recevoir les commencemens & fins de la piece, & à en fixer les envergeures.

L'ourdisseuse ayant les bouts de soie ensemble à la sortie de la cantre, arrête le noeud sur la premiere cheville ; & de-là, après avoir envergé sa brassée de soie, la met sur les deux chevilles qui suivent la précédente, & tournant ensuite la manivelle de la petite roue qui fait mouvoir la cage, elle distribue la brassée de soie sur l'ourdissoir, à proportion de l'aunage qu'elle veut faire ; ce qui se connoît par le nombre de tours de l'ourdissoir : & quand elle est arrivée au point où elle le veut, elle met une nouvelle traverse portant deux chevilles, autour desquelles elle tourne deux fois sa brassée, & en faisant mouvoir la cage en sens contraire, elle remonte sa brassée jusqu'aux deux chevilles d'en-haut, où elle renverge de nouveau fil par fil, & ensuite descend & remonte jusqu'à ce qu'elle ait fait le nombre de portées qu'il lui faut pour composer la chaîne, ce qui est arbitraire, & elle en arrête la fin par un noeud, comme elle a fait lorsqu'elle a arrêté le commencement sur la premiere cheville.

La chaîne étant entierement distribuée sur l'ourdissoir, l'ourdisseuse arrête l'envergeure par une ficelle qu'elle passe aux soies divisées par les deux chevilles du haut de l'ourdissoir.

On commence à lever la chaîne de dessus l'ourdissoir par la partie qui en doit faire la fin, qui se trouve arrêtée à la cheville d'en-bas, & prenant la poignée de soie qui s'y trouve, on en fait une boucle en forme de chaîne, & continuant ainsi de boucle en boucle jusqu'au haut de l'envergeure : quand on y est arrivé, on l'arrête & elle se trouve en état d'être mise sur l'ensuple.


OURDISSEUSE(Soierie) ouvriere qui ourdit. Voyez OURDIR.


OURDISSOIRS. m. terme de Tisserand, &c. espece de machine dont les Tisseurs, Tisserands & Tissutiers se servent pour ourdir les chaînes de leurs étoffes, toiles, futaines, basins, &c. Il y a des ourdissoirs que l'on appelle tours, qui sont en façon de dévidoir, ou petits moulins tournans debout sur un pivot ; d'autres sont stables & sans mouvement, composés de deux pieces de bois placées debout, un peu en talus contre la muraille, à certaine distance l'une de l'autre, auxquelles sont attachées plusieurs chevilles du haut en bas. (D.J.)

OURDISSOIR, chez les faiseurs de gaze ; c'est une espece de moulin de 6 piés de haut. Ce moulin est composé d'un chassis à quatre piliers, & autant de traverses en haut & en bas, & d'un axe posé perpendiculairement au milieu de ce chassis. Cet axe a 6 grandes aîles autour desquelles on ourdit la soie destinée à faire la chaîne de la gaze. Voyez GAZE.

OURDISSOIR ROND ou moulin, (Soierie) c'est la machine propre à ourdir tout ce qui compose les chaînes : on en trouvera la description à l'article OURDISSAGE qui précede.

OURDISSOIR LONG, qui n'est guere d'usage que pour les Frangers ; c'est un chassis de bois, composé de deux montans de 6 piés de haut, & de deux traverses de pareille longueur, emmortaisées les unes dans les autres, que l'on applique d'à-plomb contre un mur ; les deux montans sont garnis de quantité de chevilles boutonnées, faites au tour, & placées d'espace en espace à distance égale & parallele, pour porter les soies que l'on ourdit. Sur la barre de traverse d'en-haut, à la distance de 18 pouces, il y a deux pareilles chevilles pour l'encroix.

Voici à-présent la façon d'ourdir. La soie qui est destinée pour composer les têtes des franges, est contenue sur des rochets ou bobines, lesquels rochets sont portés dans les différentes broches de la coulette ou rateau ; l'ourdisseur attache les bouts desdites soies à la premiere cheville du côté de l'encroix, puis il conduit lesdites soies jusque sur les chevilles de l'en-croix qui sont tout proche, où étant, il encroise ; c'est-à-dire qu'il passe un brin de ses soies sur une cheville, puis sous l'autre, & ainsi tant qu'il y en a, mais toujours en sens contraire. Après cette opération, il continue à conduire les soies sur chacune des chevilles, & cela autant que l'on veut donner de longueur à la piece de chaîne, puisque chaque longueur entre les chevilles est d'une aune & demie. Ainsi si l'on veut avoir une piece de 36 aunes de long, il faudra occuper 12 chevilles à droite & 13 à gauche ; puisque l'on doit concevoir aisément que chaque allée & revenue de l'ourdisseur composera 3 aunes : il faut une cheville de plus d'un côté pour venir terminer du côté de l'encroix, toujours dans la supposition de 36 aunes ; au lieu que si l'on terminoit de l'autre côté, on auroit une longueur qui ne seroit que de moitié. Etant donc parvenu à cette 13e cheville, qui fait la terminaison des 36 aunes, on remonte par le même chemin pour arriver jusqu'à l'encroix, où étant on encroise encore comme on a fait la premiere fois, & cela autant de fois qu'il est nécessaire, suivant la consistance que l'on veut donner à la chaîne : desorte qu'il faut toujours venir terminer à l'encroix. Supposant donc que je veuille donner 40 brins à une tête de frange, & que l'on ourdisse à 2 rochets, il faudra donc 10 descentes & 10 remontées pour composer lesdits 40 brins. Les soies ainsi ourdies, & à la derniere remontée, coupées & fixées à la cheville où l'on a commencé, il faut passer un fil dans l'extrémité de l'encroix, c'est-à-dire qu'il faut qu'un bout du fil passe d'un côté & d'autre, & cela pour conserver l'en-croix ; sans cette précaution, tous les brins se confondroient & ne formeroient qu'une confusion indébrouillable. Ce fil ainsi passé, & noué par les deux bouts, on prend le bout de la piece que l'on releve de dessus l'ourdissoir en la mettant sur une ensuple, qui servira à mettre sur le métier pour l'employer.

Toutes ces machines ont pour but de fixer la longueur des chaînes, & d'encroiser les brins de fil dont on les compose. Il seroit à souhaiter que quelque habile Méchanicien songeât à donner à cette invention l'unique perfection qui lui manque ; ce seroit de former la mesure & l'encroix de la chaîne, en tournant toujours dans le même sens ; ce que je ne crois aucunement difficile : on a bien imaginé ce moyen dans le mouton à enfoncer les pieux.


OURDISSURES. f. les Vanniers employent ce terme pour signifier l'union qu'ils font du fond d'une piece avec ses autres parties.


OUREM(Géog.) petite ville de Portugal dans l'Estramadoure, sur une montagne, entre Leiria & Tomar. Long. 9. 50. lat. 39. 34. (D.J.)


OURIQUE(Géog.) ville de Portugal dans l'Alentéjo, remarquable par la victoire qu'Alfonse I. roi de Portugal y remporta sur cinq rois Maures en 1139. Les têtes de ces cinq rois font les armes de Portugal. Long. 9. 55. lat. 37. 56. (D.J.)


OURLETS. m. (Hydr.) est le bourrelet ou bord saillant d'un tuyau de grès emboité dans un autre, & précisément l'endroit où il se joint par un noeud de soudure de mastic. (K)

OURLET, (Archit.) c'est la jonction de deux tables de plomb sur leur longueur, laquelle se fait en recouvrement par le bord de l'une repliée en forme de crochet sur l'autre.

On appelle aussi ourlet la levre repliée en rond d'un cheneau à bord d'une cuvette de plomb.

Ourlet est encore le nom d'un filet sous l'ove d'un chapiteau. Enfin les Vitriers appellent ourlet, le petit rebord qui est sur l'aîle du plomb des panneaux de vîtres. (D.J.)

OURLET, bas au métier, voyez la maniere de le travailler.

OURLET, les Selliers & les Bourreliers appellent ourlet les bandes de cuir longues, minces & étroites dont ils bordent les gros cuirs, dans certains ouvrages de leur métier.

OURLET, terme de Coffretier, &c. Les maîtres Coffretiers-malletiers, maîtres Selliers & Bourreliers, appellent un ourlet, le cuir mince, long & étroit, avec lequel ils bordent les gros cuirs qu'ils emploient en certains endroits de leurs ouvrages. Les ourlets des malles, étuis & fourreaux de pistolets que font les Coffretiers, doivent être suivant les statuts de leur communauté, de cuir de veau ou de mouton, cousus à deux chefs, & de bonne ficelle bien poissée. Savary. (D.J.)

OURLET, terme de Couturiere, ou orlet, c'est chez les ouvriers en couture, l'extrémité d'une étoffe ou d'une toile, rendoublée ou cousue, ensorte qu'elle y fasse une espece de petite bordure, pour que l'étoffe ou le linge ne s'éfile pas, & qu'il ait même plus de grace.

OURLET, terme de Verrerie, c'est le tour d'un plat de verre qui paroît, & qui est en effet, plus ferme & plus épais que le reste. Cet ourlet se fait avec la branche, lorsqu'en branchant la bosse on en refoule & replie les bords. Il y a aussi des ourlets dans les ouvrages d'orfévrerie ; mais les ourlets renversés pleins de soudure, sont défendus dans la vaisselle plate.

OURLET, terme de Vitrier, petit rebord qui est sur l'aîle du plomb des panneaux de vîtres.


OUROU(Hist. nat.) oiseau du Brésil & de l'île de Maragnan, qui est de la grandeur d'une perdrix. Sa tête est ornée d'une crête semblable à celle d'un coq ; son plumage est mêlé de rouge, de blanc & de noir.


OUROUDGER(Géog.) ville de Perse dans le Khouestan, à 18 lieues de Hamadan. Long. 85. lat. 34. 25.


OUROUMI(Géog.) ville de Perse dans l'Aderbaidjan au sud-ouest, & près d'un lac de même nom, que M. Delisle a confondu avec celui de Van. Ce lac a 20 lieues d'étendue du sud-est au nord-ouest, & 10 de largeur. (D.J.)


OURSS. m. (Hist. nat. Zoolog.) ursus ; animal quadrupede, plus grand que le loup. Les piés de devant de l'ours, posent sur la terre jusqu'au poignet, & les piés de derriere jusqu'au milieu de la plante : il a les yeux plus petits que ceux du loup, le nez plus gros, les oreilles plus larges & arrondies, le museau plus relevé par le bout ; la croupe est ravalée, la queue a peu de longueur ; les piés de devant sont un peu tournés en dedans : tout le corps est couvert d'un poil long, qui ne laisse paroître que la figure de la tête & des piés.

Un ours de Savoie, âgé d'environ 4 ans, avoit le dessus du museau de couleur fauve obscure ; le garrot & le bas des quatre jambes noirs, & tout le reste du corps de couleur mêlée de fauve pâle, & de cendré brun. Un autre ours du même pays, âgé de 10 ans, étoit d'une couleur brune noirâtre sur tout le corps, excepté le garrot, le devant des épaules, les aisselles & la poitrine qui avoient une teinte de fauve. On appelle ours dorés, ceux qui ont des teintes de fauve claires & vives. Il y a des ours blancs dans la grande Tartarie, en Moscovie, en Lithuanie & dans les autres provinces du Nord ; ils naissent blancs & demeurent blancs en tout tems. Il y en a dont la couleur est mêlée de blanc & de noir.

Les ours bruns different des noirs par les inclinations & par les appétits naturels. Les premiers sont féroces & carnaciers ; ils se trouvent assez communément dans les Alpes : les autres y sont rares, ils habitent les forêts des pays septentrionaux de l'Europe & de l'Amérique ; ils ne sont que farouches, & ils refusent constamment de manger de la chair.

L'ours est non-seulement sauvage, mais solitaire ; il reste seul dans une caverne, ou dans le creux d'un vieux arbre, il y passe une partie de l'hiver sans provisions, sans en sortir pendant plusieurs semaines. Cependant il n'est point engourdi comme le loir & la marmotte ; mais comme il est excessivement gras sur la fin de l'automne, cette abondance de graisse lui fait supporter l'abstinence. Il ne sort de sa bauge que lorsqu'il se sent affamé. On dit que le mâle ne quitte sa retraite qu'au bout de quarante jours, & que la femelle y reste quatre mois, mais il n'est pas vraisemblable que la femelle pleine, ou allaitant ses petits, supporte plus long-tems la faim que le mâle, quand même elle dévoreroit quelques-uns de ses petits avec ses enveloppes, &c. en supposant qu'elle fût de l'espece des ours bruns, dont le mâle dévore en effet les oursons nouveaux nés, lorsqu'il les trouve dans leur nid ; mais les femelles semblent au contraire les aimer jusqu'à la fureur : elles les défendent, & sont alors plus féroces que les mâles. Les ours ne sont pas plus informes dans leur premier âge, que les autres animaux, relativement à la figure qu'ils doivent avoir chacun dans leur espece, lorsqu'ils sont plus avancés en âge.

Les ours se cherchent en automne : on prétend que la femelle est plus ardente que le mâle, & qu'elle se couche sur le dos pour le recevoir, &c. Mais il est plus certain que ces animaux s'accouplent à la maniere des autres quadrupedes. Aristote dit que le tems de la gestation n'est que de 30 jours ; ce qui paroît douteux. 1°. Parce que l'ours est un gros animal : 2°. parce que les jeunes ours croissent lentement ; ils suivent la mere & ont besoin de ses secours pendant un an ou deux : 3°. parce que l'ours ne produit qu'en petit nombre, 1, 2, 3, 4, & jamais plus de 5 : 4°. parce qu'il vit 20 ou 25 ans ; en pareils cas, la durée de la gestation des autres animaux est au moins de quelques mois. La femelle de l'ours met bas en hiver, elle prépare à ses petits un lit de mousse & d'herbes au fond de sa caverne ; & elle les alaite jusqu'à ce qu'ils puissent sortir avec elle, ce qui n'arrive qu'au printems. Le mâle a sa retraite séparée, & même fort éloignée de celle de la femelle. Lorsqu'ils ne trouvent point de grotte pour se gîter, ils cassent & ramassent du bois pour se faire une loge, qu'ils recouvrent d'herbes & de feuilles au point de la rendre impénétrable à l'eau.

La voix de l'ours est un grondement, un gros murmure, souvent mêlé d'un frémissement de dents qu'il fait sur-tout entendre lorsqu'on l'irrite. Cet animal est fort susceptible de colere, & même de fureur ; quoiqu'il s'apprivoise lorsqu'il est jeune, il faut toujours s'en défier, & le traiter avec circonspection, sur-tout ne le pas frapper au bout du nez, ni le toucher aux parties de la génération. On lui apprend à se tenir debout, à gesticuler, à danser, &c. L'ours sauvage ne fuit pas à l'aspect de l'homme ; cependant on prétend qu'il s'arrête, & qu'il se leve sur les piés de derriere lorsqu'il entend un coup de sifflet. On prend ce tems pour le tirer, mais si on le manque, il vient se jetter sur le tireur, & l'embrassant des pattes de devant, il l'étoufferoit s'il n'étoit secouru. On chasse & on prend les ours de plusieurs façons en Suede, en Norwege, en Pologne, &c. On les enivre en jettant de l'eau-de-vie sur le miel qu'ils cherchent dans les troncs d'arbres. Les ours noirs de la Louisiane & du Canada nichent dans des vieux arbres morts sur pié, & dont le coeur est pourri : ils s'établissent rarement à rez de terre, quelquefois ils sont à 30 ou 40 piés de hauteur. On met le feu à l'arbre pour les faire sortir. Si c'est une mere avec ses petits, elle descend la premiere, & on la tue avant qu'elle soit à terre : les petits descendent ensuite, on les prend en leur passant une corde au cou. Leur chair est délicate & bonne : celle de l'ours est mangeable, mais il n'y a guere que les piés qui soient une viande délicate, parce qu'ils ont moins d'huile graisseuse que le reste du corps. La peau de l'ours est de toutes les fourrures grossieres celle qui a le plus de prix, & la quantité d'huile que l'on tire d'un seul ours est fort considérable. " On met d'abord la chair & la graisse cuire ensemble dans une chaudiere ; la graisse se sépare ; ensuite, dit M. du Pratz dans l'histoire de la Louisiane, tom. II. pag. 89. on la purifie en y jettant, lorsqu'elle est fondue & très-chaude, du sel en bonne quantité, & de l'eau par aspersion : il se fait une détonation, & il s'en éléve une fumée épaisse, qui emporte avec elle la mauvaise odeur de la graisse. La fumée étant passée, & la graisse étant encore plus que tiede, on la verse dans un pot, où on la laisse reposer 8 ou 10 jours : au bout de ce tems, on voit nager dessus une huile claire qu'on enleve avec une cuilliere. Cette huile est aussi bonne que la meilleure huile d'olive, & sert aux mêmes usages. Au-dessous on trouve un sain-doux aussi blanc, mais un peu plus mou que le sain-doux de porc ; il sert aux besoins de la cuisine, & il ne lui reste aucun goût désagréable, ni aucune mauvaise odeur ". La quantité de graisse dont l'ours est chargé le rend très-léger à la nage, aussi traverse-t-il sans fatigue des fleuves & des lacs. Hist. nat. gen. & part. tom. VIII. Voy. QUADRUPEDE. (I)

OURS, (Hist. nat. des quadrupedes.) M. Lyonnet a fait une observation judicieuse, que je crois devoir ajouter ici, parce qu'on peut l'appliquer à quantité d'autres points de l'histoire naturelle.

Plusieurs auteurs ont écrit comme une chose avérée, que l'ours malade d'indigestion, enduit sa langue de miel, l'enfonce dans une fourmiliere, & lorsque les fourmis s'y sont attachées, il la retire, les avale, & se trouve guéri. Quand on lit des faits si curieux, on est fâché de voir que les auteurs qui nous les racontent, ne se soient jamais souciés de nous apprendre par quels moyens ils sont venus à bout de s'assurer de la vérité de ces faits. S'ils avoient bien voulu prendre cette peine, ils auroient prévenu par-là toutes les objections qu'on peut leur faire naturellement, & qui forment autant de doutes contre la vérité de leurs récits. Lorsqu'on lit, par exemple, ce qui est ici rapporté de l'ours, il est naturel de se demander : Dans quel pays l'ours est-il assez traitable pour laisser de si près épier sa conduite ? A quel signe voit-on qu'il est malade ? Comment sait-on qu'il est malade d'indigestion ? Si c'est de miel qu'il enduit sa langue, où trouve-t-il le miel si fort à portée ? Y a-t-il des endroits où les abeilles sauvages ne prennent pas soin de mettre leurs rayons à couvert de toute insulte ? Comment fait-il pour n'en être pas piqué ? Toutes ces sortes de questions que l'on se fait, & auxquelles on manque de réponse, nous disposent souvent à rejetter comme fabuleuses des relations que nous aurions peut être cru, si les auteurs qui les rapportent, avoient pris soin de prévenir les objections qu'ils devoient prévoir qu'on pourroit leur faire. (D.J.)

OURS, (Critiq. sacrée) Comme cet animal étoit fort commun dans la Palestine où il faisoit de grands ravages, l'auteur des Prov. 28. 15. compare à l'ours, un homme inhumain & cruel. Is. xj. 7. décrivant le bonheur du regne du Messie, dit qu'alors on verra l'ours & le boeuf paître amicalement ensemble. (D.J.)

OURS, (Pelleterie) La peau d'ours est une sorte de pelleterie fort estimée, & dont on fait un commerce assez considérable ; celles des vieux ours servent ordinairement aux caparaçons & aux housses des chevaux ; à faire des sacs pour tenir les piés chauds pendant l'hiver. Celles des oursons sont employées à fabriquer des manchons & autres sortes de fourrures. On appelle oursons, les petits ours. On donne le même nom aux manchons faits de la peau d'un jeune ours.

OURS ou SAINT GAL, (Hist. mod.) nom d'un ordre de chevalerie en Suisse, que l'empereur Fréderic II. institua en 1213 dans l'abbaye de saint Gal, sous la protection de saint Urse, capitaine de la légion thébaine, martyrisé à Soleurre. Ce prince voulut par là récompenser des services que l'abbé de saint Gal & les Suisses lui avoient rendus dans son élection à l'empire, il donna aux principaux seigneurs du pays des colliers & des chaînes d'or, au bout desquelles pendoit un ours d'or, émaillé de noir ; & il voulut qu'à l'avenir cet ordre fût conféré par l'abbé de saint Gal. Mais il a été aboli depuis que les Suisses se sont soustraits à la domination de la maison d'Autriche. Favin, théat. d'honn. & de chevalerie.


OURSES. f. (Astron.) nom de deux constellations voisines du pole septentrional ; l'une portant le nom de grande ourse, l'autre celui de petite ourse. Cette derniere est celle où se trouve l'étoile polaire, ainsi nommée parce qu'elle n'est qu'à deux degrés du pole. Voyez POLE, ÉTOILE & CONSTELLATION.

La grande ourse est composée, suivant Ptolomée, de 35 étoiles ; suivant Tycho, de 56 ; mais dans le catalogue britannique, elle en a 215.

OURSE D'ARTIMON, (Marine) Voyez HOURCE.

OURSE, (Mythol.) On vient de voir qu'on donne ce nom, en Astronomie, à deux constellations septentrionales voisines du pole, dont l'une est appellée la grande ourse, en latin, arctus major, helice, phenice ; & l'autre, la petite ourse, cynosura : l'une fut, au dire des Poëtes, Calisto, fille de Lycaon, roi d'Arcadie ; & l'autre, une des nourrices de Jupiter. Ovide dit que Calisto étant devenue enceinte de Jupiter sur les montagnes noanériennes en Arcadie, fut changée en ourse par Junon. Comme en cet état elle fut persécutée par les chasseurs, elle se réfugia dans un temple où personne n'osoit entrer ; là, elle implora le secours du maître des dieux, qui, touché de sa position & du danger auquel elle étoit exposée, la plaça dans le firmament. Aratus transporte à la petite ourse la fable qui regarde la grande ourse ; à lui permis : c'est assez pour nous d'en avertir, & de remarquer que le nom de Phénice lui a été donné, parce que les Phéniciens ont commencé à régler le cours de leur navigation par cette constellation la plus proche du pole du nord. (D.J.)


OURSINS. m. (Hist. nat. Botan.) echinopus ; genre de plante à fleur globuleuse, composée de plusieurs fleurons profondément découpés & soutenus par un embryon ; ces fleurons ont chacun un calice écailleux, & ils sont attachés à la couche. L'embryon devient dans la suite un fruit renfermé dans une enveloppe qui a servi de calice à la fleur. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

OURSIN, HERISSON DE MER, CHATAIGNE DE MER, echinus marinus ; animal marin qui tire son nom du grand nombre de pointes dont tout son corps est entouré, ce qui lui donne quelque ressemblance avec le hérisson. Il y a beaucoup de différentes especes d'oursins. Les anciens naturalistes croyoient avec raison que les pointes des oursins leur tenoient lieu de jambes, & qu'ils s'en servoient pour marcher ; mais M. Gandolphe, mémoires de l'acad. royale des Sciences, ann. 1709, a cru voir que les oursins avoient de vraies jambes disposées autour de leur bouche. Il prétendoit que les pointes de ces animaux ne contribuoient en rien à leur mouvement progressif. M. de Reaumur a reconnu depuis le contraire ; il a vû très-distinctement que les oursins ne se servent que de leurs pointes pour aller en-avant ; il a observé aussi les parties que M. Gandolphe avoit pris pour des jambes, ce sont des especes de cornes semblables à celles des limaçons, dont l'usage est très-différent de celui que M. Gandolphe leur a attribué, puisqu'elles servent à fixer & à arrêter l'animal, qui s'attache avec ces parties sur quelque corps solide, au point que si on veut le séparer de ce corps par force, on casse ordinairement une partie de ces cornes. M. de Reaumur donne le nom de corne à ces parties, parce que l'oursin s'en sert pour tâter les corps qu'il rencontre dans sa marche, comme font les limaçons avec leurs cornes ; celles de l'oursin ne sont bien apparentes que lorsqu'il est dans l'eau, & l'animal ne fait paroître au-dehors que celles qui sont posées sur la partie du corps qui est enavant quand il marche. Si au contraire il est arrêté, il n'y a d'apparentes que celles dont il s'est servi pour se fixer à quelque corps solide. L'enveloppe dure de l'oursin est couverte en entier de ces sortes de cornes. M. de Reaumur est parvenu à savoir le nombre de ces cornes, en comptant les petits trous qui pénetrent l'enveloppe, qui sont beaucoup plus apparens sur la surface intérieure que sur l'extérieure ; il fait monter le nombre de ces cornes jusqu'à environ treize cent, qui est le nombre aussi des trous d'où elles sortent, car il n'y en a qu'une seule dans chaque trou. Le même oursin avoit environ deux mille cent pointes. Ces pointes servent de jambes à l'animal, celles dont il fait le plus d'usage sont situées autour de sa bouche ; comme elles se meuvent toutes en différens sens, il peut avancer de tous les côtés avec la même facilité. C'est sur l'oursin commun des côtes du Poitou que M. de Reaumur a fait les observations précédentes. On voit à la Pl. XVIII. plusieurs figures de différentes especes d'oursins. Mémoires de l'acad. royale des Sciences, par M. de Reaumur, ann. 1712. Voyez TESTACE.

OURSIN DE MER, (Conchyliol.) genre de coquille multivalve, de forme ronde, ovale, à pans, irréguliere, quelquefois plate, armée de pointes, de boutons, quelquefois même toute unie.

On appelle en françois cette coquille l'oursin, le bouton, ou le hérisson de mer, quelquefois châtaigne de mer, à cause de sa figure hérissée.

Aristote & Pline ont mis les oursins parmi les poissons crustacés, tels que sont les étoiles de mer & les crabes : d'autres les ont placés dans les coquillages durs. Les oursins de la mer Rouge & ceux de l'Amérique sont d'une consistance assez forte pour y tenir leur rang ; il y en a qui pensent que les oursins tiennent le milieu entre les crustacés & les testacés.

Un moderne, malgré la quantité de pointes qu'on remarque à l'oursin, le place dans les coquillages univalves ; c'est apparemment parce que ces pointes ne se voient d'ordinaire que lorsque le poisson est vivant, & qu'elles tombent si-tôt qu'il est hors de l'eau.

M. Dargenville dit avoir compté sur la superficie d'un oursin de la mer Rouge cinq divisions à deux rangs de mamelons, & de grandes pointes au nombre de soixante dix, sans compter cinq autres rangs de petits, & toutes les bandes qui séparent les rangs des mamelons, lesquelles sont percées d'une infinité de petits trous par où sortent ses cornes : le grand nombre de pointes que plusieurs oursins conservent toûjours, & qui font partie de leurs coquilles, n'a pû les faire mieux placer que parmi les multivalves ; Charleton & Aldrovandus les mettent cependant dans la classe des turbinées, parce qu'ils n'ont point de volutes ou de pyramides.

Rondelet en admet cinq especes ; Breynius en rapporte sept, & Kléïnius cinquante-huit, comprises sous huit genres.

Nous croyons avec M. Dargenville qu'on peut rapporter tous les oursins sous six genres : savoir, 1°. l'oursin de forme ronde ; on en voit de la Méditerranée & de l'Océan, de rouges, de verds, de violets. 2°. L'oursin de forme ovale ; il y en a de la grande & de la petite espece. 3°. L'oursin de figure à pans, de couleur verte ; il y en a aussi de rougeâtres & de gris-cendré. 4°. L'oursin de forme irréguliere ; ce genre est très-étendu : on connoît des oursins grands & petits, faits en forme de tonneau ; d'autres en disque ; d'autres applatis, formant une étoile ; d'autres faits comme des fesses ; d'autres en coeur à quatre ou à cinq rayons, & à doubles raies. 5°. L'oursin plat & étoilé. 6°. L'oursin de couleur violette, de forme ronde, à piquans faits en pignons de pommes de pin ; ce dernier vient de l'île de France en Amérique.

L'oursin a dans la cavité de sa coquille un intestin qui s'attache en tournant à cinq anneaux : cet intestin va se terminer à une bouche ronde, large, & opposée au trou par où sortent les excrémens. Elle est garnie de cinq dents aiguës & visibles au bout de cinq osselets, au centre desquels est une petite langue charnue, espece de caroncule, où est cette bouche qui finit en intestin, tournant autour de la coquille, suspendue par des fibres délicates. Ces petits osselets sont liés par une membrane située au milieu de l'intestin, & forment la figure d'une lanterne.

La forme ordinaire de l'oursin est ronde, ce qui le fait nommer bouton ; quelquefois elle est ovale, d'où il a pris le nom d'echinus ovarius ; quand il est revêtu de ses pointes, on l'appelle digitatus. Sa superficie est toute couverte d'une immense quantité de petites cornes d'une demi-ligne de grosseur sur neuf lignes d'étendue, vers la partie la plus renflée de l'oursin ; les autres qui sortent vers le conduit des excrémens, de même que celles qui approchent de la bouche, n'ont que trois ou quatre lignes : c'est par ces cornes qu'il peut fixer sa maison.

Tout son intérieur est partagé en cinq lobes d'un rouge foncé, & rempli d'une espece de chair & d'une multitude d'oeufs rouges, qui (dans les oursins de la Méditerranée) étant cuits, ont le goût des écrevisses, & sont meilleurs à manger que l'huître verte.

On compte près de douze cent cornes dont se sert l'oursin pour sonder le terrein qui l'environne, pour se fixer contre quelque corps, ou pour se tenir en repos. Ses cornes plus longues que ses pointes ne se voient point dans l'eau ; elles s'affaissent, & se cachent entre les bases & mamelons de ses pointes, qui se trouvent au nombre de plus de deux mille, & qui lui servent à marcher la bouche contre terre pour prendre sa nourriture. Il agite tellement ses pointes ou ses piquans, qui lui tiennent lieu d'une multitude de piés, qu'il marche très-légérement.

Sa couleur est des plus variées, tantôt violette, tantôt d'un jaune clair, quelquefois verte, brune, d'un blanc sale. Lorsque l'oursin est à sec, ses cornes sont invisibles & rentrent dans sa coquille ; si-tôt qu'elles sentent l'eau de la mer, elles s'épanouissent & s'allongent par divers mouvemens : c'est donc par ses cornes qu'il marche, qu'il s'attache où il veut, qu'une partie pompe l'eau tandis que l'autre la rejette.

M. Dargenville a observé, en disséquant cet animal, la dureté de ses osselets, qui sont creux en-dedans, pour laisser passer des filamens qui font agir les dents en-dehors. Ils sont de plus entourés de membranes de tous côtés ; ce qui les lie ensemble. Chaque partie de l'oursin a sa membrane, sa charniere, & des dents extrêmement pointues. Il y a lieu de croire que ses grandes pointes lui servent à se défendre contre les pêcheurs : Pline dit, aculeorum proceritate praestant ; elles lui servent encore de piés pour marcher, se retourner, & rentrer dans sa boule. Quand le coquillage est entierement couvert d'eau de la mer, elles sortent toutes ensemble ; mais lorsqu'il n'est inondé qu'à une certaine hauteur, il n'y a que la partie couverte d'eau dont les cornes s'épanouissent, & tout ce qui est au-dessus ne fait rien paroître. Voyez la conchyliologie de M. Dargenville, & les mém. de l'acad. des Sciences. (D.J.)


OURTL ', (Géog.) en latin Urta, riviere des Pays-Bas ; elle a sa source au pays de Liege, & se perd dans la Meuse au même pays. (D.J.)


OURVARYterme de chasse, cri pour obliger les chiens à retourner lorsque le cerf fait un retour.


OUSEL ', (Géog.) grande riviere d'Angleterre, qui prend sa source dans l'Oxfordshire, aux confins & au midi de Northamptonshire, baigne les provinces de Buckingham, de Bedford, d'Huntington, de Cambridge, se partage ensuite en deux branches, dont l'une se jette dans la mer auprès de Lyn, & l'autre environ dix milles plus au couchant.

Cette riviere s'appelle en latin Urus, & est par conséquent la même que l'Ure, qui s'écrit en anglois Youre. Les géographes étrangers en font deux rivieres. (D.J.)


OUSTL '(Géog.) petite riviere de France en Bretagne, où elle prend sa source au village de Saint-Gilles, dans l'évêché de Quimper, & se rend dans la Villaine au-dessous de Rhédon, & au-dessus de Rieux. (D.J.)


OUSTIOUG(Géog.) ville de l'empire russien, capitale d'une province de même nom, avec un archevêché du rit russe. Elle est sur la Suchana. La province est bornée N. par la province de Dwina, E. par la forêt de Zirani, S. par la province de Wologda, O. par le Cargapol & la province de Waga. La Suchana la divise en deux parties presque égales. Long. 60. 50. lat. 61. 48. (D.J.)


OUTARDEOSTARDE, OTARDE, s. f. (Hist. nat. Ornitholog.) otis tarda avis, oiseau qui est de la grosseur du coq d'Inde, & a environ quatre piés sept pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue. Le bec ressemble à celui du coq, & la piece supérieure est un peu courbe. La tête & le cou sont cendrés. Le dos est traversé par des lignes rousses & par des lignes noires. Le ventre a une couleur blanche. Cet oiseau n'a point de doigt postérieur ; on le distingue aisément des autres oiseaux de son genre par ce caractere & par sa grosseur ; il se nourrit de fruits & de semences de plantes. L'outarde a le vol lent, elle s'éleve difficilement de terre à cause de la pesanteur de son corps ; sa chair est d'un très-bon goût. Willughby, ornitholog. Voyez OISEAU. (I)

OUTARDE, (Diete & Mat. méd.) Cet oiseau a été mis par les anciens au nombre de ceux qui étoient du goût le plus exquis, & qu'on servoit sur les meilleures tables. Cependant Galien observe que la chair des outardes tient le milieu entre celle de l'oie & celle de la grue, ce qui assurément ne sauroit être pris pour un éloge. Elles ne sont pas fort communes en France. On y en tue pourtant quelquefois, & on en éleve même dans les basses-cours. Louis Lemery parle de l'outarde comme d'un aliment dont le suc est grossier, & la chair solide & compacte, ayant besoin d'être gardée ou mortifiée pour devenir mangeable, & ne convenant qu'aux jeunes gens qui se donnent de l'exercice & qui ont un bon estomac. Autant que je puis me rappeller ma propre expérience, il me semble qu'il se trompe, & que l'outarde sauvage fournit un aliment délicat. (b)


OUTARDEAUnom que l'on a donné aux jeunes outardes. Voyez OUTARDE.


OUTILS. m. terme générique, instrument dont les ouvriers & artisans se servent pour travailler aux différens ouvrages de leur profession, art & métier ; tels sont les marteaux, les compas, les rabots, les équerres, les vilebrequins, &c. A chaque article générique on fait quelquefois mention des machines, instrumens, & outils d'usage, outre qu'on décrit les principaux en particulier dans le corps de ce Dictionnaire. Nous ajoutons seulement que les ouvriers mettent quelque différence entre les outils & les instrumens ; tout outil étant instrument, & tout instrument n'étant point outil. (D.J.)

OUTIL, s. m. (Archit.) c'est tout instrument, qui sert à l'exécution manuelle des ouvrages, comme les fausses équerres, regles d'apareilleur, marteaux, ciseaux, scies, tarrieres, &c. Les Charpentiers & les Menuisiers ont un grand nombre d'outils, suivant la diversité de leur travail, dont on peut voir la description dans les principes d'Architecture, de Sculpture, &c. de M. Felibien. Cet auteur dérive le mot outil du latin utile, à cause de l'utilité dont ils sont aux ouvriers. (D.J.)

OUTIL, s. m. (Agricult. & Jardin.) Les outils d'un jardinier sont la bèche, des rateaux de plusieurs sortes, une serpette, un croissant, un greffoir, une pioche, piochons, ou binettes, des plantoirs, une scie à greffer, un coin de bois pour le même usage, civieres, brouette, &c.

Les outils nécessaires à un laboureur, sont plusieurs serpes, une vrille, une alêne, des pelles de bois, rateaux de bois ou à dents de fer, fléaux pour battre le blé, des vans, une hache, un marteau à tête de fer, sa provision de clous à son usage, des houës, une bèche, un pic, des coins de fer & de bois, une ou deux coignées, des faucilles, des faux, des tenailles, des sarcloirs, une scie, une tariere, un vilebrequin, &c. (D.J.)

OUTILS du Balancier, ce sont un marteau, des limes de différentes grandeurs, des tenailles, des pinces plates & rondes, un tas, une bigorne.

OUTIL, en terme de Batteur d'or, signifie en général tous les instrumens dans lesquels on bat l'or. Voyez COCHER, CHAUDRAI & MOULE.

OUTIL A POIRE DE BOURSE, en terme de Boutonnier, est un instrument en deux parties, l'une en croissant, & l'autre en tranche, allant un peu en diminuant de hauteur pour former ce qu'on appelle la gorge dans une poire à bourse, & autres ouvrages.

OUTIL A POIRE DE DRAGONNE, en terme de Boutonnier, est une lame tranchante divisée en cinq parties : la premiere partie est creusée quarrément pour former le cul ; la seconde a la même forme en hauteur que la premiere en profondeur, & fait le cran ; la troisieme est un croissant pour la panse ; la quatrieme, un demi-rond faisant la gorge ; & la cinquieme, un petit croissant pour la tête.

OUTIL A TRACER, en terme de Boutonnier, c'est un instrument divisé en trois parties, deux unies & tranchantes d'un sens opposé, & une en pointe, qui sert à faire le trou du milieu. On le nomme à tracer, parce qu'il sert à ébaucher les moules. Voyez MOULES & TRACER. Il y a des traçoirs de toutes les grandeurs, comme des boutons, ou moules.

OUTIL A TIRER LE FIL DE FER, en terme de Fourbisseur, est un morceau de fer garni de deux mâchoires immobiles, ce qui le rend différent des tenailles ; il sert à tirer les fils de fer dont on avoit rempli le pommeau, pour l'empêcher de tourner sur la soie.

OUTIL CROCHU, terme de Marbrier. Les Sculpteurs & Marbriers ont un outil au nombre de ceux dont ils se servent, à qui ils ne donnent point d'autre nom que d'outil crochu, ce qui lui vient de la figure qu'il a. Cet outil est une espece de ciseau tranchant, tout d'acier, ou du moins de fer bien aciéré par un bout qui est à-demi courbé en crochet ; c'est avec ce ciseau qu'ils atteignent où les ciseaux quarrés ne peuvent entrer, & où les pointus ne suffisent point ; ils sont propres sur-tout pour bien tourner les cheveux des bustes & statues, & bien évider les plis des draperies. (D.J.)

OUTIL A FUST, terme de Menuisiers. On appelle ainsi parmi les Menuisiers un instrument qui est composé d'un fust, c'est-à-dire, d'une piece de bois en forme de long billot, de diverses épaisseurs suivant son usage, d'un fer plat & tranchant, quelquefois taillé autrement, & d'un coin de bois pour affermir le fer dans la lumiere.

Les outils à fust de Menuisiers, s'appellent en général des rabots. Leurs noms propres sont le rabot, le riflart, la galere, les varlopes, les guillaumes, les mouchettes, les bouvemens, les bouvets, & les feuillerets.

OUTIL A MANCHE, terme d'ouvriers, c'est tout outil de fer qui est emmanché de bois, comme les ciseaux, les fermoirs, le bec-d'âne, les gouges, &c.

OUTIL A ONDES, terme d'Ebéniste, c'est un outil, ou plutôt une machine ingénieuse & très-composée, dont les Menuisiers de placage, qu'on appelle Ebénistes, se servoient beaucoup autrefois, lorsqu'ils travailloient à ces belles tables & à ces magnifiques cabinets d'ébene qui ne sont plus à la mode, depuis que la marqueterie y a été mise.

C'étoit avec cet outil qu'on composoit les moulures ondées qui faisoient une partie de la beauté de ces ouvrages, & qui servoient comme d'enquadrement à ces sculptures d'un si grand prix, dont le dessus des tables & les guichets des cabinets étoient ornés. M. Felibien a donné la description de cette machine, & l'a fait graver dans ses Principes d'architecture. (D.J.)

OUTIL PLAT, terme de Lapidaires. Les Lapidaires appellent ainsi un petit cylindre, soit d'acier, soit de cuivre, attaché au bout d'un long fer, dont ils se servent dans la gravûre des pierres précieuses. Ils le nomment plat, parce que la section du cylindre, tournée du côté de la pierre, est plate & unie ; ce qui distingue cet outil de celui qu'on appelle une charniere, qui est aussi en forme de cylindre, mais creusé comme une virole. (D.J.)

OUTILS, terme de Rubanier. Ce mot, comme dans tous les métiers en général, signifie tous les ustensiles nécessaires à ce mêtier.

OUTILS, (Taillandier) ce sont les mêmes que ceux des Serruriers, comme une enclume, une bigorne, un soufflet, un toulier, la forge, le goupillon, le baquet au charbon, le tisonnier, marteau à main, marteau à devant, tenailles de forge, chasses, chanches, ciseaux, poinçons, étaux, mandrins, carreaux, planes, rapes en bois, limes d'Allemagne, une meule.


OUTINvoyez SPET.


OUTOMCHUS. m. (Histoire naturelle Bot.) arbre de la Chine ; il ressemble au sicomore ; sa feuille est longue, large de 8 à 9 pouces, attachée à une queue d'un pié de long : il est touffu & chargé de bouquets si pressés, que les rayons du soleil ne le pénetrent point ; son fruit est extrêmement petit. Vers le mois d'Août ou sur la fin du mois de Juillet il se forme sur la pointe des branches des petits bouquets de feuilles différentes des autres ; plus blanches, plus molles, & moins larges ; ce sont ces feuilles qui tiennent lieu de fleurs : sur le bord de chacune naissent trois ou quatre petits grains comme des pois verds, ils renferment une substance blanche & d'un goût assez agréable, celui d'une noisette qui n'est pas encore mûre.


OUTRAGEsubst. masc. OUTRAGEANT, part. OUTRAGER, v. act. (Gramm.) terme relatif à une offense atroce : on outrage du geste & du discours. Il ne faut jamais outrager personne. Celui qui reçoit un outrage est à plaindre, celui qui le fait est à mépriser. Le mot outrage se prend encore dans un autre sens, comme quand on dit, l'outrage que la beauté reçoit des ans.


OUTRANCEA OUTRANCE, façon de parler adverbiale : elle marque l'excès ; défendre à outrance, se battre à outrance, boire à outrance.


OUTRES. f. (Mesure de continence) c'est la peau de l'animal appellé bouc, qui étant garnie de son poil, cousue & préparée d'une certaine façon, sert comme de barril pour renfermer les liqueurs, afin de les pouvoir transporter avec plus de facilité. En Espagne, les outres sont d'un assez grand usage pour les vins ; & en France, on s'en sert très-ordinairement pour les huiles. Savary.

OUTRE, (Critiq. sacrée) , peau de bouc cousue & préparée, dans laquelle on mettoit de l'eau, du vin, de l'huile, & d'autres liqueurs avant l'usage des tonneaux de bois. Jesus-Christ dit, Matt. ix. 17, on ne met pas du vin nouveau dans de vieux outres, c'est-à-dire dans des outres qu'on a laissé dessécher & dépérir par négligence, ou par vétusté, car dans de telles outres qui crevent de toutes parts, le vin se répandroit entierement. (D.J.)


OUTRÉadj. (Gramm.) excessif, exagéré : tout est outré dans ce récit ; c'est un homme outré dans tout ce qu'il fait ; n'outrez rien, si vous voulez être cru. Il a encore une acception, qui le rend synonyme à offensé vivement ; je suis outré de ses propos, de sa conduite.

OUTRE, (Maréchal.) un cheval outré, c'est celui qu'on a trop fait travailler. Poussif, outré, voyez POUSSIF.


OUTRE MOITIÉS. f. (Jurisprud.) se dit de ce qui excede la moitié de la valeur de quelque chose ; on dit la lésion d'outre-moitié du juste prix. Voy. LESION. (A)


OUTREMER(Chimie & Peinture) c'est ainsi qu'on nomme la couleur bleue si précieuse, qui se tire du lapis lazuli ; on trouvera la maniere de l'obtenir à l'article BLEU D'OUTREMER.


OUTREMEUSELE PAYS D ', (Géog.) canton des Pays-Bas dans la république des Provinces-Unies, qui le possede comme une annexe du Brabant hollandois ; il faisoit partie du duché de Limbourg, l'une des dix-sept provinces. Ce canton comprend outre la ville de Limbourg huit différens territoires, entre lesquels trois ont été cédés aux Etats-Généraux par le traité de la Haye du 26. Dec. 1661. (D.J.)


OUTRERv. act. c'est excéder la juste mesure en tout. On dit des pensées outrées, une déclamation outrée, une plainte outrée, des passions outrées,.... mais où est la regle de ces choses ? qui est-ce qui a fixé le point en-deçà duquel la chose est foible, & au-delà duquel elle est outrée ? qui est-ce qui a donné au public mêlé de tout état & de toute condition ce tact délicat, qui dans la représentation d'une piece lui fait discerner un sentiment juste d'un sentiment outré, une expression vraie d'une expression fausse ? Il le fait souvent à étonner les hommes du goût le plus délicat ; & qu'on vienne après cela me dire que l'homme ne se connoît pas, qu'il s'en impose à lui-même, qu'il se trompe, qu'il a la conscience hébétée, &c.... il n'en est rien. On peut s'envelopper pour les autres, mais non pour soi. Quand on cherche à détourner de soi son regard, on s'est vu, on s'est jugé.

OUTRER un cheval, c'est le fatiguer au-delà de ses forces.


OUVADO(Hist. nat.) espece de pois qui croissent en Afrique au royaume de Congo. La plante produit des fleurs & du fruit pendant toute l'année ; on en trouve de la même espece dans les îles de l'Amérique qui durent sept années consécutives.


OUVAH(Géogr.) canton d'Asie dans l'intérieur de l'île de Ceylan ; c'est une des provinces du royaume de Candi, sur laquelle on peut voir Robert Knok dans sa relation de Ceylan.


OUVEL '(Géogr.) petite riviere de France dans la basse Normandie : elle a sa source dans la forêt de Brix, & se décharge dans le grand Vay. (D.J.)


OUVERTpart. OUVERT, adj. (Gramm.) voyez le verbe OUVRIR.

OUVERT, adj. dans le commerce, on appelle entre marchands, négocians & banquiers un compte ouvert celui qui n'est point arrêté, où l'on ajoute journellement des articles, soit en recette, soit en dépense. Voyez COMPTE.

On dit aussi que les ports sont ouverts quand les vaisseaux marchands y peuvent entrer ou en sortir, & y faire leur commerce librement. Diction. de commerce.

OUVERT, (Jard.) se dit d'une partie de jardin qui est découverte ; ce côté est ouvert, cette allée est à ciel ouvert.

OUVERT, se dit aussi dans l'écriture d'un caractere dont les traits sont bien formés, & ont un air de rondeur qui les fait lire avec facilité.

OUVERT, (Maréchal.) se dit des chevaux qui ont les jambes de devant ou de derriere trop écartées l'une de l'autre ; courir à tombeau ouvert. Voy. COURIR.

OUVERT, en terme de Blason, se dit des portes, des tours & des châteaux.

Murat de l'Estange en Dauphiné, d'azur à trois faces d'argent, maçonnées & crenelées de sable, la premiere de cinq creneaux, la seconde de quatre, la troisieme de trois, & ouverte au milieu en porte.

OUVERTES, (Vénerie) on appelle têtes ouvertes les têtes de cerf, daim & chevreuil, dont les perches sont fort écartées, qui est une des belles qualités que puisse avoir une tête.


OUVERTURES. f. (Géom.) est l'action d'ouvrir quelque chose, ou bien c'est un trou, une fente, un endroit crevassé dans un corps d'ailleurs solide & continu.

En Géométrie, l'ouverture de deux lignes inclinées l'une vers l'autre & partant d'un point commun, s'appelle angle. Voyez ANGLE.

Ouverture dans les télescopes est la quantité plus ou moins grande de surface, que les verres des télescopes présentent aux rayons de lumiere. Voyez TELESCOPE.

OUVERTURE DE PORTES, (Divin.) se dit dans l'Astrologie de ce qui arrive quand une planete se sépare d'une autre, & se joint à une troisieme qui domine dans une ligne opposée à celle qui est dominée par la planete, avec laquelle l'autre planete étoit jointe auparavant.

OUVERTURE, (Jurisprud.) a dans cette matiere plusieurs significations différentes.

Ouverture de l'annuel ou paulette est le tems où l'on est admis à payer la paulette, savoir depuis le 15 Décembre jusqu'au 15 Janvier. Voyez ANNUEL & PAULETTE.

Ouverture de l'audience signifie non-seulement l'action d'ouvrir les portes du tribunal, mais il signifie aussi le commencement de l'audience.

Ouverture d'un bureau signifie le tems où l'on commence à y inscrire ceux qui se présentent, ou à faire les payemens, si c'est le bureau d'un trésorier ou payeur public.

Ouverture de clameur en Normandie est lorsque l'on peut intenter le retrait. Voyez CLAMEUR.

Ouverture de fief est lorsqu'il y a mutation, soit de seigneur ou de vassal. Voyez FIEF & MUTATION.

Ouverture de requête civile, ce sont les moyens qui peuvent faire entériner une requête civile prise contre un arrêt. Voyez REQUETE CIVILE.

Ouverture au rachat ou relief, c'est lorsque le seigneur est en droit d'exiger le relief.

Ouverture à la régale est lorsqu'un bénéfice sujet à la régale vient à vaquer de fait ou de droit ; on entend aussi par ouverture à la régale, le droit que le roi a de ce moment de nommer au bénéfice. Voy. REGALE.

Ouverture au retrait, c'est lorsqu'il y a lieu d'exercer le retrait. Voyez RETRAIT.

Ouverture de substitution ou fideicommis, c'est lorsque le cas ou la condition de la vocation du substitué sont arrivés. Voyez SUBSTITUTION & FIDEICOMMIS.

Ouverture de succession est le moment où la succession est échue. Voyez SUCCESSION. (A)

OUVERTURE DE LA TRANCHEE, (Art milit.) c'est dans l'attaque des places le premier travail qu'on fait pour commencer la tranchée, c'est-à-dire pour la fouiller ou l'ouvrir. Voyez TRANCHEE.

OUVERTURE DES PORTES DE GUERRE, (Art milit.) cette action se fait avec différentes précautions, dont on va donner le précis.

A la pointe du jour, le tambour monte sur le rempart & bat la diane. On sonne la cloche du béfroi. Le sergent va aux clés chez le gouverneur ou le commandant ; & lorsqu'il arrive, l'officier de garde range sa garde en double haie sous la voûte de la porte, & il se met à la tête l'esponton à la main ; les soldats présentent les armes. L'officier en fait commander pour mettre aux ponts & pour la découverte : il en fait commander aussi quelques-uns sans armes, pour ouvrir les portes & les barrieres, & abaisser les ponts. Le major & le capitaine des portes commencent à ouvrir, & le tambour bat aux champs jusqu'à-ce que tout soit ouvert. Il faut mettre le tambour sur le rempart à l'ouverture & à la fermeture des portes.

Lorsque le major a passé le premier pont avec les clés & les soldats commandés, on le releve ; on en fait autant aux autres qu'il passe, laissant derriere chacun deux fusiliers les armes présentées. Enfin lorsqu'il est arrivé à la derniere barriere, il fait sortir quelques fusiliers pour faire la découverte autour de la place avec des cavaliers, s'il y en a, qui vont battre l'estrade à une lieue, & il ferme la barriere sur eux.

Il arrive souvent, sur-tout les jours de marché, qu'on trouve à la barriere un grand nombre de paysans qui attendent pour entrer. Lorsque cela se rencontre, le major doit faire éloigner tout le monde de cinquante pas de la barriere avant de l'ouvrir, & ne laisser entrer personne que quand la découverte est faite ; même il ne faut point souffrir qu'ils entrent en confusion.

Les soldats commandés pour la découverte doivent visiter bien exactement autour de la place, & sur-tout dans les endroits qui sont un peu couverts ; & s'ils y trouvent des gens cachés, ils doivent les amener. Lorsqu'ils sont de retour, on abaisse les ponts pour faire rentrer le major avec les clés & les soldats ; mais on doit tenir les barrieres fermées & ne laisser que les guichets ouverts, jusqu'à-ce que le soleil soit bien haut & les cavaliers de retour. Le sergent va reporter les clés chez le gouverneur ou le commandant ; l'officier fait poser les armes à sa garde par ce commandement : Prenez garde à vous : que la file de la droite ne bouge : marche. La file de la gauche va s'entremêler avec la droite, & les deux n'en font plus qu'une. A gauche : présentez vos armes : marche ; les soldats défilent tous devant l'officier les armes présentées, & vont les poser par escouade. Le tambour bat le drapeau. Les caporaux relevent la grande pose, c'est-à-dire les sentinelles des endroits où on n'en doit placer que pendant la nuit, & celui de consigne ramasse les numeros des rondes, les boîtes & la feuille, & va tout porter chez le major. Voyez RONDE.

Lorsqu'il se présente un grand nombre de chariots, ce qui arrive sur-tout dans les tems de la moisson, l'officier de garde ne doit point les laisser passer tous à-la-fois, crainte que les ponts ne se trouvent embarrassés, mais faire observer une grande distance des uns aux autres, & le consigne qui est à la porte doit sonder avec une broche de fer, s'il n'y a pas des gens cachés dans le foin ou dans le blé qui est sur les chariots. Enfin l'officier doit prendre toutes les précautions possibles pour ne pas recevoir un affront ; car c'est sur lui qu'on se repose de la sûreté de la place & de la garnison.

Sur les neuf ou dix heures, il fait donner congé à deux soldats par escouade tour-à-tour pour aller dîner. Enfin lorsque l'heure de descendre la garde est arrivée, on le releve, & il ramene sa troupe en bon ordre sur la place d'armes. Les autres gardes relevées y arrivent aussi en même tems, le major les met en bataille à mesure qu'elles arrivent, & lorsqu'elles le sont toutes, il les congédie : on appelle cela descendre la parade.

La fermeture des portes se fait à-peu-près avec les mêmes attentions que l'ouverture.

Une heure avant que le soleil se couche, le tambour de garde monte sur le rempart & bat la retraite pour avertir ceux qui sont dehors qu'il est tems de se retirer, & qu'on fermera bientôt la porte. Après cette retraite, l'officier doit faire pousser la barriere & ne laisser que les guichets ouverts. On ne doit plus laisser sortir des soldats de la place. Dans les villes de guerre, outre la retraite que le tambour bat, on sonne la cloche du beffroi. Voyez BEFFROI.

Un sergent de chaque porte escorté par deux fusiliers de son corps de garde, va chercher les clés chez le gouverneur ou commandant, & dès que la sentinelle qui est devant les armes apperçoit le sergent qui arrive avec les clés, elle avertit. L'officier fait prendre les armes, & range sa garde de la même maniere que pour l'ouverture des portes. Il fait commander quatre soldats pour escorter les clés jusqu'à la derniere barriere, & en fait placer deux les armes présentées sur chaque pont levis : enfin il en fait commander un nombre suffisant sans armes pour pousser les portes & les barrieres, & lever les ponts. Lorsque le major est arrivé avec le capitaine des portes, le sergent de garde marche avec les clés & les soldats commandés pour les escorter ; le caporal consigné portant le falot lorsqu'il est tard, le major & le capitaine des portes vont jusqu'à la derniere barriere, & celui-ci commence de fermer. Le tambour de garde bat aux champs jusqu'à-ce que toutes les portes soient fermées, à moins qu'il ne soit fort tard, l'usage n'étant pas de battre pendant la nuit. Le major donne l'ordre & le mot aux sergens, qui doivent passer la nuit aux avancées. Après que la porte est fermée, le sergent va reporter les clés chez le commandant escorté toujours par deux soldats. L'officier fait poser les armes à sa garde, comme après l'ouverture des portes.

Les caporaux vont ensuite faire la grande pose : dès qu'elle est faite, les sentinelles ne laissent passer personne sur le rempart, à la réserve des rondes qui doivent porter du feu.

Lorsque le sergent a remis les clés chez le commandant, il va à l'ordre ; & dès qu'il l'a reçu, il va le porter à son officier de garde : il le donne ensuite aux caporaux, & leur distribue leurs rondes. Voyez RONDE & MOT. (Q)

OUVERTURE, on appelle ouverture d'une foire le jour fixé par le magistrat, pour y commencer la vente & l'achat des marchandises. L'ouverture des foires de S. Germain & de S. Laurent se publie à Paris à son de trompe, & se fait en vertu d'une ordonnance du lieutenant-général de police, qu'on affiche aux principaux carrefours de la ville. Voyez FOIRE. Dict. de commerce.

OUVERTURE, s. m. en Musique, est un morceau considérable de symphonie qui se met à la tête des grandes pieces de musique, comme sont les opéra.

Les ouvertures des opéra françois sont toutes jettées sur le moule de celles de Lully. Elles sont composées d'un morceau grave & majestueux, qui forme le début, & qu'on joue deux fois, & d'une reprise gaie, qui est ordinairement fuguée : plusieurs de ces reprises rentrent encore dans le grave en finissant.

Il a été un tems où les ouvertures françoises donnoient le ton à toute l'Europe. Il n'y a guere que cinquante ans qu'on faisoit venir en Italie des ouvertures de France pour mettre à la tête des opéra de ce pays-là. J'ai vu même plusieurs anciens opéra italiens notés avec une ouverture de Lully à la tête. C'est de quoi les Italiens ne conviennent pas aujourd'hui ; mais le fait ne laisse pas d'être très-certain.

La musique instrumentale ayant fait un chemin prodigieux depuis une trentaine d'années, les vieilles ouvertures faites pour des symphonistes trop bornés ont été bientôt laissées aux François. Les Italiens n'ont pas même tardé à secouer le joug de l'ordonnance françoise, & ils distribuent aujourd'hui leurs ouvertures d'une autre maniere. Ils débutent par un morceau bruyant & vif à deux ou à quatre tems ; puis ils donnent un andante à demi-jeu, dans lequel ils tâchent de déployer toutes les graces du beau chant, & ils finissent par un allegro très-vif, ordinairement à trois tems.

La raison qu'ils donnent de cette nouvelle distribution, est que dans un spectacle nombreux où l'on fait beaucoup de bruit, il faut d'abord fixer l'attention du spectateur par un début brillant qui frappe & qui réveille. Ils disent que le grave de nos ouvertures n'est presque entendu ni écouté de personne, & que notre premier coup d'archet que nous vantons avec tant d'emphase, est plus propre à préparer à l'ennui qu'à l'attention.

Cette vieille routine d'ouvertures a fait naître en France une plaisante idée. Plusieurs se sont imaginé qu'il y avoit une telle convenance entre la forme des ouvertures de Lully & un opéra quelconque, qu'on ne le sauroit changer sans rompre le rapport du tout. Desorte que d'un début de symphonie qui seroit dans un autre goût, ils disent avec mépris que c'est une sonate, & non pas une ouverture, comme si toute ouverture n'étoit pas une sonate.

Je sais bien qu'il seroit fort convenable qu'il y eût un rapport marqué entre le caractere de l'ouverture & celui de l'ouvrage entier ; mais au-lieu de dire que toutes les ouvertures doivent être jettées au même moule, cela dit précisément le contraire. D'ailleurs, si nos musiciens ne sont pas capables de sentir ni d'exprimer les rapports les plus immédiats entre les paroles & la musique dans chaque morceau, comment pourroit-on se flatter qu'ils saisiroient un rapport plus fin & plus éloigné entre l'ordonnance d'une ouverture & celle du corps entier de l'ouvrage ? (S)

OUVERTURE DES JAMBES, c'est une perfection parmi les Danseurs, de savoir ouvrir & fermer à-propos les jambes. Ils prouvent le bon goût en les ouvrant avec beaucoup de gravité dans les pas lents, & beaucoup de légereté dans ceux qui doivent être passés vîte.

Il est donc à-propos d'en donner ici quelques regles.

Si l'on doit, par exemple, faire l'ouverture de jambe du pié gauche, il faut avoir le corps posé sur le droit à la quatrieme position, afin que la jambe qui est derriere se leve de sa position, & marche lentement en passant près de la droite, & en se croisant devant en forme de demi-cercle, que l'on finit à côté, & la jambe reste en l'air pour faire tel pas que la danse demande. Une circonstance absolument nécessaire, c'est que lorsque la jambe gauche vient à se croiser, & avant qu'elle s'étende en s'approchant, & lorsqu'elle se croise, le genou se plie & s'étend en terminant le demi-cercle.

OUVERTURE, s. f. (Archit.) c'est un vuide ou une baie dans un mur, qu'on fait pour servir de passage ou pour donner du jour. C'est aussi une fracture provenue dans une muraille, par malfaçon ou caducité. C'est encore le commencement de la fouille d'un terrein pour une tranchée, rigole ou fondation.

On appelle ouvertures d'angle, d'hémicycle, &c. ce qui fait la largeur d'un angle, d'un hémicycle, &c.

Ouverture plate ou sur le plat. Ouverture qui est au haut d'une coupole pour éclairer un escalier qui ne peut recevoir du jour que par en haut. Il y a une ouverture de cette espece à l'escalier du roi au château de Versailles, qui est oblongue & fermée de glaces ; plusieurs qui sont rondes, aux écuries du même château, fermées d'un vitrail convexe, & une au panthéon, qui est tout-à-fait découverte. Ces sortes d'ouvertures sont ordinairement couvertes d'une lanterne, comme aux dômes. (D.J.)

OUVERTURE, se dit, dans l'Ecriture, d'une plume dont le grand tail est bien ouvert, ce qui le rend plus agréable à la vue, & fait mieux couler l'encre sur les traces du bec.


OUVI-FOUTCHI(Hist. nat. Bot.) racine de l'île de Madagascar. Elle est ordinairement de la grosseur de la cuisse, mais dans une bonne terre elle devient de la grosseur d'un homme : cette racine est une nourriture excellente pour les habitans.


OUVI-HARES(Hist. nat. Bot.) racines fort communes dont se nourrissent les habitans de l'île de Madagascar ; elles se multiplient très-facilement, on n'a qu'à couper cette racine en piece pour les planter ; en huit mois elles acquierent leur maturité.


OUVI-LASSA(Hist. nat. Bot.) plante rampante de l'île de Madagascar ; sa racine ressemble à celle du jalap, & donne une resine ; les habitans la regardent comme un purgatif très-violent.


OUVIRA(Géog. nat.) oiseau très-grand du Brésil & de l'île de Maragnan ; il est deux fois plus grand qu'un aigle ; son plumage qui est beau, est différent de celui du condor ou contour. Il enleve les brebis avec facilité ; il attaque même les hommes, les cerfs & les autres animaux forts. On assure que quelques-unes de ses plumes ont jusqu'à une aune de long, elles sont tachetées comme celles des pintades.


OUVRABLESadj. (Gram.) jours ouvrables, jours dans lesquels il est permis d'ouvrir sa boutique & de travailler publiquement.


OUVRAGES. m. (Arts & Sciences) travail, production d'un homme de lettres sur quelque sujet. On doit faire grand cas des ouvrages qui nous développent d'une main savante, les principes d'un art ou d'une science ; mais c'est au bon sens & à l'expérience à déterminer l'application de ce même principe. En général les ouvrages doivent tendre à éclairer l'esprit, mais rien ne le forme comme le soin d'écrire & de composer soi-même. C'est aux lecteurs à faire choix des ouvrages dont ils doivent plus ou moins se nourrir ; car il en est des livres comme des mets ; il y en a dont il ne faut que goûter, & d'autres qu'on doit ruminer & mâcher à loisir ; mais ce n'est que par de bons conseils, par le tems, ou par le génie, qu'on parvient à cette heureuse connoissance. On chérit ces auteurs excellens, dont les ouvrages sont autant d'amis qui moralisent sans offenser personne ; qui nous parlent sans prévention, & qui ne nous savent point mauvais gré de ce que nous passons légerement sur des choses qui leur ont coûté beaucoup de soins, de peines, & de veilles. Comme ouvrage est synonyme à livre, voyez LIVRE. (D.J.)

OUVRAGES de l'art & de la nature, (Science micr.) il ne seroit peut-être pas inutile de comparer quelques-uns des ouvrages les plus fins & les plus exquis de nos arts, avec les productions de la nature ; une telle comparaison ne peut aboutir qu'à humilier l'orgueil de l'homme, & en même tems elle peut servir à perfectionner en quelque maniere les idées imparfaites qu'il a du créateur.

En examinant au microscope le tranchant d'un rasoir fort fin, il paroît aussi épais que le dos d'un gros couteau ; il paroît raboteux, inégal, plein d'entaillures & de sillons, & si éloigné d'être bien affilé, qu'un instrument aussi émoussé que celui-là paroît n'être pas même bon à fendre du bois.

Une aiguille excessivement petite étant aussi examinée, sa pointe paroît comme si elle avoit plus d'un quart de pouce de largeur ; elle n'est pas ronde ni plate, mais irréguliere & inégale, & sa surface, quoiqu'extrêmement droite & polie à la vue simple, paroît pleine d'âpretés, de trous & de sillons ; en un mot, elle ressemble à une barre de fer qui sort de la forge.

Mais l'aiguillon d'une abeille vu par le même instrument, paroît de tous les côtés d'un poli parfait, & d'une beauté surprenante, sans la moindre fente, tache ou inégalité, & terminé par une pointe trop fine pour être distinguée ; encore n'est-ce que l'étui ou le fourreau qui contient d'autres instrumens beaucoup plus exquis.

Une petite piece de linon extrêmement fin paroît par les grandes distances & trous entre ses fils, semblable en quelque maniere à une claie ou à un filet ; & les fils eux-mêmes paroissent plus grossiers que les cordons dont on fait les cables pour les ancres.

Une dentelle de Bruxelles qui coûte cinq ou six livres sterlings la verge, semble composée de poils épais, raboteux, inégaux, entortillés, attachés ou liés ensemble tout de travers & sans art.

Mais la toile d'un ver à soie étant examinée, paroît parfaitement polie & brillante, uniforme de tous les côtés, & beaucoup plus fine qu'aucun fil qui puisse être filé par la meilleure fileuse du monde, autant que le plus petit fil retors est plus fin que le plus gros cable. Une cosse de cette soie étant développée, se trouve contenir neuf cent & trente verges ; mais il est bon de remarquer, que comme deux fils sont toujours attachés ensemble par le ver dans toute leur longueur, le nombre des fils en est réellement double, c'est-à-dire, de 1860 verges ; ces fils étant pesés avec la derniere exactitude, se trouvent ne peser que deux grains & demi. Quelle finesse exquise est donc celle-ci ? Encore n'est-ce rien en comparaison de la toile d'une petite araignée, ou même en comparaison de la soie qui sort de la bouche de ce même ver lorsqu'il vient d'éclorre.

Le plus petit point ou marque que l'on puisse faire avec une plume, paroît au microscope une grande tache irréguliere, raboteuse, dentelée & inégale tout autour de ses côtés, & bien éloignée d'être véritablement ronde. L'écriture la plus fine & la plus menue, comme l'oraison de Notre-Seigneur comprise toute entiere dans un sol d'argent, ou autres petites écritures également curieuses faites par les plus habiles maîtres, paroissent lorsqu'on les examine au microscope, aussi difformes, grossieres & barbares, que si elles avoient été écrites par la main la plus pesante ; mais les taches qui sont sur les aîles ou sur les corps des teignes, des escarbots, des mouches & autres insectes, se trouvent lorsqu'on les grossit autant que l'on peut avec la loupe, très-exactement circulaires, & les autres lignes & marques qui sont tout-autour, paroissent tirées régulierement & délicatement avec toute l'exactitude possible.

Le docteur Power dit qu'il a vu une chaîne d'or à Tredescant, composée de trois cens anneaux, & qui n'avoit pas plus d'un pouce de longueur ; on l'attachoit à une mouche qui la traînoit. M. Derham a vu auprès de Durhamyard une chaise faite par le sieur Boverick horloger, qui avoit quatre roues, avec toutes leurs appartenances, roulant aisément sur leurs essieux, & un homme assis dans la chaise ; le tout étoit d'yvoire, & traîné par une mouche sans aucune difficulté apparente ; il pesa le tout avec la plus grande attention dont il fût capable, & trouva que la chaise, l'homme, & la mouche pesoient un seul grain. Il pesa aussi dans le même tems & dans le même endroit une chaîne de cuivre faite par le même ouvrier, qui avoit environ deux pouces de longueur, deux cens anneaux avec un crochet au bout, & un cadenat avec une clé à l'autre bout, & il trouva qu'elle ne pesoit pas le tiers d'un grain. Il a vu encore de la même main une table de quadrille avec son tiroir, une table à manger, un buffet, un miroir, douze chaises à dossier, six plats, une douzaine de couteaux, autant de fourchettes, douze cuilliers, deux salieres, avec un cavalier-homme, une dame & un laquais, le tout contenu dans un noyau de cerise.

On nous apprend dans le journal d'Allemagne, qu'un ouvrier nommé Oswald Nerlinger, fit une coupe d'un grain de poivre qui en contenoit douze cent autres plus petites, toutes tournées en ivoire, dont chacune étoit dorée aux bords, & se tenoit sur son pié. Si tous ces faits ne sont pas beaucoup exagérés, ce sont là les ouvrages de l'art les plus délicats, les plus curieux & les plus surprenans qui aient été faits de main d'homme ; mais après qu'on a eu examiné quelqu'un de ces ouvrages avec un microscope, on s'est convaincu que le plus grand effort de l'art ne consiste qu'à bien cacher les difformités, à en imposer à la foiblesse de nos yeux, & à prouver que notre admiration ne vient que de notre ignorance.

La découverte avantageuse de cette vérité, fait voir que les chef-d'oeuvres de l'art les plus vantés, sont aussi mal fagotés, raboteux & inégaux, que si on les avoit taillés avec une hache, ou si on les avoit frappés avec un maillet & un ciseau ; on y voit des bévues, des inégalités & des imperfections dans chaque partie, & le tout est monstrueux, n'ayant aucune proportion. Nos miniatures les plus fines paroissent devant cet instrument comme des purs barbouillages, enduits avec une truelle & sans aucune beauté, tant dans les traits que dans les couleurs. Nos plus brillans vernis, nos ouvrages les mieux polis, ne sont que des corps raboteux, pleins de fentes & de crevasses. Ainsi disparoissent les ouvrages de l'art lorsque nous sommes en état de voir ce qu'ils sont effectivement. Au contraire, si nous examinons de plus près, si nous distinguons mieux, si nous observons avec plus de soin les ouvrages de la nature, même dans ses moindres productions, nous n'en sommes que plus frappés de la sagesse, de la puissance, & de la grandeur infinie de celui qui les a faits.

Appliquez au microscope tout ce qu'il vous plaira, vous n'y trouverez que beautés & perfections. Considérez le nombre infini d'especes d'insectes qui nagent, qui rampent, ou qui volent autour de nous, quelle proportion, quelle exactitude, quelle uniformité & quelle symmétrie n'appercevrez-vous pas dans tous leurs organes ! Quelle profusion de couleurs ! L'azur, le verd & le vermillon, l'or, l'argent, les perles, les rubis & les diamans forment une broderie à leurs corps, à leurs aîles, à leurs têtes, & à toutes leurs autres parties ! Que de richesses ! que de perfections ! Quel poli inimitable ne voyons-nous pas de toutes parts ! Allons plus avant & examinons les petits animaux dont plusieurs especes sont absolument invisibles à l'oeil humain sans le secours d'un microscope ; ces atômes vivans, tout petits qu'ils sont, ne laissent pas d'être presque tous des prodiges ; nous y découvrons les mêmes organes du corps, la même multiplicité de parties, variété de mouvemens, diversité de figures, & maniere de vivre particuliere que nous voyons dans les plus grands animaux ; la construction intérieure de ces petites créatures doit être prodigieusement curieuse, le coeur, l'estomac, les entrailles & le cerveau. Combien doivent être petits & déliés leurs os, leurs jointures, leurs muscles & leurs tendons ! Combien doivent être délicates, & au-delà de toute imagination, les veines, les arteres & les nerfs ! Quelle multitude de vaisseaux & de circulations dans un si petit espace ! & encore ont-ils assez de place pour remplir toutes leurs fonctions, sans se mêler ou s'embarrasser les uns avec les autres !

Si l'on examine les végétaux, on y voit pareillement le même ordre, la même régularité & la même beauté. Chaque tige, chaque bouton, chaque fleur & chaque semence, présente une figure, une proportion, une harmonie qui est au-dessus de la portée de tous les arts. Il n'y a point d'herbe sauvage, ni de mousse dont chaque feuille ne présente une multiplicité de vaisseaux & de pores rangés avec un art infini, pour porter les sucs nécessaires à sa conservation & à sa nourriture, & qui ne soit ornée d'une infinité de graces qui l'embellissent.

Les ouvrages les plus parfaits de l'art font sentir la foiblesse, la pauvreté, & l'incapacité de l'ouvrier ; mais ceux de la nature font voir clairement que celui qui les a faits a un pouvoir absolu sur la matiere dont il dispose, & qu'il a des instrumens convenables à son dessein. Chaque poil, plume ou écaille, même dans les moindres insectes, paroît rond, poli & fini au dernier point, & démontre les richesses abondantes, la libéralité, & la sagacité de son auteur. (D.J.)

OUVRAGE, s. m. (Architect.) c'est ce qui est produit par l'ouvrier, & qui reste après son travail, comme dans la construction des bâtimens, la maçonnerie, la charpenterie, la serrurerie, &c. Il y a deux sortes d'ouvrages dans la maçonnerie, de gros ouvrages, & de menus ouvrages. Les premiers sont des murs de face & de refend ; les murs avec crépi, enduits & ravalemens, & toutes les especes de voutes de pareille matiere. Ce sont aussi les contre-murs, les marches, les vis potoyeres, les bouchemens & percemens de portes & croisées à mur plein ; les corniches & moulures de pierre de taille, quand on n'a point fait de marché à part ; les éviers, lavoirs & lucarnes : ce qui est de différent prix, suivant les différens marchés.

Les légers & menus ouvrages sont les plâtres de différentes especes, comme tuyaux, souches & manteaux de cheminée, lambris, plafonds, panneaux de cloison, & toutes saillies d'architecture ; les escaliers, les lucarnes, avec leurs joués de charpenterie revêtue, les exhaussemens dans les greniers, les crépis & renformis contre les vieux murs, les scellemens de bois dans les murs ou cloisons, les fours, potagers, carrelages, quand il n'y a point de marché fait ; les contrecoeurs, âtres de cheminée, aires, mangeoires, scellemens des portes, de croisées, de lambris, de chevilles, de corbeaux de bois ou de fer, de grilles, &c.

On appelle ouvrages de sujetions ceux qui sont ceintrés, rampans ou cherchés par leur plan, ou leur élevation, & dont les prix augmentent à proportion du déchet notable de la matiere, & de la difficulté qu'il y a à les exécuter.

On donne le nom d'ouvrage de pierres de rapport à une espece de mosaïque qu'on fait avec des pierres naturelles pour représenter des animaux, des fruits, des fleurs, & autres figures, comme si elles étoient peintes. Cela se fait en assemblant différens marbres, selon le dessein qu'on a, & on les joint & les cimente. Sur ces marbres, le peintre qui a disposé le sujet, marque avec un pinceau trempé dans de la couleur noire, les contours des figures. Il observe avec des hachures les jours & les ombres, comme s'il dessinoit sur le papier au crayon. Ensuite le sculpteur, grave avec un ciseau, tous les traits qui ont été tracés par le peintre, & garnit ces traits d'autres marbres, ou on les remplit d'un mastic composé de poix noire, & d'autre poix qu'on fait bouillir avec du noir de terre. Quand ce mastic a pris corps, on l'unit avec du grès & de l'eau, ou du ciment pilé. C'est ainsi qu'avec trois sortes de marbres on a trouvé l'art d'embellir de différentes figures les pavés des églises & des palais. Voyez les principes de l'Architect. de la Sculpture, &c. par M. Felibien, ch. xij.

Ouvrage à sceaux, terme d'archit. hydraul. C'est une machine, qui sert à élever l'eau, moyennant un ou deux vaisseaux attachés à une perche. Il y a des ouvrages à sceaux simples, & des ouvrages composés. Les premiers sont formés d'un levier, & les autres de poulies, de roues à chaînes, ou de roues avec pignon. On trouve la description de ces trois sortes d'ouvrages, & particulierement d'un, qui se meut tout seul, dans le technica curiosa de Schot, dans l'hydraulico-pneumatica du même auteur, & dans le theatrum hydraulicum de Léopold, tom. I. ch. 8.

Ouvrage hydraulique. C'est un bâtiment qui sert à conduire l'eau où l'on veut. Tels sont les bâtimens de la machine de Marly, de la Samaritaine, & des pompes du pont Notre Dame à Paris. Voyez le t. II. de la premiere partie de l'architecture hydraulique de M. Belidor, & le theatrum machinarum hydraulicarum, de Jacques Léopold, tom. I. & II.

Ouvrage rustique. C'est un bâtiment dont le mur est construit de pierres qui avancent. Cette maniere de bâtir a été de tout tems une des plus simples, & des plus communes, puisqu'on n'est pas même obligé d'applanir les surfaces extérieures des pierres, & qu'on les laisse brutes, afin de ménager les frais de l'ouvrage. De cette simplicité on a voulu s'élever aux principes d'un art. Dans cette vue, des architectes se sont attachés à joindre tellement les pierres, que les surfaces de devant avançassent dans les jointures, & on a figuré les surfaces relevées. Voyez des exemples là-dessus dans l'architecture de Vitruve, & dans le cours d'architecture de Daviler. Mais malgré ces efforts, pour accréditer l'ouvrage rustique, cette maniere de bâtir n'est point d'un bon goût. Autrefois on s'en servoit, même pour les palais les plus superbes, en l'employant également dans tous les étages, & en y joignant des colomnes de plusieurs ordres. Tels sont le magnifique palais de Pitti à Florence, aux trois étages duquel est l'ordre toscan, le dorique & l'ionique ; le palais d'Est à Ferrare ; l'hôtel de Peller à Nuremberg, qui a au-devant des pierres relevées jusqu'au dessous du toit. On en trouve d'autres exemples du fameux Michel Ange, rapportés dans le cours d'architecture de Daviler.

On employe aujourd'hui l'ouvrage rustique aux portes des villes, & aux portails des bâtimens qui doivent avoir beaucoup de solidité, comme les arsenaux, les boulangeries, &c. Il est rare qu'on le pratique aux églises & aux maisons particulieres, où il ne peut avoir lieu qu'à l'étage inférieur ; souvent même on n'en charge pas tout le mur, & on se contente de l'appliquer aux coins & au bordage de la saillie. Daviler. (D.J.)

OUVRAGES, en terme de Fortification, signifient toutes les différentes pieces ou édifices qui s'employent dans la fortification ; c'est aussi, dans l'attaque des places, les lignes, les tranchées, les fossés, &c. qu'on fait autour d'une ville ou d'un camp, &c. pour se fortifier.

On trouvera les principaux ouvrages d'une place fortifiée aux articles de PLACE FORTIFIEE, de FORTIFICATION, &c.

OUVRAGE A CORNE, dans la fortification, est un ouvrage formé d'un front de fortification, c'est-à-dire, d'une courtine & de deux demi-bastions joints à la place par deux longs côtés, qu'on appelle ses aîles ou ses branches.

Cet ouvrage se place quelquefois devant un bastion, mais plus ordinairement devant une courtine.

Pour construire un ouvrage à corne devant une courtine E F (Pl. IV. de Fortification, fig. 4.) il faut prolonger indéfiniment vers la campagne la perpendiculaire qui a été élevée sur le côté du polygone, pour tirer les lignes de défense & de l'angle rentrant Q de la contrescarpe ; il faut prendre sur cette perpendiculaire prolongée Q L de 120 ou 130 toises ; au point L élever sur L Q la perpendiculaire O P, prolongée indéfiniment de part & d'autre du point L. On prendra sur cette perpendiculaire L O & L P chacune de 60 ou 70 toises : on marquera ensuite les points A & B sur les faces des bastions opposés à l'ouvrage à corne, à 10 toises des angles de l'épaule C & D : on tirera par les points O & A & par les points P & B les lignes O M, P N, terminées en M & en N par leur rencontre avec la contrescarpe de la place. Ces lignes seront les aîles ou les branches de l'ouvrage à corne ; O P en sera le côté extérieur, que l'on fortifiera en prenant sur la perpendiculaire Q L, L R de 23 toises, si L P est de 70 toises, & de 20 toises, si cette ligne est seulement de 60 toises. Par les points O & P & par le point R, on menera les lignes de défense indéfinies O X, P V, sur lesquelles on prendra les faces P S, O T, chacune de 40 toises, si L P est de 70, & de 35, si cette ligne est de 60. On achevera ensuite la fortification du côté extérieur O P, comme dans le premier systême de M. de Vauban. Voy. ce systême à la suite du mot FORTIFICATION. Voyez aussi sa construction, Pl. II. de Fortific. fig. 7.

On donnera 12 toises de largeur au fossé de l'ouvrage à corne : on le tracera vis-à-vis le front O P comme au corps de la place, en décrivant des points O & P pris pour centres, & d'un intervalle de 12 toises des arcs de cercle en-dehors de l'ouvrage, & tirant ensuite par les angles de l'épaule T & S des lignes tangentes à ces arcs. A l'égard du fossé des aîles O M, P N, il sera terminé par des paralleles à ces côtés à la distance de 12 toises. Le terre-plein du rempart de cet ouvrage a quatre toises de largeur comme celui de la demi-lune.

Remarques. 1°. Il faut prendre garde que les angles flanqués O & P des demi-bastions de l'ouvrage à corne aient au-moins 60 degrés : s'ils n'avoient pas cette valeur, il faudroit, pour les augmenter, diminuer le côté extérieur O P.

2°. Quelle que soit la grandeur de O P, on déterminera toûjours la perpendiculaire L R en lui donnant environ la sixieme partie de ce côté ; on déterminera de même les faces en leur donnant les deux septiemes du même côté.

3°. Les aîles ou les branches de l'ouvrage à corne sont flanquées par les faces des bastions sur lesquelles tombent leur prolongement ; à l'égard de la partie extérieure ou du front de l'ouvrage, il se défend lui-même de la même maniere que les fronts des places.

4°. Indépendamment de l'ouvrage à corne construit devant la courtine E F, on y fait aussi une demi-lune Y qui se construit comme il a été enseigné à l'article DEMI-LUNE. On en construit aussi une Z devant le front de l'ouvrage à corne, & de la même maniere. Elémens de fortific. (Q)

OUVRAGE A COURONNE, c'est, dans la Fortification, un ouvrage composé de deux fronts, c'est-à-dire, d'un bastion entre deux courtines, & de deux demi-bastions, qui avance dans la campagne, & qui est joint à la place comme l'ouvrage à corne par deux longs côtés, appellés ses aîles ou ses branches.

L'ouvrage à couronne se place ordinairement devant les courtines, mais on peut le placer aussi devant les bastions.

Pour construire un ouvrage à couronne devant une courtine A B (Pl. IV. de Fortific. fig. 5.), on prolongera indéfiniment vers la campagne la perpendiculaire élevée sur le milieu du côté du polygone, pour la construction de l'enceinte de la place, de l'angle rentrant L de la contrescarpe, & de l'intervalle de 150 ou 160 toises ; on décrira un arc indéfini H K I, qui coupera la perpendiculaire prolongée en K ; on prendra ensuite le point K pour centre, & de l'intervalle de 120 toises, on décrira de part & d'autre, du point K, deux arcs de cercles qui couperont le premier arc en H & en I ; l'on tirera les lignes K H, K I, qui seront les côtés extérieurs de l'ouvrage à couronne, que l'on fortifiera comme l'on a fortifié le côté extérieur de l'ouvrage à corne, c'est-à-dire, en observant de donner 20 toises à la perpendiculaire élevée sur le milieu de chacun de ces côtés, ou la sixieme partie du côté, & deux septiemes ou 35 toises pour les faces du bastion & des demi-bastions de cet ouvrage.

Pour avoir les aîles de l'ouvrage à couronne, on marquera les points C & D sur les faces des bastions, vis-à-vis lesquels l'ouvrage à couronne est construit ; à 15 toises des angles de l'épaule E & F, l'on tirera les lignes I D, H C, seulement jusqu'à la rencontre de la contrescarpe en N & en M, & I N & H M seront les aîles de cet ouvrage.

Le parapet, le rempart, & le fossé de l'ouvrage à couronne, se construisent comme dans l'ouvrage à corne ; on donnera de même 4 toises au terre-plein du rempart, & 12 toises de largeur au fossé.

On peut construire des demi-lunes O devant chaque front de l'ouvrage à couronne, comme devant celui de l'ouvrage à corne.

On pourra construire un ouvrage à couronne devant un bastion, comme on vient de le faire devant une courtine, en prolongeant sa capitale de 140 ou 150 toises, & décrivant de l'angle flanqué un arc indéfini de cet intervalle pris pour rayon, & portant ensuite de part & d'autre de cet arc, du point où il est coupé par le prolongement de la capitale du bastion, 120 toises pour avoir les côtés extérieurs de cet ouvrage : on tirera de leurs extrémités les aîles sur les faces du bastion, devant lequel cet ouvrage sera construit à 15 ou 20 toises des angles de l'épaule ; & l'on achevera le reste de cet ouvrage comme le précédent, construit devant une courtine.

On observera que les angles flanqués de demi-bastions, aient au-moins 60 degrés. S'ils se trouvent trop aigus en alignant les côtés sur la face du bastion, on pourra les aligner sur les faces des demi-lunes collatérales, ou plutôt à 10 toises des angles de l'épaule des deux bastions collatéraux de l'ouvrage à couronne, parce qu'alors la défense du fossé de ses côtés sera plus directe. Elémens de fortific. (Q)

OUVRAGE A CORNE COURONNE, c'est un ouvrage à corne au-devant duquel est construit un ouvrage à couronne. Voyez OUVRAGE A CORNE & A COURONNE. (Q)

OUVRAGES DE CAMPAGNE, en termes de Fortification, sont ceux que fait une armée qui assiége une place, ou ceux que construisent les assiégés pour sa défense. Telles sont les fortifications des camps & les différens forts qu'on construit pour assurer des passages, & couvrir des postes dont il est important que l'ennemi ne s'empare point. Voyez FORTS & RETRANCHEMENS. Le meilleur ouvrage qu'on ait sur cette matiere est l'Ingénieur de campagne, par M. le chevalier de Clairac. Il laisse peu de choses à desirer sur cet important objet. (Q)

OUVRAGES DETACHES, (Fortificat.) On appelle ainsi les ouvrages du dehors qui couvrent le corps de la place, du côté de la campagne, comme les ravelins, demi-lunes, cornes, tenailles, couronnes, queues d'hirondes, enveloppes, & semblables. (D.J.)

OUVRAGES DETACHES, (Art milit.) On appelle ainsi dans l'art militaire les parapets avec lesquels les assiégeans se retranchent de nouveau, pour pouvoir se défendre contre l'attaque des ennemis. On les divise en généraux & en particuliers. Les ouvrages détachés généraux sont des ouvrages tout nouveaux, construits dans une place attaquée, moyennant lesquels les ouvrages qui se défendent encore, sont rejoints les uns aux autres, comme lorsque deux bastions sont entierement ruinés & qu'on est contraint de les abandonner, ce qui arrive souvent dans les longs siéges. Au contraire quand les assiégés tâchent encore de maintenir un bastion ou un ouvrage de dehors, quoique presque ruiné & mis hors d'état de défense par l'ennemi ; & qu'en abandonnant une partie de ces ouvrages, ils se retranchent de nouveau avec des parapets, on donne alors à cette partie fortifiée une seconde fois le nom d'ouvrage détaché particulier, ou d'ouvrage renversé. On renforce souvent les bastions & les ouvrages de dehors par de semblables ouvrages détachés particuliers ; & on en construit quelquefois avec les ouvrages mêmes, ainsi qu'on le voit à Mastricht, Ypres, Philippeville, &c. (D.J.)

OUVRAGE, (grosses Forges) partie du fourneau de fusion. Voyez l'article FORGE.

OUVRAGES NOIRS, (Forgerie) ce sont les gros ouvrages de fer que peuvent forger les maîtres Maréchaux en vertu de leurs statuts, comme sont des socs de charrues, des houes, des fourges, &c.

OUVRAGE, (Menuiserie) On en distingue d'un grand nombre d'especes. Voyez les articles suivans.

Ouvrage assemblé à petit quadre, est celui dont les moulures sont détachées du champ, dit battant, par une gorge.

Ouvrage assemblé à petit quadre ravalé, est celui dont les moulures qui forment le quadre font saillie sur le battant & la traverse.

Ouvrage assemblé tout quarré, est celui dont les joints sont coupés sur toutes les faces quarrément, & où il n'y a aucune moulure.

Ouvrages assemblés à clé ou goujon, c'est qu'outre les languettes & rainures on y met encore des clés ou des goujons, pour qu'ils soient plus solides. La clé est un morceau de bois de fil, de l'épaisseur de la languette de trois pouces ou environ, qui entre environ de deux pouces dans les mortaises des bois qu'on veut assembler ensemble, lesquelles on a eu soin de faire bien vis-à-vis les unes des autres.

Ouvrages assemblés avec moulure, soit à bouvement simple ou autres moulures, sont toûjours coupés d'onglets, & se nomment assemblages en onglets.

Ouvrages assemblés à plat joint, sont ceux où l'on ne fait ni languettes ni rainures, mais que l'on dresse le plus parfaitement qu'il est possible, desorte qu'il n'y ait aucun jour. Ensuite on fait chauffer les joints, & on les colle ensemble. Ces sortes d'assemblages sont d'usage pour les portes, les tables, les panneaux, &c. A ces assemblages on y met quelquefois des clés ou des goujons.

Ouvrages collés à languette & rainure, lorsque les bois sont trop étroits on en assemble plusieurs ensemble où l'on fait des languettes & des rainures, & ensuite on les colle pour leur donner plus de stabilité. Il faut que la colle soit bien chaude & point trop épaisse, & que les joints soient bien dressés, & les faire chauffer pour qu'ils se collent mieux.

Ouvrages emboîtés, sont ceux au bout desquels on met une piece de bois que l'on nomme emboîture, laquelle est assemblée à tenons & mortaises.

Ouvrages emboîtés à refuite, c'est lorsque les emboîtures étant bien assemblées on a percé des trous pour les cheviller. Avant que de les cheviller, on fait sortir l'emboîture du tenon & les trous qui ont été faits dans le tenon ; on les élargit un peu à droite & à gauche, ce qui les rend ovales & donne de la facilité au bois qui se retire à cause de la sécheresse, ou qui renfle à cause de l'humidité & empêche les tenons de casser.

OUVRAGE A PETIT CADRE ET EMBREVEMENT, est celui dont le cadre est une piece séparée du battant ou traverse, & y est assemblé par doubles languettes & rainures.

OUVRAGE, (Rubanier) s'entend de tout généralement ce qui sort de la fabrique ou des mains de l'ouvrier de ce mêtier.


OUVRAGERv. act. terme de Manufacture, c'est enrichir un ouvrage de divers ornemens ; on le dit des brocards à fleurs, des velours à ramage, des damas, &c. comme aussi de plusieurs autres choses que fabriquent divers artisans, menuisiers, orfévres, sculpteurs, &c.


OUVRÉterme de Tisserand ; le linge ouvré est celui sur lequel le tisserand a fait divers ouvrages, & représenté des figures, des fleurs, des compartimens. On l'appelle aussi linge damassé ; ce linge ne s'emploie qu'au service de la table, ou tout-au-plus à faire des rideaux de fenêtres.


OUVREAUXS. m. terme de Verrerie, c'est dans les fourneaux à verre les bouches ou ouvertures où sont les pots, dans lesquels se fondent les matieres propres à la vitrification. C'est aussi par les ouvreaux que l'on cueille, c'est-à-dire que l'on prend le verre au bout de la felle pour le souffler, qu'on le chauffe & qu'on l'ouvre.

On appelle le grand ouvreau une ouverture du fourneau qui a plus du double des autres ouvertures, & qui est assez grande pour que le plat de verre, dont le diamêtre a plus de deux piés & demi, puisse s'y ouvrir & en sortir sans courir aucun risque d'être cassé en le retirant. Les deux ouvreaux des côtés s'appellent les ouvreaux des aîles, & plus ordinairement les ouvreaux à cueillir.


OUVREUou OUVRIER-FABRIQUANT, (Papetier) c'est le nom qu'on donne à l'ouvrier qui plonge les formes dans les chaudieres, & les en retire chargées de papier pour les donner au coucheur, qui les pose sur les feutres. Voyez au mot PAPIER, & nos Planches de Papeterie.

OUVREUR, terme de Verrerie, ouvreur est celui qui ouvre la bosse après que le gentilhomme l'a soufflée ; on le nomme plus ordinairement bossetier.


OUVRIERS. m. terme général, se dit en général de tout artisan qui travaille de quelque mêtier que ce soit.

On appelle ouvriers en drap d'or, d'argent & soie, & autres étoffes mélangées, ou ouvriers de la grande navette, les fabriquans & manufacturiers qui fabriquent & font sur le mêtier avec la navette toutes sortes d'étoffes d'or & d'argent & de soie, ou mêlées d'autres matieres, comme fleurets, laine, coton, poil & fil ; telles que sont les velours, les damas, les brocards & brocatelles, les satins, les taffetas & tabis, les moires, le papelines, les gazes, les crêpes & autres semblables marchandises, dont les largeurs sont d'un tiers d'aune & au-dessus ; celles au-dessous étant reservées aux maîtres Tissutiers Rubaniers. (D.J.)

OUVRIER, s. m. (Archit.) c'est la qualité d'un homme qui travaille aux ouvrages d'un bâtiment, & qui est à sa tâche ou à la journée.

OUVRIERS, terme de Monnoies, on appelle ainsi dans les hôtels des monnoies, & particulierement dans l'hôtel de la monnoie de Paris, ceux qui coupent, taillent & ajustent les flaons pour les réduire au poids des especes, & les rendre conformes aux déneraux du poids matrices. On leur a donné le nom d'ouvriers pour les distinguer des autres ouvriers, à qui les rois de toute ancienneté ont accordé le droit d'être reçus à travailler avec leurs peres & meres, à tailler les especes ; les femmes sont aussi appellées ouvrieres, mais plus ordinairement tailleresses. Boizard. (D.J.)

OUVRIERS DE FORGE, (Eperonniers) on nomme ainsi dans les anciens statuts des maîtres Selliers-Lormiers ceux d'entr'eux qu'on appelle autrement lormiers-éperonniers, c'est-à-dire ceux qui forgent, vendent les mords, éperons, étriers & autres pieces de fer servant aux harnois des chevaux, ou qui sont propres à monter & suspendre des carrosses, chaises roulantes & autres sortes de voitures : les autres maîtres s'appellent Selliers-garnisseurs.

Ces deux sortes d'ouvriers, qui ne faisoient autrefois qu'une même & seule communauté, sont présentement séparés en deux corps de jurande ; l'un qu'on nomme vulgairement des maîtres éperonniers, quoiqu'ils conservent toujours leur commune qualités de Selliers-Lormiers ; & l'autre des maîtres Selliers, qui à ces deux anciens noms ajoutent encore celui des Carrossiers. Savary. (D.J.)

OUVRIERS A FAÇON, (Manufact.) on appelle ainsi dans les manufactures de drap d'or, d'argent & de soie de la ville de Lyon, les maîtres ouvriers qui travaillent, ou font travailler pour les maîtres marchands, & à qui on ne paye que la façon de leurs ouvrages ; le reste, comme l'or, l'argent, la soie, &c. leur étant fourni par ceux qui les leur commandent. (D.J.)


OUVRIERES. f. femme qui travaille à quelqu'ouvrage des mains que ce soit. Voyez l'article OUVRIER.

OUVRIERE, (Maréchal) la cheville ouvriere d'un carrosse, c'est une grosse cheville de fer qui joint le train de devant à la fleche.


OUVRIERSOUVRIERS

Il faut savoir que c'est une loi de la politique, chez presque tous les princes d'Allemagne, d'accorder des préférences & une sorte de considération à ceux de leurs sujets qui pendant trois ans ont exercé leur profession en pays étrangers, & en rapportent des attestations.

Il faut savoir que le luxe presque inconnu dans la partie de l'Allemagne qui a servi de théatre à la guerre que nous venons d'y faire, y a germé dans la premiere année du séjour que nous y avons fait, & y a jetté de très-profondes racines, depuis ce moment jusqu'à celui de notre départ.

Il faut savoir qu'indépendamment de notre argent, nous avions laissé en Allemagne nos goûts & nos vices ; ceux-ci y resteront, l'autre (l'argent) nous est déja rentré ; les femmes y ont pris le parti de la galanterie & de vouloir plaire, & les maris sont devenus on ne sait trop quoi, depuis que la pipe & le vin ont cessé de leur tenir lieu de tout autre plaisir. Ce n'est pas peut-être pour nous le moindre avantage de la derniere guerre, d'avoir changé les moeurs d'une nation voisine & de les avoir rendues un peu plus ressemblantes aux nôtres ; ce procédé pour nous être utile, n'en est pas plus honnête, mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici.

Il faut savoir que les filles du plus bas étage qui, à notre arrivée portoient une jolie mine, des souliers cirés, & des bas de laine rouge à coins verds (comble du luxe pour lors connu), ont, aidées de nos lumieres, trouvé des moyens qu'elles ignoroient, de se procurer des souliers blancs, des bas de soie blancs, l'éventail & les pompons.

Il ne faut pas savoir, car on le sait, que c'est par les goûts du petit peuple qu'on peut juger des progrès du luxe dans tous les ordres d'une nation.

Il faut savoir que j'ai vu à Izerlohn, petite ville du comté de la Marck, quatre négocians qui de leur aveu faisoient chacun un commerce d'un million à douze cent mille livres, en tabatieres de papier maché, blondes, gazes, pompons, éventails, & autres chiffons, que deux fois l'année ils venoient faire faire en France, pour ensuite les aller vendre aux foires de Léipzig, & des deux Francforts.

Il faut encore savoir que le feu landgrave de Hesse-Cassel tiroit de Paris toutes les choses à son usage, jusqu'à des souliers ; on devine aisément que les seigneurs de sa cour imitoient l'exemple de ce prince.

On sait que les marchandes de modes de Paris envoient à des tems périodiques dans les cours d'Allemagne & du nord, des poupées toutes habillées, pour y faire connoître l'élégance des coëffures, les étoffes de mode & de saison, & le goût régnant pour la grace & la parure des habillemens de femmes.

Il faut donc craindre que notre luxe qui ne sera jamais bien dangereux pour nous, tant qu'il sera branche de commerce, & tant que les étrangers voudront bien en être tributaires & en soudoyer les artisans, ne nous devienne nuisible quand ces mêmes étrangers, qui en ont le goût, pourront le satisfaire sans avoir recours à nous.

Il faut donc craindre les suites de la perfection que nous permettons aux ouvriers étrangers d'acquérir parmi nous dans nos manufactures, & dans l'exercice de toutes les professions, même les plus basses.

Si l'on dit que l'affluence de cette espece d'ouvriers diminue le prix de la main-d'oeuvre, sans diminuer le prix de la chose manoeuvrée, ce sera présenter la nécessité de balancer le bénéfice momentané du moindre prix de cette main-d'oeuvre, & la perte résultante pour toujours du défaut de vente de choses travaillées à un prix quelconque, par les mains de la nation seule.

Le mal est encore que ces ouvriers qui ont été dégrossis dans leur pays, n'arrivent pas en France comme apprentifs, ils y sont ce qu'on appelle compagnons ; comme tels, ils ne paient pas de droits d'apprentissage à la communauté dont est le maître chez lequel ils travaillent, celui-ci au contraire les nourrit & leur donne tant par mois ; y auroit-il donc de l'injustice publique à exiger des sujets de puissances étrangeres, lesquels entrent dans le royaume & en sortent quand il leur plait, moitié du gain qu'ils font chez nous, en acquérant des connoissances dans les professions dont la perfection portée à l'étranger, nous sera nécessairement nuisible. Nous ne permettons l'introduction dans le royaume de certaines étoffes, qu'au moyen de l'acquit de gros droits ; il en est d'autres qui ne sont point acquitables, & tout cela pour le soutien de nos manufactures. Si ces précautions sont bien, & que l'indulgence pour les ouvriers étrangers travaillans parmi nous, soit encore bien, il s'ensuit que tout est bien, & que les inconséquences soutiennent les empires.

Il seroit donc très-nécessaire d'ordonner le dénombrement de ces étrangers, dans chaque profession, soit à Paris, soit dans les principales villes du royaume.

Voilà le mal de leur introduction dans le royaume, à-peu-près dévoilé ; il faut essayer de montrer dans le lointain le bien qui pourroit en résulter.

Le dénombrement fait, ne pourroit-on pas retenir ces étrangers parmi nous ? & pour y parvenir, ne pourroit-on pas statuer par un édit, que ceux d'entr'eux qui épouseront des filles de maîtres dans la profession qu'ils exercent, seront ipso facto naturalisés françois, seront admis à la maîtrise comme fils de maîtres, & ne payeront pendant les dix premieres années de leur mariage, que moitié de la taille ou capitation que payeroit un nouveau maître de même profession, de même richesse, ou de même pauvreté.

L'objection, qu'il seroit ridicule de traiter plus favorablement les étrangers que les sujets du roi, seroit foible : on ne fait pas dans les villes ou villages, de rôles de taille ou de capitation, pour chaque corps de métier en particulier ; c'est la masse des habitans de chaque lieu qui est imposée, & chaque ouvrier est compris dans le rôle général ; un artisan étranger, en retournant dans sa patrie, est quitte avec la France ; le peu qu'il payera en y restant marié, sera toujours à la décharge de la société ; les dix ans expirés il rentrera dans la classe commune ; pendant ce tems il aura fait sept ou huit enfans, s'il s'est trouvé dans l'aisance, car l'aisance a la vertu prolifique, & entre de bonne foi dans les desseins de la nature ; l'augmentation de la contribution aux charges & fraix publics ne sera plus un motif suffisant pour déterminer cet étranger à retourner dans sa patrie, où, à cette époque, il n'auroit plus d'habitude ni de connoissance, & où il auroit une femme & des enfans à conduire.

Voilà une branche de population qui ne pourroit être jugée mauvaise, qu'autant qu'on auroit inutilement essayé de la rendre bonne. Article de monsieur COLLOT, commissaire des guerres.


OUVRIRv. act. (Gramm.) c'est en général séparer ce qui étoit auparavant voisin ou contenu ; c'est le contraire de fermer. On ouvre une porte ; on ouvre une armoire, une serrure ; on ouvre une lettre ; on s'ouvre des vûes sur la campagne ; on ouvre un pâté, des huîtres, une bouteille ; on ouvre la terre, la tranchée ; on ouvre la bouche, un livre, la veine, un cadavre, la transpiration, un canal ; on ouvre les rangs ; on ouvre un corps en relâchant le tissu ; on ouvre une haie, les bras, les jambes, les cuisses ; on ouvre le fruit qui s'ouvre quelquefois de lui-même ; on ouvre une boutique, & l'on ouvre boutique ; on ouvre sa bourse à son ami ; on ouvre l'oreille ; on ouvre deux pointes de montagnes ou de clochers, c'est-à-dire qu'on les sépare à l'oeil l'une de l'autre par la position qu'on prend à leur égard ; on ouvre un bon avis ; on ouvre le chemin à une découverte ; on ouvre la porte à l'honneur, à la honte, au crime, au sort, au plaisir ; on ouvre son coeur à des traîtres, son sentiment à des aveugles, sa pensée à des fourbes ; l'ame s'ouvre à la joie ; on s'ouvre à son directeur ; on s'ouvre au jeu, dans les affaires, dans une négociation ; l'esprit des jeunes gens s'ouvre quelquefois avec l'âge : on ouvre une assemblée ; on l'ouvre par un discours ; on ouvre le champ de bataille ; on ouvre le jeu ; la foule s'ouvre devant le roi, &c.

OUVRIR UN COMPTE, (Commerce) c'est le placer dans le grand livre. Voyez COMPTE & LIVRE.

OUVRIR LES PEAUX, termes de Chamoiseur, c'est les faire passer sur le poinçon, pour les rendre plus molles & plus maniables.

OUVRIR, terme de Fourbisseur, c'est par le moyen de l'écarissoir aggrandir l'oeil du pommeau pour y introduire la soie.

OUVRIR, en terme de Gantier-Parfumeur, c'est élargir & détirer le gant à mesure qu'il seche pour qu'il ne se ride point.

OUVRIR LA LAINE, (Lainage) c'est la battre sur une claie, pour en faire sortir la poussiere & les ordures, & la passer ensuite entre les deux grosses cardes, qu'on nomme cardasses en Languedoc, dont le cardeur en tient une à la main, & l'autre est attachée sur une espece de chevalet. (D.J.)

OUVRIR UNE APPLIQUE, (Metteur-en-oeuvre) c'est y percer avec le drille les trous, pour recevoir les pierres, & les ouvrir avec une lime ronde.

OUVRIR, en terme de Serrurier, c'est lorsqu'on a percé une piece à froid ou à chaud, en finir l'ouverture, & lui donner la derniere forme qu'elle doit avoir ; on ouvre l'anneau d'une clé lorsqu'elle est enlevée & que l'on a percé le bout avec un poinçon : on l'ouvre sur le bout de la bigorne, & on le ravale dans l'étau.

OUVRIR, en terme de Cornettier, est l'action d'applatir en gros les galins fendus ; ce qui se fait à l'aide d'une tenaille & d'une pince attachée par un bout à un banc ou établi. Cette pince tient le galin pendant qu'on l'ouvre, en l'abaissant avec les tenailles à main. Voyez PINCES & TENAILLES A MAIN.

OUVRIR LA BOSSE, terme de Verrerie, c'est lorsqu'après que le verre soufflé à plusieurs reprises a pris enfin la forme d'un bocal ou d'une calebasse, ce que les ouvriers appellent bosse, & qu'il a été incisé & branché, on le présente au feu du grand ouvreau, & qu'on l'y tourne en rond jusqu'à-ce que cette bosse s'étende d'elle-même, & s'ouvre tout-à-fait, ensorte qu'elle forme ce qu'on appelle un plat ou rond de verre.

On dit aussi ouvrir le verre à l'égard du verre en table, lorsque le gentilhomme-verrier ayant incisé en long le cylindre qu'il a soufflé, & l'ayant coupé par deux extrémités, le reporte à l'ouvreau ; & qu'après qu'il est suffisamment chauffé, il l'ouvre & l'applatit avec une verge ou baguette de fer. Savary. (D.J.)

OUVROIR, s. m. (Archit. civile) c'est dans un arsenal, ou une manufacture, un lieu séparé où les ouvriers sont employés à une même espece de travail. C'est aussi, dans une communauté de filles, une salle longue en forme de galerie, dans laquelle à des heures réglées, elles s'occupent à des exercices convenables à leur sexe. Il y a un bel ouvroir dans l'abbaye royale de S. Cyr. près de Versailles. (D.J.)

OUVROIR, (Com.) vieux mot qui signifie la même chose que boutique. Voyez BOUTIQUE. Il signifie encore aujourd'hui ces boutiques légeres & mobiles, faites de bois, qu'ont les maîtres Savetiers de Paris, presqu'à tous les coins des rues, derriere lesquelles ils étalent leurs marchandises, & travaillent de leur métier. On les appelle autrement des étals ou étaux. Voy. ETAL & ETAU. Dict. de Com.

OUVROIR, s. m. (Lainage) c'est dans les manufactures de lainage, le lieu où sont montés les métiers, & où les ouvriers travaillent.


OUYOUI, adj. (Gramm.) c'est le signe d'affirmation ; il devient quelquefois celui de la négation, lorsque la prononciation le rend ironique : il obéit. Il a encore d'autres acceptions dont l'usage ne permet guere de méconnoître la valeur.


OUZOIR(Géog.) il y a quantité de lieux en France qui portent le nom d'Ouzoir ou Ozoir, ou Ozoner, ou Oroer, ou enfin Ovoir. Tous ces mots de bourgs, villages & lieux, viennent du latin oratorium, oratoire, mot qui signifie un monastere, un autel, une chapelle, un petit édifice consacré à la priere. Voyez ORATOIRE. (D.J.)


OVAIRES. m. (Botan.) parmi les Botanistes le mot ovaire désigne l'endroit où les semences des plantes sont attachées, & où elles reçoivent leur nourriture. Il y a des plantes dont l'ovaire est découvert, comme celui des renoncules, du clématitis, &c. Il y en a d'autres dont l'ovaire est fait en cornet, en graine, en boëte, &c. & par conséquent dont les semences sont couvertes, comme on le voit dans l'aconit, dans la linaire, dans l'apocin, &c. Ainsi le mot d'ovaire est plus étendu que celui de capsule, car toutes les capsules sont des especes d'ovaire, & tous les ovaires ne sont pas des capsules. (D.J.)

OVAIRE, s. m. (Anatom.) les deux corps blanchâtres, ovales, applatis, qu'on nomme ovaires, attachés aux côtés du fond de l'utérus, si petits avant l'âge de puberté, relevés & polis dans cet âge, ridés dans les vieilles, & remplis de cicatrices dans celles qui ont eu plusieurs enfans, sont d'une substance encore inconnue ; voici ce qu'en disent les Anatomistes.

Ces organes sont situés dans le bassin de l'hypogastre, sur la face interne de l'os des îles, aux côtés du fond de la matrice, dont ils ne sont éloignés que de deux bons travers de doigt.

Ils sont attachés à ce viscere par un ligament fort, que les anciens prenoient mal à-propos pour un vaisseau déférant, puisqu'il n'est pas creux ; & les trompes de Fallope leur tiennent encore lieu d'une seconde attache à la matrice, aussi bien que ses ligamens larges, sur lesquels ils sont placés : par-en-haut, ils sont attachés aux vaisseaux spermatiques, par le moyen du péritoine, desorte qu'ils y sont comme suspendus. Lorsque les femmes ne sont pas grosses, leur situation est parallele au fond de la matrice ; mais au tems de la grossesse, ils approchent plus de ses côtés & de son cou, dont son fond se trouve alors fort éloigné.

La figure des ovaires n'est pas exactement ronde, mais large & applatie, tant à leur partie antérieure, qu'à leur partie postérieure ; & leur surface est inégale dans les vieilles femmes, mais égale & polie dans les jeunes.

Leur grandeur est différente selon les âges : les jeunes filles les ont d'un plus gros volume que les femmes d'un âge avancé ; leur grosseur n'excéde pas néanmoins pour l'ordinaire celle d'un oeuf de pigeon.

Ils sont couverts de deux membranes : l'une qui leur est propre, & l'autre qu'ils empruntent du péritoine. Etant dénués de ces membranes, leur substance paroît assez blanche : elle est composée de membranes & de fibres attachées lâchement les unes avec les autres ; & entretissues de beaucoup de veines, d'arteres & de nerfs. Leurs veines & leurs arteres viennent des spermatiques, & ils reçoivent des nerfs des intercostaux ; ils ont aussi des vaisseaux lymphatiques, qui se déchargent dans le réservoir du chyle.

Il y a des choses bien singulieres à remarquer dans les ovaires : ils ne s'y rencontre que trop communément de petites vésicules, qui sont remplies d'une eau claire & limpide, lesquelles étant cuites comme les oeufs des volatiles, deviennent dures, & ont la même couleur & le même goût que le blanc de ces oeufs ; ce qui est cause qu'on les prend pour la matiere de la génération ; qu'on les fait servir aux mêmes usages que les oeufs des oiseaux ; qu'on leur en donne le nom, & celui d'ovaires aux deux organes qui les contiennent. Ces oeufs ont chacun deux membranes propres, qui sont parsemées d'un grand nombre de petites branches de veines, d'arteres & de nerfs.

On trouve quelquefois dans les ovaires des vésicules qui contiennent une humeur aqueuse, & qui sont quelquefois plus grosses que les oeufs mêmes ; mais qui ne s'endurcissent point quand on les fait cuire : ce sont de faux oeufs qu'on appelle des hydatides.

Les oeufs different beaucoup les uns des autres dans un même ovaire. Dans les femmes les plus gros oeufs ne passent pas la grosseur d'un pois : on les trouve dans tous les animaux. L'âge & la grossesse y apportent un grand changement ; car dans les jeunes animaux ils sont fort petits, & plus gros dans ceux qui sont âgés. On en trouve quelquefois jusqu'à 20 dans un ovaire, enfermés chacun dans une petite cellule, à laquelle se terminent beaucoup de veines & d'arteres, tant pour porter la nourriture à l'oeuf, que pour remporter le superflu.

Dans l'ouverture des cadavres des femmes, on a trouvé quelquefois un des ovaires de la grosseur du poing, rempli d'une humeur gluante, verdâtre, & quelquefois plein de cheveux. On a trouvé encore ces mêmes ovaires charnus, & d'autres fois d'un volume si considérable, qu'ils contenoient plusieurs livres d'eau : quelquefois on y a rencontré de petites pierres, du suif & choses semblables. Dans une femme âgée de 24 ans, M. Ruysch y a trouvé des dents, entr'autres une dent molaire. Voyez aussi les mém. de l'acad. des Sciences, ann. 1743.

La plûpart des anatomistes modernes croient que ces oeufs étant rendus féconds, lorsqu'ils sont pénétrés par la partie spiritueuse de la liqueur séminale, sont portés des ovaires des femmes dans la matrice par les trompes de Fallope, où les petites découpures du morceau frangé les ont engagés ; qu'ils s'accroissent dans la cavité de ce viscere par la nourriture qui leur est fournie, & que la matiere intérieurement contenue dans ces oeufs, sert à former le foetus, & ses enveloppes à produire l'arriere-faix.

Ils étalent plusieurs raisons pour appuyer leur système, que le foetus se forme de cet oeuf qui se détache de l'ovaire. 1°. Tous les animaux ont des ovaires : 2°. Riolan, Graaf, Eltsoltzius, rapportent qu'ils ont trouvé le foetus dans les tuyaux par où passent ces oeufs : 3°. on a trouvé un foetus dans les trompes, d'où il a été retiré âgé de 21 mois, & la mere n'est pas morte dans l'opération. Voyez aussi l'observation de M. Littre dans les Mém. de l'acad. des Scienc. ann. 1701. 4°. M. Ruysch a fait voir un oeuf détaché récemment de la trompe, tournée vers l'ovaire pour recevoir cet oeuf : 5°. l'expérience de Nuck appuie fortement cette opinion. Il prit une chienne, & quelques jours après l'avoir fait couvrir, il trouva deux oeufs qui étoient fort grossis dans l'ovaire ; il lia la corne de la matrice qui regardoit ces oeufs, il referma la plaie ; & 21 jours après ayant rouvert cette chienne, il vit deux foetus dans la corne, entre la ligature & l'ovaire. 6°. Enfin les femelles ne sauroient concevoir sans les ovaires ; car les chiennes qu'on a coupées ne conçoivent pas, & n'ont plus aucun penchant à l'amour, comme si les ovaires seuls les y excitoient. (D.J.)

OVAIRE, pierre, (Hist. nat.) lapis ovarius ; pierre formée par un assemblage de petits globules semblables à des oeufs de poisson. Voyez OOLITE. (-)


OVALES. f. (Botan.) on appelle en Botanique un fruit ovale, non seulement celui qui approche de la figure d'un oeuf, mais encore celui dont la coupe d'un bout à l'autre ressemble à une ovale méchanique, & quelquefois les deux bouts en sont pointus. (D.J.)

OVALE, (Géom.) est une figure curviligne oblongue, dont les deux diametres sont inégaux, ou une figure renfermée par une seule ligne courbe, d'une rondeur non uniforme, & qui est plus longue que large, à-peu-près comme un oeuf, ovum, d'où lui est venu le nom d'ovale. Voyez ALLONGE.

L'ovale proprement dite, vraiment & semblable à un oeuf, est une figure irréguliere, plus étroite par un bout que par l'autre, en quoi elle differe de l'ellipse, qui est une ovale mathématique, également large à ses deux extrêmités. Voyez ELLIPSE.

Le vulgaire confond ces deux especes d'ovales ; les Géometres appellent l'ovale proprement dite, fausse ellipse.

Voici la méthode la plus en usage parmi les ouvriers pour décrire l'ovale, appellée communément ovale du Jardinier, & qui n'est autre chose qu'une ellipse. On prend une corde E f m (Pl. géom. fig. 48.) dont la longueur soit égale au grand diametre de l'ovale, & dont on attache les extrêmités aux deux points, ou clous E F, qui sont sur le grand diametre ; ensuite par le moyen d'un stile M, on conduit la corde autour de ces deux points : l'ovale est d'autant plus oblongue, que les deux points, ou clous E F, sont plus éloignés l'un de l'autre. Voyez ELLIPSE.

Voici une maniere de décrire une espece d'ovale. Ayant décrit (fig. 25. sect. con.) les deux cercles A C, soient tirées deux lignes A E, C E, telles que C E = A E + A B - C D. Il est constant que A E + A B, sera = C E + C D ; & qu'ainsi du centre E, & du rayon E D, on pourra décrire un arc B D, qui touchera les deux cercles en B & en D. Si on en fait autant de l'autre côté, on aura l'ovale complete B D d b.

Si les deux cercles A, C, sont inégaux, alors l'ovale sera plus large à une extrêmité qu'à l'autre. S'ils sont égaux, elle sera également large à ses deux extrêmités. Il y a des géometres qui, dans ce dernier cas, regardent l'ovale ainsi décrite, comme une ellipse ; mais il est aisé de prouver qu'ils se trompent, car l'ellipse n'est point composée d'arcs de cercles. Voyez ELLIPSE. (O)

OVALE, en Anatomie, est un nom que l'on donne à différentes parties, qui ont ou la figure d'un oeuf, ou d'une ligne qu'on appelle ovale ou ellipse. Voyez ELLIPSE.

C'est dans ce sens qu'on appelle la partie du cerveau, située entre la substance tendre & les ventricules latéraux, le centre ovale ; parce que la substance médullaire représente un oeuf. Voyez CERVEAU.

Le trou ovale ou trou botal du coeur du foetus, voyez FOETUS & COEUR, & le trou ovale des os des isles, voyez OS DES ISLES.

Les trous ovales de la base du crâne. Voyez CRANE.

OVALE ralongée ou rampante, (Archit.) dans le premier cas, c'est la cherche ralongée de la coquille d'un escalier ovale ; & dans le second, c'est une ovale biaise ou irréguliere, qu'on trace pour trouver des arcs rampans dans les murs d'échiffre d'un escalier. Daviler. (D.J.)

OVALES, dans l'orgue, ce sont les levres supérieures des tuyaux des tourelles. Voyez MONTRE de 16 piés, & les fig. 1 & 31 Pl. d'orgue.

OVALE DE JARDINIER, (Jardinage) c'est une figure qui se trace par le moyen d'un cordeau, dont la longueur doit être égale aux plus grands diametres de l'ovale, & qui est attaché par ses extrêmités à deux piquets, aussi plantés dans le grand diametre, pour former cet ovale d'arc. (D.J.)

OVALE, machine dont nous avons expliqué l'usage, & donné la description à l'article DENTELLE.


OVATIONS. f. (Antiq. rom.) ovatio ; petit triomphe, qui ne consistoit qu'en une assez modique pompe, comparée à celle du grand triomphe. Ici le vainqueur, vêtu seulement d'une robe blanche bordée de pourpre, marchoit à pié, ou à cheval, à la tête de ses troupes, sans autre marque de ses succès que les acclamations populaires, que quelques couronnes de myrte, & qu'une partie de son armée qui le précédoit au son des flûtes. Le sénat néanmoins, les chevaliers, & les principaux citoyens, assistoient à son triomphe, dont la marche se terminoit au capitole, où l'on sacrifioit aux dieux des brebis blanches ; mais dans le grand triomphe le vainqueur, monté sur un char, étoit couronné de lauriers, & précédé de lauriers ; il parcouroit la ville jonchée de fleurs, & se rendoit au capitole, où il sacrifioit un taureau.

Cependant la même liberté qu'avoient les soldats de brocarder leurs généraux dans les grands triomphes, regnoit aussi dans les ovations. Le consul Valérius ayant fait des levées malgré la faction de Ménenius tribun du peuple, & ayant repris par sa valeur la forteresse de Caravantane sur les ennemis, le sénat lui décerna l'honneur du petit triomphe. Il crut devoir le lui accorder, quoiqu'il fût mal voulu du peuple & de l'armée, tant à cause de l'opposition qu'il avoit faite à la loi agraire, proposée par le même tribun Ménenius, que parce qu'il avoit mis tout le butin dans le trésor de l'épargne. Le soldat ne manqua pas, dit Tite-Live, d'user de sa licence ordinaire, & de brocarder son général dans des chansons grossieres, où il affecta d'élever le mérite du tribun par une infinité de louanges, auxquelles le peuple qui étoit accouru en foule, répondit à l'envi par ses acclamations. Les nouveaux applaudissemens du peuple jetterent plus d'effroi dans le sénat, que n'avoit fait l'insolence du soldat à l'égard du consul.

Le petit triomphe a été nommé ovation, dit Denis d'Halicarnasse, d'un mot grec que les Romains ont corrompu : le mot grec dont Denis d'Halicarnasse prétend que les Romains firent celui d'ovatio, est , qui signifie clameur ou cri de joie, que poussent les soldats après le gain d'une bataille. La corruption de ce mot est le changement de l'e en o, qui n'est pas extraordinaire chez les Grecs. Ce sentiment est appuyé de Festus : quasi vero romani, dit cet auteur, , graecorum vocem, quae clamorem significat, ovationis nomine voluerint imitari : " comme si les Romains, dit-il, eussent voulu imiter des Grecs, le mot , qui signifie cri de joie, par celui d'ovatio ".

Pour donner encore une interpretation plus précise du mot grec , ou , d'où les Romains formerent le terme d'ovatio, quelques savans croient pouvoir le tirer de l'ancien cri de joie ou , que les Grecs faisoient retentir dans les bacchanales en l'honneur de Bacchus. Les Romains dans ce nouveau genre de triomphe, emprunterent ces mêmes termes , par lesquels ils applaudissoient au vainqueur, & pour en conserver l'origine, ils le nommerent ovatio ; & de même que les Grecs firent le mot , pour signifier applaudir, les Latins firent pareillement celui d'ovari, pour signifier la même chose. D'où vient qu'on lit dans Virgile, liv. VI. de l'Enéide :

Evantes orgia circum

Ducebat phrygias.

Ensuite du verbe evari, les Romains firent le nom evationes, pour rendre l' des Grecs. Enfin par une corruption qui fit perdre de vûe l'ancienne étymologie, ils firent le mot ovatio.

Plutarque dans la vie de Marcellus, donne une autre origine au mot ovatio ; il prétend que les Romains l'ont tiré du latin ovis, parce que, dit-il, ceux à qui l'on accordoit le petit triomphe, n'immoloient à Jupiter qu'une brebis ; tandis que ceux qui avoient les honneurs du grand triomphe, sacrifioient un taureau. Cette étymologie de Plutarque est la plus généralement approuvée.

Quoi qu'il en soit, Posthumius Tubertus fut le premier consul pour lequel on établit, vers l'an 325 de Rome, ce nouveau genre de triomphe qu'on appella ovation ; on le lui décerna pour la victoire qu'il remporta sur les Sabins. Le sénat voulut mettre quelque distinction entre lui & son collegue, qui eut les honneurs du grand triomphe, pour lui faire sentir le mauvais succès de sa premiere entreprise. Dans la suite, on n'accorda que l'ovation, à ceux qui avoient remporté la victoire sans grande perte de la part des ennemis, sans terminer la guerre, ou qui n'avoient défait que des rebelles, des esclaves, des pirates, en un mot, des ennemis de peu de conséquence pour la république.

Enfin on décerna quelquefois l'ovation à ceux qui n'étant chargés d'aucune magistrature, ni d'aucun commandement en chef, rendoient à l'état des services importans. Nous trouvons, par exemple, qu'un particulier obtint cet honneur l'an de Rome 800. Je parle d'Aulus Plautius qui, sous les auspices de Claude, réduisit en province la partie méridionale de la Grande-Bretagne. L'empereur lui fit décerner le petit triomphe, vint au-devant de lui le jour qu'il entra dans Rome, l'accompagna pendant la cérémonie, & lui donna toujours la main. Il me semble qu'on ne connoît point d'ovation postérieure à celle de Plautius. (D.J.)


OVES. m. (Architect. civile) c'est une moulure ronde, dont le profil est ordinairement un quart de cercle : Vitruve l'appelle échine, & lui donne une convexité plus petite que celle d'un demi-cercle. Sa hauteur est de 3 à 6 minutes d'un module, & sa saillie 2/3 de la hauteur. On met les oves dans les moulures des corniches pour y servir d'ornement ; & dans le chapiteau d'une colonne on place l'ove sous l'abaque. Voyez les édifices antiques de Rome par Desgodets. (D.J.)


OVER-ISSELL ', (Géogr.) en latin Transidalana provincia, l'une des sept Provinces-Unies, au-delà de l'Issel, bornée N. par la Frise & le terrein de Groningue, O. par l'Issel, S. par le comté de Zutphen, E. par l'évêché de Munster : on la divise en trois parties principales, qui sont le pays de Drente, de Twente, & le Sallant.

Il est remarquable que dans la province d'Over-Issel tous les gentils hommes qui y possedent des terres seigneuriales de la qualité requise, font partie des états de cette province. Lorsque la république paye cent mille florins, la cote-part de la province de Hollande est 58309 florins 1 sol 12 deniers, & celle de l'Over-Issel est 3571 florins 8 sols 4 deniers. (D.J.)


OVERFLACKÉE(Géog.) petite île des Pays-Bas, dans la partie méridionale de la Hollande, audessus de l'île de Gorée.


OVERLANDERSS. m. pl. terme de Marinier. Les overlanders sont des petits bâtimens qui navigent sur le Rhin & sur la Meuse, & qui chargent ordinairement de la terre & du sable pour faire des ouvrages de poterie & de verre. (D.J.)


OVESS. m. pl. (Architect.) ornemens qui ont la forme d'un oeuf renfermé dans une coque imitée de celle d'une châtaigne, & qui se taillent dans l'ove, voyez OVE.

On appelle oves fleuronnés ceux qui paroissent enveloppés par quelques feuilles de sculpture : on en fait en forme de coeur ; aussi les anciens y mettoient-ils des dards pour symboliser avec l'Amour. (D.J.)


OVICULES. m. (Archit.) c'est un petit ove ; Baldus croit que c'est l'astragale lesbien de Vitruve. Quelques auteurs nomment ovicule, l'ove ou moulure ronde des chapiteaux ionique & composite, laquelle est ordinairement taillée de sculpture. (D.J.)


OVIDOS(Géog.) petite ville de Portugal dans l'Estramadure, sur une hauteur, à 9 lieues de Santaren. Long. 9. 45. lat. 39. 5. (D.J.)


OVIÉDA(Botan.) nom que donne Linnaeus au genre de plante appellé valdia par le pere Plumier. En voici les caracteres. Le calice de la fleur est court, formé d'une seule feuille, large, légérement divisée en cinq segmens droits & pointus. Ils subsistent après que la fleur est tombée. La fleur est monopétale & du genre des labiées. Le tube est fort long, fort menu, & attaché au germe du pistil. Il est un peu plus épais au sommet qu'à la base ; la levre supérieure est creuse & évasée ; l'inférieure est partagée en trois segmens. Les étamines sont quatre filets plus longs que la fleur. Les bossettes des étamines sont arrondies. L'embryon du pistil est rond & placé entre le calice & la fleur. Le style est chevelu & de la longueur des étamines ; le stygma est fendu en deux & aigu. Le fruit est une baie sphérique, placée dans le calice qui grossit pour le recevoir, & qui est fait en forme de cloche. Les graines sont ovales & au nombre de deux. Linnaei, gen. plant. p. 295. Plumier, gen. 24. (D.J.)


OVIÉDO(Géog.) ville d'Espagne, capitale de l'Asturie d'Oviédo, avec un évêché qui ne releve que du pape, & une université. Il s'y tint un concile en 901. Elle est sur les ruisseaux nommés l'Ove & la Deva, à 46 lieues N. E. de Compostelle, 10 N. O. de Léon, 83 N. O. de Madrid. Long. 11. 48. lat. 43. 23. (D.J.)


OVILIou SEPTA, (Hist. anc.) c'étoit un endroit du champ de Mars dans l'ancienne Rome, qui fut d'abord fermé & entouré de barrieres comme un parc de brebis, d'où lui est venu le nom d'Ovilia. Dans la suite, cet endroit fut environné de murailles de marbre, & l'on y pratiqua des galeries où l'on se promenoit ; on y plaça aussi un tribunal d'où l'on rendoit la justice.

C'étoit dans l'enceinte de ce lieu que le peuple donnoit les suffrages pour l'élection des magistrats. Voyez CHAMP DE MARS.

On montoit à l'Ovilia non par des degrés, mais par des especes de ponts destinés à cet usage. Chaque curie, chaque tribu, chaque centurie (selon que l'assemblée étoit par centurie, par tribus ou par curies), avoit son pont particulier. De-là vint l'espece de proverbe, de ponte dejiciendus, pour dire qu'une personne devoit être privée du droit de suffrage. Voyez COMITIA.


OVIPAREadj. terme d'Histoire naturelle, que l'on applique aux animaux qui se multiplient en faisant des oeufs comme les oiseaux, insectes, &c. Voyez OEUF, INSECTE, ANIMAL, &c.

On oppose ce genre d'animaux à ceux qui produisent leurs petits tous vivans, & que l'on appelle vivipare, comme l'homme, les quadrupedes, &c. Voyez GENERATION.

Ces animaux sont ceux qui pondent des oeufs, lesquels ayant été couvés par la mere, ou mis en fermentation par quelque autre principe de chaleur, produisent enfin des petits : ceux-ci se mettent eux-mêmes au monde, après avoir consumé l'humidité ou l'humeur dont ils étoient environnés, & après avoir acquis un certain volume & des forces suffisantes pour rompre la coque de l'oeuf.

Ce genre, outre les oiseaux, renferme diverses especes d'animaux terrestres, comme les serpens, lésards, tortues, cancres, écrevisses, &c. Voyez OVAIRE.


OVISSA(Hist. mod. culte) c'est le nom sous lequel les habitans du royaume de Benin en Afrique désignent l'être suprême. Ils ont, suivant le rapport des voyageurs, des idées assez justes de la divinité, qu'ils regardent comme un être tout-puissant, qui sait tout, qui, quoique invisible, est présent partout, qui est le créateur & le conservateur de l'univers. Ils ne le représentent point sous une forme corporelle ; mais comme ils disent que Dieu est infiniment bon, ils se croient dispensés de lui rendre leurs hommages, qu'ils réservent pour les mauvais esprits ou démons qui sont les auteurs de tous les maux, & à qui ils font des sacrifices pour les empêcher de leur nuire. Ces idolâtres sont d'ailleurs fort superstitieux, ils croyent aux esprits & aux apparitions, & sont persuadés que les ombres de leurs ancêtres sont occupées à parcourir l'univers, & viennent les avertir en songe des dangers qui les menacent ; ils ne manquent point à suivre les inspirations qu'ils ont reçues, & en conséquence ils offrent des sacrifices à leurs fétiches ou démons. Les habitans de Bénin placent dans la mer leur séjour à venir de bonheur ou de misere. Ils croyent que l'ombre d'un homme est un corps existant réellement, qui rendra un jour témoignage de leurs bonnes & de leurs mauvaises actions ; ils nomment passador cet être chimérique, qu'ils tâchent de se rendre favorable par des sacrifices, persuadés que son témoignage peut décider de leur bonheur ou de leur malheur éternel. Les prêtres de Bénin prétendent découvrir l'avenir, ce qu'ils font au moyen d'un pot percé par le fond en trois endroits, dont ils tirent un son qu'ils font passer pour des oracles, & qu'ils expliquent comme ils veulent ; mais ces prêtres sont punis de mort lorsqu'ils se mêlent de rendre des oracles qui concernent l'état ou le gouvernement. De plus il est défendu sous des peines très-grieves aux prêtres des provinces d'entrer dans la capitale. Malgré ces rigueurs contre les ministres des autels, le gouvernement a dans de certaines occasions des complaisances pour eux qui sont très-choquantes pour l'humanité ; c'est un usage établi à Bénin de sacrifier aux idoles les criminels que l'on réserve dans cette vûe ; il faut toujours qu'ils soient au nombre de vingt-cinq ; lorsque ce nombre n'est point complet, les officiers du roi ont ordre de se répandre pendant l'obscurité de la nuit, & de saisir indistinctement tous ceux qu'ils rencontrent, mais il ne faut point qu'ils soient éclairés par le moindre rayon de lumiere ; les victimes qui ont été saisies sont remises entre les mains des prêtres, qui sont maîtres de leur sort : les riches ont la liberté de se racheter, ainsi que leurs esclaves, tandis que les pauvres sont impitoyablement sacrifiés.


OVISTESS. m. (Hist. nat.) secte de philosophes, qui soutiennent que les femelles de tous les animaux contiennent des ovaires, qui sont comme autant de pépinieres de leurs diverses especes, & dont chaque oeuf fertilisé par le mâle rend un petit animal. Voyez OVAIRES & OEUF.


OWERRE(Géog.) bourgade & royaume d'Afrique sur la côte méridionale de la Guinée. L'air y est mal sain, & le terrein sec & maigre. Long. de la Bourgade, 25. 35. lat. 6. (D.J.)


OXALMES. m. (Matiere médicale) les médecins grecs nommoient oxalme, du vinaigre impregné de saumure, ou de sel marin dissous dans de l'eau. Ils l'employoient extérieurement pour guérir les ulceres putrides, comme aussi pour la teigne & la gale de tête des enfans ; quelquefois ils l'employoient en lavement, mais alors ils avoient grand soin de donner aussitôt un second lavement de lait. Dioscoride, liv. V. ch. xxiij. (D.J.)


OXFOOFT(Commerce) mesure de liquide, connue en Hollande & à Hambourg : c'est une barrique de vin de Bordeaux, c'est-à-dire environ 240 bouteilles.


OXFORD(Géog.) ville d'Angleterre dans la province à laquelle elle donne son nom, & dont elle est la capitale, avec un évêché suffragant de Cantorberi, fondé par Henri VIII. qui établit six nouveaux évêchés en Angleterre, après qu'il en eut supprimé tous les couvens. Oxford est au confluent du Cherwel & de l'Issis, à 16 milles S. O. de Buckingham, 45 O. de Londres, 60 S. O. de Cambridge. Long. suivant Cassini, 16. 17. 30. Long. suivant Halley, 16. 15. 30. lat. suivant les mêmes, 50. 45.

L'université d'Oxford, érigée en 895, est une des plus fameuses qu'il y ait au monde. Elle a 25 colleges, dont 18 ont de grands revenus. Ils entretiennent chacun un certain nombre de fellows ou aggregés, & de scholars ou étudians ; ensorte qu'on compte à Oxford jusqu'à mille étudians entretenus par les colleges, & deux mille qui ne le sont pas. Chaque college a sa bibliothéque ; la plus belle est celle de Bodley, the Bodleyan library, qui contient un grand nombre de manuscrits orientaux. Il y a 16 professeurs & un orateur public dans cette université.

Oxford se distingue encore par son théâtre, par son musaeum, par son jardin de simples, & par son imprimerie. Gilbert Sheldon, archevêque de Cantorbéri, fit bâtir le théâtre à ses propres frais. Le musaeum s'appelle Ashmoleanum, du nom d'Elie Ashmole qui en fit présent à l'université. On l'a depuis enrichi d'antiquités d'Egypte, d'un grand cabinet de raretés naturelles, données par le D. Lister, &c.

Mais ce qui immortalise la gloire d'Oxford, ce sont les savans hommes dont elle est la nourrice ou la patrie. Le D. Wood, qui lui-même y est né en 1632, vous les fera connoître dans ses deux ouvrages intitulés antiquitates Oxonienses, qui forment ensemble 3. vol. in-fol. & qui composent une histoire littéraire d'Angleterre. Je n'ai pas ces deux ouvrages sous les yeux pour les consulter ; mais je me rappelle assez bien que Chillingworth, Fell, Gale, Harriot, Hody, Lydiat, Owen, Pocock, le comte de Rochester, &c. sont du nombre des savans auxquels Oxford a donné la naissance : combien y en a-t-il d'autres qui échappent à ma mémoire ? On connoît assez ceux que je viens de nommer.

Chillingworth (Guillaume) savant théologien de l'église anglicane, étoit encore grand mathématicien. Il naquit en 1602, se trouva au siege de Glocester en 1643, & y fit la fonction d'ingénieur ; mais ayant été fait prisonnier à la prise du château d'Arondel, on le conduisit à Chichester, où il mourut en 1644, des fatigues qu'il avoit essuyées. Entre ses ouvrages on estime particulierement celui qui est intitulé, la religion protestante, voie sûre pour le salut : c'est un modele de bonne logique.

Fell (Jean) évêque d'Oxford, est connu des étrangers par son excellente édition des oeuvres de S. Cyprien, à Oxford 1682 in-fol. Il mourut en 1686, à 61 ans.

Gale (Thomas) savant littérateur, a donné plusieurs ouvrages très-estimés. Les principaux sont, 1°. Historiae poëticae antiqui scriptores ; 2°. Historiae anglicanae scriptores quinque ; 3°. Historiae Britannicae, Saxonicae, Anglo Danicae, scriptores quindecim, &c. Il mourut en 1709.

Harriot (Thomas) mathématicien, a donné une relation de la Virginie fort curieuse, & mourut en 1621, à 60 ans.

Hody (Humfrey) grand littérateur, mort en 1706, à 47 ans, a donné plusieurs ouvrages, dont le plus curieux est une histoire en latin des illustres grecs qui ont rétabli en Europe l'étude de la langue grecque, & des humanités. Samuel Jebb l'a fait imprimer à Londres, en 1742 in 8 °. avec la vie de l'auteur.

Lydiat (Thomas) mit au jour plusieurs traités sur des matieres de physique & de chronologie ; le principal est celui des notes sur les marbres d'Arondel, Oxonii 1676 in-folio. Il mourut en 1646, à 74 ans.

Owen (Jean) théologien presbytérien, publia divers ouvrages théologiques, dans lesquels il sema beaucoup de traits d'érudition, de politique & de philosophie. On lui doit des remarques sur les prolégomenes & la polyglotte de Walton. Son livre, de naturâ, ortu & studio verae Theologiae, a été réimprimé plusieurs fois. Il prêcha en 1648, contre Charles II. & les Royalistes. Il mourut en 1683, âgé de 67 ans.

Pocock (Edouard) célebre théologien, & l'un des plus savans hommes dans les langues orientales, qui ait jamais paru. Il naquit en 1604, fit deux voyages au levant, & acheta dans le dernier plusieurs manuscrits orientaux. Il mourut en 1691, à 87 ans. Il a traduit les annales d'Eutychius, patriarche d'Alexandrie ; l'histoire des dynasties d'Abulpharage, & une version du syriaque de la seconde épitre de S. Pierre, de celles de S. Jean, & de S. Jude ; une version du livre intitulé, porta Mosis ; un essai de l'histoire des arabes ; des commentaires sur Michée, Malachie, Osée & Joël ; une traduction en hébreu du traité de Grotius sur la vérité de la religion chrétienne ; un recueil de lettres, & autres ouvrages, qui ont été imprimés à Londres en 1740, en 2 vol. in-fol.

Wilmot (Jean) comte de Rochester, étoit un des beaux esprits de la cour de Charles II. mais il mourut en 1680, à la fleur de son âge, à 32 ans. M. de S. Evremond nous le peint trop comme un homme à bonnes fortunes ; c'étoit en même tems un homme de génie, & un grand poëte. Entr'autres ouvrages brillans, d'une imagination ardente, qui n'appartenoit qu'à lui, il a publié quelques satyres sur les mêmes sujets que Despréaux avoit choisis ; & si ses idées manquent quelquefois de ces bienséances délicates dont nous faisons tant de cas, il est toujours vrai qu'elles sont exprimées avec la force & l'énergie qui constituent le poëte. (D.J.)


OXFORD-SHIRE(Géog.) province maritime d'Angleterre au diocése d'Oxford, avec titre de comté. Elle a 130 milles de tour, & environ 534 milles arpens. L'air y est bon, & le terrein fertile en blé, fruits & pâturages. Elle est arrosée par la Tamise, le Cheweld, le Windruds, l'Evenlode, &c. Richard Plot vous instruira de l'histoire naturelle de cette province ; son ouvrage intitulé, the natural history of Oxford-shire, a paru pour la premiere fois à Oxford, en 1676 in-fol. mais il a été réimprimé en 1686 & en 1705. (D.J.)


OXIBIENS LES(Géog. anc.) Oxibii ; anciens peuples de la Gaule aux confins de la Ligurie. Ils occupoient le diocèse de Fréjus, & cette ville, comme le dit Pline, lib. XIII. c. xiv. étoit la capitale de la nation.


OXU(Géog.) grande province du Japon dans l'île de Niphon, dont elle fait la pointe septentrionale du côté de l'orient. (D.J.)


OXUMORONS. m. (Rhetorique) c'est le nom grec donné par les Rhéteurs à la figure que nous appellons opposition, voyez OPPOSITION. On la trouve souvent employée dans les Orateurs & les Poëtes. Horace dit arcani fides prodiga, une fidélité indiscrette ; perjura fides, une fidélité parjure ; insaniens sapientia, saevus jocus, amabilis insania, lene tormentum, dulce periculum, &c.


OXUS(Géog. anc.) grande riviere d'Asie. Comme elle arrose beaucoup de pays, soit en les traversant, soit en les terminant par quelque endroit, les anciens ne sont point d'accord sur les détails de ce fleuve ; & il y a eu un tems où ils le connoissoient si peu, qu'ils l'ont confondu avec l'Araxe. Le pays situé au-delà de l'Oxus s'appelloit la Transoxane ou Transoxiane ; les Arabes l'appellent Mauwaralnahr.

L'Oxus se déchargeoit autrefois dans la mer Caspienne, mais aujourd'hui les habitans incommodés par les pyrates, ont fermé son embouchure, & détourné ses eaux par des canaux qui arrosent leurs terres. Le nom moderne de ce fleuve est le Gihou. Voy. GIHOU.


OXYCEDRES. m. (Botan.) l'oxycedre, cedrus folio cupressi, major, C. B. P. 487. doit être mis au nombre des especes de genèvrier.

C'est un petit arbre, haut de 3 coudées, d'une odeur agréable de cyprès. Son tronc est tortu, garni de plusieurs rameaux flexibles, & couverts d'une écorce raboteuse. Ses feuilles fort petites, charnues, composées de plusieurs rangs de quatre feuilles jointes ensemble, de même que celles du cyprès. Ses fleurs sont semblables à celles du genèvrier ordinaire, jaunes, attachées à l'extrémité des rameaux, & stériles.

Les fruits naissent sur d'autres branches de ce même arbuste. Ce sont des baies de la grosseur de celles du myrthe, sphériques, semblables en quelque façon par leurs petites tubérosités à des cônes de cyprès ; vertes d'abord, ensuite purpurines, s'amollissant un peu en mûrissant ; d'un goût & d'une odeur approchantes des baies de génievre : elles renferment 3, 4, ou même un plus grand nombre d'osselets cannelés, oblongs, résineux, remplis d'une graine blanche, semblable en quelque maniere à celle du ris.

Cet arbrisseau fleurit au printems, & conserve long-tems son fruit verd, de même que le genèvrier. Quand il est nouvellement élevé de graine, ses feuilles ressembleroient aux feuilles du genèvrier si elles n'étoient plus courtes & plus molles ; mais lorsqu'il a 3 ou 4 ans, il commence à porter des feuilles différentes, & telles que les rameaux inférieurs sont chargés de feuilles piquantes & pointues, & les rameaux supérieurs, de feuilles obtuses & arrondies.

Cette plante croît dans le Languedoc & dans les Alpes ; elle donne d'elle même de la résine semblable à celle du genèvrier. (D.J.)


OXYCOCCUS(Botan.) genre de plante dont voici les caracteres selon Tournefort, qui n'en connoît que deux especes, dont l'une ne differe de l'autre que par la largeur de ses feuilles. La fleur est en rose, composée de divers pétales arrangés en rond. Le calice devient un fruit ou baie ronde, partagé en quatre loges qui contiennent des graines sphériques. Tournefort, I. R. H. p. 665. (D.J.)


OXYCRATS. m. (terme de Pharmacie) est un mêlange d'eau & de vinaigre. Ce mot est grec, , composé de , aigu, & de , mêler. La proportion ordinaire est d'une cuillerée de vinaigre sur 5 ou 6 d'eau.

L'oxycrat est propre à calmer, à temperer & à rafraîchir. On en fait des fomentations, des clysteres, &c.


OXYCROCEUMS. m. terme de Pharmacie, composition qu'on emploie en emplâtres, qui sont fort bonnes pour les fractures, & pour procurer la formation des calus. Ce mot est composé d', aigu, & de , safran.


OXYDRAQUESLES, (Géog. anc.) en latin Oxydracae, anciens peuples des Indes. Ils étoient voisins des Malliens, & entrerent avec eux & les Cathaeens, dans une confédération contre Alexandre ; mais ce prince ayant vaincu les Cathaeens & les Malliens, les Oxydraques se soumirent à lui. (D.J.)


OXYFRAGEadj. (Médecine) ou remede absorbant les acides. C'est un remede qui brise & adoucit les pointes des sels acides qui sont dans le corps. Voy. ABSORBANT, ALKALIN.


OXYGALA, lait aigre, voyez LAIT. Ce mot vient des deux mots grecs , aigre, & , lait.

Le lait aigre est une boisson commune chez les Turcs qui l'appellent igur. Vigénere dit qu'ils le boivent délayé dans de l'eau, & que ce mêlange leur paroît plus frais & plus nourrissant que le lait seul.


OXYGLUCUS. m. (Matiere médic.) ce mot désignoit chez les anciens un mêlange de miel, d'eau & de vinaigre : on le faisoit d'ordinaire, en macérant dans l'eau des rayons dont on avoit tiré le miel & en y ajoutant une petite quantité de vinaigre pour y donner de la pointe ; quelquefois on excluoit le vinaigre pour en faire une simple boisson d'usage. Galien prétend que l'oxyglucu étoit la même chose que l'apoméli, cependant il paroît par sa description de l'apoméli, qu'il y avoit de la différence ; car il le composoit avec des rayons de miel mis dans du vinaigre, & bouillis ensemble jusqu'à-ce que ces deux substances fussent unies, & que la force du vinaigre fût abattue. (D.J.)


OXYGONEadj. en Géométrie, c'est la même chose qu'acutangle : voyez ACUTANGLE. On dit qu'une figure est oxygone, quand elle n'est composée que d'angles aigus ou d'angles plus petits que 90 degrés. Voyez AIGU.

Le mot oxygone se dit principalement des triangles, où les trois angles sont tous aigus, c'est-à-dire moindres chacun que 90 degrés. Voy. TRIANGLE. (E)


OXYMELS. m. terme de Pharmacie, est un mêlange de miel & de vinaigre, qu'on fait bouillir jusqu'à consistance de syrop. Ce mot est formé du grec , aigu, & , miel.

Il y a deux sortes d'oxymel, l'un simple & l'autre composé ; l'oxymel simple est un mêlange de deux parties de bon miel, & d'une de vinaigre blanc, qu'on fait bouillir jusqu'à consistance de syrop. Il est propre pour inciser & détacher les phlegmes qui tiennent au gosier & à la poitrine. L'oxymel composé ne differe du simple, qu'en ce qu'au miel & au vinaigre on ajoute la décoction des cinq grandes racines apéritives, avec de la graine d'ache, de persil & de fenouil : il est propre à déboucher les obstructions du foie & de la rate.

OXYMEL SCILLITIQUE. Voyez SCILLE, Mat. méd.


OXYREGMIES. f. terme de Médecine, âcreté du fluide stomacal, qui cause des rots acides ; ce mot est composé de , aigu & , roter.


OXYRHODINSadj. (Pharmacie) ce terme signifie un médicament composé de vinaigre & de roses ; c'est la même chose que le vinaigre rosat. Mais ce nom signifie particulierement un remede topique, qui s'applique à la tête & au col.

Les oxyrhodins se composent d'huile rosat & de vinaigre ; on met sur trois onces d'huile, une de vinaigre. On s'en sert dans les fievres, dans les douleurs de tête & dans le délire, dans la léthargie & dans la plûpart des maladies soporeuses.

Oxyrhodin pour les maladies de tête ; prenez huile rosat, quatre onces ; vinaigre rosat, une once & demie : mettez-le tiede sur le devant de la tête qu'on aura eu soin de raser, avec du chanvre ou de la laine ; on peut substituer à l'huile rosat celle de violette, de graine de lin, de nymphaea ou pavot.

Ces topiques étant répercussifs, ne doivent être appliqués qu'après les remedes généraux. Les oxyrhodins s'appliquent encore sur le bas-ventre dans le dévoiement.


OXYRYNQUE(Géog.) ville d'Egypte, sur la rive occidentale du Nil dans un nôme dont elle étoit la capitale, & qui prenoit d'elle le nom d'Oxyrynchites nomos. Elle prenoit elle-même le sien d'un poisson qu'on y adoroit, & que l'on appelloit Oxyrynque, , à cause de son museau pointu. Ce poisson avoit un temple dans cette ville ; & Strabon, l. XVII. p. 812. observe que les autres peuples de l'Egypte l'adoroient aussi. Aelien, l. X. c. xlvj. dans son histoire des animaux, n'a eu garde d'oublier un poisson à qui l'on avoit rendu de si grands honneurs. L Oxyrynque, dit-il, est nourri dans le Nil, & il y a un nôme qui en prend le nom ; ce poisson y est honoré d'un culte religieux. Etienne le géographe dit la même chose.

Cette ville a été autrefois episcopale : Apollonius son évêque, souscrivit au concile de Séleucie, & Pierre autre évêque d'Oxyrynque, au concile d'Ephèse. M. Baillet nous peint Oxyrynque dans le quatrieme siecle, comme le temple de tous les saints & de toutes les saintes du monde : c'est-à-dire de quantité de religieux & de religieuses, divisées en plusieurs monasteres. (D.J.)


OXYS(Botan.) genre de plante dont voici les caracteres : son calice est divisé en cinq segmens, il est d'une piece, tubuleux, & en cloche ; ses feuilles sont en coeur comme celles du treffle & pointues. Sa fleur est monopétale, pentapétaloïdale & en cloche ; elle porte cinq étamines supérieures, & cinq inférieures ; les dernieres sont presque unies les unes aux autres par leurs parties inférieures. Son ovaire est placé au fond du calice ; il pousse cinq tubes, & dégénere en un fruit membraneux, oblong, à cinq capsules, & garni de cinq valvules qui s'écartent les unes des autres, en commençant par la base, & en allant vers la partie supérieure ; il est plein de semences couvertes d'une enveloppe élastique qui les disperse au loin.

Tournefort compte onze especes d'oxys, dont la plûpart sont étrangeres, & seulement cultivées dans les jardins des curieux ; on distingue toutes les diverses especes de ce genre de plante dans le tems même qu'elles ne sont pas en fleur : 1°. parce que leurs feuilles naissent regulierement au nombre de trois sur le sommet de chaque tige ; 2°. parce qu'elles ont généralement la figure du coeur qui est marqué sur les cartes à jouer ; 3°. enfin, parce qu'elles sont d'ordinaire d'une odeur acide, mais qui n'est pas desagréable. (D.J.)


OXYSACCHARUMS. m. terme de Pharmacie, est un médicament liquide, composé de sucre & de vinaigre : ce mot est composé de , aigu & , sucre ; mais on appelle plus specialement oxysaccharum un syrop fait avec du vinaigre, du suc de grenades aigres & du sucre ; lequel est propre à rafraîchir & à résister à la malignité des humeurs.


OXYSALOXYSAL

Prenez du meilleur sel de chardon-béni en grain ; mettez-le dans un vaisseau, & versez dessus peu-à-peu de l'esprit fort de vinaigre ou de l'esprit de sucre, préparés sur un feu modéré au bain marie, sans aucune odeur ni goût empyreumatiques, non-seulement jusqu'à-ce que le sel soit dissout dans l'esprit, mais jusqu'à-ce que la vapeur produite par leur action s'arrête, & que le mélange ait acquis un goût agréable & tant-soit-peu acide ; consumez ce qui restera d'humidité par l'évaporation. En dissolvant derechef ce sel dans l'eau, & en le laissant en digestion au bain marie pendant huit jours, il se résoudra en une liqueur transparente & d'une belle couleur, que vous tirerez au clair dans un vaisseau convenable : vous réduirez par l'évaporation le sel en une consistance seche ; vous l'enfermerez ensuite dans des vaisseaux, de peur que l'approche de l'air ne le remette en dissolution ; ce qui lui arriveroit facilement. (D.J.)


OYANT(Jurisprud.) en matiere de compte, signifie celui qui entend le compte, & auquel il est présenté par le rendant ; l'oyant compte fournit ses débats contre le compte, & le rendant fournit ses soutenemens contre les débats de l'oyant. Voyez le tit. xxix. de l'ordonnance de 1667. de la reddition des comptes & voyez COMPTE & RELIQUAT. (A)


OYARDvoyez OIE.


OYAS(Hist. mod.) c'est le titre que l'on donne à la cour du roi de Siam, aux ministres & à ceux qui possédent les postes les plus éminens de l'état. Pour les distinguer des autres, le monarque leur donne une boîte d'or artistement travaillée, dans laquelle ils ont des feuilles de bétel qu'ils mâchent de même que les autres Indiens. C'est le plus ou le moins de travail qui se trouve sur cette boîte qui annonce le rang des oyas : ils ont au-dessous d'eux les ok-pras, parmi lesquels on choisit les ambassadeurs ; leurs boîtes sont moins travaillées que celles des oyas. Les ok-louans forment un troisieme ordre de noblesse, leur boîte est d'argent façonné : enfin, les ok-munes & les ok-konnes sont des officiers subalternes, dont les boîtes sont d'or ou d'argent, sans nulle façon.


OYEvoyez OIE.

OYE, (Géog.) petite ville de France dans le Boulonnois, capitale d'un comté de même nom, pagi Oviensis ; les Anglois l'ont possédée jusqu'à la prise de Calais ; elle est à 1 lieue de Graveline, 2 de Calais, 61 de Paris. Long. 19. 35. lat. 51. (D.J.)

OYE, L'ILE D '(Géogr.) petite île de France sur la côte du pays d'Aunis, proche de celle de Ré vers la Rochelle ; quelques-uns écrivent oyent : le nom latin est Ogia & Auca. (D.J.)


OZAGES(Géog.) peuple de l'Amérique septentrionale dans la Louisiane, au couchant du fleuve Mississipi. Il occupe un pays situé autour de plusieurs rivieres, dont la principale prend le nom de riviere des Ozages, & toutes vont se perdre dans le Missouri. (D.J.)


OZAMA(Géogr.) riviere de l'Amérique dans l'île espagnole. Elle a ses sources dans les montagnes qui occupent le centre de l'île, passe à Saint-Laurent, & de-là coulant vers le midi, elle se rend à la ville de Saint-Domingue, dont elle forme le port. A l'entrée de ce fleuve, il y a une barre, laquelle n'a ordinairement qu'onze piés d'eau, treize à quatorze quand la marée est haute, & quinze au plus dans les grandes marées. (D.J.)


OZEGUE(Botan. exot.) arbre du royaume de Congo, dans la basse Ethiopie ; c'est une espece de prunier dont les fruits sont jaunes, & ont l'odeur & le goût fort agréables. On fait de leurs branches des haies, des palissades & des cabanes, sous lesquelles on se met à couvert des rayons du soleil, par l'épaisseur de leurs feuilles. (D.J.)


OZENES. f. Terme de Chirurgie, ulcere de la narine, accompagné de puanteur ; ce mot vient du grec , qui signifie la même chose ; il est formé de , foetor, puanteur.

Il y a une ozene simple qui consiste en une simple ulcération de très-petite conséquence, & qui ne devroit point être appellée de ce nom. Il convient plus particulierement à un ulcere putride qui exhale une odeur très-fétide & dont l'humeur est plus ou moins âcre, & quelquefois sanguinolente.

L'ozene simple vient souvent à la suite de la petite vérole, ou après l'extirpation d'un polype. Voy. POLYPE.

Ceux qui ont les écrouelles, la vérole, le scorbut sont sujets aux ulceres putrides ; ils deviennent quelquefois cancéreux ; ils sont souvent accompagnés de la carie des cornets supérieurs ou inférieurs du nez.

La cause de l'ozene le rend plus ou moins fâcheux, ou de plus ou moins facile guérison.

Les ulceres simples doivent être traités par des remedes généraux suivant le tempérament du sujet ; puis on fait tomber les croutes du nez avec des décoctions émollientes, attirées dans les narines ou injectées. On peut toucher les croutes avec la barbe d'une plume, trempée dans un liniment d'huile d'amandes-douces & de blanc de baleine, à la suite de la petite vérole : on desséche ensuite l'ulcere avec l'huile d'oeufs. S'il y avoit disposition cancéreuse, l'onguent nutritum seroit fort bon, après avoir lavé l'ulcere avec l'eau de solanum ou de jusquiame ; si la cure vient de quelques vices, il faut tâcher de les attaquer primitivement par les remedes spécifiques : on a remarqué que le mercure devoit être donné avec grande circonspection dans ce cas pour ne pas exciter de désordres au mal local ; les décoctions de gayac & de sassafras seront indiquées, tant extérieurement que pour boisson dans ce cas.

On propose communément les injections pour dessécher les ulceres de l'intérieur du nez, mais il est difficile qu'elles portent sur le lieu malade ; on préfere avec raison les fumigations séches ; avec le mastic, l'encens, la myrrhe, le styrax calamite, le benjoin & autres corps odoriférans, dont on forme des pastilles ou troschisques, avec de la térébenthine. Rondelet rapporte avoir guéri par ce moyen un ulcere, que des Médecins italiens & françois n'avoient pu guérir. Voyez FUMIGATION.

Celse parle de la cure de l'ozene par l'application du cautere, s'il ne cede point aux médicamens : mais comment aller porter le fer rouge dans une cavité, dans laquelle on ne voit point les endroits qui pourroient être utilement cautérisés ?

Une observation plus intéressante est celle de Drake, qui a décrit une espece d'ozene dont le siége est dans le sinus maxillaire ; entr'autres signes, il se connoît à un plus grand écoulement de pus, lorsqu'on est couché du côté opposé à la maladie. Elle exige pour sa curation, l'extraction d'une ou de plusieurs dents, au moyen dequoi on peut injecter facilement le sinus maxillaire, après avoir pénétré dans sa cavité par la perforation des alvéoles qui contenoient les dents arrachées. Nous avons parlé amplement de cette opération, en traitant des maladies des gencives, à la suite de l'article GENCIVE. (Y)


OZOLESLES (Géog. anc.) ozolae, nom distinctif d'une partie des Locres. Voyez LOCRES.


OZZALA(Géog. anc.) lieu d'Asie dans la Galatie, entre Ancyre & Tyane, & plus particulierement selon Antonin, entre Parnassus & Nitazi. (D.J.)